M. Vincent Delahaye. Lorsque l’administration reproche à un contribuable d’avoir gravement manqué à ses obligations fiscales, deux actions sont engagées.
La première tend à l’établissement des impositions éludées, et le contentieux correspondant est porté, selon la nature du prélèvement, devant la juridiction administrative ou devant la juridiction judiciaire, celle-ci ne statuant pas dans une formation répressive.
La seconde vise à sanctionner les comportements qui caractériseraient une fraude fiscale. Les poursuites sont engagées devant le tribunal correctionnel.
Ces deux procédures sont indépendantes. Il en résulte notamment que les décisions rendues par les juridictions administratives ne s’imposent pas au juge pénal. Il peut donc arriver qu’un contribuable soit condamné sur le plan pénal alors même qu’il aura obtenu du juge de l’impôt le dégrèvement des impôts litigieux.
Une affaire récente illustre ce cas de figure : l’affaire Smart City. Saisie, la Cour de cassation a jugé que l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence n’encourait pas la critique au motif « que les poursuites pénales engagées sur le fondement de l’article 1741 du code général des impôts et la procédure administrative tendant à fixer l’assiette et l’étendue des impositions fiscales étant, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l’une de l’autre, la décision de la juridiction administrative ne saurait avoir, au pénal, l’autorité de la chose jugée ».
S’il est exact que les poursuites pénales et la procédure administrative diffèrent par leur nature et leur objet, ce constat ne peut suffire à justifier qu’un contribuable soit condamné pénalement pour avoir éludé des impôts dont le juge administratif décide qu’ils n’étaient pas dus.
Le projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, s’il est adopté en l’état, multipliera ces situations puisqu’il fait figurer parmi les circonstances aggravantes les cas d’abus de droit, dont l’appréciation est particulièrement délicate.
Le présent amendement reprend et complète l’amendement que M. Gilles Carrez avait présenté en 2012 et qui avait été rejeté au motif qu’un contribuable peut être dégrevé pour des vices de forme étrangers au débat pénal. Aussi se borne-t-il à encadrer l’indépendance des procédures dans le seul cas où le contribuable obtient un dégrèvement pour des raisons qui tiennent au fond. Il tire les conséquences de la portée pratique de toute décision du juge de l’impôt : il doit notamment en résulter l’extinction des poursuites lorsque la juridiction répressive ne s’est pas encore prononcée ou que la révision d’une condamnation est déjà intervenue.
Par ailleurs, l’amendement prévoit que, lorsque l’affaire est pendante à la fois devant le juge de l’impôt et le juge répressif, et que celui-ci statue en premier lieu et condamne le contribuable, l’exécution du jugement est suspendue tant que le juge de l’impôt ne s’est pas prononcé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. L’avis de la commission ne peut qu’être défavorable précisément parce qu’il y a deux procédures distinctes : d’un côté, la procédure administrative, de l’autre, la procédure pénale.
Vous proposez, mon cher collègue, qu’il y ait une sorte d’autorité de la chose jugée de la procédure administrative sur la procédure pénale.
M. Michel Mercier. Ce n’est pas impossible !
M. Alain Anziani, rapporteur. Tout à l’heure, j’ai parlé d’amendement révolutionnaire. Eh bien, ce serait, là aussi, une grande révolution dans notre droit ! Nous sommes plus conservateurs que cela !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les deux procédures n’ont pas la même nature ni le même objet : la procédure pénale vise à sanctionner la fraude fiscale, alors que la procédure administrative, elle, vise à fixer l’assiette de l’impôt et à déterminer le recouvrement aussi bien de l’impôt dû que des pénalités.
Ces procédures doivent demeurer autonomes. Comme vient de le dire M. le rapporteur, la décision administrative n’a pas la force de la chose jugée ; elle ne peut donc pas s’imposer au tribunal correctionnel, par exemple.
L’avis du Gouvernement est défavorable.
M. Vincent Delahaye. Je retire l’amendement, monsieur le président !
M. le président. L'amendement n° 91 rectifié est retiré.
Article 17 (priorité)
(Non modifié)
I. – À la seconde phrase du premier alinéa de l’article 693 du même code, les références : « 705, 706-1 » sont remplacées par les références : « 704-1, 705 ».
II. – À l’avant-dernier alinéa du I de l’article 706-2 du même code, la référence : « 705 » est remplacée par la référence : « 704-1 ».
III. – Au dernier alinéa du même I, les références : « 705-1 et 705-2 » sont remplacées par les références : « 704-2 et 704-3 ».
IV. – Au dernier alinéa de l’article 706-42 du même code, les références : « 705 et 706-17 » sont remplacées par les références : « 704-1, 705 et 706-17 ».
V. – À l’article 5 de la loi du 17 décembre 1926 portant code disciplinaire et pénal de la marine marchande, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2012-1218 du 2 novembre 2012 portant réforme pénale en matière maritime, les références : « 705-1 et 705-2 » sont remplacées par les références : « 704-2 et 704-3 ».
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 7 est présenté par MM. Hyest, Pillet et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
L'amendement n° 98 rectifié bis est présenté par MM. Mercier, Zocchetto et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC.
L'amendement n° 117 rectifié est présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Collombat, Collin, Fortassin, Baylet et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 7.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est un amendement de conséquence.
M. Michel Mercier. L'amendement n° 98 rectifié bis est défendu !
M. Jacques Mézard. L’amendement n° 117 rectifié également !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. Sagesse.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je conviens que la coordination est nécessaire, mais la cohérence exige que j’émette un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 7, 98 rectifié bis et 117 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 17 est supprimé.
Article 18 (priorité)
(Non modifié)
I. – Les chapitres Ier à III du titre XIII du livre IV du code de procédure pénale sont applicables sur tout le territoire de la République.
II. – Le III de l’article 1er de l’ordonnance n° 2004-823 du 19 août 2004 portant actualisation et adaptation du droit économique et financier applicable à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna est abrogé.
M. le président. L'amendement n° 154, présenté par M. Anziani, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
sur tout le territoire de la République
par les mots :
en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et en Nouvelle-Calédonie
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Anziani, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 18, modifié.
(L'article 18 est adopté.)
Chapitre II
Dispositions modifiant le code de l’organisation judiciaire
Article 19 (priorité)
(Non modifié)
Le titre Ier du livre II du code de l’organisation judiciaire est complété par un chapitre VII ainsi rédigé :
« Chapitre VII
« Dispositions particulières au tribunal de grande instance de Paris
« Art. L. 217-1. – Est placé auprès du tribunal de grande instance de Paris, aux côtés du procureur de la République, un procureur de la République financier, dont les attributions sont fixées par le code de procédure pénale.
« Art. L. 217-2. – Par dérogation aux articles L. 122-2 et L. 212-6, le procureur de la République financier, en personne ou par ses substituts, exerce le ministère public auprès du tribunal de grande instance de Paris pour les affaires relevant de ses attributions.
« Art. L. 217-3. – Par dérogation à l’article L. 122-4, le procureur de la République financier et ses substituts n’exercent les fonctions de ministère public que pour les affaires relevant de leurs attributions.
« Art. L. 217-4. – Les dispositions législatives du code de l’organisation judiciaire faisant mention du procureur de la République ne sont applicables procureur de la République financier que si elles le prévoient expressément. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 8 est présenté par MM. Hyest, Pillet et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
L'amendement n° 99 rectifié bis est présenté par MM. Mercier, Zocchetto et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC.
L'amendement n° 118 rectifié est présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Collombat, Collin, Fortassin, Baylet et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 8.
M. Jean-Jacques Hyest. Il est défendu.
M. Michel Mercier. L’amendement n° 99 rectifié bis également !
M. Jacques Mézard. Ainsi que l’amendement n° 118 rectifié, monsieur le président !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. Sagesse.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8, 99 rectifié bis et 118 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 19 est supprimé, et les amendements identiques n° 102 rectifié bis et 132 rectifié n’ont plus d’objet. Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle les termes de ces derniers :
L'amendement n° 102 rectifié bis, présenté par MM. Mercier, Zocchetto et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants – UC, et l'amendement n° 132 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Collombat, Collin, Fortassin, Baylet et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, étaient tous deux ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
Le titre Ier du livre II du code de l’organisation judiciaire est complété par un chapitre VII ainsi rédigé :
« CHAPITRE VII
« Dispositions particulières au tribunal de grande instance de Paris
« Art. L. 217-1. - Est placé auprès du tribunal de grande instance de Paris, sous l’autorité du procureur de la République, un procureur de la République financier ayant rang de procureur de la République adjoint, dont les attributions sont fixées par le code de procédure pénale. »
Chapitre III
Dispositions transitoires et de coordination
Article 20 (priorité)
(Non modifié)
Les juridictions mentionnées au premier alinéa de l’article 704 du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, demeurent compétentes pour poursuivre l’instruction et le jugement des affaires en cours, sans préjudice de la possibilité d’un dessaisissement au profit des juridictions mentionnées aux articles 704 et 705 du même code, dans leur rédaction résultant de la présente loi, selon les procédures définies aux articles 704-2, 704-3, 705-2 et 705-3 dudit code, dans leur rédaction résultant de la présente loi.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 9 rectifié est présenté par MM. Hyest, Pillet et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
L'amendement n° 100 rectifié bis est présenté par MM. Mercier, Zocchetto et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC.
L'amendement n° 119 rectifié est présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Collombat, Collin, Fortassin, Baylet et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
I. - Remplacer les mots :
aux articles 704 et 705
par les mots :
à l’article 704
II. - Remplacer les références :
704-2, 704-3, 705-2 et 705-3
par les références :
705, 705-1 et 705-2
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 9 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est un amendement de conséquence.
M. Michel Mercier. L’amendement n° 100 rectifié bis est défendu !
M. Jacques Mézard. Tout comme l’amendement n° 119 rectifié, monsieur le président !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. Sagesse.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 9 rectifié, 100 rectifié bis et 119 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 20, modifié.
(L'article 20 est adopté.)
Article 20 bis (priorité)
(Non modifié)
Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° La sous-section 7 de la section 4 du chapitre unique du titre II du livre VI est complétée par un article L. 621-20-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 621-20-3. – Les procès-verbaux ou rapports d’enquête ou toute autre pièce de la procédure pénale ayant un lien direct avec des faits susceptibles d’être soumis à l’appréciation de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers peuvent être communiqués par le procureur de la République financier, le cas échéant après avis du juge d’instruction, d’office ou à leur demande :
« 1° Au secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers, avant l’ouverture d’une procédure de sanction ;
« 2° Ou au rapporteur de la commission des sanctions, après l’ouverture d’une procédure de sanction. » ;
2° L’article L. 621-15-1 est ainsi modifié :
a) À la fin du premier alinéa, les mots : « immédiatement le rapport d’enquête ou de contrôle au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris » sont remplacés par les mots : « dans les meilleurs délais le rapport d’enquête ou de contrôle au procureur de la République financier » ;
b) Au deuxième alinéa, les mots : « près le tribunal de grande instance de Paris » sont remplacés par le mot : « financier » ;
c) Le dernier alinéa est supprimé ;
3°À l’article L. 621-17-13, les mots : « près le tribunal de grande instance de Paris » sont remplacés par le mot : « financier ».
M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 101 rectifié bis est présenté par MM. Mercier, Zocchetto et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC.
L'amendement n° 120 rectifié est présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Collombat, Collin, Fortassin, Baylet et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 3
Remplacer les mots :
procureur de la République financier
par les mots :
procureur de la République de Paris
II. – Alinéa 7
procureur de la République financier
par les mots :
procureur de la République de Paris
III. – Alinéas 8 et 10
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Michel Mercier, pour présenter l’amendement n° 101 rectifié bis.
M. Michel Mercier. Il est défendu, monsieur le président.
M. Nicolas Alfonsi. L’amendement n° 120 rectifié est également défendu, monsieur le président !
M. le président. Les quatre amendements suivants sont présentés par MM. Hyest, Pillet et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
L'amendement n° 10 rectifié est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
procureur de la République financier
par les mots :
procureur de la République de Paris
L'amendement n° 11 rectifié est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer les mots :
procureur de la République financier
par les mots :
procureur de la République de Paris
L'amendement n° 12 rectifié est ainsi libellé :
Alinéa 8
Supprimer cet alinéa.
L'amendement n° 13 rectifié est ainsi libellé :
Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter ces quatre amendements.
M. Jean-Jacques Hyest. Ils sont défendus.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces six amendements ?
M. Alain Anziani, rapporteur. Sagesse.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 101 rectifié bis et 120 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, les amendements nos 10 rectifié, 11 rectifié, 12 rectifié et 13 rectifié n'ont plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 20 bis, modifié.
(L'article 20 bis est adopté.)
Article additionnel après l’article 20 bis (priorité)
M. le président. L'amendement n° 42, présenté par Mme Lienemann, est ainsi libellé :
Après l'article 20 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Est créé à compter du 1er janvier 2014 un pôle interministériel de lutte contre l'opacité financière, constitué de représentants compétents des ministères de l'intérieur, de la justice, de la défense et de l'économie.
Ce pôle est chargé de définir une stratégie d'analyse et de riposte visant à entraver l'opacité financière organisée, à développer une expertise quant à ces pratiques et à assurer une coopération européenne de lutte en la matière.
Un décret en Conseil d'État fixe la composition de ce pôle interministériel de lutte contre l'opacité financière.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cet amendement tend à créer, à compter du 1er janvier 2014, un pôle interministériel de lutte contre l’opacité financière, composé de représentants des ministères de l’intérieur, de la justice, de la défense et de l’économie. Cette instance serait chargée de définir une stratégie d’analyse et de riposte visant à lutter contre l’opacité financière organisée, à développer une expertise quant à ces pratiques et à assurer une coopération européenne de lutte en la matière.
Pourquoi formuler une telle proposition ? Parce que la fraude et l’évasion fiscale demeurent massives du fait d’une opacité financière organisée et de pratiques qui s’adaptent sans cesse aux nouvelles législations européennes ou nationales. Pour lutter efficacement contre ces fléaux, la France doit se doter d’un pôle de lutte spécifique qui allie coopération, renseignement et adaptation régulière aux pratiques de fraude et d’évasion fiscale.
Toutes les grandes banques sont dotées de services appelés « pôles de projets stratégiques ». Or, derrière ces mots, se cache en réalité toute une structure de conseil à l’usage des grands clients, pour leur permettre de contourner les dispositions fiscales et leur donner, avant même que les directives européennes et textes de loi en la matière n’entrent en application, des réponses techniques à cette fin.
Plusieurs des personnes que nous avons auditionnées au sein de la commission d’enquête ont fourni des exemples extrêmement précis de cette rapidité d’adaptation aux réglementations. Il faut donc concevoir des outils de coopération, mettant en œuvre à la fois des moyens informatiques et, quand c’est nécessaire, des moyens juridiques.
En 1995, en Espagne, a été adopté un accord de coopération entre les ministères de la justice, de l’intérieur, de l’économie et des finances, ainsi que l’agence de l’administration fiscale de l’État. Cet accord a donné lieu à la création d’un bureau spécial – fiscalia especial – pour la répression des délits économiques en relation avec la corruption. On a bien compris que les choix français n’étaient pas du même ordre pour ce qui est des compétences judiciaires de cette instance ! Quoi qu'il en soit, cet outil ne se cantonne pas à une stricte fonction juridique et judiciaire : il joue également un rôle de formation, d’organisation et de réflexion sur l’adaptation des méthodes de lutte contre les délits en question en fonction de leur évolution.
Voilà pourquoi la France doit, à mon sens, se doter d’un programme de lutte complet, comprenant ce type de dispositifs. C’est dans cette perspective que je propose la création de ce pôle interministériel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Madame Lienemann, vous proposez la création d’un pôle chargé de définir une stratégie d’analyse et de riposte visant à lutter contre l’opacité financière organisée, à développer l’expertise quant à ces pratiques et à assurer une coopération européenne de lutte en la matière.
Cette mesure pourrait être source de redondances, en raison de la création de l’office prévu par le Gouvernement. Elle risquerait au surplus de rendre le dispositif d’ensemble complexe et peu lisible.
En effet, dans le cadre des orientations fixées par le Gouvernement pour améliorer la transparence de la vie publique et renforcer les moyens de lutter contre la délinquance financière et fiscale, il a été décidé de créer, au sein de la direction centrale de la police judiciaire, d’un office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, ou OCLIFF. Cet office aura pour champ de compétences les infractions relevant du droit pénal des affaires, les infractions fiscales complexes, les atteintes à la probité et aux règles encadrant le financement de la vie politique, sans oublier les infractions connexes à celles entrant dans son domaine d’intervention.
Composé d’environ quatre-vingt-dix fonctionnaires de police, militaires de la gendarmerie et officiers fiscaux judiciaires, cet office comprendra la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale et la brigade nationale de lutte contre la corruption et la criminalité financière. Des offices de liaison de la direction générale des douanes et des droits indirects ainsi que de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes compléteront ces effectifs, de manière à assurer une parfaite coordination des services de l’État.
Dans le même esprit, un officier de liaison de l’OCLIFF sera affecté, au sein de TRACFIN, au traitement du renseignement et de l’action contre les circuits financiers clandestins.
Comme tout office central, l’OCLIFF sera chargé de mener des enquêtes judiciaires dans son domaine de compétence, de recueillir et de centraliser tous renseignements ou informations à des fins opérationnelles ou documentaires. Il assurera également le suivi et l’exploitation de tout dispositif de signalement mis en œuvre dans son champ de compétences et constituant, pour la France, le point de contact central dans les échanges internationaux.
Ce projet suppose notamment l’adoption d’un décret simple créant l’office central et modifiant l’article du code de procédure pénale qui fixe la liste des offices centraux de police judiciaire à compétence nationale. Ce décret recueille actuellement les contreseings des ministres de la justice et de l’économie et des finances.
Madame la sénatrice, sous le bénéfice de ces explications, je vous invite à retirer votre amendement. À défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.
M. le président. Madame Lienemann, l’amendement n° 42 est-il maintenu ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’ai bien entendu les observations de M. le ministre. Notre commission d’enquête, qui a notamment auditionné de nombreux spécialistes bancaires, a généralement admis que des compétences spécialisées étaient nécessaires pour que nous puissions nous adapter rapidement aux évolutions de la fraude fiscale. Je ne doute pas qu’elle formulera des propositions plus opérationnelles, ou à tout le moins plus conformes à la complémentarité des rôles par rapport à l’office central et à la nécessité de spécialiser certaines compétences sur cet axe particulier.
Eu égard à la création d’un nouvel outil, il me semble plus pertinent d’attendre la conclusion des travaux de notre commission d’enquête pour déterminer un modus operandi tenant compte de ce nouveau dispositif. C’est la raison pour laquelle je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 42 est retiré.
Mes chers collègues, reprenant maintenant le cours normal de la discussion des articles, nous en venons à l’examen des dispositions du titre II.
TITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES AUX PROCÉDURES FISCALES ET DOUANIÈRES
Article 10
Après l’article L. 10 du livre des procédures fiscales, il est inséré un article L. 10 bis ainsi rédigé :
« Art. L. 10 bis. – Dans le cadre des procédures prévues au titre II du présent livre, à l’exception de celles mentionnées aux articles L. 16 B et L. 38, ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine, les documents, pièces ou informations que l’administration utilise et qui sont régulièrement portés à sa connaissance dans les conditions prévues aux articles L. 82 C, L. 101, L. 114 et L. 114 A ou, en application des dispositions relatives à l’assistance administrative, par les autorités compétentes des États étrangers. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 32 rectifié, présenté par M. Marc, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 10 bis. – Dans le cadre des procédures prévues au titre II du présent livre, à l’exception de celles mentionnées aux articles L. 16 B et L. 38, ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine, les documents, pièces ou informations que l’administration utilise. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.