Sommaire
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
MM. Jean Boyer, François Fortassin.
3. Scrutins pour l’élection de représentants à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
4. Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et le mandat de représentant au Parlement européen. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi
Discussion générale commune : MM. Manuel Valls, ministre de l'intérieur ; Simon Sutour, rapporteur de la commission des lois ; Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.
5. Souhaits de bienvenue à une délégation du Guatemala
7. Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et le mandat de représentant au Parlement européen. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi
Discussion générale commune (suite) : Mme Éliane Assassi, MM. François Zocchetto, Jacques Mézard.
8. Élection de représentants à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
9. Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et le mandat de représentant au Parlement européen. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi
Discussion générale commune (suite) : Mme Hélène Lipietz, MM. Jean-Louis Masson, Philippe Bas, François Rebsamen, Mmes Virginie Klès, Mireille Schurch, M. Hervé Maurey, Mme Esther Benbassa, MM. Gérard Larcher, Yannick Vaugrenard.
PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené
MM. Yves Détraigne, François-Noël Buffet, Vincent Eblé, Éric Doligé, Jean-Jacques Hyest, Gaëtan Gorce, Hugues Portelli, Yves Daudigny.
MM. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois ; le président.
Mme Caroline Cayeux, MM. Michel Teston, Pierre Charon, Claude Dilain.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur.
Clôture de la discussion générale commune.
M. le président de la commission.
10. Communication d’un avis sur une nomination
11. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
12. Saisine du Conseil constitutionnel
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
13. Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique
Demande de renvoi à la commission
Motion n° 71 de M. Jacques Mézard. – M. Stéphane Mazars. – Retrait.
Articles additionnels avant l'article 1er
Amendement n° 53 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi, MM. Simon Sutour, rapporteur de la commission des lois ; Manuel Valls, ministre de l'intérieur. – Rejet.
Amendement n° 43 de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, Simon Sutour, rapporteur ; Manuel Valls, ministre ; Mme Jacqueline Gourault, MM. Bruno Sido, Éric Doligé. – Rejet.
Amendements nos 44 et 45 de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, Simon Sutour, rapporteur ; Manuel Valls, ministre ; Gérard Longuet. – Rejet des deux amendements.
M. Vincent Delahaye.
PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené
MM. Alain Fouché, Mme Éliane Assassi, M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, Mme Marie-Thérèse Bruguière, M. Éric Doligé.
Amendement n° 36 de Mme Hélène Lipietz. – Mme Hélène Lipietz.
Amendement n° 59 de M. Philippe Bas. – M. Philippe Bas.
Amendement n° 29 de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
MM. Simon Sutour, rapporteur ; Manuel Valls, ministre ; Philippe Bas, Jean-Yves Leconte, Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Rejet de l’amendement n° 36 ; retrait de l’amendement n° 59 ; adoption de l’amendement n° 29.
Amendement n° 28 de Mme Virginie Klès. – Mme Virginie Klès, MM. Simon Sutour, rapporteur ; Manuel Valls, ministre. – Retrait.
Amendement n° 3 rectifié ter de Mme Catherine Procaccia. – Retrait.
Amendements identiques nos 46 de M. Jacques Mézard, 58 de M. Philippe Bas et 63 de M. François Zocchetto. – MM. Jacques Mézard, Philippe Bas, Yves Détraigne, Simon Sutour, rapporteur ; Manuel Valls, ministre ; Hugues Portelli, Joël Guerriau, Gérard Longuet. – Adoption, par scrutin public, des trois amendements.
Amendement n° 21 rectifié bis de M. Éric Doligé. – MM. Éric Doligé, Simon Sutour, rapporteur ; Manuel Valls, ministre. – Retrait.
Mme Virginie Klès.
Suspension et reprise de la séance
Adoption, par scrutin public, de l’article modifié.
Renvoi de la suite de la discussion.
14. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
M. Jean Boyer,
M. François Fortassin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décès d'un ancien sénateur
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Paul Robert, qui fut sénateur du Cantal de 1980 à 1989.
3
Scrutins pour l’élection de représentants à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
M. le président. L’ordre du jour appelle les scrutins pour l’élection d’un membre titulaire représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en remplacement de Jean Louis Lorrain, décédé, et pour l’élection d’un membre suppléant pour représenter la France au sein de cette assemblée, en remplacement de M. Bernard Fournier.
En application des articles 2 et 3 de la loi n° 49 984 du 23 juillet 1949, la majorité absolue des votants est requise pour ces élections.
Il va être procédé à ces scrutins dans la salle des conférences, en application de l’article 61 du règlement.
J’ai été saisi de la candidature de :
- M. Bernard Fournier, pour siéger comme membre titulaire ;
- M. André Reichardt, pour siéger comme membre suppléant.
Je prie MM. Jean Boyer et François Fortassin, secrétaires du Sénat, de bien vouloir présider le bureau de vote. Ils seront assistés de MM. Gérard Le Cam et Alain Dufaut comme scrutateurs.
Je déclare le scrutin ouvert.
Je vous indique que, pour être valables, les bulletins de vote ne doivent pas comporter plus d’un nom comme membre titulaire et plus d’un nom comme membre suppléant, sous peine de nullité.
Ce scrutin sera clos dans une heure.
4
Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et le mandat de représentant au Parlement européen
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (projet n° 734, résultat des travaux de la commission n° 834, rapport n° 832) et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (projet n° 733, résultat des travaux de la commission n° 833, rapport n° 832).
La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, souvent, trop souvent, des voix se font entendre pour critiquer, mettre en cause ou caricaturer les élus. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
MM. Gérard Larcher, Henri de Raincourt et Alain Gournac. Ça, c’est vrai !
M. Manuel Valls, ministre. Ils seraient « trop nombreux », ils « coûteraient trop cher », ils « n’agiraient pas assez », ils seraient « incapables d’entendre », de « comprendre les attentes des citoyens » et d’y répondre.
Ce faux procès, ce procès injustifié que l’on fait aux élus de la République, nous ne l’acceptons pas, je ne l’accepte pas. Et jamais nous ne devons nous résoudre à l’accepter. Il nous faut donc nécessairement agir, et agir ensemble !
La démocratie n’existe pas sans ses élus. Elle n’existe pas sans ses parlementaires ni sans ses élus locaux.
La démocratie, c’est ce lien de confiance, ce contrat qui unit, qui doit unir, à tous les niveaux, les citoyens à ceux et à celles qui ont la charge de les représenter et de veiller au destin de la collectivité.
La démocratie, c’est l’expression de la volonté du peuple, dont les élus sont les porteurs, cette volonté dont parlait Mirabeau, à laquelle on ne peut rien opposer de plus grand, de plus fort, de plus juste.
Notre démocratie, cette magnifique redécouverte de l’Antiquité par la modernité, s’est construite pas à pas. Elle a su s’imposer. Mais elle a su aussi évoluer, s’adapter.
J’ai l’honneur d’être aujourd’hui devant vous pour vous présenter, après son examen et son adoption par l’Assemblée nationale, un projet de loi qui fera date.
M. Jacques Mézard. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Manuel Valls, ministre. Oui, il fera date !
En mettant un terme aux possibilités de cumul entre les fonctions exécutives locales et le mandat de député ou de sénateur, il viendra profondément renouveler le fonctionnement de nos institutions et de nos pratiques politiques.
Ce projet de loi constitue une véritable avancée démocratique. C’est le mérite de la démocratie, autant que son devoir, de toujours veiller à avancer, à améliorer son fonctionnement, à approfondir le lien qui existe entre les élus et les citoyens.
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que ce lien peut prendre plusieurs formes. Il existe notamment dans les territoires, au travers des collectivités locales. Dans le cadre de mes fonctions, j’ai l’occasion de rencontrer très régulièrement des élus locaux sur le terrain. Nombre d’entre vous le sont eux-mêmes. Je sais combien, quelle que soit leur sensibilité, les élus locaux sont dévoués et donnent de leur temps et de leur énergie au service de l’intérêt général.
Je les rencontre notamment dans des situations où il faut faire face aux difficultés ou à l’adversité. Ce fut le cas, par exemple, en juin dernier, en Haute-Garonne et dans les Hautes-Pyrénées, à la suite des inondations qui ont frappé ces deux départements. Dans les campagnes, dans les villages, dans les bourgs, alors que les équipes de secours étaient mobilisées, les élus locaux étaient là, au côté des populations, pour aider, pour parer au plus pressé. Je pourrais évidemment citer maints autres exemples.
Être élu local, de sa commune, de son canton, de son département, de sa région, c’est être à l’écoute de la collectivité qui vous a accordé sa confiance. C’est gérer le quotidien tout en préparant l’avenir. Moi-même, élu local depuis vingt-cinq ans, je sais le degré d’exigence que revêtent de telles missions.
Gérer le quotidien, c’est s’occuper des cantines scolaires, veiller à la tranquillité publique, répartir les créneaux sportifs ou encore résoudre des problèmes de voirie ou d’assainissement.
Préparer l’avenir, c’est se mobiliser pour le développement économique, travailler à l’attractivité d’un territoire, le doter des équipements publics, scolaires, sanitaires, et des infrastructures adaptés.
Je veux rendre un hommage tout particulier aux maires des petites communes, qui portent souvent sur leurs épaules le poids de lourdes responsabilités, qu’ils assument la plupart du temps à titre bénévole ou presque, et en plus de leur activité professionnelle.
Je ne supporte pas cette démagogie qui vise nos élus locaux. De même, je n’admets pas les attaques qui visent le Parlement.
M. Jacques Mézard. Tiens donc !
M. Manuel Valls, ministre. Faire la loi, contrôler l’action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques sont des missions essentielles pour notre démocratie, un système qui s’appuie sur cet équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le travail parlementaire, que l’on appartienne à la majorité ou à l’opposition, implique investissement, rigueur, connaissance approfondie des enjeux.
Le Parlement n’est pas seulement le lieu d’interpellation du pouvoir exécutif. C’est un lieu de réflexion, de discussion, de prise en compte des points de vue, de tous les points de vue. C’est le lieu de la construction patiente de nos lois, des lois qui doivent tout prévoir, tout envisager. C’est le lieu de l’édification, de la concrétisation de la volonté générale.
La démocratie a besoin de ses élus, de tous ses élus. En dépit de la défiance, les Français le savent bien, ils ont besoin de leurs élus.
La démocratie, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la confiance : confiance dans les institutions ; confiance dans des élus présents, dévoués et qui respectent leurs engagements.
Alors, comment fermer les yeux sur cette crise de confiance qui touche nos concitoyens ? Comment l’ignorer ? Ils doutent de la capacité de la politique à avoir une emprise sur le destin collectif, ils doutent de la capacité de leurs élus à agir.
M. Jacques Mézard. Mais Cahuzac, c’est vous !
M. Manuel Valls, ministre. Il nous appartient à tous de répondre à cette crise de confiance, et d’y répondre en réformant nos institutions, comme cela a déjà été fait par le passé. C’est ce que nous faisons avec ce projet de loi, qui constitue, oui, une véritable révolution démocratique.
M. Jacques Mézard. Une révolution ne se fait pas à la sauvette et en catimini !
M. Manuel Valls, ministre. J’ai bien conscience que toute avancée, si elle est trop brusque, peut être déroutante. Mais cette avancée démocratique que nous proposons n’est en rien brutale. Elle ne constitue pas une surprise. Elle est la traduction du quarante-huitième engagement de campagne, d’un engagement fort, du Président de la République.
M. Alain Gournac. Il en a pris d’autres !
M. Christian Cambon. Qu’il commence par tenir les quarante-sept premiers !
M. Manuel Valls, ministre. Elle a l’assentiment de nos concitoyens, qui l’attendent ! (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jackie Pierre. Ils attendent surtout du boulot !
M. Manuel Valls, ministre. D’ailleurs, le Président de la République sortant s’était lui-même avancé sur cette voie.
Nos concitoyens attendent des actes conformes à ce que Pierre Mendès-France appelait le « contrat de législature », gage d’une République moderne.
Oui, c’est vers une République moderne que nous voulons aller, une République qui décide d’en finir avec une spécificité française, le cumul, une spécificité qui, au fil du temps, est devenue une singularité. (M. Pierre Charon s’exclame.)
Vous ne manquerez pas de rappeler que, comme d’autres, j’ai cumulé. (Oui ! sur les travées de l’UMP.) Vous allez exhumer des textes, des citations, des propos tenus, des articles. Monsieur le président Mézard, je vous vois prêt à bondir ! (Il n’a rien dit ! sur les travées de l'UMP.)
M. Jackie Pierre. Il aura raison !
M. Manuel Valls, ministre. Rien ne m’enlèvera la fierté que j’ai de porter aujourd’hui ce texte et de concrétiser l’engagement pris par François Hollande devant les Français.
MM. Alain Gournac et Christian Cambon. Il en a pris d’autres !
M. Manuel Valls, ministre. Cet engagement est le fruit d’une réflexion à laquelle, comme d’autres, j’ai contribué, modestement. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) En effet, j’avais été chargé par ma formation politique, en février 2011, d’un rapport sur la modernisation de nos institutions. J’ai fait dix propositions, dont la première était l’interdiction du cumul d’un mandat parlementaire et d’un mandat au sein d’un exécutif local. (Mme Gisèle Printz applaudit.)
M. Jean-Claude Gaudin. C’est une stupidité !
M. Manuel Valls, ministre. Cette proposition, qui avait déjà été adoptée, a été confirmée par le vote des militants de ma formation politique. (Et alors ? sur les travées de l'UMP.)
Dans vos argumentaires, vous citerez sans doute le Président de la République,…
M. Jacques Mézard. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Eh oui !
M. Manuel Valls, ministre. Vous ne manquerez pas d’évoquer le cas de l’ancien président du conseil général de la Corrèze et ses positions passées.
Ce que François Hollande souhaitait, à l’époque du débat au sein de notre formation politique, c’était que cette disposition du non-cumul s’applique à tous, par la loi, et pas à un seul parti. C’est ce que nous faisons aujourd’hui.
M. Alain Gournac. Hélas !
M. Manuel Valls, ministre. Cette avancée s’inscrit par ailleurs, de manière cohérente, dans un mouvement d’ensemble mis en œuvre par le Gouvernement, avec le soutien de la majorité. Il s’est traduit, ces derniers mois, par l’instauration de la parité pour l’élection des conseillers départementaux (Ah oui ! Parlons-en ! sur les travées de l'UMP.),… par l’extension du scrutin de liste pour les communes de plus de 1000 habitants – vous y avez contribué – (Pas nous ! sur les travées de l'UMP.),…
M. Francis Delattre. Vous êtes le chef-charcutier !
M. Henri de Raincourt. C’est une catastrophe !
M. Manuel Valls, ministre. …. par l’élection directe des conseillers intercommunaux, par l’extension, enfin, du scrutin proportionnelle aux élections sénatoriales, adoptée par la majorité sénatoriale. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
Un sénateur du groupe UMP. Tripatouillages !
M. Manuel Valls, ministre. Ce doit être un spécialiste qui a parlé ! (Rires et applaudissements sur les mêmes travées.)
Être fidèle à la République et à ses traditions, ce n’est pas regarder vers un passé fantasmé ; ce n’est pas s’arc-bouter sur des pratiques devenues obsolètes. Du reste, on cumulait moins sous la IIIe et la IVe République...
Non, être fidèle à la République, c’est regarder vers l’avenir, adapter sans cesse les institutions à la modernité.
En 2008, au Congrès, il s’est même trouvé une majorité qualifiée, comprenant des parlementaires de gauche, pour adopter la réforme constitutionnelle présentée alors par le président Nicolas Sarkozy.
C’est la tâche à laquelle je m’attelle, dans tous les domaines, depuis mon arrivée au ministère de l’intérieur. Au cours des derniers mois, nos institutions se sont réformées, et nous franchissons aujourd’hui une nouvelle étape.
J’ajoute que l’interdiction du cumul a été préparée par deux lois antérieures, les lois organiques du 30 décembre 1985 et du 5 avril 2000, qui, portées par des majorités de gauche, ont limité les possibilités de cumul.
De la limitation, nous devons passer à l’interdiction.
M. Jacques Mézard. Et aussi pour Mme Aubry !
M. Manuel Valls, ministre. Cette avancée démocratique est aussi le prolongement logique de trente ans de lois de décentralisation qui ont affirmé et la place et le rôle des collectivités territoriales dans notre paysage institutionnel. Avec ces lois, auxquelles ont contribué différentes majorités, être membre d’un exécutif local, c’est assumer des responsabilités de plus en plus complexes, de plus en plus prenantes.
Être maire, être président ou vice-président d’une assemblée départementale ou régionale, c’est nécessairement se trouver, de manière continue, au contact de la collectivité dont on a la charge. Ce sont des missions qui mobilisent à plein temps.
De même, et plus encore depuis la réforme constitutionnelle de 2008 – c’est la raison pour laquelle j’y ai fait allusion –, le mandat national de député et de sénateur est devenu, vous le savez parfaitement, plus exigeant encore.
Nous devons prendre acte de cette réalité. Elle s’impose à nous : être parlementaire et membre d’un exécutif local, c’est exercer des fonctions qui ne sont plus superposables.
M. Éric Doligé. Vous êtes le seul à le croire ici !
M. Manuel Valls, ministre. Le faire, c’est au mieux déléguer, le plus souvent à l’administration, au pire survoler !
MM. Gérard Cornu et Francis Delattre. Parlez pour vous !
M. Manuel Valls, ministre. Et l’on ne peut se satisfaire de cela. Les citoyens, de toute sensibilité politique, le disent clairement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose une avancée pour notre démocratie, pour la Ve République.
M. Éric Doligé. Des mots !
M. Manuel Valls, ministre. Le mouvement a été amorcé par l’Assemblée nationale, qui, en première lecture, à la surprise de nombreuses personnes d’ailleurs, ici notamment, a adopté ce texte par 300 voix.
M. Jacques Mézard. Avec des pressions, des menaces !
M. Jacques Mézard. Il y a des comptes rendus !
M. Manuel Valls, ministre. Ce mouvement est inéluctable.
L’Assemblée nationale a d’ailleurs enrichi ce texte ; elle l’a même parfois durci. Je pense à l’extension du principe de non-cumul aux fonctions dérivées du mandat local, qu’il s’agisse des EPCI sans fiscalité propre, des syndicats mixtes, des établissements publics locaux, des sociétés d’économie mixte locales, des sociétés publiques locales ou encore des organes de gestion de la fonction publique territoriale. Je vous le dis, car certains ne semblent pas avoir lu le texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale ! (Si ! sur les travées de l'UMP.)
M. André Reichardt. Bien sûr que nous l’avons lu !
M. Manuel Valls, ministre. Eh bien, vous avez bien fait ! (Vives exclamations sur les mêmes travées.)
M. Christian Cambon. C’est incroyable !
M. Alain Gournac. Quelle arrogance !
M. Manuel Valls, ministre. Je vous trouve en pleine forme… Cela augure bien de notre discussion !
Avec le débat que nous ouvrons aujourd’hui, le Sénat a l’occasion de prendre toute sa part à ce mouvement. Il a l’opportunité de poursuivre son œuvre décentralisatrice, en dotant notre pays d’élus locaux à plein temps, et d’affirmer de nouveau la place de la chambre haute dans les institutions de notre République. (Rires sur les mêmes travées.)
M. Henri de Raincourt. Elle est bien bonne celle-là !
M. Alain Gournac. C’est la meilleure !
M. Manuel Valls, ministre. Saisir cette occasion, c’est faire preuve de courage ! C’est, j’en ai bien conscience, dépasser des réticences. C’est aussi éviter un certain nombre de pièges et renoncer à certaines illusions.
La première de ces illusions…
M. Jacques Mézard. On n’en a plus depuis un an !
M. Manuel Valls, ministre. … serait de croire que nous pouvons encore repousser ce débat.
Je l’ai dit, cette réforme est attendue par nos concitoyens. (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Bruno Sido. Ce n’est pas vrai !
M. Manuel Valls, ministre. Pour beaucoup, nous n’avons que trop tardé. Je sais que certains parmi vous souhaiteraient que nous attendions encore. Mais cela n’est plus possible.
M. Alain Gournac. Baissez plutôt les impôts !
M. Francis Delattre. Créez des emplois !
M. Manuel Valls, ministre. Ce texte, vous le connaissez ; vous avez pu y travailler.
Présenté en conseil des ministres le 3 avril dernier,…
M. Christian Cambon. Et alors ?
M. Manuel Valls, ministre. … il a été examiné par l’Assemblée nationale au début du mois de juillet.
M. Christian Cambon. Et alors ?...
M. Manuel Valls, ministre. Surtout, vous le connaissez – c’est la procédure normale –, car le Sénat a déjà eu l’occasion de se prononcer sur son contenu, à tout le moins sur une version proche.
En effet, le 28 octobre 2010,…
M. Jacques Mézard. Eh oui !
M. Manuel Valls, ministre. … le Sénat décidait – déjà ! – de renvoyer en commission la proposition de loi organique présentée par Jean-Pierre Bel, qui n’était pas encore, alors, président de cette assemblée.
Comme le texte d’aujourd’hui, celui d’hier visait à interdire le cumul du mandat parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale.
Comme aujourd’hui, certains estimaient déjà que le plus urgent était d’attendre, invoquant une prochaine étape de la décentralisation, un futur statut de l’élu,…
M. Alain Gournac. Ah !
M. Jacques Mézard. Où est-il ?
M. Manuel Valls, ministre. … voire une réforme constitutionnelle.
Pour ma part, je crois que cette réforme est justement une clé pour faire évoluer à terme nos institutions et nos pratiques.
M. Éric Doligé. C’est un leurre !
M. Manuel Valls, ministre. Vous me direz, comme certains l’ont fait hier, qu’il faut que tout change. Mais cela revient à dire qu’il faut que rien ne change !
En 2010, en défendant une motion tendant au renvoi à la commission, le doyen Gélard estimait que le Sénat devait « approfondir sa réflexion »…
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Manuel Valls, ministre. … sur un texte qu’il jugeait « intéressant ». Je crains que nous n’entendions les mêmes propos au cours de ce débat. Pourtant, le Sénat a, me semble-t-il, approfondi sa réflexion. Il a eu le temps nécessaire pour le faire.
Comme toujours, vos travaux ont été placés sous le signe du sérieux, de l’approfondissement. (Marques d’ironie sur les travées de l'UMP.) Je pense notamment au rapport d’information de vos collègues François-Noël Buffet et Georges Labazée. Le titre qu’ils ont donné à leur travail résume d’ailleurs bien les enjeux dont nous aurons à parler au cours de nos débats : oui, les mandats locaux seront bien valorisés par le non-cumul.
Lors de l’élaboration de ce projet de loi, nous avons débattu de la date de son application. Vous n’ignorez pas que des voix se sont élevées – elles vont sans doute se faire encore entendre – pour une application de la loi dès sa promulgation. J’ai personnellement souhaité, pour des raisons politiques et juridiques, que cette mise en œuvre n’intervienne qu’à compter de 2017, après le renouvellement de l’Assemblée nationale.
S’agissant des raisons juridiques, nous ne faisons que suivre la recommandation pertinente du Conseil d’État. La formule qui vous est proposée garantit l’exercice du droit de suffrage, assure la continuité du fonctionnement des assemblées et évite tout risque de rétroactivité.
Mais il y a aussi une raison politique : il est essentiel de laisser à chacun le temps de réfléchir, de prévoir et de s’organiser.
La deuxième illusion dangereuse est l’idée selon laquelle le Sénat devrait faire l’objet d’un traitement différencié.
J’ai pris connaissance avec attention des amendements déposés par une majorité d’entre vous. Nous allons en débattre : certains voudront exclure les sénateurs des règles de non-cumul, tandis que d’autres, sur des travées différentes, proposeront divers seuils de population.
Je dois vous le dire d’emblée : non seulement le Gouvernement s’opposera à ces amendements – bien sûr, le Sénat est souverain dans ses choix ! – mais il est totalement déterminé à préserver l’équilibre de ce texte jusqu’au bout.
M. Joël Guerriau. Quel équilibre ?
M. Manuel Valls, ministre. Je parlais d’illusion. Il est en effet illusoire de croire que le Sénat puisse s’exonérer d’un mouvement de fond, qu’il puisse, seul, continuer de vivre sur des règles du passé.
M. Alain Gournac. Caricature !
M. Manuel Valls, ministre. Je le répète, cela ne serait pas compris par nos concitoyens et, je vous le dis sincèrement, mesdames, messieurs les sénateurs, cela serait également néfaste pour le Sénat lui-même.
M. Francis Delattre. Il en a vu d’autres !
M. Manuel Valls, ministre. Nous le répéterons sans doute souvent au cours de nos discussions : le Sénat représente les collectivités locales de la République.
M. Alain Gournac. Exactement ! Mais cela ne va pas durer !
M. Manuel Valls, ministre. C’est la lettre de l’article 24 de la Constitution. C’est aussi l’un des fondements de notre République, et j’y serai fidèle.
Il n’en demeure pas moins que représenter les collectivités territoriales, vous le savez parfaitement, ce n’est pas nécessairement en diriger une. En droit, le Conseil constitutionnel a, me semble-t-il, déjà tranché cette question. Sa jurisprudence sur ce point est claire : la représentation des collectivités s’exerce par le collège électoral des sénateurs, composé « essentiellement » d’élus locaux, pas par l’exercice d’un mandat ou d’une fonction.
Surtout, nous devons penser à la place du Sénat dans nos institutions.
Le Sénat français – je pense que vous êtes attachés à ce principe ! –, n’est pas le Bundesrat allemand ; il n’est pas la seconde chambre d’un régime fédéral ; il est la chambre haute d’une République décentralisée, comme l’a souhaité l’un des vôtres.
M. Michel Mercier. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. La différence est de taille ! C’est sur cette idée que se fonde la conception républicaine du Sénat. C’est à partir de cette idée que le Sénat a pu, progressivement, exercer des prérogatives parlementaires proches de celles de l’Assemblée nationale.
Différencier, pour la première fois dans l’histoire de la République,…
M. Philippe Bas. Non !
M. Philippe Bas. Oui !
M. Manuel Valls, ministre. … le régime des incompatibilités applicables aux députés et sénateurs, faire du seul Sénat une chambre d’élus locaux reviendrait précisément à battre en brèche ce principe.
Ce serait remettre en cause le bicamérisme équilibré à la française. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. N’importe quoi !
M. Manuel Valls, ministre. À terme, ce serait sans doute renoncer à la plénitude de la compétence législative du Sénat.
Pour mémoire, je vous rappelle que le Bundesrat allemand n’examine qu’un tiers environ des textes fédéraux. Je ne pense pas que telle soit votre ambition pour le Sénat…
Vous commettriez une erreur, mesdames, messieurs les sénateurs, à considérer que le texte présenté par le Gouvernement affaiblit le Sénat.
Vous le savez parfaitement, ce texte sera adopté en dernière lecture par l'Assemblée nationale, selon les principes et les équilibres qui vous sont proposés ! (Vives protestations sur les mêmes travées.)
M. Francis Delattre. Gardez votre calme, monsieur le ministre !
M. Manuel Valls, ministre. C’est pour cette raison que vous devez accompagner ce texte. Quel que soit le vote qui sera le vôtre, ce texte sera adopté par le Parlement, et il renforce le Sénat ! (Hourvari sur les mêmes travées.)
M. Alain Gournac. On n’est pas au congrès du PS !
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Arrêtez !
M. Manuel Valls, ministre. S’il vous plaît ! Nous aurons un débat. Je vous écouterai avec toute l’attention nécessaire au cours de la discussion générale. Non seulement j’y prendrai plaisir, mais j’écouterai avec intérêt vos analyses, vos arguments et vos propositions.
Adopter le non-cumul, disais-je, reviendrait à préparer la voie à des élus coupés des réalités (Tollé sur les travées de l’UMP.), à ceux que certains se plaisent à appeler des « apparatchiks ». (Eh oui ! sur les mêmes travées)
M. Gérard Larcher. Sans aucun doute ! C’est vous !
M. Manuel Valls, ministre. Je n’aime pas ce mot : il dévalorise la fonction d’élu et le choix des citoyens, ainsi que le choix des élus qui élisent les sénateurs. Et puis, que sont les apparatchiks ? Qu’on me le dise !
M. Jean-Claude Gaudin. Harlem Désir ! (Rires sur les mêmes travées.)
M. Manuel Valls, ministre. Est-ce un statut ? Existe-t-il une définition ? Quelle est la prochaine cible ? Les énarques ? Les fonctionnaires en général ? (Ah ! sur les mêmes travées.)
M. Henri de Raincourt. Ce n’est pas bête !
M. Manuel Valls, ministre. Les membres de cabinet ? (Oui ! sur les mêmes travées.) Les « héritiers » ? (Mêmes exclamations.) Lorsque vous vous exprimerez, vous devrez dire précisément quelle est la prochaine cible parmi les élus.
M. François-Noël Buffet. Vous !
M. Manuel Valls, ministre. Alors, les choses sont claires, mais il se trouve que je ne suis ni héritier, ni apparatchik, ni énarque ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Il n’y a ici que des femmes et des hommes qui ont choisi de consacrer leur vie à leur engagement politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Jacques Mézard. Tous des « cumulards » !
M. Manuel Valls, ministre. Ce terme d’apparatchik n’est pas digne du débat public.
Ce catalogue, c’est celui des populistes, celui que brandissent sans cesse les ennemis de la démocratie parlementaire, comme ils l’ont toujours fait. Dans ce pays, si l’on est Français, on est libre de se présenter au suffrage universel et on est libre d’élire qui on veut. N’ajoutons pas des catégories à ces principes, qui sont simples. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jacques Mézard. Appliquez ce principe !
M. Manuel Valls, ministre. Là encore, toute crainte doit être dissipée. Je ne crois pas que le sénateur ou le député de demain, celui qui n’exercera pas de fonction exécutive locale, sera « hors-sol », dépourvu de contacts avec ses concitoyens.
La proximité est nécessaire aux élus ; elle est le fondement de leur légitimité. À l’Assemblée nationale comme au Sénat, grâce au mode d’élection, elle le restera !
Mesdames, messieurs les sénateurs, 40 % d’entre vous ne seraient pas concernés par l’application de la loi organique, soit qu’ils n’exercent pas de mandat local, soit qu’ils soient simple conseiller municipal, général ou régional. Sont-ils pour cela de mauvais sénateurs ? Sont-ils inaptes à légiférer ? Sont-ils coupés de la réalité ? Bien sûr que non !
M. Bruno Sido. Ils sont élus à la proportionnelle !
M. Manuel Valls, ministre. Réciproquement, les maires de grande ville qui, pour différentes raisons, ne sont pas parlementaires – je citerai Paris, Bordeaux, Toulouse ou Reims –…
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Dijon ! (M. François Rebsamen sourit.)
M. Manuel Valls, ministre. … sont-ils de mauvais élus locaux ?
À la vérité, les futurs élus seront des élus à temps plein, proches de leurs électeurs et à l’écoute de ceux-ci. Des élus, aussi, qui auront le temps : pour les uns, le temps de légiférer ; pour les autres, celui d’exercer un mandat local, prenant et, bien sûr, passionnant.
Sans doute ce temps ne suffira-t-il pas ; je sais qu’il faudra aussi adapter certaines règles et certaines pratiques. Le travail parlementaire sera naturellement bouleversé. Il faudra – cela relève de votre responsabilité – doter les parlementaires de moyens nouveaux, notamment pour le contrôle de l’exécutif. Il devra être possible de rémunérer des collaborateurs bien formés, capables d’assister les parlementaires dans ce travail de contrôle.
Mme Hélène Lipietz. Bravo !
M. Vincent Delahaye. Avec quel argent ?
M. Manuel Valls, ministre. Pour les élus locaux, la question du statut de l’élu se pose nécessairement, comme le Président de la République l’a souligné lors des états généraux de la démocratie territoriale, organisés par le Sénat. Du reste, cette idée a déjà été traduite dans la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur et Jacqueline Gourault visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat. Il faudra poursuivre dans cette voie et, sans doute, approfondir la réflexion.
Ces élus nouveaux, à temps plein, sont attendus par les Français (Exclamations sur les travées de l’UMP.), et dès 2014. Car il ne fait aucun doute que cette réforme produira ses premiers effets politiques lors des prochaines élections locales. Déjà, dans la plupart de nos villes et de nos départements, on pose aux candidats cette question : continuerez-vous à cumuler, ou bien nous accorderez-vous tout votre temps ?
Je le répète : quelle que soit la décision que prendra le Sénat, cette question deviendra habituelle, banale, et il vous sera impossible de l’éluder. C’est pourquoi, avec modestie, je vous le dis : vous devrez avoir cette question à l’esprit lorsque vous vous prononcerez sur le projet de loi organique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’aborde ce débat – comme vous, je le constate – dans la sérénité (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) et dans un esprit de respect. Respect du Sénat, bien sûr, mais aussi respect des Français et des engagements que nous avons pris devant eux.
Vous l’avez compris, ce débat, je l’aborde également avec détermination. Oui, je suis déterminé à faire aboutir une réforme que je crois moderne et historique !
La réforme est souvent déroutante a priori. Mais rien n’interdit de faire mûrir sa réflexion et de dépasser les réticences initiales. Je connais les réticences, mais je crois qu’il est temps de les dépasser.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat en offre l’occasion, pour moderniser notre vie politique et nos institutions ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Simon Sutour, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en 2012, le regretté Guy Carcassonne écrivait : « Le cumul des mandats justifie tous les clichés : serpent de mer, bouteille à l’encre, tarte à la crème... Il y a si longtemps qu’il est en débat, tous les arguments, pour ou contre, ont été à ce point échangés, rebattus, qu’il serait plus que temps que la décision soit enfin prise. On peut espérer, mais nous n’en sommes pas encore tout à fait là ».
La prudence de Guy Carcassonne a, pour une fois, été excessive puisque le Sénat est saisi de deux projets de loi – l’un, organique, qui concerne les parlementaires nationaux et l’autre, ordinaire, qui concerne les députés européens – visant à interdire le cumul de ces mandats avec une fonction exécutive locale.
Déposés le 3 avril dernier sur le bureau de l’Assemblée nationale, ils ont été adoptés le 9 juillet par la majorité des députés. Notre assemblée est appelée à se prononcer sur les deux textes qui lui ont été transmis, après un premier débat en commission qui a permis l’échange des points de vue ; ce débat s’est poursuivi ce matin par l’examen des amendements extérieurs, afin que le débat en séance publique puisse se déployer dans les prochains jours.
Je vous rassure : je ne retracerai pas l’histoire complète du cumul des mandats ; je vous renvoie au rapport que j’ai présenté au nom de la commission des lois. Je dirai simplement que le cumul des mandats est indéniablement une pratique ancienne et constante, enracinée dans la construction politique de notre pays depuis au moins la seconde moitié du XIXe siècle. Cette tradition politique a longtemps fait regarder la détention d’un mandat parlementaire et celle d’un mandat local comme complémentaires.
Il existe plusieurs explications à cette situation.
Tout d’abord, elle résulte de la distinction, théorisée à la fin du XIXe siècle par divers auteurs, entre les élections dites « politiques » – organisées au niveau national pour le choix des parlementaires, qui participent à l’expression de la souveraineté nationale – et les élections dites « administratives » – organisées au niveau local pour le choix des élus locaux, dont la vocation était seulement d’administrer, sans réelle autonomie vis-à-vis du pouvoir central.
Michel Debré lui-même le concédait dans un article de 1955 : « Le cumul des mandats est un des procédés de la centralisation française. »
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Simon Sutour, rapporteur. De fait, le mandat de député ou de sénateur fut un moyen pour le conseiller général de rééquilibrer sa relation avec le préfet, représentant du pouvoir central, en gagnant un accès privilégié aux ministres, à leurs cabinets et aux administrations centrales.
Ainsi, le cumul des mandats était largement admis comme une conséquence du degré avancé de centralisation de notre pays, fruit de son histoire.
M. Bruno Sido. C’est toujours le cas !
M. Simon Sutour, rapporteur. Michel Debré, toujours lui, résumait ainsi cette situation : « Dès lors, quand, maire d’une ville ou administrateur élu d’un département, on ne veut ni ne peut se révolter contre le pouvoir central, il faut tenter de pénétrer à l’intérieur des mécanismes qui font, à Paris, le gouvernement et l’administration du pays. »
C’était il y a plus de cinquante ans !
M. Bruno Sido. C’était vrai !
M. Simon Sutour, rapporteur. Reste que ce phénomène ne peut suffire à expliquer la situation actuelle. C’est ainsi qu’au Royaume-Uni, qui a connu une longue centralisation avant le processus de dévolution, dans les années 1990, le cumul du mandat parlementaire avec un mandat local est quasi inexistant : il concerne moins de 3 % des membres de la Chambre des communes.
Si le phénomène du cumul est ancien, il s’est considérablement développé sous la Ve République et, contrairement à ce que l’on pense, davantage que sous la IIIe République. D’aucuns n’ont pas manqué de souligner une certaine concomitance avec une limitation des prérogatives du Parlement par la Constitution de 1958. Certains y ont même discerné l’intérêt de l’exécutif de voir les parlementaires retenus par les affaires de leurs circonscriptions, laissant ainsi le champ libre au Gouvernement à Paris.
Enfin, je n’ignore pas que le cumul d’un mandat parlementaire avec des fonctions locales a longtemps été un moyen pour les élus de disposer, sur les plans de la protection et des moyens humains et financiers, d’un statut qui n’existait alors que pour les parlementaires. En effet, le mandat de député ou de sénateur était pour un élu la garantie de percevoir une indemnité sans équivalent au niveau local, en raison du principe de gratuité des fonctions électives locales, qui demeure, au moins en théorie, dans notre droit.
Le lien entre la question du non-cumul des mandats et des fonctions et celle du statut de l’élu est donc évident ; notre commission des lois l’a rappelé. Vous comprendrez donc, monsieur le ministre de l’intérieur, que le Sénat attache une importance particulière à l’avenir de la proposition de loi de nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, adoptée par le Sénat en janvier 2013 ; je sais que, tout récemment, des informations rassurantes nous ont été transmises à cet égard.
J’ai souligné, en commission des lois, que le cumul des mandats représentait une singularité française, non pas en tant que règle mais en tant que pratique, pratique du reste particulièrement intense. J’ai présenté quelques éléments de comparaison mettant en lumière cette spécificité : seuls 24 % des membres du Bundestag allemand détiennent également un mandat local ; c’est le cas de seulement 20 % des membres du Congrès des députés espagnol, de 7 % des membres de la Chambre des députés italienne et, comme je viens de le signaler, de 3 % des membres de la Chambre des communes au Royaume-Uni.
Au demeurant, le Royaume-Uni est, avec les Pays-Bas, l’un des rares pays à ne pas connaître de règles contraignantes limitant le cumul ; la situation de non-cumul y résulte d’une habitude politique. À l’inverse, des pays comme l’Espagne, l’Italie ou la Belgique connaissent des règles juridiques : preuve qu’une situation de cumul de fait ne peut être tenue pour une fatalité inexorable.
Par ailleurs, s’agissant en particulier du mandat de représentant au Parlement européen, je signale que sept pays de l’Union européenne en interdisent actuellement le cumul avec un mandat local.
Au terme de ce rapide panorama, la question qui se pose au Sénat est simple : faut-il faire perdurer une tradition politique qui, aux yeux de ses partisans, est un gage d’enracinement et de renforcement des parlementaires, ou bien faut-il mettre fin à cette pratique dans l’intention de valoriser à la fois la fonction parlementaire et les fonctions exécutives locales ? En effet, la valorisation de la fonction parlementaire, désormais exercée pleinement, entraînerait celle des fonctions exécutives locales, elles aussi exercées pleinement.
À titre personnel, j’ai défendu, devant mes collègues de la commission des lois, la volonté du Gouvernement et de l’Assemblée nationale de mener la réforme qui nous est proposée. Les motifs de cette position sont connus.
D’abord, le cumul du mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales ne nous permet pas d’exercer notre mandat parlementaire dans toute sa plénitude.
Bien sûr, on pourra toujours trouver des exemples de « cumulards » ou des contre-exemples de « non-cumulards » plus ou moins assidus à nos travaux, pour infirmer ou confirmer mon propos. Cependant, ma conviction est que la décentralisation a profondément bouleversé l’exercice des fonctions exécutives locales.
De fait, le mandat de maire n’est plus aujourd’hui ce qu’il était il y a cinquante ans ; nous toutes et tous qui parcourons nos territoires, nous le savons parce que les élus nous le disent tous les jours. Cela est vrai y compris dans les plus petites communes, où les maires et leurs adjoints sont soumis à de nouvelles contraintes, sans disposer de collaborateurs aussi nombreux et de services aussi étoffés que dans les grandes villes.
Lundi soir, je me trouvais dans une commune de mon département qui compte environ 4 000 habitants. Le maire me disait : « Tu as raison ! Je suis maire à temps plein et je n’ai pas le temps de tout bien faire ! » (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
J’ai mentionné en commission les quelques travaux scientifiques portant sur le lien entre l’absentéisme et le cumul, avec les résultats contradictoires que l’on connaît. Il faut dire que définir des critères de mesure de l’activité parlementaire est délicat : faut-il dénombrer les questions écrites, les amendements déposés, les rapports présentés, ou encore les heures de présence dans l’hémicycle ?
Pour ma part, au-delà des controverses sur les données réelles, des classements et des exemples personnels, je suis absolument convaincu qu’avec des règles de non-cumul plus strictes les parlementaires n’auront plus aucune excuse, notamment devant leurs électeurs – y compris les nôtres, qui sont des élus –, pour expliquer leur faible assiduité au Parlement. Mes chers collègues, là est l’important !
M. Alain Gournac. Les parlementaires sont aussi sur le terrain !
M. Simon Sutour, rapporteur. Bien sûr, mon cher collègue ! Moi aussi, je vais sur le terrain !
M. Jean-Claude Gaudin. Et nous donc !
M. Simon Sutour, rapporteur. Depuis le printemps, j’ai tenu une série de réunions ; chaque fois, les élus, qui sont aussi des citoyens, m’ont dit que j’avais raison, et qu’en me consacrant pleinement à mon mandat j’étais plus disponible. Chers collègues de l’opposition, cessez de caricaturer !
M. Alain Gournac. C’est vous qui caricaturez !
M. Simon Sutour, rapporteur. En outre, il est évident que l’exercice d’un mandat parlementaire et d’une fonction exécutive locale conduit à la conciliation délicate entre des intérêts parfois divergents.
Là encore, chers collègues de l’UMP, je me réfère à Michel Debré, selon lequel « les préoccupations locales l’emportent dans l’esprit de nos parlementaires sur les préoccupations nationales ». Sans approuver la généralité de ce jugement, sans doute sévère, et même trop sévère, je reconnais que les collectivités territoriales, avec les compétences qu’elles acquièrent, n’ont plus forcément les mêmes intérêts que l’État.
Je n’insisterai pas davantage sur la critique, que j’estime fondée, consistant à souligner que la multiplication des responsabilités conduit à une dilution des pouvoirs. Néanmoins, force m’est de dire que la fonction parlementaire tout comme les fonctions exécutives locales, a fortiori depuis les vagues successives de décentralisation, méritent des femmes et des hommes les exerçant à plein temps. Qui trop embrasse mal étreint », dit le proverbe. Quant à ma grand-mère, elle aimait à répéter : « Les journées n’ont que vingt-quatre heures et on ne fait bien qu’une chose à la fois. »
MM. Éric Doligé et Jean-Pierre Leleux. Et les semaines n’ont que trente-cinq heures ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Simon Sutour, rapporteur. Mais je sais qu’il y a des surhommes et des surfemmes, surtout dans cet hémicycle !
La commission n’a cependant pas partagé ce point de vue, ce que je regrette, mais elle est souveraine ! Cette position l’a conduite à rejeter le projet de loi organique et le projet de loi qui lui étaient soumis.
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Alain Gournac. Elle a eu raison !
M. Simon Sutour, rapporteur. La commission a d’abord regretté l’engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une réforme ayant des incidences fondamentales sur l’équilibre institutionnel, notamment le bicamérisme. (Bourdonnement grandissant sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
Laissez-moi vous expliquer la position de la commission, mes chers collègues ! Elle va dans votre sens ! J’ai le sentiment que vous ne m’écoutez plus ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Francis Delattre. Un brin de charisme ne nuirait pas !
M. Simon Sutour, rapporteur. La majorité de la commission a ensuite estimé que les comparaisons internationales n’étaient pas un argument recevable pour justifier la réforme, dans la mesure où celles-ci ne prenaient pas en compte les autres différences institutionnelles qui caractérisent la France et qui sont intimement liées à la question du cumul des mandats et des fonctions.
Si le cumul est une spécificité française, il faut toutefois, selon la majorité de la commission, replacer cette particularité dans son contexte, ce qui permet de constater qu’elle contrebalance certaines autres singularités françaises comme la concentration des pouvoirs.
De même, il a paru à la commission que l’argument mettant en avant le plus grand absentéisme des parlementaires disposant d’un mandat local ou d’une fonction exécutive locale était contredit par de nombreux exemples.
Ainsi, la majorité de votre commission a jugé l’incompatibilité parlementaire proposée trop restrictive en ce qu’elle prive un parlementaire d’une expérience au sein des collectivités territoriales ou de leurs groupements, expérience jugée nécessaire pour une bonne appréhension des réalités locales.
En outre, la majorité de la commission a jugé paradoxal qu’une fonction exécutive locale, au service de l’intérêt général, ne puisse être exercée en même temps qu’un mandat parlementaire, alors que la législation actuelle pose comme principe, sous réserve des incompatibilités professionnelles applicables aux parlementaires, la liberté d’exercer une profession privée.
S’agissant plus particulièrement du Sénat, la majorité de la commission a estimé que l’article 24 de la Constitution, en assignant à la Haute Assemblée la mission d’assurer la représentation des collectivités territoriales de la République, plaidait en faveur du maintien d’un lien particulier entre les sénateurs et les élus locaux, lequel ne peut mieux s’incarner que dans l’exercice simultané d’un mandat local ou d’une fonction exécutive locale et d’un mandat parlementaire.
Vous savez qu’à titre personnel je ne partage pas cette analyse, considérant que, si l’article 24 de la Constitution confère un rôle particulier au Sénat pour assurer « la représentation des collectivités territoriales de la République », il dispose également que le Parlement « comprend l’Assemblée nationale et le Sénat ». Surtout, il confère aux deux chambres, sans distinction, les mêmes missions puisque, selon ses termes, le Parlement « vote la loi […] contrôle l’action du Gouvernement […] évalue les politiques publiques »
Cette fonction généraliste et l’identité des missions assignées aux deux assemblées m’a conduit à plaider contre un régime dérogatoire en faveur des sénateurs en matière d’incompatibilité, ce qui est d’ailleurs la règle depuis 1958.
Je voudrais conclure sur un point qui a fait l’objet d’un large consensus au sein de la commission.
Tout d’abord, la commission a convenu de la nécessité de mieux encadrer la possibilité de cumul d’un mandat parlementaire et de fonctions locales, la question de l’intensité de cette limitation étant l’objet de notre débat. Les amendements déposés prouvent bien qu’il y a accord sur la volonté de prolonger les règles adoptées en 1985 et écartées en 2000, même s’ils ne s’accordent pas sur la limite à fixer.
M. Bruno Sido. Qu’a voté la commission ?
M. Simon Sutour, rapporteur. La commission a également convenu qu’une limitation plus rigoureuse du nombre de mandats et fonctions locales exercés simultanément était nécessaire, le débat portant davantage sur la manière de l’introduire dans le droit positif : faut-il compléter la présente réforme ou déposer une proposition de loi distincte ? Ma préférence va à la seconde solution. Les amendements déposés témoignent en effet qu’au-delà de ce constat partagé les solutions préconisées divergent fortement ; nous aurons l’occasion d’en discuter.
Enfin, la commission s’est accordée sur la nécessité de promouvoir l’élaboration d’un véritable statut de l’élu local, réforme nécessairement liée à celle du cumul des mandats. À cet égard, monsieur le ministre, je veux redire l’attention que nous portons au sort qui sera réservé à la proposition de loi de nos collègues Jean-Pierre Sueur et Jacqueline Gourault. Avant que je ne prenne la parole, on m’a informé que cette affaire était en bonne voie. Mais nous vous faisons confiance, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, pour suivre tout particulièrement ce dossier.
Dans ces conditions, la commission a rejeté les deux textes qui lui étaient soumis.
M. Alain Gournac. Elle a bien fait !
M. Simon Sutour, rapporteur. Le dépôt de certains amendements me laisse penser que nous pourrons débattre de la limitation du cumul des mandats sur la base de contributions nouvelles.
Je veux souligner, en tant que rapporteur, le travail approfondi que nous avons mené, les échanges importants que nous avons eus, ainsi que la sérénité de nos débats, comme en témoigne d’ailleurs la réunion de commission qui s’est déroulée ce matin, laquelle a permis à chacun de s’exprimer et de voter. Je souhaite que nous continuions sur cette voie, qui nous permettra d’aboutir, du moins je l’espère, à un bon texte. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’aborde ce débat avec respect pour les positions des uns et des autres, comme c’est l’habitude au Sénat.
Il s’agit d’une question à laquelle chacun a beaucoup réfléchi, qui partage non seulement notre assemblée, mais aussi un certain nombre de groupes et même quelques-uns d’entre nous, qui n’ont pas cessé de s’interroger. Il ne s’agit donc pas d’un débat simpliste ou manichéen.
Sur le sujet qui nous occupe, chacun, finalement, réfléchit à partir de son expérience propre. Pour ma part, j’ai été élu trois fois député sans exercer aucun autre mandat. Pourtant, un maire de mon département m’avait un jour envoyé une lettre – il avait même fait un discours enflammé sur le même thème –, dans lequel il me reprochait de ne pas être maire, ce qui à ses yeux entachait ma fonction de député.
J’ai médité tout cela et, après un échec, je me suis efforcé, mes chers collègues, de devenir maire. (Sourires.)
M. Alain Gournac. Quelle erreur !
M. Bruno Sido. Vous avez cédé aux sirènes ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. J’ai donc été longtemps député et seulement député, maire et seulement maire, sénateur et seulement sénateur.
Jean-Michel Baylet me le rappelait ce matin : les électeurs ont pris quelque part dans cet itinéraire en me confiant, chaque fois, un mandat important, ce dont je leur suis reconnaissant.
Toutefois, pendant un an et demi, j’ai été à la fois maire et député. J’ai pu alors constater qu’il était assez difficile d’assumer en même temps les fonctions de maire de grande ville et de parlementaire. Mais tout le monde le sait !
J’ajoute que – le fait a déjà été évoqué dans cet hémicycle – j’ai eu le bonheur, lors des dernières élections sénatoriales, d’être élu au premier tour, au scrutin uninominal, sans exercer aucun autre mandat que celui de sénateur. On m’a rappelé cependant que j’avais auparavant exercé d’autres mandats, ce qui est la stricte vérité.
Autrement dit, chacun s’apprête à raconter son parcours, et j’espère que le mien n’est pas achevé. Nous aurons ainsi à notre disposition quantité d’expériences nous permettant de montrer deux choses : premièrement, on ne peut pas tout faire en même temps ; deuxièmement, il faut être présent sur le terrain. Mais le fait d’être seulement sénateur, je le disais hier à Éric Doligé, n’interdit pas d’aller visiter dix communes dans un seul week-end, comme nous le faisons toutes et tous, ni d’assurer des permanences pour être à l’écoute des élus, des salariés, des chefs d’entreprise, des artisans et des commerçants, etc.
M. Gérard Longuet. Si c’est pour dire ça !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Si, mes chers collègues, je suis aujourd’hui un ardent partisan d’un changement dans les mœurs de la politique française, c’est parce que, comme vous, j’ai connu un certain nombre de situations. Je suis persuadé que, si nous soutenons cette réforme, nous changerons la manière dont on fait de la politique dans ce pays, ce qui est vraiment nécessaire. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Antoine Lefèvre. C’est ridicule !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je vous dis ma conviction, vous direz la vôtre tout à l’heure ! Nous sommes là pour nous parler !
M. Francis Delattre. Ce n’est pas une raison pour faire un roman !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Chacun s’exprime comme il le veut : on a le droit de parler de la réalité, y compris de celle qu’on a vécue.
Sur ce sujet, nous avons écouté les constitutionnalistes, et je veux reprendre un argument déjà évoqué par Manuel Valls et Simon Sutour.
À force d’insister sur le fait que, en vertu de l’article 24 de la Constitution, que je ne conteste pas – encore heureux, me direz-vous ! (En effet ! sur les travées de l’UMP.) –, le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République, nous risquons de nous entendre dire un jour que le Sénat pourrait très bien se cantonner aux lois qui traitent des communes, des départements et des régions ; l’observation a du reste été déjà formulée, et pas par les moindres des personnes intéressées par ces sujets. On aboutirait alors à la situation qui prévaut dans d’autres pays – M. le ministre a cité le cas de l’Allemagne–, où une chambre traite de tous les domaines, tandis qu’une autre n’est consultée que sur les affaires concernant les collectivités locales. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Francis Delattre. Nous n’avons rien demandé !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Selon moi, ce serait une profonde erreur. Nous sommes nombreux à penser qu’il est extrêmement précieux pour la République que les deux assemblées du Parlement traitent de tous les sujets.
M. Christian Cambon. Alors, laissez les choses en l’état !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous sommes parfaitement légitimes pour parler de défense, de justice, de santé ou de sécurité, tout autant que les députés, même s’ils ont le dernier mot, en vertu de notre Constitution. Si une chambre ne s’occupait que des collectivités locales et que l’autre chambre traitait de tous les sujets, cela aurait pour conséquence inéluctable de supprimer toute navette.
M. Henri de Raincourt. Il n’y a déjà plus de navette !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous sommes nombreux à regretter une telle situation, mon cher collègue. Nous avons encore vu l’avantage de la navette ce matin, avec le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Nous avons eu en commission des lois un excellent débat, qui va continuer.
Finalement, la loi est le fruit de discussions parfois vives dans les assemblées, à partir desquelles il s’agit de construire une norme. Or, pour passer du discursif au normatif, il faut du temps, dont l’effet est semblable à celui de la mer qui polit le galet. (Sourires.) Les textes doivent passer et repasser entre les deux assemblées, de manière qu’ils deviennent les meilleurs possibles. Ainsi, mes chers collègues, certaines lois ne sont-elles pas toujours bien écrites.
C’est pourquoi il est très important de ne pas aller vers un Sénat qui ne serait saisi que des textes intéressant les collectivités territoriales.
Plusieurs sénateurs sur les travées de l’UMP. Nous sommes bien d’accord !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. J’ajoute que la réalité des faits est là : lundi, nous examinions un texte important visant à réduire les inégalités entre les hommes et les femmes ; mais dois-je vraiment, en l’occurrence, dire « nous » ?... À ce propos, je remercie celles et ceux qui étaient présents.
Mme Éliane Assassi. Celles, surtout !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Vous avez raison, madame Assassi.
Regardons les choses en face : débattre de l’ensemble des textes qui nous sont soumis, même si l’on se limite à ceux dont est saisie la commission dont on est membre, exercer la mission de contrôle dévolue au Parlement, rester en contact, bien sûr, avec les électeurs et les habitants du département dont on est un élu, c’est un travail à temps plein !
C’est une profonde conviction que je me suis forgée au cours des trois dernières décennies. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mes chers collègues, la France compte tellement de talents, tellement d’individualités compétentes et dévouées que je ne vois pas pourquoi une seule et même personne devrait exercer des fonctions qui pourraient être exercées par deux personnes différentes.
Enfin, le Sénat de la République – et cela ne date pas seulement de l’alternance qui a eu lieu voilà deux ans, monsieur le président –, sur un certain nombre de sujets, a su être progressiste. Voyez la dernière loi de décentralisation, qui a été votée par 180 d’entre nous, donc à une large majorité ; voyez les modifications que lui a apportées notre assemblée. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, le Sénat a été progressiste, il l’a même été peut-être plus que l’Assemblée nationale…
M. Bruno Sido. Ce qui est un comble ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, president de la commission des lois. … sur certaines questions que chacun, ici, a à l’esprit.
M. Jacques Mézard. Est-ce que cela va continuer ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je crains que la crispation que suscite cette question du cumul des mandats, que le fait que nous nous cramponnions aux pratiques du passé (Exclamations sur les travées de l'UMP.)…
M. Jacques Mézard. Allons !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … ne redonne du Sénat cette image conservatrice que nous avons beaucoup combattue.
J’aime le Sénat lorsqu’il prend le risque et qu’il saisit la chance d’être le Sénat du progrès. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
5
Souhaits de bienvenue à une délégation du Guatemala
M. le président. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer en votre nom la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation du Guatemala. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que MM. les ministres, se lèvent et applaudissent.)
Cette délégation est conduite par le ministre de l’économie, M. Sergio de la Torre, accompagné, notamment, par M. Emmanuel Seidner, député, vice-président de la commission des relations extérieures du Congrès du Guatemala.
Cette délégation a rencontré des membres du groupe d’amitié France-Mexique et pays d’Amérique centrale, notamment M. Gérard Cornu, président de ce groupe, et M. Gérard Miquel, président délégué pour l’Amérique centrale. (Nouveaux applaudissements.)
Nous formons le vœu que cette visite soit profitable à nos amis guatémaltèques et conforte l’excellence des relations entre nos deux pays.
Nous leur souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat français ! (Nouveaux applaudissements.)
M. François Trucy. Est-ce qu’on cumule, au Guatemala ? (Sourires sur les travées de l’UMP.)
6
Clôture des scrutins pour l’élection de représentants à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
M. le président. Mes chers collègues, il est quinze heures trente-cinq et je déclare clos les scrutins pour l’élection d’un membre titulaire et d’un membre suppléant représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
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Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et le mandat de représentant au Parlement européen
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et du projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme l’a souligné la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, dirigée par Lionel Jospin, le cumul des mandats est un sujet essentiel pour l’avenir de nos institutions. Il aurait de ce fait mérité un projet de loi plus ambitieux que celui qui va nous occuper. Cela étant, mon groupe soutiendra ce texte, car, bien qu’il soit incomplet, il s’inscrit dans l’exigence démocratique de la vie politique que nous avons toujours soutenue et affirmée autant que possible.
En 2008, par exemple, lors du débat parlementaire sur la réforme constitutionnelle, nous avions proposé un amendement visant à inscrire dans la Constitution le principe de la limitation du cumul des mandats électoraux. La majorité d’alors avait rejeté cet amendement, qui reprenait pourtant une proposition émise par le comité Balladur.
Si nous soutenons la limitation du cumul des mandats, nous considérons que des objectifs plus ambitieux sont indispensables si l’on veut relever les défis démocratiques majeurs que les lacunes de nos institutions laissent aujourd’hui sans réponse. J’y reviendrai.
Je voudrais, dans un premier temps, m’arrêter sur quelques aspects.
Des élus qui n’approuvent pas ce texte avancent l’argument d’un nécessaire ancrage local des élus nationaux. Ils craignent que la prohibition du cumul ne transforme les députés et les sénateurs en « professionnels du Parlement », moins capables, en quelque sorte, de représenter leurs électeurs. Ils craignent, en résumé, que les parlementaires ne soient coupés des réalités de la vie locale. Ce serait effectivement dommageable, il faut bien le reconnaître.
Toutefois, s’ils ont raison de se soucier du maintien d’un rapport régulier entre les parlementaires et les électeurs, je pense qu’il faut aller plus loin, en inventant des formes nouvelles d’immersion dans la vie locale, en associant la population aux choix qui la concernent, car la limitation du cumul des mandats ne peut se concevoir sans développement de la démocratie participative.
Mme Marie-France Beaufils. Ce sera nécessaire !
M. François Rebsamen. On l’a déjà fait !
Mme Éliane Assassi. Pourquoi, par exemple, ne pas prévoir l’obligation pour les parlementaires de venir présenter les projets de loi dans leur circonscription et d’en débattre avec les citoyens ? Pourquoi ne pas instaurer des conseils de circonscription ? Pourquoi ne pas prévoir que nos citoyens peuvent intervenir auprès de leurs représentants pour obliger le Parlement à examiner une proposition de loi émanant d’un nombre significatif d’électeurs ? Et ce ne sont là que quelques idées parmi d’autres.
Ne l’oublions pas, le vote de la loi n’appartient qu’au peuple tout entier, soit par référendum, soit par ses représentants au Parlement. Les décisions doivent donc être prises autrement. La souveraineté populaire doit cesser d’être confisquée. Il est urgent de redonner ce pouvoir à nos concitoyens si nous ne voulons pas voir perdurer la grave crise de la représentation politique que nous connaissons actuellement.
Certes, cette crise du politique vient essentiellement de la prise de pouvoir de l’économie sur la politique, sur le politique. Mais limiter le cumul des mandats, c’est aussi donner le pouvoir aux parlementaires de pleinement remplir leur mission. Soyons francs : le manque de temps, la précipitation et la surcharge renforcent considérablement, aussi, le pouvoir des lobbies, expression concrète du pouvoir économique.
Certains opposants au non-cumul des mandats agitent aussi le chiffon de la montée du Front national.
Je ne cesse de le répéter : le Front national se combat d’abord et avant tout sur le terrain des idées.
M. Éric Doligé. Comme l’extrême gauche !
Mme Éliane Assassi. Pour claquer la porte au nez des idéologies aux relents nauséabonds, il faut du courage – tout le monde n’en a pas ! –, il faut également savoir rassurer, répondre, échanger avec la population, afin d’atténuer les craintes d’une dégradation économique de notre pays.
Mais en aucun cas le Front national ne doit servir de prétexte – ce qui serait d’ailleurs lui donner bien de l’importance – pour fermer la porte aux débats institutionnels et à la nécessaire évolution de nos institutions.
Aucun des arguments avancés en la matière n’est donc convaincant. Au contraire, comme nous le constatons aujourd’hui.
Je vous parlais il y a quelques instants de la nécessité de réfléchir aux enjeux démocratiques de première importance mis à mal par la crise de la représentation. Je vous disais que les solutions que nous devons lui apporter dépassent largement la question de la limitation du cumul des mandats. En effet, en arrière-plan, se posent surtout les questions de la professionnalisation de la politique, de la concentration des pouvoirs, tant politiques qu’économiques d’ailleurs, entre les mains d’un petit nombre, du dessaisissement de la souveraineté populaire. Là sont les réels enjeux démocratiques !
Si l’on veut que le lien soit rétabli entre le peuple et ses institutions nationales, il faudra alors bien plus qu’une simple interdiction du cumul des mandats. Tout ce qui entrave l’expression démocratique de la souveraineté populaire doit être aujourd’hui déconstruit. Les modes d’élection, les pouvoirs doivent être réévalués à la mesure de la crise de la représentation actuelle.
Ainsi, et c’est un point crucial pour nous, le scrutin proportionnel doit, selon nous, devenir la règle. Je sais que tout le monde ne partage pas ce point de vue…
M. Philippe Dallier. En effet !
M. Éric Doligé. Il fait le jeu du Front national ! Mélenchon, Le Pen, même combat !
Mme Éliane Assassi. Vous n’avez pas entendu ce que je viens de dire : le Front national se combat sur le terrain des idées, et en ce moment, vous ne contribuez vraiment pas à ce combat-là !
M. François Rebsamen. Bien dit !
Mme Éliane Assassi. Le mode de scrutin uninominal à deux tours tel qu’il existe aujourd’hui pour l’élection des députés, des conseillers généraux et de la moitié des sénateurs, favorise consensus politique, personnalisation, durée et cumul des mandats, et donc la professionnalisation de la politique.
Nous ne cessons de le dire, et nous l’avons encore redit hier, lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes – peu de nos collègues masculins étaient présents ; je suppose qu’ils étaient pris par ailleurs… –, le scrutin proportionnel est le seul qui permet l’égal accès aux femmes et aux hommes aux mandats électifs.
On constate que, parmi les élus, ce sont les hommes qui cumulent le plus et qui exercent le plus grand nombre de mandats successifs. Cette situation fait barrage aux femmes, mais également aux jeunes, à la diversité sociale et à la diversité des origines.
Comment nos concitoyens ne se sentiraient-ils pas mal représentés, pour le moins, quand, dans sa composition, le Parlement n’est réellement plus représentatif de la société telle qu’elle est ? Au Parlement, les ouvriers, par exemple, se comptent sur les doigts d’une main. Les parlementaires sont de plus en plus âgés. La moyenne d’âge, en tout cas à l’Assemblée nationale, n’a cessé de croître depuis la Libération. Et nous sommes en 2013 !
M. Gérard Larcher. On vit plus longtemps !
Mme Éliane Assassi. Limiter ou interdire le cumul des mandats sans instaurer la proportionnelle laissera toute réforme progressiste de nos institutions au milieu du gué.
La reproduction des élites est un autre des problèmes majeurs de notre démocratie. Pour ma part, je pense que sont trop nombreux – parfois, mais plus rarement, trop nombreuses – celles et ceux qui sortent des mêmes écoles, qui ont suivi les mêmes cursus.
Cette professionnalisation de la politique est flagrante à l’échelle nationale, mais aussi dans les territoires. La décentralisation a donné des pouvoirs importants aux exécutifs locaux dans une très grande proximité avec les décideurs économiques qui font l’emploi. Certains maires de ville-centre de grosse agglomération sont en même temps présidents d’une importante intercommunalité ; d’autres sont présidents du conseil général ou régional. Les mandats électifs sont en outre souvent assortis de responsabilités locales diverses : présidence de conseils d’administration, de sociétés d’économie mixte, etc. Et ils peuvent rester longtemps en place puisque le renouvellement des mandats n’est pas limité et que le mode de scrutin favorise le localisme.
Il est clair, dans ces conditions, que leur assise locale, souvent assortie du cumul avec un mandat national, crée de véritables « féodalités » par rapport au pouvoir central, censé assurer l’égalité des citoyens et des territoires.
Mais allons plus loin encore.
À côté d’une Assemblée nationale qui serait élue au scrutin proportionnel, le Sénat n’aurait-il pas un rôle fondamental à jouer dans la mise en place d’une meilleure représentation et d’une plus grande participation des citoyens dans la diversité de leur implication aux décisions ? La deuxième chambre pourrait ainsi assurer à la fois la représentation territoriale et la représentation sociale, dont on parle peu. Elle pourrait, par exemple, être composée, pour une moitié, de représentants des collectivités locales élus au suffrage universel direct sur des listes départementales de candidats ayant une expérience élective dans une collectivité et, pour l’autre moitié, de représentants de « groupes sociaux » élus selon les mêmes modalités.
Que les choses soient claires : nous sommes pour le bicamérisme, mais ce doit être un bicamérisme utile, qui permet d’améliorer la qualité de la loi et, comme je l’ai indiqué, d’aboutir à une plus grande participation des citoyens dans la diversité de leur implication aux décisions.
Encore un point crucial manquant à cette réforme : pour que la politique cesse d’être une profession et devienne une activité sociale courante pour un nombre plus important de citoyens, qui pourraient, pendant une période de leur vie, exercer des mandats électifs, il est primordial d’instaurer un statut protecteur leur permettant de retrouver leur emploi après leur mandat ou d’accéder à une formation débouchant sur un nouvel emploi.
Oui, notre démocratie a besoin d’un véritable statut de l’élu, qui ne se limite pas aux seuls aspects financiers.
Il est aussi urgent de revenir sur la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Entre autres conséquences, ce dispositif permet au Président de la République, c’est-à-dire à une personne, de concentrer dans ses mains de très grands pouvoirs, ce qui peut favoriser des dérives susceptibles d’être très préjudiciables à notre démocratie.
Je conclurai en rappelant que le cumul des mandats concerne tous les partis politiques sans exception, ce qui signifie que le mien n’y échappe pas… Ces pratiques sont la résultante d’un système institutionnel qui dessert le pluralisme. Il est difficile d’y échapper, même quand on les combat.
On entend ici et là que nous, élus communistes, aurions beaucoup à perdre d’un changement de pratique en la matière.
M. Bruno Sido. Oui, pour vous, ce sera très dur !
Mme Éliane Assassi. Épargnez-moi donc vos petites remarques à deux sous ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Je vois bien que cela vous dérange un peu que l’on vous parle de démocratie et de valeurs ! (M. Bruno Sido s’esclaffe.)
Pour notre part, nous sommes très attachés à un certain nombre de valeurs. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Peu importe si l’adoption du scrutin proportionnel n’est pas à notre avantage ! Peu importe si la question du cumul des mandats ne nous « rapporte » pas, comme disent certains ! Le problème n’est pas là ! Je me bats pour des principes et des valeurs auxquels je tiens. D’autres ici se battent pour d’autres valeurs, et c’est tant mieux !
Vous le voyez, mes chers collègues, notre soutien à ce projet de loi n’est pas un simple soutien à une promesse de campagne trouvant sa concrétisation. Il se fonde, j’y insiste, sur une conviction profonde : l’urgence d’une démocratisation de la vie politique sous tous ses aspects ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, quand il est question de réformer nos institutions, les maîtres mots inspirant nos travaux devraient être la concorde, la confiance et la prudence. Malheureusement, je ne peux pas débuter mon propos sans évoquer les conditions déplorables dans lesquelles cette réforme est examinée par le Sénat.
Depuis la première réunion de la conférence des présidents où ce sujet a été abordé, nous n’avons cessé, avec d’autres présidents de groupe – je pense en particulier à Jacques Mézard, mais il n’est pas le seul –, de dénoncer un travail parlementaire réalisé à la hache avec, pour seule finalité, le fait d’arracher au forceps un texte dont les enjeux ne sont pas maîtrisés. Nous avons tout tenté pour rectifier le tir… Mais il n’y avait rien à faire !
Il est particulièrement surprenant de mépriser à ce point le Parlement lorsqu’il est question de transformer les conditions mêmes de l’exercice du mandat parlementaire !
Ce contexte de travail difficile tient d’abord, bien sûr, au recours à la procédure accélérée, alors même que les dispositions examinées ont vocation à entrer en vigueur en... 2017 ! (M. Alain Gournac s’esclaffe.)
Serait-ce donc là que se situe l’urgence pour le Gouvernement, et pas dans la désindustrialisation qui lamine notre économie, la lutte contre le chômage ou encore l’insécurité et ses conséquences sur notre pacte social ?
M. Alain Dufaut. Très bien !
M. François Zocchetto. En réalité, cette procédure accélérée n’a qu’un seul objectif : brider le Parlement, brimer le Sénat, limiter au maximum le travail qui pourrait ressortir de notre assemblée. Le Gouvernement a effectivement compris que le Sénat était plutôt réticent, pour ne pas dire rétif, devant ses propositions et qu’il valait mieux ne pas laisser ses membres s’exprimer trop longtemps.
La méthode est donc claire depuis le début : allons vite, le plus vite possible, à l’étape du dernier mot donné à l’Assemblée nationale, afin que les députés adoptent définitivement le texte qu’ils ont voté le 9 juillet dernier ! D’ailleurs, certains d’entre eux s’étaient empressés d’annoncer, dès cette date, que la réforme du non-cumul des mandats étaient adoptée. Et les propos que vous avez tenus tout à l'heure à la tribune, monsieur le ministre, allaient tout à fait dans le même sens puisque vous nous avez dit en fait : « Circulez, y’a rien à voir ! Tout est déjà décidé ! » (Vifs applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Raymond Vall applaudit également.)
Quant à mes éminents collègues président et rapporteur de la commission des lois, ils doivent convenir que l’élaboration du rapport a été tout aussi expéditive ! Ceux qui ne sont pas membres de cette commission seront peut-être intéressés de savoir que le rapporteur a été désigné dans les tout derniers jours de la précédente session et que le rapport a été examiné dans les tout premiers jours de la présente session, ce qui n’a laissé qu’un mardi après-midi pour procéder à quelques auditions. D’ailleurs, le rapport était prêt pour son examen en commission dès le lendemain de ces auditions ! Bravo, monsieur le rapporteur ! Nous savions que vous avez de grandes qualités, mais, là, tous les records sont battus ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Selon l’article 46 de la Constitution, « les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées ». Je ne me lancerai pas dans une exégèse des dernières décisions du Conseil constitutionnel, mais il y a matière à réfléchir…
M. Simon Sutour, rapporteur. Et pour cause !
M. François Zocchetto. Ne devrions-nous pas procéder autrement ? Le Conseil constitutionnel ne pourrait-il pas considérer que devraient nous être soumis, en l’espèce, non pas un, mais deux projets de loi organique ? Il répondra à cette question s’il est saisi !
M. Bruno Sido. Il le sera !
M. François Zocchetto. Évidemment, tout cela n’est pas du tout sérieux et dégrade l’image du Parlement. Alors que ce sujet est essentiel pour son avenir, et plus généralement celui de nos institutions, et que rien n’imposait, au fond, une telle urgence, il est scandaleux – je pèse mes mots – que le débat soit aussi contraint.
Les sénateurs de notre groupe estiment qu’une réflexion complète sur la question du cumul ne peut se limiter à la situation des parlementaires. Il est impératif d’étudier aussi la question de l’exercice concomitant de plusieurs mandats locaux, et ce n’est pas la première fois que nous faisons cette remarque. Ce fameux cumul horizontal, cher notamment à Mme Martine Aubry, doit être revu. Or ce thème n’est absolument pas abordé dans les textes que vous nous présentez, monsieur le ministre.
En réalité, vos arguments sont assez limités.
Le principal d’entre eux est celui d’une prétendue « modernité » du système proposé,…
M. Henri de Raincourt. Risible !
M. François Zocchetto. … par opposition au droit positif actuel, qui serait donc dépassé. Vous ne craignez pas de le qualifier de « ringard » et avez insisté, à maintes reprises, sur la nécessité de ne pas rater le « train de la modernité ». Convenez que cet argument est bien faible – je ne suis pas certain qu’il vous convainque vous-même –, car il sous-entend que le système actuel n’est pas démocratique.
Il semblerait aussi que certains d’entre vous, mes chers collègues, n’aient pas compris la spécificité de la Ve République. Dès lors que l’État est omniprésent et omnipotent, dès lors que tous les leviers de commandement sont concentrés dans les mains de l’exécutif, il n’est pas étonnant que la première tentative de rééquilibrage des institutions ait été, pour les parlementaires, de s’affranchir de la mainmise du Gouvernement avec le soutien du terrain et la connaissance de ses réalités.
D’ailleurs, vous vous en êtes bien rendu compte, monsieur le ministre puisque – c’est un simple rappel, et non une critique – vous étiez encore, voilà peu, député de la première circonscription de l’Essonne, maire d’Évry, président de la communauté d’agglomération Evry Centre Essonne, pour ne citer que ces fonctions… (Exclamations amusées sur les travées de l’UDI-UC et de l'UMP.)
M. Alain Gournac. Il a oublié !
M. François Zocchetto. Il est vrai que, depuis, vous êtes passé du côté de l’omnipotence du pouvoir exécutif !
Un sénateur du groupe socialiste. Quelle omnipotence ? Et le Parlement ?
M. François Zocchetto. On peut légitimement poser la question du cumul ou du non-cumul des mandats. Mais faire croire qu’il y aurait, par nature, un système supérieur à l’autre, surtout sans faire de connexion avec la réalité institutionnelle, c’est engager un faux débat. En revanche, les choix que vous proposez auront des conséquences institutionnelles importantes et personne ne sait dans quelle mesure le travail parlementaire sera soutenable avec des assemblées composées d’élus « hors-sol ». Vous n’aimez pas ce terme, je le sais, mais il correspond à la réalité de ce que seront ces assemblées.
Il suffit de regarder les statistiques pour constater qu’il n’y a aucune corrélation entre le fait de cumuler les mandats et le fait d’être un bon parlementaire. Tous les cas de figure existent.
M. Bruno Sido. Exactement !
M. François Zocchetto. C’est d’ailleurs cette diversité qui enrichit le processus démocratique.
Aucune réflexion n’a été menée quant à l’évolution des prérogatives et des méthodes de travail parlementaire après une telle réforme.
Les parlementaires disposeront-ils de moyens de contrôle plus importants, ce qui signifierait que, à budget constant, il faudrait diminuer leur nombre ? Nous attendons les explications du Gouvernement à ce sujet car, pour l’instant, nous n’avons rien entendu.
Deuxième grand argument invoqué : dans les autres démocraties occidentales, il n’y aurait pas de cumul. Permettez-moi de vous rappeler, comme M. le rapporteur l’a d’ailleurs fait tout à l’heure très honnêtement, que, dans une majorité de pays fonctionnant comme le nôtre, le cumul n’est absolument pas interdit : simplement, il n’est pas pratiqué ou n’est pratiqué que par une minorité de parlementaires. Pourquoi ? Parce que l’organisation des pouvoirs publics dans un pays comme la France n’a rien à voir avec ce qu’elle est dans des pays comme l’Allemagne ou l’Italie, pour ne parler que de deux de nos voisins. La tradition du centralisme français n’existe pas dans les pays où, curieusement, le cumul des mandats n’existe pas !
Par ailleurs, on ne peut pas parler du cumul des mandats sans évoquer le statut de l’élu, véritable serpent de mer de notre vie politique.
Le débat qui s’ouvre aujourd’hui est également, en filigrane, un débat sur la décentralisation, ou plus exactement sur la relation entre nos territoires, nos collectivités et le pouvoir central. N’ayons pas peur de le dire, notre pays n’est pas réellement décentralisé, et c’est bien parce que la majorité des décisions politiques sont prises à Paris que les élus locaux, toutes tendances politiques confondues, ont depuis longtemps compris l’importance de détenir un mandat parlementaire les rapprochant des vrais lieux de pouvoir et augmentant ainsi l’efficacité de leur action. Sans cela, comment seraient-ils si souvent élus et réélus ?
On ne peut donc faire l’économie d’une réflexion sur l’équilibre des pouvoirs au sein de notre démocratie. Dans notre régime hyper-présidentialisé, la présence de responsables d’exécutifs locaux au Parlement contribue à cet équilibre.
À cet égard, on peut se référer à cet extrait d’un article d’un auteur universitaire : « L’exception française du cumul des mandats est donc une réponse, imparfaite certes, mais un incontestable contrepoids à l’exception française du cumul des pouvoirs, de la concentration extrême des pouvoirs entre les mains du Président de la République. Il ne faut donc pas interdire le cumul des mandats sans réduire en parallèle les pouvoirs du président et rééquilibrer nos institutions. »
M. Gérard Longuet. Excellent !
M. François Zocchetto. « Autrement dit, cette thèse soulève une question en quelque sorte préjudicielle à la fin du cumul des mandats : "vous ne pouvez pas supprimer le cumul des mandats si vous maintenez le système institutionnel actuel, car vous allez forcément aboutir à un renforcement de la toute-puissance présidentielle." » (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Nous ne pourrions pas mieux dire que ces auteurs très inspirés !
Au-delà de notre groupe, le Sénat est prêt à débattre de la question du cumul des mandats. Il l’a d’ailleurs fait à de nombreuses reprises, car nous savons bien que c’est l’avenir du Parlement et de notre assemblée qui est en jeu.
Votre projet, monsieur le ministre, n’est qu’une simple mise à jour qui ne va pas au fond des problèmes.
Quel Sénat voulons-nous pour demain ? Voulons-nous un Sénat monolithique, composé de retraités,…
Mme Jacqueline Gourault. Ça viendra !
M. François Zocchetto. … certes compétents et efficaces, de fonctionnaires, tout aussi efficaces mais très nombreux, et, même si vous n’aimez pas le terme, d’apparatchiks de partis politiques ?
M. Alain Gournac. Voilà !
M. François Zocchetto. Croyez-moi, chers collègues, si vous votez cette réforme, nous irons plus vite que vous ne le croyez vers cette forme de Parlement !
Il n’est que de voir ce qui s’est produit aux dernières élections législatives : 50 % des nouveaux députés sont des permanents de partis politiques ou des membres de cabinets politiques ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.) Cela est parfaitement vérifiable !
Nous n’acceptons pas cette dérive vers un Parlement monolithique et aussi peu représentatif des Français.
Nous formulons des propositions pour que notre Sénat soit comme celui qui avait eu la force de s’opposer au général de Gaulle, à l’époque de Gaston Monnerville ? Nous voulons que le Sénat de demain soit tel que celui qui a su dire non au ministre de l’intérieur qui souhaitait développer les tests ADN lors des contrôles migratoires, qui a su dire non à la déchéance de nationalité.
Le Sénat que vous semblez vouloir dessiner pour demain saura-t-il s’opposer à l’incurie budgétaire, quand la majorité de l’Assemblée nationale, issue de la majorité présidentielle, donc sous la dépendance du Président de la République, paraît, l’avaler sans trop de difficultés ?
Mme Jacqueline Gourault. Comme avant !
M. François Zocchetto. Notre vision du Sénat n’est pas la vôtre.
Nous voulons un Sénat indépendant, qui ne soit pas sous la tutelle de partis politiques. Nous voulons un Sénat qui continue à représenter les collectivités territoriales de la République.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. François Zocchetto. Voilà les propositions que nous ferons et qui seront détaillées par plusieurs de nos collègues. Un certain nombre d’entre nous vont en effet proposer un texte. Nous ne disons pas non à la réforme du cumul des mandats, mais nous allons proposer notre réforme, et nous demandons aux sénateurs de voter celle-ci de façon que la voix du Sénat soit entendue, qu’elle prospère et, si possible, qu’elle l’emporte. (Vifs applaudissements sur les travées de de l'UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Jacques Mézard. C’est, vous le comprendrez, avec une grande émotion que, en cet instant, je m’adresse à vous, sénatrices et sénateurs, en qualité de président du groupe héritier de la gauche démocratique, un groupe qui se confond avec l’histoire du Sénat, celle de la République, de ses valeurs fondatrices, valeurs dont l’actualité démontre tous les jours qu’elles n’ont pas pris une ride.
Aujourd’hui, ce n’est pas un combat gauche-droite qui se livre, non plus qu’un combat opposant la modernité au passé. C’est le combat de la République. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.) Aussi est-ce l’expression d’un groupe unanime que je porte à cette tribune.
Je pense à ceux qui nous ont précédés dans cet hémicycle, à ceux qui ont fait la République, à ceux aussi qui se sont tant battus pour que le Sénat apporte à la République l’équilibre et la réflexion, marque du bicamérisme.
Comment ne pas citer Gaston Monnerville, lui qui, pendant vingt-deux ans, par sa présidence courageuse, a restauré le Sénat, a préservé son indépendance et son existence, lui qui a eu le courage et l’audace de démissionner de la présidence du Sénat – prononçant alors un discours que j’invite chacun à lire ou à relire – pour aller soutenir le débat devant le pays. Plus qu’un exemple, c’est un modèle !
Il nous manque, lui qui fut le premier président de gauche du Sénat de la Ve République.
C’est avec la profonde humilité d’un sénateur ne disposant d’aucune notoriété nationale, d’aucun relais médiatique, que je vous parle... Mais je le fais avec toute ma conviction, toute ma fidélité.
Je sais où je suis, monsieur le ministre, et j’y resterai, malgré toutes les insinuations. Oui, je crois encore qu’on peut siéger à gauche et rester libre.
M. Bruno Sido. Ah !
M. Jacques Mézard. C’est pour cela que, de tout mon être, mes chers collègues, je vous dis que le projet du Gouvernement est une atteinte grave à nos institutions, que je vous dis au nom de ce qui m’est le plus cher qu’il faut le combattre et le rejeter. (Applaudissements sur les travées du RDSE, et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)
Les bouleversements induits par ce texte sont considérables, dévastateurs pour la démocratie parlementaire et l’équilibre de nos institutions. Plus qu’un bouleversement, c’est une révolution : ce n’est pas moi qui le dis, c’est vous, monsieur le ministre : à la page 52 du rapport de la commission des lois, vos propos sont ainsi retranscrits : « Je ne sous-estime pas l’ampleur de ce changement, qui est une véritable révolution. »
Eh bien, une révolution, on ne doit pas la faire à la sauvette, par une procédure accélérée, au cours de sessions extraordinaires entrecoupées par les congés d’été, comme des braconniers législatifs qui font leur coup nuitamment, le visage dissimulé sous la cagoule de la « modernisation de la vie publique ». (Rires et vifs applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
Monsieur le ministre, pas vous, pas ça ! Vous savez l’estime que nous avons pour vous, pour vos propos souvent à la marge de votre appartenance partisane.
Mes chers collègues, je me dois de vous donner lecture d’un passage d’un excellent livre écrit en 2008 et intitulé Pour en finir avec le vieux socialisme et être enfin de gauche. (Rires et quelques applaudissements sur les travées de l'UMP.) En le lisant, je m’étais dit : « Nous voilà sauvés, c’est l’avenir ! »
Page 14 : « Une chose m’amuse ; avec le nombre de députés-maires que nous avons eu au PS, on va enterrer cette idée somptueusement fausse de l’interdiction du cumul des mandats ! ». (Bravo ! rires et applaudissements sur les mêmes travées.)
Page 15, à la question : « Mais le non-cumul était au cœur de la nouvelle démocratie ? », la réponse est la suivante : « Je l’ai même écrit. J’y croyais, et j’ai eu tort. C’était une diversion. Ça fait partie des histoires qu’on se raconte pour s’étourdir quand on a perdu son identité. »
Je pourrais continuer (Oui ! Encore ! sur les mêmes travées.), mais vous connaissez cela par cœur.
M. Bruno Sido. Ne soyons pas trop cruels !
M. Jacques Mézard. Mes chers collègues, vous aurez tous reconnu l’auteur de ces lignes : il est en face de moi, il est, depuis, devenu notre ministre de l’intérieur !
Je pourrais arrêter là mon propos, moi qui vous ai fait confiance avec beaucoup d’autres, moi qui dis depuis des mois que ce projet de loi est une imposture. En fait, il suffit de vous lire pour le prouver. (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Qui est enfin de gauche aujourd’hui ? Vous ou nous ? Vous voulez une majorité rose-verte ; je ne voudrais pas que vous récoltiez demain une majorité bleu sombre.
Monsieur le ministre, il n’est pas si loin le temps où vous concluiez le même ouvrage par ces mots : « J’ai mis du temps à admettre que j’aurais plus facilement applaudi le Tigre que le fondateur de l’Humanité. Maintenant j’assume. » Vous pensez bien que nous sommes sensibles à ces propos !
Monsieur le ministre, Clemenceau n’a jamais été socialiste, parce que c’est lui qui disait qu’au premier souffle de la réalité le palais de féerie s’envole, parce que c’est à lui qu’en novembre 1917 une grande majorité de socialistes, au cœur de la tourmente, a refusé la confiance.
Gravir les marches qui mènent au pouvoir suprême nécessite bien des renoncements, voire des contradictions, nous le comprenons. La politique est humaine, donc dure, sans pitié ; rares sont ceux qui n’en viennent pas à marcher sur leurs propres amis…
M. Bruno Sido. Oh là là !
M. Jacques Mézard. Mais, monsieur le ministre, au moment où vous acceptez de porter ce texte manifestement contraire à ce que vous avez exprimé il y a peu, texte dont les effets seront négatifs pour toutes les familles politiques minoritaires, en premier lieu la nôtre, il ne serait pas très convenable que, après avoir provoqué le décès électoral de nombre de nos élus, vous vous rendiez aussi coupable de la captation de l’héritage de Clemenceau, lequel avait en outre un profond respect pour le Parlement.
M. Philippe Bas. Notamment pour le Sénat !
M. Jacques Mézard. Beaucoup de socialistes témoignent leur fidélité à l’action de François Mitterrand. Nous aussi ! Non seulement parce que, sénateur, il siégea au sein de notre groupe, mais parce qu’il a marqué par sa stature d’homme d’État notre pays, souvent contre l’opinion publique, comme lorsqu’il fit abolir la peine de mort.
Pouvez-vous imaginer une seule seconde qu’un de ses ministres ait osé proposer le binôme départemental ou le non-cumul des mandats ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)
Le président Mitterrand déclarait : « La disparition de tout cumul serait un moyen détourné pour le pouvoir central de renforcer son autorité. »
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jacques Mézard. Nous partageons encore totalement son analyse. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Alors, pourquoi cet acharnement à faire passer ce texte en force, contre la volonté du Sénat et avec une procédure bâclée ? Est-ce le texte fondateur du quinquennat attendu par les Français, alors qu’ils sont tous les jours préoccupés légitimement par l’emploi, l’économie, la fiscalité, la sécurité, l’éducation, le logement, l’Europe, la crise syrienne...
D’où vient réellement cette imposture que sont la campagne anti-élus et le projet anti-cumul ? (Très bien ! sur quelques travées de l'UMP.) Nous le savons tous : de la prise du contrôle de votre parti par Mme Aubry, car c’était le moyen privilégié – et le plus facile ! – d’agréger les militants, puis de négocier des primaires présidentielles, le tout accompagné d’une longue et puissante opération médiatique, en particulier de la presse bobo parisienne. Après Le Monde et Libération, le point d’orgue fut apporté voici quelques jours, à point nommé, par L’Express. (MM. Bruno Sido et Alain Gournac s’esclaffent.)
Oui, j’ai mal quand je lis, quand j’entends que notre collègue Michel Delebarre, pour qui j’ai le plus profond respect, est le « premier cumulard de France » ! Est-ce cela, le résultat de votre action depuis des mois ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP et de l'UDI-UC.) Et je ne citerai pas le troisième…
Or l’essence même du responsable politique, c’est d’avoir le courage de braver l’opinion, de ne pas s’y soumettre aveuglément, de juin 1940 à l’abolition de la peine de mort, entre autres multiples exemples.
Au-delà du contenu du texte, je tiens à exprimer notre indignation quant aux méthodes qui ont été utilisées pour caricaturer notre opposition et dévoyer la procédure parlementaire.
Vous vous indigniez tout à l’heure que nous utilisions le mot « apparatchik ». Et vous nous qualifiez depuis des mois de « cumulards » à longueur de journée.
Il est insupportable que, comme pour le texte relatif à la transparence de la vie politique, le Gouvernement soit complice d’une campagne médiatique cultivant un antiparlementarisme injuste et dévastateur. (Eh oui ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Il n’est pas raisonnable que soient jetés en pâture aux médias et à l’opinion des dizaines de milliers d’élus, dont l’immense majorité accomplit sa mission avec conscience et honnêteté.
M. Bruno Sido. C’est très injuste !
M. Jacques Mézard. Pis, nous n’avons pas à nous repentir à votre place des errements de M. Cahuzac. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Depuis des mois, vous clouez au pilori des milliers d’élus vitupérés dans les médias comme « cumulards »… Sous-entendu : goinfrés de privilèges et d’indemnités. Il est particulièrement déshonorant d’utiliser de telles méthodes, je devais le dire à cette tribune ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Deuxième procédé déplorable : la procédure législative utilisée, qui a pour conséquence un débat tronqué. Le Sénat de la République a été mis devant le fait accompli et, je le regrette, sans réaction forte de son « exécutif ».
Tout d’abord, il n’est pas acceptable que, sur un tel projet de loi, qui entrera en vigueur en 2017, la procédure accélérée soit utilisée (Marques d’approbation sur les mêmes travées.), interdisant de fait tout dialogue avec l’Assemblée nationale, et cela sans aucune explication ni justification du Gouvernement.
Le but est clair : trancher en évitant le débat et faire décider par l’Assemblée nationale, au mépris de notre tradition constitutionnelle, des dispositions relatives à l’élection et au fonctionnement du Sénat de la République, cela en parfaite contradiction avec les dispositions des articles 24 et 46 de la Constitution.
Ce qui est en jeu, mes chers collègues, c’est l’équilibre des institutions de la République et le principe même du bicamérisme.
Au vu d’un tel enjeu, l’utilisation de la procédure accélérée relève d’une véritable provocation. Il en est de même du calendrier imposé par le Gouvernement.
Ainsi, le rapporteur de ce texte a été désigné par la commission des lois la veille de la fin de la session extraordinaire de juillet, soit le 24 juillet dernier. Il a débuté ses auditions le 9 septembre, soit la veille de l’ouverture de la nouvelle session extraordinaire de septembre, et les a clôturées le lendemain, soit la veille de la présentation et de l’examen du rapport devant la commission des lois, qui ne l’a d’ailleurs pas suivi. (Rires sur les travées de l’UMP.)
M. Aymeri de Montesquiou. Quel culot ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. De surcroît, je ne doute pas qu’il ait mis à profit la nuit du 10 au 11 septembre – triste date ! – pour méditer sur nos excellentes propositions ! (Rires sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. M. Zocchetto l’a déjà dit !
M. Jacques Mézard. Je sais bien que cela ne vous fait pas plaisir, monsieur le président de la commission, mais ce sera dit quand même ! (Rires et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l'UDI-UC.)
Il est vrai que vous avez considéré, vous, président de la commission des lois, que cela n’avait pas d’importance !
M. Jean-Pierre Sueur. Je n’ai pas dit cela !
M. Jacques Mézard. Vous l’avez dit !
Il n’en reste pas moins qu’un tel mépris du travail parlementaire est déplorable et que, lorsque vous siégiez dans l’opposition, vous l’auriez à juste titre condamné. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Sachez, monsieur le président Sueur, que vous ne méritez en aucun cas notre absolution. (Rires sur les travées de l'UMP.)
M. Marcel-Pierre Cléach. Très bien !
M. Jacques Mézard. Cela signifie que vous ne respectez plus le Parlement…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas vrai !
M. Jacques Mézard. … puisque ce sont là des atteintes manifestes aux droits des assemblées et des parlementaires qui les composent.
De même, il est à nos yeux fallacieux et insultant de nous faire passer – cela concerne notamment et au premier chef notre groupe – pour un ensemble de « ringards » refusant toute modernisation de la vie publique.
Il n’y a pas d’un côté les modernes et de l’autre les archaïques ! Non, monsieur le ministre ! Tous ici, nous sommes prêts à ne pas rater ce que vous avez appelé ce matin « le train de l’histoire ». Mais il ne s’agit pas du même train ! Le nôtre va bien plus loin, sans démagogie.
En effet, la modernisation de nos institutions, nous la préconisons depuis longtemps à travers nos propositions de loi : limitation du cumul à un seul mandat exécutif pour les parlementaires ; suppression de tout cumul d’indemnités ; non-renouvellement de certains mandats ; limitation des cumuls horizontaux ; encadrement des incompatibilités professionnelles. Est-ce ringard, cela ? Vous, vous proposez beaucoup moins et vous nous traitez d’archaïques ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Ce projet de loi est une imposture. Il est destiné à remplir les deux assemblées de militants professionnels de la politique. (Hourvari et applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Gérard Larcher. C’est la vérité !
M. Jacques Mézard. À preuve : ce texte n’interdit le cumul qu’aux seuls parlementaires, quand Mme Aubry pourra continuer à cumuler la mairie de Lille, la présidence de la communauté urbaine de Lille Métropole et celle de multiples sociétés d’économie mixte !
M. Bruno Sido. C’est une honte !
M. Jacques Mézard. L’imposture est d’autant plus grande que le cumul reste possible avec l’exercice de la plupart des professions. Ainsi, un parlementaire aurait le temps d’aller travailler ailleurs, mais non celui d’être maire d’une commune de trente habitants ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mes chers collègues, il ne convient pas à de nouveaux convertis de nous donner des leçons de liturgie,… (Exclamations amusées sur les mêmes travées.)
M. Pierre Charon. Excellent !
M. Jacques Mézard. … de brûler ce qu’ils ont adoré, du Président de la République au Premier ministre ! J’ai consulté les curriculum vitae des principaux laudateurs du non-cumul. Le constat est accablant, révélateur de la propension à l’amnésie de tant d’entre eux, de l’hypocrisie de la nature humaine et aussi de la rancœur qu’éprouvent certains battus du suffrage universel. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Christian Cambon. Tous des battus !
M. Jacques Mézard. Monsieur le rapporteur, vous nous donnez des leçons on ne peut plus respectables ! De fait, vous n’avez jamais eu de mandat local, mais vous avez accompli l’exploit d’être en même temps directeur général des services du département du Gard et sénateur suppléant (M. Alain Gournac s’esclaffe.), avant de passer directement du poste de directeur général des services de la ville de Nîmes à celui de sénateur. N’avez-vous pas éprouvé le sentiment d’une certaine rupture d’égalité entre les candidats ? (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Christian Cambon. Bravo ! Très joli !
M. Jacques Mézard. Je comprends mieux l’opposition que vous avez manifestée à nos amendements tendant à interdire de tels exploits…
Nos collègues écologistes (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.) sont les zélateurs de tels textes dans l’opinion et plus encore dans les médias. Je respecte profondément leurs opinions, mais sont-ils exemplaires ? Je ne parle pas ici de M. Mamère ! Je note simplement que leurs deux présidents et leur présidente de groupe parlementaire ont eu pour unique activité, avant leur mandat, celle d’assistant parlementaire….
Mme Hélène Lipietz. Pas Jean-Vincent Placé !
M. Jacques Mézard. J’ai les curriculum vitae !
Du reste, sont-ils tous trois à l’image de la société française ? Je note que chacune et chacun d’eux a un conjoint élu, parlementaire pour l’un, conseiller régional pour les deux autres. C’est un autre cumul !
M. Simon Sutour, rapporteur. C’est minable !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Respectez la vie privée !
M. Jacques Mézard. Voilà ce qui nous attend ! Est-ce le progrès ? (Exclamations.)
Monsieur le ministre, vous balayez nos arguments d’un revers de main.
M. Jacques Mézard. Non, monsieur le ministre.
M. Jacques Mézard. Non, monsieur le ministre, parce que je vous respecte profondément comme je respecte tout un chacun. Mais respectez-nous aussi, ce que vous n’avez pas fait pendant des mois ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Je constate simplement que vous nous donnez des leçons, en nous disant : « Circulez, il n’y a rien à voir ! Mais je ne céderai rien ! » C’est votre droit !
Vous nous dites : « Le non-cumul permettra aux parlementaires d’être plus présents dans les assemblées. » Vous savez pertinemment que c’est faux.
Je ne comparerai pas mon travail parlementaire à celui de M. le rapporteur. Différents sites internet du genre « citoyens.com » s’en chargent déjà ! Je prendrai un autre exemple. Au Parlement européen, deux élus souhaitent se représenter et prônent le non-cumul : M. Harlem Désir et Mme Eva Joly. Or ils sont classés parmi les 30 derniers députés européens sur plus de 750 parlementaires ! Pourtant ils ne cumulent pas ! (Huées sur les travées de l’UMP.)
M. Pierre Charon. Eh bien, c’est du joli !
M. Michel Le Scouarnec. C’est digne du caniveau !
M. Jacques Mézard. Vos arguments ne tiennent pas, et vous le savez. Vous repoussez avec mépris toutes nos propositions.
Vous ajoutez : « Ce texte, ce sont aussi des élus locaux à temps plein, c’est l’accession aux responsabilités d’une nouvelle génération, présentant des origines et des profils différents. »
Ce matin, dans la presse, un journaliste et une parlementaire affirmaient : « Le Sénat, ce sont des hommes, blancs… »
Mme Esther Benbassa. Tout à fait, et de cinquante ans et plus !
M. Jacques Mézard. Eh bien moi, lorsque j’entends cela, je frémis !
Oui, ce projet de loi, c’est la confiscation du pouvoir par des apparatchiks qui, pour la plupart, n’ont jamais exercé d’autres fonctions. Cette « nouvelle génération », comme vous l’appelez, nous n’en voulons pas, et les Français – du moins les démocrates – se repentiront d’avoir voulu ce non-cumul.
Ce texte est une rupture, une dénaturation des institutions de la Ve République. Une majorité d’universitaires parmi les plus renommés le condamne, notamment Pierre Avril, Dominique Rousseau, Olivier Beaud et Didier Maus.
Lors des auditions en commission, Pierre Avril a dénoncé la concentration du pouvoir entre les mains du Président de la République, qui s’est, à ses yeux, traduite par une caporalisation, « spécificité française ». « La règle du non-cumul prive les députés d’une assise territoriale personnelle et risque d’entraîner leur soumissions aux appareils partisans », a-t-il précisé. C’est la vérité !
M. Gérard Longuet. Bien sûr !
M. Jacques Mézard. Le professeur Olivier Beaud, quant à lui, a déclaré : « La lecture du rapport de la commission Jospin m’avait irrité par son dogmatisme et son manichéisme. »
M. Antoine Lefèvre. Très bien !
M. Jacques Mézard. Il a affirmé qu’une telle mesure ne pouvait « qu’aggraver la présidentialisation du régime, […] accentuer la concentration des pouvoirs ». Il a conclu : « Cette réforme va favoriser les apparatchiks qui commencent leur carrière à vingt ans dans les partis ».
Ce déséquilibre des institutions, cette perversion de l’évolution de la Ve République, autour du tout-puissant monarque républicain, méritait un autre débat que ce simulacre.
J’en viens à la dénaturation de l’esprit comme de la lettre de la Constitution quant au bicamérisme.
M. Francis Delattre. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Vous avez décidé d’affaiblir le Sénat et de l’éteindre comme une flamme qui finirait de se consumer. Le non-cumul, auquel vous ajoutez le Haut Conseil des territoires, c’est la fin de la Haute Assemblée et la réduction du nombre de sénateurs annoncée par le président du Sénat. C’est faire du Sénat un duplicata de l’Assemblée nationale.
Autant dire la vérité et supprimer la Haute Assemblée, cette « anomalie » dénoncée par M. Jospin. Pourquoi n’assumez-vous pas vos objectifs, comme le fit loyalement le général de Gaulle en 1969 ? C’était clair, c’était loyal !
M. Alain Gournac. C’était autre chose !
M. Jacques Mézard. Oui, l’article 24 de la Constitution dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». C’est pour cela que les sénateurs sont élus par les grands électeurs, élus eux-mêmes. C’est pour cela que l’article 39 de la Constitution dispose que les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat. C’est pour cela que le quatrième alinéa de l’article 46 dispose que les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. C’est pour cela que l’article 25 ne pose pas de principe d’identité absolue du statut des membres de chaque assemblée.
Vous-même, monsieur le ministre, l’avez reconnu devant la commission des lois du Sénat la semaine dernière, en déclarant qu’un « traitement différencié des sénateurs conduirait à qualifier ce texte de projet de loi organique relatif au Sénat, ce qui suppose un vote conforme des deux assemblées ». Je vous remercie, vous avez dit l’essentiel ! Auriez-vous, depuis, changé d’avis ?
Le socialiste Pierre Joxe rappelait cet impératif en 1985, lors des débats consacrés au projet de loi organique limitant le cumul, de même que Michel Rocard en 1996. Alors sénateur, celui-ci déclarait qu’il était à ses yeux « normal qu’en France comme partout ailleurs le Sénat soit composé d’élus investis de responsabilités dans les collectivités locales puisqu’étant précisément là pour cela au premier chef ».
Je citerai également ces mots de notre ancien collègue, le Premier ministre Pierre Mauroy : « Le Sénat représente les collectivités territoriales. Dans une France dont tout laisse à penser qu’elle adoptera de nouvelles limitations du cumul des mandats, il y a nécessité de trouver un lieu où se confrontent les intérêts des régions, des départements et des communes. »
Le professeur Guy Carcassonne, lui-même chantre du non-cumul, évoquait en 2005, dans la revue Pouvoirs locaux, un scénario dans lequel « on ne touche à rien concernant le Sénat mais dans lequel on se borne enfin à imposer l’interdiction du cumul pour les députés. » Il ajoutait : « Beaucoup d’élus de grandes collectivités viseraient alors un mandat sénatorial et revivifieraient le Sénat dans des proportions tout à fait substantielles par la simple interdiction du cumul des députés. »
Dans un article paru le 12 septembre dernier dans Le Figaro, le professeur Didier Maus a rappelé ces réalités, à l’aide d’une analyse constitutionnelle tout à fait limpide.
Mes chers collègues, notre débat transcende les sensibilités politiques. Je rappelle à ce titre que dix-sept des dix-huit sénateurs du RDSE ont contribué à faire élire le président du Sénat, celui de notre commission des lois et le Président de la République. Ce n’est donc ni un débat entre gauche et droite, ce n’est pas davantage un débat relatif à la modernité de la vie publique, c’est bien un débat relatif aux institutions de la République, au bicamérisme et à la représentation de nos territoires.
Je salue le courage de tous ceux qui, quelle que soit leur sensibilité, disent non à une telle imposture. Je salue notamment le courage du président François Rebsamen. Savoir dire non, c’est la marque des vrais hommes d’État !
M. Alain Gournac. Oui !
M. Jacques Mézard. Le Président de la République déclarait dimanche : il y a un moment où ce qui nous rassemble, en tant que gaullistes, libéraux, radicaux, bref, en tant que républicains, c’est une conception commune de la France et de la République.
Mes chers collègues, ne défigurons pas cette conception de la République au nom d’intérêts partisans !
Sénatrices et sénateurs de la République, au nom de tout ce qui nous rassemble, au nom de notre histoire, et encore davantage de l’avenir de cette République que nous voulons forte, rassembleuse et respectueuse, je vous demande de rejeter ce texte tel qu’il nous est proposé et d’adresser à l’exécutif le message de la liberté de la Haute Assemblée au service de la République.
Vive le Sénat de la République ! Vive la République ! (Les sénatrices et sénateurs du RDSE et de l’UMP, ainsi que certaines sénatrices et certains sénateurs de l’UDI-UC, se lèvent et applaudissent longuement.)
8
Élection de représentants à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
M. le président. Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un membre titulaire représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :
Nombre de votants | 136 |
Majorité absolue des votants | 69 |
M. Bernard Fournier | 126 |
En conséquence, M. Bernard Fournier ayant obtenu la majorité absolue des suffrages des votants, je le proclame membre titulaire du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un membre suppléant représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :
Nombre de votants | 136 |
Majorité absolue des votants | 69 |
M. André Reichardt | 126 |
En conséquence, M. André Reichardt ayant obtenu la majorité absolue des suffrages des votants, je le proclame membre suppléant du Sénat représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
9
Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et le mandat de représentant au Parlement européen
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi
M. le président. Nous poursuivons la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis consciente de la rude tâche qui consiste à succéder à M. Mézard à cette tribune ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Christian Cambon. Vous avez un boulet au pied !
Mme Hélène Lipietz. Mais j’espère que vous allez m’écouter avec autant d’enthousiasme !
M. Jean-Claude Lenoir. Bien sûr !
Mme Hélène Lipietz. Voici le texte qui fâche, qui clive et qui transcende les familles politiques ; le texte visant à empêcher ou à limiter le cumul des mandats ou, plus exactement, à limiter le cumul du mandat de parlementaire avec d’autres mandats ou d’autres fonctions électives.
Monsieur le ministre, je ne reviendrai pas sur l’ineptie – pardonnez-moi ce terme fort – qui consiste à priver les parlementaires d’un second tour de parole et de vote. De quoi aviez-vous peur ? Vous le savez, l’Assemblée nationale est majoritairement derrière vous, et les contestataires du Sénat n’en peuvent mais. Quant à l’urgence qu’il y a à limiter le cumul des mandats, elle est née avec moi : en 1958 ! Elle commence donc à vieillir…
Cela montre bien qu’il n’y avait aucune raison de recourir à la procédure accélérée !
Faut-il d’ailleurs croire la légende selon laquelle le général de Gaulle n’a pas voulu interdire le cumul des mandats pour que les parlementaires aient un os à ronger, eux que la Ve République a dépouillés de leurs pouvoirs ? Il doit y avoir un fond de vérité... Rappelons-nous que Louis XIV a inventé la cour pour calmer l’ardeur belliqueuse des nobles !
En laissant se développer le cancer du cumul des mandats comme aucune autre démocratie européenne ne le connaît ou comme aucune constitution précédente de la France ne l’a connu, la Ve République est en rupture avec son propre principe de démocratie énoncé à l’article 2 de la Constitution : « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. » Car en confisquant jusqu’à vingt ou vingt-cinq mandats ou fonctions représentatives, les parlementaires qui cumulent confisquent le gouvernement de leur territoire...
Faut-il rappeler le conflit d’intérêts qui apparaît de façon évidente quand certains sénateurs ne viennent dans cet hémicycle que lors de la discussion de textes législatifs qui concernent directement leur territoire ou leurs mandats, ou encore lorsque des pans entiers d’une loi sont élaborés par deux ou à trois parlementaires d’un même département et que ceux-ci parviennent à imposer ce texte au Parlement sous couvert d’expertise locale ?
Ces parlementaires viennent défendre leur territoire, leur ville, ce qui peut être louable : comment les en blâmer ? Mais ont-ils besoin d’exercer un mandat exécutif pour cela ? Surtout, défendent-ils l’intérêt général de la Nation d’une nature par essence différente de l’intérêt local ?
De plus, où est l’égalité des candidatures quand un élu cumule ou souhaite cumuler ? N’a-t-il pas lui aussi un pouvoir ou des connaissances qui rompent l’égalité des candidatures ? N’a-t-il pas une aura que n’a pas un candidat non cumulard ?
Je le dis sans acrimonie : je peux avoir de l’estime pour ceux qui cumulent, qui accomplissent souvent, voire très souvent, un excellent travail... Mais certains d’entre eux ne font pas tout le travail ou ne le font qu’à travers le prisme de leur territoire.
Je n’ai certainement pas de mépris pour eux, les apparatchiks de la politique ; j’éprouve juste peut-être un peu de pitié : en ne faisant que de la politique, ils oublient qu’il y a une vie en dehors de celle-ci. Ils vivent, ils pensent politique. Or l’organisation de la vie de la cité, la politique, est d’abord une histoire de citoyennes et de citoyens, de rapports avec la société, de rapports dans la cité.
Ce que nous reprochent les Françaises et les Français, c’est que nous soyons déconnectés de leurs réalités... Même si nous nous penchons sur leurs problèmes en nous rendant sur les marchés ou en assurant nos permanences, nous faisons partie non plus de la société civile, mais de la société politique. Cette différence, nos concitoyens la ressentent avec une intensité jamais égalée auparavant, peut-être parce que, avant, le niveau d’instruction était moindre, ou aussi parce que désormais Internet permet au peuple de s’exprimer indépendamment des élections.
Même les élus non cumulards reprochent à ceux qui cumulent de ne pas être des élus tout à fait semblables : être sénateur et maire, conseiller régional et maire, même d’une petite commune, ouvre des portes qui sont fermées aux détenteurs d’un seul mandat.
Ainsi, un député-maire me faisait part de la difficulté qu’il éprouvait, en qualité de maire d’une sous-préfecture, à s’imposer face à la technocratie étatique. Or sa situation a un tout petit peu changé depuis qu’il est parlementaire... Par conséquent, le cumul est peut-être aussi une réponse à l’Énarchie. Dans ce cas, ne convient-il pas plutôt de changer l’ENA au lieu de vouloir instaurer la règle du non-cumul ?
Certes, parmi les élus, cumulant ou non, figurent des apparatchiks des partis, et ce quel que soit le parti, des apparatchiks de la politique, et ce quelle que soit la politique. Les parachutés qui arrivent dans une circonscription avec les beaux atours de leur parti sont aussi condamnables que les bibendums, ces élus qui empilent les écharpes autour de leur taille afin d’éviter que le naufrage de leur mandat ne les condamne à redevenir de simples citoyens, le cumul des mandats leur permettant de surnager en absence d’un véritable statut de l’élu.
Oui, je peux comprendre que certains cumulent à défaut d’un tel statut, craignant alors l’arrivée du terme de leur mandat, ou parce que le Parlement et, par voie de conséquence, les parlementaires sont rabaissés – les soixante-huitards l’avaient bien compris ! Ils cumulent en ayant la volonté de servir leurs idées, leurs concitoyens, mais aussi, il faut bien l’avouer, par besoin de reconnaissance et par soif du pouvoir.
Il est ainsi étonnant de constater l’inadéquation entre le ressenti des citoyens et celui des élus qui cumulent. Les journaux, les citoyens lambda traitent ces derniers de « cumulards ». Ce terme, quelque peu démagogique, ne me plaît absolument pas, non plus que le palmarès publié récemment.
Néanmoins, ceux qui cumulent témoignent parfois d’un profond mépris envers ceux qui ont fait le choix de ne pas cumuler – nous sommes nombreux dans ce cas – ou ceux qui n’ont pu être cumulards puisque, en France, les élus sont plus de 400 000 alors qu’il n’y a que près d’un millier de postes de parlementaires…
Comme si les non-cumulards, non seulement dans l’espace, mais aussi parfois dans le temps, avaient moins de valeur car ils sont élus moins souvent ! (M. Luc Carvounas s’exclame.) Comme si leur travail était moins efficace ou moins noble, alors même qu’ils se consacrent à un seul mandat, tant sur le terrain que dans l’hémicycle !
Certes, ceux qui cumulent, dans le temps ou dans l’espace, le font avec l’onction du suffrage universel.
M. Jean-Claude Lenoir. Surtout à la proportionnelle !
Mme Hélène Lipietz. Ainsi, ils sont légitimés à leurs propres yeux !
Il faut toutefois garder à l’esprit que les électeurs n’ont pas vraiment le choix des candidats : ce sont bien les partis qui les choisissent, faisant des cumulards eux-mêmes les apparatchiks des partis. Même dans le cas de primaires ouvertes, leur filtre est déterminé par les partis.
Entre un candidat ayant déjà une casquette, mais qui partage vos idées, et un candidat sans casquette qui véhicule des idées auxquelles vous êtes opposé, le choix semble évident... jusqu’au jour où le non-cumul devient pour vous, simple citoyen, le critère de choix parce que vous êtes persuadé, à tort ou à raison, qu’en cumulant l’élu ne peut pas défendre l’intérêt général, mais travaille pour lui et, surtout, ne connaît plus les réalités du terrain.
Certains conçoivent le cumul comme une exigence constitutionnelle. Le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » dispose l’article 24 de la Constitution. Cette indication légitimerait que tout sénateur – allons jusqu’au bout de l’idée ! – soit en situation de cumul.
Outre le fait que rien n’interdit de comprendre cet article constitutionnel comme une simple exigence de connaissance des collectivités territoriales au travers, notamment, de l’exercice d’un précédent mandat, l’interprétation selon laquelle il serait nécessaire d’être détenteur d’un mandat territorial pour devenir sénateur aurait comme corollaire nécessaire et évident que le Sénat ne pourrait délibérer que sur les textes relatifs aux collectivités territoriales...
Inversement, l’Assemblée nationale, qui représenterait le peuple, ne pourrait pas avoir en son sein des représentants des collectivités territoriales et surtout ne pourrait pas délibérer sur l’organisation de ces dernières.
L’absurdité de ce raisonnement extrême se heurte, de plus, à un autre article de la Constitution. L’article 3 ne dispose-t-il pas qu’aucune section du peuple, en l’occurrence le Sénat, car nous faisons tout de même partie du peuple, ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale, fût-elle réduite à l’organisation des collectivités territoriales ?
Aujourd’hui, un sénateur homme ou femme, sans mandat territorial en cours, a suffisamment connaissance des collectivités territoriales pour traiter de ces dernières, tout comme un sénateur a des idées sur le droit des femmes ou une sénatrice sur celui des hommes, du moins je l’espère ! (M. Yann Gaillard s’esclaffe.)
Reste l’efficacité du travail politique. C’est sur cette efficacité que nous sommes jugés : travailler à organiser sa ville, à la faire devenir une métropole nationale, voire européenne, est certainement plus facile que d’influencer la politique nationale par le travail parlementaire. Nous en savons quelque chose au Sénat !
À l’heure actuelle, le pouvoir politique se trouve non plus au Parlement, mais dans les collectivités territoriales, alors même que celles-ci connaissent les mêmes difficultés budgétaires que le reste de la Nation.
Le désintérêt de certains parlementaires à siéger régulièrement en commission ou dans l’hémicycle est peut-être dû à l’affaiblissement du Parlement et à la présidentialisation du pouvoir en France. Dans ce cas, pour revaloriser la fonction parlementaire, ne faut-il pas commencer par revaloriser le Parlement et donc par changer de Constitution ?
Non, monsieur le ministre, ce que vous nous proposez avec le présent texte n’est pas la querelle des anciens et des modernes ! La question, ici, n’est pas de prendre nos responsabilités : quels que soient nos votes, nous les émettons en conscience. Ce que vous nous proposez, c’est une transformation de notre paysage mental et un changement de notre paysage politique.
Pour nous, écologistes, le non-cumul est inscrit dans nos gênes et dans nos statuts, même si, parfois, comme dans d’autres partis, des exceptions confirment la règle.
Parce que les écologistes, doux rêveurs, pensent qu’il faut partager les mandats, répartir la représentation pour qu’elle soit plus diverse, ils voteront votre texte, monsieur le ministre, avec la conscience aiguë que nous sommes en train de transformer petit à petit, texte par texte, la Ve République. Peu à peu, nous la détricotons parce qu’elle est à bout de souffle et que nous n’avons pas le courage de dire haut et fort qu’il faut changer la Constitution de la France flamboyante de 1958, qui n’est plus adaptée à la France du XXIe siècle, dans une Europe plus présente et où les citoyens, et peut-être surtout les citoyennes, appellent de leurs vœux un autre rapport à la politique, peut-être moins viril, moins m’as-tu-vu, mais plus proche d’eux !
Nous voterons ce projet de loi organique en ayant conscience qu’il s’agit d’un nouveau coup de couteau dans une outre qui se vide peu à peu de son contenu pour abreuver les réflexions sur la nouvelle République que nous appelons de nos vœux ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le cumul de mandats et son corollaire direct, l’absentéisme parlementaire, sont deux particularités bien françaises, deux particularités affligeantes, qui nuisent au bon fonctionnement de la démocratie.
Un mandat de député ou de sénateur correspond à un travail à plein temps. Il en est de même pour une fonction de maire de grande ville, de président de communauté d’agglomération ou de président de conseil général. Or nul ne peut assumer correctement deux activités qui sont chacune à plein temps.
Cependant, les élus qui profitent du système sont aussi nombreux à gauche qu’à droite. C’est l’explication du combat d’arrière-garde engagé par ceux qui s’accrochent au statu quo.
Pour eux, tous les prétextes sont bons. Dans Le Figaro du 9 juillet 2012, un cumulard a même affirmé que les sénateurs qui ne cumulent pas une fonction exécutive ne sont « que des élus hors-sol, coupés de la gestion quotidienne des collectivités ». Merci pour moi !
Un autre a même prétendu que seuls les apparatchiks des partis seront dorénavant élus sénateurs.
Pour ma part, je ne cumule pas et j’ai néanmoins été élu sénateur,…
M. Jean-Claude Lenoir. À la proportionnelle !
M. Jean Louis Masson. … même si je ne suis pas un apparatchik !
M. Philippe Dallier. Vous êtes tout de même un ancien cumulard !
Plusieurs sénateurs sur les travées de l’UMP. Oui, vous êtes un ancien cumulard !
M. Jean Louis Masson. À la suite de mon élection en tant que sénateur en 2001,…
M. Philippe Dallier. Vous avez cumulé !
M. Jean Louis Masson. Je sais que cette assemblée est majoritairement composée de cumulards, mais laissez-moi m’exprimer ! Nous sommes en démocratie ! Ceux qui sont opposés au cumul des mandats ont tout de même le droit de donner leur point de vue !
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
M. Jean Louis Masson. Je disais donc que, à la suite de mon élection en tant que sénateur en 2001, j’ai démissionné afin de ne pas cumuler mandat parlementaire et fonction exécutive locale. Je suis donc devenu un élu « hors-sol ». Il n’empêche que, lors des élections sénatoriales de 2011,…
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Jean Louis Masson. … sans l’investiture d’aucun parti politique, j’ai largement devancé les deux autres listes de droite,…
Mme Nathalie Goulet. Moi aussi !
M. Jean Louis Masson. … qui, elles, avaient une investiture et étaient conduites par des élus super-cumulards.
C’est parce que je ne cumule pas mon mandat sénatorial avec un mandat local que j’ai le temps de me consacrer pleinement à ma fonction de sénateur, de m’occuper des réalités du terrain en visitant les communes partout dans le département de la Moselle. (Vives protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Cambon. Vous n’êtes jamais présent !
M. Jean Louis Masson. De plus, en étant simple conseiller général de base, on est largement au contact du quotidien : il faut être d’une totale mauvaise foi pour prétendre le contraire !
En fait, le cumul de mandats permet à celui qui en abuse d’étouffer la démocratie en concentrant de façon excessive les pouvoirs tout en profitant d’avantages matériels et financiers considérables. En effet, un député ou un sénateur qui est maire d’une grande ville ou président de conseil général a des moyens démesurément supérieurs à ceux d’un parlementaire de base.
Certains font même prendre en charge par la collectivité locale de nombreuses dépenses telles que celles qui sont liées à leur secrétariat, leur voiture de fonction, leurs frais de téléphone, de restaurant ou autres, qu’ils seraient sinon obligés de financer personnellement sur leur indemnité ou sur leur indemnité représentative de frais de mandat.
Enfin, je rappelle aussi que la super-concentration des pouvoirs qui est liée aux cumuls abusifs est l’un des principaux facteurs de corruption parmi les élus. Ainsi, selon une statistique évoquée le 3 avril 2013 sur la radio Europe 1, 90 % des parlementaires poursuivis pour corruption ou autres malversations sont en situation de cumul. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. C’est scandaleux !
M. Philippe Dallier. C’est honteux ! Zéro comme argumentation !
M. Jean Louis Masson. Dans la mesure où environ 55 % des parlementaires sont concernés par le cumul, un simple calcul montre qu’un parlementaire qui exerce parallèlement une fonction exécutive locale a 7,4 fois plus de risques qu’un autre d’être poursuivi pour malversation.
En interdisant les cumuls abusifs de mandats, le présent projet de loi organique contribue donc à moraliser la vie publique, à promouvoir une véritable respiration démocratique et à réduire l’absentéisme parlementaire.
Toutefois, je regrette que le Gouvernement ait reporté son application à 2017 pour les députés, à 2019 pour les parlementaires européens et à 2020 pour certains sénateurs. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Ce n’est pas dans le texte !
M. Jean Louis Masson. Cette excellente réforme aurait dû s’appliquer dès les municipales de 2014, ce qui l’aurait enracinée de manière irréversible.
En conclusion, il est évident que la limitation des cumuls de mandats répond à une aspiration forte d’une majorité écrasante de nos concitoyens. Je tiens donc à vous féliciter, monsieur le ministre, pour la détermination dont vous avez fait preuve en résistant aux pressions des cumulards de tous bords qui s’accrochent de manière pathétique aux prébendes qu’ils retirent de cette anomalie démocratique.
M. Alain Gournac. Démago !
M. Jean Louis Masson. Ainsi, vous avez eu raison de refuser que l’on introduise une dérogation concernant les fonctions de maire de communes dont le nombre d’habitants atteint 20 000 ou 30 000 habitants. Les instigateurs de cette idée parlaient hypocritement de « petites communes », mais en fait, en raison de ce nombre habitants et des responsabilités intercommunales, on est très éloigné d’une logique de petite commune.
Vous avez eu encore plus raison de refuser la création d’une exception au profit des sénateurs. L’image du Sénat n’est déjà pas très positive dans l’opinion publique (Exclamations sur les travées de l'UMP.)…
M. Alain Gournac. Et Jean Louis Masson, lui, n’est jamais là !
M. Jean Louis Masson. … et il faut vraiment beaucoup d’inconscience pour imaginer un régime dérogatoire permettant aux seuls sénateurs cumulards de continuer à profiter du système. Pour ma part et par dignité vis-à-vis de nos concitoyens, je n’aurais jamais osé proposer une telle disposition qui reviendrait, pour le Sénat, à se servir lui-même.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean Louis Masson. Enfin, monsieur le ministre, j’ai deux regrets : d’abord, je déplore, comme je vous l’ai déjà indiqué, la date trop tardive d’entrée en vigueur du présent projet de loi organique qui s’échelonnera de 2017 à 2020.
M. Gérard Cornu. C’est un cumulard qui a la parole !
M. Jean Louis Masson. Ensuite, je regrette que strictement rien ne soit prévu pour encadrer les cumuls de mandats exécutifs locaux. Par exemple, on pourra continuer à être maire d’une très grande ville, président de communauté urbaine et vice-président de conseil régional.
M. le président. Je vous demande de conclure, mon cher collègue ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Alain Gournac. Bravo, on a compris !
M. Jean Louis Masson. Exercer trois fonctions exécutives de cette importance, cela dépasse vraiment le raisonnable et je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous vous expliquiez sur cette carence.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Bas. Monsieur le ministre, vous nous avez tout à l’heure plus ou moins aimablement invités à la réflexion. J’espère que, en écoutant nos excellents collègues les présidents François Zocchetto et Jacques Mézard, vous vous serez laissé convaincre – en dépit de toute votre détermination – que la réflexion émane plutôt du côté de ceux qui rappellent nos traditions républicaines que de ceux qui voudraient faire la loi avec des idées reçues et des lieux communs. (Mlle Sophie Joissains applaudit.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe Bas. Mon groupe aborde la question de la limitation du cumul des mandats dans un esprit constructif.
Tous, dans cette assemblée, nous sommes d’ailleurs conscients que des cumuls excessifs sont aussi néfastes au Parlement qu’aux collectivités territoriales elles-mêmes. Cela n’est pas ce qui nous sépare.
Il faut aussi tirer les conséquences de la montée en puissance des intercommunalités. La réforme territoriale de 2010, que vous avez tellement critiquée, accroît encore cette nécessité.
Comme de nombreux membres de mon groupe, je me suis souvent exprimé dans le sens d’une actualisation des règles de cumul, ce qui ne signifie pas que nous soyons prêts à accepter n’importe quoi ! L’interdiction absolue d’exercer une fonction exécutive locale nous paraîtrait aussi excessive et absurde que la liberté absolue qui prévalait avant 1985. Nous refusons d’envoyer le balancier d’un extrême à l’autre. Nous sommes pour la recherche d’un équilibre.
Le Sénat a toujours été très ouvert sur cette question. Il a contribué à la limitation du cumul des mandats même quand il était dans l’opposition des gouvernements qui en avaient pris l’initiative, ceux de MM. Fabius et Jospin. Il a ainsi voté les lois de 1985 et de 2000 qui ont établi et étendu le régime des incompatibilités entre mandats locaux et nationaux et plafonné le montant total des indemnités pouvant être perçues par un parlementaire.
Ces lois ont déjà drastiquement réduit le nombre de cumuls possibles. Elles ont fait l’objet d’un large consensus et été adoptées – j’appelle votre attention sur ce point, monsieur le ministre – en termes identiques par les deux assemblées. Ce que vos prédécesseurs sont parvenus à obtenir, vous pouvez, vous aussi, si vous y mettez de la bonne volonté, le réussir.
C’était, il est vrai, une période de la Ve République où le Gouvernement recherchait, autant qu’il le pouvait, un accord du Parlement – Assemblée nationale et Sénat –, sans considérer la représentation nationale comme une simple courroie de transmission.
Aujourd’hui encore, un consensus serait possible si le Gouvernement et l’Assemblée nationale voulaient bien s’en donner la peine.
Nous pensons qu’une fonction exécutive locale et un mandat parlementaire peuvent se compléter utilement, et ce dans l’intérêt de nos concitoyens.
L’accès aux grands centres de décisions nationaux et la connaissance des grands enjeux de la politique nationale sont profitables aux territoires et à leurs habitants.
Inversement, la responsabilité opérationnelle de services publics locaux est utile à l’exercice de mandats parlementaires. Elle favorise des approches peut-être moins idéologiques et militantes que vous ne le souhaiteriez, mais plus indépendantes, plus pragmatiques et plus responsables.
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. Philippe Bas. L’idée selon laquelle les parlementaires libérés de leurs fonctions locales pourraient davantage participer à des activités bénévoles et associatives utiles à leur connaissance du terrain est sympathique, mais ces expériences ne sauraient remplacer l’exercice de responsabilités publiques. Et il faut choisir entre les arguments : on ne peut vouloir à la fois que le temps libéré soit consacré à la fonction parlementaire et qu’il serve en même temps à des activités associatives de terrain.
Cela étant, le lien entre élus nationaux et citoyens ne serait en aucun cas renforcé par l’interdiction d’exercer une fonction exécutive locale, bien au contraire.
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. Philippe Bas. Il serait grandement affaibli ! Et cela, nous ne le voulons pas.
La vérité, c’est que vous répondez à l’antiparlementarisme par le populisme (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)…
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Philippe Bas. … en accréditant l’idée que ni les parlementaires ni les responsables politiques locaux ne font correctement leur travail aujourd’hui quand ils assument en même temps ces deux activités pourtant complémentaires.
Or rien ne prouve la réalité de ce postulat. Au contraire, un grand nombre de collègues qui ne figurent pas parmi les moins assidus sont également très présents dans leur département au titre de leurs responsabilités locales.
M. Alain Gournac. Je le crois !
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. Philippe Bas. Notre engagement public ne se divise pas. Nous y consacrons autant de temps personnel que de temps équivalent au temps professionnel. Nous ne sommes pas soumis à la législation sur la durée du travail. Nous ne sommes pas aux 35 heures ; nous aimons ce que nous faisons et le faisons sans compter. (Très bien ! sur plusieurs travées de l'UMP.) C’est le seul privilège que nous revendiquons.
Les causes de l’antiparlementarisme ne résident d’ailleurs pas principalement dans le statut ou le comportement des élus, sauf dans des cas exceptionnels que nous savons dénoncer avec force. Elles résident plus sûrement dans le sentiment de l’impuissance publique, en particulier en matière de lutte contre l’insécurité, d’emploi, de pouvoir d’achat. Et telles sont les vraies urgences pour les Français !
Le présent projet de loi organique souffre, de surcroît, d’incohérences majeures.
S’il était adopté, un maire continuerait à se voir garantir par le code du travail, comme par le statut des fonctionnaires, de pouvoir exercer une activité professionnelle salariée à 75 % au moins de son temps de travail, soit vingt-huit heures. Il pourrait aussi bien poursuivre toute activité professionnelle indépendante, très prenante, mais il n’aurait le droit d’être ni député ni sénateur. Son activité privée serait donc mieux traitée qu’une activité publique. Et je ne parle pas des cumuls de mandats locaux qui permettent pourtant actuellement – le président Jacques Mézard l’a rappelé – à quelques élus de percevoir des indemnités plus élevées que celles d’un parlementaire et nullement réglementées. Or vous ne proposez aucune mesure sur ce point.
Quant au parlementaire, il continue à bénéficier du principe du libre exercice d’une profession dans les limites prévues par les incompatibilités récemment réexaminées par le Parlement. Il pourrait aussi exercer d’importantes responsabilités nationales dans un parti politique. On lui permettrait également d’assurer la présidence d’organismes nationaux : fédérations hospitalières, fédérations de logement social, Caisse des dépôts et consignations, Centre national de la fonction publique territoriale, UBIFRANCE. Mais il ne pourrait être ni maire d’une commune, fût-elle une commune de 200 habitants, ni vice-président d’un conseil général ni président de conseil régional.
L’on constate que, derrière l’apparente simplicité du projet du Gouvernement, se cachent la plus grande confusion intellectuelle – voilà la réflexion que l’on peut faire – et les plus grandes contradictions. Dans tous les cas, des activités pouvant être fortement rémunérées bénéficieraient d’un traitement privilégié par rapport à l’exercice de mandats publics au service des Français.
Sans parler d’hypocrisie ou d’imposture, on peut tout de même relever que ce projet de loi organique agite les symboles politiques sans traiter en profondeur les réalités. Les Français ne tarderont pas à s’en apercevoir. Gare aux effets boomerang ! C’est par ce genre de faux-semblants que l’on nourrit l’antiparlementarisme.
Nous ne souhaitons pas, par principe, différencier les sénateurs des députés. Nous souhaiterions même que des règles identiques continuent à leur être appliquées en matière d’incompatibilités, comme c’est le cas, non pas depuis toujours, mais tout de même depuis 1887.
C’est le Gouvernement et l’Assemblée nationale qui, par leur intransigeance sur des positions extrêmes – « révolutionnaires », avez-vous dit – nous imposent d’envisager cette solution.
Nous sommes cependant soucieux de donner toutes ses chances au maintien d’un régime de limitation des cumuls commun aux membres des deux assemblées. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement tendant à permettre l’exercice d’une fonction exécutive locale par les uns et par les autres. Cet amendement apporterait des restrictions importantes aux règles actuelles de cumul.
Seraient notamment englobées toutes les fonctions de maire et d’adjoint, de président et de vice-président d’une intercommunalité, de vice-président de conseil départemental et régional. Aucune de ces fonctions n’est actuellement prise en compte. Cela constituerait donc une évolution importante, en même temps acceptable du point de vue de nos institutions.
La seule différence avec le texte qui émane de l’Assemblée nationale résiderait dans la possibilité d’exercer l’une de ces fonctions tout en restant parlementaire.
Nous avons conscience que la majorité à l’Assemblée nationale, qui s’est clairement exprimée en faveur d’un choix plus radical, n’acceptera pas facilement la mesure que nous proposons par le biais de cet amendement, surtout si le Gouvernement ne l’approuve pas au Sénat. Mon groupe a cependant déposé cet amendement en signe de bonne volonté, pour inviter le Gouvernement à ne pas se montrer fermé et à rechercher un compromis raisonnable avec tous les groupes du Sénat.
Nous avons aussi conscience que cette option est la plus contraire au choix du Président de la République et au premier vote de l’Assemblée nationale. C’est pourquoi nous proposerons un autre amendement visant à introduire une distinction entre députés et sénateurs en matière de cumuls et laissant l’Assemblée nationale adopter un régime plus restrictif pour les députés, si telle est sa volonté.
Si la France a choisi d’avoir un régime bicaméral, c’est dans l’intérêt d’une discussion parlementaire de qualité, pour élaborer de meilleures lois.
C’est aussi parce que, à côté de l’Assemblée nationale représentant directement le peuple, nous avons voulu avoir une assemblée démocratique représentant les territoires au travers de leurs collectivités et aussi, ne les oublions pas, les Français de l’étranger. Le lien entre les sénateurs et les territoires est donc inscrit au cœur de l’identité du Sénat. C’est l’article 24 de la Constitution : « Le Sénat représente les collectivités territoriales de la République » et les Français de l’étranger. Comprenez que nous y soyons viscéralement attachés ! Notre légitimité en dépend. Pleinement parlementaires, nous sommes aussi maires parmi les maires, élus locaux parmi les élus locaux.
Ce qui n’est déjà pas souhaitable pour les députés serait donc inconcevable pour les sénateurs. Le bicamérisme n’est certes pas obligatoire : c’est une organisation constitutionnelle dont on peut débattre. Cependant, il n’a d’intérêt que si l’identité de chaque assemblée et son apport particulier sont respectés.
M. Bruno Retailleau. Bien sûr !
M. Philippe Bas. La différenciation que nous proposons est somme toute assez modeste : inéligibilités et incompatibilités resteront identiques. La seule différence, c'est que le député ne pourra exercer qu’un mandat délibératif local, comme l’Assemblée nationale l’a voulu, alors que le sénateur pourra détenir un mandat exécutif, comme nous souhaitons que le Sénat le décide.
Cette différenciation est justifiée par d’autres spécificités du Sénat, qui ont été rappelées par le président Mézard et sur lesquelles je ne reviens pas.
Monsieur le ministre, pour nous dissuader d’adopter cette solution, on nous dit parfois – comme vous l’avez d’ailleurs vous-même fait, et avec une certaine véhémence ! – qu’une différence supplémentaire, parmi tant d’autres, pourrait à terme conduire à une remise en cause du rôle du Sénat.
Pourtant, cette différence serait circonscrite à la seule possibilité pour les sénateurs d’exercer une fonction exécutive locale, ce qui n’est pas consubstantiel à la définition du statut commun des parlementaires héritée de la tradition républicaine et respecterait la vocation propre du Sénat.
Il y aurait dans cet argument de dissuasion une menace grave et inacceptable pour nos institutions. Comme nous sommes par construction indépendants et libres, nous sommes heureusement insensibles à ce genre de pression. Et nous le sommes d’autant plus que – faut-il le rappeler ? – aucune révision constitutionnelle ne peut se faire sans notre accord !
Avant de conclure, il me faut dire quelques mots de la procédure législative.
Plusieurs de nos collègues l’ont rappelé avec raison, le recours à la procédure accélérée pour un texte qui n’entrera en vigueur qu’à partir de 2017 n’est en rien justifié.
M. Ladislas Poniatowski. C’est incompréhensible !
M. Philippe Bas. Je considère même qu’il s’agit d’un abus de droit.
Le début de l’examen du présent texte s’est déroulé dans des conditions exécrables. Le rapport de M. Sutour a été examiné par la commission de manière improvisée.
Monsieur le ministre, vous nous dites que le Président de la République a annoncé cette réforme pendant sa campagne électorale, que cela fait longtemps que l’on en parle et que les positions des uns et des autres sont déjà connues. Soit ! Mais cela ne vaut pas dispense d’une délibération parlementaire approfondie. Ce type d’argument est très choquant et, pourtant, il ne cesse d’être invoqué, comme si certains pensaient que le Parlement est de trop et que le vote de la loi ne devrait plus être qu’une formalité, aussi vite expédiée qu’un conseil des ministres. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
MM. Alain Gournac et Antoine Lefèvre. Très bien !
M. Philippe Bas. Le recours à la procédure accélérée n’est pas seulement une entrave au plein exercice des droits du Parlement. C’est aussi une manière de faire délibérer le Sénat sous la menace de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale. C’est particulièrement choquant quand un projet concerne les sénateurs en même temps que les députés. Mais, en l’occurrence, ce serait de toute façon en pure perte que le Gouvernement ferait peser la menace, car son texte comporte déjà une disposition organique spécifique aux sénateurs.
Cette dernière concerne le remplacement des sénateurs qui sont élus au scrutin majoritaire et qui abandonneraient leur mandat parlementaire pour une fonction exécutive locale. Vous pourriez renoncer à cette disposition, mais, monsieur le ministre, vous ne le ferez pas : vous auriez trop peur que des élections partielles vous fassent perdre une majorité déjà courte et fragile au Sénat. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)
Mais il y a davantage : plusieurs amendements, dont l’un des nôtres, visent à définir un régime particulier d’incompatibilités pour les sénateurs. Si le Sénat devait voter en faveur de l’un de ces amendements, il va de soi que son adoption priverait le Gouvernement du droit de passer en force avec la complicité de l’Assemblée nationale, car in fine le texte aurait plus sûrement encore le caractère de loi organique relative au Sénat.
L’analyse juridique est simple. Je ne vous l’épargnerai pas, même si vous la connaissez bien, puisque vous y avez-vous-même fait référence : l’article L.O. 297 du code électoral, qui aligne jusqu’à présent l’intégralité du régime des incompatibilités des sénateurs sur celui des députés, ne peut entraîner l’application de nouvelles incompatibilités aux sénateurs par la seule volonté de l’Assemblée nationale,…
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Philippe Bas. … si le Sénat décide le contraire par un vote modifiant cet article de loi organique relative au Sénat.
Sinon, la garantie du quatrième paragraphe de l’article 46 de la Constitution, ultime rempart des droits du Sénat, serait en réalité vidée de toute substance au mépris de la volonté des constituants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Je rappelle les termes de cette disposition constitutionnelle : « Les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. » C'est clair !
La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l’application de cette disposition, quoique restrictive, ne saurait permettre à l’Assemblée nationale non seulement d’empêcher l’application aux sénateurs d’une disposition organique spécifique au Sénat qu’ils auraient adoptée, mais encore de leur imposer dans un même élan une disposition organique générale qu’ils auraient expressément refusée. Ce serait par trop contraire à l’esprit et à la lettre de la Constitution, qui a précisément entendu préserver les droits du Sénat sur toute question de nature organique le concernant spécifiquement.
L’article L.O. 297 du code précité n’est pas un chèque en blanc du Sénat pour l’éternité : il ne peut valoir a priori pour toute modification à venir du régime des incompatibilités. Adopté en 1985 dans sa forme actuelle pour un état donné de ces incompatibilités, il a été maintenu tel quel lors de modifications qui ont toutes été approuvées par le Sénat, sans que jamais le dernier mot ait été donné à l'Assemblée nationale. Ce serait la première fois qu’il permettrait l’application au Sénat de règles que celui-ci aurait rejetées pour lui-même.
Cette réalité juridique s’impose à tous. La portée de l’article 46 de la Constitution est d’ailleurs pleinement reconnue par le Gouvernement lui-même. Monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission des lois le 10 septembre dernier, vous avez tout à fait spontanément, et avec une grande honnêteté intellectuelle, énoncé sans détour et de la manière la plus claire l’interprétation qu’il convient de lui donner, en déclarant qu’un traitement différencié des sénateurs changerait la qualification juridique de la loi organique sur le cumul ; elle serait inévitablement considérée par le Conseil comme une décision relative au Sénat imposant un vote conforme des deux assemblées. Je ne doute pas que ce sera votre ligne de conduite ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – MM. Jacques Mézard et Nicolas Alfonsi applaudissent également.)
Il n’y a donc aucune ambiguïté : le dernier mot ne pourra revenir à l’Assemblée nationale si le Sénat différencie les règles nouvelles applicables aux mandats locaux des sénateurs par rapport à celles qui s’appliqueraient aux députés. Aucune autre lecture de la Constitution n’est recevable.
C’est dire que nous allons délibérer dans le plein exercice de nos prérogatives parlementaires, dans une égalité totale avec l’Assemblée nationale. Si celle-ci devait modifier ou supprimer une disposition de loi organique relative au Sénat que nous aurions adoptée, nous devrions nécessairement nous prononcer de nouveau pour parvenir à une rédaction commune. Et nous le ferions avec cet état d’esprit constructif que j’ai rappelé en commençant cette intervention ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Monsieur le ministre, vous avez dit votre fierté de présenter le présent projet au Parlement. C'est aussi avec fierté, certains de servir notre idéal républicain, que nous nous y opposons !
D’ailleurs, comme toutes les grandes personnalités politiques de notre pays, vous avez su concilier vos mandats de député, de responsable d’un important parti politique et de maire d’une grande ville – d’autres, vous l’avez rappelé, étaient présidents de conseil général. Ni eux ni vous n’exprimiez alors aucune espèce de contrition, ni le moindre remords. Vous ne donniez pas non plus de signe public d’épuisement (Sourires sur les travées de l'UMP.) ; vous manifestiez, au contraire, beaucoup d’enthousiasme pour l’exercice de vos mandats complémentaires, et vos électeurs vous suivaient.
Puissiez-vous aujourd’hui retrouver cet enthousiasme : nous sommes nombreux à le partager dans la passion du service des Français ! (Mmes et MM. les sénateurs de l'UMP se lèvent et applaudissent vivement l’orateur. – Mmes et MM. les sénateurs de l’UDI-UC, ainsi que M. Jacques Mézard, applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – Marques de curiosité amusée sur les travées de l'UMP.)
M. François Rebsamen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique que nous examinons aujourd’hui est le point d’orgue d’une longue succession d’échanges, de débats, de confrontations plus ou moins polémiques, de sondages et d’articles de presse ou de reportages.
La relecture de toutes ces prises de positions, que ce soit celles d’éditorialistes, de responsables politiques, d’élus, de juristes ou de constitutionalistes, montre à l’évidence que l’interdiction de cumuler un mandat de parlementaire avec un mandat exécutif local est, contrairement à ce que l’on dit, loin de faire l’unanimité.
On cite sans cesse des sondages, mais l’opinion publique n’est pas aussi unanime que l’on veut bien le penser : elle est en majorité favorable à une interdiction générale du cumul, sauf si cela doit concerner son sénateur-maire ou son député-maire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.) Mes collègues le savent bien !
Il est donc tout à fait naturel que ces divergences se retrouvent à l’intérieur du groupe socialiste. Vous l’avez d’ailleurs constaté en écoutant le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, dont je salue le travail, et le rapporteur du texte, Simon Sutour, tous deux membres du groupe socialiste. Ils sont favorables à l’interdiction du cumul, mais d’autres membres de mon groupe y sont opposés.
M. Bruno Retailleau. Et pas des moindres !
M. François Rebsamen. Nous en avons débattu sereinement, ce qui rompt avec l’image quelque peu monolithique que l’on donne toujours du groupe socialiste, avec sincérité et dans le respect des arguments et des convictions de chacun. Car le sujet est d’importance, puisqu’il touche au fonctionnement de nos institutions.
Ma conviction est connue : je considère que les sénateurs, élus par des élus à une immense majorité pour les représenter dans l’assemblée des collectivités territoriales de la République – c'est l’article 24 de la Constitution, dont il est inutile de rappeler les termes – doivent pouvoir cumuler un mandat exécutif local et leur mandat de parlementaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. François Zocchetto applaudit également.)
Je n’évoquerai pas ici les députés, dont j’estime que, étant élus au suffrage universel et d’une autre manière que nous, il est logique et normal qu’ils ne puissent pas cumuler. (Sourires sur les travées de l'UMP.)
En revanche, le cumul d’un mandat sénatorial avec un mandat exécutif local est pour moi une évidence. Je ne vois pas comment les grands électeurs, qui sont maires ou membres d’exécutifs locaux dans leur grande majorité, pourraient sereinement confier la mission de représenter les collectivités territoriales à un autre élu que l’un des leurs.
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. François Rebsamen. On peut objecter que la loi autorisera le cumul avec un mandat de simple conseiller municipal, général ou régional. Certes, mais ce n’est pas une fonction exécutive : ce n’est donc pas un mandat qui confère, me semble-t-il, l’expertise permettant aux parlementaires d’améliorer les textes législatifs à l’aune de leur expérience et de leur vécu.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Très bien !
M. François Rebsamen. On peut objecter aussi que le collège électoral des sénateurs confère à ces derniers leur légitimité de représentants des collectivités locales puisqu’il est composé d’élus locaux. C'est vrai, et c'est d’ailleurs la position défendue par le ministre de l’intérieur, que je salue. Mais ce serait mal connaître les maires de penser qu’ils envisageraient d’être représentés par des élus qui pourraient ne pas être, eux-mêmes, maires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
On nous dit également que le non-cumul permettra de revaloriser l’image des parlementaires auprès de l’opinion – vaste débat. Mes chers collègues, si c’était aussi simple…
M. Henri de Raincourt. Bien sûr !
M. François Rebsamen. Par ces temps de populisme et de démagogie, je crois que c’est malheureusement beaucoup plus compliqué !
M. Philippe Bas. Très bien !
M. François Rebsamen. En réalité, quand on interroge vraiment nos citoyens, pour eux, le cumul de mandats, c’est d’abord le cumul des indemnités. (Voilà ! sur les travées de l'UMP.) Il suffirait donc d’interdire ce cumul,…
M. Ladislas Poniatowski. Absolument !
M. Jean-Claude Lenoir. Pas de problème !
M. François Rebsamen. … qui, je le rappelle, est déjà écrêté. À ce propos, je vous signale que je voterai personnellement un amendement allant dans ce sens.
Les Français voient aussi dans le non-cumul une sorte de sanction à l’égard de la classe politique nationale, qu’ils tiennent malheureusement en bien piètre estime, alors que les élus locaux conservent parallèlement leur bonne image auprès d’eux – qu’ils cumulent ou pas, d’ailleurs.
On nous dit enfin que l’absentéisme serait dû au cumul de mandats.
M. Alain Gournac. C'est bien le contraire !
M. François Rebsamen. Comme vous le savez, la réalité dément bien souvent cet argument. Tous les sénateurs, y compris ceux qui cumulent, travaillent. Personne n’en doute.
Si la faculté de cumul est supprimée pour les sénateurs, nous devrons, à n’en pas douter, mener une réflexion institutionnelle sur notre bicamérisme et son évolution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Je ne prétends pas m'inspirer du modèle allemand puisque nous ne nous trouvons pas dans une République fédérale. Mais nous le constatons bien, d'autres possibilités existent pour assurer une représentation des collectivités.
Mes chers collègues, l’interdiction du cumul de mandats figure parmi les engagements pris par le Président de la République. Il est donc logique que le Gouvernement ait présenté un projet de loi organique allant en ce sens au Parlement, qui doit l’examiner.
Les députés ont voté cette interdiction. À titre personnel, je regrette qu’ils se soient autorisés à choisir et pour eux, et pour nous… (Sourires.) C’est maintenant au Sénat qu’il appartient de se déterminer, car le Parlement, dont fait partie la Haute Assemblée, délibère librement. L’avenir dira quelles conséquences aura cette rupture du lien local sur l’architecture de nos institutions.
Je pourrais demander pourquoi s’attaquer uniquement au cumul entre un mandat exécutif local et un mandat parlementaire. Je pourrais demander pourquoi passer sous silence le cumul dans le temps ou le cumul des fonctions. Je pourrais demander pourquoi la mesure proposée fait l’impasse sur un véritable statut de l’élu – malgré le beau travail effectué par Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur au nom de la commission des lois –, qui devrait en être le corollaire. Je pourrais demander en quoi l’absence de « grands élus » affaiblirait le Sénat. Mais ces questions seraient considérées comme des manœuvres dilatoires...
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est ma conviction profonde que j’exprime devant vous en cet instant.
Je pense sincèrement que l’expertise du Sénat, reconnue et appréciée, la sagesse dont il fait preuve lorsqu’il apporte bien souvent des améliorations aux textes législatifs, en quelques mots, son rôle de législateur avisé, seraient affaiblis si, demain, le lien étroit que le cumul confère entre un exercice concret du pouvoir au niveau local et le travail législatif était coupé.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. François Rebsamen. Étant président de groupe, mon temps de parole s'imputera sur celui des autres intervenants de mon groupe. Je ne m'exprime aujourd’hui qu’en septième position et pour la première fois dans le calme, si bien que je m’autoriserai à dépasser quelque peu le laps de temps qui m’était imparti, monsieur le président. (MM. Baylet et Mézard approuvent)
Le bicamérisme ne se définit pas comme les pouvoirs des assemblées, mais comme leurs pouvoirs respectifs au sein du Parlement.
Je considère donc, pour ma part, qu’une telle disposition organique, si elle était adoptée en l’état par le Sénat, l’affaiblirait de facto par rapport à l’Assemblée nationale. Et cela, je ne le souhaite pas. (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe socialiste, sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles de l'UDI-UC et de l'UMP, où fusent des « Bravos ! »)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président de mon groupe vient de le rappeler à l'instant, limiter le cumul – l'« accumulation » serais-je tentée de dire – des mandats était un engagement de campagne du Président de la République. Que cet engagement se traduise en un projet de loi soumis au Parlement n’a rien d’une surprise.
Il était de toute façon nécessaire de légiférer sur le sujet et de nettoyer des tiroirs sans doute un peu trop poussiéreux. J’en veux pour preuve certains textes élaborés par la Haute Assemblée qui ne sont pas allés au bout de leur parcours législatif.
Le débat est passionné. Tant mieux ! La démocratie démontre ainsi toute sa vitalité. D’ailleurs une démocratie dans laquelle les décisions ne font pas l'objet de débats et sont votées à l'unanimité s'appelle plutôt une dictature…
En qualité de chef de file de mon groupe, je suis respectueuse de toutes les positions qui ont été exprimées, sans esprit dogmatique ni jugement péjoratif. Pas plus que je n’accuserai un non-cumulard – comme j’ai pu l'entendre ici et là dans les couloirs – de n’être qu’un candidat ayant perdu ou n’ayant pas gagné un autre mandat que celui qu’il détient, je n’affirmerai pas que les partisans d'un maintien argumenté d'une certaine forme de cumul sont crispés sur le passé.
À quelques exceptions près, tous et toutes nous partageons la volonté de rénover le Parlement et ses deux chambres caractérisées par leurs spécificités : le Sénat représentant des territoires et des collectivités territoriales, l’Assemblée nationale représentant les citoyens.
Quelques idées, du moins dans mon groupe, font consensus.
Tout d’abord, à la limitation du cumul des mandats est fortement associée l’interdiction du cumul des indemnités. Oui, sans doute faut-il interdire ce dernier et redonner à l'indemnité parlementaire sa réelle vocation : permettre à son bénéficiaire de vivre de façon autonome et indépendante, sans être soumis à des pressions, et non de s'enrichir à titre personnel, en accumulant diverses indemnités et en « gratouillant » partout afin d’en récupérer le plus possible.
Ensuite, un premier pas est fait vers l’intégration – ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent – des mandats locaux exercés au nom d'une intercommunalité, reconnus comme des mandats locaux à part entière puisque leurs détenteurs sont soumis à l'interdiction du cumul avec les mandats parlementaires.
Par ailleurs, la volonté apparaît de préserver la spécificité de la représentation des territoires par le Sénat, mais les moyens pour y parvenir ne sont pas toujours partagés.
Enfin, la volonté d'améliorer la qualité du travail du Sénat, d'éviter des conflits d'intérêts et, peut-être, une gestion trop prégnante des dossiers locaux à l’échelon national sont des idées largement défendues au sein de mon groupe. Là encore, les moyens pour y parvenir ne sont pas forcément partagés.
J’en arrive à un sujet, déjà largement évoqué à cette tribune, qui suscite des vives craintes et des débats : la perte du lien avec le terrain. Ce lien devrait-il se réduire à celui qui se noue lors des comices agricoles ou des inaugurations ? Ce n’est pas au cours de telles manifestations que l'on apprend le plus sur les difficultés rencontrées par les collectivités, sur les conséquences de l'application des lois que nous votons dans cet hémicycle ou de l’exercice de nouvelles compétences, etc.
Une incompréhension et une inquiétude demeurent : pourquoi placer sur un pied d’égalité les fonctions de conseiller municipal, régional, général et, demain, départemental ? Ce serait méconnaître les différences qui existent entre mandat local et mandat national. Un mandat de conseiller général n’a pas grand-chose à voir avec un mandat de conseiller municipal, qu’il s'agisse d'une commune de 100 000 habitants ou de 250 habitants.
Une autre question soulève de grands débats : le non-cumul des mandats, tel qu’il nous est proposé, règlera-t-il vraiment le problème de l'absentéisme ?
Mme Françoise Laborde. Ah ça…
Mme Virginie Klès. Au contraire, les sénateurs qui ne seront plus membres d’un exécutif local ne souffriront-ils pas d'un déficit d'image, si bien que, pour le combler, ils seront obligés d'être encore plus présents sur le terrain ?
M. Yves Daudigny. Excellente question !
Mme Virginie Klès. Par ailleurs, voici ce qui aurait pu être fait en amont de la présentation de ce texte, et qui aurait sans doute été de nature à apaiser le débat : s'attaquer aussi au problème de l'accumulation des mandats locaux. Ces cumuls horizontaux heurtent peut-être davantage les parlementaires que nous sommes que les citoyens, qui en voient moins les conséquences.
Il aurait également convenu d'anticiper plus en amont les conséquences du présent projet de loi organique et de réaliser, peut-être, une étude d'impact : l'interdiction de cumuler un mandat de maire d'une commune – quelle que soit sa taille – avec un mandat de parlementaire ne conduira-t-elle pas ces élus locaux à opter pour des mandats de conseiller général et régional, inversant l'équilibre de la représentation des territoires au sein de notre Haute Assemblée ? N’aurait-on pu apaiser ainsi un certain nombre des craintes qui ont été exprimées sur la mort programmée du Sénat ?
En tout état de cause, que le texte finalement adopté soit celui qui a été voté par l’Assemblée nationale, celui qui sera voté par le Sénat ou encore un texte de consensus, il faudra en suivre les évolutions. La féminisation des fonctions, dont nous avons parlé hier dans cette enceinte lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes – je constate que les hommes étaient d’ailleurs beaucoup moins nombreux – évoluera-t-elle positivement ? Qu’en sera-t-il de l'absentéisme ? La qualité du travail s'améliorera-t-elle ? Surtout, les relations entre le Sénat et l’Assemblée nationale se caractériseront-elles par un dialogue renouvelé qui contribuera à une véritable modernisation du Parlement ?
Tous les membres de mon groupe n’ont pas encore arrêté leur position ; leur vote dépendra de l'évolution du texte. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la crise économique que nous traversons depuis plusieurs années, s’ajoute une crise de la démocratie représentative sans précédent.
Le sentiment de défiance des citoyens envers leurs élus n’a jamais été aussi prégnant. Et n’oublions pas un sentiment d’éloignement, voire d’abandon. Ce rejet s’accompagne d’une profonde interrogation sur l’efficacité de nos institutions et sur notre rôle de parlementaire.
Pour contrer ce ressentiment, il nous faut répondre aux aspirations légitimes de nos concitoyens à plus de transparence, de représentativité et d’égalité.
Tout d’abord, je peux l’affirmer sans me tromper, nos assemblées sont loin de ressembler à la société qu’elles représentent ; plus grave encore, nous apprenons que 80 % des Français estiment que nous formons une caste qui s’arc-boute sur ses privilèges.
Le présent projet de loi organique donnera un souffle nouveau à notre démocratie en permettant, n’en doutons pas, l’entrée dans notre hémicycle d’un plus grand nombre de femmes, encore trop largement minoritaires, de jeunes, d’ouvriers, d’employés ou de Français issus de l’immigration, ces dernières catégories de personnes en étant magistralement absentes …
Mme Corinne Bouchoux. Très bien !
Mme Mireille Schurch. À cet égard, et ce fait est reconnu par tous aujourd’hui, la loi sur la parité est très bénéfique là où elle s’applique. Pourtant, que n’a-t-on pas entendu lors de son examen ! Je constate que nous avons ici une bonne marge de progression.
Le présent projet de loi organique conduira à diversifier la classe politique : est-ce cela qui inquiète ? Je pense au contraire que la diversité des parcours passés, personnels, professionnels ou électifs des uns et des autres enrichira nos débats, apportera des idées neuves. Pour les sénateurs de mon groupe, la démocratie implique non un super-professionnalisme des élus, mais une hétérogénéité d’expériences qui fonde leur légitimité et leur force. Sans cela, c’est la démocratie que l’on continue de blesser, au mépris du peuple souverain.
Doit-on considérer qu’un parlementaire n’exerçant pas de mandat exécutif local serait moins bon qu’un autre qui ne se dédie qu’à sa mission législative nationale ? C’est un propos que l’on entend depuis le début de l’après-midi. Ce serait faire insulte à certains de nos éminents collègues, puisque 23 % des sénateurs n’exercent pas d’autre mandat et 40 % aucune fonction exécutive locale.
Pourquoi les parlementaires seraient-ils déconnectés des réalités locales ? Ils ont déjà acquis une bonne connaissance du terrain avant d’accéder à un mandat national. Cette expérience nécessaire d’élu local ne peut, bien évidemment, être contestée pour les sénateurs.
Toutefois, selon le principe de subsidiarité, point n’est besoin d’un mandat national pour répondre aux problématiques du terrain : l’école, les services publics, les infrastructures, le développement économique, les réseaux. En effet, et nous le savons bien, deux autorités de niveaux différents n’ont pas à prendre en considération les mêmes problèmes. Ainsi, les questions de politique nationale ne sont pas de la compétence des collectivités locales.
Si nous devenons tous des élus nationaux sans mandat exécutif local, nous allons en effet devoir réfléchir aux moyens de mieux affirmer notre présence dans nos départements et mieux relayer notre travail parlementaire.
Mme Hélène Lipietz. Voilà !
Mme Mireille Schurch. Nous pourrons également réfléchir à la création de passerelles nouvelles, par exemple avec le Conseil économique, social et environnemental, dont la fonction a évolué et qui se prononce de plus en plus sur les sujets qui intéressent les parlementaires.
Nos concitoyens, mais aussi le monde syndical, associatif, économique, les élus locaux attendent de notre part plus de proximité et d’échanges. Ce texte organique ouvrira des pistes nouvelles de réflexion qui conduiront, j’en suis sûre, à revaloriser le rôle du parlementaire. Nul motif d’inquiétude pour nous.
Nous devons aussi répondre à l’aspiration à plus d’égalité de nos concitoyens. Pour les sénateurs de mon groupe, faire le choix du cumul des mandats, c’est maintenir un système profondément inégalitaire.
En effet, les maires de villes comparables n’ont pas le même pouvoir ni, d'ailleurs, les mêmes moyens selon qu’ils sont ou non parlementaires. En outre, cette inégalité se constate sur un autre terrain : celui de la représentation égale des citoyens. Par le biais du cumul des mandats, certains citoyens sont mieux représentés que d’autres. Or nous sommes élus pour participer à la détermination de la politique nationale, à la formation de la volonté générale, et non pour nous transformer en « VRP » de tel ou tel territoire.
Mme Corinne Bouchoux. Bravo !
Mme Mireille Schurch. À cet égard, le débat sur l’acte III de la décentralisation a illustré de façon bien regrettable cette logique poussée à l’extrême : les territoires étaient mis en concurrence, chacun défendait sa ville, sa métropole, le regard national a été biaisé par la confusion des genres.
Mme Hélène Lipietz. Tout à fait !
Mme Mireille Schurch. Répondre à cette exigence forte de rénovation de la démocratie implique également que les parlementaires aient du temps pour s’occuper de la chose publique.
Notre mission première, voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement et, aujourd’hui, évaluer les politiques publiques, requiert du temps.
Les sujets dont nous avons à connaître sont variés, complexes et techniques ; ils sont le reflet non seulement de notre société, mais aussi de la multiplication des sources du droit, qu’elles soient européennes, voire internationales, ou encore d’autres contraintes dans lesquelles notre action est enserrée.
Alors que notre société est celle de la vitesse, que le temps se monnaye, nous devons prendre la mesure de la chance qui nous sera offerte par le présent projet de loi organique. Les hommes et les femmes politiques ont besoin de leur temps, de tout leur temps !
Cette remarque vaut aussi pour les élus locaux. En effet, les lois successives de décentralisation ont changé la morphologie de notre pays et les missions de ces élus. Le mandat local exige des arbitrages constants et une présence à plein temps. L’exercice de mandats locaux, tels qu’ils existent aujourd’hui, ne laisse que peu de temps aux parlementaires qui les détiennent.
Cette question du temps n’est pas anodine, car c’est seulement en ayant du temps à disposition que les parlementaires pourront faire du Parlement un véritable pouvoir au sens où l’entendait Montesquieu : un pouvoir qui arrête le pouvoir, un pouvoir qui éclaire et conseille les autres pouvoirs.
Ce projet de loi organique traduit selon nous le renouveau dont le Parlement et la classe politique tout entière ont besoin. C’est aussi la condition du contrat social.
Si nous comprenons les inquiétudes des uns, car ce texte aura un impact dès les prochaines élections municipales, aucune fausse bonne raison n’est aujourd’hui acceptable, aucune fausse bonne raison ne serait comprise par nos concitoyens. La pétition contre le cumul de mandats qui circule depuis le rejet de ce texte par la commission des lois a déjà recueilli plus de 100 000 signatures !
Il s’agit non pas de convaincre, mais de faire preuve de volonté et de courage. Selon nous, aucune hésitation n’est permise. La mise en application de ce projet de loi organique constitue l’opportunité de repenser notre action tant ici au Sénat que dans nos départements, de privilégier le travail en équipe et en réseau. Nous gagnerons en efficacité et en lisibilité ; le travail parlementaire, j’en suis sûre, en sortira grandi.
Cet acte politique majeur est, je le souhaite, la première étape indispensable pour redonner du sens à notre démocratie, du sens et de la noblesse au politique, et pour restaurer la confiance de nos concitoyens.
Bien sûr, il appelle d’autres dispositions, que vous aurez sans doute à cœur de nous présenter, monsieur le ministre, telles que la limitation du cumul des mandats dans le temps, le statut de l’élu, l’interdiction de cumuler des indemnités – tout cela a été dit. Mais il est attendu par nos concitoyens, et nous leur devons une réponse claire et unanime, tant le climat politique devient délétère. L’inverse aurait un effet dévastateur.
C’est pourquoi, après un débat que nous souhaitons fructueux et respectueux dans notre hémicycle, comme nous en avons l’habitude, nous appelons de nos vœux l’adoption de ce texte. Le groupe communiste républicain et citoyen votera unanimement en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord regretter que le texte qui nous est présenté soit examiné, une fois de plus, après engagement de la procédure accélérée, tant décriée par la gauche lorsqu’elle était dans l’opposition et qui, aujourd'hui, l’accepte sans broncher. Peut-être la gauche s’habitue-t-elle à ces méthodes, le recours à cette procédure étant désormais quasi permanent…
En l’espèce, je m’étonne toutefois d’une telle pratique dans la mesure où il n’y a aucune urgence dans les faits. En effet, au mépris, d’ailleurs, des engagements du Président de la République et du Premier ministre, vous avez décidé, monsieur le ministre, de n’appliquer le texte qui nous est soumis qu’en 2017, c'est-à-dire dans quatre ans. Vous l’avouerez, c’est pour le moins curieux ! Vos prédécesseurs confrontés au problème du cumul des mandats, pourtant socialistes, avaient eu plus d’égards envers le Sénat puisque les textes examinés en 1985 et en 2000 avaient fait l’objet respectivement de deux et de trois lectures
En réalité, et vous l’avez clairement dit dans votre propos, vous voulez une fois de plus écourter le débat et donner au plus vite le dernier mot à l’Assemblée nationale, sans vous soucier du point de vue du Sénat. Une fois de plus, le Gouvernement témoigne de son mépris pour la Haute Assemblée, dans la droite ligne des propos de Lionel Jospin, pour qui le Sénat est une « anomalie démocratique ».
Monsieur le président du Sénat, vous êtes le garant des prérogatives de la Haute Assemblée. Je m’étonne que vous tolériez cela, vous qui déclariez, lors de votre élection, votre volonté « que notre assemblée soit confortée dans ses prérogatives, restaurée dans son rôle de représentant des élus locaux et des territoires, rénovée dans son mode de fonctionnement ».
M. Yves Détraigne. Très bien !
M. Hervé Maurey. Les amitiés politiques ne doivent pas vous conduire à laisser ainsi piétiner notre institution !
Sur le fond, le présent projet de loi organique a au moins un avantage : il va conduire les socialistes à mettre en 2017 leurs actes en conformité avec l’engagement pris huit ans plus tôt, en 2009, selon lequel tout élu à une élection parlementaire abandonnera ses mandats exécutifs locaux dans les trois mois. Cet engagement, pourtant rappelé par Mme Aubry, n’a pas, semble-t-il, été entendu si j’en crois le palmarès établi par le magazine L’Express, qui atteste que les plus grands cumulards sont à gauche ! Je n’oublie pas non plus la situation de certains collègues qui siègent sur la gauche de cet hémicycle…
Le parti socialiste nous demande donc de légiférer pour que ses élus respectent leurs engagements, soit ! Mais vous conviendrez que c’est un peu court.
Alors, pour justifier cette réforme, vous nous indiquez, monsieur le ministre, qu’il s’agit de tirer les conséquences de la décentralisation. Mais si tel était vraiment le cas, vous proposeriez la mise en place, tant attendue, d’un statut de l’élu local, qui est dans la droite ligne de la décentralisation ! Et vous ne baisseriez pas les dotations des collectivités locales pour la première fois de notre histoire ! Vous n’imposeriez pas sans aucune concertation une réforme des rythmes scolaires qui leur pose de graves problèmes en termes de financement et d’organisation ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Oui, je comprends que cette remarque vous gêne ! Vous n’imposeriez pas sans arrêt de nouvelles normes aux collectivités. Bref, cet argument ne tient pas !
Toujours selon vous, monsieur le ministre, le texte serait également destiné à renforcer les droits du Parlement. Il est vrai que ceux-ci en ont bien besoin, et la manière dont vous nous traitez aujourd'hui encore en témoigne. Nous sommes bien loin des engagements du Président de la République sur ce sujet. Toutefois, ce que vous proposez ne renforcera en rien les droits du Parlement, pas plus d’ailleurs qu’il ne permettra le renouvellement de la classe politique – j’y reviendrai tout à l’heure.
Enfin, vous nous expliquez que le présent texte organique répond aux attentes de nos concitoyens. Je crois qu’aujourd’hui les Françaises et les Français ont malheureusement d’autres attentes…
M. Hervé Maurey. Le chômage devait baisser en 2013, les augmentations d’impôt ne devaient toucher que les riches ; vous vous faisiez fort de rétablir la sécurité. Certes, il est plus difficile de répondre à ces préoccupations qu’à la prétendue volonté de nos concitoyens de lutter contre le cumul.
M. Michel Vergoz. Arrêtez la polémique !
M. Hervé Maurey. Le texte que vous nous présentez est donc, avant tout, destiné à répondre au populisme et à l’antiparlementarisme ambiants et, par là même, à les encourager.
L’opinion publique est opposée au cumul, alors, supprimons le cumul : cela s’appelle ni plus ni moins de la démagogie !
Ce qu’attendent nos concitoyens, c’est non pas la suppression du cumul des mandats, mais la modernisation de la vie politique, ce qui n’est pas la même chose. Or votre texte ne permettra pas cette modernisation, car il n’aborde que la question du cumul, c’est-à-dire la partie émergée de l’iceberg.
En réalité, vous nous proposez un texte qui réussit à être à la fois insuffisant dans son étendue et, sans doute pour tenter de compenser cette insuffisance, excessif dans sa portée.
Je voudrais le rappeler, pour ce qui me concerne, je suis favorable à ce que l’on aille plus loin dans la limite du cumul et que l’on clarifie les règles existantes. Il n’est pas normal que les présidences d’EPCI ne soient pas concernées par l’interdiction de cumul, alors que les fonctions de conseiller municipal de communes de plus de 3 500 habitants le sont.
Je vous rappelle que j’avais déposé un amendement en ce sens lors de l’examen de la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010. L’interdiction avait été adoptée pour les EPCI de plus de 30 000 habitants. C’était un premier pas qui, malheureusement, n’a pas franchi le barrage de l’Assemblée nationale. Je ne me souviens pas, d’ailleurs, avoir été beaucoup soutenu à l’époque par mes collègues siégeant sur les travées situées sur la gauche de cet hémicycle …
Je suis donc favorable à un renforcement des textes existants, mais pas à une interdiction totale de tout cumul, comme vous le proposez.
Franchement, qui peut considérer que l’on ne peut pas être parlementaire et adjoint au maire d’une commune de 150 habitants ou vice-président d’un syndicat scolaire gérant une école primaire en milieu rural ? Personne !
Et si tel était le cas, si la fonction parlementaire exige un engagement à plein temps, pourquoi alors avoir permis dans le récent texte relatif à la transparence de la vie publique qu’elle puisse être cumulée avec une activité professionnelle ? Pourquoi pourrait-on être parlementaire et avocat et non parlementaire et élu local ? Cela montre bien, monsieur le ministre, à quel point vous êtes dans l’excès et dans la démagogie !
Dans le même temps, ce texte apparaît tout à fait insuffisant. Pourquoi le non-cumul ne concerne-t-il pas les grands élus locaux ? Pourquoi un parlementaire ne pourrait-il pas être adjoint au maire d’une petite commune quand un maire de grande ville pourra continuer à présider l’agglomération, à être vice-président du conseil général ou à présider divers syndicats ?
Je vous signale que dans le département dont je suis élu j’arrive, selon le classement d’un magazine national, loin derrière le maire du chef-lieu qui n’est pourtant pas parlementaire !
Votre projet est également insuffisant parce que si l’on veut moderniser la vie publique et renouveler la classe politique – ce que vous prétendez vouloir faire –, il faut limiter le nombre de mandats dans le temps, comme l’avait d’ailleurs décidé la commission des lois de l’Assemblée nationale. Cette disposition permettrait un véritable renouvellement de la classe politique.
À cet égard, l’exercice successif de trois mandats parlementaires me semble suffisant et c’est ce que propose le groupe UDI-UC.
Il faut également, comme c’est le cas dans les grandes démocraties, que les hauts fonctionnaires élus au Parlement démissionnent de la fonction publique.
M. Gérard Cornu. Tout à fait !
M. Hervé Maurey. Le projet de loi organique est encore insuffisant, car si l’on veut que les parlementaires ne soient que parlementaires, ils n’ont pas besoin d’être si nombreux. Si vous voulez renforcer le rôle du Parlement, il faut que les parlementaires disposent de plus de moyens pour travailler, vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre, et pour contrôler le Gouvernement. Cela n’est possible, vous le savez, que si l’on réduit leur nombre.
Enfin, ce texte est dangereux pour notre institution. Je vous rappelle que, en application de l’article 24 de la Constitution, le Sénat représente les collectivités locales. Comment pourrons-nous représenter les collectivités locales si, demain, aucun d’entre nous ne participe plus à un exécutif, même d’une petite commune ?
Vous me rétorquerez que l’on pourra toujours être conseiller municipal, mais vous savez très bien qu’un conseiller municipal demeure très éloigné de la gestion de la commune dont il est élu. Sur ce point, je partage tout à fait le point de vue du président du groupe socialiste.
J’ajoute, ce qui est rarement évoqué, qu’un sénateur, s’il n’est pas en charge d’un exécutif, contrairement à un député, est peu en contact avec les citoyens. Il l’est avec les élus, certes, mais pas avec les citoyens. Or si je connais les problèmes de mes concitoyens, …
Mme Hélène Lipietz. Parce que vous croyez les connaître ?
M. Hervé Maurey. … leurs difficultés en matière de logement, d’emploi, ou encore leurs difficultés de fin de mois, c’est parce que je suis maire ! Le jour où nous n’exercerons plus ces fonctions, nous serons totalement déconnectés des préoccupations de nos concitoyens et, par là même, des réalités du pays.
Mme Hélène Lipietz. N’importe quoi !
M. Hervé Maurey. Des sénateurs qui ne connaissent plus la réalité des collectivités locales dont ils ont en charge la représentation ; des sénateurs qui ne connaissent plus la réalité du pays et de leurs concitoyens, alors qu’ils doivent légiférer ; des sénateurs beaucoup moins présents sur le terrain, puisque vous avez obtenu que 75 % d’entre eux soient désormais élus au scrutin proportionnel et doivent ainsi plus leur élection aux partis politiques qu’aux grands électeurs : on le constate, le texte qui nous est proposé affaiblirait gravement notre institution.
M. Jean-Claude Lenoir. Ce que Lionel Jospin n’a pas réussi à faire !
M. Hervé Maurey. C’est peut-être d’ailleurs ce que vous voulez, monsieur le ministre… Tel est peut-être l’objectif inavoué de votre réforme. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Comment ne pas remarquer que ce gouvernement n’aime pas le Sénat ? Comment ne pas remarquer qu’il veut créer un Haut Conseil des territoires qui risque de porter atteinte aux prérogatives du Sénat ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Monsieur le ministre, le Sénat est, je crois, coupable aux yeux du Gouvernement d’être le dernier bastion de défense de la ruralité et des territoires. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Vous avez réduit le poids des élus ruraux dans les assemblées départementales après que l’on a réduit leur poids dans les communautés de communes et d’agglomération. Vous avez réduit le rôle des élus ruraux dans le collège sénatorial. C’est à présent au rôle du Sénat en tant que représentant des collectivités locales que vous vous attaquez.
Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC, résolument ouvert à de réelles évolutions sur le sujet et à une véritable modernisation de la vie publique, ne votera pas le projet de loi organique en l’état. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout ou presque a été dit sur le cumul des mandats. Dans le peu de temps dont je dispose, permettez-moi d’aborder cette question sous un angle parfois occulté.
Abdelmalek Sayad, le grand sociologue trop tôt disparu, a écrit : « Exister, c’est exister politiquement ».
M. Henri de Raincourt. C’est rassurant ! (Sourires.)
Mme Esther Benbassa. La question est donc posée : nos instances politiques, en n’étant pas représentatives de l’ensemble de la population française, n’en condamnent-elles pas certaines catégories à une forme d’inexistence ? Femmes, jeunes, ouvriers, chefs d’entreprise, cadres, personnes issues de l’immigration, ultramarins s’y retrouvent-ils à proportion de leur présence réelle dans la société? Certes, non.
Rien d’étonnant à cela. Comme le rappelait le philosophe et économiste Cornelius Castoriadis, « dès qu’il y a des représentants permanents, l’autorité, l’activité et l’initiative politiques sont enlevées du corps des citoyens pour être remises au corps restreint des "représentants" qui en usent de manière à consolider leur position et à créer des conditions susceptibles d’infléchir, de bien de façons, l’issue des prochaines "élections"».
Le cumul des mandats, ça sert à cela aussi, et donc à limiter la fluidité de la circulation du personnel politique, son rajeunissement, sa féminisation, sa diversification. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme Hélène Lipietz. Tout à fait !
Mme Esther Benbassa. Si le texte débattu aujourd’hui est adopté, le renouvellement sociologique espéré des élus aura-t-il lieu ? Ce n’est même pas sûr !
La loi sur la parité entre les hommes et les femmes fournit un précédent très modérément encourageant. Elle a eu quelques bons effets, certes, mais le vivier de recrutement des femmes élues est resté le même – anciennes collaboratrices devenues députées –, impliquant une surreprésentation de certains profils sociologiques ; globalement, les mêmes que ceux des hommes : blancs, plus de cinquante ans, de milieu aisé, éduqués…. Dans ces conditions, je peine à imaginer ce qu’il en ira demain – pour m’en tenir à ce seul aspect des choses – de la représentation de la diversité.
« Diversité », doux terme consensuel, héritage des années 2000. Est-il bien compatible avec notre universalisme républicain, selon lequel l’égalité se réalise en faisant abstraction, justement, des différences de naissance entre les individus ? Toute revendication portée au nom d’un groupe n’est-elle pas, chez nous, a priori illégitime ?
Le « clientélisme électoral », quant à lui, perdure, ciblant qui les Juifs, qui les musulmans, qui les Arméniens, qui les Asiatiques, voire toutes ces populations, et ce alors même qu’il est difficile de mesurer l’impact réel du vote ethnique sur le résultat d’une élection.
« Diversité », contorsion rhétorique éloignant de nous le spectre du fameux communautarisme, nous évitant surtout d’appeler un chat un chat et rendant d’un coup invisibles ces minorités que l’on appelle pourtant « visibles ».
Les chiffres parlent. Nous avons bien noté une légère percée au Parlement. Les personnes issues de la diversité n’y représentaient que 1 % des élus jusqu’aux dernières élections. Pas de véritable bond, pourtant, ne doit être noté. À l’Assemblée nationale, l’avancée est modeste : une petite dizaine en tout, hors outremers. Au Sénat, la situation n’est guère plus glorieuse : nous nous comptons sur les doigts d’une seule main...
Redescendons sur terre : seulement 2,2 % des 9 737 candidats se présentant aux dernières élections cantonales en métropole étaient issus des minorités visibles, alors que les personnes d’origine maghrébine, turque, africaine ou asiatique représentent 8 % à 10 % de la population française ! Le déséquilibre est patent, plus à l’UMP qu’au parti socialiste, il faut l’avouer. Quelle frilosité !
Quels sont les arguments avancés pour la justifier ? La peur de faire le jeu du Front national ou la crainte que, une fois élus, ces gens-là ne défendent d’abord les intérêts de leur communauté d’origine. Est-ce bien vrai ? Dès 2008, 57 % des Français estimaient qu’il n’y avait pas assez de personnes appartenant à une « minorité visible » parmi les parlementaires et 85 % d’entre eux se disaient prêts à voter pour un candidat issu d’une telle minorité.
Ce contexte a-t-il changé depuis ? Peut-être. Ce sont plutôt les partis politiques qui ne changent pas. Oubliées, les interventions du parti socialiste de 2005 au congrès du Mans, soulignant que « les élus de la République sont loin de correspondre à la diversité de la société française » !
M. Gérard Cornu. Au moins, nous n’étions pas là ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Esther Benbassa. Il y en aura pour tout le monde, mon cher collègue !
Effacées, les trente-cinq propositions pour une diversité en mouvement émises par l’UMP en 2007, et la volonté affichée de promouvoir des candidats de la diversité ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Cornu. Votre temps de parole est épuisé !
Mme Esther Benbassa. Dès 2009, le sociologue Éric Keslassy, dans son rapport pour l’Institut Montaigne, institut de droite,…
M. Éric Doligé. Qu’en savez-vous ?
Mme Esther Benbassa. … suggérait, entre autres, pour remédier à cette situation…
M. Gérard Cornu. C’est fini !
Mme Esther Benbassa. … la suppression du cumul des mandats, à défaut, bien sûr, d’une transposition des dispositions déjà prises dans le domaine de la parité à la représentation de la diversité dans le paysage politique.
En résumé, je voterai pour l’interdiction du cumul, non seulement parce que le groupe EELV le préconise depuis fort longtemps, mais aussi en vertu d’une conviction personnelle profonde et dans l’espoir, même ténu, que ce texte donnera un petit coup de pouce au renouvellement de notre représentation politique.
Encore faudra-t-il, d’une part, un peu plus de transparence et de volontarisme au sein des partis politiques lors des désignations et dans les jeux des réseaux et, d’autre part, l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Il faudra encore – et surtout – un changement des mentalités des politiciens et l’élaboration d’un statut de l’élu. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de saluer les propos tenus à la fois par notre collègue Philippe Bas, dont je loue la rigueur et la clarté de la démonstration juridique, par le président Zocchetto, qui a parfaitement décrit les conditions d’examen du texte et ses conséquences, et par le président Mézard, qui a su exprimer très haut l’attachement d’une très large majorité du Sénat, par-delà les clivages politiques, à un équilibre législatif et institutionnel, fondement même de la Ve République.
Je voudrais aborder la question qui nous est soumise sous l’angle du bon fonctionnement de nos institutions, car, au fond, c’est cela qui compte.
M. Bruno Retailleau. Absolument !
M. Gérard Larcher. Avant d’atteindre notre hémicycle, les débats politiques et médiatiques ne m’ont pas semblé avoir toujours été à la hauteur des enjeux, mélangeant populisme, amalgames et stigmatisations. Monsieur le ministre, j’ai éprouvé une certaine peine en vous entendant parler de votre respect pour le débat que nous allions avoir ces jours-ci, au Sénat.
À l’écoute de ces différents points de vue, nous aurions pu finir par oublier de nous poser les vraies questions. Selon moi, deux sont essentielles. Tout d’abord, le non-cumul d’un mandat parlementaire et d’une fonction élective locale améliorera-t-il l’exercice de l’un et de l’autre de ces mandats ? Ensuite, quelles conséquences pourrait avoir le non-cumul des mandats sur le fonctionnement des institutions, notamment de la Haute Assemblée ?
Monsieur le ministre, je prends acte de vos propos liminaires. Je constate également que la stigmatisation des élus et la flatterie des penchants antiparlementaires d’une certaine opinion publique ont accompagné ce débat. J’ai horreur du mot « cumulard », qui rime avec « charognard » !
M. Jacques Mézard. Moi aussi !
M. Gérard Larcher. Cette présentation, elle est indigne, et je me permets de le répéter ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Éric Doligé. Absolument !
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Gérard Larcher. J’ai vu des classements baroques, dans lesquels on mélange tout : mandat, fonction, indemnité.
M. Bruno Retailleau. Et on se trompe !
M. Gérard Larcher. On peut légitimement s’interroger sur ce point, quand on passe au crible de l’analyse les arguments affichés pour justifier la réforme.
Au fond, qui, parmi nous, est réellement convaincu qu’un tel interdit va permettre d’améliorer le travail des élus, les obligeant à se consacrer à un mandat unique ? J’ai pu le constater pendant des années en tant que vice-président et président du Sénat, mais aussi en tant que président de commission, les plus assidus au Parlement sont souvent ceux qui ont de vraies responsabilités locales. (M. Jean-Claude Lenoir applaudit.)
M. Christian Cambon. Eh oui !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai !
M. Gérard Larcher. Voilà qui fait vaciller l’argumentation !
La vraie question, mes chers collègues, est celle dont nous avions débattu à l’époque avec Henri de Raincourt : le problème ne vient-il pas de l’accumulation des textes que nous devons examiner et de l’organisation même de nos débats, en commission comme en séance, qui, souvent, ont peu d’intérêt, parce que nous n’allons pas à l’essentiel ?
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Si !
M. Bruno Retailleau. Il y a trop de lois !
M. Gérard Larcher. Voilà la vraie question à se poser, quand on parle de présentéisme !
À cet égard, pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas conduit une réflexion sur le cumul des fonctions, dont on sait qu’elles peuvent parfois être plus chronophages que des mandats ?
M. Yves Détraigne. Eh oui !
M. Gérard Larcher. Pourquoi, au fond, ne pas interdire toute activité professionnelle aux parlementaires ?
M. Bruno Retailleau. Bien sûr !
M. Gérard Larcher. C’était, d’ailleurs, l’une des conclusions du rapport Jospin. Cette proposition est révélatrice de la conception de l’élu qui inspire le projet de loi organique. Ce texte, au fond, nous annonce des spécialistes de la représentation quadrillée, des bureaucrates du mandat, dont les partis, bien plus que les électeurs, guideraient les pas. (M. Bruno Retailleau applaudit.)
Plus immédiatement, en fragilisant la force politique que procure l’exercice simultané d’un mandat exécutif local et d’un mandat parlementaire, ce texte va contribuer à écarter encore plus de la vie publique ceux qui ne bénéficient pas de la protection d’un emploi garanti, comme les fonctionnaires ou assimilés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Cornu. Très bien !
M. Gérard Larcher. Contrairement à ce que disait Mme Benbassa, qui a malheureusement quitté l’hémicycle, ce n’est pas comme cela que l’on va construire la diversité.
Les fonctionnaires ou assimilés, qui constituent un quart de la population active, représentent 55 % des députés !
Travailler à la diversité, c’est permettre à des ouvriers, à des chefs d’entreprise, à des fonctionnaires, à toutes les professions, en somme, d’être présents dans nos assemblées…
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. Gérard Larcher. … car nous représentons les territoires et la Nation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
En outre, au-delà de ses vices de conception, la réforme proposée entraînera un effet majeur, qui ne me paraît pas pouvoir être accepté. Je sais, monsieur le ministre, que vous avez dit le contraire, mais l’adoption de ce texte créera des députés et des sénateurs qui, progressivement, deviendront des parlementaires « hors-sol ».
M. Antoine Lefèvre. Il y en a déjà !
M. Gérard Larcher. De fait, l’équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif sera déplacé.
Ne nous leurrons donc pas ! Le projet de loi organique annonce une perte vertigineuse d’influence de nos territoires sur les décisions nationales.
En dépit de la proclamation constitutionnelle, notre République « décentralisée » reste centralisée et, pour moi, c’est positif. L’interdiction concrète d’être parlementaire faite aux maires, aux maires adjoints, aux présidents et aux vice-présidents de conseil général ou régional, aux présidents et aux vice-présidents de syndicats intercommunaux à vocation unique que décrivait Hervé Maurey et qui font partie de la vie quotidienne de notre territoire, va entraver leur capacité à se faire entendre, à faire émerger les dossiers locaux les plus prioritaires.
Pour le Parlement, la logique de la réforme ne devrait-elle pas, d’ailleurs, entraîner une contraction des effectifs ? Pour le Sénat, la dichotomie instituée porte directement atteinte à son rôle constitutionnel de représentant des collectivités territoriales.
Comment les sénateurs pourront-ils amender, c’est-à-dire améliorer, les lois pour les rendre mieux applicables dans les territoires ? Vous le voyez bien, mes chers collègues, de nombreux textes soumis à notre examen sont déjà déconnectés de la réalité des territoires ! (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)
Mais il y aura également des conséquences plus insidieuses. Quelle sera la force de la légitimité spécifique d’un sénateur pour représenter les collectivités territoriales, dès lors qu’il ne pourra pas lui-même assumer un exécutif local ? Comment un sénateur pourra-t-il prétendre assurer son rôle constitutionnel et représenter les élus et les collectivités de son département, si, tout comme à un député, il lui est interdit l’exercice des fonctions exécutives locales ? (M. Michel Vergoz s’exclame.) Je rappelle l’avancée constitutionnelle souhaitée par le président Jacques Chirac, qui avait voulu donner la priorité au Sénat pour l’examen des textes qui concernent les collectivités locales. Cette volonté avait un sens : elle résultait de l’expérience et du regard spécifique des sénateurs. (MM. Yves Détraigne et Jacques Mézard marquent leur approbation.)
M. Gérard Cornu. Très bien !
M. Gérard Larcher. Des députés seront un jour fondés à dire que le Sénat n’a pas plus de légitimité que l’Assemblée nationale à représenter les territoires.
M. Michel Vergoz. Arrêtez !
M. Gérard Larcher. N’oublions pas que cette réforme est couplée à une modification délibérée du collège électoral sénatorial visant à affaiblir le poids des territoires pauvres démographiquement, notamment les territoires ruraux.
M. Yves Pozzo di Borgo. Eh oui !
M. Gérard Larcher. N’oublions pas, non plus, l’augmentation continue de la part des sénateurs élus à la proportionnelle. En 2017, les trois quarts d’entre nous seront élus de cette manière, ce qui renforcera encore l’influence des partis dans le scrutin, au détriment de celle des élus du territoire.
M. Jean-Claude Lenoir. Des apparatchiks !
M. Gaëtan Gorce. De quel parti êtes-vous, monsieur Lenoir ?
M. Gérard Larcher. Telle est la réalité : une transformation profonde de notre assemblée et de sa mission.
M. Gérard Cornu. Eh oui !
M. Gérard Larcher. Tout cela relève, à mon sens, d’un travail de sape délibéré de la Haute Assemblée. Un tel affaiblissement eut sans doute pu être évité si des aménagements à l’interdiction de cumul avaient été introduits – peut-être le seront-ils ? – pour les sénateurs dans le dispositif. J’ai entendu les propos tenus à ce sujet voilà un instant par François Rebsamen.
Mes chers collègues, c’est bien l’avenir de notre institution qui est en cause.
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Gérard Larcher. Cet affaiblissement programmé de notre assemblée et de la représentation des territoires n’ouvre-t-il pas inéluctablement la voie à un abandon des politiques d’équilibre territorial, garanties par les mécanismes institutionnels que l’on nous propose de bouleverser ?
Au fond, mes chers collègues, au-delà de la question du cumul, c’est bien de nos institutions qu’il s’agit cet après-midi. Notre débat ne porte sur rien d’autre que sur la place, le rôle et la spécificité du Sénat. Tout cela mérite vraiment autre chose qu’un examen expéditif en commission et un débat qui se tient dans l’urgence.
Je vous en conjure, mes chers collègues, gardons-nous de ne plus croire en nous-mêmes, en l’importance de nos débats en commission et en séance, et dans le dialogue avec l’Assemblée nationale.
Oui, je vous en conjure, dans les heures qui viennent, il sera important de croire au Sénat de la République. Et c’est de cela dont nous débattrons ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à saluer le travail du rapporteur Simon Sutour,…
M. Éric Doligé. C’est du travail de nuit !
M. Yannick Vaugrenard. … sa sérénité, qui ne devait pas toujours être chose aisée, son investissement et sa volonté de tenir une ligne politique claire. Le présent projet de loi organique est important pour nous-mêmes comme pour nos concitoyens ; il appelle des prises de position courageuses.
Parmi les engagements pris par François Hollande devant les Français durant la campagne présidentielle, figure celui qui est relatif au cumul des mandats. Il nous revient aujourd’hui de le tenir.
M. Christian Cambon. Qu’il tienne déjà les autres !
M. Yannick Vaugrenard. La proposition du candidat se voulait un ferment de la modernisation de notre vie démocratique. Elle le demeure, et elle a probablement contribué à susciter le mouvement d’espoir qui a permis l’alternance politique.
Respecter aujourd’hui cette prise de position, c’est, d’une certaine manière, conforter le suffrage universel. Nous devons prendre en compte le résultat du scrutin et honorer les promesses qui y ont concouru, particulièrement lorsque l’on sait que la majorité des Français y est favorable.
Mes chers collègues, à l’occasion de ce débat, personne ne doit être mis à l’index.
Mme Hélène Lipietz. Tout à fait !
M. Yannick Vaugrenard. Je regrette les attaques ad hominem lancées par Jacques Mézard dans son intervention. Je pense qu’elles n’étaient pas indispensables, voire qu’elles n’étaient pas utiles à sa démonstration. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Il n’existe pas de bons sénateurs, qui seraient favorables à la réforme, et de mauvais sénateurs, qui y seraient hostiles. (M. Francis Delattre s’exclame.) Essayons simplement de voir quel est le meilleur chemin à emprunter vers une plus grande efficacité démocratique.
Ces derniers temps, il a beaucoup été question du déclin du politique. Son impuissance, ressentie par nos concitoyens, suscite, nous le savons tous, une dangereuse désaffection, que nous constatons, malheureusement, scrutin après scrutin. Au-delà du contexte économique et social, elle est aussi entretenue par la difficulté des élus à prendre des décisions dans un environnement dont la complexité croît à une vitesse vertigineuse, alors même qu’ils sont dotés de responsabilités nouvelles, du fait des lois de décentralisation.
L’afflux de normes et de textes législatifs nécessite des connaissances plus variées et plus approfondies. Au bout du compte, la fonction de maire aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était voilà encore trente ans.
De ce fait, notre fonctionnement démocratique est confronté à un autre risque, celui de voir les administrations ou technostructures diverses prendre le pas sur les représentants du suffrage universel. Ce risque est bien réel, quand l’exercice de multiples responsabilités, présidences et vice-présidences diverses, se couple avec celui d’un exécutif local et du travail parlementaire. Dans notre pays, nous avons la chance de disposer d’une administration de l’État et des collectivités territoriales très compétente, soucieuse de l’intérêt général. Mais elle doit rester ce qu’elle est – et c’est déjà beaucoup –, un outil d’aide à la décision ; rien de moins, rien de plus.
Nos responsabilités électives comme la manière de les exercer ont donc évolué. Il est demandé plus de temps, plus de connaissances, parfois spécialisées, pour être mieux à même de juger, d’apprécier, de choisir, de décider et pour nous, parlementaires, de légiférer.
C’est aussi la raison pour laquelle notre démocratie doit évoluer. Et c’est le sens de la réforme proposée par le Gouvernement.
Rappelons que le cumul des mandats est une spécificité bien française. Le phénomène est marginal chez nos voisins européens. Alors que près de 80 % des parlementaires français ont un mandat local, c’est le cas de seulement 24 % des parlementaires allemands, de 20 % des espagnols, de 13 % des italiens, de 6 % des hollandais, et de 3 % des britanniques. Je ne suis pas persuadé que cette particularité soit le gage d’une plus grande disponibilité démocratique.
Aller vers une limitation du cumul des mandats, c’est plutôt, me semble-t-il, aller dans le sens de l’Histoire.
Mme Corinne Bouchoux. Très bien !
M. Yannick Vaugrenard. Jusqu’en 1985, il n’existait aucune limite. C’est le gouvernement Fabius, en cohérence avec la mise en œuvre de la décentralisation, qui imposa une première série de restrictions, mettant fin aux cumuls les plus notoires. C’est le dispositif adopté en 2000, sous le gouvernement Jospin, qui limita le cumul entre deux fonctions parlementaires, ainsi qu’entre trois fonctions électives locales. Nous sommes partis de très loin ; aujourd’hui, il nous est proposé de franchir une nouvelle étape indispensable.
Mes chers collègues, nous n’avons pas systématiquement vocation à perpétuer les traditions. Nous devons plutôt, lorsque c’est utile, tenter de rompre avec elles. Je pense, au regard des nécessités de notre temps, que voter le présent projet de loi organique, c’est renforcer le Sénat, et non l’affaiblir, c’est améliorer son image, et non la ternir.
Mme Hélène Lipietz et M. Claude Dilain. Exact !
M. Yannick Vaugrenard. La défense du bicamérisme, lequel est absolument indispensable à notre vie démocratique, n’est pas la défense du conservatisme. Pour le faire vivre, il nous faut le réformer, le moderniser, ce qui implique parfois une modification de nos méthodes de travail parlementaire. C’est le gage d’une plus grande efficacité, dans un monde qui exige des adaptations de plus en plus rapides.
Au-delà du projet de loi organique, c’est cette belle ambition qui doit guider nos choix présents et à venir. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
(M. Charles Guené remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené
vice-président
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà longtemps que j’ai quitté Sciences Po, mais, si j’en crois mes souvenirs, confirmés par les interventions de certains orateurs, la Constitution dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ».
Je vous le demande, mes chers collègues, comment le Sénat pourra-t-il encore représenter les collectivités territoriales si l’on interdit aux élus qui sont à leur tête d’y siéger ? Certes, les élus locaux, qui composent l’essentiel du corps électoral pour les élections sénatoriales, pourront toujours élire de simples conseillers municipaux, départementaux ou régionaux. Mais en quoi ces élus, qui participent aux délibérations des assemblées locales mais ne sont pas au cœur des problématiques de mise en œuvre sur le terrain de la loi et des normes, pourront-ils porter au Parlement la voix spécifique des collectivités ?
Je vous laisse imaginer où nous en serions sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, que la commission des lois étudie actuellement en vue de la deuxième lecture, si le texte n’était examiné que par de simples conseillers municipaux. Aurions-nous pu effectuer le travail très important qui a été mené par notre rapporteur René Vandierendonck si nous ne disposions pas de l’expérience de gestion des collectivités territoriales qui est la nôtre ? Certainement pas ! Nous aurions abouti à un monstre technocratique !
Avez-vous déjà vu l’un de nos concitoyens, confronté à un problème dans sa commune, demander un rendez-vous à un simple conseiller plutôt qu’au maire ou à l’adjoint ayant la délégation dans le domaine concerné ? Bien sûr que non !
M. le ministre nous a déclaré voilà quinze jours, avec – il faut bien le dire – le zèle du repenti, que les Français voulaient « des maires à plein temps et des parlementaires à plein temps ». Dont acte !
Mais alors pourquoi les grands électeurs s’obstinent-ils dans bien des cas à donner la préférence au maire ou au président de conseil général candidats aux élections sénatoriales plutôt qu’au simple conseiller municipal ou départemental et, a fortiori, au candidat ne détenant aucun mandat électif ? Parce que les premiers sont naturellement mieux connus ? Sûrement ! Mais tout aussi sûrement parce que les électeurs, qui sont souvent bien éloignés des combines et calculs politiques auxquels on assiste parfois – mais bien évidemment pas avec ce texte… (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) –, ont tout simplement du bon sens. Ils considèrent comme une évidence que le « Grand Conseil des communes de France », pour reprendre l’expression de Gambetta, accueille les responsables des collectivités territoriales.
On nous rétorque qu’il est très difficile, voire impossible, d’assumer pleinement à la fois son mandat de maire et son mandat de parlementaire. Et l’on trouve des exemples qui semblent le démontrer. Mais il y en a autant, sinon plus, qui prouvent exactement le contraire.
Loin de moi l’idée de vouloir personnaliser le débat, mais, à en croire l’étude que L’Express a publiée fort à propos la semaine dernière, notre rapporteur représente un « modèle de non-cumul », puisqu’il n’exerce aucun mandat autre que celui de sénateur.
Quelle chance pour le Gouvernement que ce soit lui qui ait été désigné rapporteur de ce texte : voilà bien le premier projet de loi d’une telle importance au sujet duquel le rapporteur ne propose aucune modification par rapport au texte initial ! (Exclamations ironiques sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Et quelle diligence dans l’instruction du projet : auditions du ministre et de quelques constitutionnalistes le mardi après-midi et présentation du rapport bouclé dès le lendemain matin à la commission compétente ! Le rapporteur a effectivement fait en toute indépendance un travail sans comparaison avec ce qu’aurait fait un sénateur cumulard, qui, lui, a besoin de dormir la nuit entre le mardi et le mercredi ! (Mêmes mouvements.)
Quelques jours de travail suivis d’une procédure d’examen accélérée devant le Parlement, et le tour est joué : plus de sénateur-maire ou de député-maire !
Cherchez l’erreur : quelle sera la valeur ajoutée du Sénat si les sénateurs perdent leurs spécificités et ne sont plus adossés à ce qui leur donne aujourd’hui toute leur légitimité, c’est-à-dire l’exercice d’un mandat local, tout spécialement, dans un exécutif !
Certes, monsieur le ministre, vous nous faites remarquer que le sénateur-maire et le député-maire sont des spécificités françaises et qu’il faut désormais « aller dans le sens de l’Histoire » et « participer à ce beau mouvement de modernisation et de changement » que vous nous proposez. Dont acte !
Mais, et je le rappelle à l’orateur précédent, il existe une grande différence entre l’organisation politique et administrative de la France et celle des pays voisins : en France, tout ou presque procède de décisions centralisées prises à Paris, contrairement à ce qui se passe en Allemagne avec les Länder ou en Espagne avec les communautés autonomes. La plupart des démocraties occidentales ont une organisation qui laisse la part belle aux échelons locaux et fait de leurs élus les contrepoids nécessaires à la toute-puissance du pouvoir central.
Allez donc demander aux présidents de conseil départemental quelle est aujourd'hui leur marge d’autonomie quand ils n’ont même plus les moyens de financer les dépenses obligatoires que leur impose l’État !
Et qu’en sera-t-il demain, une fois le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles voté et le Haut Conseil des territoires institué ? Présidée par le Premier ministre, cette instance aura pour mission – cela figure dans le texte – d’assurer la concertation entre l’État et les collectivités territoriales. Le Sénat apparaîtra alors comme inutile, voire redondant. La boucle sera bouclée : le Gouvernement aura dès lors tous les pouvoirs avec sa majorité politique à l’Assemblée nationale, et le Sénat n’aura plus lieu d’être. Les collectivités territoriales seront représentées ailleurs, au sein du nouvel organe, par quelques notables locaux désignés dans les conditions fixées par un décret gouvernemental.
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Yves Détraigne. Et qu’en sera-t-il des incompatibilités horizontales, auxquelles on ne touche pas ? Le maire d’une ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants pourra toujours présider sa communauté urbaine, alors que l’adjoint au maire d’une commune de cent cinquante habitants – je n’ose pas parler d’une commune de neuf habitants, comme la plus petite commune de la Marne – ne pourra pas être en même temps sénateur, trop occupé qu’il sera par l’exercice de son mandat local… Mais de qui se moque-t-on ?
M. Éric Doligé. Des électeurs !
M. Yves Détraigne. À qui veut-on faire croire cela ?
Certes, cela permettra de renouveler plus qu’aujourd’hui le personnel politique ; de ce point de vue, c’est certainement un progrès. C’est pourquoi il ne s’agit pas pour nous de dire : « Tout va très bien ; circulez, il n’y a rien à voir ! » Il faut effectivement tenir compte de la charge de travail croissante que représente pour nombre d’élus l’exercice de leur mandat. Nous devons aussi mieux nous préoccuper du renouvellement du personnel politique – je reprends une expression que l’on entend parfois –, y compris des sénateurs.
Plusieurs amendements seront donc proposés en vue de moderniser le Sénat, et non de supprimer ses spécificités, comme le voudraient les auteurs du présent projet de loi organique, démarche qui aboutirait à court ou à moyen terme à la disparition pure et simple de la Haute Assemblée et à l’extinction de la voix spécifique des collectivités territoriales au Parlement.
Nous ne pouvons pas l’accepter, sauf à vouloir rompre l’équilibre de nos institutions et aggraver la soumission du Parlement au Gouvernement. Or, précisément, cela, nous n’en voulons pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’heure où j’interviens, beaucoup a déjà été dit, d’ailleurs brillamment, notamment par Jacques Mézard, Philippe Bas ou Gérard Larcher.
Nos collègues ont exposé les arguments qui nous conduisent à contester votre réforme, monsieur le ministre. Mais ce que j’ai trouvé le plus indélicat, pour ne pas dire pire, c’est la manière dont vous avez traité l’institution sénatoriale à cette tribune alors que vous représentez à ce banc le Gouvernement ! Je me permets simplement de reprendre les mots qui ont été les vôtres : « Le mouvement a été amorcé par l’Assemblée nationale qui, en première lecture, […] a nettement adopté ce texte par 300 voix. Ce mouvement est inéluctable. »
M. François-Noël Buffet. Vous avez ajouté que l’Assemblée nationale ayant de toute manière le dernier mot, nous pouvions circuler, il n’y avait plus rien à voir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Permettez-moi de vous rappeler un événement déjà un peu ancien. Au mois de janvier 1995, Jacques Chirac, alors candidat à la présidence de la République, était au plus bas dans les sondages, et tout le monde donnait un autre candidat déjà élu. Souvenez-vous alors de cette apostrophe de Philippe Séguin : « Arrêtez de croire qu’il va y avoir une élection présidentielle ! Arrêtez de croire qu’il va y avoir une campagne, un débat, des explications, toutes choses si vulgaires ! Le vainqueur a déjà été désigné. Proclamé. Fêté. Encensé. Adulé. Il est élu. Il n’y a pas à le choisir ; il y a à le célébrer. Ça n’est pas la peine de vous déranger. Circulez, il n’y a plus rien à voir! » On a vu ce qu’il en était quelques mois plus tard…
M. Jean-Jacques Mirassou. Ça n’a rien à voir !
M. François-Noël Buffet. Aujourd'hui, vous êtes venu dire aux sénateurs que notre débat – j’imagine que vous le suivrez avec beaucoup d’attention – ne servirait à rien, puisque telle est votre conviction. Ce faisant, vous êtes venu dire au Sénat qu’il ne comptait pas. Vous êtes venu dire au Sénat que vous n’aviez pas besoin de lui. Vous êtes venu dire au Sénat que son rôle n’avait plus d’intérêt dans les institutions de la République. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Voilà, monsieur le ministre, ce que vous avez déclaré cet après-midi. C’est probablement ce qui est le plus insupportable de la part d’un ministre de la République, de surcroît investi des fonctions qui sont les vôtres. Vous êtes chargé non seulement, bien évidemment, de la sécurité, mais également des collectivités territoriales ; dans cet hémicycle, vous êtes un élu parmi les élus.
J’aimerais vous faire part d’un autre souvenir. L’un de mes prédécesseurs à la tête de ma commune était un sénateur socialiste. Peut-être certains d’entre vous l’ont-ils d’ailleurs connu. Je fais référence à M. Roland Bernard, qui était maire de la ville d’Oullins, 26 000 habitants, et sénateur du Rhône en même temps. Il a perdu sa mairie, comme cela peut arriver, dans le cadre d’une élection municipale partielle en 1990. Lors du renouvellement sénatorial suivant, en 1995, son parti ne lui a pas accordé l’investiture, estimant qu’un candidat n’exerçant plus de mandat local n’avait plus de légitimité pour être candidat au Sénat et représenter les collectivités territoriales. »
En d’autres termes, dans l’esprit de nos institutions, la Haute Assemblée est bien la chambre de nos collectivités et de nos territoires. Tout le monde a bien rappelé ici les fondements de la distinction entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Voilà ce qui fait la richesse de notre Parlement et de notre organisation institutionnelle, reconnue par notre Loi fondamentale.
Nous sommes d'accord pour envisager des réformes. Il faut rediscuter, avancer. D’ailleurs, avec notre collègue Georges Labazée, nous avons remis un rapport sur le sujet à la demande de la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Mme Jacqueline Gourault. Nous avons dressé des constats simples. Tout à l’heure, M. le ministre a invoqué certains titres du rapport pour pouvoir railler nos travaux. Mais il n’est pas entré dans le détail de nos propositions…
M. François-Noël Buffet. Je voudrais attirer votre attention sur un point. Ce n’est pas une réforme que vous engagez : outre que vous programmez à terme la suppression du Sénat – notre collègue Gérard Larcher l’a rappelé –, vous vous livrez à des arrangements et à des petits calculs électoraux.
Si vous aviez véritablement voulu moderniser notre vie politique, vous auriez abordé de nombreux autres sujets. Par exemple, le cumul des fonctions est bien plus insupportable que le cumul des mandats. Combien d’entre nous président, au titre de leur mandat de maire, de président d’établissement public de coopération intercommunale ou de parlementaire, une société d’économie mixte ou un office public d’aménagement et de construction ? Je pourrais encore vous citer bien d’autres occupations diverses et variées extrêmement chronophages ! Voilà un sujet qu’il aurait fallu traiter ; avec Georges Labazée, nous avions émis des propositions dans notre rapport. Je ne vois rien de tel dans votre texte.
Vous auriez également pu évoquer le cumul de certains mandats de manière transversale. Dans le cadre de nos travaux, nous avons constaté de grandes disparités : la situation des élus cumulant deux mandats locaux est bien plus intéressante, du point de vue de la réalité du pouvoir et des indemnités, que celle d’un élu local en même temps parlementaire. Nous avons même découvert que certaines indemnités n’étaient pas déclarées par un grand nombre d’élus – j’ignore s’il s’agit d’omissions volontaires… –, échappant ainsi parfois aux règles de l’écrêtement, faute d’un dispositif opérationnel permettant de véritablement contrôler qui fait quoi dans les territoires.
M. Michel Vergoz. Mais que faisait Nicolas Sarkozy ? Tout cela ne date pas de 2012 !
M. François-Noël Buffet. Nous avons formulé des propositions ; le projet de loi organique, lui, est totalement muet sur toutes ces questions.
Je précise d’ailleurs que nos travaux avaient débuté avec Mme Voynet, sous la précédente mandature. Si vous n’avez pas lu notre rapport, vous pouvez aller le retirer à la distribution ; il est à votre disposition.
Voilà ce que je tenais à dire sur le cumul des fonctions.
La semaine dernière, le journal L’Express a publié un dossier sur le cumul des mandats. Nos concitoyens auront du mal à se forger une opinion sérieuse à partir des déclarations de cet hebdomadaire, qui ne tiennent pas longtemps la route. Elles contiennent des aberrations, voire des contrevérités. De plus, un certain nombre d’élus sont placés sur le banc des accusés d’une manière qui est globalement injuste. Je tenais à le rappeler, car ce qui nous a été présenté relève tout simplement du populisme.
Tels sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les éléments dont je souhaitais vous faire part, en sachant que tout cela a déjà été dit, et sans doute plus brillamment.
Il aurait cependant été possible d’aller beaucoup plus loin, au fond des choses, en nous concentrant sur nos objectifs, c'est-à-dire une plus grande disponibilité de nos élus, des agendas mieux organisés, plus d’assiduité.
Nous aurions aussi pu commencer par toiletter le règlement de nos assemblées, par balayer devant notre porte…
M. Gérard Larcher. Bien sûr !
M. François-Noël Buffet. … afin de mettre un peu d’ordre sur ce sujet. Le président Larcher a essayé,…
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. François-Noël Buffet. … il a fait avancer les choses. Mais nous savons d’où sont venus les blocages…
On ne peut donc pas tout mettre sur le dos du cumul des mandats, en agitant, à la veille des élections municipales, une population qui, déjà, fait l’amalgame entre cumul des mandats et cumul des indemnités. En ajoutant à tout cela l’affaire de votre collègue Cahuzac et en mélangeant bien, on obtient une situation politique de circonstance bien intéressante, dont on espère tirer les fruits le moment venu, au moment des élections.
Ce n’est pas comme cela que l’on doit réformer la République et nos institutions ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Eblé.
M. Vincent Eblé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur représente une véritable mutation démocratique dans notre pays, où le cumul des mandats est une caractéristique de la vie politique.
Il s’agit bien, en effet, d’une spécificité française, ainsi que le démontre indiscutablement la comparaison avec les grandes démocraties. Dans tous ces pays, le cumul est extrêmement faible, atteignant au maximum 20 %. En France, six parlementaires sur dix exercent en même temps une fonction exécutive locale, huit sur dix, un autre mandat. Et cette réalité n’a cessé de progresser dans l’histoire de notre République.
Cette spécificité française, qui concerne l’ensemble du territoire, s’est imposée dans les faits, petit à petit, à bon nombre d’entre nous. Elle nous oblige à revoir notre manière d’exercer nos responsabilités politiques.
Dans cette période où nous voyons croître la défiance des citoyens quant à la capacité de la classe politique à répondre à leurs attentes, et alors que cette relation de confiance est de plus en plus fragile, il me semble nécessaire de réfléchir à une nouvelle manière de concevoir la vie politique en France.
Depuis trente ans, les lois de décentralisation ont très fortement modifié l’exercice d’un mandat local et l’ont rendu de plus en plus complexe, nécessitant de plus en plus d’expertise et de disponibilité pour écouter les citoyens, comme pour accompagner des projets.
Dans le même temps, le mandat national, lui aussi, est chronophage et exigeant. Chacun le sait, si nos agendas du mardi, du mercredi, parfois du jeudi, sont aussi compliqués à bâtir, c’est parce que toutes les réunions se tiennent durant ces quelques jours.
Mmes Corinne Bouchoux et Hélène Lipietz. Voilà !
M. Claude Dilain. Bravo !
M. Vincent Eblé. C’est parce que, à partir du mercredi soir, nombre d’entre nous retournent dans leur circonscription,…
M. Claude Dilain. Oui !
M. Vincent Eblé. … sans pouvoir poursuivre au Sénat le travail engagé.
M. Claude Dilain. Bravo !
M. Vincent Eblé. La question du non-cumul a été maintes fois posée. Les lois organiques de décembre 1985 et d’avril 2000, portées par des majorités de gauche, ont constitué de premières avancées. Elles ont, en effet, limité les possibilités de cumul en mettant fin à la possibilité d’être simultanément maire, président de conseil général, président de conseil régional, député ou sénateur et même parlementaire européen !
Aujourd’hui, il semble nécessaire, pour nos citoyens, d’aller plus loin. C’est la volonté du Président de la république, c’est également la volonté de nombre d’entre nous, en particulier à gauche.
Cette avancée démocratique, la gauche ne saurait la limiter à ses propres élus. Une même loi s’appliquera donc à tout le monde, en même temps et dans les mêmes conditions, non en limitant, cette fois-ci, mais bien en supprimant le cumul d’un mandat de parlementaire avec celui d’un exécutif local.
Ce changement, qui concerne une grande majorité d’entre nous, est un changement fort. Il emportera des conséquences directes sur notre vie, sur le renouvellement de la classe politique, sur la manière même de concevoir et de faire de la politique, et cela tant sur un plan personnel que sur un plan plus technique, « professionnel », pourrait-on dire.
La vie politique est en pleine évolution, grâce au projet de loi sur la réforme des collectivités locales, dont nous débattons depuis quelques semaines, grâce à la parité dans les conseils départementaux et, désormais, dans les communes de plus de 1000 habitants, que nous avons votée, grâce à l’élection au suffrage universel des représentants communautaires, votée également. Ce projet de loi de non-cumul s’inscrit dans cette dynamique, dans cette évolution.
J’entends ceux qui pensent que l’interdiction de cumuler va diminuer l’enracinement des parlementaires. En aucun cas, pourtant, ce projet de loi n’interdit à un parlementaire de poursuivre son implication dans une équipe locale. La dynamique sera différente, le parlementaire ne sera plus l’animateur de l’équipe locale, mais, n’en doutons pas, il s’insérera toujours dans la dynamique de la collectivité, il accompagnera une nouvelle génération dans les responsabilités politiques,…
Mme Hélène Lipietz. Voilà !
M. Vincent Eblé. … il apportera une vision nationale à l’équipe locale, et il nourrira sa vision d’élu des expériences locales afin d’alimenter le débat national. Dans cette nouvelle dynamique, quelle que soit la taille de la commune ou de l’EPCI, le parlementaire ne pourra plus être le leader exécutif local.
La souplesse chronologique dans la mise en place du non-cumul permet à chacun de s’organiser, ou, pour le moins, d’établir un plan d’action afin de se trouver en situation de non-cumul au bon moment. Je sais d’expérience que cette souplesse est nécessaire car, comme je le disais en introduction de mon propos, le non-cumul est une réelle évolution pour chacun d’entre nous, mais aussi pour tous ceux qui font, ou veulent faire, de la politique.
Les mandats se succéderont, au lieu de se cumuler, et les parlementaires que nous sommes disposeront, sans aucun doute, de plus de temps pour se consacrer à la richesse d’une session parlementaire. (Mme Corinne Bouchoux opine.) ; plus de temps pour exercer nos mandats, mais pas encore plus de moyens ou de protection. (Mme Corinne Bouchoux opine de nouveau.)
À la suite des états généraux de la démocratie territoriale, la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur et Jacqueline Gourault sur la problématique du statut de l’élu marquait les prémices de cette évolution. Ce travail doit se poursuivre, en parallèle de celui que nous accomplissons aujourd’hui. Le statut de l’élu est en effet incontournable pour l’évolution démocratique que nous appelons de nos vœux. Cela ne concerne que peu, il est vrai, les parlementaires que nous sommes, qui avons droit à une sécurité sociale, une retraite…
Enfin, il semble nécessaire de réfléchir aux moyens de travail dont doivent bénéficier les parlementaires pour exercer leurs missions. Aujourd’hui, si nous ne nous battons pas plus pour cela, c’est parce que nombre d’entre nous, faute d’en bénéficier comme parlementaires, trouvent ces moyens au sein des exécutifs locaux.
Une fois la loi sur le non-cumul mise en application, nous aurons besoin de moyens supplémentaires, et nous devrons l’expliquer. Nous devons tout à la fois faire la loi, en évaluer les effets et l’effectivité, contrôler l’activité du Gouvernement : cela mérite de disposer de temps et de moyens.
J’avais commencé mon propos en vous parlant de mutation démocratique, eu égard à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Il s’agit en réalité d’une étape, afin que nous parvenions à maintenir le dialogue avec nos citoyens et que nous confortions nos institutions démocratiques.
Notre société n’est pas figée, nos institutions non plus, et la vie politique accompagne ce mouvement. Le changement est nécessaire, il est réclamé par nos concitoyens. (Mme Corinne Bouchoux opine.) Nous devons, chaque jour, nous réinventer, nous assurer que nous jouissons toujours de leur confiance, et traduire concrètement leurs nouvelles exigences, même si cela est parfois difficile.
C’est donc la manière de faire qui changera. Nous articulerons mieux le travail parlementaire et le dialogue avec les citoyens sur le terrain. Nous articulerons mieux l’élaboration de la loi et la réalité dans nos circonscriptions.
Cette loi renforcera l’image et la fonction parlementaires. Elle participe ainsi à la rénovation de notre vie politique. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe écologiste.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé. (MM. Rémy Pointereau et René-Paul Savary applaudissent.)
M. Éric Doligé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout d’abord, je remarque que beaucoup de ceux qui sont encore présents à cette heure cumulent, alors que beaucoup des absents ne cumulent pas ! Voilà une démonstration intéressante ! (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mme Corinne Bouchoux s’exclame également.)
Mme Hélène Lipietz. Il faudrait faire un sondage !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pas d’excès, je vous prie !
M. Éric Doligé. Je voudrais également m’adresser à mon collègue Jean-Pierre Sueur, dont j’ai beaucoup apprécié l’intervention. Il a fait la démonstration que, pendant trente ans, dans notre département – nous avons la chance d’être issus du même –, il a rencontré de grandes difficultés pour cumuler plus d’un an et demi.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela démontre la sagesse des électeurs !
M. Éric Doligé. En revanche, les mêmes électeurs ont décidé que moi, qui le côtoie dans mes fonctions politiques locales depuis trente ans, je devais cumuler pour être performant !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est parce que vous êtes beaucoup plus fort que moi ! (Sourires.)
M. Éric Doligé. Cela prouve que, finalement, les mêmes électeurs d’un même territoire préfèrent parfois que l’on cumule, d’autres fois que l’on ne cumule pas. La démonstration de Jean-Pierre Sueur n’était donc pas forcément très convaincante ! (Très bien ! et applaudissements sur de nombreuses travées de l'UMP.)
M. Vincent Eblé. Mon cher collègue, je ne crois pas qu’il s’agisse vraiment des mêmes électeurs !
M. Éric Doligé. Cela n’entrave pourtant pas notre amitié ni les bonnes relations que nous entretenons sur le terrain.
M. Éric Doligé. Je voudrais également remercier mon collègue Bruno Retailleau, qui m’a fait don de son temps de parole.
J’ai préparé une courte intervention et je me suis posé quelques questions. Qu’est-ce qui conduit le Gouvernement à nous jeter des leurres en permanence et à nous détourner de l’essentiel ?
Le principal sujet de préoccupation des français, en septembre 2013, est-il la transparence ou le cumul des mandats de leurs parlementaires ?
M. Georges Labazée. Oui !
M. Éric Doligé. Ces sujets sont-ils prioritaires…
M. Georges Labazée. Oui !
M. Éric Doligé. … sur le chômage, l’emploi, la sécurité, la fiscalité, la complexité administrative, les poids des charges, ou encore la compétitivité ?
Monsieur le ministre, observez bien les actuels mouvements de rue, les grèves qui s’enchaînent, les pétitions qui circulent, la mauvaise humeur des contribuables, des entrepreneurs, ou des commerçants agressés. Voyez ce qui se passe à Nice, à Marseille (M. Claude Bérit-Débat s’exclame.), en Corse, ou dans nos quartiers. Pas une banderole sur le cumul !
Il est vrai que le nouveau Président avait promis de renforcer la République exemplaire. Cela n’a nullement empêché un ministre du budget de frauder le fisc. Il faut donc faire croire aux Français que leurs malheurs viennent du cumul, les médias s’en chargent actuellement. (M. Michel Vergoz s’esclaffe.)
Lorsqu’on prend connaissance du projet de loi organique et de toutes déclarations qui fleurissent dans les médias et lorsqu’on voit la manière dont on oriente, voire manipule l’opinion, on peut vraiment s’interroger sur les véritables objectifs des concepteurs de ce texte et sur la fiabilité de leurs arguments.
N’y a-t-il pas beaucoup d’hypocrisie et d’arrière-pensées ?
M. Antoine Lefèvre. Oh que si !
M. Éric Doligé. Loin de moi l’idée de prétendre qu’il n’y a ni anomalies, ni abus, et qu’aucune amélioration ne doit être apportée. Cependant, la manière dont le sujet est abordé suscite de multiples interrogations. Comme toujours, on traite non pas le fond, mais seulement la forme.
Le PS, qui, comme d’autres bien sûr, a beaucoup péché en matière de cumul, veut-il se faire pardonner ?
Mme Hélène Lipietz. Il lui sera beaucoup pardonné, en effet.
M. Éric Doligé. Comment expliquer que ce parti, qui est en tête de tous les classements des grands cumuls, se veut aussi radical dans ses propositions ? Y a-t-il des règlements de comptes en vue ?
Le Président de la République, qui a fait partie de ceux qui cumulaient beaucoup, est aujourd’hui, comme par un hasard heureux, à la tête de la meute qui traque cette catégorie aujourd’hui honteuse, celle des cumulards ! Il a été touché par la grâce ! Il fait partie des repentis, avec vous, monsieur le ministre, comme notre collègue Jacques Mézard en a fait tout à l'heure la démonstration. (Mme Hélène Lipietz s’exclame.)
M. Antoine Lefèvre. Exact !
M. Éric Doligé. Nous voilà face à un syndrome bien connu, qui consiste, pour quelqu’un qui manque de force de caractère ou se trouve en situation de dépendance, à supplier son prochain afin de se protéger de ses propres turpitudes. (M. Michel Vergoz s’exclame.)
Ce n’est pas nouveau : vous connaissez ces joueurs invétérés qui se font interdire de casino.
Mme Corinne Bouchoux. Cela ne vole pas haut, vraiment !
M. Éric Doligé. Nous découvrons aujourd’hui une nouvelle race à protéger : les parlementaires tentés par le cumul ! Vincent Eblé vient de nous en faire la démonstration en disant : « Nous ne pouvons pas l’appliquer seulement aux socialistes, donc nous allons l’appliquer à tout le monde ».
Nous avons déjà entendu, il y a quelques mois, la chanson de « l’exemplarité ». Les membres du Gouvernement étaient, par définition, des héros de l’honnêteté. Subitement, est apparue l’affaire Cahuzac, puis le texte sur la transparence. Le débat qui a suivi nous a clairement montré que la majorité voulait de la transparence, mais pas trop…
Face à la grogne des Français, qui croulent sous les prélèvements, la complexité administrative ou les ras-le-bol en tous genres, il fallait faire diversion, et voilà cette belle affaire du cumul.
Avant d’en revenir à quelques aspects de ce texte qui, nous le savons, est très attendu et va changer la vie des Français (Sourires sur les travées de l’UMP.), permettez-moi d’aborder quelques points très superflus, je vous prie de m’en excuser. Mais, comme vous nous avez dit, monsieur le ministre, que notre vote n’avait aucune importance, je vais élargir un peu le sujet. Je vais évoquer le chômage, l’emploi, les impôts, la sécurité.
La courbe du chômage, selon le Président et ses ministres, et ce malgré les analyses contraires de l’INSEE, de l’OCDE, et de bien d’autres encore, devait baisser avant l’été, puis avant la fin de l’année 2013. Quelle belle promesse, répétée ! Promesse non tenue et intenable du fait de choix destructeurs. Nous constatons que les agences de Pôle emploi rayent des chômeurs à jet continu, sur instruction. Par ailleurs, la course aux emplois aidés est engagée, il faut en inscrire un maximum avant la fin de l’année. Je pense que le Sénat devrait lancer une commission d’enquête sur ce sujet. (M. Michel Vergoz s’esclaffe.)
Il est vrai qu’il n’a jamais été dit que le chômage devait baisser, mais seulement que la courbe de la progression devait s’inverser, ce qui n’implique pas une baisse. Le Gouvernement part toutefois à l’assaut avec des sabres de bois. Les emplois d’avenir, qui n’ont d’avenir que le nom, les contrats de génération, le crédit d’impôt aux entreprises, dont on sait comment il fonctionne... Tout cela est compliqué et coûteux, et ne fait qu’illusion.
Où est l’embellie promise, qui doit nous sortir de cette spirale infernale ? La fin du cumul va-t-elle enfin chasser les nuages ?
Les impôts ne devaient pas augmenter.
M. Claude Bérit-Débat. Et si vous parliez du sujet ?
M. Éric Doligé. On a vu ce qu’il en a été. Depuis, on est entré dans l’ère de la pause, dont on sait qu’elle est totalement improbable, avec la hausse de la TVA et la suppression de certaines politiques familiales ainsi que l’autorisation donnée aux départements d’augmenter leurs impôts pour combler les faiblesses de l’État.
Dimanche, le Président annonçait la pause en 2014 ; hier, on apprenait que ce serait en 2015.
M. Michel Vergoz. Hors sujet ! Vous avez déjà zéro !
M. Georges Labazée. Rendez-nous Retailleau ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Éric Doligé. En augmentant les prélèvements, le Gouvernement affaiblit la compétitivité des entreprises.
M. François Rebsamen. Vous pouvez parler !
M. Éric Doligé. Je sais que vous êtes dérangés lorsqu’on vous dit certaines choses. Ce n’est pas grave !
Je repense en cet instant à une possibilité qui pourrait être ouverte d’explorer une piste d’économies. Chaque année, la facture énergétique nous coûte 68 milliards d’euros. Ne pourrait-on chercher à comprendre comment exploiter l’huile et le gaz de schiste ? Nos deux collègues Jean-Claude Lenoir et Delphine Bataille viennent de nous offrir l’opportunité de rechercher des solutions sans nuire à l’environnement.
Et puis, il y a le modèle américain. Ayant actuellement des affinités avec le Président Obama, le Président de la République pourrait lui parler de cette question...
M. François Rebsamen. C’est mieux qu’avec Bush !
M. Éric Doligé. Il n’en est rien, nous avons une idée géniale pour faire des économies et donc baisser la pression fiscale : mettre en place la fin du cumul des mandats des parlementaires. Cela n’aura aucun effet. Bien au contraire !
Abordons maintenant la sécurité, vaste sujet qui pourrit la vie quotidienne des Français.
Une sénatrice du groupe socialiste. Quel rapport ?
M. Éric Doligé. Il y en a un, écoutez-moi !
« Je vais déclarer la guerre à la barbarie à Marseille », avez-vous déclaré, monsieur le ministre. C’était là l’une des grandes promesses-annonces, répétée d’ailleurs en boucle.
M. Éric Doligé. Les jours se suivent et se ressemblent : toujours plus d’agressions et de violence. La délinquance et la criminalité progressent. La violence ne cesse d’augmenter.
De manière subliminale, on fait croire aux habitants de ces communes qu’un maire qui ne cumulera plus cette fonction avec un mandat parlementaire aura plus de temps pour s’occuper de la question de la criminalité dans sa ville.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est nul !
M. Éric Doligé. Non, c’est la réalité ! Vous êtes en permanence en train de faire croire aux Français que nous n’arrivons pas à diriger nos communes parce que nous cumulons !
Finalement, au travers de ces trois sujets, je ne me suis pas vraiment éloigné de celui qui nous occupe, à savoir le cumul des mandats des parlementaires.
M. François Rebsamen. Ce n’est pas votre meilleure intervention !
M. Éric Doligé. Qu’y a-t-il de si honteux dans le cumul des mandats ? Les fonctions cumulées ? Les indemnités qui s’additionnent ? L’impossibilité de remplir ses missions ? Le risque d’absentéisme ?
D’ailleurs, est-ce une spécificité des parlementaires ? Il est évident que non.
J’évoquerai le cumul des mandats des élus en général, mais nombre de catégories de citoyens cumulent, et ce dans des secteurs très variés. Si je les cite, c’est non pas pour les montrer du doigt – à mes yeux, le mot « cumul » n’est pas honteux en soi –, mais parce que ce sont les sous-entendus qui donnent parfois à ce terme une connotation très négative. Nous sommes là au cœur du sujet, avec le coupable cumul des parlementaires. Peut-être faudrait-il démystifier le cumul ?
Dans tous les secteurs associatifs, des présidents cumulent des mandats au niveau local, départemental, régional, national et dans de multiples commissions pour défendre leurs associations.
Dans les grands conseils d’administration, des chefs d’entreprise s’adoubent parce qu’ils souhaitent profiter de leur savoir-faire et de leurs réseaux.
Chez nos amis les pompiers, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, certains ont des responsabilités multiples, syndicales, associatives. Tout en étant professionnels durant 96 gardes de 24 heures par an, ils peuvent également, les autres jours, être volontaires dans un ou plusieurs centres.
Nombre d’enseignants publics donnent également des cours dans des structures privées.
N’y a-t-il pas de réels cumuls dans le monde des médias ?
Dans tous les domaines, vous pourrez trouver des cumuls de fonctions, de métiers et de revenus ou d’indemnités. Est-ce honteux ? Pour ma part, je ne le pense pas.
Parmi les élus, vous avez fléché uniquement les parlementaires. Pourquoi ne pas évoquer les élus non parlementaires ? Cela aurait été plus transparent et plus courageux.
Comme cela a été souligné, de nombreux élus locaux cumulent parfois plus de fonctions que les parlementaires. De plus, la règle du cumul des indemnités à une fois et demie celle du parlementaire ne leur est pas appliquée ou rarement.
Trouvez-vous normal que des élus, parfois au plus haut niveau – puisque c’est le cas du Président de la République ! –, puissent être placés en détachement auprès de collectivités, afin de pouvoir bénéficier d’avantages, notamment en matière de progression de carrière et de retraite ?
M. Rémy Pointereau. Très bien !
M. Éric Doligé. Faut-il légiférer pour faire découvrir aux Français que l’on peut avoir commencé au bas de l’échelle à la Cour des comptes et franchir tous les échelons sans y mettre les pieds et toucher la retraite maximale ? On dit que tout travail mérite salaire. Dans le cas présent, il est possible d’avoir une retraite à taux plein sans avoir travaillé. Est-ce normal ?
Monsieur le ministre, vous avez choisi, à la demande du Président de la République, de supprimer tout cumul de fonctions exécutives avec un mandat de parlementaire. Dans la mesure où, en dépit des réticences du Sénat et de nombre de vos collègues du parti socialiste, l'Assemblée nationale imposera, comme vous l’avez dit dans votre intervention liminaire, le texte, nous pouvons essayer de l’améliorer.
Pour ma part, je défendrai quelques amendements visant à souligner certains aspects.
En premier, je considère que, si l’on doit réorganiser le cumul des fonctions, on ne doit pas prendre des dispositions maximalistes et irréversibles.
On est en droit de se poser une multitude de questions légitimes, qui n’ont pas été traitées. Nous sommes plus dans la précipitation et la pression que dans la réflexion.
Monsieur le ministre, souhaitons que ce débat évite de dresser une caricature des parlementaires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. Michel Vergoz. La caricature, c’est vous !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest. (M. Rémy Pointereau applaudit.)
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans une société hypermédiatisée, il faut bien sûr trouver des boucs émissaires. Je vous conseille à tous – je dis bien « tous » ! – de relire la fable intitulée Les Animaux malades de la peste.
La crise de la représentation dont nous voyons l’aggravation dans tous les secteurs de la vie non seulement politique, mais également économique et sociale – il existe une véritable crise de la représentation ! – tiendrait, paraît-il, à une raison unique pour ce qui concerne les parlementaires : le cumul des mandats. D’ailleurs, beaucoup de nos concitoyens critiquent plus le cumul des indemnités que celui des mandats. Ainsi que l’a très justement noté précédemment le président Rebsamen, ils ne font pas vraiment la distinction entre les deux.
Dans ce cas, il convient aussi de s’attaquer au cumul des indemnités de certains barons locaux, qui ne sont pas parlementaires. Monsieur le ministre, je pourrais vous donner quelques exemples qui montrent que la multiplication des indemnités ne se justifie pas vraiment.
Certes, la décentralisation, qui a confié aux collectivités locales de nouvelles responsabilités, autrefois assumées par l’État, a vu émerger des fonctions de plus en plus lourdes et sans doute aujourd’hui peu compatibles avec l’exercice d’un mandat parlementaire. Notre excellent collègue de Seine-et-Marne a indiqué précédemment qu’il se repentait presque d’avoir été président de conseil général et parlementaire ; il a, me semble-t-il, quitté l’hémicycle.
Certains se vantent de ne pas cumuler de mandats. Voilà qui est formidable ! Mais je me méfie des repentis. Pour ma part, je me garderai bien de vous faire part de mon expérience personnelle – il faut garder une certaine humilité, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre –, si ce n’est pour vous dire que, depuis 1986, j’ai assumé à la fois un mandat parlementaire et des fonctions exécutives locales. Je suis un affreux ! (Sourires.) Cependant, toutes ces fonctions, quelles qu’elles soient, ont nourri, je vous l’assure, à la fois ma réflexion de législateur et mon expérience de gestion locale.
Néanmoins, ce qui m’a toujours frappé, c’est la manière dont le Sénat aborde les questions relatives aux collectivités locales, mais pas seulement, monsieur le président Sueur. Voyez ce qu’il en est des textes concernant l’enfance. Des maires se retrouvent aussi confrontés à ces difficultés. Tout cela compte. Notre assemblée est révélatrice de la compétence et de l’expérience de beaucoup de nos collègues.
Pourtant, nos collègues députés sont aussi « cumulards » que nous. Pourquoi ne consacrent-ils pas autant de temps et de minutie à améliorer la législation ? Cela tient au fait qu’ils n’ont pas tout à fait les mêmes préoccupations que nous ! Ceux d’entre nous qui ont été député le savent bien. Certains n’accordent de l’importance qu’au créneau de quinze à seize heures des mardis et mercredis !
Il faut se poser la question : Pourquoi le cumul des mandats, pourtant limité en 1985 et en 2000, avec l’accord du Sénat…
M. Philippe Bas. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. … – je ne me souviens pas de la loi de 1985, mais les dispositions de la loi organique de 2000 ont été votées en termes identiques par les deux assemblées –, n’a pas vraiment cessé, ou, plutôt, s’est étendu en raison, notamment, du développement de l’intercommunalité et du démembrement des collectivités locales dans d’innombrables institutions. Et avec la métropole de Paris, on ne pourra plus faire que cela !
Ce cumul s’explique par le besoin d’une implantation. C’est ainsi que cela se passe. On fait confiance aux personnes reconnues localement pour accéder au mandat de parlementaire.
M. Rémy Pointereau. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Pourquoi serait-ce choquant et scandaleux ? Je ne pense pas qu’il en soit ainsi, à condition toutefois de ne pas cumuler trop de mandats et fonctions au point de ne plus pouvoir exercer pleinement chacun d’entre eux.
Faut-il interdire totalement le cumul du mandat parlementaire et des fonctions exécutives locales, le limiter, et faut-il réserver un traitement particulier au Sénat ?
Tout d’abord, il n’est pas prouvé, même si des contre-exemples existent, que l’exercice de fonctions locales empêche d’assumer pleinement un mandat parlementaire. C’est une question d’organisation et de disponibilité. Il ne faut pas non plus prendre trop de loisirs !
M. Michel Vergoz. Et la famille !
M. Jean-Jacques Hyest. Je réponds par là même à l’interview de M. Sutour ce matin. De ce point de vue, le rapport de notre collègue n’est pas totalement pertinent.
Pour avoir cosigné, avec plusieurs de mes collègues, une proposition de loi interdisant aux parlementaires d’exercer une fonction exécutive locale importante – présidence d’un conseil général ou régional, maire d’une grande ville, présidence d’une communauté d’agglomération, etc. –, j’estime que nous devrions plutôt nous engager dans cette voie. C’est d’ailleurs ce que nous proposons, d’autant que la limitation du cumul des indemnités serait liée à celle du cumul des mandats.
Toutefois, la question importante sur laquelle vous avez longuement insisté, monsieur le ministre, monsieur le président Sueur, est relative à la spécificité du Sénat.
On nous brandit la perspective apocalyptique d’un abaissement du Sénat si l’on adopte la disposition visant à réserver un sort particulier aux sénateurs. Or si abaissement il y a, il est largement dû à l’absence de majorité dans notre assemblée et à la manière dont les choses se passent depuis quelques mois. (Mme Hélène Lipietz s’exclame.)
M. François Rebsamen. Avant aussi !
M. Jean-Jacques Hyest. Même si cela ne s’est pas passé sans difficulté avec le général de Gaulle, la Constitution de la Ve République avait redonné au Sénat, à comparer avec le Conseil de la IVe République, un rôle équivalant à celui de l’Assemblée nationale : il est législateur comme l’Assemblée nationale, tout en assurant, de surcroît, la représentation des collectivités locales. La règle du dernier mot donné à l’Assemblée nationale n’est donc que subsidiaire, même si elle a été très utilisée au cours des derniers mois. Le recours à la procédure accélérée pour l’examen des textes devient presque une habitude. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Hélène Lipietz. Ça, c’est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. Certes, tel n’a pas été le cas pour le projet de loi relatif aux métropoles, mais, sur un tel texte, il était difficile de recourir à cette procédure. En ayant recours à la procédure accélérée quasiment sur tous les textes, il n’y a plus de dialogue entre les deux assemblées. Telle est la réalité !
Je suis d’accord pour déclencher cette procédure pour des textes simples n’exigeant pas de longs débats, mais je ne le suis pas pour tous les textes similaires à celui que nous examinons aujourd'hui.
Vous affirmez, monsieur le ministre, que la suppression du cumul des mandats va magiquement revaloriser le rôle du Parlement. La révision constitutionnelle de 1995 visait en théorie principalement – souvenez-vous-en, mes chers collègues qui étiez alors parlementaires – à réguler le travail parlementaire. Le Parlement devait siéger trois jours par semaine et un nombre maximum de jours de séance avait été fixé. Ces principes ont été oubliés, et tout s’est même accéléré. L’échec de cette révision est évident. La révision constitutionnelle de 2008, que la gauche avait pourtant refusée dans sa majorité, avait aussi pour objectif de revaloriser le Parlement. Malgré ces révisions constitutionnelles, avons-nous véritablement progressé dans le sens d’une République plus parlementaire ? Je vous laisse le soin de répondre à cette question.
On connaît une inflation échevelée de la législation, mais on n’a, il est vrai, plus rien à dire : à partir du moment où l’on trouve une phrase dans le programme d’un candidat à l’élection présidentielle, on ne devient que spectateur de la future législation.
Un spécialiste aussi avisé que Pierre Avril nous met en garde contre une réforme qui couperait la représentation nationale des élus locaux et, surtout, qui accélérerait la présidentialisation du régime. Aussi, je ne suis pas prêt à accepter le dogmatisme et le manichéisme dont beaucoup de rapports nous ont asséné la nécessité, au nom de la modernité.
D’ailleurs, je constate que les auteurs de ces trois rapports, MM. Balladur, Attali et Jospin – qui certes a été conseiller général –, n’ont jamais exercé de mandat exécutif local. Jamais !
Mme Corinne Bouchoux. Raymond Barre non plus, et il a été Premier ministre !
M. Jean-Jacques Hyest. Il a été maire de Lyon… Tout de même !
Mmes Corinne Bouchoux et Hélène Lipietz. Après !
M. Éric Doligé. Peut-être, mais il n’a pas écrit un rapport sur le cumul !
M. Jean-Jacques Hyest. En tout cas, Raymond Barre m’a toujours dit que le mandat de maire était sa plus belle expérience, et qu’il regrettait de ne pas l’avoir exercé plus tôt.
M. Jean-Jacques Hyest. Surtout s’agissant de Raymond Barre ! (Nouveaux sourires.)
Mes chers collègues, il semblerait que notre débat soit vain.
Je n’ignore rien des menaces qui pèsent sur la commune, au nom de la modernité : le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles ainsi que le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové en sont les prolégomènes – nous en reparlerons. D’autres menaces pèsent sur le département, déjà asphyxié financièrement, avec l’invention du binôme.
M. Antoine Lefèvre. Très moderne ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest. Demain, d’autres peut-être viseront le Sénat, qui pourtant a bien servi la République.
Monsieur le ministre, moi qui ai toujours défendu l’égale qualité de législateur du Sénat et de l’Assemblée nationale, je voterai les amendements instaurant une spécificité du Sénat en matière de cumul des fonctions exécutives locales. Je les voterai d’autant plus que votre projet de loi organique est sans nul doute un projet de loi organique relatif au Sénat, comme l’a très brillamment démontré notre collègue Philippe Bas ! (Applaudissements sur la plupart des travées de l'UMP.)
M. Philippe Bas. Merci, mon cher collègue !
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en prenant la parole, après de nombreux autres orateurs, dans ce débat sur le cumul des mandats, j’ai l’impression d’aborder une arlésienne, et sans doute l’une des plus anciennes de notre République, en tout cas pour ce qui est des dernières décennies.
Quelque respect que j’éprouve pour Alphonse Daudet, et pour Bizet qui s’est efforcé de mettre en musique son vaudeville, je ne suis pas mécontent que le Gouvernement nous offre la possibilité de mettre un terme à cette dispute en nous présentant un projet de loi organique et un projet de loi dont l’annonce – peut-on s’en étonner ? – figurait dans le programme du Président de la République.
Il me semble donc que nous sommes fondés à débattre de cette question, mais aussi à nous interroger sur les raisons qui poussent le Gouvernement à nous présenter ces projets de loi et qui peuvent nous pousser à les adopter.
S’il s’agissait de moraliser la vie publique, comme j’ai cru comprendre que certains le soutenaient, nous serions tous en droit de protester ; nous n’avons pas à rougir de tenir nos mandats, et parfois plusieurs mandats, de la confiance de nos concitoyens. De ce point de vue, du reste, il eût suffi d’interdire le cumul des indemnités pour régler le problème d’une manière claire, nette et définitive.
Si, en revanche, il s’agit de moderniser nos institutions politiques, parlementaires et locales, le débat mérite d’être repris, tant le malaise civique est profond. Je regrette d’ailleurs que cette question n’ait été évoquée qu’à la marge par les oratrices et les orateurs qui m’ont précédé.
Au fond, ce qui pose aujourd’hui question, c’est le fonctionnement de nos institutions, l’idée que nos concitoyens s’en font et l’écart, qu’ils perçoivent comme de plus en plus grand, entre ce que nous représentons et leur vie quotidienne.
Mme Corinne Bouchoux. Tout à fait !
M. Gaëtan Gorce. Dans ces conditions, la limitation, voire l’interdiction, du cumul d’un mandat parlementaire avec un mandat exécutif local sont-elles la solution ? La réponse est : oui et non à la fois.
Oui, si l’on veut bien considérer que, en réponse aux appels que nos concitoyens nous adressent, nous devons commencer à nous adapter et à mettre en place des règles accordées au temps présent.
D’où vient le cumul ? Il est, au départ, la conséquence de la centralisation de nos institutions. En effet, bondir au Parlement, à la Chambre des députés ou au Sénat était une manière pour l’élu local de pouvoir résister au préfet ou au ministre.
Paradoxalement, la décentralisation, qui aurait dû mettre un terme à ce phénomène, l’a presque accentué. C’est dire qu’il a une autre cause, qui tient à la dévalorisation de notre Parlement, lequel est le cœur même des institutions de la Ve République.
En d’autres termes, si l’on veut aujourd’hui renforcer la confiance que nos concitoyens portent à la politique et à leurs parlementaires, il faut à la fois interdire le cumul et supprimer la cause qui l’entraîne, c’est-à-dire l’insuffisance des moyens et des prérogatives propres de nos assemblées.
À cet égard, monsieur le ministre, je regrette que le Gouvernement n’ait pas présenté, ni même annoncé, une réforme d’envergure propre à satisfaire cette ambition.
Monsieur le président, monsieur le président du groupe socialiste, je souhaiterais que le président du Sénat se saisisse très rapidement de cette question, afin qu’une réflexion soit engagée qui débouche sur des propositions concrètes pour conforter la réforme sur le cumul des mandats en donnant à nos assemblées les moyens et les prérogatives qui leur manquent.
Certains orateurs ont prétendu que, si nous votions cette réforme, nous mettrions en danger l’équilibre des institutions. Je suis de l’avis contraire et je crois même qu’elle assurera l’avenir de notre Sénat.
Il y a quelques instants, un ancien président du Sénat, qui s’est d’ailleurs absenté,…
M. Philippe Bas. Comme la plupart de vos collègues !
M. Gaëtan Gorce. … comme Mme Benbassa, ainsi qu’il l’a alors souligné, a évoqué le risque qui pèserait sur notre assemblée ; sans doute pensait-il à de futures responsabilités… Assurément, il y a dans ce débat une démagogie populaire, ou populiste ; mais il me semble qu’il y a aussi une forme de démagogie parlementaire, qui consiste à flatter les habitudes et à refuser le changement. (M. Claude Dilain ainsi que Mmes Corinne Bouchoux et Hélène Lipietz applaudissent.)
Mes chers collègues, si nous voulons que le Sénat se renforce et qu’il joue pleinement son rôle, nous ne devons pas le tenir à l’écart des mouvements plus généraux réclamés par nos concitoyens !
S’il est une idée que nous devons garder à l’esprit et qui doit commander notre réflexion, c’est la raison pour laquelle le cumul, qui ne posait pas problème à nos concitoyens il y a vingt ou trente ans et qui a été toléré sous les IIIe, IVe et Ve Républiques, est brusquement devenu un sujet de préoccupation et de réprobation, ce dont témoignent toutes les indications dont nous disposons.
De fait, le lien de confiance entre nos concitoyens et les parlementaires s’est progressivement affaibli ; mes chers collègues, c’est ce lien qu’il faut de nouveau renforcer !
Ce renforcement passe par l’interdiction du cumul dans les conditions qui nous sont proposées, comme par la transparence des patrimoines ; à cet égard, je regrette que l’Assemblée nationale ait poussé une forme d’hypocrisie jusqu’à prévoir la sanction de ceux qui révéleraient le contenu des déclarations de patrimoine, lesquelles seront consultables. Ce renforcement passera aussi par une réforme de nos institutions et par une extension des prérogatives des assemblées.
Bien plus, restaurer la confiance exigera de nous tous, non seulement que nous prenions les mesures indispensables pour améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens, mais aussi que nous incarnions la République dans ses valeurs les plus hautes – je suis persuadé que ce souci habite en permanence chacune et chacun d’entre nous. En d’autres termes, nous devons faire preuve à la fois de constance, d’humilité, de travail et d’attention à ce que pensent nos concitoyens.
Mes chers collègues, ce n’est pas là seulement l’affaire d’une loi ; il nous appartient d’opérer une prise de conscience si nous voulons que la politique, qui est un art noble et un engagement digne d’être valorisé, soit de nouveau respectée, c’est-à-dire que notre démocratie fonctionne. Pour cela, il faut avancer pas à pas sur le chemin qui nous est proposé, et même aller un peu plus loin – monsieur le ministre, j’y invite le Gouvernement et la majorité.
Oui, le changement est nécessaire ; je me réjouis que, dans ce domaine, pour le coup, le changement, ce soit maintenant ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi organique et le projet de loi qui nous sont soumis auraient pu être importants et fondateurs, du point de vue de notre conception de la politique et de son exercice. Malheureusement, je pense que ce n’est pas le cas, tout simplement parce que leur objet n’est pas celui qui est affiché.
M. Hugues Portelli. On prétend lutter contre le cumul des mandats. En réalité, ces projets de loi ne régleront pas le problème.
Plusieurs collègues ont déjà souligné la nécessité de distinguer précisément le cumul des mandats, le cumul des fonctions et le cumul des indemnités. Or le phénomène qui se produit en France depuis des années, et qui s’est accéléré ces derniers temps, entretenu encore par le projet de loi en cours d’examen sur la réforme territoriale, est la multiplication du nombre des mandats.
De fait, on n’arrête pas de créer de nouveaux mandats…
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Oui, même chez les Français de l’étranger !
M. Hugues Portelli. … et de nouvelles fonctions, alors que la première façon de régler le problème du cumul serait d’arrêter d’en créer (M. René-Paul Savary applaudit.), ou du moins d’en supprimer quand on en crée de nouveaux !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Absolument ! Regardez les Français de l’étranger !
M. Hugues Portelli. Alors que nous avions déjà les communes, les départements et les régions, on crée des établissements publics de plus en plus nombreux, les derniers en date étant les métropoles. Du coup, la distinction entre les établissements publics de coopération intercommunale et les collectivités territoriales ne tiendra plus, puisque ces établissements auront des compétences et des financements de plus en plus importants, et que leurs responsables seront élus comme ceux des collectivités territoriales.
Je vous le demande : comment peut-on lutter contre le cumul des mandats et des fonctions lorsqu’on s’emploie de façon systématique à multiplier lesdits mandats et lesdites fonctions ?
Par ailleurs, quand on discute avec nos concitoyens, on s’aperçoit qu’ils se préoccupent surtout du cumul des indemnités. Compte tenu de la passion égalitaire qui caractérise la France, notamment la France républicaine, c’est sur ce plan qu’il aurait fallu porter le fer ; or on ne l’a pas fait, ou de façon tout à fait partielle et insuffisante.
Si l’objet réel des projets de loi n’est pas la lutte contre le cumul, quel est-il donc ? À mon avis, ils ont deux buts précis.
En premier lieu, ils visent à abattre une fois pour toutes une certaine façon de faire de la politique dans notre pays.
Traditionnellement, en France, on faisait de la politique en s’engageant au niveau local : on était d’abord conseiller municipal, ensuite maire, éventuellement conseiller général, puis on grimpait les échelons du cursus jusqu’à devenir député, voire sénateur, et même, si possible, Président de la République.
Cette conception de la politique, fondée sur un cursus honorum, avait une cohérence, qui tenait principalement à la volonté des élus locaux de tenir face au pouvoir central de l’État : en cumulant sa fonction avec celle d’élu national, l’élu local se donnait les moyens de résister au préfet et au ministre.
M. Philippe Bas. Très juste !
M. Hugues Portelli. Entre nous, mes chers collègues, cette vérité vaut toujours aujourd’hui. En effet, ce n’est pas parce qu’on a donné un pouvoir réglementaire résiduel aux collectivités territoriales qu’on a créé un véritable pouvoir local. La France ne sera jamais l’Allemagne, ni l’Espagne ou l’Italie, ni même le Royaume-Uni !
Cette cohérence était aussi électorale : elle reposait sur le scrutin uninominal majoritaire, dont l’élu local tirait une assise et une légitimité propre qui lui permettaient de résister à la légitimité administrative du pouvoir central.
Mes chers collègues, de cette conception française de la politique, le Sénat était en quelque sorte le fleuron.
Seulement, cette conception est aujourd’hui battue en brèche par deux autres.
La première conception, traditionnelle, est dominante dans les pays voisins : les élus sont des « fonctionnaires de parti » dont la carrière est réglée par leur parti. Ce système fonctionne lorsque les partis ont de nombreux adhérents, ce qui n’est pas le cas en France : dans la plupart des pays voisins, un seul parti a autant d’adhérents que tous les partis français réunis !
M. Philippe Bas. Très intéressant !
M. Hugues Portelli. En outre, dans les pays où il existe, ce système repose sur un scrutin proportionnel de liste.
Mme Corinne Bouchoux. Et voilà !
M. Hugues Portelli. Ma ville est notamment jumelée avec des villes d’Italie, d’Espagne ou d’Allemagne : leurs maires m’expliquent qu’après un mandat de quatre ou huit ans, n’ayant pas le droit de rester en fonction, ils passeront à l’échelle de la région, voire un jour à l’échelle du Parlement national. Cette façon de faire de la politique ne fonctionne pas chez nous, parce que les Français n’aiment pas les partis et n’y adhèrent pas, de sorte que ce système ne serait pas légitime.
La seconde conception qui s’oppose à la conception traditionnelle dont j’ai parlé est arrivée avec la Ve République, mais a été complètement pervertie.
Le général de Gaulle voulait l’indépendance de l’État, garantie par des hauts fonctionnaires neutres au service de l’intérêt général. Seulement, un phénomène s’est produit que le Général n’avait pas prévu : ces hauts fonctionnaires se sont mis à faire de la politique.
Mme Corinne Bouchoux. C’est vrai !
M. Hugues Portelli. Ils ont peuplé les cabinets ministériels, sont entrés dans les partis, et de là se sont fait élire député, voire sénateur ; ils ont accédé au Gouvernement, et jusqu’à la présidence de la République.
C’est cette nouvelle classe politique, bien évidemment, qui porte le fer contre l’ancienne, dont nous sommes les derniers fossiles, les derniers dinosaures. Elle y arrive en s’alliant avec les fonctionnaires des partis. C’est la réalité aujourd’hui.
M. Michel Savin. C’est vrai !
M. Hugues Portelli. Tel est l’unique objet de ce projet de loi,…
M. Michel Savin. Très juste !
M. Hugues Portelli. … dont je reconnais au demeurant la cohérence.
C’est la raison pour laquelle ce texte s’attaque au maillon le plus fort, le Sénat, bastion de la politique « à l’ancienne »,…
Mme Corinne Bouchoux. C’est vrai !
M. Hugues Portelli. … pour parler en termes de modernité, comme M. le ministre.
Il est nécessaire d’amoindrir la Haute Assemblée, et ce de deux façons. Premièrement, il faut empêcher que les sénateurs soient en même temps des élus locaux. Alors qu’ils tiraient leur légitimité de leur seule élection locale, puisqu’ils ne sont pas élus au suffrage universel direct, ils ne pourront plus prétendre à un tel mandat. Deuxièmement, il convient d’introduire, par doses progressives, la proportionnelle, pour que les partis nomment les sénateurs et que ces derniers n’aient plus d’ancrage territorial. La boucle est ainsi bouclée ! Tel est le vrai but. (Bravo ! et applaudissements sur la plupart des travées de l'UMP. – MM. Yves Détraigne et Joël Guerriau applaudissent également.)
Monsieur le ministre, ce projet de loi permettra, à terme, de couper le personnel politique français en deux.
Il y aura les élus nationaux, dont le destin sera de plus en plus lié à celui du président de la République, puisque les députés, sans ancrage territorial, seront élus comme lui et finiront leur carrière politique comme lui. Notez une chose : en 2007 et en 2012, quels députés ont résisté aux vagues bleue puis rose ? Ceux qui étaient également des élus locaux ! Tous les autres ont été balayés (MM. Joël Guerriau et Yves Détraigne ainsi que Mlle Sophie Joissains et Mme Caroline Cayeux applaudissent.), ils n’ont pas résisté, après le scrutin présidentiel intervenu quelques semaines plus tôt. Quant aux sénateurs, ce seront des figurants.
En face, vous aurez un personnel politique local. Sera-t-il puissant pour autant ? Pas du tout ! Il sera atomisé par la multitude des collectivités et des EPCI, dans lesquels il se répartira. Du coup, il n’aura pas les moyens de peser face au pouvoir central.
Monsieur le ministre, à titre personnel, je suis plutôt favorable au cumul des mandats, mais un vrai et je vais vous dire lequel. On aurait pu faire une vraie réforme. Cela aurait supposé de limiter le nombre des collectivités et des établissements publics locaux et de créer un véritable pouvoir local. (M. Jean-Marie Bockel applaudit.) Car celui qui a un vrai pouvoir local, grand ou petit, n’est pas tenté de cumuler au niveau national. La carrière locale qu’il déroule le satisfait amplement.
Par ailleurs, il fallait également réformer la représentation nationale, y compris le Sénat. Je suis de ceux, minoritaires, qui pensent qu’une représentation identique à celle que nous avions sous la IIIe République n’est ni moderne ni démocratique.
Mme Hélène Lipietz. Tout à fait !
M. Hugues Portelli. Vous ne me ferez jamais défendre un système qui remonte à deux siècles !
Franchement, monsieur le ministre, le remplacer par un système pire encore, dans lequel le Sénat conserve ses pouvoirs tout en perdant sa légitimité territoriale, ce n’est pas possible ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Yves Détraigne et Jean-Marie Bockel applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’il n’y ait aucune ambiguïté : je suis socialiste, j’apporte soutien et appui à l’action que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault mène pour la modernisation de la France, le rétablissement de ses grands équilibres (M. Rémy Pointereau s’exclame.), le renforcement de sa cohésion sociale sur des bases de solidarité, de compétitivité et de justice.
M. Philippe Bas. Ça va bien en le disant !
M. Yves Daudigny. Mais qu’il n’y ait aujourd’hui aucun flou : je combats les dispositions de la loi, qui conduiront en particulier, si elle est votée, à interdire l’exercice simultané d’un mandat de sénateur et d’une responsabilité exécutive locale.
M. Rémy Pointereau. Très bonne initiative !
M. Philippe Bas. C’est courageux !
M. Yves Daudigny. J’assume ici, à cette tribune, sans honte, devant les citoyens de notre pays, ce double engagement de contribuer, dans notre Haute Assemblée, à l’élaboration des lois de la France et de présider, dans l’Aisne, l’assemblée départementale.
Je l’assume d’abord parce que ce double exercice ne résulte pas d’un quelconque coup de force ou d’une liberté de choix confisquée aux citoyens ou aux grands électeurs. Il est le fruit de scrutins vécus dans une totale transparence. Et l’analyse des résultats, ceux des dernières élections législatives par exemple, montre souvent que, dans l’isoloir, l’électeur demande ce que, dans les sondages, le citoyen rejette.
Je l’assume ensuite parce que l’interdiction envisagée engendrera l’émergence exclusive d’un type de parcours d’élu. Mes chers collègues, s’il n’avait pas été possible au président d’un conseil général d’être candidat à un mandat national, jamais le plaisir ne m’aurait été donné de vous connaître, et vous n’auriez jamais eu la possibilité ou subi la contrainte de m’écouter. (M. Philippe Bas sourit.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est bien dit !
M. Yves Daudigny. La diversité des trajectoires politiques est une richesse des assemblées, de la nôtre en particulier, et j’ai tout respect pour les collègues qui font le choix de la non-conjonction d’un mandat parlementaire et d’une responsabilité locale.
Mme Hélène Lipietz. Merci !
M. Yves Daudigny. Je souhaite la même tolérance pour celles et ceux qui font un autre choix,…
M. Antoine Lefèvre. Oui, ce serait bien !
M. Yves Daudigny. … qui est aussi un choix de vie. (Mlle Sophie Joissains applaudit.)
Mme Françoise Laborde. Très bien !
M. Yves Daudigny. Ce choix permet d’éclairer l’action exécutive locale, par le traitement et la connaissance des dossiers au plus haut niveau. Il enrichit le débat parlementaire de l’expérience réelle et directe de celui ou celle qui non seulement participe à la vie des assemblées locales, mais aussi doit décider, assumer la gestion, avoir une vision.
Je ne renierai pas aujourd’hui plus de trois décennies d’engagement dans l’action publique et d’exercice de responsabilités communales, communautaires, départementales puis maintenant nationales au sein de la Haute Assemblée.
Je ne renierai pas trente années d’une vie politique construite pierre par pierre, sur des bases de travail, de compétences progressivement acquises, de connaissance et de reconnaissance, de dialogue et de confiance.
Mais la question ne peut se réduire à la seule complémentarité ni à l’inclusion dans un territoire.
L’éminent professeur Pierre Avril, lors de son intervention au Sénat le 10 septembre dernier, affirmait que « l’on ne peut s’affranchir de la spécificité du Sénat », spécificité instaurée par l’article 24 de notre Constitution.
Bien sûr, le débat n’est pas tranché concernant l’interprétation de l’alinéa 4 de cet article, aux termes duquel le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Pour assurer cette représentation, un sénateur se doit-il ou non d’être implanté au sein d’un territoire par le biais d’une fonction locale ? Un sénateur devrait-il même avoir l’obligation, pour exercer son mandat parlementaire, d’être maire, président de conseil général – comme c’est mon cas, ainsi que celui de trente-trois de mes collègues sénateurs et de onze de mes collègues députés – ou bien encore président de conseil régional ?
Ma position est celle du libre choix ; c’est la situation présente, qui assure une diversité des situations. Je ferai simplement miens les mots des avocats Jean-Pierre Mignard et Jorge Mendes Constante, qui, en mai 2010, écrivaient que si on leur interdisait le cumul, « les représentants des collectivités territoriales – c’est-à-dire les sénateurs – seraient détachés de tout lien local, un détachement imposé contraire à l’esprit de la Constitution ». À leurs yeux, ce non-cumul « décapiterait le Sénat ».
M. Antoine Lefèvre. Oui !
M. Yves Daudigny. Je ne m’étendrai pas sur les arguments, démentis par toutes les études, relatifs à l’absentéisme ou au lobbying qui conduiraient à un intérêt autocentré de certains parlementaires pour les problématiques inhérentes à leurs collectivités d’ancrage. (Mme Hélène Lipietz s’exclame.)
Je passerai également sur l’argument mettant en avant l’exception française et l’originalité de la situation du Président de la République. À cet égard, de nombreux juristes et universitaires, comme l’historien Patrick Weil, que je cite, car son implication dans ce débat a été forte, ont pointé l’« incontestable contrepoids » que représente le cumul des mandats au regard de la concentration extrême des pouvoirs entre les mains du Président de la République. (Mme Hélène Lipietz s’exclame de nouveau.)
Le débat pourrait encore s’élargir dans deux directions que je ne ferai qu’évoquer.
Première direction, le professeur Dominique Rousseau, lors de son intervention au Sénat, affirmait que « le Sénat n’a de légitimité dans une République que s’il n’est pas le doublon de l’Assemblée nationale ». Je partage ce point de vue. La dimension duale, à la fois locale et nationale, de la représentation qu’octroie au Sénat notre Constitution participe de cette légitimité.
Seconde direction, je vous invite, mes chers collègues, que vous soyez pour ou contre ce projet de loi, à ne pas nourrir les populismes qui se développent dans l’indifférence, le rejet ou même la haine des élites, des élus, des parlementaires. Les élus qui conjuguent mandat parlementaire et exécutif local ne sont pas les criminels d’un idéal démocratique, assoiffés de pouvoirs ou d’avantages. Comme d’autres élus, ils fondent leur action sur des idéaux et des valeurs. Comme d’autres élus, ils sont porteurs de l’intérêt général et des attentes de leurs concitoyens.
« La liberté ne peut constituer qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir », écrivait Montesquieu.
Vous l’avez compris, en cohérence avec les engagements qui ont toujours été les miens, parce que j’ai la conviction que les dispositions en discussion, si elles étaient définitivement adoptées, sont porteuses pour le Sénat d’un exercice démocratique dégradé, je ne voterai pas ce texte en l’état. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – MM. Gérard Miquel, Robert Tropeano et François Fortassin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, la commission des lois avait prévu de se réunir à dix-neuf heures trente, afin de poursuivre l’examen des amendements déposés sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. (M. Éric Doligé s’exclame.) Non, nous sommes tout à fait dans les délais puisque nous travaillons sur la première série d’amendements quinze jours avant d’engager l’examen des amendements extérieurs.
Cette réunion sera reportée d’environ trois quarts d’heure. Nous la tiendrons en effet juste après la réponse que fera M. le ministre aux orateurs, vers vingt heures quinze.
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous confirme que, pour la cohérence de notre débat, nous achèverons la discussion générale commune avant la suspension du dîner, qui devrait intervenir vers vingt heures quinze.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à Mme Caroline Cayeux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Caroline Cayeux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur le cumul des mandats qu’il nous est proposé d’examiner aujourd’hui pose, selon moi, de sérieux problèmes. Je pense notamment, monsieur le ministre, à votre conception de l’organisation politique et territoriale de notre pays, et tout particulièrement au respect du rôle des sénateurs. Je ne suis d’ailleurs pas la première, à cette heure-ci, à intervenir en ce sens.
Ce projet de loi est en effet inadapté aux réalités auxquelles nous sommes confrontés sur le terrain et, donc, inapproprié au bon fonctionnement de notre démocratie. La preuve en est qu’à droite, comme au centre et à gauche, cette réforme, qui coupe les partis politiques en deux, fait voler en éclat les clivages partisans. Quant à la commission des lois, elle a rejeté les deux textes que vous nous présentez.
Il est vrai que la proposition 48 du candidat Hollande, qui sonne comme un dogme, s’impose à vous sans alternative. Mais est-ce réellement un sujet de société ou s’agit-il d’un effet de mode ? Surtout, ce texte était-il si urgent, au regard des difficultés que nos concitoyens rencontrent chaque jour ? Ils payent toujours plus d’impôt, sont toujours plus nombreux à subir le chômage et souffrent toujours plus d’insécurité dans leur ville. Je m’arrêterai là, mon collègue Éric Doligé l’ayant excellemment démontré.
Ce projet est inadapté, je le disais voilà quelques instants. Monsieur le ministre, est-il bien raisonnable, au moment où vous vous apprêtez à supprimer des milliards destinés aux collectivités locales dans les années qui viennent, d’augmenter encore le nombre des élus ?
Vous avez abandonné le conseiller territorial, qui remplaçait à la fois le conseiller général et le conseiller régional, pour finalement le remplacer par le conseiller départemental. Malgré la diminution du nombre des cantons, le nombre des conseillers départementaux restera stable, puisque, au nom du respect de la parité, il faudra désormais être élu en binôme. En Picardie, par exemple, alors que nous aurions dû compter 109 conseillers territoriaux au lieu de 186 conseillers régionaux et départementaux à ce jour, ce nombre demeurera identique en 2015, bien que le nombre des cantons ait été divisé par deux.
Aux termes du projet de loi qui nous est soumis, vous multiplierez demain le nombre des élus, les parlementaires, d’une part, les élus locaux, d’autre part. Au moment où tout le monde parle d’économies, je regrette cette inflation budgétaire.
Ce projet de loi est tout sauf réaliste, il est inapproprié et me fait penser à du bricolage territorial parce que, avant de s’attaquer au cumul des mandats de manière idéologique et dogmatique, il eût été plus sage de préparer un vrai et grand statut de l’élu local, que nous n’avons cessé de réclamer : un statut qui donne à tout citoyen l’envie d’être élu – et aujourd’hui, franchement, on ne se bouscule pas pour l’être et on se bousculera de moins en moins –, un statut qui garantisse la transparence et permette une efficacité accrue, un statut qui organise aussi concrètement la fin du mandat pour celles et ceux qui devront retourner dans la vie active.
Monsieur le ministre, vous qui avez été député-maire d’Évry – et j’ai cru comprendre que ce double rôle vous convenait et vous passionnait –, vous savez que les élus qui cumulent ne cumulent pas leurs indemnités – nous sommes écrêtés – et qu’ils jouissent de peu de privilèges : ils cumulent l’efficacité et les responsabilités…
M. Antoine Lefèvre. Et ils travaillent !
Mme Caroline Cayeux. … pour soutenir concrètement leur territoire.
M. Gérard Longuet. Très bien !
Mme Caroline Cayeux. C’est ce lien qu’il me paraît indispensable de conserver, tout particulièrement ici, au Sénat. Qui mieux qu’un maire ou qu’un élu local est à même de juger ce qui doit être amélioré dans sa ville, son département ou sa région ? Et un maire qui a la chance d’être parlementaire est doublement efficace.
Parlementaire depuis deux ans, mais maire d’une ville depuis près de treize ans – à l’époque, je ne cumulais pas –, je dois vous avouer que j’ai pu apprécier la différence du poids de l’élue locale que j’étais alors. Je devais sans arrêt me battre pour faire valoir les droits de mon territoire et de ses habitants, pour faire reconnaître notre action politique au niveau national. Maintenant que je suis parlementaire, Beauvais est entendue, Beauvais est respectée.
M. Claude Dilain. C’est cela qui n’est pas normal ! (Mme Hélène Lipietz renchérit.)
Mme Caroline Cayeux. C’est aussi le drame de l’effet pervers de notre système politique et médiatique. On ne voit qu’à travers les parlementaires ! Pourtant, qui fait vivre nos villes, nos agglomérations, nos départements ? Ce sont les élus locaux, les élus « d’en bas », si vous me permettez l’expression.
M. Georges Labazée. Ça, c’est vrai !
Mme Caroline Cayeux. C’est pourquoi je considère, comme de très nombreux collègues ici, qu’un parlementaire doit être autorisé à exercer une fonction exécutive locale, d’autant plus que, pour ce qui nous concerne, c’est là le fondement même de notre mandat de sénateur.
Mais avec ce projet de non-cumul strict des mandats, vous allez donner à la France et à nos concitoyens deux sortes d’élus, les parlementaires « d’en haut » et les élus locaux « d’en bas », alors que la force de notre modèle politique est sa capacité à permettre à tous les citoyens de représenter un jour leur territoire, leur ville, leur campagne au plus haut niveau de l’État.
Avec votre projet de loi, vous couperez malheureusement le lien qui existe entre la représentation nationale et nos territoires, lien encore plus fort ici au Sénat puisque ce sont nos collègues élus qui nous désignent. Vous contribuerez à mettre en place dans nos assemblées respectives au mieux des techniciens ou des technocrates, au pis des militants des partis politiques.
Mme Éliane Assassi. Pourquoi « au pis » ?
Mme Caroline Cayeux. Plus grave encore, vous vous priverez de l’expertise des sénateurs, qui sont élus par d’autres élus qui leur ont fait confiance. Nous sommes attachés à la responsabilité que nous ont accordée nos électeurs.
C’est donc tout particulièrement la spécificité du Sénat qui est en danger aujourd’hui et, contrairement aux idées reçues, pour une démocratie moderne et utile, efficace et dynamique, j’oserais dire : oui, il faut favoriser le cumul entre un mandat national et un exécutif local.
Monsieur le ministre, Victor Hugo disait : « Je préfère ma conscience à la consigne. » Il me semble que, dans votre passé de député-maire, vous aviez conscience que ce double mandat était un plus pour votre ville. Aussi, je vous demande de donner aux élus la capacité de garder les pieds sur terre, mais aussi d’avoir le pouvoir de vous interpeller comme je le fais ici ce soir au plus haut niveau de la nation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Bravo !
M. Antoine Lefèvre. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le rapport d’information de mars 2012 de nos collègues François-Noël Buffet et Georges Labazée sur le cumul des mandats et l’étude de législation comparée, de juillet 2012, dans sept pays de l’Union européenne, portant sur le même sujet font apparaître que la proportion d’élus en situation de cumul ne dépasse guère 20 % dans la plupart des pays européens alors qu’elle est en France de 83 % pour les députés et de 78 % pour les sénateurs.
Certes, l’organisation territoriale diffère. Il est donc compréhensible que le niveau de cumul varie selon que l’État est unitaire ou fédéral.
Néanmoins, cela en dit long sur la situation actuelle s’agissant du renouvellement de la classe politique, surtout lorsqu’on sait qu’en 1936 seulement 36 % des députés exerçaient un mandat local. (Mme Hélène Lipietz s’exclame.)
Si l’on ajoute à ce constat une grave crise de confiance des citoyens à l’égard de la représentation nationale, ce qui traduit un grand désarroi citoyen, il est urgent de prendre des mesures pour préserver le pacte républicain.
Cela explique que François Hollande, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, se soit notamment engagé à faire voter une loi sur le cumul des mandats et des fonctions électives.
Le texte qui nous est soumis est donc la concrétisation de cet engagement. Il reprend les principales suggestions de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin.
Le projet de loi traite de la limitation du cumul dans l’espace, mais non dans le temps. Ses dispositions ont été renforcées par les députés, qui ont élargi le champ de l’incompatibilité aux fonctions « dérivées de mandats locaux » et limité les hypothèses de cumul d’indemnités.
Au Sénat, le débat s’est engagé de manière différente qu’à l’Assemblée nationale. Ainsi, un certain nombre de collègues estiment que l’interdiction d’exercer concomitamment un mandat parlementaire et une fonction élective romprait le lien de proximité entre les élus nationaux et leurs électeurs. Ils évoquent la spécificité du mandat sénatorial et demandent sa reconnaissance en s’appuyant sur l’article 24 de la Constitution, qui dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Cela justifierait, selon eux, la possibilité de cumuler une fonction exécutive locale et un mandat de sénateur.
Cette question divise d’ailleurs la doctrine, comme nous avons pu le constater lors d’une audition organisée la semaine dernière par la commission des lois de notre assemblée.
Que faut-il en penser ? Je ne doute pas de la sincérité des collègues qui demandent la reconnaissance de la spécificité du mandat sénatorial ; ils pensent probablement défendre ainsi à la fois les prérogatives du Sénat et le bicaméralisme.
M. Philippe Bas. Ils le font !
M. Michel Teston. En revanche, je ne suis pas du tout convaincu par leur argumentation, qui ne paraît ni solide juridiquement ni opportune politiquement.
Il semble d’abord difficile d’invoquer la spécificité du mandat sénatorial alors que le régime des incompatibilités des sénateurs est aligné sur celui des députés. Ce n’est pas là le fruit du hasard, contrairement à ce que prétendent certains juristes.
En outre, il est très peu probable que le Conseil constitutionnel donne de l’article 24 de la Constitution une interprétation reconnaissant un traitement différencié pour les sénateurs. Et quand bien même irait-il dans ce sens – ce qui m’étonnerait fort, car il faudrait alors qu’il opère un revirement de jurisprudence –, ne serait-ce pas la voie ouverte à une restriction des compétences du Sénat, en quelque sorte à une forme de « relégation », en le cantonnant à l’examen des seuls textes relatifs aux collectivités locales,…
M. Philippe Bas. Pour cela, il faudrait une révision constitutionnelle !
M. Michel Teston. … à l’instar de ce qui prévaut dans un certain nombre d’États voisins ?
M. Claude Dilain. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest. Dans des États fédéraux !
M. Michel Teston. En réalité, la reconnaissance d’un traitement différencié pour les sénateurs pourrait bien se traduire, à terme, par un affaiblissement du Sénat…
M. Rémy Pointereau. C’est déjà fait !
M. Michel Teston. … et par l’instauration d’un bicaméralisme très déséquilibré.
Sur le plan politique, enfin, un traitement différencié des sénateurs paraît totalement inopportun. En effet, l’existence et l’utilité du Sénat sont aujourd’hui beaucoup moins contestées par les citoyens qu’elles ne l’étaient il y a une quinzaine d’années. L’action de rénovation de notre assemblée et de son fonctionnement explique certainement cette évolution positive.
Eh bien, mes chers collègues, si, contrairement aux députés, les sénatrices et sénateurs ne devaient pas être concernés par les dispositions du présent texte, il serait à craindre que le Sénat n’échappe pas à une très forte détérioration de son image, avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir quant à son existence.
M. Philippe Bas. Voilà bien les ravages de l’obsession médiatique et sondagière !
M. Michel Teston. Alors, mes chers collègues, pour ces diverses raisons, il ne faut pas chercher à obtenir un traitement différent des sénateurs par rapport aux députés ! En effet, les deux projets de loi que nous examinons autorisent le cumul d’un mandat parlementaire national ou européen avec un mandat local, départemental ou régional, non exécutif. Ils permettent donc de maintenir le lien de proximité entre les élus nationaux et leurs électeurs. Il en irait différemment si ces projets visaient à instaurer le mandat unique. Or tel n’est pas le cas !
Je voterai donc ces projets de loi que je juge absolument nécessaires. Je note d’ailleurs qu’ils sont très voisins des deux propositions de loi que j’avais déposées sur le même sujet en 2006, et qui n’ont jamais été examinées. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Charon. (Ah ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Pierre Charon. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les interventions de mes excellents collègues Philippe Bas et Gérard Larcher, qui ont, respectivement, apporté un éclairage juridique et institutionnel sur les dangers des projets de loi qui nous sont soumis. J’approuve en tout point leurs démonstrations. Je salue également les interventions des présidents Jacques Mézard, François Zocchetto et François Rebsamen.
Monsieur le ministre, votre texte qui vise à interdire le cumul d’un mandat parlementaire avec toute fonction exécutive locale, même mineure, est excellent… pour le parti socialiste. (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Il est excellent pour la gauche, parce qu’elle s’offre, à moindres frais, une réforme facile et populaire, quitte à ne pas réfléchir aux conséquences institutionnelles de ce choix.
Il est excellent pour le parti socialiste, parce qu’il flatte la fibre poujadiste qui sommeille en chaque Français quand il est accablé par une situation économique et sociale dont il ne voit pas l’issue.
M. Philippe Bas. Très bien !
M. Pierre Charon. Or, quand un parti est en désamour dans l’opinion, qu’y a-t-il de plus habile que de jeter le discrédit sur l’ensemble de la classe politique ?
Il est aussi excellent pour le Président de la République, parce qu’il s’offre le luxe de se donner une image de fermeté en résistant à une majorité prétendument récalcitrante, alors que depuis le début de son quinquennat, il va de renoncement en renoncement sur tous ses engagements de campagne.
M. Éric Doligé. C’est vrai !
M. Pierre Charon. Il est excellent pour le Premier ministre et son gouvernement, puisqu’il coupe désormais tout lien entre l’élu et son territoire. Puisque le parlementaire n’assiéra plus sa légitimité sur son enracinement local, le parti socialiste pourra investir les candidats de son choix, sans lien avec les territoires.
M. Claude Bérit-Débat. Ne vous occupez pas du parti socialiste, occupez-vous plutôt de l’UMP !
M. Pierre Charon. Ces apparatchiks – dont on a tant parlé aujourd’hui – n’auront d’autre légitimité que celle de la commission d’investiture qui les aura désignés et voteront sans broncher les textes qui leur seront soumis puisque les seules personnes qu’ils auront à séduire seront les hiérarques du PS et non plus les grands électeurs. (M. Jacques Chiron s’exclame.)
Il est excellent pour la République des « camarades », puisque, dorénavant, les candidats seront cooptés dans un petit cénacle de la rue de Solférino. Cela sera particulièrement vrai pour le Sénat puisque près des trois quarts de ses membres seront élus au scrutin proportionnel. N’importe quel « camarade » pourra être placé en début de liste, quitte à n’avoir aucun lien avec son territoire pour assurer son élection.
Il est excellent, enfin, pour les officines d’influence de la gauche, qui pourront faire voter les lois les plus absurdes – je pense à la réforme de la justice, insufflée par le Syndicat de la magistrature, ou la réforme de l’école, par les syndicats d’enseignants –, sans que les parlementaires puissent faire remonter la voix du peuple.
M. Jean-Jacques Mirassou. Allons, allons !
Un sénateur du groupe socialiste. Parlez-nous du peuple, avec Sarkozy !
M. Pierre Charon. Mais il y a un autre point que, en tant que sénateur de Paris, je souhaite aborder : l’interdiction faite aux maires d’arrondissement et à leurs adjoints d’être parlementaire.
Je pourrais éventuellement comprendre que l’on interdise le cumul de mandats en cas de fonctions électives excessivement prenantes, par exemple s’il s’agit du maire d’une capitale de plus de 2 millions d’habitants ou du maire d’une des grandes villes françaises. À une certaine époque, monsieur le ministre, vos réflexions vous avaient d’ailleurs conduit à envisager de fixer un seuil de population pour l’interdiction de cumuler une fonction élective. À défaut de trouver ce seuil, vous avez proposé une stricte interdiction, qui, déjà absurde pour une petite commune, devient ridicule pour une mairie d’arrondissement.
Comme vous le savez, un maire d’arrondissement est loin d’exercer la totalité des compétences de son secteur – et que dire de ses adjoints ? Je vous épargne la liste de ses compétences. Mais tout un chacun sait bien ici qu’elles ne justifient pas que les maires d’arrondissement soient traités comme des maires de plein exercice. J’ajoute que, dans le cas de Paris, ce ne sont pas les temps de déplacement du Parlement à la circonscription qui occuperont une place trop importante dans l’agenda de l’élu !
Sérieusement, rien ne peut justifier cette interdiction, à part, peut-être, votre volonté de niveler vers le bas. Mme Hidalgo craint-elle à ce point de ne pas exercer de leadership sur ses troupes qu’elle s’ingénie à empêcher tout maire d’arrondissement d’être député ou sénateur ?
Un maire d’arrondissement siégeant au Parlement, ce n’est pas un handicap pour Paris ! En interdisant aux grands élus parisiens d’être parlementaire, on affaiblit leur influence institutionnelle.
En vérité, la seule vraie réforme serait, comme on l’a déjà dit dans cet hémicycle et à l’Assemblée Nationale, de faire élire le maire de Paris directement par les Parisiens, et le problème de cumul ne se poserait plus ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Claude Dilain.
M. Claude Dilain. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que nous nous trouvons au cœur de ce débat passionné, je me permets de rappeler que la passion n’interdit pas le respect, tant des opinions exprimées que de celles et ceux qui les défendent. Nous avons tous la volonté de voir le Sénat sortir grandi de nos échanges : à cet égard, il me semble que l’issue de ce débat ne sera pas le seul élément à compter ; sa teneur et sa qualité auront aussi leur importance.
À ce stade, beaucoup de choses ont été dites. Pour ma part, je ne souhaite pas engager le débat sous l’angle des problèmes de disponibilité. Après tout, il s’agit là d’une question d’organisation personnelle. Je ne souhaite pas non plus l’aborder en évoquant les indemnités. Ces dernières font déjà l’objet d’un écrêtement et il suffit de décider qu’on ne peut avoir qu’une seule indemnité pour régler la question. Je me demande d’ailleurs pourquoi nous ne l’avons pas fait plus tôt, puisque tout le monde semble d’accord sur ce point… Enfin, je n’aborderai pas la problématique au travers des questions juridiques. Les positions avancées dans ce cadre sont nombreuses et contradictoires, et je n’ai pas l’expertise pour les arbitrer.
En revanche, je voudrais poser deux questions.
La première question porte sur la légitimité de la représentation. Dès lors que, selon la Constitution, le Sénat représente les collectivités territoriales de la République, qui a le plus de légitimité pour mener à bien cette mission ?
De toute évidence, les élus locaux, en particulier les maires, ont cette légitimité. Personne ne peut le nier ! Dans le cadre de son mandat, un maire acquiert un certain nombre de connaissances (M. Yves Détraigne opine.) qui lui permettent d’appréhender comment la loi votée par le Parlement sera appliquée sur le terrain. Or il s’agit bien de cela, d’être capable d’envisager les conséquences pratiques de l’exécution de la loi !
Mais cette légitimité vaut aussi pour les anciens maires. On ne devient pas amnésique parce qu’on a été élu sénateur ! À titre personnel, je me souviens parfaitement des seize années que j’ai passées à la mairie de Clichy-sous-Bois. Tout ne s’est pas envolé d’un seul coup ! D’ailleurs, M. Hugues Portelli a oublié un détail en évoquant le cursus honorum : en changeant de fonction, on abandonnait l’ancienne ; on n’était pas tribun et questeur en même temps.
Voilà donc un point très important. Rien n’interdit à un élu local de devenir sénateur, mais rien ne l’empêche non plus de démissionner. Son expertise et sa légitimité n’en seront pas diminuées.
Par ailleurs, il n’est pas forcément nécessaire d’être maire ou président d’un exécutif local pour acquérir cette expertise. Je ne suis pas d’accord avec les propos qui ont été tenus sur le sujet, selon lesquels un conseiller municipal n’a pas le même niveau d’expertise. Bien sûr que si ! Il connaît aussi son territoire. Je dirai même, quitte à faire un peu de provocation, qu’il a dans certains cas une meilleure connaissance de la population que le maire lui-même, plus au fait des dossiers que de la situation de ses administrés. (Protestations sur plusieurs travées.)
M. Georges Labazée. Exact !
M. Raymond Vall. C’est nul !
Mlle Sophie Joissains. C’est faux !
M. Claude Dilain. Je savais que mes propos allaient susciter des réactions.
J’ai entendu à plusieurs reprises que nous devions être enracinés dans le territoire. Mais les élus locaux sont-ils les seuls à l’être ? Ne pensez-vous pas, mes chers collègues, qu’un médecin,…
M. Éric Doligé. Il n’y en a plus !
M. Claude Dilain. … un commerçant, un éducateur, un enseignant n’a pas une connaissance aussi approfondie de son territoire ? Je vais vous faire un aveu : pendant plus de seize ans, j’ai cumulé la fonction de maire de Clichy-sous-Bois et une activité de pédiatre libéral dans cette ville, et je vous assure que j’ai appris autant de choses dans mon bureau de maire que dans mon cabinet de médecin.
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Michel Vergoz. Exact !
M. Claude Dilain. L’expertise dont je me sers ici, je la tire autant de la première expérience que de la seconde !
S’il est indiscutable que les élus locaux ont un point de vue sur les questions que nous traitons dans cette enceinte, ont-ils pour autant le monopole de la défense des collectivités territoriales ? Non ! Il serait donc intéressant que d’autres points de vue puissent aussi s’exprimer.
M. Gérard Longuet. Mais ils s’expriment !
M. Claude Dilain. Je dirais même qu’à travers son activité le Sénat peut permettre de rassembler ces différents points de vue.
La seconde question – je m’étonne que l’on n’en parle pas plus – est celle du conflit entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
Vous allez me dire que le pouvoir législatif national n’a rien à voir avec un pouvoir exécutif local… Relisez les comptes rendus de nos séances ! Vous verrez combien de présidents d’exécutif local, à cette tribune, ne font que défendre les intérêts de leur collectivité territoriale.
M. Rémy Pointereau. Et alors ?
M. Claude Dilain. Je ne les blâme pas. Ils ont été élus pour cela.
M. Rémy Pointereau. Ben oui !
M. Claude Dilain. Ils doivent donc le faire. Mais si nous avons été élus à l’Assemblée nationale ou au Sénat, c’est pour élaborer la loi de tous les Français !
M. Gérard Longuet. Pas seulement !
M. Claude Dilain. Il y a là, me semble-t-il, une confusion très préjudiciable et j’en ai assez d’entendre des membres de cette assemblée, dans cet hémicycle, prétendre que ce qui est bon pour leur ville l’est aussi pour la France et que ce qui n’est pas bon pour leur ville ne l’est pas non plus pour le pays. Je vous assure que je ne suis pas caricatural…
Enfin, s’agissant de la question du contre-pouvoir, le professeur Olivier Beaud nous a expliqué lors de son audition que les « barons locaux » – il a, me semble-t-il, employé le terme – étaient nécessaires car ils constituaient un contre-pouvoir. Certes, mais avez-vous vraiment le sentiment que les citoyens aspirent à ce genre de contre-pouvoirs ? N’attendent-ils pas autre chose ? C’est un point important et je vous demande d’y réfléchir.
Pour toutes ces raisons, c’est en conscience que je voterai ce texte, et non simplement pour respecter un engagement du Président de la République ou une consigne. (Bravo ! et applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. De nombreux arguments ont été avancés et j’imagine, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous aurons l’occasion de les reprendre dans les heures qui viennent.
Je ne m’étends pas sur l’argument, déjà entendu s’agissant d’autres textes institutionnels, selon lequel, plutôt que d’examiner ce genre de projets de loi, nous ferions mieux de concentrer le débat sur les vrais sujets intéressant les Français – la situation économique, les problèmes de sécurité, les questions internationales, etc. Fort bien ! Mais, dans ce cas, prévoyons immédiatement d’interdire à l’Assemblée nationale ou au Sénat, en temps de crise, d’aborder toute une série de questions.
M. Éric Doligé. Il y a des priorités !
M. Manuel Valls, ministre. On pourrait y inclure les questions d’actualité et les questions au Gouvernement et, ainsi, priver chacun d’entre vous d’une partie de ses prérogatives.
Par conséquent, je ne crois pas cet argument pertinent. Ce projet de loi est essentiel. Vous l’avez vous-mêmes dit, c’est un changement, une révolution. Comme je l’ai souligné dans mon intervention liminaire, ses effets sont importants et il faut donc imaginer les conséquences à terme, comme cela a été dit tant par ceux qui s’opposent à ce texte que par ceux qui le soutiennent. Je l’assume, c’est un changement, une révolution !
Certains d’entre vous – je pense notamment à M. Mézard – ont évoqué l’évolution de mes positions en ce domaine. J’observe, à cet égard, que vous êtes nombreux à défendre l’idée d’une spécificité sénatoriale, ce qui signifie que vous êtes favorables à la fin du cumul de mandats pour les députés.
Pour ma part, effectivement, j’ai évolué et cela me semble tout à fait honorable. Il ne s’agissait pas d’un diktat. Le parti socialiste est une grande formation politique et il a décidé de consulter ses militants. Le choix qui en a résulté n’est pas uniquement le choix de Mme Martine Aubry, c’est le choix des militants. François Hollande a porté ce choix dans le cadre d’une primaire où tous les candidats socialistes ont défendu cette idée parce qu’elle s’était imposée à nous.
Évidemment, il y a notre conscience – encore que, sur ce sujet, ne faisons tout de même pas trop appel à la conscience – et nos engagements politiques. Mais il y a aussi les engagements du candidat, aujourd’hui Président de la République, devant les électeurs.
Par ailleurs, même si, comme le rappelait M. Dilain, la question du temps n’est pas essentielle, je sais qu’il est particulièrement difficile d’exercer simultanément un mandat de député et une fonction de maire et de président d’une agglomération, quand bien même celle-ci n’est située qu’à trente kilomètres de Paris. Mais des arguments ont été avancés sur la question.
Ce n’est pas un problème personnel, monsieur Mézard. C’est un problème politique, lié à la conception que l’on peut avoir, aujourd’hui, et du rôle des élus locaux et du rôle du Parlement.
De ce point de vue, j’attire votre attention sur le fait que je n’ai jamais employé le terme « cumulards », étant sensible à sa très grande connotation négative. Comme je l’ai déjà mentionné, je connais l’implication des élus locaux et le rapport affectif que l’on peut entretenir avec la collectivité locale que l’on anime, tout en étant parlementaire. Je ne jette l’opprobre sur personne. Je sais ce que la rupture de cette relation peut avoir de douloureux, y compris pour celui qui est nommé ministre.
En effet, j’attire votre attention sur le fait qu’avec certaines argumentations entendues ici, on pourrait parfaitement démontrer qu’un ministre peut aussi être responsable d’un exécutif local. C’est tout de même ce qui s’est passé pendant des années, avant que l’on ne décide de mettre fin à ces pratiques. Cette décision a été prise non pas par tout le monde, mais par ce gouvernement et à la demande de l’actuel Président de la République.
Quoi qu’il en soit, étant ministre et ayant été maire d’une ville pendant onze ans, je suis conscient de ce que représente une telle rupture.
Pour autant, je maintiens qu’elle est la conséquence de trente ans de décentralisation. On ne peut à la fois évoquer les grandes heures de la IIIe République et ignorer les compétences des élus locaux dans une France décentralisée.
Je n’ai pas parlé de « cumulards » ni d’« apparatchiks » selon l’expression employée par certains. Je le dis avec tranquillité une nouvelle fois, ces termes sont déplacés et aucun sénateur, quelles que soient les travées sur lesquelles il siège, ne mérite le mépris.
De toute façon, celui qui est candidat, qu’il soit maire ou président d’une assemblée délibérante, peut ensuite abandonner ce mandat en étant au clair avec les électeurs, donc le corps des élus. Le candidat se fait élire par les élus, qui le choisissent. Tous les conseillers municipaux ne sont pas des « apparatchiks » ! Par conséquent, ce procès est tout à fait insupportable.
Par ailleurs, monsieur Mézard, il se trouve que je connais Simon Sutour depuis bien plus longtemps que vous.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui !
M. Manuel Valls, ministre. Les propos que vous avez tenus à son égard – j’entre là dans un débat entre parlementaires, et je vous prie de m’en excuser – ne correspondent pas du tout à la réalité de ce département. S’il a été élu, c’est parce qu’il a été candidat, et s’il a été candidat, c’est parce qu’il avait suffisamment d’expérience et de connaissance sur ce département. En outre, il a participé à régénérer la vie politique dans le département du Gard. Tous ceux qui sont élus ont une légitimité, qu’il nous faut accepter, au lieu de la qualifier avec des mots qui se veulent blessants. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)
Certains d’entre vous ont mis en cause l’usage de la procédure accélérée. Or, je veux le redire, c’est, au nom de la clarté démocratique, au moment où les formations politiques, auxquelles nombre d’entre vous appartiennent, désignent leurs candidats aux élections municipales qu’il est nécessaire que la règle soit connue, pour éviter toute incertitude.
Cette loi sera, en tout état de cause, promulguée avant les élections municipales de 2014, et plus tôt elle le sera, plus le choix de nos concitoyens pourra avoir lieu dans la clarté. Elle ne pouvait pas s’appliquer à partir de 2014 pour des raisons que j’ai indiquées, de nature constitutionnelle et politique.
Si vous êtes tous indépendants, la plupart d’entre vous militent dans des formations politiques de longue date.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Manuel Valls, ministre. Il faut respecter ces partis politiques. Vous demandez le respect du Sénat eu égard au rôle qui lui est dévolu dans la Constitution, mais les partis politiques participent aussi – c’est inscrit dans la Constitution – à la vie démocratique de notre pays.
Heureusement qu’il y a des formations politiques. Que veut dire cette mise en cause de ces formations politiques, si ce n’est pas du populisme ? Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne peut y avoir de liberté de candidature. C’est aux électeurs ou aux élus de choisir.
Enfin, j’ai entendu l’argument selon lequel la Constitution exige un traitement spécifique du Sénat. Pourtant, je le répète, rien dans la Constitution ne permet de justifier une telle position.
Tout d’abord, il faut rappeler que les sénateurs font déjà, en droit actuel, l’objet des mêmes inéligibilités et incompatibilités que les députés, et ce depuis très longtemps, comme certains d’entre vous ont eu l’honnêteté de le rappeler. Ainsi, les mêmes règles de cumul entre mandats locaux sont applicables aux sénateurs et aux députés.
L’article 24 de la Constitution – nous l’avons tous cité – qui a trait au rôle spécifique du Sénat ne justifie d’ailleurs en rien un traitement différencié des sénateurs. Cet article prévoit en effet que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Le Conseil constitutionnel a eu à plusieurs reprises l’occasion de préciser les conséquences de cet article. Ce dernier considère, depuis sa décision du 6 juillet 2000, que le Sénat doit, dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, être élu par un corps électoral qui est lui-même l’émanation des collectivités, et que par suite ce corps doit être essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Il n’existe donc aucune raison constitutionnelle de faire bénéficier les sénateurs d’un régime différent de celui qui s’appliquerait aux députés.
Après analyse, rien ne justifie donc juridiquement un tel traitement.
Par ailleurs, distinguer les députés et les sénateurs ne serait ni pertinent ni opportun. Il s’agit là d’un débat non plus juridique, mais politique. Par exemple, les contraintes de disponibilité – cela reste, pour moi, un argument, monsieur Dilain – inhérentes à l’exercice du mandat de député et de sénateur sont identiques : le Sénat et l’Assemblée nationale assurent tous deux la fonction législative. En outre, la revalorisation de la fonction parlementaire a concerné les deux chambres à l’identique. Sénateurs comme députés votent la loi, contrôlent l’action du Gouvernement, évaluent les politiques publiques, conformément aux articles de notre Constitution.
Tout traitement différencié entre les sénateurs et les députés, au regard du régime de cumul avec les responsabilités locales risquerait de donner à croire que les sénateurs ont une importance moindre par rapport aux députés, alors que vous revendiquez les mêmes droits dans la procédure législative. C’est là où je ne vous suis pas sur ce sujet. Nous avons un désaccord de fond, tout à fait respectable. D’ailleurs, de ce point de vue, cet argument n’est pas seulement d’autorité ; c’est aussi évidemment le sentiment de l’Assemblée nationale. C’est pourquoi, dans le respect de la Constitution, le Gouvernement a choisi d’appliquer ce régime uniforme aux députés et aux sénateurs.
Enfin, je souhaite dissiper toute ambiguïté quant aux rôles respectifs de l’Assemblée nationale et du Sénat dans l’adoption du texte tels que le Gouvernement les envisage.
Certains d’entre vous, implicitement ou de manière plus directe, ont évoqué le pouvoir de veto qui serait accordé au Sénat sur cette réforme au cas où la solution législative adoptée définitivement ne serait pas votée par votre chambre dans des termes identiques à ceux de l’Assemblée nationale. Ce serait faire fi, de mon point de vue, des évolutions importantes dans l’interprétation que nous pouvons donner à l’article 46 de notre Constitution en matière de lois relatives au Sénat.
Comme vous vous en souvenez sûrement, l’interdiction du cumul, cela a été souligné, entre un mandat parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales prévue par le projet de loi organique présenté par le gouvernement de Lionel Jospin en 1998 avait achoppé en raison du refus du Sénat.
En effet, la jurisprudence d’alors du Conseil constitutionnel sur la notion de lois organiques relatives au Sénat avait conduit le Gouvernement à rechercher un vote conforme, comme le prévoit le quatrième alinéa de l’article 46 de la Constitution, qui détermine la procédure d’adoption des lois organiques relatives au Sénat. Ce faisant, l’Assemblée nationale avait donc dû entériner le recul du Sénat par rapport aux dispositions ambitieuses qui étaient proposées par le Gouvernement.
Depuis 2009, le Conseil constitutionnel a fait évoluer sa jurisprudence sur la définition des lois organiques relatives au Sénat. Le commentaire de la décision du 12 avril 2011 est très éclairant, indiquant à ce sujet que le Conseil constitutionnel juge désormais constamment qu’est une loi relative au Sénat une loi qui lui est propre. Tel n’est pas le cas d’une loi dont les mêmes dispositions concernent les deux assemblées.
Ce commentaire est l’aboutissement d’une série de décisions débutée avec la décision du 3 mars 2009. Ne tordez pas les propos que j’ai tenus en commission des lois ; ils font clairement référence à ce que je viens de vous dire : nous ne sommes plus dans la situation qui était la nôtre en 2000. Même si je souhaite que vous puissiez épouser cette réforme indispensable de nos institutions et accompagner le mouvement de modernisation, de transformation de la vie publique, le vote du Sénat n’est donc pas aujourd’hui nécessaire, précisément parce que le texte de loi ne distingue pas un régime distinct pour les sénateurs par rapport aux députés. (M. Philippe Bas s’exclame.) Le Gouvernement souhaite qu’il en demeure ainsi jusqu’à son adoption définitive, y compris dans le cas où votre chambre en adopterait une version différente sur ce point essentiel.
Mesdames, messieurs, je respecte le Sénat et je suis ici au banc des ministres, comme mes prédécesseurs ou comme mes successeurs, pour écouter attentivement votre expression. Ce débat est tout à fait noble, mais j’ai invité le Sénat à épouser ce mouvement de l’Histoire, cette réforme, au nom du respect que j’ai pour votre assemblée. En effet, je vois bien le risque que vous courez, mesdames, messieurs les sénateurs. En vous opposant à un texte, alors que vous savez quel sera le vote final de l’Assemblée nationale, vous risquez, par ce vote, de prêter le flanc à la critique et à la caricature,…
M. Rémy Pointereau. Et alors ?
M. Jean-François Husson. Passage en force !
M. Manuel Valls, ministre. … mais c’est votre liberté. Écoutez-moi jusqu’au bout, s’il vous plaît.
Je connais la qualité du travail du Sénat, je l’ai constaté sur la loi antiterroriste ou sur les questions d’immigration que j’ai eu à présenter devant vous. Je sais la qualité de vos rapports parlementaires, la qualité de chacun d’entre vous dans son lien avec le territoire, mais je connais aussi l’histoire du Sénat.
Le Sénat peut être rebelle…
M. Jean-François Husson. Résistant !
M. Manuel Valls, ministre. … – vous y faisiez allusion. Il peut aussi empêcher des évolutions, comme il l’a fait plus récemment pour le cumul des mandats – j’ai évoqué ce point voilà un instant. Il a connu des moments moins glorieux, dans les années vingt et trente, quand, à plusieurs reprises, alors que l’Assemblée nationale avait avancé sur le droit de vote des femmes, non seulement il n’a pas accepté ce principe, mais il a même refusé d’examiner le sujet. (M. Philippe Bas s’exclame.)
M. Jean-Claude Frécon. Oui !
M. Manuel Valls, ministre. Faisons attention, monsieur Bas : au-delà de tous les arguments, et nous les échangeons, l’enjeu est aussi, pour le Sénat, son rapport à l’opinion et pas seulement aux élus. D’ailleurs, certains d’entre vous l’ont compris.
Je vois bien l’argument : il faudrait une réforme institutionnelle, un nouvel acte de la décentralisation, de vrais pouvoirs pour les collectivités territoriales, un statut de l’élu pour évoluer, certains prévoyant un dispositif qui s’appliquerait non pas aux maires des grandes villes, aux présidents de conseil général ou régional, mais avec un seuil. Cela veut bien dire qu’une prise de conscience s’est faite concernant la nécessité de limiter le cumul des mandats.
Nous vous proposons d’aller plus loin, c’est-à-dire d’aller vers cette interdiction. Pour ma part, sans être naïf, car je suis lucide, j’ai un peu d’expérience et j’entends ce qui est dit comme ce qui ne l’est pas, et, même si, je le sais, ce sera difficile, je souhaiterais, pour le Sénat et pour notre démocratie, que nous allions ensemble jusqu’au bout. Vous connaissez par ailleurs la détermination du Gouvernement.
En tout cas, je vous remercie tous, mesdames, messieurs les sénateurs, de la qualité de vos arguments et de l’exposé de vos convictions respectives. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste. – Mmes Hélène Lipietz et Jacqueline Gourault ainsi que M. Michel Mercier applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?…
La discussion générale commune est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. M. Mézard et les membres du groupe RDSE ont déposé une motion tendant au renvoi à la commission du projet de loi organique. La commission des lois, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, va se réunir immédiatement, et, comme il convient qu’elle donne un avis sur cette motion, j’informe les membres de la commission que cet avis sera ajouté à l’ordre du jour de sa réunion.
Conformément au règlement du Sénat, la motion devrait être discutée à la reprise de nos travaux et, si elle était adoptée, la commission des lois se réunirait de nouveau.
10
Communication d’un avis sur une nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et des lois n° 2010–837 et n° 2010–838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis ce jour un vote favorable (17 voix pour, 0 voix contre et 4 bulletins blancs) à la nomination de M. Philippe Wahl à la présidence du conseil d’administration de La Poste.
Acte est donné de cette communication.
11
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système des retraites, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 18 septembre 2013.
12
Saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 septembre 2013, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à la transparence de la vie publique.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La séance est reprise.
13
Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.
Nous en sommes parvenus à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Mézard et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen, d'une motion n°71.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (n° 734, 2012–2013).
La parole est à M. Stéphane Mazars, pour la motion.
M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, au cours de la discussion générale commune, de nombreux orateurs ont constaté les conditions dans lesquelles le Sénat est appelé à examiner ces deux textes, et particulièrement le présent projet de loi organique. Ils ont émis diverses critiques à cet égard.
Je vous rappelle que le calendrier de ces deux textes, sur lesquels le Gouvernement a engagé, le 3 avril dernier, la procédure accélérée, constitue à notre sens une atteinte à la clarté des débats parlementaires. Je m’explique.
L’emploi de la procédure accélérée est vécu comme une profonde défiance à l’égard du Sénat, comme s’il fallait tout faire pour étouffer au plus vite une voix discordante qui viendrait troubler le déroulement implacable de la volonté du Gouvernement et de l’exécutif.
Aussi, un rappel à l’ordre républicain s’impose : il y a des règles à respecter. Ces règles sont connues. Elles sont inscrites dans la Constitution et dans le règlement de la Haute Assemblée.
Monsieur le ministre, vous excuserez sans doute par avance le Sénat de ne pas toujours avoir le même avis que l’Assemblée nationale et de souhaiter, de temps à autre, faire entendre une autre partition.
Mme Esther Benbassa. Certes !
M. Stéphane Mazars. C’est d’ailleurs sa raison d’être dans le système parlementaire bicamériste qui est – encore – le nôtre. Sa légitimité électorale pleine et entière, assise sur le suffrage universel indirect, lui donne, aux termes de la Constitution, des prérogatives de législateur de plein exercice. Nous souhaitons ardemment que cela continue ainsi !
Pourtant, vous ne nous facilitez pas la tâche. Je passerai sur l’effroyable rythme d’examen des textes soumis à la commission des lois depuis un an et sur l’organisation chaotique de l’ordre du jour, qui nous obligent tous à légiférer dans des conditions difficiles et à produire, trop souvent reconnaissons-le, des lois mal rédigées. Je rappelle simplement que les deux textes que nous examinons aujourd’hui ont été adoptés par l’Assemblée nationale le 9 juillet dernier, après engagement de la procédure accélérée en avril.
Notre rapporteur a été désigné par la commission lors de la réunion du 24 juillet, soit quelques jours avant la fin de la première session extraordinaire.
M. Simon Sutour, rapporteur. On le sait !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. M. le rapporteur a eu tout le mois d’août pour réfléchir !
M. Stéphane Mazars. Il n’a été procédé à des auditions qu’à partir du 9 septembre, soit la veille de l’ouverture de la nouvelle session extraordinaire, et jusqu’au 10 septembre. Le rapport a été présenté à la commission le 11 septembre au matin, sans que ses membres disposent d’un projet de rapport qui leur aurait pourtant été particulièrement utile, compte tenu des enjeux que recèle la question du non-cumul des mandats. Est-ce normal,…
M. Jacques Mézard. Non !
M. Stéphane Mazars. … alors que dans n’importe quel conseil municipal les élus disposent des documents nécessaires à leur délibération plusieurs jours avant celle-ci ?
M. Georges Labazée. Ça, ce n’est pas sûr !
M. Stéphane Mazars. Enfin, le délai de dépôt des amendements en commission a été fixé au 10 septembre à quatorze heures, alors que les auditions n’étaient pas achevées. De là à dire que le rapport était déjà écrit…
M. Georges Labazée. Non !
M. Stéphane Mazars. Quant aux amendements déposés pour la séance publique, la commission ne s’est réunie que ce matin pour les examiner, tandis que nos débats dans l’hémicycle ont débuté cet après-midi à quatorze heures trente.
Je n’oublie pas non plus que ces deux projets de loi sont étudiés au cœur de la session extraordinaire, comme si, depuis le mois d’avril dernier, une réforme présentée comme aussi fondamentale pour nos institutions n’avait pu être inscrite à l’ordre du jour. C’est vrai qu’il est on ne peut plus urgent de légiférer sur un texte qui n’entrera en vigueur qu’en 2017 !
Bien sûr, on nous objectera qu’il est indispensable de légiférer avant les municipales, et ce afin que les électeurs soient en mesure de se prononcer en sachant qu’un candidat pourra être conduit à démissionner en cours de mandat.
Bel argument ! Car le Gouvernement n’a pas eu les mêmes précautions s’agissant de la réforme des scrutins locaux et du fonctionnement des EPCI, aux conséquences tout aussi complexes. J’en veux pour preuve le fait qu’à peine promulguée la loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux faisait déjà l’objet de propositions de modifications discutées en séance publique par le Sénat, avec la proposition de loi portant diverses dispositions relatives aux collectivités locales.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Excellente proposition de loi ! (Sourires.)
M. Stéphane Mazars. J’en veux également pour preuve le fait que nombre de maires de communes associées sont aujourd’hui incapables de savoir ce qu’il adviendra de leur commune à l’issue des prochaines élections, eu égard au texte mal rédigé qui a été voté.
Nous n’avons pas eu davantage à délibérer sur la transparence de la vie publique ou sur la réforme du mode de scrutin sénatorial, sous l’empire de la procédure accélérée, même si, s’agissant de ce dernier texte, le Gouvernement a été conduit à renoncer à ce mode d’examen à la demande de mon groupe et de son président.
Rien ne justifie donc aujourd’hui un vote à la hâte au sujet du non-cumul des mandats, alors que cette réforme ne doit entrer en vigueur qu’en 2017. Les orateurs de la majorité comme de l’opposition l’ont dit et redit au cours de la discussion générale.
Au demeurant, monsieur le ministre, je vous rappelle que vous avez cosigné avec M. le Premier ministre, qui était, à l’époque, votre président de groupe à l’Assemblée nationale, un recours déposé le 5 mars 2012 devant le Conseil constitutionnel contre la loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives.
Parmi les arguments développés dans ce recours, vous exposiez qu’en l’absence de toute urgence, l’usage de la procédure accélérée ne saurait être justifié, et qu’il n’était donc pas acceptable de priver chaque assemblée d’une deuxième lecture. Vous conviendrez avec moi que, s’agissant aujourd’hui d’un texte qui engage directement le devenir de chaque chambre, la même célérité eût été cohérente.
M. Jacques Mézard. Eh oui !
M. Stéphane Mazars. Ce fut du reste le parti pris de l’un de vos prédécesseurs Place Beauvau, Pierre Joxe, qui, en 1985, lors des débats consacrés au premier projet de loi limitant le cumul des mandats, choisit de ne pas aller à l’encontre de la volonté du Sénat en laissant la navette parvenir à un accord sans même recourir à la commission mixte paritaire.
En légiférant de manière aussi précipitée, vous privez le Sénat comme l’Assemblée nationale d’une deuxième lecture que nous jugeons indispensable pour un texte affectant directement le statut des membres de chacune des assemblées. En d’autres termes, vous comptez laisser les seuls députés avoir, le cas échéant, le dernier mot sur cette question, et ce quelle que soit la position adoptée par le Sénat. Ce serait alors un coup de force !
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Stéphane Mazars. À nos yeux, cette position n’est pas acceptable, car elle revient in fine à confier aux seuls députés le soin de fixer l’étendue des incompatibilités des sénateurs, c’est-à-dire, en réalité, de déterminer leur statut.
Nous refusons d’autant plus cette innovation constitutionnelle que l’article 25 de la Constitution ne préjuge pas une obligation d’identité des statuts des membres du Parlement. C’est incontestable !
À cet égard, le présent projet de loi organique constitue bel et bien une loi organique relative au Sénat, au sens du quatrième alinéa de l’article 46 de la Constitution, dès lors qu’il affecte directement le statut des sénateurs, et en filigrane les conditions de leur indépendance.
Ainsi, on ne saurait considérer que l’article L.O. 297 du code électoral, qui établit l’identité du régime des incompatibilités entre députés et sénateurs, donne un blanc-seing à l’Assemblée nationale pour décider du régime applicable aux sénateurs.
Pour mémoire, cet article résulte d’une codification à droit constant de l’ordonnance portant loi organique du 24 octobre 1958 par un décret de 1964. Or cette « disposition-balai » avait pour but de faciliter la lecture du code électoral en évitant une énumération redondante des incompatibilités applicables aux sénateurs. En aucun cas elle n’avait pour but, par un effet de cliquet, de permettre aux députés de décider pour les membres des deux assemblées.
M. Philippe Bas. Exactement !
M. Stéphane Mazars. C’est pourtant ce que vous vous apprêtez à faire, monsieur le ministre, au risque de réduire le Sénat à une chambre de second rang, à l’autonomie diminuée.
M. Philippe Bas. Hélas !
M. Stéphane Mazars. Dès lors, quelle serait la raison d’être de la Haute Assemblée ? Nous ne nous résoudrons certainement pas à cette dérive qui irait à l’encontre de l’article 24 de la Constitution, et à l’encontre même de la volonté du Constituant. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire les travaux explicites du comité consultatif constitutionnel, ce que nous n’avons pas manqué de faire.
M. Jacques Mézard. En effet !
M. Stéphane Mazars. En tout état de cause, la procédure accélérée ne doit pas priver le Parlement du temps nécessaire pour approfondir le sujet qui nous interpelle, a fortiori lorsque est en cause une question qui concerne son devenir et qu’un désaccord profond se dessine entre les deux assemblées qui le composent.
À nos yeux, il serait attentatoire à la clarté des débats qu’aucun dialogue ne puisse se nouer avec nos collègues députés : si d’aventure le Sénat adoptait une disposition introduisant une différenciation de régime, nous serions dans l’incapacité de nouer, par la navette, un dialogue constructif qui consoliderait ce régime.
Telles sont les raisons pour lesquelles les membres de mon groupe et moi-même avons choisi de déposer cette motion, au nom de la défense du bicamérisme et, surtout, de la Constitution de 1958.
Vous l’aurez compris, cette motion s’adresse à tous, au Gouvernement, aux députés, à vous, mes chers collègues, mais aussi, au-delà, à tous les Français et particulièrement aux plus sages d’entre eux !
Cela étant, l’intérêt essentiel de cette motion reposant sur la défense fondée sur les motifs que je viens d’exposer, et ma démonstration étant faite, il est désormais temps d’entamer la discussion des amendements. C’est pourquoi je vous annonce que nous retirons la présente motion. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. le président. Monsieur Mézard, confirmez-vous le retrait de la motion n° 71 ?
M. Jacques Mézard. Nous retirons effectivement cette motion, monsieur le président.
M. le président. La motion n° 71 est retirée.
Nous passons donc à la discussion des articles.
Articles additionnels avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 53, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Toutes les élections doivent se dérouler dans le cadre d’un scrutin de liste à la proportionnelle. Chaque liste est composée alternativement de candidats de sexes différents.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Je souhaite évoquer le scrutin proportionnel, sujet que j’ai eu l’occasion d’aborder dans mon intervention liminaire. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
La personnalisation de la vie politique, dont l’élection présidentielle est l’expression la plus achevée, pervertit profondément la volonté politique des détenteurs du suffrage. Elle ne peut être combattue si l’on ne prend pas la peine de réfléchir, l’espace d’un instant, à la façon de modifier les règles de scrutin.
L’introduction de la proportionnelle à toutes les élections, du local au national, selon des modalités qu’il convient de définir pour chaque cas, est la condition impérieuse pour lutter contre le cumul des mandats.
Elle se présente aussi, il convient de le rappeler, comme le plus sûr moyen d’assurer une représentation plus importante des femmes au sein de la vie politique, car tous les pays qui pratiquent ce mode de scrutin mettent en œuvre de la même manière la parité des candidatures.
Dans notre pays, il est évident que la proportionnelle, même frappée d’une prime majoritaire, comme c’est le cas pour les élections municipales dans les communes comptant, pour l’heure, au moins 1 000 habitants, permet un très sensible accroissement du nombre des élues et d’atteindre une quasi-parité. (Exclamations sur quelques travées de l'UMP.)
De la même manière, la Haute Assemblée, pour l’heure et avant le renouvellement de l’automne 2014, compte 59 sénatrices élues à la proportionnelle et 18 sénatrices élues au scrutin majoritaire, alors que nous avons pour le moment 180 élus au scrutin proportionnel et 168 élus au scrutin majoritaire. Cela signifie donc que 32,8 % des sénatrices sont élues selon le mode proportionnel et 10,7 %, soit trois moins, selon le mode majoritaire.
M. Bruno Sido. Et alors ? C’est un bon chiffre.
M. le président. Mon cher collègue, je vous en prie, laissez parler Mme Assassi.
Mme Éliane Assassi. J’ai bien noté, monsieur le sénateur, que vous aviez un problème avec les femmes ! C’est un souci récurrent chez vous, comme nous avons pu le constater à l’occasion de l’examen d’autres textes ! (Mmes Hélène Lipietz et Esther Benbassa applaudissent.–Exclamations amusées sur un grand nombre de travées.)
Le scrutin de 2014 devrait encore améliorer les choses du point de vue de la présence de sénatrices au sein de notre assemblée, et je m’en réjouis !
Monsieur le président, je vais clore mon propos, car j’ai bientôt dépassé mon temps de parole, mais je voulais me saisir de l’occasion de ce débat sur le non-cumul pour aborder de nouveau un sujet qui nous tient à cœur, celui de la proportionnelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Simon Sutour, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cet amendement prévoit que l’ensemble des élections se déroulent au scrutin de liste à la représentation proportionnelle avec une obligation de présentation de listes paritaires.
Comme l’a souligné Mme Assassi elle-même, cet amendement est le moyen pour le groupe CRC de rappeler son attachement à ce mode de scrutin. Dans sa rédaction actuelle, l’amendement n° 53 n’est cependant pas opérant. Nous demandons le retrait. À défaut, la commission émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 43, présenté par M. Mézard et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L.O. 132 du code électoral est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa du II, les mots : « d'un an » sont remplacés par les mots : « de trois ans » ;
2° Après le II, il est ajouté un paragraphe ainsi rédigé :
« …. - Les collaborateurs de députés rémunérés par les crédits alloués à cette fin par l'Assemblée nationale, qui exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de trois ans, sont inéligibles en France dans toute circonscription comprise dans le département où a été élu leur employeur. »
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement découle de notre volonté de moderniser la vie publique et démocratique dans notre pays, ce qui suppose d’abord de mettre fin à la professionnalisation excessive et toujours croissante de la vie politique.
Le présent amendement prévoit à cette fin, d’une part, d’allonger les durées d’inéligibilité découlant de l’exercice de certaines responsabilités locales et, d’autre part, de rendre inéligibles durant l’exercice de leurs fonctions et trois après la cessation de celles-ci les collaborateurs parlementaires.
Dans le premier cas, on passe d’une inéligibilité de un an à une inéligibilité de trois ans. Par ailleurs, il est proposé d’ajouter à l’article L.O. 132 du code électoral un paragraphe nouveau ainsi rédigé : « Les collaborateurs de députés rémunérés par les crédits alloués à cette fin par l’Assemblée nationale, qui exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de trois ans, sont inéligibles en France dans toute circonscription comprise dans le département où a été élu leur employeur. »
Notre ambition ici est de restaurer un minimum d’égalité entre les différents candidats. Cet effort paraît nécessaire, comme le prouvent les judicieux exemples qui ont été cités.
Il est bien évident qu’un collaborateur ayant travaillé efficacement et avec loyauté pendant des années pour son député ou son sénateur dispose d’un avantage tout à fait considérable par rapport aux autres candidats. Par ailleurs, il n’est pas bon que l’on professionnalise systématiquement la carrière politique dès le plus jeune âge.
Voilà pourquoi nous avons déposé cet amendement, que la commission a pu examiner ce matin.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Simon Sutour, rapporteur. Je donnerai également l’avis de la commission sur les deux amendements suivants, nos 44 et 45, qui tendent à introduire de nouvelles inéligibilités respectivement pour les collaborateurs parlementaires, ceux du Président de la République et ceux des membres du Gouvernement.
Contrairement au projet de loi organique, qui ne traite que des incompatibilités parlementaires, ces amendements ont trait à des inéligibilités, ce qui, sur le principe, ne rend pas leur lien avec le texte évident.
En outre, on peut s’interroger sur le fond de ces amendements dans la mesure où certains collaborateurs, notamment parlementaires, sont également des élus locaux.
Aussi, cette inéligibilité pourrait, par exemple, les empêcher d’être candidats aux élections sénatoriales.
M. Éric Doligé. C’est bien…
M. Simon Sutour, rapporteur. Pour ce double motif, la commission est défavorable à ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre. La durée d’inéligibilité de trois ans est largement supérieure à celle qui est prévue pour les autres élections – l’argument sera le même pour les amendements nos 44 et 45.
Pour les élections départementales, ce délai est de un an avant les élections, conformément à la loi du 17 mai 2013. Il est de seulement six mois pour les élections municipales. Aucune raison ne semble justifier un écart aussi important que celui qui est ici proposé entre les élections législatives et les élections locales.
En outre, cette durée d’inéligibilité a été modifiée par la loi organique du 14 avril 201, qui l’a fait passer de six mois à un an pour les élections législatives, seul le préfet étant concerné, pour une durée de trois ans, compte tenu de l’influence particulière de ses décisions sur la vie locale.
Le Gouvernement n’est pas hostile à l’idée d’un débat sur ces questions, mais il milite en faveur d’une certaine stabilité du droit en la matière, ces dispositions ayant été modifiées il y a deux ans seulement.
Par ailleurs, l’auteur de l’amendement propose de rendre inéligibles « les collaborateurs de députés rémunérés par les crédits alloués à cette fin par l’Assemblée nationale […] dans toute circonscription comprise dans le département où a été élu leur employeur ».
L’objet de l’article L.O. 132 du code électoral est cependant de prévoir des inéligibilités pour les personnes dont les décisions prises sur le plan local peuvent avoir une influence importante et spécifique sur la vie du territoire. Tel est, par exemple, le cas des membres du corps préfectoral, des juges ou des personnes occupant des postes à responsabilité au sein des collectivités territoriales, celles-ci ayant été récemment intégrées dans cette liste à la suite des recommandations du Conseil constitutionnel de 2008.
En revanche, il semble contestable d’inclure les collaborateurs de députés, alors même que la Constitution confie aux seuls parlementaires des responsabilités dans l’élaboration de la loi, qui a vocation à s’appliquer à l’échelon national et non pas seulement local.
Le présent projet de loi organique confortera ce principe en permettant précisément aux parlementaires de se consacrer pleinement à la mission que leur attribue la Constitution. Inclure les collaborateurs de députés à cette liste reviendrait à leur reconnaître un pouvoir de décision et une influence locale, alors que l’élaboration de la loi est une mission nationale qui relève du seul domaine des parlementaires.
Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour explication de vote.
Mme Jacqueline Gourault. Il s’agit plutôt d’une question. Si je comprends bien, monsieur Mézard, les collaborateurs de sénateurs ne seraient pas concernés par cet amendement…
M. Jacques Mézard. Si, par transposition.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Par parallélisme, chaque fois qu’il est écrit « député », il convient de lire aussi « sénateur ».
Mme Jacqueline Gourault. Moi qui pensais qu’il y avait une spécificité du Sénat… (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. L’amendement de M. Mézard me paraît excellent, mais ne va pas assez loin. Il aurait pu comporter un 3° visant à préciser qu’un suppléant ne peut pas se présenter contre son titulaire dans sa circonscription. Je ne déposerai pas de sous-amendement en ce sens pour ne pas allonger les débats, mais l’idée m’a tenté.
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. Chaque disposition nouvelle fait apparaître une difficulté inédite.
Cet amendement n’échappe pas à la règle. En effet, que se passera-t-il lorsque le collaborateur est suppléant du parlementaire si ce dernier, pour une raison quelconque, ne peut plus exercer son mandat ? En vertu du principe que vous souhaitez instaurer, le suppléant, qui est aussi collaborateur, ne pourra pas le remplacer. Or le suppléant a pour vocation de devenir automatiquement député ou sénateur. Il y a là un petit problème technique…
M. Henri de Raincourt. On verra pendant la navette ! (Rires sur les travées de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° 44, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L.O. 132 du code électoral est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« …. – Les collaborateurs du Président de la République sont inéligibles en France dans toute circonscription durant l’exercice de leurs fonctions et dans les trois années qui suivent la cessation de ces dernières à la date du scrutin. »
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Avec votre permission, monsieur le président, je présenterai également l’amendement n° 45.
M. le président. J’appelle donc en discussion l'amendement n° 45, également présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, et ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L.O. 132 du code électoral est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« …. – Les membres des cabinets ministériels sont inéligibles en France dans toute circonscription durant l’exercice de leurs fonctions et dans les trois années qui suivent la cessation de ces dernières à la date du scrutin. »
M. le président. Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Jacques Mézard. Moderniser nos institutions implique d’aller vers davantage d’égalité entre les candidats lors de chaque scrutin, et de lutter contre la professionnalisation excessive et de plus en plus précoce de la vie politique.
À cette fin, les membres du cabinet du Président de la République, lorsqu’ils sont candidats à un mandat parlementaire, bénéficient de facto d’un vrai avantage et d’un pouvoir d’influence par rapport aux autres candidats. Nous le constatons tous sur nos territoires ou lorsque nous les contactons.
Le principe d’égalité entre candidats étant essentiel, il est donc nécessaire que les collaborateurs ne puissent être candidats en France dans toute circonscription durant l’exercice de leurs fonctions et dans les trois années qui suivent la cessation de ces dernières. C’est l’objet de l’amendement n° 44.
Pour les mêmes motifs, l’amendement n° 45 vise à introduire une interdiction similaire pour les membres des cabinets ministériels.
Nous pourrions débattre davantage sur la façon de mieux préserver l’égalité entre les candidats, mais ces deux exemples frappants nécessitent, monsieur le ministre, mes chers collègues, une attention particulière de notre part.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Simon Sutour, rapporteur. La commission est défavorable aux amendements nos 44 et 45, comme je m’en suis déjà expliqué.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jacques Mézard, dont j’ai apprécié toutes les interventions jusqu’à présent, me pose cependant problème avec ses amendements. En effet, me tournant vers l’histoire lorraine, je constate que Raymond Poincaré a commencé sa carrière comme chef de cabinet de Jules Develle, ministre de l’agriculture, que Louis Jacquinot fut le chef de cabinet d’André Maginot. La République et la Meuse se seraient donc privées de candidats excellents si l’amendement n° 45 avait été adopté ! (Sourires.)
En revanche, je pense que vous avez mille fois raison de soulever le problème de l’égalité dans l’accès à la candidature, car c’est parfaitement légitime, même si, en raison de ces antécédents historiques, je ne peux pas voter ces textes.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 45.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
Après l’article L.O. 141 du code électoral, il est inséré un article L.O. 141-1 ainsi rédigé :
« Art. L.O. 141-1. – Le mandat de député est incompatible avec :
« 1° Les fonctions de maire, de maire d’arrondissement, de maire délégué et d’adjoint au maire ;
« 2° Les fonctions de président et de vice-président d’un établissement public de coopération intercommunale ;
« 3° Les fonctions de président et de vice-président de conseil départemental ;
« 4° Les fonctions de président et de vice-président de conseil régional ;
« 4° bis (nouveau) Les fonctions de président et de vice-président d’un syndicat mixte ;
« 5° Les fonctions de président, de membre du conseil exécutif de Corse et de président de l’assemblée de Corse ;
« 6° Les fonctions de président et de vice-président de l’assemblée de Guyane ou de l’assemblée de Martinique ; de président et de membre du conseil exécutif de Martinique ;
« 7° Les fonctions de président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président d’une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ;
« 8° Les fonctions de président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Polynésie française ; de président et de vice-président de l’assemblée de la Polynésie française ;
« 9° Les fonctions de président et de vice-président de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;
« 10° Les fonctions de président et de vice-président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ; de membre du conseil exécutif de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 11° (nouveau) Les fonctions de président et de vice-président de l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;
« 12° (nouveau) Les fonctions de président et de vice-président de société d’économie mixte ;
« 13° (nouveau) Les fonctions de président de l’Assemblée des Français de l’étranger, de membre du bureau de l’Assemblée des Français de l’étranger et de vice-président de conseil consulaire.
« Tant qu’il n’est pas mis fin, dans les conditions prévues au II de l’article L.O. 151, à une incompatibilité mentionnée au présent article, l’élu concerné ne perçoit que l’indemnité attachée à son mandat parlementaire. »
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, sur l'article.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais réagir, à la suite de la discussion générale, et d’abord exprimer mon étonnement.
À défaut d’être un jeune sénateur, je suis un sénateur récent (Sourires.) et j’écoute tout ce qui se dit ici avec attention.
Il y a un peu plus d’un an, j’entendais le Premier ministre affirmer ici même vouloir écouter et respecter le Sénat.
Depuis un an et demi, je me pose des questions sur ce respect et cette écoute. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Je ne vois pas beaucoup d’exemples d’écoute réelle. Tout le monde est d’accord pour reconnaître l’importance du débat d’aujourd'hui. Certains pensent que le texte va améliorer les choses ; d’autres, nombreux ici, estiment au contraire qu’il va plutôt dans le mauvais sens et que l’image du Sénat et celle des élus en général va en être modifiée.
Monsieur le ministre, le message du Gouvernement, que vous relayez, c’est en quelque sorte : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » J’ai ainsi l’impression que l’on s’engage dans un dialogue de sourds. Je m’en étonne parce que, selon moi, quand on exerce des responsabilités au niveau national, mais aussi au niveau local, on doit d’abord rechercher le consensus, le rassemblement. Cela devrait être la première attitude du Gouvernement, mais ce n’est pas du tout ce que je perçois.
J’ai l’impression que le Gouvernement vient devant le Sénat en vitesse ; il est pressé d’en finir, on l’a bien compris avec cette procédure accélérée, alors que cela fait un an et demi que l’on parle de ce texte, qui répond à un engagement du Président de la République. Dans la mesure où l’ordre du jour n’était pas très chargé le premier été de la législature, on aurait pu commencer à débattre de ce texte ici, au Parlement, mais aussi dans le pays, car, en fait, le débat dans le pays n’a pas eu lieu.
Au lieu de quoi, on nous assène des sondages. Mais si on s’appuie sur les sondages, alors, il n’y a plus besoin d’élections, plus besoin de rien du tout !
M. Christian Cambon. Oh ! Les sondages…
M. Vincent Delahaye. Il suffit de s’appuyer sur les sondages, et on règle les problèmes !
Pour ma part, quand je rencontre les gens dans la rue, et j’en rencontre beaucoup, j’aborde souvent le problème du cumul, qui va forcément se poser. Leur première réaction, c’est d’être contre le cumul. Si l’on va un peu plus loin, on se rend compte que c’est à cause du cumul des indemnités. Quand on explique ce qu’il en est plus précisément, les opinions commencent à évoluer.
Je pense que, sur un sujet aussi important, qui aura des conséquences sur le fonctionnement du Sénat, sur son image, il aurait fallu se donner beaucoup plus de temps. Je ne comprends donc absolument pas le recours à la procédure accélérée ni le comportement du Gouvernement.
Nous ferons des propositions dans ce débat, avec d’autres groupes, en vue de rechercher un consensus. Il serait de bon ton, monsieur le ministre, que vous acceptiez d’entrer dans cette discussion sur le fond, avec la volonté d’aboutir à ce consensus.
Sur un tel sujet, il ne faut pas légiférer à la va-vite, sinon on s’en mordra les doigts et beaucoup de Français nous le reprocheront. Nous devons réfléchir à cela, collectivement, car les avis sont partagés sur certaines des travées de cet hémicycle et le sujet mérite mieux qu’un traitement, je le répète, à la va-vite.
Ce qui revient très fréquemment lors des entretiens que nous avons avec nos concitoyens, ce qu’ils reprochent surtout aux parlementaires, c’est l’absentéisme. On a beau leur expliquer la façon dont fonctionne le Parlement, le rôle des commissions, le fait que les parlementaires ne peuvent pas toujours être présents en séance, c’est un reproche récurrent.
Je suis favorable à une rémunération des parlementaires à la présence. Je pense qu’une telle mesure serait très populaire et qu’elle réglerait une partie des problèmes liés au cumul de mandats. On dit que les « cumulants » – je n’aime pas du tout le terme de « cumulards » – seraient automatiquement les moins présents, mais je n’en suis pas du tout convaincu. Personnellement, je travaille soixante-dix heures par semaine, soit deux temps plein – sans doute comme vous auparavant, monsieur le ministre –...
M. Vincent Delahaye. … et je ne m’en porte pas plus mal !
Je crois ne pas mal remplir mon mandat de maire et, en tant que sénateur, en tant que parlementaire, je pense m’acquitter de ma mission de façon satisfaisante.
À l’orée de la discussion des articles, j’aimerais vraiment, monsieur le ministre, que vous fassiez preuve d’une attitude constructive, d’une écoute de ce qui va se dire dans cette assemblée pour, ensuite, prendre en compte le texte qui sortira des travaux du Sénat. Nous souhaitons en effet qu’un texte résulte de nos travaux car, sur ce problème du cumul, nous ne sommes pas négatifs, nous sommes au contraire constructifs. Oui, on peut introduire des restrictions dans les règles de cumul actuelles, mais en restant raisonnable et non en étant excessif comme l’est ce texte ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP.)
(M. Charles Guené remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené
vice-président
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, sur l’article.
M. Alain Fouché. Monsieur le ministre, comme nombre de mes collègues de différents horizons, je suis opposé à la vision que se fait votre gouvernement du cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de parlementaire.
Comme beaucoup, je considère qu’il est indispensable pour un parlementaire d’être enraciné localement et par conséquent d’exercer un mandat local, en particulier à la tête d’un exécutif, lui permettant d’être au plus près de la réalité de ce que vivent ses concitoyens.
Le lien de confiance s’établit d’abord sur le terrain. Le mandat local, qu’il soit municipal, départemental ou régional, fait partie du cheminement de la vie politique française, nous sommes nombreux à l’avoir vécu. Ces expériences sont autant de marches qui, le savoir se forgeant peu à peu, amènent à la fonction nationale.
Que produira votre loi, sinon des apparatchiks issus des partis, bien loin de la République, des élus « hors sol », ou élus à la faveur d’une vague, loin de la société et des préoccupations des citoyens, certains n’ayant jamais pu se faire élire localement. (Mme Hélène Lipietz s’exclame.)
Ce texte manque de logique. Ainsi, un parlementaire qui ne pourra pas être maire, chef d’exécutif, d’une commune de 80 ou 100 habitants, pourra être conseiller régional d’Île-de-France ou conseiller général d’un département et, non pas vice-président, mais président d’une commission – la commission des finances, par exemple –, conseiller spécial auprès du président, président de la commission des routes, de la commission de l’économie, ou même président de la commission de la solidarité, qui, comme chacun le sait, couvre la moitié des dépenses d’un département.
Ainsi donc, on ne pourrait plus être parlementaire et maire d’une petite commune, mais on pourrait tout à fait présider une commission, d’un département ou d’une région, avec des moyens financiers et un pouvoir considérables ?
Monsieur le ministre, la complémentarité entre le mandat national et la fonction d’exécutif local fait la richesse des rapports qui existent entre le monde politique et les citoyens. C'est la raison pour laquelle ce texte n’est pas bon et ne correspond pas à ce que nous attendons. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l'article.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 1er devrait être l’occasion de débattre d’un certain nombre d’amendements dont les auteurs sont visiblement attachés aux effets de seuil et semblent considérer que l’importance relative de certaines fonctions peut justifier le cumul de mandats électifs à fonction exécutive associée.
Cette conception des choses nous semble quelque peu étrange, en ce sens qu’elle laisserait à penser que certains mandats ont moins d’importance ou d’utilité que d’autres, et que le fait d’être adjoint au maire d’une commune rurale ou maire d’une petite ville suffirait à justifier l’exercice d’un autre mandat, de parlementaire, par exemple.
Mais, de notre point de vue, il n’y a pas de « petit » et de « grand » mandat, et le dévouement des élus locaux dans nos communes rurales montre largement – même si je ne suis pas moi-même élue locale – que la taille de la commune ne fait rien à l’affaire et que l’investissement des élus peut être au moins aussi important dans un village de 400 habitants que dans une ville de 35 000 habitants. (Rires et exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Henri de Raincourt. C’est exagéré !
Mme Éliane Assassi. Je n’exagère pas !
M. Rémy Pointereau. Tout de même, cela manque de nuances !
Mme Éliane Assassi. Si vous voulez apporter des arguments pour me contredire mon propos, demandez à prendre la parole, car lancer des anathèmes ne sert strictement à rien, si ce n’est à vous faire plaisir ! (Protestations sur certaines travées de l'UMP.)
Être maire d’un bourg de 1 800 âmes ou d’un village de montagne de 700 âmes n’est pas une tâche et une fonction secondaires. Je pense que l’on peut au moins s’entendre sur ce point.
Il n’y a donc pas de « petit » mandat, comme il n’y a pas de « petits » électeurs.
C’est bien pour cela que nous ne souscrivons aucunement aux propositions tendant à créer des effets de seuil.
Mais, puisque la question est directement posée, je ferai observer que la volonté de réduire le nombre et la durée des mandats électifs est généralisée en Europe, et même dans le monde.
Je citerai un exemple, peut-être extrême d’autant qu’il est très éloigné géographiquement, celui du Chili, où le nombre des fonctions électives est relativement limité – 158 parlementaires, moins de 300 conseillers régionaux, un peu plus de 340 maires, notamment. Le simple fait, pour un ministre, de concourir pour exercer un mandat parlementaire emporte démission immédiate des fonctions ministérielles.
Nous n’en sommes évidemment pas encore là, mais rejetons les effets de seuil qui nous sont ici proposés et qui créent des différences inexplicables contrariant l’application du même droit pour tous !
En conclusion, je formulerai une remarque : j’espère que l’ensemble de nos collègues qui se disaient à l’instant offusqués de la procédure accélérée le diront haut et fort avant que nous n’abordions la discussion du projet de loi sur les retraites, puisque le Gouvernement l’a engagée sur ce texte.
M. Jacques Mézard. Bien sûr !
M. Henri de Raincourt. On vous soutiendra !
M. Bruno Sido. Comptez sur nous !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est logique !
Mme Éliane Assassi. Mais je suis très logique !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je voulais réagir aux propos qui viennent d’être tenus concernant les partis politiques. Nous avons en effet le sentiment, à écouter ce débat, qu’il y a, d’un côté, ce qui est bien et, de l’autre, ce qui est mal.
Ce qui est mal, ce sont les apparatchiks des partis politiques.
M. Bruno Sido. C’est clair !
M. Éric Doligé. Les cumulards !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce qui est bien, ce sont les femmes et les hommes issus du terroir et qui n’ont pas d’attache politique.
M. Jean-Claude Lenoir. Oui ! Le bon sens vient du terrain !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mais la réalité des choses, c’est que, dans cette enceinte, je ne connais pas beaucoup de sénateurs qui ne se rattachent pas, d’une manière ou d’une autre, à un parti politique ou qui n’en sont pas membres. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pour quelles raisons, dans ce pays, on n’aime pas la politique, tout en étant passionné par la politique, cela mérite réflexion. Mais c’est tout de même une position un peu facile.
M. Christian Cambon. Être membre d’un parti politique, ce n’est pas être un apparatchik pour autant !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. L’article 4 de la Constitution est tout entier consacré aux partis politiques : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. » Il est en conséquence assez schizophrénique de présenter la politique pure et noble comme extérieure aux partis politiques, tout en appartenant – comme c'est le cas pour la très grande majorité d’entre nous ! – à un parti.
Il ne faut pas nier la dignité des partis politiques, à l’exception, bien sûr, de certains d’entre eux.
M. Henri de Raincourt. Qu’il faut interdire !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous devons respecter les partis politiques démocratiques, car ils contribuent à la démocratie. (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Une démocratie sans partis, cela n’existe pas ! La démocratie, c’est aussi le droit d’exister dans une formation politique.
Mes chers collègues, nous sommes tous des politiques, et il dépend de nous que la politique soit davantage aimée dans notre pays. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme Hélène Lipietz. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière, sur l'article.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Le cumul des mandats est un thème récurrent, un serpent de mer qui ressurgit à chaque échéance électorale. Il est soutenu, voire amplifié, surtout par celles et ceux qui n’ont pas réussi à obtenir l’onction des administrés. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Si l’on en croit les sondages, l’opinion publique est opposée à cette pratique, mais les citoyens n’ont pas le même raisonnement et cela ne se traduit donc pas forcément dans les urnes.
En effet, la plupart de nos concitoyens veulent des élus ayant de l’expérience, qu’ils acquièrent, par exemple, dans une commune ou dans un territoire.
Comme cela a été dit lors de la discussion générale, c’est surtout le cumul des indemnités qui soulève l’opposition de l’opinion. Sur la limitation du nombre de mandats, il serait plus sage de laisser les électeurs choisir.
Pour ma part, je suis élue depuis trente ans. Mes administrés savent que je siège à la Haute Assemblée et que j’ai été conseillère régionale et présidente d’un SIVOM, des mandats dont j’ai démissionné pour devenir sénateur. Pour autant, ils espèrent que je resterai sénateur et maire, surtout. (« Nous aussi ! » sur les travées de l'UMP.)
Si nous sommes sous le feu des critiques, alors même que la règle de l’écrêtement est parfaitement claire, du moins pour les parlementaires – uniquement pour eux d’ailleurs ! –, nous ne devons pas hésiter à rappeler ce qu’implique cette règle et souligner qu’elle ne s’applique pas aux autres élus. Quand nos concitoyens sauront qu’un maire d’une commune de 20 000 habitants peut être conseiller général, président d’une communauté d’agglomération, voire aussi président d’un syndicat, cela va faire parler dans les chaumières !
Le problème tient surtout au cumul des présidences de syndicats en tout genre, de sociétés d’économie mixte ou d’EPCI, qui nuit à l’efficacité et à la disponibilité des élus.
En cette période de crise, il serait plus judicieux de parler de chômage, d’économie ou d’aides aux entreprises que de cumul des mandats ! (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
Quand la loi s’appliquera – si loi il y a -, qui va compenser les dépenses induites par la multiplicité des élus ? Chez moi, il y aura un maire et, le cas échéant, un sénateur. En tout cas, le différentiel m’a permis de recruter dans ma commune un agent d’accueil à mi-temps.
Pour terminer, je voudrais compléter les propos du rapporteur et vous lire un passage d’un entretien accordé par Guy Carcassonne, qui était, chacun le sait, un constitutionnaliste.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il n’a jamais été autant cité que depuis qu’il n’est plus !
Mme Marie-Thérèse Bruguière. À la question « Un député pourrait-il garder un mandat local non exécutif ? », il apporta la réponse suivante : « C’est un faux nez pour les députés. Il faut couper net le lien avec les collectivités locales. » Et pour les sénateurs ? « Je n’ai pas de contre-indication. Au contraire, interdire le cumul pour les députés et l’autoriser au Sénat enrichirait les deux assemblées. »
M. Éric Doligé. Voilà !
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Au Sénat, nous aurions ainsi de grands élus locaux très actifs, conservant une présence nationale qui renforcerait leur rôle. Je précise que cet entretien est paru dans le journal Libération du 22 juin 2012. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mlle Sophie Joissains. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, sur l'article.
M. Éric Doligé. Monsieur le président, sans aller jusqu’à faire un rappel au règlement, je voudrais répondre rapidement à Mme Assassi, qui nous dévisageait lors de son intervention comme si nous étions des phénomènes. (Mme Éliane Assassi s’en défend en souriant.)
Madame Assassi, vous vouliez savoir si nous nous plaindrions aussi de l’engagement de la procédure accélérée lorsque le projet de loi sur les retraites viendrait en discussion. Rassurez-vous, nous le ferons ! En passant, puisque l’on évoque la question de la réforme du système des retraites, on entend parler de 2020, 2025 ou 2030, mais c’est un problème urgent qu’il faut traiter tout de suite !
Je voudrais aussi rassurer mon collègue Jean-Pierre Sueur sur la question des partis politiques : nous n’y sommes pas opposés, d’autant moins que, c’est bien évident, nous sommes presque tous membres d’un parti politique. D’ailleurs, nous le savons, dans nos assemblées, pour avoir des moyens et un droit d’expression, il vaut mieux être membre d’un parti.
M. Éric Doligé. C'est de cette façon que les choses sont organisées. D’ailleurs, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, il y a très peu de parlementaires non inscrits.
J’ai même cru comprendre que l’on modifie parfois le nombre de parlementaires nécessaires pour créer un groupe afin de permettre l’accès à des moyens matériels, à une présidence, et j’en passe. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
On le voit bien, nous avons l’esprit assez large et nous sommes attachés aux partis politiques.
Ce qu’il faut différencier, c’est le parti politique, auquel nous adhérons les uns et les autres, de l’appareil du parti, constitué de « fonctionnaires », qui sont là pour faire fonctionner le parti. C’est bien de ces personnes que nous parlons.
Nous estimons que ceux qui ne font de la politique que dans le parti sont éloignés du débat local, auquel ils ne prennent pas part. Bien évidemment, nous ne rejetons pas les partis politiques. Au contraire, nous regrettons que les citoyens ne s’y intéressent pas assez. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 36, présenté par Mmes Lipietz, Aïchi, Ango Ela, Archimbaud, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Après le mot
avec
insérer les mots :
toute autre fonction ou mandat électifs, à l’exception du mandat de conseiller municipal d’une ville de moins de 100 000 habitants. Il est incompatible avec
II. – Alinéas 5 à 14
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Chez les Verts, nous avons une « grille de cumul », où chaque fonction, chaque mandat, que ce soit au sein du parti EELV ou au niveau national, est affecté d’un certain nombre de points. Nous n’avons pas le droit de cumuler – c’est le cas de le dire ! – plus de six points en ce qui concerne les mandats électifs.
M. Éric Doligé. C’est comme le permis de conduire !
Mme Hélène Lipietz. Le mandat de parlementaire vaut cinq points, ce qui signifie que l’on peut le cumuler avec un autre mandat.
C’est pourquoi je vous propose que les parlementaires n’aient pas le droit de cumuler leur mandat avec toute autre fonction ou mandat électif, à l’exception du mandat de conseiller municipal d’une ville de moins de 100 000 habitants.
Nous ne souhaitons pas que les élus nationaux soient des élus « hors-sol ». Nous proposons qu’ils gardent un mandat dans une collectivité territoriale, avec la limitation que je viens d’indiquer.
Comme je l’ai dit précédemment et comme vous l’avez certainement entendu compte tenu de l’attention que vous m’avez accordée, chers collègues, en France, nous avons certes des règles, mais aussi toujours des exceptions ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. L'amendement n° 59, présenté par M. Bas et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
l’exercice de plus d’un des mandats ou fonctions énumérés ci-après :
II. – Alinéa 17
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Cet amendement vise à permettre aux députés comme aux sénateurs de conserver une fonction exécutive locale figurant sur une liste qui a été établie par l’Assemblée nationale elle-même.
Cette liste comprend de nouvelles restrictions, notamment pour les présidences d’intercommunalité, les présidences de sociétés d’économie mixte, les vice-présidences de conseil régional ou de conseil général et les fonctions de maire ou d’adjoint au maire de petites communes.
C’est dire que, si cet amendement est adopté, de nouvelles restrictions importantes permettront d’actualiser le régime applicable aux parlementaires exerçant des mandats locaux.
Nous avons souhaité que ces dispositions soient appliquées aussi bien aux députés qu’aux sénateurs, car nous ne sommes pas, par principe, favorables à une différenciation des deux catégories de parlementaires.
Toutefois, cet amendement, qui se veut être une main tendue pour parvenir à une solution d’équilibre, ne pourra prospérer que si le Gouvernement l’approuve et s’engage à le défendre avec vigueur à l’Assemblée nationale. Sans accord entre le Sénat, le Gouvernement et l’Assemblée nationale, il sera naturellement dépourvu d’objet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° 17 rectifié ter, présenté par MM. Daunis, Berson, Besson et Kerdraon, Mme Claireaux et M. Domeizel, est ainsi libellé :
Alinéa 15
Supprimer cet alinéa.
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 29, présenté par Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 13° Les fonctions de conseiller consulaire.
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cet amendement vise à corriger les vices rédactionnels d’une disposition votée par l’Assemblée nationale qui instaure une incompatibilité entre le mandat de parlementaire et ceux de président de l’Assemblée des Français de l’étranger, de membre du bureau de l’Assemblée des Français de l’étranger et de vice-président de conseil consulaire.
Étendre le principe du non-cumul des mandats aux Français de l’étranger, à condition bien sûr que ce projet de loi organique soit adopté, me semble essentielle, mais la rédaction adoptée à l’Assemblée nationale est à la fois trop restrictive dans ses effets et peu cohérente sur le plan juridique.
La distinction entre simple conseiller consulaire et vice-président de conseil consulaire n’a guère de sens. La loi n’alloue en effet aux vice-présidents des conseils consulaires aucun statut juridique spécifique, aucune prérogative propre. Ils ne peuvent même pas présider une réunion du conseil consulaire en l’absence de leur président, dont la loi exige qu’il s’agisse d’une personnalité non élue – en pratique, le chef du poste consulaire.
Les références à l’Assemblée des Français de l’étranger n’ont pas leur place dans un texte relatif aux fonctions exécutives locales. Ce sont les conseils consulaires, et non l’AFE, qui sera leur émanation parisienne, qui sont l’instance se rapprochant désormais le plus d’un conseil municipal.
Cette disposition est par ailleurs redondante. En effet, interdire le cumul d’un mandat de parlementaire avec celui de conseiller consulaire se traduirait de toute façon par un non-cumul à l’AFE, dans la mesure où l’ensemble des élus à l’AFE sont aussi par obligation légale des conseillers consulaires.
Surtout, c’est l’esprit même de la toute récente loi relative à la représentation des Français établis hors de France qui est menacé par la rédaction actuelle de cet alinéa. On prétend accroître la démocratie de proximité ? Autoriser un parlementaire à se présenter à l’élection consulaire, c’est tout l’inverse !
Les conseillers consulaires sont censés réaliser un travail quotidien de terrain dans leur circonscription consulaire. Le cumul entre une fonction locale et un mandat national ne se pose pas dans les mêmes termes à l’étranger et en métropole. La participation aux travaux parlementaires parisiens ne peut qu’empêcher une présence suffisante dans une circonscription consulaire dont la taille varie pour aller d’une unique ville à une petite dizaine de pays. Cet ancrage local des conseillers consulaires est la condition de leur complémentarité avec le travail plus global réalisé par les députés et les sénateurs.
Permettre aux parlementaires de se présenter aux élections consulaires contreviendrait aussi au principe constitutionnel d’égalité des candidats.
La loi n’octroie aucun moyen de campagne aux futurs candidats aux conseils consulaires, tandis que les parlementaires, eux, sauront mobiliser leur notoriété et les avantages matériels que leur confèrent leurs fonctions en termes de communication et de déplacement, d'autant qu’aucun compte de campagne n’est exigé pour les élections des conseils consulaires.
Le poids que pourraient avoir les parlementaires dans un conseil consulaire ou au sein de l'AFE serait d'autant plus disproportionné que le nombre d'élus de terrain dans ces instances est désormais réduit à la portion congrue : de un à neuf élus dans des conseils consulaires accueillant pléthore de personnalités non élues !
Dans la configuration juridique actuelle, le seul moyen pour un parlementaire de participer à l'AFE est de se faire élire comme conseiller consulaire. Si le cumul n’est pas interdit, des parlementaires, même ceux qui sont hostiles par principe au cumul, seront contraints de se présenter aux élections consulaires pour conserver une voix dans cette AFE.
Quel dévoiement du système, mes chers collègues ! D'autant que si les vingt-trois parlementaires représentant les Français de l'étranger deviennent membres de l'AFE, ils représenteront alors plus du quart des membres de cette instance.
J’attire enfin votre attention sur le risque de conflit d'intérêt. Les 444 conseillers consulaires constitueront désormais 85 % du corps électoral des sénateurs représentant les Français de l'étranger. Dès lors, permettre à des sénateurs d'intégrer ce collège me semblerait malsain, surtout au vu de son étroitesse. Le risque de manipulation serait alors patent.
Lors du vote de la réforme de l'AFE, le rapporteur comme le Gouvernement n’avaient pas exprimé de réserve sur le fond quant au principe du non-cumul, se contentant d'indiquer que la mesure relevait d'une loi organique. (Marques d’agacement sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Veuillez conclure, chère collègue !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C'est donc le moment, mes chers collègues, de traduire les idées en actes, et j’espère que sur toutes les travées de cet hémicycle, vous saurez reconnaître le bien-fondé de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Simon Sutour, rapporteur. L’amendement n° 36 vise à interdire le cumul du mandat parlementaire avec tout autre mandat local, même non exécutif, à l'exception de celui de conseiller municipal dans les communes de moins de 100 000 habitants.
Je crois que l’on a trouvé un équilibre en permettant l’exercice d’un mandat local non exécutif à un parlementaire.
La commission des lois a émis un avis défavorable.
L'amendement n° 59 tend à limiter le cumul entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale. Cependant, contrairement au projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, il ne pose pas un principe d’interdiction mais autorise l’exercice d’une seule fonction exécutive locale.
À titre personnel, je suis défavorable à cet amendement. Cependant, en raison de l'égalité des voix qui a été constatée en commission, celle-ci s’en remet à la sagesse du Sénat. (Marques de satisfaction sur les travées de l'UMP.)
Enfin, la commission des lois a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 29.
M. Bruno Sido. Et pourquoi ? C'est vexant !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre. Concernant l'amendement n° 36, je rappelle que le Gouvernement a souhaité réaliser une avancée importante en interdisant le cumul de fonctions exécutives avec un mandat parlementaire, mais il considère que l'interdiction d'exercer un mandat simple, comme ceux de conseiller départemental ou régional, n’est pas souhaitable. Il n’y a pas de seuil à instaurer en l'espèce et exprime donc un avis défavorable.
Concernant l'amendement n° 29, j’indiquerai que le Gouvernement a souhaité, pour ces mandats, réaliser la même avancée.
Les raisons pour lesquelles le Gouvernement propose d'interdire le cumul d'une fonction exécutive avec un mandat parlementaire tiennent notamment à la nécessité de dégager, pour les parlementaires et les titulaires des fonctions exécutives concernées, le temps nécessaire à l'exercice de leurs fonctions.
En revanche, le Gouvernement n’estime pas souhaitable d'interdire aux parlementaires d'être candidats à un mandat simple comme celui de conseiller consulaire. C'est pourquoi le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Sur l'amendement n° 59, qui a pour objet de permettre aux députés et aux sénateurs d'exercer une fonction exécutive locale, et qui revient donc sur l'équilibre et sur la finalité du présent texte, le Gouvernement n’a pu donner qu’un avis défavorable. (M. Christian Cambon s’exclame.)
Je comprends bien la volonté exprimée par M. Bas, celle de tendre la main ou de tenter une discussion, d'abord avec le Gouvernement puis avec l’Assemblée nationale. Évidemment, la discussion a lieu, mais vous avez bien compris la détermination du Gouvernement sur ce sujet. Nous discutons depuis longtemps de ces questions, comme l'ont rappelé de nombreux orateurs ; le débat n’est pas nouveau, ni pour le Sénat, ni pour l’Assemblée nationale, ni pour le Parlement, ni pour le pays !
Je sais bien que les sondages n’ont pas d'importance et qu’il ne faudrait jamais, ou presque jamais, en tenir compte. Toutefois, comme la discussion a été ouverte sur les fonctions dites transversale, j’indique que, dans un sondage TNS-SOFRES sur le point d’être publié, concernant le cumul des mandats des maires, à la question « Estimez-vous souhaitable ou non que votre maire soit également élu au conseil général ou au conseil régional ? », 62 % des sondés ont répondu négativement ; pour ce qui est d'être également parlementaire, député ou sénateur, 75 % ont estimé que cela n’était pas souhaitable ; enfin, 57 % préfèrent que leur maire soit uniquement maire. (Nombreuses protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Rémy Pointereau. On ne gouverne pas avec des sondages !
M. Manuel Valls, ministre. Je sais que ce n’est qu’un sondage, et je ne le cite qu’en tant que contribution aux débats. Car s’il y a, certes, les sondages, il y a surtout les électeurs qui, quand on le leur propose, peuvent être amenés à élire un sénateur-maire ou un député-maire – je connais tous les arguments. Cela me permet simplement de vous dire que dans le pays, le problème du cumul se pose réellement, même si ce texte ne suffira pas à résoudre la crise de confiance que nous connaissons.
M. Jean-François Husson. Parlez du chômage !
M. Manuel Valls, ministre. Sur le chômage, vu les exploits que vous avez réalisés lorsque vous étiez au pouvoir, j’estime que chacun devrait être conduit à la modestie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Bravo !
M. Claude Bérit-Débat. Deux millions de chômeurs de plus !
M. Manuel Valls, ministre. Il est des sujets difficiles, pour les uns comme pour les autres. Sur ces sujets – je pense aussi à la sécurité –, il faut essayer d'avancer ensemble avec lucidité.
Pour revenir à la question qui nous occupe aujourd'hui, on voit bien qu’il y a une difficulté. Ce débat est ancien. Or, à chaque fois qu’il revient – j’en connais bien les arguments, pour l'avoir eu au sein de ma propre formation politique –, on oppose une réforme plus générale – celle de la Constitution, celle de la décentralisation – et, à chaque fois, on renvoie à des questions de seuils… À chaque fois que ce débat a eu lieu, on nous a opposé des arguments pour ne pas le faire ! Non, cela ne peut pas continuer !
C'est pourquoi le Gouvernement est très déterminé et ira jusqu’au bout.
M. Rémy Pointereau. Légiférez par ordonnances, cela ira plus vite !
M. Manuel Valls, ministre. Donc, au-delà de votre main tendue, monsieur Bas, que je suis prêt à saisir pour vous convaincre sur ce sujet, je suis moi-même convaincu que grâce à votre jeune expérience – vous êtes, somme toute, un jeune parlementaire et un jeune élu (Sourires.) –, vous pouvez comprendre que la voie du non-cumul entre un mandat de parlementaire et une fonction exécutive est inexorable. Elle est aujourd'hui nécessaire, et elle va s'imposer.
M. Joël Guerriau. Eh bien ! Quelle conception du dialogue !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote sur l'amendement n° 59.
M. Philippe Bas. Monsieur le président, je dois exprimer au jeune ministre (Nouveaux sourires.) qui vient de nous donner son avis sur l’amendement n° 59, ma grande déception. Il accumule les professions de foi en faveur du dialogue républicain, il se dit ouvert au débat mais, on le constate à chaque fois, c'est à la seule condition de ne pas bouger une virgule du texte qu’il a fait adopter par l’Assemblée nationale, si bien que l’on se demande vraiment à quoi sert notre discussion.
Je déplore cette manière de faire, qui est peu respectueuse et de la démocratie, et du Sénat lui-même. Dans ces conditions, je constate l'impossibilité que cette main tendue aboutisse à un résultat législatif. Cela signifie tout simplement que, si le Gouvernement campe sur une position intransigeante et demeure fermé à la recherche d'un compromis et d'un équilibre entre les deux assemblées, une telle disposition, pourtant favorable à la possibilité de maintenir un régime commun aux députés et aux sénateurs, ne pourra pas prospérer.
Dans ces conditions, je ne vois pas comment mieux faire que de retirer, au nom de mon groupe, cet amendement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° 59 est retiré.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur l'amendement n° 29.
M. Jean-Yves Leconte. En tant que rapporteur de la loi relative à la représentation des Français établis hors de France, je devrais me réjouir que Mme Garriaud-Maylam, qui ne l’a pas votée, en appelle, quelques mois plus tard, à l’esprit de ce texte !
Mais je voudrais, malgré les longues explications que vous avez données, madame, au soutien de votre amendement, souligner, en particulier à l’intention de vos collègues et de ceux qui voudraient conserver la possibilité de cumuler un mandat exécutif local avec un mandat de parlementaire, que votre argumentation va beaucoup plus loin dans le non-cumul que le projet de loi, dans la mesure où elle pourrait s'appliquer à tous les mandats de la République, à tous les mandats locaux…
Votre raisonnement revient à interdire le cumul de tout mandat local, même un simple mandat de conseiller municipal ou de conseiller général, avec un mandat parlementaire.
C'est donc tout à fait autre chose. Comme il n’y a aucune raison de traiter un mandat de conseiller consulaire différemment des autres mandats locaux, je ne comprends pas cet amendement…
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. J’avoue que je suis assez amusée, et en même temps assez attristée, par ce que j’entends. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.) D'une part, j'ai l'impression très nette que l'on n’a pas écouté la présentation de mes arguments, qui me paraissait pourtant assez claire.
Que le rapporteur de cette loi socialiste soit contre mon amendement ne m'étonne pas. Je sais bien qu’il y a malheureusement des questions de principe : avec la logique gauche contre droite, on n’acceptera pas un amendement venant de ce côté-ci de l'hémicycle.
Mais il y a tout de même une hypocrisie absolument incroyable ! Nous participons à une véritable parodie ! Le rapporteur de cette loi est en train de nous dire que le mandat de conseiller consulaire serait le même que celui de conseiller municipal. Mais de qui se moque-t-on ? Je vous invite, mes chers collègues, à lire cette loi, au demeurant une très mauvaise loi,…
Mme Éliane Assassi. Pourquoi ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. … si mauvaise que, même sur les travées de gauche, la plupart des élus en sont très mécontents…
Mme Éliane Assassi. C'est-à-dire ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. … et reconnaissent eux-mêmes qu’elle constitue une aberration !
Alors, si j’ai voté contre le projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France – et j’en suis fière –, je voudrais simplement souligner l'incohérence…
Mme Éliane Assassi. Sur quoi ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. … de cette position de la gauche, qui nous dit aujourd'hui vouloir le non-cumul, mais surtout pas sur ce sujet-là !
M. Jean-Jacques Mirassou. Ce n’est pas du tout ce que nous avons dit !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Pourtant, mes chers amis, la gauche nous institue un conseil consulaire qui n’a absolument aucun moyen, dont le président est un non-élu, où les vice-présidents n’ont même pas le droit de représenter le président…
Excusez-moi, mais c'est une parodie qui, selon moi, fait honte à la démocratie et à la gauche ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Rien que ça !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 29.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.) – (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° 28, présenté par Mme Klès, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
1° Après les mots :
fonctions de maire
insérer les mots :
d’une commune d’au moins 10 000 habitants
2° Après les mots :
maire délégué
insérer les mots :
d’une commune d’au moins 10 000 habitants
3° Compléter cet alinéa par les mots et une phrase ainsi rédigés :
d’une commune d’au moins 10 000 habitants. Ces fonctions, dès lors qu’elles sont cumulées avec un mandat de parlementaire ne peuvent donner lieu à une indemnité ;
II. – Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots et une phrase ainsi rédigés :
d’au moins 10 000 habitants. Ces fonctions, dès lors qu’elles sont cumulées avec un mandat de parlementaire, ne peuvent donner lieu à une indemnité ;
La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Les débats que nous avons ce soir tournent beaucoup autour du problème du temps nécessaire pour exercer correctement un mandat local et un mandat national, ainsi que la compatibilité entre ces fonctions.
Il me semble que, si l’on exerce un mandat local en même temps qu’un mandat national, il faut que cela apporte une plus-value, en l’occurrence pour le Sénat, par l’expérience et la connaissance concrète du fonctionnement des collectivités territoriales.
Il me semble également que, dans les modifications liées au cumul ou au non-cumul des mandats que nous sommes en train de voter, nous devons être attentifs à ne pas faire varier le Sénat dans sa composition et dans la représentation de l’ensemble des territoires qu’il représente.
Or un conseiller général ou un conseiller régional a généralement eu un parcours politique avant d’être élu et a donc, en tant que tel, une expérience des exécutifs locaux. De la même façon, un conseiller municipal d’une grande ville a exercé des responsabilités et apporte aussi au Sénat un certain nombre d’expériences et de compétences. Un conseiller municipal d’une petite ville, s’il n’a jamais exercé de fonctions exécutives locales, n’apportera pas grand-chose au Sénat en tant que simple conseiller municipal.
Dans un grand exécutif – que ce soit un conseil régional, général ou une grande municipalité – les démissions sont presque attendues par le citoyen, dans la mesure où le maire comme le président de conseil général ou de conseil régional, parce qu’ils font déjà partie d’une grande collectivité, sont déjà dans une logique qui peut conduire à un mandat national. Les démissions seront donc relativement faciles et n’auront que peu de conséquences.
En revanche, dans une petite collectivité, le lien entre le président de l’exécutif et son électeur est beaucoup plus fort, et l’élu hésitera sans doute plus à démissionner. Ce qui est à craindre à terme – et c’est ce sur quoi je veux appeler l’attention du Gouvernement –, c’est une modification de la composition du Sénat par une diminution du nombre d’élus issus de petites collectivités.
Nous en arrivons donc à la notion de seuil. J’ai proposé 10 000 habitants parce que cela correspond, dans le code général des collectivités territoriales, au seuil à partir duquel des heures de décharge sont accordées pour exercer son mandat.
Il faut faire attention : les villes de moins de 10 000 habitants représentent plus de 32 000 de nos 36000 communes environ, soit plus de 50 % des habitants.
Pour autant, les maires de communes de moins de 10 000 habitants qui sont aujourd’hui sénateurs ne représentent que 50 % des sénateurs maires. Autrement dit, les cumuls de mandats de sénateur et de maire sont beaucoup plus fréquemment exercés dans les grandes communes que dans les petites.
Nous devons donc faire attention à ne pas déséquilibrer la composition du Sénat et la représentation des petits territoires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Simon Sutour, rapporteur. Sur onze amendements de seuil, dix ont été retirés ; il n’en reste donc qu’un. Cet amendement vise à moduler l’incompatibilité parlementaire en ôtant de son champ les fonctions exécutives locales dans les communes de moins de 10 000 habitants.
Je ne suis pas sûr que les fonctions exécutives locales dans les communes les moins peuplées soient moins prenantes que dans une grande commune, car, à la différence de ces dernières, où l’élu dispose d’un cabinet et de services importants, le maire des plus petites communes doit faire face à ses missions avec un personnel réduit, ce qui exige de sa part une disponibilité accrue.
En outre, il est possible de fixer un seuil, comme actuellement à l’article L.O. 141 du code électoral. Ce seuil doit cependant se conformer à une exigence constitutionnelle. En effet, dans deux décisions des mois de mars et mai 2000, le Conseil constitutionnel a considéré « qu’il était loisible à la loi organique de ne faire figurer, dans le dispositif de limitation de cumul du mandat de parlementaire et de mandats électoraux locaux, le mandat de conseiller municipal qu’à partir d’un certain seuil de population, à condition que le seuil retenu ne soit pas arbitraire ».
Dans sa décision du 30 mars 2000, le Conseil a estimé, à l’époque, que le fait d’avoir retenu le seuil de 3 500 habitants satisfaisait cette condition dans la mesure où il correspondait au seuil de population entraînant, en vertu de l’article L. 252 du code électoral, un changement de mode de scrutin pour l’élection des membres des conseils municipaux. Il a en revanche censuré, par sa décision du 30 mai 2000, un changement de seuil pour l’application du mode de scrutin qui n’était pas accompagné par une modification consécutive du seuil lié à l’application de l’incompatibilité entre les mandats.
Lors de l’examen de la loi du 17 mai 2013, ce seuil a été logiquement abaissé, vous vous en souvenez, à 1 000 habitants, à l’initiative du Sénat, ce que le Conseil constitutionnel a validé, par sa décision de mai 2013, en rappelant très clairement sa jurisprudence de 2000.
Le seuil proposé ne me paraît pas satisfaire cette exigence constitutionnelle, c’est pourquoi, ma chère collègue, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Klès, l’amendement est-il maintenu ?
Mme Virginie Klès. Il s’agissait essentiellement d’un amendement d’appel visant à attirer l’attention du Gouvernement. J’ai déposé un autre amendement, que nous examinerons ultérieurement, afin que nous puissions nous assurer d’emblée que les territoires les moins peuplés ne seront pas moins représentés au Sénat demain.
Dans ces conditions, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 28 est retiré.
L'amendement n° 3 rectifié ter, présenté par Mme Procaccia, MM. Bas, Milon et Sido, Mme Deroche, MM. Cornu et Pointereau, Mme Des Esgaulx et MM. Dallier, Dulait, Savary, Retailleau, Cambon, J. Gautier et Mayet, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... Après le premier alinéa de l’article L. O. 296 du code électoral, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut être élu au Sénat s’il n’exerce pas ou n’a pas exercé au moins un mandat de conseiller municipal, de conseiller départemental ou de conseiller régional. »
La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié ter est retiré.
Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 46 est présenté par M. Mézard et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen.
L'amendement n° 58 est présenté par M. Bas et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
L'amendement n° 63 est présenté par M. Zocchetto et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
II. – L’article L.O. 297 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L.O. 297. - Sauf exceptions prévues au présent chapitre, les dispositions régissant les incompatibilités des députés sont applicables aux sénateurs.
« Le mandat de sénateur est incompatible avec l’exercice de plus d’un des mandats ou fonctions énumérés ci-après :
« 1° Maire, maire d'arrondissement, maire délégué ou adjoint au maire ;
« 2° Président ou vice-président d'un établissement public de coopération intercommunale ;
« 3° Président ou vice-président de conseil départemental ;
« 4° Président ou vice-président de conseil régional ;
« 5° Président ou vice-président d'un syndicat mixte ;
« 6° Président, membre du conseil exécutif de Corse ou président de l'Assemblée de Corse ;
« 7° Président ou vice-président de l'Assemblée de Guyane ou de l'Assemblée de Martinique ; président ou membre du conseil exécutif de Martinique ;
« 8° Président, vice-président ou membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; président ou vice-président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; président ou vice-président d'une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ;
« 9° Président, vice-président ou membre du gouvernement de la Polynésie française ; président ou vice-président de l'assemblée de la Polynésie française ;
« 10° Président ou vice-président de l'Assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;
« 11° Président ou vice-président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ; membre du conseil exécutif de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 12° Président ou vice-président de l'organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;
« 13° Président ou vice-président de société d'économie mixte ;
« 14° Président de l'Assemblée des Français de l'étranger, membre du bureau de l'Assemblée des Français de l'étranger ou vice-président de conseil consulaire. »
La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 46.
M. Jacques Mézard. Nous avons eu, depuis quatorze heures trente, un débat intéressant, mais dans lequel le Gouvernement nous a signifié qu’il n’accepterait aucun amendement, aucune proposition du Sénat de la République, que les choses étaient figées, que M. le Président de la République avait donné un ordre et qu’il convenait de l’exécuter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.-Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) C’est la réalité !
M. Gérard Cornu. Circulez ! Il n’y a rien à voir !
M. Jacques Mézard. Cela peut se comprendre, et toutes les opinions sont respectables, mais, lorsque vous nous dites clairement à plusieurs reprises, monsieur le ministre, que c’est comme ça, qu’il n’y aura strictement aucune variation dans vos positions (M. le ministre fait un signe d’assentiment.)… Je vous remercie d’opiner, monsieur le ministre, car je n’invente rien.
S'agissant de la proposition, d’ailleurs parfaitement raisonnable, que tout parlementaire, qu’il soit député ou sénateur, puisse exercer un mandat exécutif, et un seul, le Gouvernement a répondu qu’il n’en était pas question et que l’Assemblée nationale maintiendrait cette position, sur proposition du Gouvernement.
M. Bruno Sido. Godillots !
M. François Rebsamen. Et avec Sarkozy ? Nous, nous ne sommes pas convoqués à l’Élysée !
M. Jacques Mézard. En la matière, monsieur Sido, je crois que toutes les majorités ont eu des parlementaires exécutant strictement les ordres de leur exécutif. C’est une conception de la République ; ce n’est pas la mienne, mais je la comprends, ou en tout cas je peux l’entendre.
Dans ces conditions, que nous reste-t-il ? Nous sommes convaincus, et je l’ai exprimé longuement dans la discussion générale, qu’il est indispensable que le Sénat de la République conserve à la fois sa place dans la République et sa spécificité dans la République, parce qu’il en a une, très clairement définie par la Constitution en ses articles 24 – « Il assure la représentation des collectivités territoriales » – et 39 – « les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat. », ainsi que son mode électoral, fondé sur le vote des grands électeurs issus des collectivités.
L’argument selon lequel le Sénat, petit à petit, deviendrait une chambre qui ne s’occuperait que des collectivités doit être balayé très simplement : c’est totalement faux ! Il détient à la fois une compétence générale, que personne ne lui a jamais déniée, et une compétence particulière, qui lui est dévolue par la Constitution en ce qui concerne les collectivités territoriales. Je ne reprendrai pas mon argumentaire et les citations des plus grands parmi les socialistes : c’est la réalité !
Aujourd'hui, pour des raisons qui ont été largement exposées par M. le ministre, une autre vision prévaut. On en connaît l’origine, je n’y reviens pas. Nous respectons, je le répète, toutes les opinions et toutes les positions. Ce que nous avons déploré, ce sont les méthodes employées. Mme Assassi se plaint à juste titre que la procédure accélérée ait été engagée sur la réforme des retraites, mais elle ne nous a pas suivis pour contester avec nous sa mise en œuvre sur ce texte… Nous avons cependant la même opinion sur l’abus de cette procédure accélérée.
Alors, que reste-t-il au Sénat pour exprimer sa volonté de vivre et d’exister encore ? Car tel est le débat de fond.
M. Philippe Bas. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. Mais, sur ce point, je n’ai pas entendu d’explication convaincante sur l’avenir du Sénat, pas un mot contre le Haut Conseil des territoires, cette fadaise dont on attend encore que l’on nous dise qu’il ne verra jamais le jour, pas un mot de l’exécutif de notre assemblée pour dire qu’il n’y aurait pas de réduction du nombre de sénateurs.
Non, mes chers collègues, il n’y a pas eu, mes chers collègues, une seule véritable contestation de cette évolution du Sénat qui deviendrait une « chambre croupion », évolution que nous refusons, pour notre part.
Alors, oui, que nous reste-t-il, mes chers collègues ? Il nous reste la nécessité, l’impérieuse obligation de prévoir, par un amendement, une chose claire, simple, qui n’est aucunement excessive, à savoir que tout sénateur aura la possibilité de conserver un mandat exécutif local – maire, président d’intercommunalité, président d’un exécutif départemental ou régional.
Il est bien évident qu’un Sénat dans lequel ne siégerait plus un seul maire, plus un seul adjoint, plus un seul président ou vice-président, ce ne serait plus le Sénat, ce ne serait plus la Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Je vous le dis avec conviction, monsieur le ministre : vous avez semblé douter de ma sincérité devant la commission des lois, mais je ne doute pas que vous ayez toujours la même opinion qu’il y a quelques années.
Cette évolution des institutions de la République est particulièrement grave et déplorable.
M. Jacques-Bernard Magner. Vous avez dépassé votre temps de parole !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jacques Mézard. Je crois que cet amendement mérite des explications… (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques-Bernard Magner. Je crois, moi, qu’on a compris !
M. Jacques Mézard. Votre sens de la démocratie…
M. Jacques-Bernard Magner. Nous avons un règlement !
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, comme l’immense majorité de nos collègues, vous avez compris l’importance de cet amendement. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Quant à nos collègues socialistes – et je ne m’en étonne guère –, ils ont une bien curieuse conception de la démocratie ! (Protestations sur certaines travées du groupe socialiste – Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Par cet amendement, que nous souhaitons voir adopté très largement par la Haute Assemblée, nous voulons permettre au Sénat d’exprimer non pas un refus catégorique, mais une proposition raisonnable et mesurée, car le Sénat est la chambre du temps de la réflexion. Ainsi l’Assemblée nationale sera-t-elle saisie, nous l’avons rappelé en commission des lois, d’un projet de loi organique comportant une disposition spécifique au Sénat.
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, avec beaucoup de conviction et de fermeté, je vous demande de voter cet amendement. Je crois que nous rendrons ainsi service non seulement au Sénat de la République, mais aussi à l’ensemble de nos institutions ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour présenter l’amendement n° 58.
M. Philippe Bas. Le plaidoyer très convaincant du président Mézard me dispensera de longs développements, d’autant que j’ai eu tout à l'heure l’occasion d’exposer dans le détail le contenu de cet amendement dont chacun pourra constater qu’il est identique à ceux qui ont été déposés par les présidents Mézard et Zocchetto au nom de leur groupe respectif.
Je voudrais remercier le ministre d’avoir bien voulu nous livrer sa conception de ce qu’est, selon lui, l’intérêt objectif du Sénat. À son tour, il nous permettra d’affirmer notre propre conception de ce que doit être l’identité du Sénat, au service du Parlement et de la démocratie de notre pays.
Il est, de notre point de vue, essentiel pour notre institution qu’un sénateur puisse continuer à être maire parmi les maires, élu local parmi les élus locaux. Toute coupure de ce lien essentiel aurait pour effet d’éloigner notre institution des territoires et de leurs habitants que nous avons constitutionnellement la charge de représenter. C’est tout le sens de cet amendement que de maintenir ce lien étroit sans lequel notre démocratie serait asséchée. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour présenter l'amendement n° 63.
M. Yves Détraigne. Mes chers collègues, si nous siégeons au Sénat, c’est que nous sommes tous attachés au bicamérisme, lequel n’a de sens que s’il existe une spécificité de la Haute Assemblée par rapport à l’Assemblée nationale.
Or, cela a été dit et redit, cette spécificité figure à l’article 24 de notre Constitution : le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Dès lors, il n’y a rien de choquant, bien au contraire, à prévoir une spécificité pour les sénateurs en raison de cette représentativité particulière.
À partir de là, rien n’empêche de prévoir un régime d’incompatibilités qui serait également propre au Sénat, différent du régime d’incompatibilité totale prévu pour les députés que l’on veut nous imposer. Nous ne sommes pas la copie conforme de l’Assemblée nationale, nous avons un rôle spécifique !
Il ne s’agit pas pour autant d’en rester au statu quo, car il est vrai que certaines limites doivent être posées au cumul. Il faut se montrer digne du mandat que nous confient les électeurs et l’assumer dans sa plénitude. C’est la raison pour laquelle ces amendements identiques tendent à ce que le mandat de sénateur ne puisse se cumuler qu’avec un seul mandat exécutif.
Adopter cet amendement me semble indispensable si l’on veut justifier l’existence du Sénat à côté de l’Assemblée nationale, et justifier ainsi notre fonction constitutionnelle de représentant des collectivités territoriales de la République.
Je crois que nous sommes très nombreux au sein de cette assemblée à penser la même chose. Si nous n’avons peut-être pas tous la liberté de l’exprimer, en notre for intérieur, nous sommes très majoritaires à penser qu’il est conforme au rôle du Sénat de permettre à un sénateur d’exercer également un unique mandat exécutif local.
Mes chers collègues, si vous êtes ici, c’est que vous êtes attachés au Sénat. Alors, allez au bout de votre conviction et adoptez cet amendement ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur les travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Simon Sutour, rapporteur. Ces trois amendements identiques, présentés par M. Bas, au nom de l’UMP, M. Mézard, au nom du RDSE, et M. Détraigne, au nom du groupe de l’UDI-UC,...
M. Éric Doligé. Cela fait du monde !
M. Simon Sutour, rapporteur. … visent à instaurer un régime d’incompatibilité spécifique propre aux sénateurs, ce qui serait inédit depuis 1958.
Comme j’ai déjà pu le dire à maintes reprises, je suis attaché à ce que les sénateurs soient soumis aux mêmes incompatibilités que les députés, car les deux assemblées ont les mêmes missions constitutionnelles, quasiment les mêmes prérogatives…
M. Bruno Sido. Non !
M. Simon Sutour, rapporteur. … et ont toutes deux une vocation généraliste.
Cependant, la commission des lois, estimant que les dispositions de ces amendements permettaient de parvenir à une solution acceptable, notamment à certaines avancées, en intégrant dans le champ de l’incompatibilité les fonctions de président ou de vice-président au sein d’un EPCI, d’un syndicat mixte ou d’une société d’économie mixte, elle a émis un avis favorable sur ces amendements. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
Je rappelle que je m’exprime au nom de la commission, et non à titre personnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre. Tout cela est sans surprise : ces amendements identiques, sauf coup de théâtre ou retrait, seront adoptés tout à l'heure. Il s’agit du droit le plus absolu du Sénat.
S’il n’y a pas de surprise dans cette position de la Haute Assemblée, il n’y en a pas non plus dans celle du Gouvernement, que vous connaissez et que je vous ai dite très clairement, comme il est d’usage dans un débat loyal.
M. André Trillard. Cette position est assez récente !
M. Christian Cambon. M. Ayrault a cumulé pendant des années !
M. Manuel Valls, ministre. Nous avons déjà eu ce débat, et beaucoup ont cumulé. M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, avait lui-même par deux fois – d’ailleurs, sans livrer son opinion personnelle – demandé à l’ancien Premier ministre Édouard Balladur d’étudier cette question. Durant la dernière campagne présidentielle, il avait lui-même avancé sur ce sujet.
On peut donc changer d’avis, on peut évoluer,…
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Manuel Valls, ministre. … on peut aussi regarder ce qui se passe dans la société. C’est tout le sens des explications que je vous ai données tout à l'heure sur les choix du Président de la République et, plus modestement, sur les miens.
Une formation politique qui compte a donné son avis à travers ses militants. Une primaire a eu lieu au cours de laquelle 3 millions de personnes ont voté. Les candidats socialistes à cette primaire se sont engagés sur ce sujet-là et le Président de la République, alors candidat, s’est aussi engagé. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Si vous n’êtes certes pas comptables des engagements du Président de la République, permettez que ceux qui l’ont soutenu, qui l’ont accompagné et qui sont membres du Gouvernement portent cet engagement devant les Français, c’est la moindre des choses.
Le Président de la République, comme les membres du Gouvernement, est déterminé. Quelles qu’aient été nos positions par le passé, nous considérons, compte tenu des évolutions constatées, qu’il faut aujourd’hui appliquer le principe du non-cumul.
Le débat ne porte plus sur la question des seuils, ni sur le cumul en général des députés ou des sénateurs, il porte sur la spécificité sénatoriale. J’ai déjà indiqué par avance quelle était ma position, notamment lors de la discussion générale.
Comme vient de le souligner M. le rapporteur, nous ne pouvons pas partir de l’article 24 de la Constitution pour justifier ce cumul. Si le Sénat représente effectivement les collectivités territoriales, les sénateurs peuvent parfaitement remplir ce rôle à travers l’exercice des mandats de conseiller municipal, de conseiller général ou de conseiller régional, ainsi qu’à travers l’élection sénatoriale en elle-même.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. Manuel Valls, ministre. Certains sénateurs n’ont aucun autre mandat !
Par ailleurs, aucun d’entre vous n’a évoqué… (Brouhaha persistant sur les travées de l'UMP.) Vous parlez de respect et d’écoute des uns et des autres, mais moi, au banc du Gouvernement, je ne vous ai pas interrompus ! Souffrez donc que j’aille au bout de mon propos ! (Exclamations sur les mêmes travées.) Si le respect n’est pas réciproque, nous aurons des difficultés à échanger ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Il n’est pas certain que le Conseil constitutionnel admette une telle différence de traitement entre l’Assemblée nationale et le Sénat, alors que l’article 24 de la Constitution, auquel vous faites référence, donne aux deux chambres les mêmes missions : voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques.
J’en viens à un argument que j’ai déjà évoqué. Certes, je ne suis que membre du Gouvernement et n’ai jamais été sénateur, mais… (On le regrette sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela viendra ! (Sourires.)
M. Manuel Valls, ministre. … après un an passé à observer les choses de près ici, je suis convaincu que certains mots que vous employez – j’ai entendu parler de Sénat « croupion » lors de la discussion du texte sur le scrutin binominal instaurant la parité dans tous les départements – ne rendent pas service au Sénat.
Mme Patricia Schillinger. Absolument !
M. Manuel Valls, ministre. Car, pour la plupart, vous savez que ce texte sera in fine adopté. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. C’est un pari ?
M. Manuel Valls, ministre. Non, vous avez raison, à ce stade, c’est un pronostic ! (Sourires.) Je pars simplement du principe que la volonté du Gouvernement est de faire adopter le texte tel qu’il a été présenté.
Ce ne serait pas rendre service aux sénateurs, je le répète, que d’instituer un régime différencié, qui pourrait être interprété par les citoyens comme la reconnaissance d’une valeur inégale entre les deux chambres du pouvoir législatif. Cela ferait, en outre, s’orienter le Sénat dans d’autres directions.
M. Christian Cambon. C’est le seul moyen de se faire entendre !
M. Manuel Valls, ministre. Je ne comprends pas qu’on puisse vouloir cette différenciation ! (M. Gérard Cornu s’exclame.) Vous êtes des parlementaires, vous êtes des législateurs, et votre seul argument, répété à l’envi, c’est qu’un sénateur doit aussi exercer un mandat exécutif local. Cela ne tient pas debout, et n’est pas cohérent du point de vue de la Constitution !
L’objet du projet de loi organique est bien de garantir que les députés et les sénateurs, qui assurent les uns comme les autres la fonction législative, soient pleinement disponibles pour se consacrer à cette mission essentielle.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, sans illusion sur l’issue du vote, émet un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous me voyez contraint de vous le rappeler, le Gouvernement est déterminé : c’est le texte de loi adopté à l’Assemblée nationale qui in fine aboutira, car c’est cette cohérence-là qui s’impose. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste, sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Gérard Longuet. On changera de gouvernement, et on changera de texte !
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.
M. Hugues Portelli. Mon propos s’adresse aussi bien à M. le ministre qu’au Conseil constitutionnel.
Nous le savons très bien, nous sommes en désaccord avec les députés et le Gouvernement, et nous voterons un texte différent de celui qu’a adopté l’Assemblée nationale.
Si la commission mixte paritaire n’aboutit pas à un accord, il vous sera loisible, monsieur le ministre, de donner le dernier mot aux députés, comme la procédure législative vous y autorise. Pour autant, cela n’y changera rien : le Conseil constitutionnel tranchera. Nous lui demanderons comment interpréter la Constitution.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout0 fait !
M. Hugues Portelli. C’est exact, mais nous serons amenés à lui présenter nos arguments.
Précisément, quels sont ces arguments que nous devons livrer à la réflexion de ceux qui ne partagent pas notre point de vue ?
Un premier argument peut être tiré de la comparaison avec des pays similaires au nôtre, ayant les mêmes strates et le même type de régime démocratique. On constate que les collectivités territoriales européennes participent à des degrés divers à la vie politique du pays, selon trois grandes catégories.
La première catégorie regroupe les pays où il n’y a pas de pouvoir local. C’est le cas de l’Angleterre, par exemple. La Chambre des Lords est l’ancienne chambre aristocratique, où sont désormais nommés les copains du Premier ministre du moment, mais elle ne compte pour rien. La meilleure preuve en est que, pour créer un pouvoir local au Pays de Galles et en Écosse, on a pris exemple sur la deuxième catégorie de pays européens, qui regroupe l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, et la Suisse.
Dans ces pays, en effet, les collectivités régionales ou équivalentes votent la loi. En somme, elles participent elles-mêmes à la fonction législative. Du coup, la question de leur représentation est secondaire, car le pouvoir législatif est partagé entre l’échelon régional et l’échelon national.
Il existe une troisième et dernière catégorie, dans laquelle se trouve la France. La solution française, telle qu’elle existe depuis l’avènement de la République, repose sur la participation des collectivités territoriales à la fonction législative à travers le Sénat. C’est pour cela, mes chers collègues, que le Sénat est formé d’élus locaux !
M. Yves Détraigne. Voilà !
M. Hugues Portelli. Cette solution « à la française » s’explique par le fait que la France est un État unitaire, où le pouvoir n’est ni régional ni fédéral.
Il n’est que de regarder ce qui s’est passé en Belgique. Lorsque ce pays s’est transformé en État fédéral, le pouvoir législatif a été confié aux régions et aux communautés linguistiques. Dans le même temps, une grande partie de ce pouvoir a été retiré au Sénat : il n’était plus nécessaire pour représenter les collectivités, ces dernières, qui se sont vu octroyer par la Constitution belge le pouvoir législatif, s’en chargeaient elles-mêmes !
Voilà notre spécificité : nous exerçons le pouvoir législatif national au même titre que les députés, mais nous représentons, en plus, les collectivités territoriales. Et la meilleure façon de les représenter, mes chers collègues, c’est d’en faire partie ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
M. Joël Guerriau. Nous ne pouvons que nous féliciter d’avoir l’occasion de débattre sur la question du cumul des mandats, à l’occasion de l’examen d’un texte dont l’ambition est de redonner du souffle à la démocratie.
Pour ce faire, il convient de se fixer des objectifs qui correspondent le mieux à ce que les Français attendent de nous, et de tâcher de faire en sorte que la plupart des pouvoirs ne se trouvent pas concentrés entre les mains d’un seul.
Il aurait donc fallu que cette réforme puisse porter sur tout l’éventail de ces différents pouvoirs.
En tant qu’élus membres de l’opposition sénatoriale et hostiles au projet du Gouvernement, quel est notre pouvoir aujourd’hui, monsieur le ministre, sinon de vous écouter nous répéter que, quoi que nous disions, quoi que nous fassions, vous ferez comme bon vous semblera et comme vous l’aurez décidé ? Un bien maigre pouvoir, en vérité…
Pourtant, il existe plusieurs formes de cumul.
Quand on exerce une fonction exécutive, on existe, on peut agir ; en somme, on peut véritablement décider. Votre texte, monsieur le ministre, se focalise sur la fonction de parlementaire, comme si ce dernier ne pouvait être titulaire d’un mandat exécutif local ! Certains de mes collègues l’ont dit, les deux sont pourtant complémentaires.
En revanche, personne ne semble choqué de voir regroupés plusieurs mandats exécutifs locaux dans une même main ! Car cette loi, si elle est adoptée, n’empêchera pas d’être tout à la fois président d’une communauté urbaine de 500 000 habitants, maire, président d’un CHU, président de l’EPCI chargé d’un SCOT, et j’en passe. J’ai d’ailleurs connu un élu d’une ville proche de la mienne, en Loire-Atlantique, qui exerçait tous ces mandats, et qui, faute de savoir déléguer, concentrait tous ces pouvoirs entre ses mains… (Exclamations ironiques sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Pourtant, celui qui doit renoncer à tout, c’est visiblement le parlementaire.
Je trouve cette démarche extrêmement injuste, et tout à fait incomplète. Encore une fois, il aurait été souhaitable de faire porter cette réforme sur tout l’éventail des cumuls possibles. En ne s’intéressant qu’à la fonction de parlementaire, le présent texte s’éloigne de l’objectif : permettre aux élus d’exercer leur mission de manière efficace. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Monsieur le ministre, vous êtes tout de même parfaitement contradictoire ! Vous nous expliquez que nous devons être des parlementaires à temps plein, et que nous devons, par conséquent, renoncer à la dispersion des talents au service d’exécutifs municipaux, départementaux et régionaux. Mais, lorsque nous sommes sollicités comme parlementaires, vous nous répondez que cela n’a aucune importance, que le Gouvernement ne tiendra compte que du seul vote de l’Assemblée nationale, se moquant parfaitement de ce que nous pensons.
Vous ne nous incitez pas à nous concentrer sur notre action de législateur, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 46, 58 et 63.
J’ai été saisi de trois demandes de scrutin public émanant, la première, du groupe UMP, la deuxième, du groupe du RDSE, la troisième, du groupe de l’UDI-UC.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 343 :
Nombre de votants | 302 |
Nombre de suffrages exprimés | 294 |
Pour l’adoption | 211 |
Contre | 83 |
Le Sénat a adopté. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)
L'amendement n° 21 rectifié bis, présenté par MM. Doligé, Buffet, Cardoux, Fleming et Beaumont, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le montant maximum des indemnités cumulées que peut percevoir un élu de la République française ne peut être supérieur au montant de l’indemnité attachée à un mandat parlementaire. »
La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Puisse cet amendement rencontrer le même succès que les trois amendements identiques précédents ; continuons sur la même lancée ! (Sourires.) Il devrait d’ailleurs même recueillir un soutien plus large encore, à en juger par les interventions de nos collègues tout à l’heure.
Le dispositif que je vous propose est relativement simple. Vous le savez – cela a été répété au cours du débat –, le cumul entre l’indemnité parlementaire et d’éventuelles indemnités liées à d’autres mandats électifs est aujourd'hui plafonné à une fois et demie le montant de l’indemnité parlementaire ; je ne sais pas quel sera le prochain plafond, mais la règle est actuellement celle que je viens de vous indiquer.
Or nous avons tous constaté que les élus qui ne sont pas parlementaires ne sont pas soumis, ou ne se soumettent pas, à la même règle. Un certain nombre d’entre eux perçoivent ainsi des rémunérations allant parfois jusqu’à deux fois ou deux fois et demie l’indemnité parlementaire.
Mon objectif est clair. Je souhaite mettre tout le monde au même niveau, quelle que soit la situation en termes de cumul des mandats. En effet, il sera toujours possible de cumuler des mandats locaux, y compris dans des fonctions exécutives. Je propose de fixer le plafond à une fois et demie l’indemnité parlementaire, toutes indemnités confondues, ou, plutôt, de nous caler sur le plafond qui sera retenu à l’avenir. Si en effet le présent projet de loi organique est adopté dans le sens souhaité par M. le ministre, les parlementaires n’auront plus que l’indemnité parlementaire ; il faudra alors soumettre les rémunérations de tous les élus de France et de Navarre à un plafond correspondant au montant de cette indemnité.
C’est, me semble-t-il, d’une logique implacable. Nous aurions dû prendre une telle mesure depuis longtemps. Il serait bienvenu de le faire sous l’égide d’un gouvernement de gauche… (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
Je pense que mon amendement a de grandes chances d’être largement adopté.
M. Christian Cambon. C’est l’amendement Martine Aubry !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Simon Sutour, rapporteur. Notre collègue me paraît un peu trop optimiste…
Son amendement vise à fixer le plafond du montant des indemnités cumulées, tous mandats électifs confondus, en fonction de l’indemnité parlementaire.
Cependant, la rédaction proposée est largement lacunaire. L’indemnité parlementaire qui servirait de référence n’est pas précisée.
M. Henri de Raincourt. Mais si !
M. Simon Sutour, rapporteur. S’agit-il de l’indemnité parlementaire de base ? Ou bien de celle qui comprend les primes accessoires ?
Et quels sont les mandats locaux ou nationaux soumis à un tel plafonnement ? La notion d’« élu de la République française » n’est pas suffisamment explicite.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Toutefois, tout n’est pas perdu. Nous examinerons ultérieurement des amendements ayant le même objet, mais mieux rédigés, sur lesquels la commission a émis des avis favorables. Nous irons donc dans le sens souhaité par notre collègue.
M. Daniel Raoul. L’amendement est retiré !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre. Le Gouvernement partageait l’avis de la commission, mais j’ai entendu que l’amendement était retiré.
M. Éric Doligé. Mais non ! Pas du tout !
M. Bruno Sido. Vous allez vite…
M. Manuel Valls, ministre. Je disposais sans doute d’informations que seul le ministre de l’intérieur peut avoir ! (Rires.)
M. Rémy Pointereau. Les écoutes ?
M. Manuel Valls, ministre. Nous n’avons pas recours à de telles pratiques, nous ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Mitterrand ! Mitterrand ! Mitterrand !
M. Manuel Valls, ministre. Je vous sens en verve, monsieur le sénateur. Il est vrai que le président François Mitterrand a siégé au sein de la Haute Assemblée après sa défaite aux élections législatives de 1958. Il était membre du groupe de M. Jacques Mézard, qui était déjà là. (Sourires.)
Quoi qu’il en soit, le Gouvernement considère que cet amendement est un cavalier législatif et qu’il devrait à ce titre être rejeté.
Certes, et M. le rapporteur l’a souligné, une réflexion sur le statut de l’élu est nécessaire. Elle a déjà été engagée au Sénat et a vocation à se poursuivre à l’Assemblée nationale.
En attendant, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. J’aimerais tout de même obtenir davantage d’explications de la part de M. le rapporteur, qui m’a indiqué vouloir voter des amendements similaires au mien, tout en invoquant une prétendue « mauvaise rédaction » pour justifier son avis défavorable sur ma proposition…
On ignore, paraît-il, quel est le montant de l’indemnité dont je parle. L’argument est un peu facile. Que je sache, quand l’expression « une fois et demie l’indemnité parlementaire » figure dans tous les textes, tout le monde comprend parfaitement de quoi il s’agit ! (M. Bruno Sido acquiesce.) Cela me semble relativement clair.
J’ai le sentiment que vous ne voulez en réalité pas avancer dans cette voie.
Monsieur le rapporteur, vous m’avez indiqué que nous serions saisis d’un amendement – encore faut-il que l’on nous laisse l’autorisation de le voter… – tendant à aligner le montant maximum des indemnités cumulées d’un élu, quel que soit le nombre de ses mandats et de ses fonctions, sur l’indemnité parlementaire, en brut ou en net.
J’aimerais que vous m’apportiez des précisions à cet égard. Si je suis rassuré, je retirerai peut-être mon amendement, auquel cas M. le ministre aura effectivement pu connaître par anticipation ma pensée. (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Simon Sutour, rapporteur. Mon cher collègue, je ne souhaitais pas être désobligeant à votre égard ; je n’ai fait que rapporter ce que la commission a décidé à une large majorité. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
Nous serons saisis de trois amendements, sur lesquels la commission a émis des avis favorables, indiquant que c’est l’indemnité parlementaire…
M. Bruno Sido. Laquelle ? (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Simon Sutour, rapporteur. … qui servira de base. (Nouvelles exclamations ironiques sur les mêmes travées.) Je vous ai répondu, mes chers collègues : il s’agit de l’indemnité parlementaire de base.
M. le président. Monsieur Doligé, l'amendement n° 21 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Éric Doligé. Non, je vais le retirer, monsieur le président ; l’explication de M. le rapporteur est d’une telle clarté ! (Sourires sur les travées de l'UMP.) Là, on voit très bien quel est le montant de l’indemnité parlementaire en question. (Mêmes mouvements.)
Toutefois, si les engagements pris ne sont pas tenus, je reviendrai à la charge, sous une forme ou une autre.
J’aimerais en outre que M. le ministre m’indique s’il sait déjà ce que je ferai pour mes prochains amendements. (Sourires.)
Je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° 21 rectifié bis est retiré.
Je vais mettre aux voix l’article 1er, modifié.
La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, je sollicite une courte suspension de séance.
M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à cette demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à zéro heure vingt-cinq, est reprise à zéro heure quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 344 :
Nombre de votants | 305 |
Nombre de suffrages exprimés | 296 |
Pour l’adoption | 214 |
Contre | 82 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du RDSE.)
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
14
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 19 septembre 2013 :
À neuf heures quarante-cinq :
1. Suite du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (n° 734, 2012-2013) et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (n° 733, 2012-2013) ;
Rapport de M. Simon Sutour, fait au nom de la commission des lois (n° 832, 2012-2013) ;
Résultats des travaux de la commission (nos 834 et 833, 2012-2013).
À quinze heures :
2. Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze et le soir :
3. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à modifier certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge ;
Rapport de M. Jacky Le Menn, rapporteur pour le Sénat (n° 844, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n° 845, 2012-2013).
4. Suite de l’ordre du jour du matin.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 19 septembre 2013, à zéro heure quarante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART