M. Jean-Jacques Hyest. C’est déjà le cas !
Mme Cécile Cukierman. … et décidée par un Conseil supérieur de la magistrature indépendant.
Je suis sûre que les cas de manquement sont extrêmement rares, et je ne souhaite pas, au travers de l’examen de ce texte, jeter la suspicion sur une profession qui en souffre déjà fortement au sein de la société. Quoi qu'il en soit, le citoyen peut saisir le CSM pour statuer en formation disciplinaire sur les manquements constatés d’un magistrat. En effet, comme certains l’ont déjà dit, l’indépendance ne signifie pas que les magistrats sont irresponsables et qu’ils n’ont pas de comptes à rendre à la population. Néanmoins, cette disposition existe et peut nous rassurer sur ce point.
Mais nous savons aussi que la recherche d’une réelle indépendance ne passe pas par la simple suppression des instructions individuelles. Elle réside, en réalité, dans le mode de nomination des magistrats, ainsi que dans la gestion de leur carrière. C’est bien ce mode de nomination qui est à même de garantir toute son indépendance au pouvoir judiciaire dans les années à venir, une indépendance pleine et entière, que mérite une démocratie telle que la nôtre, pour une justice inébranlable, considérée comme le troisième pilier de notre État de droit.
Ici se rejoignent donc les deux textes dont nous discutons aujourd’hui. Madame la garde des sceaux, vous l’aurez compris, nous soutiendrons le premier pour les avancées qu’il contient, tout en réclamant quelques améliorations, celles que nous proposerons dans nos amendements.
En revanche, il est bien évident que le second texte, tel qu’il a été adopté ce matin en commission des lois, à notre plus grand regret, ne revêt plus aucun intérêt, ou presque. Si les instructions individuelles, réintroduites par voie d’amendement ce matin en commission, de façon quelque peu cavalière sur la forme…
M. Jean-Jacques Hyest. Pourquoi ?
Mme Cécile Cukierman. … devaient être conservées en séance publique, nous voterions non pas contre votre texte, madame la garde des sceaux, mais contre un texte profondément modifié par notre assemblée.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, dans un premier temps, un projet de loi constitutionnelle visant à réformer cette institution qu’est le Conseil supérieur de la magistrature ; c’est le quatrième depuis l’instauration de la Ve République. Il devrait s’agir également de la première révision du quinquennat de François Hollande.
Un sondage réalisé par l’institut IFOP en 2011, quelques années après la crise de l’institution judiciaire provoquée par l’affaire d’Outreau, révélait que la confiance des citoyens envers la justice était rompue : 72 % d’entre eux considéraient qu’elle fonctionnait mal !
Les données recueillies traduisaient toutes une attente très forte des Français en faveur d’une réforme urgente de la justice, qu’ils souhaitaient notamment plus indépendante.
Lors de la campagne présidentielle, afin de redonner aux Français cette confiance dans l’institution judiciaire, le candidat François Hollande s’était engagé à « mettre le Conseil supérieur de la magistrature à l’abri de toute intervention politique » et à assurer aux décisions de justice une « impartialité insoupçonnable ». Ces engagements ont été renouvelés lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le 18 janvier dernier.
Le texte dont nous débattrons dans un premier temps, ainsi que celui relatif aux attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique, que nous examinerons dans un second temps, permettront d’atteindre ces objectifs.
Le CSM, dont la création remonte à 1883, est l’organe chargé par la Constitution d’aider le chef de l’État dans sa fonction de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Les révisions constitutionnelles successives dont il a fait l’objet ont toutes été marquées par le même souci : renforcer l’indépendance de cette institution à l’égard du pouvoir exécutif et la soustraire au corporatisme en lui octroyant de nouvelles compétences et en diversifiant les autorités de nomination et la composition de ses membres.
Aussi, depuis la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, la formation plénière du CSM se subdivise en deux formations : l’une compétente pour les magistrats du siège et l’autre pour les magistrats du parquet. Cette révision a accru les attributions du Conseil à l’égard des magistrats du siège par l’extension de son pouvoir de proposition aux présidents de tribunaux de grande instance et l’attribution d’un pouvoir consultatif s’exprimant par des avis conformes pour toutes les autres nominations. Elle lui a également reconnu une compétence nouvelle à l’égard des magistrats du parquet par l’attribution à la formation compétente d’un pouvoir consultatif s’exprimant par avis simple.
La réforme du 23 juillet 2008 a permis des avancées substantielles sur trois points : la présidence du Conseil et sa composition, la nomination des magistrats du ministère public, la possibilité pour les citoyens de déposer une plainte contre un magistrat.
Le présent projet de loi constitutionnelle ne fait pas exception à la règle. S’il s’est fixé une ambition mesurée, il n’en comporte pas moins des avancées remarquables : il ne s’agit pas, comme j’ai pu l’entendre, de convoquer le Congrès pour n’ajouter qu’un seul membre au CSM !
Certes, ce texte modifie la composition du Conseil, en instaurant le principe de la double parité. Tout d’abord, il met en place une parité entre membres magistrats et non magistrats, qui, tout en répondant au minimum exigé par le Conseil de l’Europe, permet d’éviter deux écueils majeurs : le corporatisme et la politisation.
Ensuite, il pose le principe d’une parité hommes-femmes pour les personnalités qualifiées. Certains peuvent considérer cette règle comme négligeable, mais elle s’inscrit dans une tendance que les socialistes ont toujours eu à cœur d’encourager.
Si la question de la composition est importante sur le plan symbolique, l’essence même de cette révision porte sur le mode de nomination des membres du parquet, son pouvoir disciplinaire à leur égard et sur son rôle de protecteur de l’indépendance de la justice.
Avec cette réforme, le Gouvernement aura aussi et surtout l’obligation de suivre les avis que le Conseil lui donnera pour la nomination des magistrats du parquet. Cette pratique, qui avait été très justement instaurée par Mme Guigou, et que M. Mercier et Mme Taubira ont suivie, sera enfin constitutionnalisée, car usage ne vaut pas obligation de faire. Elle constitue une indéniable avancée, que vous aviez réclamée en 2008, mesdames, messieurs de l’opposition, et que vous aviez même votée !
Ce texte confère également au Conseil supérieur de la magistrature le pouvoir de décider des sanctions disciplinaires à l’égard des magistrats du parquet, compétence qui revenait auparavant au garde des sceaux. Cet apport ne saurait être considéré comme secondaire, car, ce que le parquet aurait gagné en indépendance grâce aux dispositions relatives aux nominations, il aurait aisément pu le perdre en étant toujours soumis aux sanctions disciplinaires décidées par le ministre.
En outre, la présente réforme permet au CSM de s’autosaisir des questions relatives à l’indépendance de l’autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats. La possibilité accordée à tout magistrat de saisir directement le CSM sur des questions déontologiques, auxquelles nous proposerons d’adjoindre les questions « particulières d’indépendance » le concernant, constitue aussi une avancée majeure. Les récentes et inadmissibles attaques dont a fait l’objet l’autorité judiciaire illustrent bien l’importance de cette nouvelle faculté dévolue au Conseil.
Je voudrais saluer ici l’ouverture d’esprit du Gouvernement, toujours prompt au dialogue, qui a su mener cette réforme dans la concertation. Les professionnels de la justice ont été auditionnés et les députés ont pu procéder à des modifications, substantielles pour certaines.
Notre rapporteur, que je tiens à féliciter pour son excellent travail, ayant présenté les amendements qu’il compte soumettre à notre assemblée, je n’y reviendrai pas.
La nouvelle rédaction qui est présentée aujourd’hui, s’inscrit pleinement dans la lignée des réformes de 1993 et de 2008, et devrait donc être de nature à dépasser certains blocages politiques. Par ailleurs, eu égard aux nombreuses avancées contenues dans ce projet de loi, les explications qui ont été données par les représentants de plusieurs groupes parlementaires à l’Assemblée nationale pour justifier leur opposition à un projet qualifié de trop modeste ne sauraient tenir.
Le renforcement de l’indépendance de la magistrature devrait susciter l’adhésion sur toutes les travées de notre hémicycle. Des divisions purement politiciennes risqueraient de compromettre les perspectives d’adoption de cette réforme par le Congrès et d’entraîner son abandon.
Or cette réforme est une revendication constante des organisations de magistrats et semble indispensable pour changer le regard que les Français portent sur l’institution judiciaire.
J’espère sincèrement, nonobstant ce que je viens de dire, que nous saurons dépasser les clivages partisans stériles pour mettre un terme à cette ère du soupçon, de la défiance systématique et aller dans le sens d’une plus grande indépendance de la justice, voulue, je n’en doute pas, par tous les groupes de notre assemblée.
Ce projet de loi constitutionnelle s’articule avec un projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l'action publique. Ces deux textes sont la traduction que nous propose le Gouvernement de l’annonce faite par François Hollande durant sa campagne quant à l’élaboration d’une réforme attendue par les Français. Ils sont porteurs d’une vision différente de la justice, celle d’une justice indépendante, efficace et respectueuse des droits et de la dignité de chacun.
Le second texte ouvre la voie à de nouveaux rapports entre parquet et Chancellerie en clarifiant les attributions qui reviennent à chacun. Il réaffirme qu’il appartient au garde des sceaux de conduire la politique pénale déterminée par le Gouvernement, conformément à l’article 20 de la Constitution, et d’en préciser les grandes orientations par le biais d’instructions générales. Le parquet, quant à lui, se voit confier le plein exercice de l’action publique en déclinant ces orientations générales dans son ressort. De cette façon, le Gouvernement entend assurer la cohérence de la politique pénale sur l’ensemble du territoire de la République, afin que la loi soit la même partout et pour tous.
De récents sondages ont montré que les citoyens ont le sentiment qu’il existe une justice « à deux vitesses », plus clémente à l’égard de certaines personnalités. Ce sentiment est très largement répandu en France, mais il n’est pas exagéré de dire qu’il est particulièrement fort dans les territoires éloignés.
À Mayotte, de récents scandales politico-financiers, et de graves dysfonctionnements judiciaires ont accentué la défiance de la population envers la justice. L’affaire des « fadettes », notamment, a provoqué un véritable séisme au sein de l’institution judiciaire, et je crois très sincèrement que le présent texte offrira les moyens de rétablir le lien de confiance entre les Français et la justice.
Le projet de loi ordinaire qui nous est présenté vise également à empêcher une immixtion de l’exécutif dans le déroulement des procédures pénales, en prohibant la possibilité donnée au garde des sceaux d’adresser aux magistrats du parquet des instructions dans des affaires individuelles.
Madame la garde des sceaux, par une circulaire générale du 19 septembre 2012, vous avez mis fin aux instructions individuelles. Cette pratique vertueuse du gouvernement actuel, respectueuse de l’indépendance de la justice et soucieuse de son efficacité, tranche avec l’ère précédente, marquée par l’ingérence quasi systématique du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires. Cette mesure a pour objectif d’assurer aux justiciables que le gouvernement en place ne profite pas de ses pouvoirs pour protéger des amis et permettra au parquet de ne pas être suspecté d’agir sur instruction de l’exécutif.
Évidemment, la suppression des instructions individuelles ne pourra pas, à elle seule, prévenir ces ingérences dans le suivi des affaires judiciaires : nous savons tous qu’il sera toujours possible de donner des instructions orales, mais, combinée au projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, ce projet de loi donnera aux magistrats la faculté de s’y opposer sans craindre pour leur carrière puisque le texte constitutionnel qui nous est soumis attribue désormais le pouvoir disciplinaire, qui appartenait au ministre de la justice, au Conseil supérieur de la magistrature.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je m’étonne de la position de nos collègues députés de l’UDI, qui ont voté contre le projet de loi constitutionnelle, mais pour le projet de loi ordinaire. Cette opposition partielle ne peut que traduire une incompréhension de l’articulation des deux textes.
Quant au rejet total de ces deux textes par d’autres députés de l’opposition, il ne saurait cacher une certaine méfiance – j’irai même jusqu’à dire : un certain mépris – pour l’indépendance de la justice !
Par ailleurs, et pour répondre à une crainte exprimée lors des débats à l’Assemblée nationale, si, dans une affaire particulière, des poursuites ne sont pas engagées alors qu’elles devraient l’être, le parquet décidant de l’opportunité des poursuites en France, le garde des sceaux pourra donner des instructions générales thématiques, visant éventuellement des contentieux particuliers. Avec cette mesure, le Gouvernement ne renonce pas à assumer sa responsabilité.
Ce texte marque donc une rupture avec la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, qui avait renforcé le pouvoir hiérarchique du ministre de la justice en maintenant les instructions individuelles et en étendant ses prérogatives à la conduite de l’action publique, jusqu’alors réservée aux magistrats du parquet.
Il permet enfin de mettre le « parquet à la française » en conformité avec les exigences européennes issues de la jurisprudence européenne, symbolisée notamment par la décision Medvedyev du 10 juillet 2008 de la Cour européenne des droits de l’homme, réaffirmée dans la décision Moulin c. France du 23 novembre 2010. Cette juridiction considère que les membres du ministère public en France, en vertu de leur statut, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif.
Voilà l’ensemble des raisons pour lesquelles, madame la ministre, nous voterons en faveur de ce texte qui a fait l’objet de discussions et d’échanges nourris au sein de la commission des lois. J’espère donc que certains groupes se raviseront et que tous adopteront ce texte majeur pour notre justice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je suis un élu des Hauts-de-Seine, département où se trouve le tribunal de Nanterre qui, en raison de son activité hors norme, est le deuxième tribunal de France. En effet, celui-ci traite régulièrement de dossiers aussi sensibles que tentaculaires. Pour mémoire, je rappelle que vingt-quatre des entreprises du CAC 40 ont leur siège social dans les Hauts-de-Seine.
Le précédent procureur de la République de ce tribunal, pourtant tout particulièrement exposé, avait été nommé en mars 2007 contre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature. Il ne fut pas le seul en France, je le concède, mais son cas me semble tout à fait emblématique.
À l’époque, le principal syndicat de magistrats, l’Union syndicale des magistrats, s’était élevé contre cette nomination en ces termes : « Nous ne mettons pas en cause les qualités [de la personne nommée]. Nous regrettons que le système de nomination des procureurs soit ainsi entaché d’une certaine suspicion. »
C’est cette suspicion qui nuit fortement à la perception qu’ont nos concitoyens de l’action de la justice. C’est cette suspicion qui peut aussi conduire à désorganiser le travail de la justice, comme ce fut le cas durant cinq années au palais de justice de Nanterre : relations dégradées, rivalités internes, les tensions entre magistrats du siège et du parquet y furent exacerbées.
Cette suspicion, le Gouvernement nous propose de la combattre plus efficacement.
En travaillant à mieux garantir l’indépendance de la justice, nous œuvrons à la restauration de la confiance. L’image d’une justice « à deux vitesses », implacable avec le faible, conciliante à l’égard du puissant, est encore trop présente dans l’esprit de beaucoup de nos compatriotes.
Le Conseil supérieur de la magistrature, dans son rapport d’activité publié en 2008, soulignait lui-même cette défiance. Il citait une étude de l’IFOP qui indiquait que 61 % des personnes consultées considéraient l’action de la justice comme inégalitaire. Malheureusement, cette tendance ne s’est pas inversée depuis.
Dans une République parlementaire comme la nôtre, l’État de droit repose sur deux pouvoirs, le législatif et l’exécutif, ainsi que sur une autorité, l’autorité judiciaire. Leur stricte séparation doit être garantie et la France ne cesse, sur ce point, de faire l’objet d’observations de la part des institutions européennes.
Ces réformes nous mettront enfin en conformité avec les règles en vigueur au sein des démocraties européennes.
La Cour européenne des droits de l’homme n’a en effet pas manqué, à de multiples reprises, de nous rappeler que notre parquet n’en est pas un. Dans son arrêt du 10 juillet 2008, elle considérait que les procureurs français sont dans une situation de dépendance à l’égard de l’exécutif incompatible avec cette exigence première qu’est l’indépendance des magistrats.
Encore récemment, le 27 juin dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé une nouvelle fois que le parquet français ne présentait pas les garanties d’indépendance nécessaires au juge judiciaire et ne constituait pas une autorité judiciaire en tant que telle.
La convention européenne des droits de l’homme exige tout naturellement une justice impartiale. La France s’emploie à atteindre cet objectif avec la présente réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui vise à constitutionnaliser l’indépendance et la protection des membres du parquet.
Les dispositions proposées concernant la composition du Conseil supérieur de la magistrature, son mode de désignation ou son fonctionnement le mettraient en effet désormais à l’abri de toute intervention politique.
Le projet de loi ordinaire permettra, dans le même temps, une meilleure définition de la manière dont sera désormais conduite la politique pénale en France et assainira les rapports entre la Chancellerie et le parquet.
Je regrette toutefois que deux mesures techniques n’aient pas été retenues dans les projets de réforme.
La première serait pourtant de nature à garantir réellement et efficacement l’indépendance des magistrats du parquet : il s’agit de l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire.
La seconde, plus symbolique, aurait satisfait notre volonté commune de renforcer l’indépendance de la justice en l’élevant enfin, dans notre Constitution, au rang de « pouvoir judiciaire » et non plus seulement d’« autorité ». J’espère que Mme la garde des sceaux pourra un jour faire évoluer notre droit sur ces questions ! La République aurait ainsi conféré un rang égal à tous les pouvoirs constitutionnels.
Cela dit, je ne boude pas mon plaisir, car la concordance de ces deux textes va incontestablement contribuer à fonder un nouvel équilibre dans les rapports qu’entretiennent le pouvoir exécutif et l’autorité judiciaire, un juste équilibre qui va renforcer la crédibilité de nos institutions judiciaires et la confiance que leur témoignent les Français.
Si la révision constitutionnelle de 2008 a introduit des dispositions vertueuses, celles-ci avaient laissé un goût d’inachevé.
En parcourant les débats de l’Assemblée nationale, j’ai parfois eu le sentiment que, pour beaucoup de nos collègues de l’opposition, l’indépendance de la justice était apparue en France avec l’an II du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Qu’ils me permettent d’avoir sur ce point une appréciation beaucoup plus mesurée…
Certes, la révision de 2008 a apporté certains bouleversements : tout d’abord, en écartant le chef de l’État de la présidence du Conseil supérieur de la magistrature et en plaçant chacun des plus hauts magistrats du siège et du parquet à la présidence de chacune des deux formations ; ensuite, en conférant au Conseil supérieur de la magistrature des pouvoirs disciplinaires ; en outre, l’appel à des candidatures extérieures ainsi que la saisine des commissions parlementaires ont créé des espaces nouveaux.
Cependant, lors des débats qui ont entouré cette réforme, un certain nombre de regrets avaient été formulés, sur les bancs de l’ancienne opposition comme sur ceux de l’ancienne majorité. Mes chers collègues, nous vous proposons aujourd’hui d’achever ensemble cette réforme, car c’est indispensable au renforcement du lien de confiance qui doit unir citoyens et justice !
D’autres biais sont tout aussi nécessaires pour y parvenir : je pense notamment à la transparence dont doit faire preuve l’institution judiciaire dans son fonctionnement ou encore aux moyens qui lui sont alloués dans son travail. Mais, je le sais, le Gouvernement y travaille également, comme l’a souhaité le Président de la République.
Ces réformes ambitieuses faisaient d’ailleurs partie des engagements du candidat François Hollande. En février 2012, ce dernier déclarait : « L’indépendance, ce n’est pas une concession ou un privilège qu’il faudrait accorder aux magistrats, c’est une exigence qu’il faut garantir aux justiciables pour qu’ils aient la certitude que le juge ne se détermine qu’en fonction de la loi. » Je ne doute pas de la détermination du chef de l’État à ce que la justice agisse sans entrave et sans ingérence.
Le Gouvernement n’a pas manqué de rappeler à maintes reprises qu’il n’était jamais intervenu, depuis sa prise de fonctions il y a plus d’un an, dans des dossiers individuels. Tout le monde a d’ailleurs pu l’observer puisque les procédures judiciaires se déploient sans entrave depuis un an. Sur ce point, le changement a bien eu lieu : plus aucun démembrement de dossiers ni aucune délocalisation d’affaires n’ont été constatés depuis un an.
Les rapports entre le pouvoir exécutif et l’autorité judiciaire n’ont donné que trop souvent lieu à des dysfonctionnements. Grâce à ces réformes, nous pacifions ces relations et nous dissipons les soupçons de dépendance et de partialité qui sont de nature à décrédibiliser l’institution judiciaire.
En conclusion, je citerai le trente-deuxième président des États-Unis, Franklin Delano Roosevelt, qui estimait que « gouverner, c’est maintenir les balances de la justice égales pour tous ». Si, tout comme moi, vous partagez cette opinion, convenez que cette réforme est une réforme de bonne gouvernance. Au-delà des choix politiques de chacun, dans l’intérêt des justiciables, nous nous devons de la soutenir. Cette réforme doit dépasser les convictions partisanes et je vous invite, mes chers collègues, à l’approuver sans réserve. Sur ce point, il faut dépasser les clivages politiques et soutenir le Gouvernement qui œuvre pour l’indépendance de la justice.
Le groupe socialiste votera ce texte et j’espère qu’il sera rejoint par de nombreux autres groupes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
(M. Charles Guené remplace M. Jean-Patrick Courtois au fauteuil de la présidence.)