M. Alain Bertrand. Comme pour les truites !
M. Joël Labbé. La production d’huîtres triploïdes ne cesse de croître. Ces dernières représentent désormais 30 % à 40 %, au moins, de la production française, même si le marché est un peu à la baisse depuis les séries de mortalité estivale.
Il ne s’agit surtout pas pour nous de pointer du doigt la profession d’ostréiculteur, ni de dresser les uns contre les autres. Mais la généralisation de cette méthode d’élevage pose un certain nombre de questions, soulevées à la fois par les professionnels ayant choisi de poursuivre la culture de l’huître traditionnelle et par des scientifiques qui estiment que l’on manque de recul sur l’impact de cette culture sur le milieu naturel dès lors qu’elle est entreprise de manière importante.
Nos interrogations sont nombreuses. Qui peut affirmer aujourd’hui qu’il n’y a aucun risque pour l’environnement et la santé ? Les ostréiculteurs ne risquent-ils pas de devenirs trop dépendants des écloseries, à l’image des agriculteurs face aux semenciers ?
Nous pensons donc que la poursuite de la production d’huîtres triploïdes doit faire l’objet d’un débat aussi large que possible, associant la profession ostréicole, la communauté scientifique, les consommateurs, les protecteurs de l’environnement et les pouvoirs publics.
Dans le cadre du présent texte de loi, nous souhaitons simplement demander qu’un étiquetage soit prévu pour différencier l’huître traditionnelle de l’huître triploïde.
Toujours dans le domaine alimentaire, je voudrais aussi évoquer la restauration. Après les débats à l’Assemblée nationale, l’importance du « fait maison » semblant admise, je n’ai pas déposé d’amendement sur le sujet. Mais il semble que la discussion va être relancée dans cette enceinte. Je tiens donc à dire, au nom de mes collègues écologistes, que je défendrai avec force le « fait maison ».
Je conclurai mon propos en évoquant cet enjeu essentiel que constitue la lutte contre l’obsolescence programmée.
L’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, définit celle-ci comme « un stratagème par lequel un bien verrait sa durée normative sciemment réduite dès sa conception, limitant ainsi sa durée d’usage pour des raisons de modèle économique ».
De fait, l’obsolescence programmée est une réalité portant préjudice à la fois à l’environnement et aux consommateurs, et souffrant d’un vide juridique en droit français. Afin de lutter contre cette pratique scandaleuse, nous défendrons un ensemble d’amendements déposés par notre collègue Jean-Vincent Placé.
Monsieur le ministre, nous mesurons toute l’importance de ce projet de loi, qui contient de réelles avancées. Aussi nous comptons bien, au fil des débats, être entendus et suivis sur les enjeux essentiels que je viens d’évoquer. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que ce projet de loi soit bon ou mauvais, qu’il soit efficace ou qu’il ne le soit pas, il doit être considéré pour ce qu’il est, c’est-à-dire un outil au service de la justice commerciale, et non la promesse d’un pouvoir d’achat retrouvé.
J’ai souhaité commencer mon intervention par cette précision, car il m’a semblé, en entendant différents échos médiatiques suscités par ce projet de loi, que le Gouvernement et la majorité faisaient de ce texte la tête de proue de la relance de la consommation en France. Ce projet de loi vient donc répondre à un défi très ambitieux…
Mais ce n’est pas la hausse de 0,5 % de la consommation au second trimestre qui peut permettre au Gouvernement de crier victoire : ce chiffre n’est que le pendant du chiffre du premier trimestre, au cours duquel la consommation reculé de 0,4 %. Quel record !
Ainsi, pour répondre au défi affiché, le texte s’attache à promouvoir les droits des consommateurs face à de nouvelles pratiques commerciales qui détruisent la confiance. Il tend également à rationaliser des secteurs d’activité dans leur ensemble, allant de ce fait bien au-delà du simple respect de ces droits.
Tout cela est fort louable…
Malheureusement, pour répondre à l’appétit médiatique de certains, le Gouvernement et la majorité versent dans l’exagération et parlent d’un projet destiné à relancer la consommation ! Si ce texte doit permettre de créer les conditions d’un retour à une hausse de la consommation, il n’est qu’un outil parmi d’autres et ne peut en aucun cas avoir l’influence directe que pourraient avoir les dispositions fiscales attendues par les ménages et les entreprises françaises.
Toutefois, les membres du groupe UMP et moi-même ne souhaitons pas être injustes. Votre projet de loi, monsieur le ministre, doit également se voir comme la conclusion de travaux entamés par le Sénat lors de la précédente législature, travaux qui ont mobilisé tous les groupes politiques de notre assemblée. Ainsi a-t-on pu s’inspirer, au cours de l’élaboration et de l’examen de ce texte, que vous nous promettez si structurant pour notre économie, de travaux antérieurs tels que la réflexion entreprise, en 2009 et 2010, par Richard Yung et Laurent Béteille sur l’action de groupe ou le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, présenté par Frédéric Lefebvre en 2011 et abandonné avant la fin de la législature précédente.
Pour ces raisons, le groupe UMP accueille le présent projet de loi sans suspicion mal placée. Pour autant, cet accueil ne saurait nous exonérer d’une analyse plus critique.
À cet égard, la nôtre ne pourra que connaîtra des limites puisque le Gouvernement a déposé trente-cinq amendements le samedi 7 septembre, soit trois jours avant le début de la discussion générale et trois jours après la date butoir de dépôt des amendements. Cela montre la faible considération qu’il a pour le travail parlementaire !
Mme Isabelle Debré. C’est triste !
Mme Élisabeth Lamure. Je pense tout d’abord, et je ne suis sans doute pas la seule, que la relance de la consommation en France ainsi que la prévention et la répression de pratiques frauduleuses ne sont pas liées à l’adoption d’une action collective telle que celle qui est proposée dans le projet de loi ni même au recours aux dispositifs existant dans d’autres ordres juridiques.
Les actions collectives sont un outil au service de la justice et, plus particulièrement, du droit des consommateurs, non un levier macroéconomique au service de la relance de la consommation. Ne faisons pas de l’action de groupe ce qu’elle n’est pas !
En fait, si ce n’est pas sans quelque justesse qu’il est assené que la demande en matière de droits est importante et insatisfaite, il convient de préciser que cette demande est notamment due à une certaine ignorance de notre ordre juridique. Il existe en effet la procédure d’action en représentation conjointe, prévue aux articles L 422-1 et suivants du code de la consommation, ainsi que l’action en réparation d’un préjudice collectif, prévue aux articles L 421-1 et suivants du même code.
L’introduction d’une action de groupe dans notre droit doit donc constituer un véritable saut qualitatif par rapport au dispositif d’action en représentation conjointe, qui permet d’ores et déjà à une association de consommateurs d’agir en justice pour assurer la défense des intérêts des consommateurs. Si cette introduction a lieu, elle doit permettre de combler les lacunes de ce dispositif, en particulier remédier au fait que les associations de consommateurs ne peuvent pas utiliser ce type d’action du fait des risques juridiques et financiers qu’il fait peser sur elles. Or ces dernières ont déjà prévenu qu’elles ne seront probablement pas capables de recourir à l’action de groupe que vous proposez, monsieur le ministre, et ce pour les mêmes raisons juridiques et financières.
Une solution pouvait être envisagée pour pallier les limites auxquelles les associations de consommateurs sont confrontées : permettre aux avocats de déclencher ces actions de groupe et de les accompagner jusqu’à la liquidation. Mais, par souci des dérives dites « à l’américaine », vous avez écarté les avocats de ces actions. D’ailleurs, seuls quelques cabinets auraient sans doute eu les moyens financiers et humains d’en assumer le coût.
L’action collective qui est aujourd’hui soumise à notre examen est donc largement insuffisante en ce sens qu’il est difficile de la distinguer de l’action en représentation conjointe.
Plus inquiétante encore est l’introduction d’une procédure d’action de groupe simplifiée. Cette création nous apparaît comme un aveu. Ainsi, l’action de groupe de droit commun sera un long chemin de croix pour les associations, les consommateurs et les entreprises…
Évidemment, il n’est pas question de remettre en cause les deux phases de l’action de groupe : le jugement et la liquidation. Toutefois, vous avez fait le choix que la phase de jugement soit d’abord l’occasion de statuer sur la responsabilité du professionnel, avant que les consommateurs soient identifiés et le préjudice évalué. Or d’autres formules étaient envisageables et avaient été élaborées. Il aurait été possible de concevoir une première phase à l’issue de laquelle l’action aurait été déclarée recevable, avant de procéder à l’identification du groupe de consommateurs et, enfin, au jugement sur le fond.
Cette chronologie était d’ailleurs celle de la proposition de loi visant à instaurer les recours collectifs de consommateurs, déposée par notre collègue député Luc Châtel en avril 2006. Elle rejoint également l’amendement déposé par notre collègue Philippe Marini.
Cette formule, outre le gain de temps qu’elle apporte à toutes les parties, ne nécessite pas, de surcroît, l’introduction d’une procédure d’action de groupe simplifiée puisque l’identification du groupe de consommateurs est réalisée antérieurement au jugement porté sur le fond.
Mais votre choix fut donc tout autre, et c’est pour cette raison que le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée Nationale fut contraint de déposer un amendement en commission afin de contourner la lourdeur du mécanisme de droit commun.
Cependant, l’impréparation qui a présidé à l’élaboration de ce texte ne s’arrête pas là puisque le rapporteur a dû réécrire cette procédure d’action de groupe simplifiée via le dépôt d’un amendement lors de la séance publique.
De plus, la rédaction en l’état de la section 2 bis relative à la procédure d’action de groupe simplifiée n’est pas acceptable. En effet, vous renvoyez les conditions d’application de cette section à un décret en Conseil d’État, alors même que votre texte reste silencieux sur le sujet des droits de la défense. Il s’agit donc d’un cas manifeste d’incompétence négative.
Outre notre refus de voir adopter cette action de groupe simplifiée dans la précipitation, nous regrettons que le Gouvernement n’ait pas attendu la directive européenne relative à l’introduction d’actions en dommages et intérêts par les victimes de pratiques anticoncurrentielles.
Ainsi, si notre groupe politique demeure bienveillant quant à l’introduction de l’action de groupe dans notre droit, nous sommes plus que jamais préoccupés par la forme que cette action de groupe est en train de prendre, car la formule simplifiée que vous proposez risque d’être détournée pour devenir subrepticement la procédure de droit commun.
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
Mme Élisabeth Lamure. Aussi, je crois qu’il aurait été préférable d’attendre un retour d’expérience sur la procédure ordinaire d’action de groupe avant de permettre aux associations de contourner ce dispositif.
Votre action de groupe pose donc un problème de forme, par son timing, et de fond, eu égard à la procédure simplifiée.
Autre exemple de dispositions qui nous paraissent relever du bon sens mais que le Gouvernement vient parasiter : celles qui concernent les assurances. Là encore, vous faites croire que la régulation de ce secteur d’activité pourra libérer nos compatriotes de charges injustifiées. Mais c’est faux : en matière d’assurance, le risque a toujours un coût et c’est in fine à l’assuré qu’il reviendra d’assumer celui-ci.
Ainsi, la possibilité de résiliation infra-annuelle des contrats d’assurance n’est pas une mesure dépourvue de tout risque. Elle est certes inspirée par une préoccupation éthique recevable, mais la possibilité ouverte au consommateur de résilier son contrat en permanence va perturber le modèle économique de ce secteur d’activité, car elle a toutes chances d’engendrer des tensions sur les primes du fait des incertitudes sur les provisions que devront constituer les assureurs. En dernier ressort, cette incertitude pèsera financièrement sur les assurés, car elle ne manquera pas de se traduire par une augmentation des primes d’assurance : là, le risque est certain.
En ce qui concerne l’extension de cette possibilité aux contrats d’assurance affinitaires, introduite par voie d’amendement à l’Assemblée nationale, le risque est moins élevé puisque les sinistres sont moins graves, moins coûteux, et ne nécessitent donc pas de réserves importantes, contrairement aux contrats d’assurance habitation ou automobile.
Au-delà des conséquences incertaines de votre projet de loi, je suis au regret de vous dire que vous manquez votre cible. La demande des consommateurs ne portait pas sur la résiliation des contrats d’assurance, mais sur le renversement de la charge de la preuve au profit de l’assuré dans les cas de modification du risque.
J’en viens à ce qui est désormais l’un des principaux chantiers de votre réforme et aussi l’une de nos principales réserves à l’endroit de ce projet de loi : la création du « fichier positif ».
Notre premier grief tient à la méthode : ces dispositions ont été introduites par la voie d’un amendement gouvernemental, de sorte que les conditions d’un examen approfondi n’ont pas été respectées.
Ensuite, l’efficacité d’un tel fichier n’est pas établie. Comme cela a été souligné lors des débats à l’Assemblée nationale puis, ici, en commission, les exemples étrangers montrent qu’il n’y a pas de lien entre diminution du surendettement et existence d’un fichier positif. Ce lien de causalité incertain a été évoqué par notre collègue Nicole Bonnefoy, rapporteur pour avis de la commission des lois, qui a reconnu que « l’efficacité d’un tel instrument en matière de prévention du surendettement demeure controversée » et que « l’exemple belge, depuis dix ans, ne lève pas tous les doutes ».
En outre, ce type de fichier pose de véritables questions en matière d’atteinte au respect de la vie privée, impératif constitutionnel auquel il ne peut être dérogé qu’à la condition qu’un autre impératif constitutionnel soit en jeu, comme le précise la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Aussi, pour éviter la censure, les crédits immobiliers et les autorisations de crédit non utilisées ont été écartés du registre pour que le nombre de personnes enregistrées, qui serait de l’ordre de 24 millions à 25 millions, ne soit plus que de 10 millions à 12 millions. Cette décision illustre bien les incertitudes du Gouvernement, qui hésite toujours entre protection de la vie privée et prévention du surendettement, alors que ces deux objectifs ne sont pas intrinsèquement incompatibles : il suffisait que les dispositions du projet de loi identifient des critères d’enregistrement au fichier plus sélectifs.
Le fichier positif que vous proposez sera trop restrictif parce qu’il ne prendra pas en compte les crédits immobiliers, qui sont pourtant les plus importants en termes de nombre de clients et de volume. Mais il sera aussi beaucoup trop large, car il s’adressera potentiellement à 12 millions de Français alors que le surendettement ne concerne que 200 000 personnes dans notre pays. (M. Alain Néri le conteste.)
Mme Élisabeth Lamure. Autre problème que pose le fichier positif : l’identification. En effet, les dossiers personnels ne seront pas accompagnés de numéros uniques.
Enfin, le fichier positif risque d’être détourné de sa finalité par certains professionnels qui y verront un moyen de prospection supplémentaire.
En résumé, le fichier positif tel qu’il a été élaboré par le Gouvernement reste à la merci de l’appréciation du juge constitutionnel, sans fournir de véritables garanties de réussite en matière de lutte contre le surendettement. Nous sommes donc bien loin de l’époque où François Hollande fustigeait la stigmatisation que suscite ce type de fichier et où il affirmait que « cela ne peut se faire que dans des conditions très particulières, protectrices de l’individu », conditions qui ne semblent pas réunies aujourd’hui... (M. Alain Néri s’exclame.)
Malgré ces différents griefs, il nous apparaît que le présent projet de loi comporte un certain nombre de dispositions susceptibles de garantir une protection accrue du consommateur, grâce, notamment, au renforcement des pouvoirs de la DGCCRF. J’ajoute que le resserrement de la coopération entre celle-ci et la Commission nationale de l’informatique et des libertés, dans le but de garantir la protection des données personnelles des consommateurs, est une mesure qui relevait de l’urgence.
Il en va de même du renforcement des pouvoirs de la DGCCRF dans le domaine du commerce électronique : lui est reconnu le droit de saisir le juge, aux fins de le voir ordonner toute mesure propre à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage. Cette mesure nous semble également de nature à sortir l’administration de l’impasse dans laquelle elle se trouve parfois.
En revanche, notre groupe politique reste très circonspect quant à la possibilité donnée à l’autorité administrative chargée de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de prononcer des sanctions administratives en cas de non-respect des injonctions qu’elle formule. En l’espèce, les droits de la défense ne nous semblent pas complètement assurés. Il convient d’évoquer sur ce point l’article 25 du projet de loi, qui permet aux agents de la DGCCRF de demander à une juridiction de déclarer une clause « réputée non écrite ». Cette possibilité induit une rétroactivité potentielle.
Pour les mêmes raisons, nous serons vigilants lors de l’examen de l’article 28, qui permet aux associations de consommateurs de demander à une juridiction de déclarer une clause « réputée non écrite ».
Quant à l’habilitation donnée aux agents de la DGCCRF de rechercher et constater les infractions et manquements aux dispositions du code des assurances, du code de la mutualité et du code de la sécurité sociale encadrant la commercialisation à distance de services financiers, elle relève de l’évidence. Il en va de même de la possibilité qui est donnée à ces agents d’enjoindre à un vendeur à distance dans l’incapacité manifeste de faire face à ses obligations de livraison de ne plus prendre de paiement à la commande pendant une période déterminée.
Dans un esprit identique, nous sommes favorables à la possibilité donnée aux agents de la DGCCRF d’utiliser un nom d’emprunt pour le contrôle de la vente de biens ou de la fourniture de services sur internet : il s’agit en effet de répondre à l’explosion de ces nouveaux modèles économiques.
Nous souscrivons en outre à la possibilité nouvelle offerte à ces agents de ne pas décliner immédiatement leur identité lors des contrôles qu’ils effectuent, afin d’en augmenter l’efficacité, ce que chacun comprendra aisément. Cependant, cette possibilité doit être davantage encadrée.
Enfin, nous accueillons favorablement l’augmentation des contrôles exercés par ces agents à l’importation de certaines denrées alimentaires et matériaux présentant des risques particuliers pour la santé du consommateur. Notre groupe est également favorable aux dispositions simplifiant la procédure de prélèvement d’échantillons.
Par souci de transparence, je tiens à rappeler que bon nombre de ces dispositions s’inspirent du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, présenté par Frédéric Lefebvre en 2011.
Ces différentes mesures relatives au renforcement des pouvoirs de la DGCCRF, je crois essentiel de le souligner, n’ont pas pour unique vocation de défendre le droit des consommateurs : elles ont aussi pour finalité de réguler des activités économiques, souvent en pleine mutation, dont l’absence de contrôle pénalise aussi bien le consommateur que le producteur français.
Alors, même si ces mesures ne suffiront pas à enrayer la chute de la consommation, elles constituent sans nul doute une première pierre indispensable.
Enfin, on peut regretter que ce texte ait été utilisé par le Gouvernement comme voiture balai ou comme véhicule législatif de substitution : bon nombre de dispositions auraient pu faire l’objet d’un projet de loi à elles seules ou être rattachées à d’autres projets de loi. Je pense ici à la cigarette électronique que vous souhaitez interdire à la vente pour les moins de dix-huit ans, à la restauration et à l’appellation « fait maison », qui doit permettre de distinguer la cuisine industrielle de la cuisine authentique – à cet égard, la rédaction de l’article 4 bis A ne me semble pas encore achevée –, au commerce de l’or, et notamment aux contrats de rachat d’or – à la suite, là encore, d’un amendement adopté à l’Assemblée nationale sur l’initiative du rapporteur –, ainsi qu’à l’extension des indications géographiques protégées aux produits manufacturés.
Toutes ces mesures, sur lesquelles je n’émets que quelques réserves d’ordre rédactionnel, me semblent justifiées. Cependant, il est dommage que certaines d’entre elles n’aient pas été intégrées dans de plus vastes débats : c’est notamment le cas des indications géographiques protégées, qui posent la question de la multiplication des labels, pourtant nécessaires afin de garantir la valeur ajoutée de nos produits, ou encore à la cigarette électronique, sujet qui devra être pleinement pris en compte lors de nos discussions à venir concernant la santé publique.
Pour résumer la position de notre formation politique vis-à-vis de ce texte relatif à la consommation, et sans faire de mauvais jeu de mots, je dirai qu’on y trouve, selon nous, « à boire et à manger » ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
En effet, je l’ai indiqué, nombre de ces dispositions s’inscrivent dans la continuité des travaux déjà réalisés par le Sénat alors que d’autres dispositions, que nous approuvons dans le principe, ont été altérées au cours de leur élaboration, le Gouvernement ayant accepté des amendements qui défigurent complètement le projet de loi initial ; je songe, bien sûr, à l’action de groupe et à sa version simplifiée.
Cependant, nombre des réserves que j’expose aujourd’hui pourront être levées si les amendements que mon groupe défendra sont adoptés.
En revanche – et c’est là un regret qu’aucun amendement ne viendra corriger –, ce projet de loi témoigne d’un profond manque de confiance, de la part du Gouvernement, à l’endroit du monde de l’entreprise.
Qu’on soit attentif à la consommation relève du bon sens. Cependant, il faut garder en tête l’idée que la bonne santé de la consommation, dans un monde où la division internationale du travail est poussée à son maximum, n’est pas une condition suffisante du retour à la croissance. Vous n’ignorez pas, en effet, que bon nombre des produits et services dont il est question dans le présent texte sont fabriqués à l’étranger. Par conséquent, il n’est pas compréhensible que vous soyez si insensibles à la question de la relance de l’investissement, qui semble pourtant au moins aussi importante que celle de la relance de la consommation. Or la création des conditions du redressement de l’investissement ne peut être entreprise si vous restez éternellement tributaires d’une méfiance à l’égard du monde de l’entreprise.
Malheureusement, comme souvent, la peur vient de l’ignorance !
Dès lors qu’on passe plus de temps à parler du monde de l’entreprise de manière abstraite, comme s’il s’agissait d’un corps étranger à notre société, qu’à essayer de le connaître, il n’est pas étonnant que la complexité de celui-ci apparaisse insurmontable et que l’ignorance devienne ainsi suspicion.
Pour conclure, je dirai que notre groupe politique reste très réservé sur ce projet de loi et notre position finale sera grandement déterminée par le sort que le Gouvernement et la majorité réserveront à nos amendements. Ces amendements, je le crois, peuvent lever bon nombre de nos griefs légitimes, qu’il s’agisse de l’action de groupe ou des nouvelles mesures coercitives à l’encontre des entreprises que vous n’avez pas pu vous empêcher d’insérer dans le présent texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, consommer, c’est pouvoir consommer et savoir consommer.
Le projet de loi que nous examinons, en ce jour de mobilisation contre la réforme des retraites, ne prend pas la mesure de ces deux composantes essentielles de la politique de consommation.
Or le pouvoir d’achat ne cesse de reculer, obligeant les titulaires des revenus les plus modestes à renoncer à des droits essentiels tels que le droit à l’énergie, le droit à la santé, le droit à la culture. L’augmentation de la précarité, de la pauvreté, dans lesquelles on abandonne les individus au nom de l’austérité, ébranle les fondements de notre pacte social.
Limiter la consommation à la mise en œuvre d’une réglementation en éludant la question du « pouvoir consommer », c’est oublier une grande part des problèmes que rencontrent nos concitoyens dans leur vie courante.
Consommer, c’est aussi savoir. Affronter la vie quotidienne n’est pas au programme de nos écoles. Introduite en commission des affaires économiques, la séance annuelle d’information sur les droits des consommateurs dans les collèges et lycées est utile, mais insuffisante. Il serait nécessaire de mettre en place une véritable formation transdisciplinaire, dès le plus jeune âge, pour apprendre aux futurs adultes à consommer mieux et différemment, à acheter sans tomber dans les pièges de la consommation de masse.
Il convient de leur montrer comment ils sont conditionnés à travers la publicité, de leur indiquer quel produit acheter en fonction de la place dans les rayonnages.
Enfin, il faudrait leur expliquer tout simplement comment gérer un budget. À ce sujet, le rapport du Sénat du 22 janvier 2013 relatif au répertoire national des crédits faisait le constat récurrent de « la méconnaissance des plus simples règles de tenue et de gestion du budget familial, en particulier chez les personnes connaissant de grandes difficultés financières ». Il préconisait, à juste titre, l’introduction d’un module d’éducation budgétaire. Sans cette éducation, un consommateur sera-t-il en mesure de se prévaloir de ses nouveaux droits face aux professionnels ?
Je rappelle que nous avions voté à l’unanimité dans cette assemblée, lors de l’examen de la loi de modernisation de l’agriculture, un titre Ier définissant et mettant en œuvre une politique publique de l’alimentation. Il était prévu, par exemple, que le programme national pour l’alimentation définirait les actions à mettre en œuvre pour «l’éducation et l’information notamment en matière d’équilibre et de diversité alimentaires, de règles d’hygiène, de connaissance des produits, de leur saisonnalité et de l’origine des matières premières agricoles, ainsi que des modes de production, de l’impact des activités agricoles sur l’environnement ».
Il devient urgent de concrétiser ces propositions qui sont présentées depuis longtemps. Il est tout aussi urgent que le ministre de l’éducation fasse, lui aussi, des propositions.
Dans ce projet de loi relatif à la consommation, le choix a été fait de limiter la politique de consommation à sa dimension technique et réglementaire par la transposition ou la recodification de mesures protectrices pour un consommateur que l’on présume formé et aisé.
Nous approuvons et saluons ces dispositions protectrices renforçant l’information précontractuelle, encadrant le démarchage et la vente à distance, le paiement, la livraison, ou portant sur la durée de la garantie commerciale, de même que les articles transposant les dispositions communautaires sur les pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs.
Nous vous présenterons néanmoins des amendements afin de renforcer ces nouveaux droits accordés aux masses consuméristes.
L’action de groupe constitue également une mesure positive du texte. Nous regrettons toutefois que cette procédure soit limitée aux préjudices subis à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ou lorsque ces préjudices résultent de pratiques anticoncurrentielles. Elle devrait, selon nous, être étendue au-delà de la réparation des préjudices matériels résultant d’une atteinte au patrimoine des consommateurs.
Le texte du projet est même en retrait par rapport à la recommandation de la Commission européenne de juin dernier, qui préconise l’instauration de telles procédures dans les domaines « tels que la protection des consommateurs, la concurrence, la protection de l’environnement et les services financiers ».
Nous présenterons des amendements pour élargir l’action de groupe, comme nous le faisons depuis plusieurs années sous forme de proposition de loi.
Il est important de ne pas faire jouer à l’action de groupe le rôle de police économique. Elle ne saurait pallier le retrait des contrôles étatiques. C’est pourquoi nous militons pour un renforcement parallèle des moyens de police économique, celle-ci étant seule capable d’éviter, en amont, que le consommateur ne soit lésé.
En effet, au-delà du défaut majeur de ce projet de loi, qui laisse de côté la question des revenus et celle de la régulation des prix, il pose des règles, certes positives, mais dont on sait qu’elles seront difficilement appliquées et contrôlées.
Ma collègue Evelyne Didier avait dénoncé, dans un avis sur la mission budgétaire « Économie », le manque flagrant de moyens humains et financiers qui entrave gravement les missions de la DGCCRF. La même observation vaut pour les moyens alloués aux contrôles sanitaires ou à la justice.
Toutes ces réserves hypothèquent largement la traduction de ces nouveaux droits dans la vie des gens.
Ensuite, se pose le problème redoutable de la consommation absurde et de la dette à vie, devenue un véritable boulet pour les travailleurs. Le philosophe André Tosel le dit fort bien : « Aujourd’hui la véritable carte d’identité est la carte de crédit. "Tu n’existes que parce que tu t’endettes et pour autant que l’on te permet de t’endetter" ! ».
La consommation de masse détruit le bien commun, dégrade la vie quotidienne de chacun et produit des sentiments d’exclusion.
Si nous approuvons les mesures proposées pour encadrer le crédit à la consommation et la plupart de celles visant à lutter contre le surendettement, nous pensons qu’il faut aller beaucoup plus loin.
Dans le cadre du rapport de 2013 sur le « fichier positif », notre collègue Nicole Bonnefoy avait relayé les arguments des associations de consommateurs, soulignant que « le problème de fond du surendettement réside dans le développement de la société d’hyperconsommation, qui incite à consommer toujours plus et qui, pour cela, a besoin de développer et de faciliter le crédit ».
Faciliter le crédit, c’est d’ailleurs la voie que vous défendez, monsieur le ministre ! (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Nous proposons, quant à nous, d’interdire le crédit dit « revolving », les cartes confuses. Nous demandons aussi de revoir le calcul du taux d’usure.
« C’est d’une augmentation des salaires plutôt que d’un développement du crédit que notre société a besoin » : telle était la conclusion à laquelle vous arriviez, madame la rapporteur pour avis, et nous y souscrivons entièrement.
Nous reviendrons sur le fichier positif, l’une des mesures phares du texte, mais une mesure que nous désapprouvons totalement. En une semaine, vous allez à la fois supprimer le fichier de 144 000 créateurs d’entreprises ayant fait faillite et créer un nouveau fichier pour 25 millions de consommateurs ! C’est aussi choquant qu’incohérent !
Nous pensons que ce fichage, au-delà des atteintes aux libertés publiques, ne sera pas de nature à prévenir les situations de surendettement. Pour cela, il faut être au plus près des gens. C’est ce que nous faisons, avec des moyens en diminution, dans nos départements, dans nos communes, par le biais des centres communaux d’action sociale.
Si vous voulez lutter contre le surendettement, mettez un terme à la fermeture des bureaux d’accueil et d’information du service surendettement de la Banque de France ! Renforcez l’accès aux services publics sur l’ensemble du territoire ! On doit soustraire l’énergie, l’eau et la santé des logiques marchandes ! Cela implique de conduire d’autres politiques que celles qui sont menées depuis des années, des politiques dirigées non pas seulement vers le consommateur, mais avant tout vers le citoyen usager.
Enfin, depuis le début de l’examen du projet de loi, on ne cesse de nous rappeler qu’il doit se limiter aux relations entre consommateurs et professionnels. Pourtant, certaines dispositions introduisent des mesures interprofessionnelles, dans la continuité de la loi de modernisation de l’économie. Vous semblez ignorer le bilan plus que mitigé de cette loi quant à ses effets prétendus, sauf en matière de délais de paiement – mais, là encore, on peut aller plus loin pour les produits agricoles frais. D’autres mesures s’inscrivent dans le cadre de la loi de modernisation agricole. Toutefois, sur fond de crise récurrente des revenus agricoles, elles se situent à la marge.
Nous devons nous donner les moyens d’une réindustrialisation et d’une relocalisation de l’agroalimentaire afin d’agir en faveur d’une alimentation de qualité, saine et accessible à tous, assise sur des filières de production relocalisées, de construire des coopérations agricoles refondées sur l’intérêt des consommateurs.
La situation des abattoirs montre à quel point nous prenons le chemin inverse. Avec la disparition de nombreux abattoirs, ce sont désormais plusieurs centaines de camions qui quittent chaque jour notre pays pour emmener les porcs bretons se faire découper outre-Rhin. La grande distribution développe la compétitivité de ses propres abattoirs et met la pression sur les prix des produits qu’elle achète.
Le 22 août dernier, une vente solidaire de fruits et légumes a été organisée par le Mouvement de défense des exploitants familiaux, le MODEF, et le parti communiste. Des milliers de Franciliens étaient présents : une cinquantaine de tonnes de fruits et légumes ont été écoulées en quelques heures. Les producteurs nous alertaient, une fois encore, sur leur situation, qui devient intenable. N’est-il pas de notre responsabilité de maintenir un secteur agricole français et d’offrir aux consommateurs des produits de qualité à travers une agriculture de proximité ?
Cette année, les prix moyens des fruits et légumes ont flambé. La grande distribution gonfle ses marges malgré les importations massives. Les producteurs peinent à rémunérer leur travail. La recommandation de consommer cinq fruits et légumes par jour reste vaine pour près d’un Français sur deux.
Si les réformes successives n’arrivent pas à équilibrer les rapports de force dans les relations commerciales, alors, il faut en tenir compte et prendre des mesures plus ambitieuses ! Nous vous proposerons des amendements et nous espérons une présentation rapide du projet de loi d’avenir agricole.
Mes chers collègues, je n’ai pas pu aborder l’ensemble des articles du projet de loi, mais vous aurez compris que les sénateurs du groupe CRC restent très réservés sur certains articles que nous considérons comme essentiels, qu’il s’agisse du fichier positif ou de la suppression des tarifs réglementés du gaz pour certains clients non résidentiels. Cette concession faite à la Commission européenne ne met pas, contrairement à ce qui nous est dit, les consommateurs domestiques à l’abri. Au contraire, elle poursuit la destruction des tarifs réglementés, déjà bien altérés par les modalités de leur fixation.
Nous comptons sur les débats pour améliorer ce texte, notamment en ce qui concerne les mesures financières et nous espérons que l’argument tiré de la « transposition maximale ou de la contrariété au droit européen » n’entravera pas trop souvent les propositions légitimes d’un Parlement souverain. Un texte qui reste donc, pour l’instant, « à consommer avec modération » ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)