M. Jacques Chiron. Bravo !
M. Michel Savin. Continuez comme ça, ça marche !
M. Jacques-Bernard Magner. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que le groupe socialiste soutient et votera votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 22 de ce projet de loi traite des études médicales. Prévoir une possibilité de réorientation des étudiants quelques mois après leur inscription me paraît être une bonne chose, mais c’est sur le numerus clausus que portera mon intervention.
Plusieurs doyens de facultés françaises de médecine ont affirmé que, dans certains pays, le cursus médical était d’un niveau inférieur à celui du nôtre. Cela interpelle, compte tenu du principe de reconnaissance européenne des diplômes. Pendant ce temps, les médecins formés en France partent vers d’autres pays, notamment le Canada ou l’Allemagne : c’est le « grand mercato », comme l’écrivait récemment une analyste.
Ceux de nos étudiants en médecine qui sont recalés au terme de la première année malgré des notes satisfaisantes sont contraints de suivre un autre cursus en France, qu’ils réussissent d’ailleurs souvent, ou des études de médecine non sélectives dans d’autres pays.
M. Jacques Legendre. Eh oui !
M. René-Paul Savary. Il n’y a pas de justice dans l’accès à la formation.
Depuis trop longtemps, les gouvernements successifs partent de l’idée que plus il y a de médecins, plus cela coûte cher à la sécurité sociale. Or la féminisation de la profession, la réduction du temps de travail, l’évolution des mentalités, la conciliation réclamée entre vie professionnelle et vie familiale, l’évolution du secteur médico-social, la protection maternelle et infantile, la pédopsychiatrie, la codification des actes dans les hôpitaux, les spécialisations des médecins – par exemple, dans la reconnaissance du handicap –, l’alourdissement des tâches administratives, les récupérations obligatoires des gardes de nuit – et j’en oublie sûrement – sont des facteurs qui auraient dû inciter à pratiquement doubler le numerus clausus, en particulier dans les régions peu denses. Je pense ici à la région Champagne-Ardenne et bien entendu à l'université de Reims Champagne-Ardenne.
Réduire le nombre de reçus aux stricts besoins nationaux n’est pas suffisant. La qualité de notre formation est internationalement reconnue, alors profitons-en !
Madame la ministre, nous ne pouvons plus accepter de faire appel à des praticiens étrangers ayant une formation différente, parfois moins bonne, alors que, parallèlement, certains de nos étudiants sont éliminés par un concours débouchant sur une sélection trop drastique. Il faut donc impérativement revoir le numerus clausus.
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. René-Paul Savary. Le mode de sélection des candidats à la deuxième année de médecine ne doit pas porter uniquement sur les matières dures que sont la physique, la chimie ou les statistiques. La psychologie ou l'apprentissage de l’empathie et de l’écoute sont tout aussi indispensables pour faire de bons médecins, tout comme pour faire de bons ministres d’ailleurs. (Sourires.) En somme, il faut davantage d’humain dans un monde où nos étudiants doivent être forts, tant scientifiquement que moralement et psychologiquement.
Telle est la raison pour laquelle il convient de former différemment ces étudiants et, surtout, de leur laisser la liberté d’installation pour que leur vocation – si elle existe – puisse s’exprimer en fonction de l’expérience acquise lors de leurs études.
De même, il est nécessaire d’ouvrir ce concours en fin de première année à d’autres formations paramédicales, afin de réduire le nombre d’échecs et de valoriser des professions indispensables à la société. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à soutenir les amendements allant en ce sens, qui seront brillamment présentés par Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en tant que membre de la commission des affaires économiques, saisie pour avis, je me contenterai d'évoquer la problématique de la recherche, qui doit constituer – d'autres l'ont dit avant moi – le fer de lance d’une stratégie au service du redressement économique et industriel du pays. Nous parlons ici de la construction d’un nouveau modèle français. Ce choix a été entériné par la majorité qui s’est dégagée lors des dernières élections législatives et, auparavant, par le résultat de l’élection présidentielle.
Le Président de la République a très clairement fixé un cap. Parce que nous somme soumis à une concurrence internationale vive et sans pitié, ce cap n’est pas facile à tenir. Il s'agit donc de bâtir à partir de l'existant une recherche charpentée, novatrice et, autant qu’il est possible, préparant l'avenir.
Plusieurs orateurs l'ont évoqué avant moi, nous ne pouvons pas faire l'impasse sur le constat – que la Cour des comptes relève d'ailleurs dans un rapport publié le 10 juin dernier – suivant lequel notre pays se trouve dans une situation paradoxale : figurant au sixième rang mondial des publications scientifiques et à la quatrième place européenne pour les dépôts de brevets, la France ne se classe qu’au quinzième rang mondial en matière d’innovation – certains indicateurs sont même encore moins bons. Cet écart révèle donc, dans le pire des cas, une déperdition et, dans le meilleur des cas, un manque de valorisation de notre recherche dans le cadre de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler les transferts de résultats.
En résumé – si vous me permettez une métaphore rugbystique –, notre pays sait marquer des essais, mais il peine à les transformer !
M. Jacques Chiron. Belle image !
M. Jean-Jacques Mirassou. Ses performances, pourtant plus qu’honorables, méritent donc d’être boostées.
Dans le même temps, si la recherche doit trouver des débouchés économiques, elle ne doit pas pour autant – cela aussi a été dit – être assujettie à ce seul objectif. La recherche fondamentale, dans ce qu’elle peut avoir d’universel, doit jouer son rôle au service de la société dans des registres déconnectés d’une application économique ou industrielle et, d'une façon générale, de toute logique prosaïque de profit.
Mes chers collègues, soyons nombreux à revendiquer l'héritage des Lumières et des encyclopédistes ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Il revient également aux services publics de remplir cette mission en affichant ici aussi, selon moi, une spécificité française. C’est pourquoi il ne saurait être question d’opposer recherche appliquée et recherche fondamentale, ce qui serait contre-productif.
Ce préalable étant posé, il est clair que nous devons globalement faire mieux. Cette amélioration passe, madame la ministre, par la réforme que vous nous proposez dans un contexte qui est, par nature, en constante évolution. D’ailleurs, ce ne sont pas moins de sept textes qui ont été adoptés en cinquante ans sur le sujet. Ils illustrent, à eux seuls, la difficulté qu’il y a à réformer ce secteur.
Cette difficulté se traduit dans des structures et des demandes de financement émiettées. Elle a parfois pour résultat des contre-performances, comme l’inadéquation des programmes de recherche développés en France au regard des priorités définies dans le cadre de l’Union européenne.
Au total, le retour sur investissement de l’effort financier important fourni par l’État en faveur de la recherche se trouve réduit de manière préoccupante. Un État qui acquitte en effet l’essentiel des 2,24 % du PIB consacrés à la recherche et au développement en France, le secteur privé, pour filer encore la métaphore rugbystique, se contentant trop facilement de faire les bordures ou de contribuer insuffisamment à ces dépenses.
Cette situation exige une amélioration et une simplification de la gouvernance, comme vous nous le proposez, madame la ministre. Elle exige également la mise en place d’un véritable pilotage de la recherche au service de choix stratégiques à même de servir l’intérêt national.
L’article 11 du texte répond d’une manière précise à ces objectifs. Déclinée en huit thématiques, cette stratégie est élaborée et révisée sous l’autorité du ministre – ou de la ministre – chargé de la recherche.
Parce que je ne peux pas être exhaustif, j’insisterai particulièrement sur l’installation auprès du Premier ministre du fameux Conseil stratégique de la recherche chargé d’élaborer, de faire appliquer et d’évaluer l’agenda stratégique de la recherche dans notre pays.
Je mentionnerai également le schéma régional de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, créé à l’échelon territorial, qui porte l’ambition de la complémentarité et de la continuité entre le niveau national et le niveau régional, au plus près des préoccupations, des réalités et des atouts locaux.
Le texte fait enfin du transfert de la recherche vers le monde économique un objectif général et introduit la notion d’innovation.
Dans un autre registre, l’article 55 oblige les chercheurs publics à déclarer leurs inventions à leurs employeurs, ces derniers ayant ensuite le devoir de les breveter et de les valoriser. Cela semble logique et cohérent.
Madame la ministre, mes chers collègues, voilà en bref autant de mesures qui, à l'évidence, vont dans le bon sens. Je pense très sincèrement que ce texte devrait permettre à notre pays de gagner en efficacité dans le domaine, si important pour son avenir, de la recherche.
La discussion qui nous attend et les amendements qui seront présentés par les uns et les autres contribueront sans doute à améliorer le projet de loi. Est-il besoin de vous préciser, madame la ministre, que c’est l’objectif que nous poursuivons et que nous resterons, tout au long des débats, à vos côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’enseignement supérieur et la recherche concernent la jeunesse et l’avenir de notre pays. C’est pourquoi nous déplorons que ce texte nous soit présenté dans la plus grande précipitation, le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée, inscrivant ainsi sa discussion par la Haute Assemblée dans un temps programmé.
Le projet de loi est loin de recueillir un large consensus auprès de la communauté universitaire et de la recherche et il fait l'objet de vives critiques sur l’ensemble de l’échiquier politique. Son adoption par l’Assemblée nationale a plutôt relevé de la discipline de groupe que d’une véritable adhésion.
De quoi s’agit-il ? Ce texte a pour objet la stratégie, l’organisation et les structures de l’enseignement supérieur et de la recherche publique. Il s’agit bien en effet d’un projet de loi d’orientation et non de programmation. Ce choix délibéré du Gouvernement le dispense donc de traiter de la question des financements.
Toutefois, la question de l’avenir de nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche n’est pas seulement budgétaire. Elle renvoie aussi au mode de sélection des étudiants, aux moyens effectifs de lutter contre les inégalités d’accès aux études supérieures, à la situation matérielle des étudiants, aux relations structurelles avec le monde économique et avec les collectivités locales.
L’université de demain doit s’adapter à la modernité afin de répondre aux besoins fondamentaux de formation en fournissant, notamment, des enseignements pour les nouvelles économies, sans oublier la constitution d’un socle culturel ou sa préservation. Je fais ici référence à la langue française et à sa place dans notre enseignement supérieur.
L’article 2, dans sa rédaction initiale, étendait si largement les exceptions qu’il remettait en cause l’esprit même de la loi Toubon, en légalisant la possibilité de dispenser en France, à des étudiants francophones, des enseignements intégralement en anglais.
L’Assemblée nationale a limité la portée de ces exceptions en précisant que les formations ne doivent être que partiellement proposées en langue étrangère. Cependant, la distinction entre étudiants francophones et non francophones n’est pas établie. L’adoption de l’amendement Legendre, que j’ai cosigné, permettrait de préciser les choses.
II convient de trouver la juste harmonie entre la préservation du français, sa place dans l’enseignement supérieur et l’ouverture la plus large possible de nos universités au monde. Les étudiants non francophones doivent pouvoir suivre des cours en anglais, mais ils doivent aussi apprendre le français et être sensibilisés à notre culture.
Le programme européen d’échanges Erasmus – c'est l'occasion de le citer –, dont le succès ne se dément pas depuis plusieurs décennies, pourrait, lui aussi, être amélioré.
Nos universités doivent être compétitives et attirer les étudiants en quête d’excellence. Face aux importants défis de la modernité et de la compétitivité que doivent relever notre enseignement supérieur et notre recherche, il est indispensable de se dégager de la vision hexagonale que vous nous proposez afin que les établissements d’enseignement supérieur et de recherche puissent atteindre un niveau de qualité soutenant la comparaison au niveau international et ne pas être en décalage avec les établissements situés en Europe et dans le reste du monde. Ces objectifs majeurs concernent d’ailleurs tous les pays d’Europe et sont au cœur de l’agenda politique et des stratégies nationales des autres pays européens.
Les universités et les établissements d’enseignement supérieur ne doivent pas tous se ressembler. C’est malheureusement ce que vous imposez avec ce texte, alors que notre université mérite d’être dynamique et pluraliste.
Là où la loi LRU avait procédé par incitation afin de permettre le développement de stratégies originales susceptibles de déboucher sur des projets innovants, votre vision ne fera qu’augmenter les lourdeurs dans la prise d’initiative des acteurs. Je fais ici allusion, madame la ministre, au nouveau mode de gouvernance des universités que vous proposez. L'organisation bicéphale que vous envisagez, en créant des conflits potentiels entre le président du conseil d’administration et le président du conseil académique, bouleverse et rigidifie les modalités de fonctionnement des universités au risque de briser la dynamique que nous avions engagée depuis cinq ans.
Vous souhaitez également supprimer les PRES, qui avaient été créés pour constituer des champions de la formation et de la recherche en associant les meilleurs établissements, pour les remplacer par des communautés d’universités et d’établissements, dans une logique territorialisée, au mépris de l’autonomie des établissements et de leur rayonnement, qui doit pouvoir être national et international. Cela montre clairement que vous avez le souci de défaire ce qui a été réalisé au cours des cinq dernières années.
Que prévoyez-vous pour que l’enseignement supérieur et la recherche prennent pleinement leur part pour améliorer la compétitivité de notre pays dans un monde globalisé et donc concurrentiel ? Le projet de loi n’apporte pas de réponse.
Si l’on veut continuer à développer l’attractivité de nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche, il serait pertinent de soutenir et de développer les filières d’excellence.
Il faut aussi miser sur la recherche, le développement et l’innovation. Prenons pour exemple l’agriculture, qui est confrontée à des défis majeurs de production et de durabilité, et ce dans un contexte de crise économique et de croissance de la population mondiale, qu’il faudra bien nourrir.
La complémentarité entre la recherche fondamentale, la recherche finalisée et la recherche appliquée est garante de la compétitivité et de l’adaptation de notre agriculture aux enjeux actuels.
Mme Sophie Primas. C’est vrai !
Mme Colette Mélot. Tel est l’objet d’un amendement que j’ai déposé afin d’intégrer la reconnaissance de la qualification des instituts techniques agricoles et agro-industriels.
Madame la ministre, par ce texte, vous refusez de poursuivre la dynamique et l’autonomie en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Pis, vous mettez un coup d’arrêt à la confiance des acteurs en matière de prises d’initiatives et d’innovation en vigueur depuis 2007, et rien n’est fait pour favoriser la réussite des étudiants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Alors que l’enseignement supérieur a besoin de souplesse et de marges de manœuvre pour se moderniser, le projet de loi multiplie les bonnes intentions, tout comme l’a fait avant lui le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Dans ce contexte, le groupe UMP est très réservé sur le vote qui clôturera l’examen de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Maryvonne Blondin. Quelle surprise !
M. Jean-Claude Lenoir. Quel excellent discours !
M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.
M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, depuis un an, le Gouvernement soumet au Parlement des textes visant le cœur du projet présidentiel : l’emploi et les jeunes. Ce projet de loi, en liant pour la première fois l’enseignement supérieur et la recherche, est l’un d’eux, en particulier dans son effort de rénovation de l’université. Il en fait un lieu d’avenir, de rayonnement et de réussite.
Lieu d’avenir, l’université ne peut l’être sans l’adaptation rendue nécessaire par l’importance du monde numérique. Le projet « France Université numérique » emprunte cette voie en développant les ressources pédagogiques en ligne, et le projet de loi pose un cadre juridique à cette activité relativement nouvelle en France alors qu’elle est incontournable dans les universités américaines.
L’ambition semble réduite – 20 % des cours en ligne –, mais elle n’a pas le même enjeu qu’aux États-Unis, qui fonctionnent avec des formations extrêmement sélectives et très onéreuses que d’aucuns envient parfois pour leur élitisme. En effet, la nouvelle espèce des cours en ligne ouvre un enseignement de masse à un coût réduit, le contraire du modèle des établissements prestigieux qui ne pourront survivre qu’en s’adaptant dans la compétitivité que constitue ce nouveau mode d’enseignement.
À la différence de l’université britannique, l’université française a cette chance d’avoir résisté aux sirènes de la sélectivité : elle offre un enseignement ouvert à tout étudiant diplômé du secondaire, et à un coût réduit.
L’offre numérique sera un outil très précieux pour le développement de l’enseignement supérieur en outre-mer, en particulier pour les grades de master pour lesquels les étudiants doivent entreprendre des études lointaines et coûteuses afin d’accéder au diplôme où les mènent leurs compétences. Le développement des cours en ligne permettra ainsi d’accompagner la mission légitime de chaque pôle universitaire de proposer une série complète de formations.
L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur avait pointé les effets nocifs de cette démultiplication pour l’université des Antilles et de la Guyane, l’UAG : une politique coûteuse au regard des effectifs faibles, la moitié des formations étant en sous-effectif en premier cycle et les trois quarts en second cycle.
La mobilisation d’un contenu numérique est une réponse partielle mais viable à la question que posent l’éloignement géographique et les écarts démographiques à l’enseignement supérieur de demain. Elle est aussi une réponse à la confusion tout universitaire entre carrière, discipline scientifique et cursus d’enseignement.
L’offre numérique est également un lieu de rayonnement pour l’université, et je regrette que le rayonnement de l’enseignement supérieur français se soit en grande partie réduit au débat sur la présence de la langue anglaise. L’université des Antilles et de la Guyane se donne pour mission de rayonner dans l’ensemble de cette région du globe : les vecteurs principaux seront évidemment l’anglais pour la Caraïbe, l’espagnol pour l’Amérique centrale et le portugais pour l’Amazonie.
L’université française ne peut fonctionner dans le vase clos du campus auquel seuls les nationaux de langue française auraient accès. Que ce soit en termes de pédagogie, de formation et de débouché professionnel, l’enseignement supérieur est nécessairement ouvert au monde. Il est sain que le Gouvernement retienne ce principe dans son projet.
L’université est également un lieu de réussite, ce qui n’est pas assez le cas pour les universités des outre-mer, puisque le classement français les place dans les dernières positions du tableau : entre 16 % et 28 % de réussite en licence, alors que la moyenne nationale est de 43 %.
Le Gouvernement propose plusieurs pistes pour renforcer l’accompagnement des étudiants vers l’obtention de leur diplôme de premier cycle universitaire : la spécialisation progressive permettant la constitution d’un projet professionnel et le renforcement des moyens des universités. Si ces deux moyens d’actions sont attendus, constituent-ils une réponse à tous les maux de l’échec en premier cycle ? Il faut, hélas, en douter.
Le renforcement pédagogique est nécessaire lorsque l’on constate l’efficacité des effectifs réduits pour l’apprentissage des méthodes et des connaissances, mais aussi en termes de motivation des étudiants. Malheureusement, cela ne résoudra pas le déficit de professeurs alors que les postes sont vacants. À cet égard, l’université des Antilles et de la Guyane peut encore servir d’exemple puisque plus de 5 % des postes d’enseignants y sont vacants. Cela ne viendra pas non plus remédier au fléchage des postes – comme des autres moyens financiers – confié aux universités autonomes qui privilégient massivement certains sites et en délaissent d’autres. Ainsi, l’UAG ne sort pas grandie de sa gestion des effectifs, préférant doter les pôles guadeloupéen et martiniquais que le pôle guyanais, où le ratio de professeurs pour 1 200 étudiants est de deux, contre quatorze dans les îles.
Ces pistes ne seront pas non plus une réponse à l’échec endémique que constitue l’instrumentalisation de l’inscription universitaire pour obtenir une bourse d’étude, unique filet social, sans intention réelle de formation.
La demande d’intégration en IUT ou en STS chez les meilleurs bacheliers se comprend, tout comme l’initiative du Gouvernement d’ouvrir ces filières aux baccalauréats professionnels. Il paraît cependant difficile de faire l’économie d’une réflexion sur la place laissée à l’université. Celle-ci doit être tournée vers l’emploi ou offrir une formation générale dans les « arts libéraux », historiquement les seuls à nécessiter une formation supérieure.
L’incapacité de l’université à accueillir en son sein les professions supérieures du commerce et de l’industrie se traduit par l’échec des filières censées concurrencer les formations dispensées dans les écoles.
La dégradation symbolique de l’université, choix par défaut des étudiants, ne devrait pas atteindre la formation d’excellence que constitue l’exigeant doctorat. Le système actuel, auquel l’Assemblée nationale apporte une timide retouche, n’offre pas non plus de perspective : le doctorat n’entre pas dans le cadre des formations professionnelles ou administratives conçues sur le mode des écoles. Il reste alors pour cette filière la tentation, finalement rassurante, de ne pas quitter l’alma mater…
Notre société ignore quoi faire de son université ; elle laisse se constituer un mandarinat local qui, ayant délaissé les difficultés de l’enseignement et la rigueur de la recherche, se complaît dans des titres.
Les améliorations notables concernant la gouvernance des universités sont importantes, mais l’essence de l’université est bien dans ses membres. Il s’agit de la seule réelle autonomie de l’université, tant celle-ci restera dépendante de son environnement.
En conclusion, les avancées réelles contenues dans le projet de loi nous invitent à l’approuver. Contre l’idée d’une révolution utopique de l’enseignement supérieur, il est nécessaire de voir dans la confiance placée dans les acteurs eux-mêmes pour prendre en main leur outil une progression de notre capacité de recherche et de formation supérieure. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Berson.
M. Michel Berson. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteurs, j’axerai d’abord mon propos sur la nouvelle ambition de l’État pour la recherche. La recherche technologique et le processus de transfert qui concourt à notre stratégie nationale de recherche et d’innovation constituent l’une des grandes avancées du projet de loi.
La France, forte de la qualité de sa recherche fondamentale, est la sixième puissance scientifique du monde, mais elle n’occupe, avez-vous rappelé, madame la ministre, que la quinzième place pour la recherche technologique et l’innovation. On invente beaucoup dans nos laboratoires, mais on n’innove pas assez dans nos entreprises.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Eh oui !
M. Michel Berson. Or 80 % des emplois créés aujourd’hui, vous l’avez également rappelé, viennent de l’innovation. Il est donc essentiel de développer la recherche technologique, deux fois plus importante en Allemagne qu’en France, et de faire du transfert un impératif pour notre pays.
On doit se féliciter que le transfert des résultats de la recherche en direction de l’économie et de la société soit explicitement mentionné dans le projet de loi. Si le transfert est reconnu comme l’une des missions du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, il ne s’agit pas, bien sûr, d’imposer le transfert à toute la recherche mais de développer le transfert dans les disciplines et les laboratoires concernés essentiellement par les technologies de pointe.
Recherche fondamentale, recherche technologique et innovation ont chacun leur champ : il n’est pas question d’en privilégier un par rapport aux autres ; chacun est utile et nécessaire. Il s’agit simplement de concilier notre ambition pour la recherche fondamentale et notre obligation de répondre aux enjeux économiques, sociétaux et environnementaux de notre temps grâce, précisément, au transfert des résultats de la recherche vers l’économie et la société.
Avec sa stratégie nationale de recherche et d’innovation que porte le projet de loi, l’État volontaire, devenu stratège, va pouvoir placer la recherche au service de l’innovation et l’innovation au service de l’emploi. Aussi, pour avancer en matière de transfert et d’innovation dans les entreprises, des dispositifs qui incitent les entreprises à développer leurs dépenses de recherche et d’innovations sont-ils nécessaires.
Nous avons créé, l’an dernier, le crédit d’impôt innovation pour les PME ; sans doute faudra-t-il, à l’avenir, l’intensifier. D’autres dispositifs incitatifs devraient également être créés pour favoriser l’embauche par les entreprises privées de jeunes docteurs…