compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Boyer,
Mme Michelle Demessine.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire russe
M. le président. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer, en votre nom, la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation de parlementaires du Conseil de la Fédération de Russie, la chambre haute du Parlement russe, conduite par M. Mikhail Margelov, président de la commission des affaires étrangères, président du groupe d’amitié Russie-France et représentant spécial du président Vladimir Poutine pour l’Afrique. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la ministre se lèvent et applaudissent.)
Lors de sa visite d’une semaine en France, cette délégation a assisté au défilé du 14 juillet ; elle vient d’être reçue par le groupe d’amitié France-Russie, présidé par notre collègue Patrice Gélard, et elle doit s’entretenir cet après-midi avec la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat.
Elle doit se rendre demain à Biarritz, puis à Mont-de-Marsan sur la base aérienne et, enfin, dans le Gers et à Toulouse, afin de visiter notamment l’escadrille de chasse Normandie-Niemen et l’usine Airbus.
Nous lui souhaitons de fructueux échanges ainsi qu’un excellent séjour parmi nous. (Applaudissements.)
3
Simplification des relations entre l’administration et les citoyens
Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens (projet n° 664, texte de la commission n° 743, rapport n° 742).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui, au nom du Premier ministre, exprime l’engagement du Gouvernement de moderniser notre action publique. Dans un monde qui change, nous souhaitons mieux répondre aux attentes des citoyens et des usagers, afin de conjuguer l’action publique de l’État aux collectivités locales.
Dans cette perspective, nous vous proposons d’engager trois réformes importantes pour les Français, qui permettront de simplifier et d’améliorer les relations entre les Français et les administrations, toutes les administrations : faciliter la saisine de l’administration par les usagers grâce à l’utilisation du numérique ; codifier les règles qui régissent les relations entre les citoyens et l’administration ; changer en profondeur la relation entre usager-citoyen et administration. Nous vous proposons ainsi d’inverser le principe du « refus tacite » qui prévaut aujourd’hui, au profit d’une généralisation de la règle de « l’accord tacite » de l’administration.
Voilà trois outils qui permettent de répondre mieux et plus vite.
La mise en place d’un droit de saisine des autorités administratives par courrier électronique permettra, d’une part, de sécuriser juridiquement les nombreux échanges numériques qui existent déjà via internet, y compris en dehors des téléprocédures dédiées, et, d’autre part, de donner à ces échanges une valeur de nature comparable au courrier papier.
Nous fixerons évidemment des garde-fous contre les demandes abusives, et le faible nombre de problèmes constatés dans les pays européens ayant déclenché cette évolution nous rassure.
Ce nouveau droit viendra compléter les efforts que réalisent la plupart des administrations, en mettant à la disposition des usagers des téléprocédures qui fonctionnent très bien, à l’instar de celle qui a permis à 13,5 millions de Français de déclarer en ligne leurs revenus cette année, soit 6 % de plus que l’an dernier. Je tiens également à souligner que c’est un levier d’amélioration des conditions de travail des agents, les demandes abusives étant moins délicates à gérer par mail que par téléphone, voire, plus éprouvant encore, au guichet.
Nous proposons d’autoriser, dans certains domaines, la communication des avis donnés par une autorité au cours de l’instruction d’un dossier pour permettre aux usagers d’améliorer leur projet et anticiper une décision défavorable.
Il s’agit, pour le Gouvernement, de renforcer la transparence de l’élaboration de la décision administrative, de limiter les risques contentieux et, surtout, de permettre à chacun, à sa place, de gagner du temps.
Dans son article 2, ce projet de loi prévoit la création, par ordonnance, d’un code relatif aux relations entre les administrations et les usagers.
Nous avons décidé de reprendre à notre compte ce projet de code de l’administration lors du premier comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, qui s’est tenu le 18 décembre 2012, tout en tirant les leçons de la précédente tentative, avec une circulaire datée du 30 mai 1996, qui, à la suite d’une mauvaise définition du projet, avait été abandonnée en janvier 2006.
C’est pourquoi nous proposons un code qui soit lisible pour les usagers, et qui soit centré sur la seule question de sa relation avec les administrations.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la complexité du monde appelle, c’est certain, des procédures pour protéger les citoyens et leurs droits fondamentaux. Elles sont l’apanage d’un État de droit.
Néanmoins, quand elles deviennent illisibles et à ce point complexes, quand elles freinent abusivement l’activité économique et les projets des Français, nous avons le devoir de rationaliser ces règles et de simplifier ces procédures.
Le Président de la République a fait de la simplification des normes et des démarches administratives un combat qui nous engage tous pour la compétitivité de notre pays et le bien-être de nos concitoyens.
Le Gouvernement sollicite votre habilitation pour ces réformes structurelles.
Avec le Premier ministre, nous avons souhaité insérer à l’ensemble de réformes que je vous présente aujourd’hui les autorisations tacites. C’est ainsi que l’amendement n° 3 du Gouvernement vise à lancer la mise en chantier de la mesure annoncée par le Président de la République sur l’effet du silence de l’administration.
Demain, le silence de l’administration sur une demande vaudra, en principe, acceptation.
Cette révolution administrative, une révolution juridique, facilitera les projets de développement publics ou privés et améliorera la réactivité des services administratifs chargés de veiller au respect des procédures légales.
Aujourd’hui, en vertu du principe général, le silence vaut rejet en l’absence de réponse de l’administration dans un délai de deux mois. C’est ce principe que le Gouvernement entend modifier.
Sachez qu’il existe d’ores et déjà plus de 400 procédures dérogatoires soumises à un régime d’approbation tacite, en vertu de l’article 22 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Toutefois, elles demeurent, malgré leur nombre, largement minoritaires dans le quotidien des Français.
Aussi, le Gouvernement propose de faire de la règle qui prévaut déjà pour la plupart des permis de construire, des autorisations de défrichement ou de recours au chômage partiel un principe de droit commun.
Néanmoins, le Gouvernement prendra ses précautions, notamment dans les cas où sont en cause les droits et libertés individuels et où l’application d’une règle différente est imposée par une convention internationale ou par le droit communautaire.
Seront aussi exclues les demandes à caractère financier et les procédures sensibles ou complexes mettant en cause des enjeux de protection de l’ordre public ou présentant des risques d’atteintes graves à la sécurité, à la santé ou à l’environnement.
C’est ainsi que nous proposons la constitution d’un groupe de travail avec les principales associations d’élus et des parlementaires des deux chambres pour identifier les procédures locales concernées.
La Commission consultative d’évaluation des normes, dont la réforme est en cours, sera, elle aussi, mobilisée en ce sens pour apporter aux collectivités toutes les garanties de transparence nécessaires à un tel exercice.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le choc de simplification annoncé par le Président de la République le 28 mars 2013 est au cœur de l’amélioration de la compétitivité hors coût de notre pays, comme l’ensemble de la démarche de modernisation de l’action publique.
Nous avons besoin d’une action publique forte, au service du quotidien et de l’avenir des Français, sur tous les territoires. Elle sera d’autant plus forte et efficace qu’elle sera simple et coordonnée.
La force de notre pays, c’est d’avoir su et de savoir s’adapter. La force de nos services publics, c’est aussi de s’adapter sans cesse. Par cette habilitation générale, nous proposons au pays des réformes structurelles majeures, qui auront des conséquences réelles sur la vie quotidienne des entrepreneurs et de tous les Français.
Telle est l’ambition du Gouvernement. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le projet de loi d’habilitation qui nous est aujourd'hui présenté s’inscrit dans un mouvement législatif qui n’est pas spécifique à la France et qui a débuté il y a un peu plus de quarante ans.
Ce mouvement tend à mettre le service public au service du public, en modifiant radicalement les relations entre les administrations, qu’elles soient nationales ou locales, directes ou déléguées, et les usagers. Il concerne aussi bien les États de droit écrit que ceux de common law, et l’Union européenne comme le Conseil de l’Europe ont accompagné et favorisé ce processus.
En France, l’acte de naissance de ce mouvement est la loi du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur de la République. S’ensuivront la fameuse loi du 17 juillet 1978 relative à l’accès aux documents administratifs, qui a créé la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, puis la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public et, surtout, la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Toutes ces lois vont dans le même sens : simplifier et rendre plus transparentes les procédures administratives.
Cet ensemble de dispositifs présente les traits essentiels suivants : le contrôle par l’usager du service public des décisions prises à son égard, qu’il s’agisse de l’accès aux documents administratifs, de la motivation de ces actes ou de leur opposabilité ; la compréhension de ces actes, qui doivent être à la portée du public le plus large et le moins formé aux subtilités du droit administratif ; la possibilité d’utiliser les procédures les plus modernes et les moins contraignantes pour dialoguer avec les administrations ; l’accès à tous les niveaux et types d’administration.
Ce processus est encore loin d’être arrivé à son terme, car il s’est en permanence heurté à des barrages, au premier rang desquels la routine administrative, et à l’absence de volonté politique constante des gouvernements successifs pour avancer de façon non chaotique dans cette voie.
Les deux outils traditionnels de ce processus législatif et réglementaire sont la codification et les ordonnances. Les nombreuses lois de simplification adoptées au cours de la dernière décennie, qu’elles soient d’initiative gouvernementale ou parlementaire, y ont donc largement eu recours.
Après avoir été relancée dans la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix et s’être quelque peu essoufflée, la codification semble connaître un nouvel élan avec la circulaire du Premier ministre en date du 27 mars 2013.
La codification avance lentement, du fait non pas de la Commission supérieure de codification, qui effectue un travail remarquable et a d’ailleurs rédigé quelques codes qui pourraient être mis en œuvre, mais de l’attitude des gouvernements successifs, lesquels laissent les travaux de la Commission en déshérence, au risque de les voir devenir obsolètes. Adopter les codes une fois ceux-ci élaborés est donc une urgence absolue.
La codification des différentes dispositions d’ordre législatif ou règlementaire relatives aux relations entre les administrations et leurs usagers est l’un des objectifs du projet de loi, qui prévoit notamment l’achèvement du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. En ce qui concerne ce dernier, les travaux de la Commission de codification sont très largement avancés – ils sont quasiment terminés – et n’appellent, pour l’essentiel, qu’une mise à jour rapide concernant la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
En revanche, l’élaboration d’un code des relations entre les administrations et leurs usagers est beaucoup plus complexe, car elle nécessite trois précautions.
Premièrement, il ne faut pas remettre en cause les codes existants comme le code de justice administrative, le code de l’environnement ou le code de l’urbanisme, car ils sont satisfaisants. Il conviendra d’utiliser la procédure des renvois vers ces codes.
Deuxièmement, il faut travailler non pas à droit constant mais en intégrant les objectifs de la loi d’habilitation.
Troisièmement enfin, et ce point est peut-être le plus important, il est nécessaire d’élaborer un code destiné au « public » le plus large, et donc maniable et compréhensible par les non-spécialistes du droit administratif.
Depuis 1999, la codification emprunte en effet de manière privilégiée la voie des ordonnances, son caractère technique le justifiant pleinement. Cependant, le recours aux ordonnances est freiné par l’incapacité chronique des pouvoirs publics, c’est-à-dire des gouvernements successifs, à mettre en œuvre les habilitations législatives. Celles-ci ont très souvent été dépourvues d’effet, faute d’élaboration des ordonnances par les gouvernements habilités : il a fallu réhabiliter les gouvernements suivants, souvent, sans le moindre résultat. De surcroît, les textes élaborés non soumis à ratification peuvent rapidement devenir obsolètes, faute d’un accord préalable sur un délai d’élaboration suffisamment long et sur un champ suffisamment large.
Aujourd’hui, le projet de loi dont nous sommes saisis a un air de famille avec les projets de loi d’habilitation antérieurs, puisqu’il puise en grande partie son contenu dans les lois d’habilitation qui ont successivement été votées par le Sénat et l’Assemblée nationale depuis 2004. Espérons que cette fois sera la bonne !
Quelles sont les grandes orientations de ce texte ?
Ce projet de loi vise à faciliter le dialogue entre les administrations et les citoyens par la généralisation du recours aux nouvelles technologies de l’information et l’adoption d’un code des relations entre l’administration et le public, mais il porte également en germe, Mme le ministre vient de le rappeler, une rénovation du processus de décision de l’administration.
Je dirai d’abord un mot de la simplification des relations entre les administrations et les usagers, ceux que l’on appelle « le public » dans le texte.
La première caractéristique du texte est la création d’un code relatif aux relations entre les administrations et le public. L’idée d’un tel code n’est pas nouvelle, comme l’a dit Mme le ministre. Mais, cette fois, la démarche est différente, car elle est plus pragmatique. En effet, tirant les leçons de l’échec de la précédente tentative d’élaboration d’un code de l’administration, le code envisagé est beaucoup plus modeste, plus orienté vers le citoyen que vers l’administration. Il n’est plus question d’une somme regroupant, en sus des dispositions ayant trait aux procédures administratives non contentieuses, l’ensemble des dispositions relatives à l’organisation de l’administration, y compris les autorités administratives indépendantes. Ceux qui sont intéressés par cette question peuvent se reporter au code administratif Dalloz, dans lequel le travail a déjà été fait. Je tiens à le préciser, il ne s’agit aucunement d’une page de publicité en direction des services de la séance. (Sourires.)
Aujourd’hui, l’objectif est d’élaborer un code plus instrumental, destiné au public, qui ne regroupera que les dispositions relatives aux relations entre l’administration et ses usagers, dont il énoncera les grands principes, tels l’obligation de motivation des décisions individuelles défavorables ou le droit d’accès aux documents administratifs ; ces grands principes pourraient faire l’objet d’un titre préliminaire, comme nous l’a dit M. le rapporteur général de la Commission supérieure de codification. Il contiendrait également les règles générales du régime des actes administratifs unilatéraux. Ce code sera donc généraliste et supplétif, le Gouvernement indiquant dans l’étude d’impact qu’il n’avait pas vocation à attraire dans son champ les dispositions déjà codifiées.
Le défaut d’organe de pilotage étant l’un des facteurs qui expliquaient l’échec des tentatives de codification antérieures, l’élaboration du nouveau code serait confiée au Secrétariat général du Gouvernement, qui aura la tutelle de la Commission supérieure de codification, afin de procéder à des consultations pour recueillir l’avis de tous ceux qui sont concernés, notamment les praticiens.
Le code relatif aux relations entre les administrations et le public ne se ferait pas à droit constant. C’est pourquoi des délais modulables ont été prévus afin de procéder par étape.
La seconde caractéristique du texte est la consécration de la place des nouvelles technologies par l’instauration d’un droit de l’usager à saisir l’administration par la voie électronique.
Ce type de démarche n’est pas nouveau, puisqu’il a été amorcé depuis 2005. Mais, cette fois, le Gouvernement demande une habilitation plus générale pour « adapter les relations entre les administrations et le public aux évolutions technologiques ». Il serait également habilité à « simplifier les démarches du public auprès des administrations et l’instruction de ses demandes ».
Qu’en est-il de la rénovation du processus décisionnel ?
Un nouveau régime des décisions implicites sera instauré. Lorsque le texte initial du Gouvernement était arrivé au Sénat, il n’y figurait pas. Nous avons donc demandé au Gouvernement d’intégrer ces dispositions dans le texte de façon à éviter que la loi d’habilitation ne devienne obsolète au bout de six mois.
Donc, à l’issue d’une micro-navette entre le Gouvernement, le Secrétariat général du Gouvernement et la commission, a été retenu un amendement tendant à insérer un article additionnel dans le projet de loi d’habilitation et intégrant la proposition du Président de la République selon laquelle le silence de l’administration à l’expiration d’un certain délai vaudrait non plus rejet mais autorisation.
M. Hugues Portelli, rapporteur. Cela reviendra à inverser le principe énoncé à l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 : sauf dans les cas où un régime de décision implicite de rejet serait institué, le silence gardé pendant plus de deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaudrait décision d’acceptation.
Mme le ministre l’a rappelé tout à l’heure, il existe bien sûr toute une série de cas dans lesquels ce principe ne pourra s’appliquer. Comme le Conseil constitutionnel l’avait rappelé dans une décision en date du 18 janvier 1995, ne peut être institué « un régime de décision implicite d’acceptation lorsque les engagements internationaux de la France, l’ordre public, la protection des libertés ou la sauvegarde des autres principes de valeur constitutionnelle s’y opposent ». À ces principes, la loi de 2000 a ajouté – l’amendement du Gouvernement reprend cette mesure – que les décisions en matière financière, à l’exclusion du domaine de la sécurité sociale, sont également visées.
Cette inversion du principe emportera évidemment un profond changement de la culture administrative de l’État et des collectivités publiques. Aujourd’hui prévaut la logique du contentieux, qui offre à l’administré la possibilité de saisir le juge en cas d’inertie de l’administration. Demain, le risque de décisions tacites illégales agira comme un aiguillon de l’administration. Il faudra cependant veiller à ce que ne se mettent pas en place des dispositifs de contournement (M. Jean-Jacques Hyest opine.), par exemple par l’instauration de délais rallongés ou de moyens de retarder le déclenchement des délais de naissance des décisions implicites. En outre, il ne faudrait pas que les dérogations au nouveau principe conduisent, par leur nombre, à le vider de toute portée.
M. Jean-Jacques Hyest. Et voilà !
M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission des lois a donné un avis favorable à ce dispositif pour lequel le Gouvernement prévoit un délai d’un an pour sa mise en œuvre au niveau de l’État et un délai de deux ans au niveau des collectivités territoriales, afin de procéder, après concertation, au relevé de tous les cas dans lesquels ce principe devra être mis de côté.
Autre aspect de la rénovation du processus de décision : la possibilité, pour l’usager, d’accéder aux avis préalables et de modifier en conséquence sa demande en cours d’instruction.
En rupture avec la règle traditionnelle de non-communicabilité des documents préparatoires à une décision administrative en cours d’instruction posée par la loi du 17 juillet 1978, l’article 1er habilitera le Gouvernement à prendre les dispositions législatives pour prévoir qu’en principe sont communicables au demandeur les avis rendus sur sa demande avant que la décision ne soit prise.
Cette mesure concernerait tous les avis dès lors qu’ils seraient formalisés et émaneraient d’une autre instance que l’autorité administrative instructrice du dossier. Ne seraient exclus de son champ que les avis dont la communication porterait atteinte « à la protection d’un secret ou aux contraintes inhérentes à l’instruction des dossiers ».
La commission des lois a modifié ce texte de façon que les avis négatifs soient motivés et que l’usager puisse, le cas échéant, s’en prévaloir.
Troisième élément nouveau : le renforcement de la participation du public à l’élaboration des actes administratifs.
Sans reprendre les dispositions relatives aux enquêtes publiques figurant déjà dans le code de l’environnement et le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le code des relations entre l’administration et le public pourrait toutefois poser les règles générales en la matière, tronc commun pour l’ensemble des autres codes que ceux qui sont exclus.
Quatrième élément : l’élargissement de la faculté de recourir aux nouvelles technologies pour délibérer ou rendre des avis à distance.
Le Gouvernement propose d’être habilité à étendre cette faculté à toutes les autorités administratives, y compris les autorités administratives indépendantes, ce qui permettrait évidemment un allégement des formalités. La commission des lois n’y est pas défavorable, à condition que soit préservée la collégialité des délibérations de ces autorités. Sur ce point, le Gouvernement nous a suivis.
Enfin, dernier point, la simplification et l’unification des règles relatives au régime des actes administratifs.
Le Gouvernement prévoit que le nouveau dispositif législatif aurait pour objet de « simplifier et, lorsque cela est possible, d’unifier les règles relatives au régime des actes administratifs ». L’exposé des motifs du projet de loi fait allusion au retrait des actes administratifs, mais après avoir dialogué avec le Gouvernement, nous y avons ajouté l’abrogation, de façon qu’aucun des champs de cette simplification ne soit oublié.
Je souhaiterais maintenant évoquer brièvement la refonte du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Cette refonte, qui est en cours depuis 2004, est quasiment terminée, d’après ce que nous ont dit les personnes que nous avons auditionnées. Nous pourrions donc enfin voir apparaître ce fameux code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Le travail de la commission, je vous l’ai en grande partie énoncé, a surtout porté sur deux points.
Le premier était de clarifier la rédaction du projet de loi, notamment pour expliciter la notion de « public », c’est-à-dire les bénéficiaires du texte.
Le public n’est pas une catégorie juridique très usitée en droit administratif. Nous avons donc essayé de faire sortir au maximum ce terme du libellé, mais sans contrarier le Gouvernement, et voulu l’utiliser le moins souvent possible, en lui préférant des circonlocutions permettant de parvenir au même résultat sans froisser les professeurs de droit public, que je connais bien. (Sourires.)
Le second point concernait les autorités administratives.
Là aussi, nous avons eu un dialogue intéressant avec le Gouvernement, car le projet de loi était souvent très fluctuant : d’un article à l’autre, d’un alinéa à l’autre, ce n’était pas le même mot qui était utilisé – tantôt des organismes, tantôt des autorités ou des administrations.
C’est la raison pour laquelle nous avons engagé à notre tour une démarche de simplification et employé la terminologie utilisée dans la loi du 12 avril 2000. Mais il nous a été expliqué, très récemment, que, en réalité, le Gouvernement faisait allusion non à cette loi, mais à la loi de 1978 sur la Commission d’accès aux documents administratifs et qu’il convenait donc de faire référence aux autorités administratives telles que la CADA les entend. Aussi, dans un esprit constructif, la commission s’est ralliée à ce point de vue.
Enfin, concernant les avis préalables, la commission a souhaité que deux garanties soient apportées : premièrement, les avis défavorables doivent être motivés et, deuxièmement les débats doivent être systématiquement collégiaux, même en cas d’utilisation des nouvelles technologies.
Mes chers collègues, voilà quels ont été, pour l’essentiel, les travaux de la commission. Cette dernière a exprimé, sur ce texte, un point de vue globalement positif. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe socialiste. – Mmes Cécile Cukierman et Hélène Lipietz ainsi que M. Jean-Claude Requier applaudissent également.)
Mme Cécile Cukierman. Attention avec cette expression !
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me place bien entendu dans la droite ligne des propos tenus par M. le rapporteur, avec lequel je suis en complet accord.
Au nom du groupe auquel j’appartiens, je me concentrerai principalement sur la composante de codification, donc le texte d’habilitation que vous nous présentez, madame la ministre.
Cette démarche est en cohérence avec l’objectif de simplification qui a été fixé par le Président de la République, en réponse à une attente très profonde des différents partenaires de la société française. En effet, la perte de lisibilité de nombre de règles inspirant ou encadrant le travail de l’État crée aujourd’hui une situation de tension, voire de méfiance ou d’hostilité à l’égard de la puissance publique.
Hugues Portelli l’a très bien dit, la codification dont nous parlons aujourd’hui se fixe un objectif limité, mais non moins ambitieux. Ceux qui ont eu à se frotter à cet exercice apprécient que la délimitation, la fixation des bordures extérieures constitue un sujet des plus vertigineux. Évidemment, quand on part du cœur des missions de l’État, un tel travail peut conduire très loin. Le choix qui a été opéré, et que M. le rapporteur a parfaitement décrit, est indiscutablement le bon : c’est celui qui est cohérent avec la démarche de simplification.
Par mon témoignage personnel, je souligne simplement que c’est un processus intellectuellement très exigeant. En effet, il force à essayer de reconstituer une cohérence, celle du législateur dans sa continuité, à partir de textes épars, souvent adoptés sous l’empire de circonstances puis modifiés ou ajustés à de multiples reprises. C’est donc une des tâches les plus ardues, au cours desquelles on observe le mieux ce que les familiers de ce domaine nomment « la fabrique de la loi ».
À ce titre, et l’occasion de le faire n’est pas si fréquente dans cet hémicycle, je rends hommage à tous ceux qui constituent le noyau humain de la fabrication de la législation et de la réglementation du pays, autour, bien sûr, du Secrétariat général du Gouvernement. Mais je souligne aussi l’apport extrêmement utile de nombreux services ministériels, qui délèguent souvent un ou plusieurs agents de haute qualité pour concourir à ce travail de préparation.
Madame la ministre, j’en profite pour formuler une remarque que vous pourrez peut-être garder à l’esprit : sur la base des évolutions historiques, notamment celles qu’ont connues les découpages de départements ministériels, on peut dresser un petit guide des niveaux d’aptitude et des potentiels des différents services juridiques des ministères, en leur attribuant des étoiles.