Mme Corinne Bouchoux. Nous y reviendrons au moins à deux reprises, la question de la sanctuarisation du transfert des résultats de la recherche scientifique et technologique doit être, selon nous, une mission de l’enseignement supérieur. Comprenons-nous bien, nous ne sommes pas hostiles par principe aux transferts des résultats de la recherche à la société et à l’économie. Néanmoins, nous considérons que l’intégration de la thématique du transfert dans ce projet de loi fait fi du débat qui s’est déroulé lors des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche. En effet, le transfert n’a été mentionné à aucun moment pendant les tables rondes, et il n’apparaît que dans une seule des 135 propositions du rapport qui en a découlé.
Par ailleurs, madame la ministre, nous avons lu très attentivement la brochure France Europe 2020, qui est extrêmement instructive. L’action n° 4 s’intitule « Favoriser l’innovation et le transfert technologique », ce qui a le mérite de la clarté. Le point n° 2 de cette action indique qu’un « programme d’actions sera mis en place pour une meilleure prise en compte du transfert dans l’évaluation des carrières des chercheurs et des enseignants-chercheurs ».
Nous entendons vos préoccupations, mais nous aimerions attirer votre attention sur le fait que, pour un certain nombre de disciplines, l’idée même de transfert est assez difficile à appréhender. Si l’on comprend aisément comment un archéologue peut transférer les résultats de ses recherches au secteur de la muséologie, je crains que les spécialistes du latin ou du grec n’aient pas une vision très claire des dispositions de l’article 5, qui, à mon sens, sèment le trouble plus qu’elles n’apportent des précisions quant au rôle de l’État stratège, que nous ne discutons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour présenter l'amendement n° 29.
M. Michel Le Scouarnec. Nous sommes opposés aux dispositions de l’alinéa 3, qui inscrivent le transfert des résultats obtenus par la recherche publique au cœur des missions du service public de l’enseignement supérieur : innovation et transfert de technologie sont les fondements de ce projet de loi.
L’enseignement supérieur doit avoir comme visée première l’accès à la connaissance et au savoir. Certes, l’excellence scientifique et technologique des organismes publics de recherche et de l’enseignement supérieur contribue efficacement à la production et la diffusion d’un savoir et d’un savoir-faire nationaux, qui sont le gage des innovations futures et des emplois qualifiés de demain. Mais les retombées économiques qui en découlent ne peuvent pas être l’unique objectif du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. Pour nous, la valorisation de la recherche et de l’enseignement supérieur doit se faire à trois niveaux : culturel, social et économique.
Le transfert introduit un déséquilibre vers le seul pôle économique, ce qui risque de subordonner la recherche à la recherche appliquée et de limiter l’enseignement supérieur aux seules formations ayant des débouchés et des applications concrètes, au détriment des sciences humaines et sociales Cela risque d’appauvrir la diversité de la recherche et de notre enseignement supérieur.
Il faut s’en souvenir, beaucoup de découvertes, y compris celles qui ont été les plus utiles à la société, ont résulté de démarches qui échappaient à une prévision de court terme. De nombreuses innovations majeures ont été développées dans une logique de recherche fondamentale, souvent sans la perspective d’une valorisation économique directe. Et celles-ci n’auraient pas pu être développées dans le cadre d’une recherche purement appliquée.
L’offre de formation ne doit pas se cantonner aux besoins du marché de l’emploi à un moment donné. Elle doit offrir une variété d’enseignements permettant à chaque étudiant de trouver une forme d’épanouissement et de réalisation. Elle doit aussi favoriser le développement de la pensée et de la connaissance dans tous les domaines, y compris ceux qui pourraient être jugés économiquement inutiles. Les sciences humaines et sociales sont utiles à la compréhension du monde. Et si elles offrent sans doute moins de débouchés que, par exemple, les sciences physiques et biologiques, dont les applications sont évidentes, elles sont utiles en tant que telles. Les Lumières n’ont sans doute pas créé d’emploi immédiat ; doit-on pour autant conclure à leur inutilité ? Poser la question, c’est y répondre.
La richesse de notre enseignement supérieur et de la recherche publique réside d’abord dans sa diversité et dans son interdisciplinarité. L’avancée des connaissances demeure la finalité première de la recherche, sans visée préalable de « retombées ».
Maintenons un tel objectif en réaffirmant l’indépendance des organismes de recherche publics français, et sans limiter le désir de connaissance et de transmission de nos chercheurs et de nos étudiants. C’est l’objet de cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 286 rectifié, présenté par Mme Létard, M. J.L. Dupont et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Au 2°, les mots : « et la valorisation » sont remplacés par les mots : «, la valorisation et le transfert de ses résultats, lorsque celui-ci est possible » ;
La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. L’article 5 concerne les missions confiées au service public de l’enseignement supérieur. La valorisation des résultats de la recherche fait déjà partie des missions définies à l’article L. 123-3 du code de l’éducation.
Le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale prévoyait d’actualiser ces missions en y intégrant et en y consacrant la notion de transfert des résultats de la recherche.
Notre commission de la culture a choisi de modifier l’alinéa 3, au profit de la notion de « service de la société ». Nous préférons la rédaction initiale du texte, qui est plus volontariste. C’est pourquoi, par cet amendement, nous proposons tout simplement de revenir au texte adopté par l’Assemblée nationale avec le soutien du Gouvernement.
M. le président. L'amendement n° 266 rectifié, présenté par M. Assouline, Mmes Blondin et Cartron, MM. Chiron et Courteau, Mme Lepage, M. Magner, Mme D. Michel, MM. Mirassou, Vincent et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 3, seconde phrase
Après le mot :
d'appui aux
insérer les mots :
structures associatives et aux
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Nous l’avons entendu, certains craignent que le transfert ne concerne exclusivement le monde économique, dans une perspective purement utilitariste. Or cela ne correspond pas du tout à la volonté des auteurs du texte.
Certes, le projet de loi vise, dans de nombreux articles, à organiser le transfert de la recherche et la valorisation de celle-ci au bénéfice du monde socio-économique. Il faut l’acter ; c’est une dimension tout à fait essentielle.
Mais les entreprises ne sauraient être les seules bénéficiaires d’une telle valorisation, qui, selon les termes de la loi, doit également être organisée au profit des acteurs de la société civile.
La société multimédia internationalisée dans laquelle nous vivons fait que, à l’heure actuelle, les informations sont multipliées, tout comme leurs destinataires, et ce en temps réel. Chacun est appelé à donner son avis sur des sujets autrefois ignorés de tous ou à soutenir des projets dont l’envergure est sans cesse plus importante.
Les associations servent souvent de relais aux initiatives les plus diverses. Elles s’investissent dans des projets sociétaux, médicaux, de développement durable ou de lutte contre les nombreux fléaux de notre société, souvent avec des moyens très limités. Leurs projets sont parfois freinés par l’impossibilité d’accéder et d’exploiter les résultats de la recherche. Il serait donc légitime que ces structures puissent bénéficier des progrès de la recherche et de l’innovation au même titre que les destinataires des politiques publiques.
Dans les associations, les fondations reconnues d’utilité publique, les organisations non-gouvernementales, les ONG, nombre de personnes portent des projets magnifiques dans des conditions de précarité et d’incertitude financières ou scientifiques telles qu’elles sont parfois contraintes d’y renoncer avant leur achèvement. Je ne parle évidemment pas des associations très médiatiques et très utiles qui luttent contre le cancer ou la pauvreté et que tout le monde connaît : elles vivent de la générosité publique et poursuivent leurs missions sans contraintes budgétaires. Mais il y a les autres. Il est temps de faire bénéficier tous les acteurs de la société civile des progrès de la recherche.
En outre, de nombreuses associations jouent souvent un rôle militant et d’alerte au regard des risques pouvant découler des produits issus des transferts de recherche : détection d’OGM ou de substances nocives dans des produits de consommation. Les associer à la chaîne en amont permettrait d’éviter d’éventuels passes d’armes et contentieux ultérieurs.
Le projet de loi vise plusieurs objectifs, notamment celui d’une plus grande démocratisation des études dans l’enseignement supérieur ; je pense en particulier à l’objectif affiché de 50 % d’une classe d’âge accédant à un diplôme d’enseignement supérieur.
Afin d’accélérer cette démocratisation, il nous semble primordial qu’un pas soit également fait en direction de toutes les structures de la société civile et notamment des associations et fondations reconnues d’utilité publique. Une société civile davantage sensibilisée aux progrès de la recherche, notamment par une exploitation de ceux-ci par des structures associatives et ouvertes sur la société, donnerait davantage accès à la science aux citoyens et futurs citoyens dès leur plus jeune âge, renforçant ainsi leurs chances de réussir leurs études et d’accéder à un diplôme d’enseignement supérieur.
Par conséquent, je vous demande, mes chers collègues, d’adopter l’amendement que nous vous proposons. (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Gillot, rapporteur. Je voudrais simplement rappeler à l’ensemble de nos collègues que la rédaction dont nous débattons a été décidée et adoptée en commission. Nous avions la volonté forte d’indiquer que la recherche est « au service de la société ».
La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 125 rectifié, qui tend à revenir sur la rédaction de l’alinéa 2 adoptée par la commission. Il paraît préférable de conserver l’énumération des objectifs telle qu’elle figure dans le code de l’éducation, afin de mettre l’accent sur la formation initiale et continue, d’une part, et sur l’orientation et l’insertion professionnelle, d’autre part. Par ailleurs, la suppression de l’alinéa 3 nous paraît injustifiée, compte tenu du travail que nous avons réalisé en commission.
Je regrette beaucoup que les auteurs des amendements identiques nos 2 et 29 proposent de supprimer l’alinéa 3, dont l’objet est précisément d’introduire la valorisation de la recherche « au service de la société » en tant qu’un élément de rayonnement et de démocratisation des fruits de la recherche.
Notre démarche n’est pas simplement utilitariste ; il s’agit également de nourrir la réflexion intellectuelle. J’avais à l’instant un échange avec Mme la présidente de la commission de la culture. À ses yeux, il n’est pas possible de procéder à des transferts en botanique. Pourtant, j’ai l’impression que, même dans ce domaine, les résultats de la recherche nous permettent de mieux comprendre certains éléments, par exemple les effets atmosphériques sur les médicaments. Il y a, me semble-t-il, tout un champ de connaissances qui peuvent découler de la recherche en botanique.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques, ainsi que sur l’amendement n° 286 rectifié, pour les mêmes raisons.
L’amendement n° 266 rectifié tend à prévoir que la valorisation de la recherche se fera également en direction des structures associatives. Cela nous paraît aller dans le sens du service à la société. La commission y est donc favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Geneviève Fioraso, ministre. Nous tenons à réaffirmer que la formation reste bien la première mission de l’enseignement supérieur. Nous voulons donc lui conserver sa fonction première et autonome, ce qui répond en partie à la question qui a été soulevée. La mission première, ce n’est ni le transfert, ni la valorisation, ni l’insertion professionnelle ; c’est bien la formation, même si les autres notions ont aussi leur importance.
À l’Assemblée nationale, les députés avaient introduit une disposition qui faisait référence au transfert « lorsque celui-ci est possible ». Pour autant, je pense que l’on peut faire des transferts même en latin ou en botanique, ce qui élève le niveau général de connaissances. Cela n’est pas inutile en ces temps de montée des tentations populistes…
À mon sens, il faut donc intégrer dans l’évaluation des chercheurs la valorisation et le transfert « lorsque celui-ci est possible ». J’aimerais que l’on puisse introduire un sous-amendement ou, en tout cas, une disposition en ce sens dans le texte. Nous pouvons, me semble-t-il, nous accorder sur ce point. Cela permettrait d’émettre ensuite des avis plus nuancés.
Je ne peux pas soutenir la suppression de l’alinéa 3. Pour moi, le transfert, c’est aussi de l’emploi, de la solidarité. (Mme Brigitte Gonthier-Maurin s’exclame.) Je ne fais de procès d’intention à personne.
Alors que notre pays occupe la sixième place pour la science, il est, selon les classements, au vingtième ou au vingt-cinquième rang pour l’innovation. Nous devons réduire ce fossé. Je sais que vous êtes d'accord sur ce point.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 286 rectifié.
Enfin, je suis très favorable à l’amendement n° 266 rectifié. Il s’agit de prévoir que la valorisation de la recherche s’effectue également en direction des structures associatives. Cela faisait d’ailleurs partie des demandes de M. Le Scouarnec. Il me paraît aussi utile que les collectivités territoriales, par exemple, puissent bénéficier d’outils d’aide à la décision issus de réflexions et de recherches en matière de sécurité, de politique de la ville ou d’urbanisme. En tant que première vice-présidente d’une communauté d’agglomération, j’avais conclu une convention avec l’université des sciences sociales, afin de nous permettre de bénéficier de réflexions sur l’environnement, la mobilité durable ou d’autres thématiques voisines pour éclairer nos décisions politiques. Je suis donc tout à fait favorable à la proposition de M. Assouline.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La séance est reprise.
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l’auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse.
financement de la protection sociale
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la deuxième conférence sociale s’est ouverte ce matin : elle doit traiter des retraites, certes, mais aussi de l’emploi et de la formation. Par ailleurs sont à l’étude une réforme de la politique familiale et de la formation professionnelle, ainsi que le problème de la dépendance.
Vous n’éludez donc pas les sujets. On peut s’en réjouir et même vous en féliciter, mais vous semblez les aborder les uns après les autres, sans que la cohérence de votre action soit évidente à nos yeux. Pourtant, le financement de la protection sociale forme un tout !
Les charges sociales pèsent sur la compétitivité et l’emploi, alors même qu’une partie d’entre elles couvre des risques de solidarité nationale. Tel est le cas des charges des branches santé et famille. La solution de bon sens consisterait à fiscaliser ces branches, en remplaçant les charges sociales par une TVA sociale, par exemple. Or telle n’est pas la solution que vous avez choisi de retenir ; nous le regrettons.
Les charges demeurent et vous créez le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, un crédit d’impôt sur les sociétés. Par nature, ce dispositif est complexe et ses effets seront différés : il n’a donc rien à voir avec une baisse directe des charges. En fait, pour compenser la perte de recettes, vous comptez sur deux choses : d’une part, sur la fiscalité locale, qui augmentera en raison de la baisse des dotations aux collectivités territoriales – et, pour le département, du fait du poids des prestations sociales –, d’autre part, sur une augmentation de la TVA prévue dès le 1er janvier prochain.
Enfin, en lieu et place d’une réforme systémique des retraites, c’est à une nouvelle réforme paramétrique que nous devons nous attendre. On parle d’augmenter la durée de cotisation et les taux, on parle de désindexation, mais rien n’est annoncé sur les régimes spéciaux, qui choquent pourtant nombre de nos concitoyens. En un mot, nous avons peur que la boîte à outils ne devienne un bric-à-brac ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Dallier. Bravo !
M. Gérard Roche. Et qu’en sera-t-il quand il faudra financer la dépendance ? Dans ces conditions, monsieur le ministre, ma question est simple : quelle est votre vision d’ensemble du financement de la protection sociale ?
M. Jean-Louis Carrère. Question facile !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la ville.
M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l’égalité des territoires et du logement, chargé de la ville. Monsieur le sénateur, avant de répondre à votre question, je tiens à exprimer la solidarité du Gouvernement – à laquelle, je le sais, s’associe la Haute Assemblée – à l’égard des victimes des inondations qui frappent notre pays. Cet après-midi, M. le Président de la République se rendra dans la région Midi-Pyrénées pour réaffirmer cette solidarité active.
Monsieur le sénateur, vous venez de dresser un vaste panorama de la vie sociale de notre pays. Vous savez que M. le Premier ministre et une partie des membres du Gouvernement participent actuellement à la conférence sociale, qui est un moment important de la vie démocratique de notre pays, comme vous l’avez vous-même souligné. Pendant deux jours, deux cents participants, membres d’organisations syndicales et patronales, mais aussi représentants des collectivités territoriales, vont débattre de l’ensemble des sujets que vous avez évoqués.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre, il ne s’agit pas d’une « grande messe » de plus, mais bien de l’illustration de la méthode du Gouvernement : cette conférence est un vrai moment de dialogue et de négociation, permettant de dégager des compromis sur les enjeux majeurs de la vie sociale de notre pays, en concertation avec les fameux corps intermédiaires, si souvent décriés ces dernières années !
La dernière conférence sociale avait permis d’aboutir à des résultats, entre autres un accord majoritaire sur l’égalité hommes-femmes dans la fonction publique. Aujourd’hui, le Gouvernement a voulu placer cette deuxième conférence sous le signe de la mobilisation pour l’emploi : la majorité des tables rondes seront consacrées non seulement à la réforme de la formation professionnelle, mais aussi à l’amélioration des conditions de travail des salariés.
La grande conférence sociale sera également un temps de concertation sur notre modèle social, les services publics et, bien entendu, la préservation de notre protection sociale. Le rapport Moreau a été rendu la semaine dernière. La concertation va être lancée aujourd’hui : une table ronde sera entièrement consacrée à la question de notre protection sociale et toutes les pistes de réflexion, tous les aspects du financement y seront abordés. À l’issue de cette concertation, vous serez saisis de réformes législatives importantes, permettant de préserver notre modèle social dans la justice, j’insiste sur ce dernier mot.
Ainsi, le dialogue social et la démocratie parlementaire se compléteront et j’espère, monsieur le sénateur, que vous serez au rendez-vous, avec votre groupe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
exception culturelle
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Madame la ministre de la culture, il y a quelques mois, ma collègue Catherine Tasca vous avait interrogée sur la position du Gouvernement quant à l’exclusion du secteur audiovisuel des domaines de discussion entre la Commission européenne et les États-Unis en vue d’un futur accord de libre-échange transatlantique. Vous lui aviez alors répondu, avec force, que le Gouvernement était déterminé à défendre l’exception culturelle.
Cet engagement n’avait rien d’une posture : parce que la France a su parler d’une seule voix, et d’une voix forte, notre pays a finalement obtenu gain de cause. Nos voisins européens se sont, en effet, progressivement ralliés à notre position visant à exclure l’audiovisuel du champ des négociations et à rappeler ainsi un principe intangible : l’exception culturelle européenne ne se négocie pas ! En effet, la culture ne saurait être une marchandise comme les autres.
Pourtant, l’un des plus hauts responsables européens, le président de la Commission européenne, a contesté ce principe d’exception culturelle. M. Barroso a fait ressurgir la polémique en parlant de « ce programme anti-mondialisation […] totalement réactionnaire ».
Madame la ministre, ces propos sont inacceptables à un double titre.
Tout d’abord, ce n’est pas seulement la position de la France qui est attaquée, mais également celle des autres États-membres que nous avions convaincus et du Parlement européen lui-même, car les députés de Strasbourg, seuls représentants élus par le peuple européen, ont approuvé le principe de la défense de l’exception culturelle le 23 mai dernier.
Ensuite, M. Barroso outrepasse à l’évidence son mandat. Il faut rappeler que le président de la Commission européenne est censé faire respecter les traités, y compris pour ce qui le concerne lui-même. Manifestement, il ne comprend pas pourquoi nous défendons avec passion l’exception culturelle. Madame le ministre, il faut dès lors le lui rappeler et réaffirmer que la France et l’Europe ne s’opposent pas à ce que les cultures de tous les pays et, en premier lieu, la culture américaine, puissent souffler librement. Nous nous inquiétons simplement d’une tendance à la marchandisation généralisée, comme si toutes les productions, y compris celles de l’esprit, devaient se soumettre aux lois du marché.
On sait par exemple que, dans le domaine du cinéma, la Commission souhaite réviser les règles de la territorialisation des dépenses, notamment celles qui sont relatives à l’origine des biens et des services. Cette réforme remettrait complètement en cause les politiques publiques d’aide aux secteurs cinématographique et audiovisuel.
En conclusion, madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que le mandat de négociation sera bien respecté par la Commission européenne ? Quelles initiatives le Gouvernement entend-il prendre pour s’en assurer ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur Roland Ries, vous l’avez dit, la France a obtenu une grande victoire : un mandat très clair a été confié la semaine dernière à la Commission européenne pour exclure de l’accord de libre-échange avec les États-Unis les produits culturels et audiovisuels.
Ce mandat, quoi qu’en disent certains – fût-ce le président de la Commission européenne lui-même ! –, est définitif et la Commission ne pourra pas le remettre en cause. Évidemment, elle peut demander de nouvelles directives aux États-membres, mais ceux-ci devront alors se prononcer de nouveau à l’unanimité et la France, comme elle l’a fait par la voix de Nicole Bricq vendredi dernier, s’opposera à toute remise en cause de l’exception culturelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
C’est une victoire, non seulement pour la France, mais aussi pour la diversité culturelle en Europe ! Comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, nous n’étions pas seuls : le vote du Parlement européen en faveur de l’exception culturelle, à une écrasante majorité, a été déterminant, de même que la position du Parlement français. En effet, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité, la semaine dernière, une résolution relative au respect de l’exception culturelle.
Nous bénéficions aussi du soutien de nombreux artistes, de cinéastes, de professionnels de la musique et des ministres de la culture d’une quinzaine de pays européens. Nous avons donc remporté une belle victoire en faveur de la diversité culturelle.
Nous continuerons ce combat contre la volonté de la Commission européenne de « détricoter » ce qui fonctionne. Le secteur de la communication et du cinéma offre l’exemple d’une évolution qui nous inquiète : aujourd’hui, les États, comme les régions, doivent pouvoir continuer à investir dans le cinéma. Pour cela, nous devons conserver des règles de territorialisation des aides, évidemment compatibles avec le marché intérieur, mais ne remettant pas en cause la possibilité, pour les États ou les collectivités locales, d’investir dans le cinéma.
Il s’agit d’un enjeu majeur. C’est pourquoi, avec l’Allemagne, la Belgique et l’Autriche, la France a demandé à la Commission européenne de revenir sur la date butoir du 28 juin pour rendre son texte sur la communication et le cinéma. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)
mise en œuvre de la formation des enseignants dans les futures espe
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Ma question s’adresse à M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale.
Monsieur le ministre, la navette parlementaire du texte tendant à créer les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, s’achève. Pour que les formations soient effectives dès la rentrée de 2013, leur préparation a été utilement anticipée, mais les informations qui nous reviennent sur les travaux relatifs à l’accréditation des ESPE suscitent des craintes. Trois points appellent notre vigilance : les contenus pédagogiques, les intervenants et les moyens.
En ce qui concerne les contenus, les maquettes des masters « métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » présentées dans les différentes académies nous amènent à nous interroger sur la place effective de l’enseignement professionnel pratique. La double tutelle ministérielle ne saurait donner priorité à la seule approche disciplinaire, aux dépens de nécessaires mises en situation suivies d’analyse. Pour les futurs professeurs, le changement doit être perceptible.
Par ailleurs, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école énonce des cadres de contenus, à ce jour absents des maquettes, parmi lesquels l’élaboration des parcours artistiques et culturels, la pédagogie coopérative, l’utilisation du numérique comme outil de travail collectif et la résolution non violente des conflits.
En ce qui concerne les intervenants, j’attire votre attention sur l’absolue nécessité de laisser une place aux formateurs qui gardent une activité d’enseignement en primaire ou secondaire. Ils semblent pour l’instant écartés au profit des universitaires et des professeurs d’IUFM à temps plein. Il reste aussi à construire les interventions coordonnées des acteurs de l’éducation populaire, ainsi que de l’éducation culturelle et artistique, conformément à la volonté du Parlement.
En ce qui concerne les moyens, la création des ESPE au sein des universités nécessite de réaffirmer qu’elles disposent de leur propre budget et ne servent pas de variable d’ajustement. Monsieur le ministre, quelle forme prendra votre demande aux universités pour qu’existe un volet réel de professionnalisation ? Comment comptez-vous être garant, au sein de la cotutelle, des avancées que représentent les ESPE telles que nous les avons conçues dans la loi ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de l’UDI-UC.)