M. Jeanny Lorgeoux. Le pragmatique, c’est saint Thomas !
M. Daniel Reiner. Soyez assuré, monsieur le ministre, que nous jugerons le Livre blanc avec ce pragmatisme-là et que nous serons à vos côtés pour que les actes suivent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat qui vient de se dérouler montre toute l’importance des choix qui sont énoncés dans le Livre blanc et qui définissent la stratégie de défense et de sécurité nationale. Ces choix sont fondamentaux car il y va de notre indépendance et de notre souveraineté, de la sécurité de nos concitoyens et de la défense de nos intérêts en France et dans le monde. Ces choix engagent la nation dans toutes ses composantes.
Cette stratégie a été approuvée par le Président de la République le 29 avril. Il en a confirmé les orientations vendredi dernier 24 mai devant I’IHEDN. Elle nous est présentée aujourd’hui.
Ce débat constitue également une étape dans un processus de participation accrue du Parlement au suivi et au contrôle des questions de défense, domaine traditionnel de l’exécutif, « domaine réservé », disait-on au début de la Ve République. Les décisions annoncées par le Président de la République le 24 mai vont dans le sens d’une plus grande implication parlementaire et d’une plus grande transparence. Je ne peux que m’en féliciter.
Notre commission a engagé sa réflexion sur le futur Livre blanc très en amont, dès le mois d’octobre 2011, alors qu’il n’était question encore que d’une revue du Livre blanc de 2008. En juillet 2012, nous avions adopté dix rapports qui ont été autant de contributions à la commission réunie en août et dont les travaux se sont achevés au début de cette année. Avec Daniel Reiner et Jacques Gautier, nous avons représenté le Sénat tout au long de ses travaux.
Il me semble important de rappeler que ces dix rapports ont été adoptés à l’unanimité par notre commission. Ce consensus qui dépasse les clivages partisans est une des caractéristiques de la commission que j’ai l’honneur de présider. Il témoigne, non d’un affadissement des opinions, ainsi que certains le prétendent, mais, au contraire, d’un esprit de responsabilité dès lors que l’intérêt national est en jeu.
Les décisions qui ont été prises, et qui trouveront leur concrétisation dans la loi de programmation militaire, n’étaient pas évidentes dans le contexte du nécessaire redressement des finances publiques, dont dépend aussi notre indépendance.
Grande était la tentation d’appliquer une logique comptable et de réduire drastiquement un budget qui atteint un peu moins de 10 % des dépenses publiques. C’était oublier que la défense n’est pas une dépense publique comme les autres, puisqu’elle est le garant de notre sécurité et, donc, de notre prospérité, maintenant et dans le futur.
C’est la raison pour laquelle, le 14 mars dernier, nous avions repris à notre compte la célèbre et quelque peu truculente apostrophe de Danton en 1792, en disant qu’aujourd’hui « La patrie est en danger », car sa défense l’est.
Nous avions néanmoins fixé à 1,5 % du PIB le plancher en deçà duquel notre outil de défense et l’influence de notre pays dans le monde connaîtraient un véritable déclassement. Ce cri a été entendu, puisque, fait assez exceptionnel, tous les groupes politiques du Sénat, à l’exception du groupe écologiste, et avec l’abstention positive du groupe CRC, ont solennellement soutenu la position unanime de la commission. Je veux saluer ici l’engagement personnel du ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, qui a mené la bataille du côté de l’exécutif avec le résultat que l’on sait.
L’arbitrage rendu par le Président de la République fait prévaloir l’intérêt supérieur de la nation. Il ne nous étonne pas puisqu’il correspond à ce que le candidat à l’élection présidentielle avait affirmé : la défense n’est pas une variable d’ajustement, mais elle se doit de participer, au niveau adéquat, à l’effort de redressement des finances publiques. Elle est la décision d’un homme d’État, qui rassure nos alliés et crédibilise l’action de la France à l’extérieur.
Cet effort est important. Nous en sommes d’autant plus persuadés que l’un de nos rapports de juillet dernier portait un titre un peu provocateur, mais qui décrivait bien notre réalité : Forces armées : un format juste insuffisant. (M. Jeanny Lorgeoux acquiesce.)
Cet effort porte sur le budget global puisque celui de la défense est maintenu à son niveau actuel, mais il affecte aussi les forces armées, dont la déflation des effectifs devra se poursuivre encore. Un ajustement est nécessaire, incluant une réduction des coûts et du fonctionnement du ministère.
Nous avons, malgré tout, réussi à préserver l’essentiel, à fixer un plancher à la baisse des dépenses militaires. J’insiste sur le mot « plancher », car il est évident que le niveau actuellement arrêté n’est pas suffisant. Il donne, certes, un coup d’arrêt à la dégradation, mais n’a de sens que s’il s’inscrit, à terme, dès que l’environnement économique le permettra, dans une perspective de progression. Nous ne renonçons en aucune façon à l’objectif de consacrer à notre défense 2 % du PIB en norme OTAN ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Jeanny Lorgeoux applaudit également.)
Le chemin passe, nous le savons, par l’Europe et les partenariats. Nous y travaillons dans la perspective du Conseil européen qui sera consacré à la défense en décembre prochain. Ce sera, du reste, le thème central de nos prochaines universités d’été de la défense qui se tiendront en septembre, à Pau, et auxquelles j’ai l’honneur de vous inviter à participer nombreux ! Notre commission entend être une force de proposition en vue de ce Conseil. Il faut, comme vous le disiez, monsieur le ministre, que la France tire le meilleur parti, pour sa défense, de la construction européenne et de son insertion au sein d’alliances. Il faut être pragmatique. (M. le ministre de la défense opine.)
Pour autant, nous sommes bien conscients que le débat d’aujourd’hui est une étape importante, mais une étape dans un processus qui va demander toute notre vigilance, cher Xavier Pintat, dans les mois et les années à venir. Mais le cap est fixé par le Président Hollande : « assurer le meilleur entraînement, le meilleur équipement, le meilleur renseignement pour nos armées ».
La loi de programmation militaire sera présentée à l’Assemblée nationale en octobre, puis au Sénat. Nous serons particulièrement attentifs à ce que les orientations arrêtées dans le Livre blanc soient scrupuleusement respectées. Mais je sais, monsieur le ministre de la défense, que vous y veillerez. En particulier, il faut que nous disposions d’une garantie que les recettes exceptionnelles, qui doivent permettre, tout au long de la programmation, le respect des décisions du Président de la République, soient bien au rendez-vous. Je veux dire ici à Mme Aïchi que les recettes exceptionnelles prévues dans la précédente durée du Livre blanc ont été encaissées, même au-delà des 3 milliards d’euros qui étaient indiqués, et ne se sont donc pas résumées à 900 et quelques millions d’euros.
Il est clair, dans mon esprit, que, si les recettes exceptionnelles ne pouvaient se réaliser conformément à ce qui sera inscrit dans la loi, ce sera au budget général, sous la forme d’une réserve, comme pour ce qui concerne les OPEX, ou sous toute autre forme, d’abonder à due concurrence.
Selon moi, il sera également nécessaire d’inscrire une clause de contrôle en 2016,…
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. … afin de dresser un bilan et de tirer les conséquences de l’exécution de la loi de programmation militaire. Je n’aurai pas la cruauté de rappeler l’exécution des précédentes lois de programmation militaire : elles étaient toutes en situation de dérive assez substantielle.
Nous serons aussi très attentifs à l’ensemble des questions relatives aux personnels, et ce sous deux angles : le premier concerne les mesures protectrices pour éviter une judiciarisation excessive – il ne s’agit pas là que d’un process de défense, il s’agit aussi d’un process de sécurité nationale – ; le second est relatif aux mesures d’adaptation sociale qui ne manqueront pas d’accompagner les restructurations nécessaires.
Donnons-nous pour objectif que cette programmation soit, pour la première fois, pleinement respectée. Telle est l’exigence du Président de la République, qui déclarait le 29 avril dernier : « Ce que j’exige, c’est que les engagements que nous prenons soient respectés sur la durée – j’allais dire au moins des cinq prochaines années, parce qu’elles nous obligent. Cela marquera une certaine évolution […] par rapport au passé. »
Vigilants, nous devrons l’être aussi au moment de l’examen et du vote des lois de finances, j’en suis tout à fait d’accord, mes chers collègues. Ce sera bien évidemment le cas pour le budget de 2014, qui constituera la première annuité de la programmation.
Mais, au-delà, c’est sur l’exécution que porteront toute notre attention et tout notre contrôle en la matière afin que des décisions de gestion, en cours d’exercice, ne viennent pas « détricoter » ce qui a été préalablement décidé.
Vous le voyez, mes chers collègues, beaucoup de travail nous attend et nous avons encore de nombreux combats à mener. Sachez, messieurs les ministres, que notre commission tout entière est mobilisée en ce sens.
C’est dans cet état d’esprit fait de satisfaction et de vigilance que nous approuvons la stratégie de défense et de sécurité nationale qui nous est proposée dans le Livre blanc.
Vous l’avez compris, Messieurs les ministres, nous sommes soulagés et nous vous remercions de vos décisions ; nous serons à vos côtés si vous respectez la parole donnée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux, au terme de ce débat, remercier les uns et les autres de la qualité des interventions que nous avons entendues et de la pertinence de celles-ci.
Mes remerciements vont tout particulièrement à Daniel Reiner, à Jacques Gautier ainsi qu’au président Carrère, qui ont siégé au sein de la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, à laquelle ils ont apporté leurs contributions, souvent très argumentées. Concernant le déroulement des travaux, je partage certaines de leurs remarques, y compris sur le temps de latence qu’ils ont constaté à un moment donné.
Contrairement à ce qu’a affirmé M. Jacques Gautier, il n’était pas évident d’obtenir l’engagement financier tel qu’il a été indiqué. Des débats et des négociations ont eu lieu avant le choix du Président de la République.
La tâche était très difficile. En effet, l’enjeu était à la fois de tracer des perspectives stratégiques et de tenter de résoudre deux impératifs de souveraineté, sur la durée.
Le premier impératif avait trait à la souveraineté budgétaire. Les crises économique et financière successives que nous avons traversées font peser sur notre dette une pression inédite. Le règlement de la dette est devenu un enjeu de souveraineté.
Le second impératif était lié à la nécessité de garantir notre souveraineté stratégique en raison de l’ampleur des bouleversements géopolitiques et géostratégiques intervenus depuis 2008.
Face à la diversité des menaces pesant sur notre sécurité, il fallait éviter de baisser la garde, même s’il était sans doute nécessaire d’apporter quelques inflexions aux orientations du Livre blanc de 2008.
Il nous fallait donc résoudre une équation très difficile, qui supposait, si elle était validée, des engagements financiers définitifs et garantis.
Monsieur Jacques Gautier, les discussions budgétaires et financières se sont poursuivies pendant toute la durée des travaux, jusqu’à l’arbitrage opéré par le Président de la République. Par conséquent, je suis tenté de dire en cet instant que tous les propos entendus alors sur les risques de déclassement financier et budgétaire sont aujourd'hui passés à l’arrière-plan.
On avait dit : la défense ne sera pas une variable d’ajustement. Elle ne l’est pas ! On avait également dit : la défense contribuera ni plus ni moins à l’effort de redressement des comptes publics. Elle y contribue plutôt moins que d’autres départements ministériels.
C’est donc un résultat équilibré que le Président de la République a approuvé au terme des travaux de la commission du Livre blanc.
Ainsi, le budget de la défense est stabilisé à hauteur de 31,4 milliards d’euros, non pas uniquement pour l’année 2014, monsieur Chevènement, mais pour les années 2014, 2015 et 2016.
La loi de programmation militaire qui sera débattue ici à l’automne prochain prévoira l’inscription dans le temps des engagements capacitaires et financiers. J’espère qu’il sera possible d’inscrire une révision de la trajectoire à la fin de l’année 2016, pour constater une reprise de la croissance et, donc, une situation meilleure.
Avec ces engagements, monsieur le président Carrère, en norme OTAN, nous consacrerons 1,76 % du PIB à la défense. Vous y avez vous-même fait référence. En effet, concernant le pourcentage du PIB, il y a une série d’écoles. Pour ma part, je m’en tiens à celle-là, parce qu’elle nous permet de comparer avec d’autres pays. Certains souhaitent, comme vous-même, que nous puissions aller à un niveau supérieur, et même jusqu’à 2 % en norme OTAN. Nous nous en tenons à 1,76%, mais c’est beaucoup mieux que les références qui étaient diffusées à l’automne dernier.
Cela constitue, me semble-t-il, une avancée significative. Le Livre blanc permet, je le répète, de parvenir à un équilibre.
Le Livre blanc est aussi de nature à maintenir les grandes missions de notre sécurité – une mission de protection, une mission de dissuasion et une mission d’intervention –, ainsi que certains d’entre vous l’ont rappelé au cours du débat.
À cet égard, je répondrai aux orateurs qui se sont interrogés sur les missions de dissuasion et d’intervention.
Je veux le dire à Mmes Demessine et Aïchi ainsi qu’à M. Chevènement, la dissuasion est maintenue dans sa capacité, dans la stricte suffisance. C’est l’une des trois grandes missions assignées à nos armées dans ce Livre blanc, parce qu’elle constitue la garantie ultime contre les agressions ou les menaces d’agression d’origine étatique qui cibleraient nos intérêts vitaux – nous ne pouvons pas les exclure – et permet d’écarter tout chantage qui voudrait paralyser la liberté d’appréciation, de décision et d’action de la France.
Cette mission fondamentale de notre défense est évidemment garantie dans le Livre blanc qui a été proposé. C’est peut-être un point de divergence entre nous, mais je le dis ici avec force.
Concernant le désarmement, je suis tenté de dire que la France a fait son devoir depuis plusieurs années. En effet, nous avons démantelé nos installations de production de matières fissiles, ainsi que nos sites d’essais nucléaires, et réduit notre arsenal à 300 têtes maximum.
Avec les deux composantes, nous sommes dans la stricte suffisance pour assurer la mission de dissuasion que je viens d’évoquer et à propos de laquelle je tiens à réaffirmer le choix fondamental opéré par le Président de la République, un choix qu’il avait d’ailleurs annoncé avant son élection. Cette décision s’inscrit dans la continuité de ce qui constitue les fondamentaux de la défense de notre pays depuis de nombreuses années.
C’est d’autant plus nécessaire maintenant que, dans le panorama géostratégique que nous connaissons, nous devons faire face – M. le Premier ministre l’a affirmé dans son propos introductif – à la fois aux menaces de la force et aux risques de la faiblesse, que l’on a évoqués à plusieurs reprises. S’y ajoute le risque de surprise stratégique, qui a été abordé par M. Pintat.
La meilleure garantie contre l’ensemble de ces risques et de ces menaces, c’est bien la dissuasion, dans ses deux composantes. La situation est désormais claire pour ceux qui s’interrogeaient à cet égard.
Je le sais, mesdames Demessine et Aïchi, certains experts militaires – d’ailleurs, ils l’écrivent – ne partagent pas ce point de vue. Mais le choix est fait, il est maintenu, il est garanti et il sera respecté dans la future loi de programmation et, j’en suis convaincu, dans la loi de programmation suivante.
Concernant les missions d’intervention, certains d’entre vous ont exprimé des inquiétudes sur l’armée de terre et se sont interrogés sur nos capacités d’intervention.
La France est le seul pays qui maintient ses trois missions fondamentales – plusieurs d’entre vous l’ont dit –, et qui possède la capacité d’entrer en premier et de tenir des interventions dans la durée en cas d’opérations de coercition ou de crise.
Avec les 66 000 hommes de la force terrestre projetable, qui sont inscrits dans le Livre blanc et qui figureront dans la loi de programmation, nous permettons la mobilisation de 6 000 à 7 000 hommes dans la durée, projetables et renouvelables, sur deux ou trois théâtres de crise. Dans le même temps, nous pouvons mobiliser 15 000 hommes en cas d’opération de coercition majeure, avec un préavis significatif.
Nous avons donc réduit l’effectif de 30 000 hommes prévu dans le précédent Livre blanc et la précédente loi de programmation, c'est-à-dire sur le papier – on s’est très rapidement rendu compte que cet effectif ne pouvait pas être mobilisé dans son ensemble ! –, à 15 000 hommes, qui s’ajoutent aux 7 000 hommes. On oublie souvent de les additionner !
Pour notre part, nous avançons des chiffres réels ; cet effectif permettra d’assurer le maintien des missions d’intervention dans toute leur diversité, ainsi que le renouvellement des forces projetées. Du reste, ceux qui évoquaient un déclassement stratégique n’en parlent plus : toutes les missions sont maintenues, comme le sont les moyens afférents.
Permettez-moi de formuler une remarque sur les recettes exceptionnelles.
Le maintien des trois missions fondamentales exige une mobilisation financière.
Je n’ai pas les inquiétudes que certains ont pu exprimer quant à la réalité des recettes exceptionnelles qui pourraient être mobilisées au cours des échéances budgétaires à venir.
Tout d’abord, parce que l’exercice budgétaire 2013 montre que les recettes exceptionnelles annoncées, à hauteur de 1,3 milliard d’euros, sont au rendez-vous.
Ensuite, parce que les engagements du Président de la République et du Premier ministre, dans son discours introductif, apportent une garantie sur la durée.
D’où viendront ces recettes exceptionnelles ? De trois sources différentes : les opérations immobilières, les ventes de fréquences et les cessions d’actifs. Ces cessions, qui ne concerneront pas seulement des actifs militaires potentiels, ne pourront être réalisées qu’à la condition que les garanties de souveraineté indispensables soient maintenues dans les industries de défense.
Mon ministère est en train de travailler sur ces trois orientations avec le ministère du budget et le ministère de l’économie et des finances ; nous aboutirons à un résultat qui nous apportera les garanties nécessaires, comme le Président de la République et le Premier ministre s’y sont engagés. Je sais bien qu’on peut toujours s’interroger. Pour ma part, en tout cas, je n’ai pas d’inquiétudes graves.
Je ne pourrai pas, ce soir, répondre à l’ensemble des questions qui m’ont été posées, mais mon assiduité devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat me permettra de compléter mon propos au cours des prochaines semaines.
Monsieur Gautier, j’ai pris bonne note de vos six commandements. (Sourires.)
M. Jeanny Lorgeoux. Six préceptes !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. On pourra les appeler « les commandements du sénateur Gautier ». Parmi ces commandements, le sixième, le plus important, est : Le Sénat, toujours tu écouteras. (Nouveaux sourires.)
Monsieur le président Carrère, j’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt des travaux menés sur votre initiative en anticipation du Livre blanc et de la loi de programmation militaire. Les documents tout à fait essentiels qui en sont issus m’ont amené à prendre un certain nombre d’orientations et de décisions sur lesquelles je voudrais brièvement revenir.
S’agissant d’abord de la recherche, elle est l’une de nos priorités et, comme je l’ai annoncé devant votre commission, elle sera sanctuarisée dans les futurs choix budgétaires. Du reste, j’ai moi-même rehaussé le niveau de ses crédits dans le budget 2013 par rapport au budget 2012, tant il est vrai que j’attache beaucoup d’importance à cette orientation.
Ensuite, je suis très attentif aux propos tenus sur le maintien de la capacité opérationnelle de nos forces, en particulier de leur capacité d’entraînement.
Cette question est un peu liée à celle des pièces de rechange. À cet égard, ce qui importe pour l’avenir, c’est que nos forces aient le bon outil au bon moment et avec des soldats, des aviateurs ou des marins bien entraînés ; les trois conditions en même temps. Or un risque existe, que certains orateurs ont signalé et dont je suis conscient : le risque que nous soyons trop sous la pression du « plus technologique ». (M. Daniel Reiner acquiesce.) Si nous n’y prenions garde, nous pourrions progressivement constituer une armée d’échantillons de haut niveau, certes, mais qui ne serait qu’une armée d’échantillons. Ce n’est pas d’une telle armée que nous avons besoin !
Sans doute, l’excellence technologique est nécessaire dans un certain nombre de domaines – j’y reviendrai –, mais nous avons surtout besoin de capacités de réaction et d’intervention composées de militaires en mesure de remplir leur mission. Parfois, un matériel robuste vaut mieux que le modèle le plus pointu exposé au dernier salon.
M. Daniel Reiner. En effet !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Cet équilibre qu’il nous faut trouver, on l’appelle la différenciation ; le Livre blanc adopte cette logique et vous la retrouverez dans la loi de programmation militaire.
Il est certain que cette orientation aura une incidence sur notre potentiel industriel, que le président Carrère et plusieurs autres orateurs ont souligné la nécessité de garantir : elle entraînera un allongement des délais en matière industrielle. Cependant, nous avons veillé à ce que les choix proposés dans le Livre blanc ne provoquent aucune rupture dans la capacité de production des différentes industries d’armement françaises, qui sont très performantes et qui ont une capacité d’exportation très importante. Il y aura certes un ralentissement des commandes, mais, dans tous les secteurs industriels, l’ensemble des capacités seront maintenues.
L’exemple du Tigre illustre très bien le sens de la différenciation. Aujourd’hui, nous avons beaucoup de Tigre, mais certains ne peuvent pas être utilisés, faute de pièces de rechange. La logique que nous voulons mettre en œuvre est inverse : il vaut mieux avoir moins de Tigre avec plus de pièces de rechange !
Plusieurs orateurs ont également abordé la question des drones. Dans ce domaine, le choix a été fait par mes soins, au moment où j’ai pu avoir une lisibilité budgétaire et financière suffisante pour décider. Acquérir sur étagères des drones américains, c’est aujourd’hui indispensable sur le plan capacitaire. (M. Jeanny Lorgeoux acquiesce.) Songez qu’au Mali, nous sommes dépendants en grande partie de la bonne volonté des Américains, qui nous fournissent les informations issues de leurs drones de nouvelle génération.
Il n’y avait pas de disponibilité technologique au niveau en France et en Europe ; c’est un fait et je n’y suis pour rien. Il fallait agir rapidement pour combler notre lacune et nous l’avons fait. Seulement, au moment où nous le faisons, nous insistons aussi sur la nécessité de préparer dès à présent les drones Male de nouvelle génération. (M. Jacques Gautier acquiesce.)
Cet objectif requiert une mobilisation des acteurs industriels, mais aussi de nos partenaires européens qui sont confrontés aux mêmes nécessités que nous. Je pense qu’avec les Britanniques, nous pourrons avancer rapidement sur ce sujet. Je souhaiterais aussi travailler avec les Allemands, mais on ne peut pas attendre tout le monde en même temps : il faut bien s’engager.
Je réponds ainsi à quelques observations tout à fait justes qui m’ont été adressées à propos des drones ; du reste, nous aurons l’occasion de reparler de cette question lors de l’examen de la loi de programmation militaire.
En ce qui concerne l’A400M, il participe au renouvellement de notre capacité de transport. Compte tenu des nombreux retards qu’il a connus, il faut prendre toutes les précautions d’usage. Moyennant ces précautions, tout me laisse à penser que le premier avion pourrait être livré avant le 14 juillet prochain.
À cet égard, M. Reiner a imaginé que nous pourrions mutualiser davantage nos capacités de transport nouvelles. Il s’agirait d’élargir l’European Air Transport Command, l’EATC, c’est-à-dire le commandement commun à la France, à l’Allemagne et au Benelux pour le partage de capacités de transport aérien. Plus précisément, ce commandement, qui nous permet de disposer à Eindhoven d’une capacité d’échange importante, pourrait intégrer une sorte de club de l’A400M, afin de nous permettre d’échanger des capacités de transport avec les sept pays qui ont acquis ou qui vont acquérir cet appareil et de disposer de moyens renforcés et mutualisés. Je suis tout à fait favorable à cette logique parce que c’est, à mes yeux, la manière d’engager l’Europe de la défense.
Monsieur Reiner, vous avez bien voulu souligner que j’étais pragmatique ; en ce qui concerne l’Europe de la défense, je pense que c’est une nécessité. (M. Daniel Reiner acquiesce.) Nous ne pouvons pas reprendre un discours théorique incantatoire sur la mise en place d’une défense européenne.
M. Robert del Picchia. En effet, cela vaut mieux !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Remarquez que, peut-être par une coquetterie de langage, je distingue la défense européenne de l’Europe de la défense. Pour moi, la défense européenne, c’est le concept qui n’a pas réussi. On a essayé de monter, à la fois sur le plan de la théorie et des structures, un dispositif qui n’a pas abouti, constatons-le. C’est donc qu’il faut prendre la question d’une autre manière.
Je suis favorable à l’orientation tracée par le Livre blanc : dans les domaines opérationnel, capacitaire et industriel, la France doit être à l’initiative des dynamiques nécessaires au renforcement de coopérations à deux, à trois, à cinq ou à vingt-sept, selon les cas. Du reste, le Conseil européen qui doit se tenir sur le sujet à la fin de cette année sera peut-être l’occasion pour nous d’avancer nos propositions.
M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !