M. Alain Richard. C’est vrai aussi bien pour le Gouvernement autorité réglementaire que pour le législateur : quand on a affaire à un ministère réellement démuni à cet égard, qui ne dispose plus du potentiel humain pour élaborer ses propres textes, la situation se révèle préoccupante.
Je le répète, l’ensemble des agents publics qui participent à la fabrication de la loi font preuve d’un très grand dévouement, et leur travail est extrêmement utile. Leur rôle est d’autant plus constructif qu’ils assument souvent ces tâches en plus d’autres attributions, au sein de la commission de codification.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Alain Richard. J’ai eu l’agrément de participer à cette instance dès sa création, il y a trente-cinq ans – il s’agissait d’une conséquence de la loi de 1978, à laquelle nous tenions particulièrement. Par la suite, j’ai pris part à ses travaux à plusieurs reprises, et je peux dire que la commission de codification est une véritable référence. Je l’ai d’ailleurs observé, chaque fois que j’ai pu en être témoin : le travail de révision opéré par le Conseil d’État en fin de parcours démontre que la codification préalablement accomplie a été parfaitement bien menée. Je n’aurai donc qu’un petit message à adresser à Mme la ministre : face à la pénurie d’effectifs, et compte tenu des efforts de répartition qu’il faut consentir, veillons à préserver les moyens humains de cette fabrique de la loi.
Le présent texte vise naturellement l’unification de notre droit, à partir de composantes qui n’ont pas forcément atteint complètement la cohérence. L’expérience a montré que, lorsque ce travail a été mené, c’est-à-dire lorsqu’on a réussi à recenser l’ensemble des textes visés, se font jour des différences historiques dont plus personne ne retrouve la justification.
Dans le cas des rapports administration-public, des écarts subsistent pour ce qui concerne les procédures d’examen des dossiers et de préparation de décisions qui s’appliquent dans les différents départements ministériels. Le travail de codification permettra d’expliquer ces différences ou, mieux encore, de les surmonter.
Dans la matière très particulière dont nous parlons, à savoir les procédures administratives abordées dans leur lien au public, par l’issue qu’elles apportent à la société dans son ensemble, la jurisprudence administrative joue un rôle essentiel. J’imagine que cette évolution ne se fera pas sans quelques réticences – c’est ce que j’ai encore entendu il y a quelques semaines, au sein de la commission de codification. Malgré tout, il faut dépasser le petit sens particulier de la propriété que peuvent encore éprouver quelques membres du Conseil d’État, pour que cette jurisprudence soit transférée dans des règles de droit positif. C’est ce travail qui a été mené, il y a quinze ans, pour créer le code de justice administrative, et dieu sait si ce document a rendu service !
Au sujet du périmètre et du champ d’application, Hugues Portelli a dit ce qu’il fallait dire. Toutefois, pour parler d’expérience, et en gardant à l’esprit la modestie qu’imposent ces travaux, je ne suis pas certain qu’il soit raisonnable de chercher à conclure de manière formelle au moment de la loi d’habilitation sur ce que sera le champ d’application final. En effet, ce dernier résultera également du travail de codification et de sa logique.
L’application de l’article 38 de la Constitution a déjà connu un net progrès, qui a abouti à un véritable système de validation a posteriori des codifications par ordonnance. Le projet de loi de ratification peut fournir l’occasion de compléter ou d’adapter des éléments du champ d’application qui ont émergé lors du travail de codification.
À cet égard, madame la ministre, – du fait, là aussi, des épisodes auxquels j’ai pu prendre part – je souhaiterais vous faire une suggestion, ainsi qu’aux services qui travaillent sur ce projet. Il me semble utile, notamment lorsqu’on travaille à droit non constant – ce qui est évident souhaitable en la matière –, qu’au moins un rendez-vous intermédiaire soit organisé entre les codificateurs et les commissions.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Alain Richard. Les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat voient de temps à autre arriver une ordonnance comptant bien souvent quelques dizaines voire, plus logiquement, quelques centaines d’articles, et constituant un produit fini. Or, au début du processus, elles n’avaient eu à débattre que d’un projet de loi d’habilitation présentant un caractère abstrait, ne permettant pas forcément d’entrevoir tous les sujets sur lesquels des options allaient être prises. C’est un réflexe que j’ai eu lorsque nous débattions de ce projet précis en commission de codification : je me suis permis de dire à mes collègues de cette instance que, sur ce sujet, mieux valait revenir auprès des deux commissions des lois à mi-parcours, notamment lorsque le plan est adopté et qu’a été défini le corpus global des textes destinés à être incorporés.
Cette procédure permettrait de prévenir toute méfiance, toute vigilance quelque peu négative que le Parlement manifeste nécessairement lorsqu’il voit revenir un texte totalement achevé. Nous, parlementaires, nous posons toujours cette question : le pouvoir réglementaire qui a préparé cette ordonnance a-t-il totalement respecté nos objectifs initiaux ?
J’ajouterai un mot sur la notion de « public ». Certes, ce terme est tout à fait inhabituel sur un tel sujet. Toutefois, si l’on se lance dans le débat – ce que nous avons fait au sein de la commission de la codification, je suis heureux d’en rendre compte au Sénat – on examine les autres solutions possibles, par exemple « les citoyens » ou « les usagers ». À l’issue de cette réflexion, il nous est apparu que le terme « public », nonobstant son abstraction et son caractère peu défini, était, en tout cas pour l’intitulé du code, la meilleure réponse. Ce qui a emporté ma conviction, c’est que ces dispositions concerneront largement les entreprises, au-delà des particuliers.
Comme pour certains textes passés, dont M. Hugues Portelli était également le rapporteur, mieux vaut adopter la définition la plus large, même si elle est imprécise, des destinataires de ce code.
Parallèlement, l’achèvement du code de l’expropriation sera une bonne nouvelle, lorsque nous le verrons réellement, très bientôt, je l’espère. D’autres urgences s’y ajoutent : je songe notamment au code électoral, qui est dans un état déplorable, mais au sujet duquel le travail est assez bien avancé, si je ne m’abuse.
J’émets en outre un message dont l’audace sera perçue par quelques personnes dans cet hémicycle : le contraire de l’urgence, c’est l’état du code général des impôts. Ce code est désormais dans un tel état que plus personne n’ose envisager sa recodification (M. Jean-Jacques Hyest opine.), excepté quelques fiscalistes endurcis,…
M. Alain Richard. … et encore faut-il plusieurs années pour parvenir à ce niveau de maîtrise.
Ce document, qui est tout de même vital pour la société et l’économie françaises, n’est absolument plus maniable.
Madame la ministre, malgré la difficulté de l’exercice, je me permets de vous suggérer d’insister auprès de vos collègues et voisins de Bercy pour que ce travail soit sérieusement entrepris. Il n’est en effet plus possible de continuer ainsi.
Autre message « personnel », nous avons manqué de peu l’adoption, au cours de cette session extraordinaire, de la proposition de loi de M. Sueur et Mme Gourault pour la révision du système d’évaluation des normes. Les services du Premier ministre nous ont pourtant confirmé que le résultat auquel nous avons abouti leur convenait parfaitement.
C’est la conséquence regrettable de la surcharge de travail des deux commissions des lois, notamment de celle de l’Assemblée nationale. Je ne doute pas que, comme nous, Mme la ministre sera d’avis d’insister auprès de nos collègues et amis députés pour que nous achevions l’examen de ce texte. Il faut que nous puissions disposer d’un véritable outil partenarial entre le monde des élus locaux et celui de l’administration centrale, notamment avec les services du Premier ministre, pour mieux contrôler et mieux maîtriser la production normative à venir.
Je conclurai en rendant hommage au travail déjà accompli pour la préparation de ce texte d’habilitation, et en saluant l’atmosphère de convergence entre le Gouvernement et l’ensemble des groupes de notre assemblée. C’est là, à mon sens, de bon augure pour la réussite de cette entreprise. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Cécile Cukierman, Hélène Lipietz ainsi que MM. Jean-Claude Requier et Jean-Jacques Hyest applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Favier
M. Christian Favier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi comprend trois articles autorisant le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance dans différents domaines. Avant de parler du contenu de ces dispositions, je dirai un mot de la forme.
Nul n’ignore que nous sommes, pour notre part, opposés à la pratique des ordonnances. L’article 38 de la Constitution permet notamment au Gouvernement de demander au Parlement l’autorisation de prendre, par ordonnances et pour une durée limitée, des mesures qui relèvent du domaine de la loi. Cette procédure est donc, dans les faits, un moyen de contourner les règles normales de la démocratie, notamment celles qui ont trait à l’élaboration et à l’adoption de la loi par le Parlement.
Quoiqu’elles soient encadrées par la loi, ces ordonnances constituent un empiètement du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif. D’une certaine manière, elles portent donc atteinte au principe de séparation des pouvoirs : dès lors que l’habilitation est accordée au Gouvernement, le Parlement n’a plus qu’un pouvoir de validation ou d’invalidation, et n’a plus aucune possibilité d’intervenir sur le contenu. Le Gouvernement agit donc en lieu et place du Parlement, et l’article 38 de la Constitution ne délimite son champ de compétences que de manière laconique, en ne mentionnant que « l’exécution de son programme ». En d’autres termes, aucun domaine ne lui est a priori interdit.
Si le Conseil constitutionnel effectue un contrôle a posteriori, nous considérons que ce dernier n’est pas suffisant.
Une nouvelle fois, nous mettons en garde contre la banalisation de ces pratiques, qui concernent des domaines de plus en plus larges.
En l’occurrence, ce texte vise à habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance dans plusieurs domaines distincts qui, en réalité, sont plus étendus que la seule simplification des relations entre l’administration et le citoyen, annoncée dans l’intitulé du projet de loi.
L’article 1er a pour objet d’habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures destinées à instaurer un droit des usagers à saisir les autorités administratives par voie électronique, à autoriser les délibérations à distance des services administratifs, à l’exclusion des instances délibératives de collectivités territoriales, et à prévoir que les avis préalables doivent être communiqués avant l’intervention de l’administration.
Cet article vise donc bien à la mise en œuvre d’une simplification des relations entre l’administration et les citoyens, ainsi qu’à l’établissement d’une plus grande transparence dans ces relations, en adaptant ces dernières aux technologies numériques et aux évolutions des usages qui en découlent.
Sur le fond, nous n’y sommes pas opposés, bien au contraire.
Il paraît en effet pertinent de créer une obligation de mettre en place davantage de téléprocédures et de services numériques à destination des citoyens, corollaire du droit des usagers à saisir les autorités administratives par voie électronique. Bien évidemment, et c’est une de mes préoccupations, nous devrons veiller à ce que le développement des procédures numériques ne conduise pas à créer une fracture avec une partie de nos concitoyens, qui peuvent se trouver éloignés de ces pratiques et de ces outils.
Il nous paraît également opportun de permettre que les avis préalables soient communiqués avant l’intervention de la décision de l’administration. Cela permet, en cas d’avis préalable négatif, par exemple, une modification du projet avant même la décision finale, ce qui garantit plus de transparence dans les décisions, mais aussi plus de rapidité dans l’exécution du projet qui pourra alors être réévalué avant la décision finale.
Dans le même esprit, l’amendement du Gouvernement visant à poser le principe selon lequel l’absence de réponse de l’administration dans les deux mois sur une demande vaut accord tacite nous semble constituer un vrai progrès pour les usagers. Se pose néanmoins la question des moyens accordés aux services publics pour pouvoir instruire les différentes demandes en deux mois dans des conditions satisfaisantes. Toutes les précautions doivent être prises afin qu’aucune acceptation ne soit le résultat d’un embouteillage des demandes : toutes les autorisations doivent être le fruit d’un examen attentif.
L’article 2, quant à lui, fait suite aux déclarations du Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, le CIMAP, qui a affirmé la nécessité de créer un code de relations entre l’administration et le citoyen comprenant les grands principes, comme l’obligation de motivation des décisions individuelles défavorables ou l’accès aux documents administratifs.
Ainsi, cet article a pour objet d’autoriser le Gouvernement à procéder par ordonnance à l’adoption de la partie législative d’un nouveau code relatif aux relations entre les administrations et le public : procédure administrative non contentieuse et régime des actes pris par les administrations en vigueur.
Il précise également que le Gouvernement pourra modifier des règles de procédure dans un but de simplification des relations et de développement des usages numériques.
L’édiction de ce code ne s’effectuera pas pleinement à droit constant et laissera au Gouvernement une marge de liberté qu’il nous paraît difficile de valider a priori, sans en connaître exactement l’étendue. Certes, le rapporteur a circonscrit le champ de ces habilitations, et nous nous en félicitons, mais il n’a pas créé pour autant les conditions d’une codification à droit constant, et donc les garanties d’une sécurité juridique.
En outre, la durée d’habilitation de vingt-quatre mois prévue à cet article est particulièrement longue.
Enfin, l’article 3 concerne le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Il autorise le Gouvernement à agir par ordonnance pour simplifier le plan du code, donner les compétences en appel à la juridiction de droit commun, et y inclure la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Si cet article relatif au logement ne nous pose pas non plus de problèmes particuliers sur le fond, il n’en reste pas moins un véritable cavalier législatif. Il est étonnant que les mesures qui y figurent n’aient pas été incluses soit dans la loi du 1er juillet 2013 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction, soit dans le projet de loi Duflot sur le logement qui est examiné en ce moment même à l’Assemblée nationale.
Dans la mesure où ce projet de loi ne nous pose pas de problèmes majeurs sur le fond, nous le voterons, malgré notre opposition de principe à la pratique des ordonnances, nos réserves sur le domaine et sur la durée de l’article 2, ainsi que la présence d’un article concernant le logement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Hélène Lipietz et M. René Vandierendonck applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, le bilan que le groupe UDI-UC dresse de la politique menée pendant cinq ans par Lionel Jospin alors Premier ministre est parfois sévère.
Pour autant, au-delà de toutes les querelles persistantes, il existe aujourd’hui un vaste consensus autour de ce que la doctrine en droit public appelle les « lois de 2000 » et, au cœur de celles-ci, de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Il y a treize ans, cette loi a permis de lever un certain nombre d’incertitudes sur l’opacité, parfois fantasmée, de l’action administrative. Elle a notamment permis d’inscrire dans la loi le principe selon lequel le silence de l’administration vaut décision de rejet, sauf pour des cas spécifiques énumérés par une importante série de décrets en Conseil d’État. À ce propos, j’ai des difficultés à comprendre pourquoi on va aujourd'hui inverser cette règle, qui, me semble-t-il, n’a pas si mal fonctionné.
Quoi qu’il en soit, la démarche engagée il y a treize ans reste inachevée à bien des égards. Voilà pourquoi il s’agit aujourd'hui de faire du service public un service « à destination » du public. En somme, le citoyen est plus qu’un simple administré et devient un acteur à part entière des relations administratives.
L’amélioration des relations entre l’administration et le citoyen est une préoccupation majeure pour les sénateurs. Un grand nombre d’entre nous ont la chance d’être à la tête d’une collectivité territoriale (M. Jean-Claude Requier s’exclame.) et donc d’une administration qui reçoit chaque jour des citoyens en tant qu’usagers de ladite administration et auprès de laquelle remontent un certain nombre de problèmes.
Depuis une quinzaine d’années, le traitement des demandes – qu’il s’agisse notamment d’une carte d’identité, d’un passeport ou d’un permis – a évolué vers plus de rapidité, mais des contraintes demeurent. Aujourd’hui, une certaine impatience et des exigences se font souvent jour dans les relations entre les citoyens et l’administration locale.
Le problème est le suivant : derrière les concepts juridiques, il y a d’abord des hommes et des femmes. Aussi, il n’est pas tout à fait anodin de modifier les règles relatives aux modalités de délais de retrait ou d’abrogation des actes administratifs.
Un grand pas en avant avait été fait en 2001 avec la décision « Ternon » du Conseil d’État : le citoyen disposait, même après la clôture du délai de recours en excès de pouvoir, de deux mois pour solliciter de l’administration le retrait d’un acte individuel créateur de droit.
Malheureusement, derrière ce débat de juriste, le citoyen maîtrise mal les subtiles différences entre un acte explicitement ou implicitement créateur de droit. De la même manière, tous ne manient pas avec autant d’aisance que les membres de la juridiction administrative la différence entre le retrait et l’abrogation d’un acte. J’avoue que j’ai parfois moi-même des doutes, et ce malgré mes études, qui sont maintenant un peu lointaines.
Beaucoup a été fait pour que la langue juridique de l’administration soit davantage accessible au plus grand nombre, mais l’essentiel du travail est encore devant nous, tant cette opacité reste l’un des attributs sinon un des éléments de puissance de l’administration.
Aussi, je ne peux qu’accueillir favorablement l’initiative prise par le Gouvernement de créer un code spécifique aux relations entre les citoyens et l’administration. Cette codification devrait offrir l’opportunité de clarifier les dispositions existantes, notamment la postérité de la jurisprudence « Ternon », que ce soit en matière de retrait ou d’abrogation.
Ce code sera également l’occasion de permettre aux relations entre l’administration et les citoyens de prendre la voie de la dématérialisation que l’informatique nous permet ou devrait nous permettre. La démultiplication des outils numériques doit être mise au service de l’action administrative. Le débat d’aujourd’hui est l’occasion de le dire, on peut faire évoluer de multiples manières les relations entre l’administration et l’usager, mais si on ne met pas l’accent sur le développement du numérique, il y aura encore un certain nombre de malentendus pendant un nombre certain d’années.
La rénovation des processus décisionnels de l’administration est également une avancée louable. Plus qu’une rénovation, c’est une révolution administrative qui est en préparation. C’est la fin du principe de non-communicabilité des documents préparatoires et le début d’un véritable dialogue entre le citoyen et l’administration, voire d’une coproduction de la décision, même si cette vision est encore quelque peu osée.
Enfin, la récente annonce faite par le Gouvernement d’inverser le sens du silence de l’administration pour en faire une décision positive par principe est un véritable gage de confiance pour nos concitoyens.
Le droit administratif ne sera peut-être plus caractérisé par son seul caractère exorbitant du droit commun, ou du moins dérogatoire du droit privé, mais sera défini comme un droit du dialogue, de la concorde et du consentement des citoyens-administrés.
Pour autant, madame la ministre, permettez-moi une remarque. Un projet de loi visant à habiliter le Gouvernement à prendre des mesures par voie d’ordonnance est toujours comme une promesse : on s’engage bien souvent sur un programme très ambitieux et force est de constater que, parfois, les mesures prises sont en deçà des espérances nourries.
Les dispositions de la nouvelle rédaction de l’article 38 de la Constitution ne nous permettent pas de contrôler directement le texte des ordonnances, elles nous permettent seulement de nous prononcer sur leur ratification. Aussi peut-il être considéré comme regrettable que les mesures que vous souhaitez introduire dans notre droit ne fassent pas l’objet d’un véritable projet de loi, qui aurait permis un examen plus « serré » en séance publique.
Quoi qu’il en soit, madame la ministre, nous sommes prêts à vous laisser le bénéfice du doute en ce qui concerne vos projets d’ordonnances, mais nous serons vigilants quant au contenu effectif de ce que vous mettrez en œuvre. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Bernard Fournier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, un constat s’impose : les Français expriment une profonde défiance à l’égard de leur administration, comme le révèle le dernier rapport du Défenseur des droits.
Celui-ci met en lumière un paradoxe qu’il est de notre devoir de corriger : des droits sont proclamés par le législateur, qui, dans le même temps, construit des labyrinthes pour permettre à chacun d’y accéder. Tels sont les termes employés par nos concitoyens pour décrire le paysage administratif français. D’après le rapport du Défenseur des droits, cette situation est d’autant plus préoccupante que « plus l’individu est précaire, plus les droits ne lui sont accessibles qu’au terme d’un dédale ».
La simplification des procédures administratives est indispensable si l’on veut renforcer l’efficacité de l’action de l’administration, et dans le même temps la confiance des citoyens envers leurs fonctionnaires.
L’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne prévoit-il pas que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » ? C’est une évidence, mais l’État doit être exemplaire, et donc ses agents administratifs doivent l’être également.
Tous les organismes chargés d’une mission de service public doivent être impliqués dans la recherche d’une modernisation de leur action, car elle constitue un levier puissant de réduction structurelle des dépenses publiques. Elle doit viser à rationaliser les dépenses de fonctionnement pouvant être réduites, afin de consacrer ces dépenses à l’investissement et à l’intervention publique. À la différence de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, les agents doivent être associés à ce changement profond de culture.
Cependant, cet idéal ne peut être atteint dans un environnement qui ne cesse de contribuer à la prolifération et à la complexification des normes. Un tel objectif suppose au contraire de revisiter l’organisation territoriale de l’État grâce à une meilleure répartition des rôles, ainsi que le préconise la Cour des comptes dans un rapport récemment publié.
Dans le même temps, l’excès de normes pèse sur les citoyens, sur les entreprises et sur les agents eux-mêmes. Pour ces derniers, l’accueil devient particulièrement difficile et peut être source de tensions.
Le temps des procédures correspond à des jours de congés pris par les salariés pour accomplir leurs démarches – parfois sans succès. Il s’impute sur le temps que les entreprises peuvent consacrer à leur activité pour la consolider et la faire grandir.
Dans son rapport, le député Thierry Mandon estime qu’il est possible de réduire de 80 % pour les entreprises les coûts liés à la complexité et à la lenteur des procédures. Il y a donc là un gisement substantiel d’économies, profitables à l’investissement et à l’emploi et permettant de relancer la compétitivité de notre pays.
En outre, la norme doit être stable et lisible afin de garantir une véritable sécurité juridique et limiter les recours devant des tribunaux que l’on peine à désengorger.
Enfin, pour être respectée, la norme doit être comprise par tous – « faire simple » en quelque sorte – et, en la matière, des progrès restent à faire. Aux multiples tentatives destinées à répondre à toutes les situations particulières, la raison d’être de la norme est souvent oubliée. Aux multiples tentatives de simplification, l’administration ne fait souvent que prouver son inertie. Je dirai, en citant Jean de la Fontaine, que « le trop d’attention qu’on a pour le danger fait le plus souvent qu’on y tombe ».
Alors, le présent projet de loi évitera-t-il cet écueil ? Le droit est-il simplifiable ? Cette question est récurrente et le « choc de compétitivité juridique » prôné dans le rapport Lambert-Boulard contre l’inflation normative ne saurait encore attendre. La volonté du Gouvernement semble bien réelle puisqu’il a procédé à la suppression récente d’une centaine de commissions consultatives dont le rôle était limité.
Nous le savons : il est nécessaire de partir de l’usager pour revisiter les procédures administratives. C’est l’approche retenue par la direction générale de la modernisation de l’État, la DGME. C’est la logique qui doit inspirer la rédaction du nouveau code de l’administration, tant attendu.
En effet, s’il voit le jour grâce à cette nouvelle habilitation, il permettra de rassembler et de mettre à disposition de manière claire les règles procédurales non contentieuses auprès des usagers et des entreprises.
La possibilité de régulariser une demande en cours d’instruction grâce à la communicabilité des avis préalables à la décision définitive constitue également une avancée.
Cette réforme doit être l’occasion d’étendre cette possibilité à l’ensemble des démarches administratives avec la consécration du droit de saisir l’administration par voie électronique.
Si la présence de l’usager peut se justifier, une fois son identité vérifiée, le reste des pièces justificatives à fournir doit pouvoir être communiqué par voie électronique, ou encore par correspondance.
À cet égard, l’utilisation accrue du numérique est un outil indispensable de la modernisation de l’action publique, ce qui requiert un investissement en logiciels et en formations ainsi que de nouvelles règles procédurales.
Toutefois, il faudra veiller à réduire la fracture numérique pour que l’ensemble de la population puisse accéder à ces services sur tout le territoire de la République.
Le silence de l’administration vaudra acceptation et non plus rejet, affirmait le Président de la République lors de sa conférence de presse du 16 mai dernier. Une telle perspective, aussi séduisante soit-elle, n’est pas sans soulever quelques questions.
Ainsi, le Gouvernement nous propose par la voie d’un amendement, et donc sans étude d’impact, d’adopter une telle logique. Cela induirait un changement radical, pour ne pas dire davantage, dans notre manière de concevoir le droit et implique une étude approfondie de l’ensemble des procédures qui pourraient être concernées. Il faut bien reconnaître que le moyen utilisé est d’autant plus contestable que le Gouvernement a déposé le présent projet de loi il y a tout juste un mois au Sénat et que cette « petite révolution », selon les termes employés par Mme le ministre Vallaud-Belkacem, avait été annoncée en mai.
Le motif d’une telle disposition est légitime : l’accélération des procédures. Bien sûr, nous y sommes favorables sur le fond.
Toutefois, dispose-t-on des moyens humains et organisationnels permettant aux services d’étudier les demandes dans un délai raisonnable ? Nous pensons en particulier dans les mairies aux certificats d’urbanisme et aux documents relatifs au droit du sol. Une fois ces moyens mis en place, les services doivent être responsabilisés car leur inaction produira des effets en droit. La réponse doit être claire pour le demandeur et ne doit pas dépendre de l’inertie ou de la rapidité d’un service administratif particulier. La cohérence des décisions doit être assurée sur l’ensemble du territoire de la République pour tous les citoyens français.
Il convient de s’interroger avant tout sur les raisons qui entraînent aujourd’hui de tels délais d’instruction : les délais prévus sont-ils raisonnables ? Toutes les étapes de la procédure sont-elles indispensables ? Les agents traitant certaines demandes sont-ils assez nombreux et suffisamment motivés ?
Il ne faudrait pas, mes chers collègues, que la précipitation aboutisse à un résultat contraire au but visé, qui est simplement d’assurer à nos concitoyens une bonne et juste administration. Elle ne doit pas aboutir à l’adoption ultérieure des mesures législatives destinées à apporter des exceptions à ce nouveau principe.
Par ailleurs, le Gouvernement avait également annoncé, à la suite du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, le CIMAP, du 2 avril dernier, qu’il allait favoriser une interprétation facilitatrice du droit existant. Une attention particulière doit être accordée si l’on souhaite que le principe d’égalité devant la loi s’applique à tous les citoyens : les sénateurs du RDSE y sont très attachés.
En dépit de ces remarques, madame la ministre, nous approuverons ce projet de loi dont nous partageons la finalité : améliorer la qualité du service public, renforcer la qualité du dialogue entre les fonctionnaires et les citoyens, et permettre ainsi que soit restaurée la nécessaire confiance qui doit exister entre les premiers et les seconds. Il n’y a pas de démocratie véritable sans une administration compétente au service de l’État républicain et des citoyens. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)