Sommaire

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

Mmes Michelle Demessine, Odette Herviaux.

1. Procès-verbal

2. Hommage au Conseil national de la Résistance

3. Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. – Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre.

MM. Jacques Gautier, Jacques Berthou, Mme Michelle Demessine, MM. Jean-Marie Bockel, Jean-Michel Baylet, Mme Leila Aïchi.

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin

MM. Xavier Pintat, Jeanny Lorgeoux, Jean-Pierre Chevènement, André Trillard, Gilbert Roger.

MM. Jacques Gautier, pour la commission des affaires étrangères ; Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères ; Daniel Reiner, pour la commission des affaires étrangères.

M. le président de la commission des affaires étrangères.

MM. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense ; Manuel Valls, ministre de l'intérieur.

4. Déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement. – Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi modifiée

Discussion générale : M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation ; Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur de la commission des affaires sociales.

Mme Isabelle Debré, M. Dominique Watrin.

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

MM. Hervé Marseille, Yvon Collin, Jean Desessard, Mme Jacqueline Alquier.

M. Benoît Hamon, ministre délégué.

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

M. Dominique Watrin.

Amendement n° 4 rectifié de Mme Isabelle Debré. – Mmes Isabelle Debré, la rapporteur, M. Benoît Hamon, ministre délégué. – Rejet.

Amendement n° 3 de Mme Isabelle Debré. – Mmes Isabelle Debré, la rapporteur, M. Benoît Hamon, ministre délégué. – Rejet.

Amendement n° 7 de M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme la rapporteur, MM. Benoît Hamon, ministre délégué ; François Rebsamen.

Suspension et reprise de la séance

MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, le président, Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales ; M. Benoît Hamon, ministre délégué. – Retrait.

Amendement n° 9 du Gouvernement. – Mme Isabelle Debré, MM. François Rebsamen, Benoît Hamon, ministre délégué ; Mme la présidente de la commission.

Suspension et reprise de la séance

Amendement n° 9 rectifié du Gouvernement. – M. Benoît Hamon, ministre délégué ; Mmes la rapporteur, Isabelle Debré, MM. Jean Desessard, Dominique Watrin, Jean-Marie Vanlerenberghe. – Adoption par scrutin public.

Amendement n° 1 rectifié de Mme Colette Giudicelli. – Mmes Catherine Deroche, la rapporteur, M. Benoît Hamon, ministre délégué ; Mme Isabelle Debré, M. Hervé Marseille. – Rejet.

Amendement n° 8 rectifié de M. Jean-Noël Cardoux. – M. Jean-Noël Cardoux.

Amendement n° 2 de Mme Isabelle Debré. – Mme Isabelle Debré.

Mme la rapporteur, MM. Benoît Hamon, ministre délégué ; Dominique Watrin. – Rejet des amendements nos 8 rectifié et 2.

Adoption, par scrutin public, de l’article modifié.

Article 1er bis (nouveau). – Adoption

Article 2 (supprimé)

Vote sur l'ensemble

MM. Jean-Noël Cardoux, Hervé Marseille.

Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi, modifiée.

5. Décès d'un ancien sénateur

6. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

Mme Michelle Demessine,

Mme Odette Herviaux.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Hommage au Conseil national de la Résistance

M. le président. Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant d’en arriver à l’ordre du jour de la séance de ce jour, je voudrais, en notre nom à tous, rendre hommage à l’œuvre fondatrice que des hommes et des femmes courageux et épris de liberté ont engagée il y a désormais soixante-dix ans.

En effet, le 27 mai 1943 eut lieu la réunion constitutive du Conseil national de la Résistance, le CNR. Cette date essentielle pour l’unification de la Résistance marqua l’aboutissement de rudes négociations avec les mouvements, les syndicats et les partis républicains, négociations conduites par Jean Moulin, en liaison avec le général de Gaulle, établi à Londres, qui écrira dans ses Mémoires de guerre : « Ainsi, sur tous les terrains et, d’abord, sur le sol douloureux de la France, germait au moment voulu une moisson bien préparée. »

La première réunion du Conseil national de la Résistance rassemble dans la clandestinité des représentants des huit grands mouvements de résistance, de la CGT, de la CFTC et des six principaux partis de la Troisième République.

Comme l’a rappelé Daniel Cordier, « l’union était fragile, comportant des malentendus, des germes de contestations et de conflits ; mais des hommes, que seul le lien patriotique unissait et que tant d’arrière-pensées divisaient, étaient désormais unis pour débattre d’une manière permanente de tous leurs problèmes dans une assemblée où le verbe remplaçait les armes, symbole de la démocratie renaissante ».

Cette date marque à jamais notre histoire, car elle symbolise l’union de ceux qui avaient gardé confiance dans l’avenir de leur pays et qui trouvèrent dans leur attachement à la patrie et aux valeurs de la République le courage et l’énergie du sacrifice. Ils ont posé les grands principes qui fondent notre démocratie économique et sociale, allant du rétablissement du suffrage universel à la création de la sécurité sociale.

Fort de l’appui de l’armée des ombres, le général de Gaulle entama des pourparlers avec le général Giraud et avec les Alliés. Les deux généraux signèrent le 3 juin l’ordonnance instituant sous leur présidence conjointe le Comité français de Libération nationale.

Mais le 21 juin, à Caluire, Jean Moulin, l’architecte de la Résistance, tombait aux mains des nazis. Frappé par ce coup terrible, le CNR poursuivit néanmoins l’œuvre qu’il avait commencée. Il définit et organisa un plan d’action immédiate pour lutter contre l’occupant et le régime de Vichy. Dans son programme d’action, il adopta des mesures à appliquer à la libération du territoire pour rétablir la démocratie et instaurer « un ordre social plus juste ».

Pour ces grands résistants, plus rien ne pouvait recommencer comme avant. Le programme du CNR, qui a inspiré les réformes fondatrices de l’après-guerre, est devenu une référence commune, le socle du modèle social, que vous souhaitez renforcer, monsieur le Premier ministre.

Mes chers collègues, le 28 mars dernier, notre assemblée a adopté une proposition de loi de Jean-Jacques Mirassou relative à l’instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance. Je souhaite que ce texte poursuive son chemin à l’Assemblée nationale, pour que cette date devienne un jour d’hommage national à ces femmes et à ces hommes, connus ou anonymes, qui se sont engagés et ont payé lourdement leur engagement et leur attachement à la liberté. (Applaudissements.)

3

Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser mon départ à l’issue de mon intervention, puisque je dois me rendre, comme le ministre de l’intérieur, à l’Assemblée nationale, pour assister à la séance de questions d’actualité au Gouvernement.

Le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale fait œuvre de vérité et d’ambition. Nous le devions à la France, dont la sécurité est notre priorité absolue. Nous le devions aux Français, unis dans le soutien à ceux qui ont fait le choix de défendre notre pays. Nous le devions à nos armées, à nos soldats, dont l’engagement remarquable doit être accompagné de perspectives claires et confiantes dans l’avenir.

Je l’ai déjà dit à cette tribune, au Mali aujourd’hui, comme hier sur d’autres théâtres, notre armée est l’honneur de la France. Grâce à la valeur de ses officiers et à la qualité de ses soldats, la défense de notre pays est assurée, permettant à celui-ci d’être respecté partout dans le monde. C’est un héritage, et c’est une garantie pour l’avenir. Cet avenir doit se bâtir de manière lucide et responsable.

Il faut d’abord tenir compte de l’évolution du paysage stratégique depuis le Livre blanc de 2008 : la crise économique et financière, les révolutions arabes, l’évolution de la posture des États-Unis, les difficultés que traverse l’Europe, pour ne citer que l’essentiel. Mais il faut également rétablir une véritable cohérence, dans la durée, entre l’analyse des défis auxquels est confrontée notre sécurité et les moyens dont notre pays se dote pour y faire face.

Le modèle dessiné par le précédent Livre blanc nous avait conduits à une impasse. Dès 2011, les plus hauts responsables militaires avertissaient que certains des contrats opérationnels qu’il définissait étaient en pratique inaccessibles. Sur le plan budgétaire, au mois de juillet 2012, la Cour des comptes relevait un écart d’au moins 3 milliards d’euros entre les prévisions et les réalisations et elle soulignait que cet écart ne pouvait que s’accroître de façon vertigineuse, si de nouvelles orientations n’étaient pas prises.

Parce qu’il est de notre responsabilité que la France conserve la maîtrise de son destin, notre devoir impérieux était de définir ces nouvelles orientations. Tel est l’objet du nouveau Livre blanc : il dessine une véritable ambition pour la défense et la sécurité nationale, tout en intégrant pleinement la nécessité d’un redressement des comptes publics, car ce redressement est également une condition essentielle de notre souveraineté.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, notre projet s’appuie sur une analyse sans complaisance des risques et des menaces auxquels la France est confrontée.

Ce sont les menaces de la force, qu’il s’agisse de conflits entre États, dont beaucoup affectent la sécurité de l’Europe, de la prolifération des armes de destruction massive, ou encore du développement par certaines puissances de capacités informatiques offensives.

Ce sont les risques de la faiblesse, conséquences de la défaillance de certains États dans l’exercice des fonctions de base de la souveraineté. Essor des trafics, de la piraterie ou du terrorisme, voire chaos de la guerre civile : dans bien des cas, la sécurité de l’Europe, et donc de la France, est mise en cause.

C’est enfin l’amplification de certaines menaces : la mondialisation facilite l’action des réseaux terroristes ou la prolifération des armes de destruction massive, aggrave la vulnérabilité des systèmes d’information et multiplie les risques naturels, sanitaires ou technologiques susceptibles de désorganiser profondément nos sociétés.

La vérité, c’est que les menaces qui pèsent sur la France et sur l’Europe sont loin d’avoir diminué depuis 2008. Nous apportons à ce constat une réponse non seulement conforme aux exigences de défense et de sécurité de la France, mais aussi à la mesure de nos engagements et de notre place dans le monde.

Nous le faisons en partant d’une définition claire et hiérarchisée de nos priorités. Outre la protection de notre territoire, de nos ressortissants et la continuité des fonctions essentielles de la Nation, celles-ci portent d’abord sur l’environnement de l’Europe, l’Afrique, le Golfe arabo-persique et jusque dans l’océan Indien. Sur tous ces théâtres, la France doit être en mesure, seule ou au sein d’une coalition, de s’engager de manière déterminante, tout en gardant la capacité de contribuer à la paix et à la sécurité internationale partout ailleurs dans le monde.

Le nouveau modèle d’armée que définit le Livre blanc et les missions qu’il permet de remplir répondent en tout point à ces priorités.

Il s’agit, tout d’abord, de garantir la protection permanente du territoire et de la population française, avec les moyens de surveillance aérienne et maritime appropriés et des capacités d’intervention sur le territoire : en cas de crise majeure, les forces terrestres pourront fournir jusqu’à 10 000 hommes en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile.

Il s’agit, ensuite, d’assurer la permanence de la mission de dissuasion. Garantie ultime contre les menaces d’agression qui cibleraient nos intérêts vitaux, elle nous prémunit de tout chantage qui paralyserait notre liberté de décision et d’action. Ses deux composantes, océanique et aéroportée, confortées par le programme de simulation, seront maintenues, dans le respect du principe de stricte suffisance.

À ceux qui en critiquent la pertinence ou même le coût, le Gouvernement répond, comme l’a fait le Président de la République vendredi dernier dans son discours à l’Institut des hautes études de défense nationale, que cette garantie est plus que jamais indispensable dans le contexte stratégique actuel et qu’il n’est pas excessif d’y consacrer un peu plus de 10 % du budget de la défense.

Il s’agit, enfin, de conforter nos capacités d’intervention extérieure. Outre une force de réaction immédiate de 2 300 hommes, les armées, à hauteur de 7 000 hommes, pourront être engagées dans des opérations de gestion de crise internationale sur trois théâtres distincts. À titre de comparaison, c’est plus que les forces que nous avons mobilisées pour le Mali. Nos armées pourront aussi être engagées dans une opération de guerre contre des adversaires dotés de capacités étatiques, à hauteur de 15 000 hommes des forces terrestres, avec les composantes maritimes et aériennes appropriées. Nos forces restent dotées d’une capacité d’entrée en premier dans tous les milieux et d’une capacité à planifier et à conduire ces opérations seules ou au sein d’une coalition.

Le modèle d’armée défini par le Livre blanc est donc cohérent avec la nature et la diversité de ces missions.

Il répond, d’abord, à un principe d’autonomie stratégique. La France doit disposer à tout moment de sa liberté d’appréciation, de décision et d’action pour prendre l’initiative d’opérations qu’elle estimerait nécessaires, comme elle l’a fait en réponse à l’appel à l’aide lancé par le Mali. Elle doit aussi pouvoir assumer son rôle en toute souveraineté, au sein d’une alliance ou d’une coalition. Par ailleurs, ce modèle d’armée repose sur le choix de différencier l’équipement des forces en fonction des exigences propres à chaque type de mission et sur celui de pousser plus loin la mutualisation de capacités polyvalentes et rares.

Le format de nos armées permet de remplir entièrement les missions que je viens d’évoquer. Il porte haut les ambitions de la France dans le monde. Nos alliés ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, saluant le projet que dessine ce nouveau Livre blanc.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne méconnais pas pour autant l’ampleur de l’ajustement que ce nouveau modèle va imposer à l’ensemble du ministère de la défense. Il entraîne une réduction de 24 000 postes par rapport au modèle défini en 2008, diminution qu’il faut mettre en perspective avec les 54 000 suppressions décidées à l’époque. Cette réduction devra préserver au mieux les unités opérationnelles, ce qui exigera une évolution non seulement de l’organisation des forces, mais aussi du ministère lui-même. Je fais toute confiance au ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, qui mène sa mission avec beaucoup de sang-froid et de compétence, pour conduire avec détermination et discernement cette nouvelle étape de la réforme, en cohérence avec le nouveau Livre blanc.

Nous nous attacherons à limiter autant que possible les conséquences de ces évolutions pour les territoires. La plus grande attention sera portée – j’y veillerai personnellement – à la situation concrète de chacun d’entre eux, au dialogue avec les élus et à l’accompagnement des mutations nécessaires.

Nous prenons aussi toute la mesure des efforts exigés des personnels de la défense. La précipitation qui a marqué les années passées a provoqué des désordres inacceptables, qu’illustrent les dérives du système de paie Louvois.

M. Christian Cambon. Ce n’est pas très correct ! Premier dérapage !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Cette situation doit être absolument corrigée. Je sais que le ministre de la défense, qui, dès les premiers mois de sa prise de fonctions, a immédiatement perçu le problème, y consacre toute son énergie.

Les évolutions mises en œuvre seront assorties des mesures incitatives indispensables à leur réussite, dans le cadre d’une politique de ressources humaines favorisant une gestion active des carrières. Elles s’appuieront sur un dialogue social enrichi et sur une rénovation du dispositif de concertation au sein des armées. Nos soldats et nos officiers doivent se sentir pleinement soutenus et respectés : c’est aussi dans leur vie quotidienne que s’exprime la reconnaissance de la Nation.

De même, la réflexion fructueuse, qui a associé défense et justice pour prévenir une judiciarisation excessive de l’action militaire, se traduira dès la future loi de programmation.

J’ai pleine confiance dans l’engagement des hommes et des femmes de la défense pour faire vivre et réussir ce nouveau modèle. Les opérations récentes soulignent la qualité de cet engagement. Elles nous en rappellent non seulement l’exigence, mais aussi la valeur. En cet instant, je leur renouvelle l’hommage de la Nation tout entière.

Nos soldats doivent bénéficier d’un entraînement conforme aux exigences de leurs missions et qui fera l’objet de toute notre vigilance. Ils doivent pouvoir mettre en œuvre, avec une disponibilité suffisante, des équipements performants. Leur renouvellement se poursuivra selon les priorités retenues en faveur des capacités de dissuasion, de renseignement et de projection. Aux lacunes relevées lors des dernières interventions répond l’effort engagé dans les domaines du transport aérien, du ravitaillement en vol, ainsi que des moyens de renseignement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce modèle d’armée consolide une démarche de modernisation raisonnée, sans que soient sacrifiés les effectifs nécessaires à l’action, et alors que les conditions d’activité sont assurées. Il nous permet de maintenir l’excellence de notre outil de défense. Il prépare et préserve l’avenir.

Telle était notre préoccupation dans le domaine de l’industrie de défense. La vitalité de ce secteur est une condition de la souveraineté et de l’autonomie stratégique de la France. Avec plus de 4 000 entreprises de haute valeur ajoutée fortement exportatrices et environ 165 000 emplois, cette branche d’activité est aussi un atout majeur pour le dynamisme de notre économie, en premier lieu de notre industrie.

Les choix qui ont été faits préservent l’essentiel. Le rythme de renouvellement des équipements sera ajusté, mais nous avons veillé à éviter toute rupture et à garantir ainsi le maintien de l’excellence et du potentiel de notre industrie de défense. De même, les efforts de recherche seront maintenus au niveau atteint en 2013.

Enfin, dans le strict respect de nos engagements européens et internationaux et avec un souci de transparence accru envers le Parlement, nous apporterons un soutien actif aux exportations de défense.

Ce projet conforte aussi la démarche que nous menons pour tirer parti de la construction européenne et de notre place dans l’OTAN.

Il nous permettra de poursuivre la mobilisation pour construire l’Europe de la défense. Certes, nous en connaissons les limites actuelles, mais nous en mesurons aussi tout le potentiel, dans un contexte où la contrainte financière suggère davantage de synergies. Pour répondre à des menaces largement communes, nous avons tout à gagner à des interdépendances librement consenties.

Nous allons donc progresser là aussi avec pragmatisme, en favorisant les opérations communes, en développant ensemble des capacités propices à la mutualisation, comme le transport aérien, le ravitaillement en vol, les drones ou les satellites d’observation, en favorisant des programmes en coopération, en relançant le rapprochement de nos industries de défense, dont l’intégration dans la filière des missiles offre un exemple réussi. Nous devons construire des champions européens et leur permettre un meilleur accès à certains marchés internationaux.

Notre démarche s’appuiera sur des partenariats d’excellence ; celui que nous avons noué avec le Royaume-Uni doit en inspirer d’autres.

Elle doit aussi affirmer une dynamique à l’échelle de l’Union européenne tout entière. Celle-ci s’est donné rendez-vous au Conseil européen de décembre prochain pour aborder le sujet.

Cet engagement européen résolu va de pair avec une participation pleine et entière à l’OTAN. Comme l’a souligné le Président de la République, la France y conservera son identité et son autonomie. Elle doit aussi intensifier son influence dans ce cadre, en veillant à ce que les initiatives qui y sont développées confortent la dynamique européenne.

Cette dernière est également présente dans les autres dimensions de la sécurité nationale, de l’analyse des risques jusqu’aux actions civilo-militaires de prévention, de stabilisation ou de gestion de crise.

Sur le plan national, un contrat général interministériel fixera et préservera les capacités civiles nécessaires à ces missions, en complément des moyens militaires mobilisables en cas de crise grave. Une attention particulière sera portée aux outre-mer et à la combinaison des capacités militaires et civiles nécessaires à la protection de chaque territoire.

Par ailleurs, le Livre blanc entérine un effort prioritaire et indispensable en faveur du renseignement, qui est d’ailleurs l’une des clés de l’autonomie stratégique de la France. Il est essentiel à notre sécurité, notamment dans la lutte contre le terrorisme. Le renforcement des moyens humains et techniques des services s’accompagnera d’une extension des prérogatives du Parlement, afin qu’il puisse pleinement exercer son contrôle de la politique gouvernementale dans ce domaine.

Enfin, le Livre blanc définit une stratégie ambitieuse en matière de cyberdéfense. Elle permettra de renforcer le niveau de sécurité des systèmes d’information vitaux, et le Parlement sera saisi de mesures en ce sens. Elle permettra aussi de développer nos capacités à identifier les attaques et, le cas échéant, à riposter de manière adéquate.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ces choix reflètent une double exigence : le maintien d’un effort de défense volontariste et le retour à l’équilibre de nos comptes publics en 2017. En euros constants, la Nation consacrera à la défense 364 milliards d’euros entre 2014 et 2025, dont 179,2 milliards d’euros sur la période de la future loi de programmation militaire.

Les premières années de cette programmation, nous maintiendrons un effort financier annuel de 31,4 milliards d’euros, soit le montant auquel nous l’avons stabilisé en 2012 et 2013. Le retour à l’équilibre des comptes publics nous permettra ensuite d’accentuer cet effort. Il conjuguera crédits budgétaires et ressources exceptionnelles, qui sont identifiées et qui seront intégralement affectées à la mission « Défense ». Le projet de loi de programmation militaire sera transmis au Parlement cet été.

Le Président de la République le rappelait dans son récent discours sur la défense à l’Institut des hautes études de défense nationale : « Plus que jamais, la France a besoin d’une défense forte. D’abord, pour rester ce qu’elle est : un pays indépendant, un allié fiable, une puissance » qui porte à l’échelle mondiale des responsabilités éminentes.

Je sais, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous partagez cette ambition. D’ailleurs, les réflexions que vous avez conduites en témoignent, ainsi que l’implication de vos représentants au sein de la commission, dont je salue la qualité, qui ont eux-aussi contribué à la préparation du présent Livre blanc.

Au terme des choix que nous avons arrêtés avec le Président de la République, ce Livre blanc dessine un modèle renouvelé mais fidèle à nos ambitions et porteur d’avenir.

Notre défense, il faut en être fier, parce qu’elle est en cohérence avec ce qu’est notre pays. Elle restera au premier rang en Europe. La France demeurera l’une des seules puissances au monde à disposer à la fois d’une dissuasion nucléaire autonome, d’une capacité d’intervention extérieure éprouvée et modernisée et d’une industrie de défense performante.

Sa défense est forte, à la mesure non seulement de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, mais aussi de l’ambition que notre pays porte pour lui-même et pour ses partenaires, en Europe et au service de la paix dans le monde.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite que le présent débat permette de renouveler l’adhésion des représentants de la Nation à cet ambitieux projet, auquel, je le sais, vous êtes tous attachés. Je vous remercie à l’avance de l’appui que vous apporterez à cette nouvelle étape de l’histoire de la défense nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans le concert des nations, la France occupe une place particulière, bien au-delà de son poids démographique, économique et financier. Mais notre histoire et les valeurs que nous portons ne suffisent plus à justifier les prérogatives associées à notre statut international.

Si, aujourd’hui, nous conservons une place de membre permanent du Conseil de sécurité, c’est parce que, depuis plus de cinquante ans, la France s’est donné les moyens de disposer d’un outil militaire robuste, polyvalent et autonome, qui repose lui-même sur une base industrielle et technologique de défense puissante et innovante. Cet outil confère à notre pays une grande liberté d’appréciation, une grande liberté de décision et une grande liberté d’action, qui sont les facettes de l’indépendance.

Si le Président de la République peut aujourd’hui envoyer des troupes au Mali avec une rapidité et une efficacité dont très peu de nations sont capables, c’est parce que tous ses prédécesseurs, depuis le général de Gaulle, ont doté notre pays de l’outil de défense que nous connaissons, l’ont modernisé et ont veillé à préserver sa cohérence en dépit de la réduction constante de l’effort budgétaire depuis plus de vingt ans.

M. Jacques Gautier. Si je devais caractériser les conclusions de la commission du Livre blanc, je dirais tout d’abord que, dans ce monde globalisé, les risques et les vulnérabilités n’ont pas diminué par rapport à 2008, bien au contraire ! Face à ces menaces, nos ambitions n’ont pas été réduites. La France entend tenir son rang, honorer ses alliances, respecter ses accords et assumer ses responsabilités aux Nations unies.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Jacques Gautier. Elle entend aussi défendre ses intérêts, ses approvisionnements, les départements et collectivités d’outre-mer, et contrôler les espaces maritimes, terrestres, aériens et spatiaux sur lesquels s’exerce sa souveraineté.

Mais face à ces menaces qui augmentent et à ces ambitions qui perdurent, nos moyens diminuent, ce qui est bel et bien un problème. Au terme d’une série de confrontations viriles, à l’occasion desquelles le ministère de la défense et celui des finances ont joué un mauvais remake du film Chéri, fais-moi peur (Sourires.), l’arbitrage finalement rendu par le Président de la République a permis de sauvegarder l’essentiel et de maintenir un minimum de cohérence au format.

Cette décision est de bon sens. C’est le moins que la Nation pouvait faire pour honorer le professionnalisme, l’engagement et le dévouement de ceux qui servent nos couleurs et ont montré, une fois de plus, au Mali, la nécessité pour le droit d’être soutenu par la force.

Encore faut-il rappeler que ce résultat est collectif. Il vous doit beaucoup, monsieur le ministre de la défense, car vous avez su trouver les arguments pour convaincre le Président de la République. Il doit aussi à la détermination des industriels de la défense, qui ont su s’unir dans l’adversité et faire valoir toute l’importance de notre base industrielle et technologique de défense, la BITD. Ce résultat découle également, un peu, de la détermination des parlementaires, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, qui ont su montrer qu’ils n’étaient pas prêts à sacrifier nos armées.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jacques Gautier. Je tiens à remercier et à féliciter le président Jean-Louis Carrère, qui veille sur le consensus bipartisan au sein de sa commission comme à la prunelle de ses yeux (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) et qui a su mobiliser l’ensemble des commissaires pour que soit retenu le seuil de 1,5 % du PIB, en deçà duquel l’effort de défense ne doit pas descendre. Le Sénat n’est pas le clone de l’Assemblée nationale. Il est fort quand il est uni.

Malgré tout, ne nous le cachons pas : dire que l’on maintient en valeur le budget de la défense, c’est jouer avec les mots. En vérité, cela veut dire que ce budget va diminuer toutes les années à concurrence de l’inflation.

Pour autant que l’on puisse l’estimer sur une période aussi longue, cela signifie que le budget des armées va perdre entre 10 et 15 milliards d’euros d’ici à 2020, ce qui représente concrètement 24 000 suppressions d’emplois supplémentaires. De façon pragmatique, cela veut dire qu’il faudra dissoudre sept ou huit régiments de l’armée de terre, fermer des bases et des installations de l’armée de l’air, et réduire de 25 % les équipements de nos forces, ce qui entraînera le maintien de matériels plus anciens, moins performants, dont les frais d’entretien seront de plus en plus lourds. Il en résultera une diminution des équipements commandés, un étalement des livraisons, une réduction des cibles, fait qui aura un impact direct sur les industries de défense et sur l’emploi.

Une telle situation est d’autant plus probable que cette équation budgétaire intègre chaque année plus d’un milliard d’euros de ressources exceptionnelles et que, sans engagement fort pour garantir l’effectivité des ressources budgétaires, toute cette construction demeurera d’une grande fragilité. Or, nous le savons tous, des solutions existent.

Les participations publiques représentent environ 57 milliards d’euros, et les seules participations dans les entreprises de défense s’élèvent à 12 milliards d’euros. Et encore, c’est sans compter les entreprises non cotées, comme Nexter ou DCNS.

Soyons clairs, ces participations ne servent à rien d’un point de vue économique. S’il y a bien une leçon à retenir de l’échec du projet avorté de fusion entre EADS et BAE, c’est que la Chancelière allemande, dont l’État ne détient aucune action dans EADS, a eu plus de poids que le président français, dont l’État en possède 15 %.

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Jacques Gautier. La Cour des comptes vient de montrer les carences et les failles de l’État actionnaire de défense. Le constat est accablant. N’en jetons plus !

Au moment où la crise n’en finit pas, ces milliards d’euros de participation seraient plus utiles s’ils étaient consacrés à l’emploi, aux technologies de pointe, à la compétitivité de notre industrie et à nos exportations.

Certes, les privatisations sont un fusil à un coup, mais ce coup de fusil nous donnera le temps de mettre nos finances en ordre et de prendre les mesures structurelles de réduction des déficits sans lesquelles tout effort serait vain et toute souveraineté illusoire.

Pour toutes ces raisons, l’actuel Livre blanc est trop vague en termes de format des armées et trop pauvre pour ce qui concerne la stratégie d’acquisition. L’essentiel figurera donc dans la future loi de programmation et dans chacune des lois de finances qui la mettront en œuvre.

Je souhaite vous faire part sans attendre, monsieur le ministre, de cinq préceptes, sur lesquels le Sénat, en particulier le groupe UMP, aura à cœur de veiller.

Premier précepte : la recherche tu chériras. Cela se passe de commentaires, car tout le monde est convaincu dans cette enceinte de l’utilité de la recherche et développement pour la défense.

Deuxième précepte : l’entraînement tu maintiendras. La force d’une armée réside en grande partie dans son entraînement. Là encore, il n’est nul besoin de disserter.

Troisième précepte : les pièces de rechange tu commanderas.

Je citerai un exemple. Nous avons acquis quarante hélicoptères Tigre HAP, déjà livrés, mais nous n’avons commandé de pièces de rechange que pour vingt d’entre eux. Seuls vingt Tigre HAP sont donc opérationnels, les autres servant, en quelque sorte, de magasin de pièces de rechange. Vous n’êtes pour rien dans cette décision, monsieur le ministre, mais il faut éviter qu’elle ne se répète.

Nous attendons la livraison de quarante autres Tigre dénommés HAD. Nous vous demandons d’intégrer, dans vos négociations avec l’industriel, la nécessité de fournir les pièces de rechange car, au final, il vaut mieux réduire légèrement la cible, mais accroître la disponibilité.

Quatrième précepte : les grands programmes en coopération tu maintiendras. C’est l’un des engagements du « code de conduite » de l’Agence européenne de défense.

L’avion A400M, dont l’absence nous a cruellement fait défaut au Mali, vole sous les couleurs tricolores, et les trois premiers exemplaires devront être livrés cette année. Sur cinquante appareils commandés, trente-cinq devraient arriver dans les forces avant 2025.

Si nous voulons vraiment faire des économies sur ce programme, fixons-nous comme objectif prioritaire de convaincre nos partenaires de mettre en commun les pièces de rechange et de faire du pooling and sharing dans le soutien ! Cela est d’autant plus important que pour un euro dépensé dans l’équipement en matière aéronautique, il faut dépenser deux euros dans le soutien.

Cinquième précepte : les lacunes tu combleras. Ou, du moins, tu essaieras de le faire.

Le transport stratégique et tactique est l’une de ces lacunes ; je n’y reviens pas. Le ravitaillement en vol en est une autre. Enfin, dans le domaine du renseignement, il nous faudra des drones MALE. À cet égard, je salue votre décision d’acheter des drones Reaper, mais vous devez aussi préparer l’avenir et engager, à l’échelon européen, les études pour un drone MALE de troisième génération.

De même, nous devons encourager l’étape suivante, celle, à l’horizon 2030, de l’UCAV, le drone de combat, dont un démonstrateur construit par un consortium européen emmené par Dassault a déjà volé. Je sais que, sur ce point, nous sommes en harmonie de pensée puisque, de votre aveu même, vous n’avez fait que suivre les recommandations énoncées par notre assemblée.

Cela me conduirait presque à formuler un sixième précepte : le Sénat tu gagneras à écouter ! (Sourires.)

M. Bruno Sido. Bravo !

M. Jacques Gautier. Vous l’avez compris, monsieur le ministre, les membres du groupe UMP du Sénat ont la volonté de soutenir l’effort de défense de la France et sont prêts, si vous l’acceptez, à s’investir sans réserves, mais sans reniements, à vos côtés pour que la future loi de programmation militaire, malgré ses limites budgétaires, soit la meilleure possible pour nos armées, notre recherche, nos industries. Nous le devons aux femmes et aux hommes qui défendent notre territoire, notre population et nos intérêts dans le monde, et dont l’engagement au service de notre pays n’a jamais failli.

Si le Gouvernement travaille dans ce sens, vous nous trouverez à vos côtés. S’il devait faire du budget de la défense une variable d’ajustement, nous serions vos plus farouches opposants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Bruno Sido. Excellente intervention !

M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou.

M. Jacques Berthou. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, tout est informatique, tout est numérique. L’informatisation de notre société est une réalité. En très peu de temps, en une vingtaine d’années, l’accroissement exponentiel des nouvelles technologies de l’information et de la communication a complètement bouleversé les relations humaines, économiques, industrielles.

Ce monde numérique est en constante mutation et génère de nouveaux comportements. La convergence des moyens et des réseaux permet des connexions aux multiples ramifications.

Toutefois, face aux avantages prouvés, les dangers sont bien réels. La généralisation croissante de ces technologies indispensables au développement de nos sociétés rend celles-ci d’autant plus vulnérables. Chaque jour, des millions d’attaques perturbent et polluent les systèmes informatiques les plus divers, et pour des raisons très différentes : recherche d’informations, espionnage, propagande et, fait plus préoccupant encore, perturbation des systèmes informatiques ou interruption de leur fonctionnement.

Je rappelle pour mémoire que le Sénat lui-même avait subi une attaque entre six heures du matin, le dimanche 25 décembre, et l’après-midi du lundi 26 décembre, par saturation de l’accès internet.

M. Jean-Claude Lenoir. C’était le père Noël ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Berthou. Si cette action n’a pas eu de suites néfastes, il en irait tout autrement si des attaques ciblaient nos systèmes de défense et perturbaient l’efficacité opérationnelle des forces en opération.

Les conséquences d’une attaque des systèmes d’information et de communication, ou d’une modification de tous les paramètres des systèmes d’armes et plateformes de combat, seraient catastrophiques. Cette menace, qui existe, était prise en considération dans le Livre blanc de 2008. En très peu d’années, l’évolution des situations internationales, la complexité et les capacités des systèmes composant le cyberespace nous ont obligés à nous adapter à ces nouvelles exigences.

Le Livre blanc que vous soumettez à notre examen, monsieur le ministre, prend bien en compte ces préoccupations. Il adapte et amplifie les préconisations qui figuraient dans celui de 2008. La constante évolution de notre dépendance à cet univers du cyberespace, si nous ne prenions pas en compte à sa juste dimension ce véritable danger, mettrait en péril notre souveraineté et toute notre économie dans le cas d’une attaque de grande envergure.

Le Sénat a pris en considération ce danger puisque, sur l’initiative de Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, deux rapports ont été publiés sur ce sujet : celui de Jean-Marie Bockel intitulé La cyberdéfense : un enjeu mondial, une priorité nationale, et celui que je cosignais avec lui intitulé Sécurité des réseaux de l’information dans l’Union et stratégie européenne de sécurité.

Lors du colloque qui s’est tenu au Sénat le 16 mai sur le thème « Cyberdéfense : quelles perspectives après le Livre blanc ? », furent organisés des débats sur les grands enjeux auxquels nous devons faire face : l’état de la menace et la stratégie de réponse nationale, la coopération européenne et internationale, la politique industrielle devant être menée en matière de cyberdéfense et de cybersécurité.

Si la diversité des thèmes a permis de bien mesurer l’ampleur des risques, les débats qui ont suivi ont mis en évidence toutes les actions pour lesquelles nous devrons nous engager.

Vous le dites, monsieur le ministre, le cyberespace est désormais « un champ de confrontation à part entière » et nécessitera, comme vous le précisez, que nous nous donnions les moyens nécessaires à notre capacité de production, à notre souveraineté, au renforcement des moyens humains, au soutien des compétences scientifiques et technologiques, à l’autonomie de la production de nos dispositifs de sécurité, au développement de notre industrie nationale, à la définition d’un dispositif législatif établissant les standards de sécurité, tout en poursuivant nos relations avec nos partenaires privilégiés que sont, en premier lieu, le Royaume-Uni et l’Allemagne.

Sans attendre, notre défense s’est adaptée aux enjeux qui sont de sa responsabilité en créant une chaîne de commandements interarmée et ministérielle placée sous l’autorité du chef d’état-major des armées et chargée d’organiser et de conduire l’ensemble de la défense des systèmes d’information.

La formation de personnels spécialistes, d’ingénieurs formés à la cyberdéfense, complétera nos capacités de défense. Dans le même temps, ainsi que le souhaite l’état-major des armées, en raison de l’interaction entre cyberdéfense de l’armée et du civil sera mis en place un réseau de réservistes spécialisés dans ce domaine, et ce dans le cadre de la réserve citoyenne.

Le développement de la cyberdéfense est une chance pour nos industries. Avoir la maîtrise de certaines technologies fondamentales dans des domaines aussi variés que la cryptologie ou la production de certains équipements de sécurité ou de détection peut générer des milliers d’emplois et participer au redressement de notre appareil productif. Cette politique industrielle volontariste est susceptible de concerner la France et, plus globalement, l’ensemble des États de l’Union européenne. Il s’agit, parallèlement, de développer l’activité de renseignement dans ce secteur et les capacités techniques correspondantes.

En faisant de la cyberdéfense l’une des clefs de la défense du futur, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale nous prouve que nous avons parfaitement compris les évolutions liées à ce nouveau type d’attaques, ce que je salue. Nos ambitions en la matière sont parfaitement résumées à la page 94 de ce document : « Le développement de capacités de cyberdéfense militaire fera l’objet d’un effort marqué, en relation étroite avec le domaine du renseignement. La France développera sa posture sur la base d’une organisation de cyberdéfense étroitement intégrée aux forces, disposant de capacités défensives et offensives pour préparer ou accompagner les opérations militaires. »

Monsieur le ministre, je ne doute pas que nous puissions y parvenir. C’est la raison pour laquelle l’ensemble du groupe socialiste approuve les dispositions contenues dans le présent Livre blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, conformément à la Constitution, le Gouvernement a exposé devant la représentation nationale les grandes lignes de notre stratégie de défense et de sécurité nationale, laquelle fait l’objet du nouveau Livre blanc que le Président de la République a approuvé le 29 février dernier.

À l’occasion de cette présentation devant les assemblées parlementaires, les différentes forces politiques ont la possibilité d’exprimer publiquement leurs appréciations et leurs analyses sur ces questions essentielles pour l’avenir de notre pays.

Nous nous félicitons de l’organisation de ce débat, car les possibilités de discuter de ces sujets en séance publique sont rares. J’aime à rappeler que, s’il en est ainsi, c’est parce que les institutions n’associent pas le Parlement à la définition de la politique de défense et de sécurité de la Nation et limitent considérablement le contrôle parlementaire sur l’action gouvernementale dans ce domaine.

Je déplore d’ailleurs que nous ayons eu vendredi dernier une nouvelle illustration de cette pratique, qui consiste à négliger le rôle de la représentation nationale dans ce domaine. Ainsi, le Président de la République a exposé les conclusions de ce document à l’Institut des hautes études de défense nationale devant un prestigieux auditoire, avant même que notre débat ait lieu.

M. Bruno Sido. Eh oui !

Mme Michelle Demessine. J’apprécie donc d’autant plus que le chef de l’État se soit engagé à renforcer le droit de regard et d’information du Parlement sur nos opérations extérieures, les exportations d’armement et le renseignement.

Cela étant, depuis le Livre blanc publié en 2008, les évolutions géopolitiques du monde, la crise économique et financière et l’état critique de nos finances publiques rendaient absolument nécessaire une nouvelle réflexion sur notre politique de défense et de sécurité.

Cette réflexion est-elle pour autant réellement nouvelle ? Je ne le pense pas. En effet, sur le fond, elle s’inscrit dans une continuité idéologique avec le pouvoir précédent, la crise budgétaire ne faisant que s’ajouter.

Avant de développer ce point, je souhaite signaler que l’un des mérites du Livre blanc, outre la grande qualité de ses analyses, est d’avoir su malgré tout adapter avec habileté les ambitions de la France dans le monde à la réalité de nos moyens, et ce sans baisser la garde sur notre sécurité. Ainsi, l’effort budgétaire de 31,4 milliards d’euros annuels est maintenu, afin que notre pays puisse rester une puissance crédible sans avoir à transiger sur la défense et la promotion de nos principes et de nos valeurs.

Aujourd'hui, l’heure n’est plus à la modernisation tous azimuts, vantée dans le Livre blanc de 2008, mais non financée, ni à la polyvalence des équipements. Cet effort budgétaire est cependant réalisé au prix d’une nouvelle suppression de 24 000 postes, soit environ 10 % des forces, et d’un étalement des crédits attribués aux programmes d’armement, avec toutes les inquiétudes que cela suscite en matière d’emplois. Tout cela implique une révision drastique du contrat opérationnel fixé à nos armées, en particulier à l’armée de terre.

Certes, une certaine continuité est nécessaire dans ce domaine et il est possible de partager, entre sensibilités politiques différentes, quelques principes fondamentaux sur la défense nationale. Toutefois, je regrette que, eu égard à la signification du résultat de l’élection présidentielle de 2012, M. le Premier ministre, en présentant ce document, ne nous ait pas donné une vision différente de l’état du monde et du rôle de notre pays. Alors qu’il aurait dû offrir une nouvelle vision stratégique de la France dans le monde, de nouveau la réflexion a été soumise à la contrainte budgétaire.

Ainsi, après plus de neuf mois de laborieux travaux, aucune des grandes orientations stratégiques définies par le précédent chef de l’État et les forces politiques qui le soutenaient n’est remise en cause. Je crains d’ailleurs que les arbitrages politiques sur ces questions n’aient tout simplement été rendus avant la publication du document. Le président de la commission du Livre blanc a d’ailleurs lui-même reconnu que la version initiale de ce document avait été entièrement réécrite par le ministère de la défense.

Le Gouvernement a procédé comme auparavant, en tentant non seulement de mettre en cohérence les missions et les moyens de nos forces, mais aussi de définir un format d’armées et un contrat opérationnel en ayant toujours la contrainte budgétaire à l’esprit. Dans ces conditions, il était difficile d’aboutir à un réel travail d’élaboration conceptuelle.

Est-ce vraiment vers une réduction de certaines de nos capacités et de nos moyens que nous devons nous orienter pour nous adapter à la nouvelle situation géostratégique ?

À l’heure où tout le monde s’accorde à reconnaître que les menaces nouvelles sont diffuses et multiformes et que la résolution des conflits conventionnels a changé de nature, est-il pertinent de continuer à prôner une nouvelle réduction des effectifs et du format de nos armées ?

L’expérience le montre, dans les conflits actuels et la gestion des crises, les forces terrestres sont primordiales. Elles ont besoin de capacités de projection aériennes et navales efficaces.

Alors que le retrait accéléré d’Afghanistan et l’accent mis sur la recherche de la légitimité des Nations unies pouvaient laisser croire qu’une nouvelle doctrine, moins interventionniste et plus prudente, allait voir le jour en matière d’interventions extérieures, ce sujet n’est pas véritablement traité dans le Livre blanc.

En revanche, à doctrine constante, le contrat opérationnel de l’armée de terre, qui doit lui permettre d’envoyer des hommes et des équipements en urgence sur un ou plusieurs théâtres d’opérations extérieures pendant plusieurs mois, est quasiment divisé par deux, passant de 30 000 hommes à 15 000 hommes. Nous nous apprêtons à prendre le chemin inverse en réduisant le format, en prévoyant de n’assurer que trop lentement le renouvellement de matériels parfois à bout de souffle. Quel paradoxe et quel manque de cohérence !

Certes, les moyens attribués au renseignement et les fonctions connaissance et anticipation seront très fortement augmentés et nous serons peut-être mieux renseignés, mais, je le maintiens, les mesures de réduction amoindriront nos capacités d’intervention et de gestion des crises.

Je constate aussi avec regret que des décisions qui auraient pu légitimement modifier ou infléchir les grandes orientations stratégiques précédentes n’ont pas été prises.

Je me limiterai à évoquer trois domaines qui auraient dû être marqués par un net changement d’orientation.

Tout d’abord, je regrette que, en fonction de l’analyse qui est faite des risques et des menaces auxquels le pays doit faire face et qui continuent à se diversifier, le concept de sécurité nationale ait été maintenu.

Je comprends bien que, dans ce monde globalisé, la notion de défense, au sens militaire du terme, ne recouvre plus exclusivement la défense du territoire national et que la sécurité ne commence pas à nos frontières. Cependant, cela justifie-t-il d’étendre à ce point le périmètre de la défense ?

Cet amalgame de deux notions qui restent différentes, cette tendance au « tout sécuritaire » dans notre société me semblent dangereux, en particulier pour les libertés publiques et individuelles.

Ce concept de sécurité globale risque, par exemple, d’opérer aussi un mélange entre des menaces à la sécurité de l’État et d’éventuelles crises sociales. Nous l’avons souligné déjà en 2008.

Pour ce qui est des risques et des menaces, ils ne sont pas hiérarchisés de façon suffisamment précise, puisque sont englobés tout à la fois la prolifération nucléaire, les attentats terroristes, les attaques informatiques, les tensions nées de l’accès aux ressources, ou bien encore les pandémies et autres catastrophes naturelles.

Ainsi, pour les menaces qui sont attribuées à la « faiblesse » des États, le constat est précis, mais les causes réelles sont mal identifiées, si bien que les solutions essentiellement sécuritaires et militaires proposées pour y répondre ne donnent pas les moyens de s’attaquer aux raisons profondes des tensions et des crises. Traiter ces phénomènes sous un angle essentiellement sécuritaire, comme le fait le Livre blanc, ne peut que contribuer à les exacerber.

Sur ces questions de sécurité, les conséquences positives de notre intervention au Mali semblaient pourtant indiquer notre intention et notre volonté d’accorder désormais la priorité au développement économique par rapport à nos interventions militaires.

Toutefois, j’estime que, dans son discours tenu à Addis-Abeba à l’occasion des célébrations du cinquantenaire de l’Union africaine, le Président de la République, sans doute encore sous le choc des récents attentats terroristes survenus au Niger, n’a pas suffisamment affirmé cette orientation nouvelle.

Ensuite, je regrette qu’il n’y ait pas eu non plus un renouvellement de la réflexion sur la dissuasion nucléaire. Là encore, on reste dans la continuité d’une doctrine qui repose sur des dogmes qui paraissent intangibles.

Le Gouvernement a manqué l’occasion d’organiser un grand débat national sur cette question, dont il n’est plus du tout évident qu’elle fasse l’objet d’un consensus national aussi large qu’auparavant. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.) Au lieu de vouloir conserver en l’état notre arsenal nucléaire, avec ses deux composantes, maritime et aéroportée, il aurait fallu s’interroger sur sa pertinence pour lutter contre des menaces à nos intérêts vitaux qui, aujourd’hui, ne proviennent plus principalement d’États en tant que tels.

Cette notion d’« intérêts vitaux » de la Nation mériterait également d’être précisée, afin de vérifier qu’elle est vraiment partagée par tous.

Par ailleurs, le coût financier de ce dispositif est considérable : il représente un quart du budget global de la défense, si l’on englobe les équipements nécessaires à sa mise en œuvre. Il est maintenu grâce à la réduction des moyens de nos forces conventionnelles, qui sont pourtant indispensables à la crédibilité des forces nucléaires.

La modernisation et le développement de notre outil nucléaire sont en outre, quoi que l’on en dise, contraires au principe affirmé de « stricte suffisance ». Nous l’avons déjà souligné dans le passé ; nous le répétons aujourd'hui.

C’est la raison pour laquelle nous estimons que notre pays ne s’engage pas assez résolument dans la lutte contre la prolifération nucléaire et qu’il ne satisfait pas tous les engagements pris dans le cadre du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en matière de désarmement. On peut même penser que nous ne sommes plus dans le cadre de la « stricte suffisance » et que nous contredisons nos engagements en modernisant et développant nos armes nucléaires.

Enfin, pour ce qui concerne nos alliances et l’OTAN, je déplore que le Livre blanc propose que nous restions dans le commandement militaire intégré pour consolider notre place au sein de l’Organisation.

Nous avions pourtant tous à gauche critiqué cette décision de Nicolas Sarkozy, au motif que, par alignement sur la politique étrangère des États-Unis, elle risquait de nous faire perdre une partie de notre autonomie stratégique et d’entrer en contradiction avec la nécessité de construire une véritable Europe de la défense.

Il semble que le rapport d’évaluation commandé à Hubert Védrine, qui concluait prudemment qu’il était urgent de ne rien changer, ait largement inspiré l’analyse sur cette question. Pour notre part, nous continuons de penser que, malgré le recentrage stratégique des États-Unis sur l’Asie, l’organisation militaire de l’Alliance atlantique reste trop étroitement dépendante des intérêts américains.

C’est aussi parce que plusieurs pays européens se reposent sur cette organisation pour leur sécurité, et qu’ils se refusent à y consacrer un effort important, que l’on comprend mieux toutes leurs réticences envers des initiatives en matière de programmes d’armement ou de partage et de mutualisation de leurs capacités militaires.

Malgré des intentions louables, le Livre blanc semble trop facilement s’accommoder de cette situation.

Il y a là un renoncement implicite à l’ambition d’une Europe de la défense, et l’acceptation d’une France qui serait une puissance moyenne trop étroitement liée aux États-Unis. Notre pays doit jouer un rôle d’entraînement pour relancer la politique européenne de défense et de sécurité. Sinon, l’Europe continuera d’être intégrée à la partie de dominos que jouent les États-Unis dans le monde.

Nous souhaitons au contraire que l’Union européenne, qui représente un quart des richesses de la planète et dont notre pays est l’un des éléments moteurs, mette tout son poids dans la résolution pacifique des conflits, dans le respect du droit international et des résolutions de l’ONU.

Telles sont, monsieur le ministre, les principales appréciations sur les orientations de la politique de défense et de sécurité nationale dont le groupe communiste, citoyen et républicain souhaitait vous faire part. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne nous y trompons pas : les Français sont attachés à leurs armées et les questions de défense ne doivent pas être absentes du débat public. En tant que parlementaires, il est de notre responsabilité de contribuer à cette réflexion.

Ce débat est d’autant plus important que le Livre blanc a suscité de très fortes inquiétudes, qui se sont principalement manifestées avant même sa parution. En effet, alors que d’aucuns évoquaient au moment de son élaboration la possibilité d’un scénario catastrophe dit « Z », conduisant à des coupes budgétaires drastiques, la plupart des groupes politiques du Sénat, lors d’un débat organisé sur l’initiative de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de son pugnace président, Jean-Louis Carrère, s’étaient clairement exprimés en faveur du maintien d’un effort de défense d’au moins 1,5 % du PIB.

À en croire les propos tenus par le Président de la République sur notre politique de défense, il semble finalement que notre appel ne soit pas resté vain… Je dis bien « il semble », car, au-delà des annonces, il faudra désormais attendre la prochaine loi de programmation militaire 2014-2019 pour connaître avec plus de précisions les arbitrages budgétaires.

Le Livre blanc n’est donc qu’une première étape, et nous ne manquerons pas de suivre avec attention les futures dispositions de la loi de programmation pour nous assurer que la défense ne devienne pas la variable d’ajustement !

Cinq ans après la publication du Livre blanc de 2008, l’objectif assigné par le Président de la République à la commission chargée de préparer la nouvelle édition de ce document était de redéfinir la stratégie de la France en matière de défense et de sécurité nationale, à la lumière des récentes évolutions du monde.

Cet objectif a-t-il été atteint ? La France est-elle en mesure d’assurer la cohérence générale de ses armées, ainsi que son influence sur la scène internationale ? Il est encore trop tôt pour répondre franchement à ces questions, mais quelques remarques s’imposent dès à présent.

Le Livre blanc confirme tout d’abord la persistance de menaces diverses auxquelles notre pays doit faire face, y compris de nouvelles menaces. Qu’il s’agisse de la prolifération des armes de destruction massive, du terrorisme ou des risques que font courir les États « faillis » ou « voyous », nul doute que le monde d’aujourd’hui est autant, voire davantage, instable, incertain et imprévisible que celui d’hier.

Si le risque d’un conflit militaire entre États n’a pas disparu – en témoigne l’augmentation partout dans le monde des budgets de la défense –, nous devons constater le développement de nouvelles menaces multiformes, à l’image des cyberattaques. Nous en reparlerons.

Je ne souhaite pas m’étendre davantage sur l’analyse géopolitique que comporte le Livre blanc, lequel se révèle sur certains points plus descriptif que prospectif. Globalement, le panorama des menaces est partagé par l’ensemble des observateurs, mais qu’en est-il des mécanismes de réponse proposés dans le Livre blanc ? Peuvent-ils permettre à la France de dépasser son horizon stratégique pour conserver sa place de puissance régionale à rayonnement mondial, et d’assurer son rang dans les instances internationales de paix et de sécurité ?

Nous sommes nombreux à relever une attente de France un peu partout dans le monde. Répondre à cette attente est non seulement un devoir, mais aussi un vecteur d’influence, et donc de défense de nos intérêts légitimes.

Le Livre blanc évoque plus particulièrement trois fonctions prioritaires qui doivent structurer l’action de nos forces armées.

Il s’agit, premièrement, de la protection de nos compatriotes et de notre territoire. Les forces armées voient ainsi conforter leur rôle de sécurité intérieure et de sécurité civile en cas de crise majeure. Pourquoi ne pas ouvrir une réflexion sur cette dimension, en définissant sans tabou une approche plus globale et intégrée de la sécurité intérieure, qui engloberait, notamment, les armées ?

Deuxièmement, la dissuasion nucléaire est réaffirmée comme protection ultime de notre pays contre des agressions étatiques visant nos intérêts vitaux. Même si la France reste un État doté de l’arme nucléaire, elle entend maintenir son arsenal à un niveau de stricte suffisance. Cette « sanctuarisation » de notre force nucléaire assure en l’état la permanence de notre posture de dissuasion.

Enfin, troisièmement, la France souhaite conserver toute sa capacité d’intervention, aussi bien pour protéger ses ressortissants à l’étranger que pour prendre part à des opérations multilatérales dans le cadre de ses engagements internationaux. Cette capacité de projection, formidable outil au service de notre diplomatie, ne restera toutefois pertinente que si elle est dotée de moyens adéquats et dimensionnés.

Il ne faut pas négliger, à cet égard, l’impact de l’opération militaire française au Mali, source de prise de conscience pour beaucoup. Cette intervention a démontré la nécessité pour notre pays de disposer d’une force de réaction rapide en cas de crise majeure. L’utilité des troupes pré-positionnées, remise en cause voilà peu de temps pour des raisons budgétaires, a également été validée. Dans quelle mesure la France aurait-elle pu répondre à la percée des forces djihadistes vers Bamako sans l’action, dans un premier temps, des forces françaises positionnées au plus près de la ligne de front – les forces spéciales du dispositif Sabre – puis des forces pré-positionnées classiques ?

Je voulais en tout cas vous remercier, monsieur le ministre, de votre disponibilité permanente pour la commission des affaires étrangères, de votre écoute et, plus généralement, de votre engagement.

Par ailleurs, l’opération Serval a conduit à un certain « retour » de l’Afrique au rang de région stratégique de première importance, tout au moins dans les mentalités, après plus de dix années d’intervention en Afghanistan. Compte tenu des menaces qui persistent dans la zone sahélo-saharienne, la corne de l’Afrique ou le golfe de Guinée, et qui affectent directement la sécurité européenne, l’Afrique doit en effet être considérée comme une « zone d’intérêt prioritaire », et pas seulement sur le plan sécuritaire. Ces questions de sécurité majeures coïncident aussi avec un « retour » de l’Afrique, notamment dans les domaines de l’économie, de la croissance et du développement. Dans cette optique, les bases françaises en Afrique restent des points d’appui essentiels qu’il conviendra de maintenir, voire de renforcer, et, dans tous les cas, de faire évoluer de façon opportune.

Dans chacun de ces secteurs – protection, dissuasion, intervention –, l’action de la France est indissociable d’une capacité de connaissance et d’anticipation consolidée. Les récentes opérations extérieures nous ont rappelé nos faiblesses en matière de renseignement. Le développement d’une capacité d’appréciation autonome est un élément d’indépendance indispensable, au-delà de l’apport éventuel de nos alliés, qui reste utile, bien évidemment. Si le Livre blanc met l’accent sur cet aspect, je m’interroge, monsieur le ministre, sur la mise en œuvre concrète de cette orientation : à l’heure où le ministère de la défense s’apprête à réduire ses effectifs, quels services bénéficieront réellement de ce renforcement ?

Dans un monde si imprévisible, l’action de la France ne peut se concevoir indépendamment de celle de nos principaux partenaires, en particulier au sein de l’Alliance atlantique. Certes, le retour de la France dans le commandement intégré n’est pas remis en cause, comme le confirme le Livre blanc, mais il devrait s’accompagner d’une interrogation sur la place de la France au sein de l’OTAN. Notre pays semble parfois réticent à déployer une véritable stratégie au sein des structures dans lesquelles il prend place, contrairement à nos alliés anglo-saxons. Il ne s’agit nullement de « profiter » de certains commandements pour défendre une approche purement nationale – nous pouvons d’ailleurs nous appuyer sur des chefs de grande valeur –, mais bien de faire valoir notre culture stratégique, dans le respect de notre engagement collectif. Cette question mériterait d’être débattue, sans esprit polémique.

Bien entendu, l’Union européenne est un échelon essentiel de notre action, à l’heure où les Européens devront de plus en plus compter sur eux-mêmes pour assurer leur sécurité et celle de leur voisinage.

Si une véritable stratégie européenne en matière de défense peine à trouver une traduction concrète dans les faits, les contraintes budgétaires devraient encourager les pays européens à développer leurs coopérations. Alors que certains domaines relèvent certes de la souveraineté nationale, d’autres peuvent très bien faire l’objet d’une souveraineté partagée.

Des mécanismes existent pour les pays qui le souhaitent – je pense aux « coopérations renforcées » prévues par le traité de Lisbonne, qui ne sont pas utilisées. La France, qui, la semaine dernière, exprimait par la voix du Président de la République sa volonté, positive, de relancer l’Europe de la défense, aurait-elle des propositions concrètes à formuler, notamment en vue du Conseil du mois de décembre prochain ? Nous l’espérons, car le présent Livre blanc reste flou en la matière. La rédaction d’un véritable Livre blanc européen, définissant les intérêts stratégiques de l’Union européenne, prendrait aujourd’hui tout son sens.

Pour mettre en œuvre notre stratégie, le format des armées est une question centrale. Plusieurs orateurs ont rappelé le nombre des suppressions de postes annoncées, qui viennent s’ajouter aux réductions déjà engagées.

Toutefois, les conséquences d’une réforme purement comptable, qui nierait la cohérence de nos besoins, seraient dramatiques. Aussi pourriez-vous d’ores et déjà, monsieur le ministre, nous apporter des garanties quant à la préservation de nos forces opérationnelles, qui sont déjà en nombre très limité pour remplir le spectre de leurs missions ? De quelle manière la réduction de postes sera-t-elle opérée ? Alors que vous êtes favorable à la « civilianisation » des missions de soutien, ce sont pourtant bien ces postes qui semblent dans le collimateur…

Je saisis également cette occasion pour aborder la question de la réserve. Le Livre blanc me paraît l’identifier à l’excès à un vivier de « spécialistes », alors qu’elle est aussi – et devrait être de plus en plus – une composante majeure de notre outil de défense, à l’image de l’exemple fourni par de nombreuses armées en Europe ou dans le monde.

Dans un contexte budgétaire particulièrement rude, pourquoi ne pas recruter et former des réservistes opérationnels pour pallier la baisse des effectifs, sans oublier le rôle de plus en plus utile, notamment en matière de cybermenaces, de la défense citoyenne ?

Il est bon de rappeler que cette réserve participe grandement à la compréhension des armées par les citoyens, et donc à la préservation du lien entre l’armée et la Nation, comme l’a souligné le Président de la République à l’Institut des hautes études de défense nationale. Elle fait donc écho au concept de sécurité globale et de résilience, qui figure au cœur même du Livre blanc.

Quant aux aspects capacitaires, le Livre blanc maintient les grands programmes d’équipement des forces armées, même s’il prend acte d’une réduction des quantités à commander. Mes chers collègues, ne l’oublions pas, l’industrie de défense est garante de notre indépendance stratégique – tous les orateurs l’ont souligné, y compris M. le Premier ministre. Elle est également porteuse d’emplois et contribue au dynamisme de notre économie et au rétablissement de notre balance extérieure via les exportations. C’est en somme un pilier essentiel de notre politique de défense, condition sine qua non de notre autonomie stratégique.

Si l’éventualité d’une commande publique amoindrie ne peut être écartée compte tenu des efforts budgétaires nécessaires que notre pays doit accomplir, des pistes de réflexion sont toutefois envisageables, notamment à l’échelle européenne. Le renforcement de la base technologique et industrielle de l’Europe dans ce domaine devrait être une priorité, de par sa dimension stratégique et ses potentialités économiques. Aussi, alors que la France s’apprête à acquérir des drones « sur étagère », ce qui s’explique par un manque cruel de moyens de reconnaissance et de surveillance, quid des projets européens en la matière ?

Pour terminer, après mon collègue Jacques Berthou – je travaille avec lui sur la dimension européenne d’une politique de cybersécurité et sur ses potentialités industrielles –, je tenais à saluer les dispositions du Livre blanc en matière de cyberdéfense. Je me réjouis vraiment de constater qu’un certain nombre de mesures répondent directement aux préconisations formulées de manière unanime par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Le Livre blanc consacre le renforcement des moyens humains dédiés à la cyberdéfense, en particulier au sein de l’appareil d’État et des armées, afin d’atteindre un niveau comparable à celui de nos partenaires britanniques et allemands. Croyez-moi, mes chers collègues, nous n’avons pas à rougir de notre action dans ce domaine, mais nous devons poursuivre l’effort, et c’est ce que propose le Livre blanc. Ce document met également l’accent sur la dimension industrielle, ainsi que sur la capacité de résilience des opérateurs d’importance vitale.

Si le Livre blanc constitue une étape importante vers une meilleure prise en compte des enjeux liés à la sécurité et à la protection des systèmes d’information – M. le Premier ministre l’a rappelé tout à l’heure –, il est désormais urgent d’agir sur la mise en œuvre de ses préconisations, notamment au travers d’un certain nombre d’évolutions législatives et réglementaires, indépendamment des moyens financiers et humains.

Des efforts ont été entrepris depuis 2008, mais nous sommes aujourd'hui au milieu du gué. Nous devons donc continuer à rattraper progressivement notre retard. Le présent Livre blanc nous indique le chemin, que nous allons, je l’espère, suivre jusqu’au bout.

Avec ce dernier, la France est-elle en mesure de faire face à son environnement stratégique et de tenir son rang sur la scène internationale ?

Certes, la publication de ce document a permis de réaffirmer notre stratégie en matière de défense et de sécurité, autour des grandes priorités que j’ai rappelées tout à l’heure. Cette stratégie est plutôt conforme aux ambitions de notre pays, même si elle semble parfois manquer d’une vision à long terme.

Plus généralement, la principale rupture de ce Livre blanc est, selon moi, d’ordre non seulement économique et financier, mais aussi géopolitique.

La France fait face à des choix budgétaires difficiles, auxquels les armées ne pourront se soustraire, nous le savons. Néanmoins, nous ne devons pas sacrifier aux seules économies de court terme notre savoir-faire en matière de défense, surtout que toute capacité perdue aujourd’hui le sera définitivement ! Le risque est en effet que nous n’ayons plus les moyens de nos ambitions.

C’est donc bien la future loi de programmation militaire que nous attendons, car c’est dans ce texte que seront traduits budgétairement les arbitrages relatifs aux effectifs et aux matériels. Avant son adoption, nous ne pourrons pas mesurer l’effet réel du Livre blanc sur les armées françaises. Il faut toutefois garder à l’esprit que ce cadre budgétaire doit servir la stratégie, et non l’inverse.

Soyez assuré, monsieur le ministre, que le groupe UDI-UC sera un partenaire à la fois constructif et vigilant lors de l’examen de ce projet de loi de programmation militaire. L’un des enjeux majeurs de celui-ci sera de tenir compte de notre réalité aussi bien stratégique que budgétaire.

Même si la défense entend participer à l’effort de redressement budgétaire, comme elle l’a toujours fait, sa contribution ne doit être ni plus ni moins importante que celle des autres ministères. Il y va de la pérennité de notre outil de défense, de la poursuite de nos ambitions sur la scène internationale, et, in fine, de l’indépendance stratégique de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. le président de la commission des affaires étrangères et M. Daniel Reiner applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’élaboration d’un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale est toujours, par nature, un exercice complexe. En effet, il s’agit de concilier prospective à long terme et monde en perpétuel bouleversement, impératifs militaires et contraintes budgétaires.

À ce jour, nos forces sont engagées au Mali, mais aussi en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Liban, dans l’océan Indien, contre les actes de piraterie, ou encore en Afghanistan. Je souhaite en cet instant rendre hommage à leur efficacité, à leur dévouement et à leur action.

C’est également à des militaires qu’il revient d’assurer la protection de notre territoire, dans le cadre du plan Vigipirate. La violente agression dont a été victime un soldat lors d’une patrouille en fin de semaine dernière nous l’a rappelé. Je souhaite d’ailleurs exprimer, à titre personnel, ainsi qu’au nom de l’ensemble de notre assemblée, toute notre solidarité au première classe Cédric Cordier et lui adresser nos vœux de prompt rétablissement.

M. Alain Chatillon. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. Mes chers collègues, la rédaction du présent Livre blanc, cinq ans à peine après celle du précédent, se justifiait également au regard des perspectives en termes de finances publiques et de redressement des comptes de l’État. Ainsi, dès 2012, dans son bilan à mi-parcours de la dernière loi de programmation, la Cour des comptes soulignait que « la programmation budgétaire [pour les années 2009-2014] a péché par excès d’optimisme : certaines hypothèses [n’ayant] pas fait preuve d’un réalisme suffisant ». Elle recommandait la mise à jour du Livre blanc.

Il importe donc de ne pas céder de nouveau, lors de l’élaboration de la future loi de programmation, à la tentation de l’incantatoire. Je formule le vœu, monsieur le ministre de la défense, que le Sénat soit pleinement associé à la rédaction de ce texte, qui sera examiné à l’automne. De ce fait sera concrétisée la volonté exprimée par le Président de la République de renforcer les prérogatives du Parlement. Nous, sénateurs, avons encore en mémoire la façon dont s’étaient déroulés les débats en 2009, procédé qui n’avait pas recueilli notre assentiment…

Ce quatrième Livre blanc trace donc les grandes orientations de notre politique de défense et de sécurité, que M. le Premier ministre nous a exposées tout à l’heure. Une question subsiste cependant : le scénario retenu permettra-t-il à la France de conserver son rang ?

Même si le Président de la République a annoncé que tous les programmes militaires seraient maintenus, il semble néanmoins difficile, compte tenu des contraintes budgétaires, de ne pas en étaler certains dans le temps. Sachant qu’il importe aussi de soutenir nos industries de pointe, quels choix stratégiques seront faits, monsieur le ministre ?

Par ailleurs, vous le savez, l’annonce de la suppression de 24 000 postes supplémentaires dans les armées suscite des inquiétudes quant à notre capacité de projection de troupes, mais aussi quant à l’évolution de la présence militaire sur notre territoire. S’il est bien sûr encore trop tôt pour établir la carte militaire à l’horizon 2020, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer quelle méthodologie sera choisie pour mener à bien ce redéploiement ?

Mes chers collègues, parmi les autres grands thèmes abordés dans le Livre blanc, j’en relèverai deux : d’une part, l’accent mis sur le renseignement, dont nous savons l’importance, notamment dans les conflits asymétriques et face aux risques terroristes ; d’autre part, la sanctuarisation des composantes aéroportée et océanique de la dissuasion nucléaire qui pose la question de leur poids dans le budget de la défense.

L’objectif de concilier autonomie stratégique et mutualisation s’incarne presque naturellement dans la volonté affirmée dans le Livre blanc, et répétée par le chef de l’État, de construire une véritable Europe de la défense.

Le traité de Lisbonne a renforcé l’intégration européenne de la politique de sécurité et de défense commune. Cependant, quatre ans après sa signature, ces avancées tardent, hélas ! à se concrétiser.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a mis en place un groupe de travail sur cette thématique. De son côté, Marie Récalde, notre collègue député, dans son rapport sur la proposition de résolution sur la relance de l’Europe de la défense, relève à la fois « une multiplicité d’organismes compétents qui nuit à leur efficacité » et « un regrettable manque d’ambition politique ». L’engagement de nos forces armées au Mali, aux côtés des contingents africains, s’il fut, monsieur le ministre, une réussite militaire indéniable, dont nous nous réjouissons, a jeté une lumière cruelle sur ces deux aspects. À cet égard, il est bon de souligner que le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN n’a pas permis cette relance.

D’ailleurs, l’auteur du rapport précité voit dans « la baisse des capacités de défense des États membres du fait de leurs contraintes budgétaires » « un risque sérieux, mais aussi une occasion à saisir » pour construire l’Europe de la défense, par la mutualisation des efforts à l’échelon européen. Comment envisagez-vous de relancer cette coopération, monsieur le ministre ?

Dans un contexte où notre allié historique, les États-Unis, effectue un repositionnement stratégique et prend ses distances avec les théâtres d’opérations en Méditerranée et en Afrique pour privilégier un axe Asie-Pacifique, il est temps que l’Europe devienne une véritable puissance militaire et de défense.

M. Alain Chatillon. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. L’épisode de l’achat de drones américains par la France, achat nécessaire et que nous soutenons, pose enfin la question de la coopération entre industries européennes, alors qu’il faut admettre que nous avons raté la révolution de ces appareils sans pilote. Cette acquisition, telle qu’elle a été décidée par le Gouvernement, constitue donc la meilleure option, pour ne pas dire la seule, en attendant que nous rattrapions notre retard technologique.

Dans cette optique, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra au mois de décembre prochain apparaît comme un sommet crucial. La France et l’Europe sont à la croisée des chemins. Il sera important de prendre les bonnes décisions. Ne manquons pas ce rendez-vous ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe écologiste, je tiens tout d’abord à rendre hommage au militaire blessé, Cédric Cordier, ainsi qu’à l’ensemble de nos militaires qui se trouvent actuellement au Mali, notamment.

Cela dit, en 2008, les écologistes avaient été autorisés à contribuer au débat sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. En 2012, malgré notre insistance, nous avons été « vertement » ignorés. Nous regrettons que l’élaboration du nouveau Livre blanc n’ait pas été l’occasion pour l’ensemble des composantes de l’arc républicain de s’exprimer, ce qui l’eût rendu plus légitime.

Cependant, si le présent Livre blanc a pour qualité première de constituer un état des lieux du « pouvoir faire » en matière de défense dans les dix ans à venir, compte tenu des moyens dont nous disposons et de la situation du monde, force est de constater qu’il ne tire pas les conclusions adéquates. Sa lecture laisse en effet une impression d’incertitude et d’inachevé.

Le modèle budgétaire devrait intégrer 4,5 milliards d’euros de recettes exceptionnelles. Pour rappel, entre 2009 et 2011, sur les 3,5 milliards d’euros de recettes exceptionnelles attendus, seuls 980 millions d’euros ont été effectivement obtenus.

La contrainte budgétaire, sous le prisme du lobby militaro-industriel, a surdéterminé la réflexion stratégique.

Le dogme du nucléaire a été soustrait de la réflexion. L’outil de défense, figé dans une posture défensive d’ultime recours circonscrit à l’intégrité territoriale, conduit au format redouté par le général Desportes – « la bombe et les gendarmes » – et appauvrit les forces conventionnelles.

À cet égard, le groupe écologiste du Sénat est au regret de constater l’absence de grandes orientations pour notre outil de défense, bref, l’absence d’une stratégique claire.

L’état des rapports de forces n’est pas non plus abordé lucidement dans le Livre blanc. Il n’y a plus d’ennemi désigné. Notre défense ne se résume plus à l’obsédante question de la sauvegarde de l’intégrité de notre territoire, de notre indépendance politique, de notre existence. C’est au regard d’un continent pacifié, d’une planète dominée par la puissance militaire des pays occidentaux que doit être posée la question du rôle de notre armée professionnelle.

L’accroissement des dépenses d’armement, notamment des pays émergents, ne doit pas faire illusion. Cette augmentation doit être comparée à la hausse du produit intérieur brut de ces pays émergents, dont l’effort de défense suit la courbe de leur montée en puissance vers l’accession à un statut international, en adéquation avec leur démographie et leur économie.

Les données du SIPRI, l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, instance de référence, démontrent que, en termes de pourcentage du PIB, les dépenses d’armement demeurent stables.

De la même manière, le rapport de 2012 d’Europol permet de reconsidérer le danger que constitue le terrorisme. Sur les 125 actes terroristes recensés en 2012 en France, 121 ont été le fait d’indépendantistes. Cette information ne diminue en rien l’atrocité des actes commis, mais elle permet de donner une consistance à une menace trop souvent fantasmée, exagérée et instrumentalisée. J’en veux pour preuve les 11 450 victimes du terrorisme dénombrées en 2012 dans le monde, chiffre bien inférieur aux 30 000 morts par arme à feu comptabilisées chaque année aux États-Unis.

Après avoir fait la guerre contre un concept, comme d’autres contre des moulins, cessons de rechercher un ennemi pour définir notre politique de défense. La plus dramatique illustration d’une telle pratique fut la politique outrancière et caricaturale menée par l’administration de Georges Bush, en grande partie à des fins commerciales.

En matière de stratégie antiterroriste, dans son discours du 23 mai dernier, le président Obama a développé une analyse juste en considérant que « cette guerre, comme toutes les guerres, doit prendre fin. C’est ce que l’Histoire nous conseille. C’est ce que notre démocratie exige. » Il poursuivait : « Nous ne pouvons pas avoir recours à la force partout où s’enracine une idéologie radicale. Et en l’absence d’une stratégie qui réduirait l’extrémisme à la source, une guerre perpétuelle – via des drones, des commandos ou des déploiements militaires – serait perdue d’avance. »

Alors, mes chers collègues, pour être combattus efficacement, la prolifération nucléaire et le terrorisme doivent être analysés sans postulat idéologique, loin de toute diabolisation stérile.

Pierre Conesa, expert reconnu, nous rappelle que « contre la suprématie absolue des Occidentaux, les stratégies des contestataires de l’ordre international ne peuvent être que le terrorisme et la prolifération nucléaires, moins onéreux et plus aisés que la recherche d’un inaccessible équilibre conventionnel. »

La poursuite de nos engagements vis-à-vis du renforcement de la légalité internationale, de la responsabilisation des acteurs privés, comme les sociétés extractives de minerais ou d’énergies fossiles, et de l’encadrement du commerce des armes doit participer au premier chef à la stabilisation des relations internationales. Celle-ci doit intégrer l’impératif de la prévention des conflits, au moment même où la demande exponentielle de matières premières, conjuguée aux crises énergétiques et environnementales et au changement climatique, accroît les tensions.

Le stress environnemental constitue l’un des tout premiers facteurs de tension et de faillite des États. Le rapport prospectif de l’Union européenne Global trends 2030 annonce une « ère de la pénurie », et ajoute que la « concurrence pour les ressources hydriques et énergétiques ainsi que les crises humanitaires, de déplacement de personnes et d’effondrement étatique, devraient constituer l’un des plus importants facteurs d’affrontement en 2030. » Le président Obama a d’ailleurs érigé le changement climatique en priorité pour la sécurité nationale. C’était en 2008. Quand la France en fera-t-elle autant ?

Moins saisissable et plus complexe à combattre qu’un prétendu État voyou, la crise environnementale et énergétique est aussi plus réelle et plus menaçante. Un stress nourricier, hydrique et climatique ne se dissuade pas. Un stress nourricier, hydrique et climatique nécessite cette prévention que nous peinons à théoriser. Un stress nourricier, hydrique et climatique donne tout son sens à la mise en œuvre de la stratégie de la protection que nous prétendons porter. Une course aux matières premières ne s’arbitrera pas plus à la canonnière qu’avec des appels à la vertu. Et quid des réfugiés climatiques, qui, selon l’ONU, devraient être 250 millions en 2050 ?

Mes chers collègues, les conflits du XXIe siècle ne sont plus les conflits du siècle précédent. L’opération Serval est une leçon magistrale du prix humain et financier de la restauration de l’autorité d’un État corrompu, érodé par son incapacité à gérer les aléas climatiques. Les conditions de la paix résident dans le désamorçage précoce des crises environnementales et énergétiques qui se profilent.

La prévention des conflits doit être une priorité. Un secrétariat d’État dédié permettrait de structurer et de coordonner l’action de l’État en ce sens. Les capacités des armées doivent être repensées en conséquence. Les Anglo-saxons ont déjà conceptualisé cette évolution. À nous de développer notre doctrine écosystémique, notre green defense. La transition environnementale des armées découle logiquement de l’appréciation géopolitique de nos dépendances en matières premières et de notre volonté d’enrayer un mode de compétition belligène.

Au-delà du constat des enjeux et des risques, c’est la question de nos moyens pour répondre à ces derniers qui est éludée par le Livre blanc. Nous devons dresser un bilan de nos possibilités. La France n’a plus les moyens de la grandiloquence. Les départements et collectivités d’outre-mer ne donnent pas à notre pays la capacité de peser dans les océans Pacifique et Indien. Pourtant, la France est non seulement la deuxième puissance maritime mondiale par la superficie de ses eaux territoriales, avec 11,2 millions de kilomètres carrés, mais également la première puissance maritime mondiale par sa biodiversité. À cet égard, je vous rappelle que, à l’échelon mondial, les trafics liés à la biodiversité arrivent en troisième position, après les trafics d’armes et de drogues.

La doctrine de la défense tous azimuts tient plus du discours que de la réalité. Notre défense ne peut se concevoir en dehors de nos schémas d’alliance. La géographie multiplie non pas les capacités, mais les coûts et les contraintes. La géographie française dicte les prémisses de notre politique de défense : une politique d’alliances et de promotion de la sécurité collective onusienne.

L’intervention au Mali n’aurait pas été possible sans l’appui logistique et les moyens d’observation anglo-américains. En évoquant la possible facturation de ce soutien, les Américains nous ont délivré un message clair : ils ne souhaitent plus être les supplétifs de nos ambitions. Qui pourrait le leur reprocher ?

Nous devons fixer notre cadre d’action géographique et développer résolument l’échelon européen. Les axes prioritaires définis dans le présent Livre blanc rejoignent la géographie de l’influence française. C’est une avancée notable par rapport au précédent Livre blanc. Cependant, malgré l’annonce d’une relance de l’Europe de la défense et d’un Livre blanc européen, force est de le constater, l’Europe de la défense se surajoutera à la dissuasion nationale. Elle ne doit pas être pensée comme une défense d’appoint. L’Europe doit construire une identité de sécurité et de défense de premier plan.

À l’alternative entre politique des moyens et politique d’ambition, les écologistes préfèrent opposer une politique du réel et du pragmatisme face à l’origine environnementale et énergétique des conflits à venir. Les changements environnementaux qui affectent la biodiversité et la qualité de l’air, de l’eau, des sols et des océans, ainsi que leurs imbrications, aux effets insoupçonnés, conduisent et conduiront immanquablement à un changement dans les rapports de force internationaux. C’est justement à l’aune de ces risques et de ces contraintes que nous devrions construire notre stratégie de défense.

Mes chers collègues, le XXIe siècle est et sera le siècle traversé par des tensions liées au changement climatique, à la raréfaction des matières premières et à l’explosion démographique mondiale. La conjugaison de ces facteurs entraînera des tensions sociales et environnementales jamais vues dans l’histoire de l’humanité ; j’y insiste.

Nous devons d’ores et déjà considérer le développement durable comme une donnée stratégique pour la construction de notre défense. La France et l’Europe ont les moyens d’une politique de défense ambitieuse tournée vers la prévention des conflits. Pour atteindre cet objectif, l’action de l’État à l’extérieur doit être coordonnée et canalisée. Les aides publiques au développement sont de réels leviers d’action, à condition qu’elles ne soient pas attribuées à la Chine ni ne servent à l’entretien de régimes défaillants, comme le régime malien déchu.

Ces derniers exemples illustrent les lacunes du positionnement français, aveugle aux marges de manœuvres existantes, crispé sur des postulats idéologiques révolus et prolongeant des modes d’action néfastes. Le vide stratégique est manifestement notre tourment. La concertation et le débat sont les seuls remèdes. Europe Écologie-Les Verts a entrepris, sur ma proposition, la rédaction d’un Livre vert de la défense, que nous remettrons officiellement au Président de la République préalablement au Conseil européen de défense. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.  Mme Michelle Demessine applaudit également.)

(M. Jean-Pierre Raffarin remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin

vice-président

M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.

M. Xavier Pintat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, avec la politique de défense, nous abordons un sujet déterminant pour l’avenir de la France. L’essentiel est en jeu : notre capacité à protéger nos concitoyens, notre rôle et notre place dans le monde. C’est dire l’importance qu’il convient d’accorder à ce nouveau Livre blanc, voulu par le Président de la République.

Que retirons-nous du travail réalisé, auquel ont participé trois collègues ? Tout d’abord, ce Livre blanc pose les bases d’un projet de défense qui préserve l’essentiel, mais sa crédibilité reste à démontrer. Elle dépendra largement de la prochaine loi de programmation militaire et de toutes les lois de finances qui la mettront en œuvre. Ensuite, aucune des grandes orientations de notre défense n’est remise en cause. Les principales ambitions en la matière s’inscrivent d'ailleurs dans la continuité du Livre blanc de 2008 ; je pense en particulier à la dissuasion et au renseignement, sujets sur lesquels je voudrais vous faire part de mes observations.

Je commencerai par la dissuasion nucléaire. Le Livre blanc confirme le maintien de ses deux composantes à leur niveau actuel. C’est une excellente chose. Nous vous en félicitons, monsieur le ministre. La dissuasion nous permet en effet de nous prémunir contre toute agression étatique. Il est vrai qu’un tel type d’attaque est peu à redouter aujourd’hui, mais faut-il pour autant abandonner la dissuasion ou baisser la garde ?

Nous avons ouvert le débat au Sénat en 2012 ; Didier Boulaud et moi-même avons participé à la rédaction d’un rapport, dans lequel nous nous sommes interrogés sans tabou sur l’utilité de la dissuasion et sur son coût par rapport aux autres systèmes de forces. Notre réponse, qui, jusqu’à présent, n’engageait que nous, est que la dissuasion doit être conservée. Elle a rendu notre pays indépendant et lui a permis de faire entendre sa voix dans le monde. Elle a également contribué – il faut le rappeler – à rendre la guerre improbable en Europe pendant plus de soixante ans. Sa disparition modifierait l’équilibre des forces. Cela, personne ne le souhaite.

Quant à savoir s’il faut maintenir les deux composantes de la dissuasion, là encore la réponse est « oui ». Nous ne sommes pas à l’abri d’une surprise stratégique, et le fait de reposer sur un double système d’armes rend l’ensemble de notre dispositif plus robuste et offre un éventail plus large de choix au Président de la République.

Pour toutes ces raisons, je suis satisfait de lire, dans le Livre blanc, que la dissuasion reste l’ultime garantie de notre indépendance.

Ma deuxième observation porte sur le renseignement, la maîtrise de l’information et l’espace militaire. En l’espèce, la vigilance s’impose. Je ne souhaite pas entrer dans le détail, car ce n’est pas le moment de le faire ; nous aurons d’autres occasions de commenter, secteur par secteur, programme par programme, l’état des capacités françaises.

Je dirai tout de même un mot des décisions que vous avez prises, monsieur le ministre, en matière de drones MALE. Ne boudons pas notre plaisir : cette décision est en tout point conforme à ce que le Sénat avait souhaité à l’automne 2011. Avec mes collègues Daniel Reiner et Jacques Gautier, nous avions défendu une position raisonnable, qui avait reçu l’appui du président Jean-Louis Carrère. Cette position, qui n’a pas changé, peut être résumée ainsi : il faut dissocier la satisfaction du besoin opérationnel des préoccupations légitimes de politique industrielle.

La satisfaction de notre besoin opérationnel impose d’acheter le plus rapidement possible sur étagère, car la capacité de drones fait grandement défaut à nos forces en opération, et ce manque peut porter atteinte à leur sécurité. Or aucun constructeur national ni européen n’est capable de fournir des drones MALE dans les trois mois. Vous avez donc choisi une solution américaine. C’est la moins chère et la plus efficace. Cependant, il faut acheter le strict minimum de systèmes pour satisfaire le besoin opérationnel, franciser le moins possible et garder notre argent pour investir, avec nos amis du Royaume-Uni, dans une filière européenne de nouvelle génération.

Cette filière reste à construire. Nous devons d'abord définir ensemble ce que pourrait être un drone MALE de troisième génération. Il faudra ensuite tracer une feuille de route financière crédible, afin que ce drone soit disponible à l’horizon 2020-2022. (M. le ministre acquiesce.) Tout cela, vous le savez, monsieur le ministre ; je constate d'ailleurs que vous approuvez mes propos. Nous attendons maintenant que vous mettiez ce projet en œuvre ; nous attendons des actes.

Pour ce qui concerne l’espace militaire, une chose est certaine : c’est l’une des composantes essentielles de l’autonomie d’appréciation de la France. Il est donc indispensable de veiller à ce que la chaîne fonctionne, depuis les lanceurs jusqu’aux satellites de télécommunications, en passant par le renseignement optique, l’écoute électromagnétique, l’imagerie radar, ou encore l’alerte spatiale. Dans ce domaine, notre pays dispose d’un maître d’ouvrage remarquable, le Centre national d’études spatiales, le CNES, et d’industriels de toute première qualité, Astrium et Thales Alenia Space. Comme composante du renseignement, l’alerte spatiale apporte une contribution indispensable au suivi de la prolifération et à la détection de l’agresseur en soutien de la dissuasion.

Nous savons, au Sénat, qu’Astrium a mis de nouvelles propositions sur la table. Celles-ci visent à permettre à notre pays de se doter d’une capacité d’alerte autonome, dans le prolongement du démonstrateur SPIRALE, qui a donné des résultats extrêmement intéressants, et avec un coût réduit de moitié par rapport au satellite initialement envisagé. Il faut être extrêmement vigilant quant au maintien des compétences uniques acquises sur le démonstrateur SPIRALE, sous peine d’un déclassement important. Monsieur le ministre, ces propositions méritent sans doute d’être étudiées attentivement.

J’en viens à ma troisième et dernière observation, qui concerne la défense antimissile balistique, ou DAMB. Daniel Reiner, Jacques Gautier et moi-même avons rédigé un rapport sur ce sujet. Nos conclusions sont simples : la DAMB est une menace, non pas militaire, mais économique. C’est la menace d’un déclassement de nos industriels en matière de technologies qui constitueront les technologies génériques de demain. Or j’ai le sentiment que cette menace a été sous-évaluée dans le Livre blanc, sans doute pour d’évidentes raisons budgétaires, mais peut-être aussi parce que les militaires ne voient que les enjeux strictement militaires de la DAMB et s’interrogent, avec raison, sur la réalité de la menace qui pèse sur nous. Pourtant, des solutions existent, dont le coût, qui se chiffre à quelques dizaines de millions d’euros, demeure à notre portée. Je ne les développe pas, mais sachez simplement que nous sommes quelques-uns, au Sénat, à nous inquiéter du traitement de ce dossier.

Monsieur le ministre, même si nombreux sont les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées à apprécier la régularité, la franchise et la transparence des réunions que nous avons avec vous, même si nous sommes conscients des difficultés du moment, nous ne pouvons que nous interroger sur le point de savoir si les moyens seront au rendez-vous de vos ambitions.

La supériorité de nos armes reste la clé pour appartenir encore au club très restreint des puissances militaires qui comptent. Or nos militaires ne pourront indéfiniment faire mieux avec moins. Aussi, je reste circonspect.

Le maintien d’un effort minimal de défense à hauteur de 1,5 % du PIB est une absolue nécessité. C’est une bonne chose que vous l’ayez obtenu et le Sénat vous en a remercié, par la voix du président de la commission.

Il est un message que nous comptons défendre, budget après budget, sur la plupart des travées de cette assemblée : la défense ne peut servir de variable d’ajustement budgétaire pour pallier, il faut bien l’avouer, l’absence de réformes de structures que nous n’avons pas toujours le courage de faire.

Aussi, le fait d’intégrer 6 milliards d’euros de recettes exceptionnelles dans la trajectoire financière de la loi de programmation militaire fragilise la crédibilité des objectifs affichés.

Notre devoir, en ces temps de crise, est de concentrer nos ressources sur « l’essentiel national », dont fait partie la défense, pour continuer à disposer des moyens que requièrent notre rang et notre rôle dans le monde.

Monsieur le ministre, vous trouverez de nombreux soutiens, ici, au Sénat, en matière de défense, dans l’intérêt bien compris de la Nation.

Comme le disait déjà Jules Ferry : « le Sénat ne saurait jamais être un instrument de discorde ni un organe rétrograde. Il n’est point l’ennemi des nouveautés généreuses ni des initiatives hardies. Il demande seulement qu’on les étudie mieux. » (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jeanny Lorgeoux.

M. Jeanny Lorgeoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je focaliserai ma brève intervention sur l’Afrique.

Le Livre blanc a inscrit dans le marbre quelques vérités de bon sens. Nous les apprécions, même si nous eussions aimé qu’un chapitre ait nominalement traité de l’Afrique. Quelles sont ces vérités ?

Premièrement, les crises en Côte d’Ivoire, en Libye et au Mali ont replacé l’Afrique au cœur de l’« essentiel géopolitique français ». Le nouveau document stratégique assure qu’il est impératif de maintenir des troupes pré-positionnées dans une région du monde où la France se retrouve souvent seule et en première ligne. Avant l’intervention au Mali, le 11 janvier dernier, et l’opération Serval, le socle de défense représentait près de 5 000 soldats français, répartis sur sept pays africains. L’architecture nouvelle de défense au Sahel, souple, évolutive, doit s’appuyer sur cette réalité.

Deuxièmement, le présent Livre blanc démontre sans conteste les liens entre sécurité en Afrique et en Europe, et le développement du continent africain. Les bases françaises en Afrique, qui, depuis le discours de François Hollande à Dakar, le 12 octobre 2012, ont vocation à devenir des « pôles de coopération », restent autant de points d’appui incontournables. Nos partenaires européens devraient ouvrir grand les yeux, car il n’y aura, à notre sens, ni croissance en Afrique ni réduction du terrorisme international sans stabilité des États africains. La construction de la démocratie politique est donc inséparable de l’action de sécurité, et inversement.

Troisièmement, l’intervention étant engagée au Mali contre des ennemis très mobiles et non étatiques, la menace terroriste accrue contre la France implique un renforcement des capacités humaines et techniques de nos services de renseignement. Le développement de l’imagerie spatiale et la hausse des moyens de surveillance aérienne, à l’aide de drones, dont on a parlé, et d’avions légers d’observation sont capitaux pour avoir une meilleure vision des vastes territoires hors de contrôle, notamment dans les déserts ou parages montagneux.

Par ailleurs, et avec raison, le Livre blanc suggère de renforcer les effectifs des forces spéciales, qui se sont imposées comme une capacité de premier plan dans toutes les opérations récentes. Elles sont particulièrement adaptées aux besoins accrus de réaction dans l’urgence. Ces spécialisations techniques et humaines constituent le fer de lance de la destruction des sanctuaires de l’obscurantisme.

Quatrièmement, c’est dans une optique de connaissance et d’anticipation que s’inscrit et s’inscrira l’engagement de la France. La connaissance du terrain, la formation d’armées nationales et l’accompagnement des processus démocratiques, d’une part, l’anticipation par le pré-positionnement, le renseignement et la réactivité, si besoin est, d’autre part, constitueront l’indispensable apport à la sécurisation de l’Afrique que les institutions africaines, telles que l’Organisation de l’unité africaine, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, ou CEDEAO, et d’autres organisations régionales dont le cadre paraît adapté à de telles actions s’efforcent de construire progressivement et courageusement.

M. Jeanny Lorgeoux. En attendant, j’y insiste, il y a lieu de maintenir sur le sol africain le volume actuel du contingent militaire, peut-être, toutefois, en ventilant une partie des effectifs des bases de Djibouti et de Libreville sur d’autres points d’appui composant un collier de plates-formes sahariennes et sahéliennes à proximité des repaires djihadistes.

Naturellement, mes chers collègues, tout cela n’a de sens que dans le cadre d’une coopération étroite avec nos pays amis : l’Algérie, au premier chef, mais aussi le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad qui sont aux premières loges, sur la ligne de front. Mais il faut viser plus loin : le flanc sud est également soumis à des menées subversives, Boko Haram nous ayant rappelé que la fièvre du Nord du Nigeria peut diffuser à l’Est vers le Cameroun et vers le Nord-Ouest. De ce point de vue, on ne peut faire l’impasse sur l’implantation stratégique que peuvent représenter, en plus de Dakar, les villes de Niamey, N’Djaména, voire Abidjan, où la composante maritime de notre armée a naguère démontré, à maints égards, sa polyvalence et son efficacité.

Le ministère de la défense présentera, le moment venu, le dispositif retenu ; je ne doute pas, monsieur le ministre, que celui-ci sera qualitativement optimal, tant il est vrai que sont grands les compétences et le dévouement qui font honneur à la France.

De grâce, que l’on ne nous rebatte pas les oreilles avec l’antienne du néocolonialisme : il ne s’agit, en fait, que de concourir, à la demande de la communauté internationale, à la paix et à la concorde, pour que l’Afrique – l’Afrique-de-bonne-espérance, comme je l’appelle –, en assurant son développement, puisse surmonter le stress nourricier, hydrique et climatique, dont parlait Leila Aïchi tout à l’heure, c’est-à-dire assumer pleinement son destin, demain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, en ces temps de grande disette budgétaire, nous apprécions que vous ayez su obtenir du Président de la République le maintien à son niveau actuel de notre effort de défense, c’est-à-dire 31,4 milliards d’euros pour le budget de la défense en 2014.

Ce résultat est à porter à votre actif, même si vous avez pu bénéficier du renfort que vous ont apporté tous ceux qui, au Sénat, avec le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ont contribué à éviter, au moins pour le moment, le déclassement stratégique qu’eût entraîné une baisse significative des crédits militaires. Ce risque a été écarté, aussi, en raison de l’éclatante démonstration d’efficacité qu’ont faite nos soldats, appelés à sauvegarder l’intégrité, la souveraineté et la liberté du Mali.

Le Président de la République a annoncé que nos forces armées disposeraient de 365 milliards d’euros sur la période 2014-2025, dont 179,2 milliards pour celle que couvrira la loi de programmation militaire 2014-2020. Pour maintenir une France forte, il a estimé ce chiffre réaliste. Il faudra faire avec !

J’approuve, par ailleurs, le recentrage opéré par le présent Livre blanc sur l’Afrique, notamment sahélienne, de la définition de notre zone d’intérêts prioritaires. Je l’avais déjà réclamé, mais en vain, lors du débat du 15 juillet 2009 sur la loi de programmation militaire 2009-2014.

Nous sommes aussi évidemment concernés par la montée des tensions en Asie, ne serait-ce que par le « pivotement » des forces américaines de l’Atlantique vers le Pacifique, qui obligera l’Europe, à l’avenir, à pourvoir davantage à sa défense.

Or, force est de le constater, la plupart des pays européens, à l’exception de la Grande-Bretagne et de la France, se sont installés dans un climat de fausse sécurité.

Nous ne devons pas craindre la Russie, qui ne représente plus une menace militaire pour l’Europe, mais qui est davantage préoccupée par la montée de l’islamisme radical dans le Caucase et l’Asie centrale.

Que la Russie soit aussi une puissance énergétique de première grandeur ne constitue pas davantage, à mes yeux, une menace, mais représente, au contraire, une opportunité. Ce fournisseur, qui n’est pas le seul, dépend autant de son client que l’inverse.

Les « menaces de la faiblesse », notamment en Afrique, me paraissent autrement plus graves, car la plupart des pays européens n’en ont pas pris conscience. Les pays du Nord de l’Europe s’en sont remis un peu trop facilement aux pays du Sud pour garder leurs frontières méridionales et aux États-Unis et à la France pour préserver l’équilibre fragile, du Moyen-Orient pour les premiers, de l’Afrique pour la seconde.

L’Europe serait bien avisée d’aider à la formation d’armées africaines opérationnelles et à la constitution, à l’échelon régional, de forces de réaction rapide africaines, à partir d’états-majors permanents capables d’entraîner régulièrement des unités professionnelles dédiées dans chaque pays.

C’est ce qui a manqué à la CEDEAO et a obligé la France à intervenir en premier au Mali, à l’appel de ses autorités légitimes, parce qu’elle seule pouvait le faire, comme l’a rappelé le Président de la République. Je constate que la France contribue pour moitié à la force européenne, d’ailleurs insuffisamment calibrée, de formation des forces maliennes.

Dans l’immédiat, vous avez conjuré, monsieur le ministre, le risque d’un déclassement stratégique de la France. Mon groupe vous en sait gré, mais ce risque n’est pas écarté pour toujours par l’arbitrage du Président de la République.

Je ne parle pas seulement des recettes exceptionnelles de 5,9 milliards d’euros qu’il faudra trouver, je l’espère, autrement que par la liquidation des participations de l’État dans le secteur des industries de défense. De ce point de vue, je ne partage pas tout à fait l’avis de M. Jacques Gautier.

Je veux surtout parler de la dégradation de notre situation économique et, par conséquent, budgétaire, qui résulte de la mécanique mise en place par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, dit « TSCG », dont les effets récessifs en Europe risquent de se faire sentir durant une longue période. En effet, les moteurs de la croissance – consommation, exportations, investissement – y sont en panne, sauf peut-être, en Allemagne, encore que faiblement.

Celle-ci consacre d’ailleurs à sa défense des crédits légèrement supérieurs aux nôtres, en volume. L’Allemagne a entrepris de professionnaliser, à son tour, son armée. Ses capacités en seront accrues, mais dans le cadre de l’OTAN. L’Allemagne, et son opinion publique, fondamentalement pacifiste, considère que l’OTAN vaut essentiellement comme une sorte de traité de réassurance contre des dangers qu’elle a d’ailleurs de la peine à discerner.

La dissuasion nucléaire est garantie par les déclarations du Président de la République, mais pour combien de temps ? On entend de plus en plus s’élever des voix qui se plaignent de l’effet d’éviction qu’elle exercerait sur les crédits attribués aux forces conventionnelles. Ces critiques, à mon avis, à courte vue, oublient que la dissuasion est l’outil de notre autonomie stratégique et politique et qu’elle seule peut garantir le maintien d’une diplomatie indépendante et, je le dis à Mme Demessine, nous tenir à l’abri de guerres qui ne seraient pas les nôtres.

Le Président Obama vient d’affirmer sa volonté d’aller plus loin que le traité New Start dans la voie du désarmement nucléaire. À tous ceux qui se laisseraient porter par l’opinion, je veux tout de même rappeler que les États-Unis disposent aujourd’hui de 1 654 têtes nucléaires déployées, sans compter les milliers de têtes non déployées qui n’ont jamais été incluses dans un accord. En regard, la France dispose de moins de 300 têtes, c’est-à-dire beaucoup moins que la Russie et même que la Chine. Le principe de la stricte suffisance nous interdit de descendre en dessous de quatre sous-marins lanceurs d’engins et de deux escadrons aériens. Si les armes nucléaires tactiques américaines étaient retirées d’Europe, nous serions le seul pays, en dehors de la Russie, à disposer d’armes nucléaires sur le continent. C’est une garantie de l’équilibre et de la paix sur celui-ci. C’est pourquoi nous ne sommes pas membres du « groupe des plans nucléaires » de l’OTAN, et devons continuer à nous en tenir à l’écart.

Sans doute, avez-vous raison d’affirmer l’objectif d’une défense européenne, comme le croyant affirme l’existence de Dieu. Mais la volonté politique chez nos partenaires fait aujourd’hui défaut. Comme le précise le traité de Lisbonne de 2008, les pays de l’Union européenne membres de l’OTAN contribuent à l’élaboration et à la mise en œuvre de leur défense dans le cadre de cette alliance. Même après avoir rejoint, en 2012, l’organisation militaire intégrée de l’OTAN, la France, elle, ne peut renoncer à assurer elle-même, en ultime ressort, le soin de sa défense. C’est la condition de notre indépendance, et donc du maintien de l’esprit de défense à long terme dans le pays, ne l’oublions jamais !

La République française est aujourd’hui confrontée au défi de l’islamisme radical, il faut le voir. Il ne faut bien entendu pas confondre celui-ci avec l’Islam, qui est la religion de 1 200 millions d’hommes et de femmes. Nous devons tout faire, au contraire, pour aider les peuples musulmans, dans le respect de leur authenticité, à trouver leur place dans le monde moderne.

À ce défi, la sophistication des armements n’est pas une réponse suffisante. La bonne réponse est d’abord humaine et politique.

À cet égard, je ne saurais trop approuver le principe de la différentiation des forces posé par le Livre blanc. Évitons, par une course excessive à la « technologisation », de réduire encore le nombre des hommes dans les armées. Nous avons besoin de soldats qui comprennent d’autres civilisations que la nôtre. C’était jadis une des traditions de l’armée française. Elle a donné les Lyautey, les Gallieni, les Charles de Foucauld, et combien d’autres ! Il serait temps de réinvestir dans la formation des officiers le champ de la compréhension humaine, de favoriser ainsi l’apprentissage des langues, orientales et africaines. Cela coûterait moins cher que les missiles guidés avec précision, et ce ne serait pas de l’argent perdu.

La défense, monsieur le ministre, ne l’oublions pas, repose toujours, en dernier ressort, sur un facteur humain et sur l’étroite union du peuple et de son armée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – MM. Roland du Luart et Jean-Pierre Chauveau applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. André Trillard.

M. André Trillard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la présence, en début de séance, de M. le Premier ministre illustre bien l’importance que revêt ce débat sur le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Ce Livre blanc a vocation à incarner le guide des futures orientations stratégiques et militaires de notre pays. Exercice difficile, moins dans sa dimension de réponse aux menaces auxquelles la France doit faire face, que dans la politique et la dynamique à mettre en place pour se conformer à ses prescriptions.

Aussi, je tiens à rappeler devant vous que notre commission n’a pas ménagé sa peine afin de pouvoir jouer pleinement son rôle de contrôle de l’action du Gouvernement, mais aussi son rôle de force proposition.

Depuis 2012, la commission des affaires étrangères et de la défense a rendu pas moins de huit rapports d’information permettant de préparer cette révision du Livre blanc. Quatre groupes de travail ont été mis en place, en respectant les équilibres politiques. Cela mérite d’être salué.

Pour ma part, j’ai travaillé avec mon collègue Lorgeoux sur les enjeux maritimes de la France. Comme il s’est déjà exprimé, ainsi que plusieurs de nos collègues, je vais m’efforcer d’éviter les redites.

Avant de revenir sur la nouvelle géopolitique des océans qui contraint notre pays à se repositionner sur la scène maritime, je veux formuler quelques observations d’ordre plus général, mais auxquelles j’attache du prix.

Tout d’abord, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous me permettrez d’évoquer l’agression dont le chasseur Cédric Cordiez vient d’être la victime. Nous nous réjouissons que son pronostic vital n’ait pas été engagé. Mais souvenons-nous qu’il y a un peu plus d’un an, le maréchal des logis Imad Ibn Ziaten était assassiné, dans les circonstances que l’on connaît. À travers eux, c’est toute la République qui a été attaquée. (M. le ministre de l'intérieur opine.)

Je ne souhaite pas rouvrir des polémiques quant à la typologie des auteurs de ces actes odieux. Toutefois, au moment où nous débattons sur ce que sont les enjeux en termes de défense et de sécurité de la France, à l’heure où nous participons à la lutte contre le terrorisme à des milliers de kilomètres de notre pays, force est de constater qu’il faut intensifier cette lutte sur le territoire national.

Selon certains analystes, nous entrons dans une nouvelle ère de terrorisme, très complexe à appréhender, qu’il s’agisse de ses acteurs nouveaux, de leurs motivations ou des filières auxquelles ils pourraient appartenir.

L’hiver dernier, une loi pour la sécurité et la lutte contre le terrorisme a été adoptée, et nous l’avons votée. Le ministre de l’intérieur avait alors déclaré vouloir poursuivre plus efficacement les personnes ayant participé à l’entraînement terroriste à l’étranger.

Mais qu’en est-il, au moment où nous savons que 200 djihadistes français – chiffre sans doute approximatif – sont partis se battre en Syrie, et ce alors même que le Président de la République se déclare favorable à la livraison d’armes aux rebelles syriens ? Plus que jamais, une extrême vigilance s’impose, en particulier sur ce dossier très complexe des armes.

C’est notamment pourquoi je souscris sans réserve à la priorité accordée par le Livre blanc au renseignement. Elle s’inscrit dans la droite ligne du concept de « sécurité nationale », qui figurait déjà dans le précédent Livre blanc.

Par ailleurs, je souhaite insister sur un problème qui, s’il n’a pas fait l’objet de nombreux commentaires, me paraît essentiel : il s’agit de l’approche relative aux ressources humaines.

Un nouveau modèle d’armée a été défini, qui prévoit 24 000 suppressions de postes. Si nous avons de bonnes raisons de penser que l’armée de terre sera la principale concernée, nous ne disposons d’aucune précision sur les régiments qui seront touchés. Et à moins d’un an des élections municipales, je doute que nous puissions disposer de détails sur les installations qui pourraient être fermées.

C’est à ce moment que les élus locaux concernés prendront la mesure du concept nouveau présenté par le Président de la République, vendredi dernier à l’Institut des hautes études de défense nationale : « le dépenser juste ».

Cependant, et là encore peu de journalistes se sont fait l’écho de cette dimension, la défense est d’abord et avant tout constituée d’hommes et de femmes dont le professionnalisme et l’engagement doivent être des exemples pour toute la société civile.

Bien que le Livre blanc fasse à de nombreuses reprises référence aux civils, je souhaite vivement que nous nous penchions également sur le devenir humain de nos militaires.

Depuis 1996, en effet, les armées ont connu des bouleversements qui les ont profondément touchés, jusqu’à atteindre leur identité.

À l’époque, nous avions pensé définir un modèle « armée 2015 » qui devait correspondre à une armée numériquement moindre, mais aux capacités techniques accrues. Ce modèle s’est révélé lourd et peu adapté, du point de vue tant des réalités géopolitiques que de la capacité de notre pays à incarner la place qui doit être la sienne sur la scène internationale.

Près de vingt ans après la suppression du service militaire, nos armées doivent résoudre un problème identitaire. La création de contrats courts implique un turn over nouveau, auquel s’ajoute celui qui est issu de la RGPP, qui sous-tend suppressions de postes et externalisation de certains services.

Mais si l’armée peut et doit externaliser certaines fonctions de support, dans un souci de rationalisation et d’optimisation, elle doit avant tout poursuivre l’objectif de recentrer la politique de ressources humaines du ministère de la défense autour du soldat.

Simultanément, la France doit faire face à de nouveaux impératifs stratégiques – menaces nouvelles, engagements sur des théâtres d’opérations d’un nouveau type –, qui impliquent le retour aux fondamentaux composant l’armée, en particulier le soldat en OPEX.

Ainsi, le ministère de la défense doit faire face à la convergence de deux phénomènes : l’arrivée à la retraite des engagés, notamment de ceux qui avaient un contrat de 5 ans à 15 ans ; le non-renouvellement des contractuels de la défense. Il s’agit donc de définir les besoins réels des armées pour les années à venir, en termes de projection des forces en OPEX et d’anticipation des menaces.

La professionnalisation de l’armée posait déjà en 1996 le défi de la reconversion des soldats et de leur réintégration dans la vie civile, et ce dans une société imprégnée d’idées pacifistes, pour laquelle les notions de pertes humaines et de sacrifice pour la nation suscitent fréquemment l’incompréhension, voire le rejet.

Le turn over des personnels impose au ministère un recrutement à un rythme très soutenu. L’enjeu n’est donc plus de susciter les vocations d’une vie, mais de donner l’envie de s’engager pour quelques années seulement, au service d’une institution qui se bat pour la nation, tout en sachant que l’on peut y perdre la vie !

Cela se révèle particulièrement difficile à l’heure où les armées sont au régime sec, même les moyens dédiés à l’entraînement étant réduits.

Aujourd’hui, l’armée doit donner envie d’elle-même alors qu’elle peut apparaître – je le regrette – comme l’école de la seconde chance pour des jeunes qui auraient échoué à l’école de la République ou comme une bouée de secours pour des jeunes connaissant des difficultés. Or nous avons besoin de tous ceux qui composent la nation, des plus ordinaires aux plus forts, aux meilleurs.

Au cours des campagnes de recrutement, le ministère de la défense a mis en valeur les multiples possibilités de formation. Si l’armée offre de nombreux métiers et spécificités, ceux-ci doivent pouvoir trouver leur transcription dans la société civile. Et cela ne peut se faire sans une véritable validation des acquis professionnels.

Le reclassement, la reconversion des soldats constitue un vrai défi, y compris pour des raisons budgétaires, car le ministère de la défense ne pourra supporter cette charge en termes d’indemnités.

Désormais, le passage dans l’armée doit être une plus-value, qui permettra une reconversion valorisante au cœur de la société civile professionnelle. Le Président de la République souhaite renforcer les liens entre les armées et la société civile. Nous le souhaitons tous, mais cela ne pourra se faire qu’au prix d’une politique volontariste de reconversion et d’une véritable mobilisation des services de l’État.

Le dernier point sur lequel je souhaite revenir concerne, je l’ai dit, la place croissante de la maritimisation dans notre stratégie.

Aujourd’hui, 90 % du trafic mondial se fait par voies maritimes. Les océans permettent d’assurer les échanges mais aussi les approvisionnements : 48 000 bateaux de commerce naviguent sur les mers et océans du monde. Les territoires ultramarins, de Mayotte à la Guadeloupe et de la Réunion à la Nouvelle-Calédonie, font de la France une des premières puissances maritimes au monde. C’est un atout formidable. Déjà en 1969, à Brest, le général de Gaulle déclarait : « L’activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l’exploitation de la mer. Et, naturellement, les ambitions des États chercheront à dominer la mer pour en contrôler les ressources. »

Pouvait-on être plus visionnaire ? Aujourd’hui, la croissance des budgets navals de la Chine, de l’Inde, de la Russie et du Brésil est exponentielle, entre 35% et 69 % d’augmentation. Parallèlement, les États-Unis ont officiellement annoncé qu’ils redéployaient leurs priorités stratégiques sur l’Asie-Pacifique.

Face à cette nouvelle donne, je souhaite que la France ne reste pas au port. Certes, toujours sur le plan de la sécurité, nous participons – avec succès – aux opérations de lutte contre la piraterie et contre les narcotrafiquants qui sévissent en Méditerranée, au large du golfe de Guinée ou de la Somalie.

Mais, dans cet esprit, j’aurais souhaité que puissent être traités de façon plus exhaustive deux sujets majeurs liés à la mer : d’une part, la capacité de la Marine nationale à protéger tout notre outil de commerce avec les pays asiatiques, c’est-à-dire la protection par nos forces, évidemment associées à d’autres, de la libre circulation dans les détroits ; d’autre part, la protection de nos départements ultramarins et de nos ZEE – zones économiques exclusives – par des moyens appropriés et efficaces, étant précisé que je ne souhaiterais pas que soient prises des initiatives inadaptées, au premier rang desquelles je place la création de réserves marines non surveillées : même une société de pêche ne le fait plus en France. Sur ces deux points, je tiens à ce que le débat se poursuive.

Mais, surtout, je voudrais que ce Livre blanc renforce la nécessaire prise de conscience des immenses opportunités nouvelles qui résulteront de la mise en place d’une politique plus intégrée, plus globale et plus volontariste des enjeux maritimes de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. le président de la commission des affaires étrangères et M. Jeanny Lorgeoux applaudissent également.)

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.

M. Gilbert Roger. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le Président de la République a tenu l’engagement, pris en 2012, d’élaborer un nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, pour tenir compte des bouleversements géostratégiques mais également économiques qui sont intervenus depuis 2008, et qui placent la France dans la nécessité d’ajuster sa posture de défense et de sécurité.

Je souhaite tout d’abord saluer la qualité des échanges et des consultations qui ont précédé l’élaboration du Livre blanc, en particulier au Sénat, mais également le souci stratégique qu’il incarne. Car cette spécificité française est regardée positivement à l’étranger, rares étant les pays européens dotés d’une analyse stratégique qui débouche concrètement sur une politique de défense nationale.

Le nouveau Libre blanc permet de maintenir la France dans son autonomie stratégique malgré la crise et la contrainte financière que connaît le ministère de la défense. Par conséquent, je suis satisfait que le Président de la République ait pris la décision de conserver un effort de défense au-delà de 1,5 point du PIB, comme l’avaient demandé les groupes politiques du Sénat, de telle sorte que l’influence de la France et sa capacité à défendre sa place, ses intérêts et ses ressortissants soit maintenue. Aujourd’hui encore, le budget de la défense française demeure, par son montant, le deuxième en Europe et le sixième dans le monde.

Le Président de la République a pris l’engagement d’un effort de défense significatif et stable, avec un budget de la défense en 2014 de 31,4 milliards d’euros – cela a été dit –, au même niveau qu’en 2012 et 2013 ; cet engagement est comparativement élevé, puisqu’il maintient l’effort sur plusieurs années : c’est une situation favorable par rapport à d’autres obligations.

Cependant, malgré un effort budgétaire important, le Livre blanc prévoit la poursuite de la révision du format des forces et du ministère dans son ensemble, avec la suppression de 24 000 postes au titre de la prochaine loi de programmation militaire, qui sera notamment débattue au Sénat. Bien que cette contraction des effectifs soit sensiblement moins importante que celle qui avait été décidée en 2009, avec la suppression de 54 000 postes sur la période 2009-2015, je m’inquiète de la traduction que pourraient avoir ces réductions d’effectifs sur le format des bases de défense.

En effet, lors des visites de terrain que j’ai pu effectuer dans le cadre de la préparation du rapport sur la mise en place de la réforme des bases de défense que j’ai coécrit avec mon collègue le sénateur André Dulait, j’ai pu constater que la réforme avait été effectuée avec beaucoup de brutalité, et que les militaires avaient vécu une période difficile.

Au-delà des 30 000 personnes qui ont quitté leur armée pour rejoindre la nouvelle organisation interarmées du soutien, c’est à un bouleversement du quotidien de tous les agents du ministère qu’a abouti la réforme, surtout perceptible pour les unités combattantes, qui ont perdu la plénitude de leurs moyens.

L’irruption d’une organisation matricielle dans un univers hiérarchique a bousculé les modes de fonctionnement ancestraux. Par ailleurs, les restructurations de la carte militaire, en densifiant les implantations, ont touché de plein fouet des dizaines de collectivités territoriales, avec la fermeture de classes, de services de la poste, du Trésor public et j’en passe. Dans les petites villes, le choc a été rude, notamment dans l’est de la France.

Au total, là où l’État aura dépensé 320 millions d’euros d’aides à la revitalisation économique, les collectivités en auront déboursé trois fois plus pour créer des activités de substitution, dont la pérennité n’est malheureusement pas avérée.

Aussi, les répercussions que pourraient avoir de nouvelles restrictions d’effectifs sur le stationnement des forces sont préoccupantes. Si le choix était fait dans la loi de programmation militaire de réduire, une fois encore, la carte des bases de défense, cette décision aurait des conséquences dramatiques dans les territoires concernés, et menacerait la croissance et l’emploi.

En effet, les soixante bases de défense que compte notre territoire, ce ne sont pas seulement des militaires, ce sont aussi des civils, ce sont leurs familles qui sont prestataires de services publics, ce sont leurs enfants qui fréquentent les écoles, ce sont des artisans, des commerçants, des PME qui maintiennent l’activité et l’emploi, au plus près des régions.

La fermeture de bases de défense serait synonyme de départ de population et d’augmentation du chômage, dans des territoires déjà en situation de fragilité économique, où la base militaire est le centre du tissu économique local.

Alors que les conditions de vie courante des armées se sont déjà fortement dégradées du fait de la suppression des 54 000 postes que j’ai évoquée voilà un instant, de nouvelles fermetures de bases de défense seraient vécues très douloureusement sur les territoires, pèseraient sur le moral des troupes et risqueraient de saper les efforts déjà consentis, en interarmées, sur la mutualisation et la rationalisation des efforts du dispositif de soutien, d’autant que les économies de la réforme des bases de défense engagée en 2011 restent à démontrer.

Bien que le format actuel des bases de défense ne permette sans doute pas de tirer tous les bénéfices possibles du concept d’embasement, une nouvelle réduction du nombre de bases de défense ne serait pas avantageuse, dans la mesure où elle se traduirait par la transformation d’actuelles bases en antennes, et ne produirait que très peu d’économies.

Mon collègue André Dulait et moi-même avons préconisé de conforter la réforme actuelle, et même de cesser certaines externalisations réalisées plus par idéologie que par pragmatisme.

Bien que la poursuite de la dynamique de réduction des forces soit nécessaire, la réflexion doit être menée en concertation avec les états-majors et les officiers supérieurs, au plus près du terrain, avec des objectifs compréhensibles par tous.

Aussi, je serai très attentif aux dispositions de la loi de programmation militaire qui sera soumise au vote du Parlement dès l’automne prochain, afin d’éviter la désertification militaire et de préserver le lien armée-nation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Christian Namy, Jean-Marie Bockel, Roland du Luart et Alain Gournac applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier, pour la commission des affaires étrangères. (Bis repetita ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. Alain Néri. Bis repetita non placent !

M. Jacques Gautier, pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’ai eu l’honneur de représenter le Sénat à la commission du Livre blanc et, avant de vous faire part de mon témoignage sur cette expérience, je tiens à remercier publiquement tous mes collègues, au sein du groupe UMP, et à la commission des affaires étrangères, qui m’ont fait confiance pour remplir cette mission.

Je veux aussi saluer l’engagement, durant ces six mois, du président Carrère et de mon complice Daniel Reiner, avec lesquels il est toujours agréable de travailler, dans le respect et l’amitié, par-delà nos différences.

Les remarques que je formulerai porteront exclusivement sur la méthode qui a été utilisée.

Celle-ci est importante, car nous avons trop tendance à nous concentrer sur les propositions et ne passons pas suffisamment de temps, me semble-t-il, à comprendre les raisons qui les sous-tendent. C’est comme si nous nous précipitions à la pharmacie pour acheter des médicaments sans être passé chez le médecin pour savoir de quoi nous avions besoin.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Cela arrive souvent !

M. Jacques Gautier. Penchons-nous quelques instants sur ce sujet, pour une critique raisonnée, mais constructive de la méthode. Dans cette perspective, j’ordonnerai mes idées autour de cinq séries de considérations.

Premièrement, toute démarche « stratégique » se décompose en deux phases : une phase de réflexion, qui consiste à se demander quelles menaces et quels risques on entend parer et quelles ambitions on souhaite avoir – c’est la phase dite « d’analyse stratégique » ; puis une phase d’action, qui consiste à déterminer avec qui on le fait, c’est-à-dire dans le cadre de quelles alliances, le format d’armée qui en découle et la stratégie d’acquisition des équipements nécessaires pour y arriver – c’est la politique de défense.

La particularité de la politique de défense, c’est qu’elle ne prend sa dimension que dans le très long terme. Le traité de Lancaster House nous engage avec nos amis britanniques pour cinquante ans. On ne peut pas changer de format d’armée d’une année sur l’autre pour passer, par exemple, des blindés à la cyberdéfense. Quant à la durée de vie des équipements militaires, nous savons bien qu’elle est souvent supérieure à cinquante ans.

Ainsi, les décisions qui seront prises en 2013 dans le cadre de la loi de programmation militaire et de la loi de finances engageront nos capacités et notre liberté d’action pour longtemps. Il est donc crucial, monsieur le ministre de la défense, qu’elles soient judicieuses. D’où l’importance de l’analyse stratégique.

Précisément, et c’est mon deuxième point, l’analyse stratégique consiste toujours à confronter trois éléments : les menaces, les risques et les opportunités – c’est ce que l’on appelle la prospective de défense – ; les moyens en hommes et en crédits ; enfin, les ambitions de défense.

Troisième série de considérations : l’intérêt d’un Livre blanc. Cet intérêt est triple.

Tout d’abord, il s’agit d’extérioriser, pour le dépassionner, le dialogue difficile entre le ministère de la défense et le ministère du budget. Il s’agit de mettre entre les deux points de vue, nécessairement opposés, mais également légitimes, un arbitre neutre, indépendant et avisé afin de ne pas laisser le Président de la République ou le Premier ministre seuls face à la difficulté de la décision.

Pour cela, il nous faut peser et sous-peser chaque possibilité de choix. Il ne s’agit pas de décider à la place du politique, mais de lui faire des propositions et d’éclairer son arbitrage.

Ensuite, cet intérêt est démultiplié en période de disette budgétaire. C’est parce que les moyens manquent qu’il faut les concentrer. Il convient donc de bien choisir pour renoncer au moins important, sans perdre de vue les objectifs finaux. Le Livre blanc est par conséquent l’instrument de la cohérence de la politique de défense.

Enfin, le Livre blanc doit permettre d’articuler les objectifs que l’on se fixe et les moyens de les atteindre. Il est une charnière entre la réflexion et l’action. Il doit donc donner les grandes orientations de la politique, mais sans entrer dans le détail, car cette politique évoluera nécessairement. À rebours, il doit être clair sur nos ambitions, sur ce que l’on souhaite faire, afin que nul n’en ignore et puisse s’y référer, et que nos amis comme nos ennemis aient une vision de nos intentions dépourvue de toute ambiguïté.

Quatrième série de réflexions : ce qui n’a pas fonctionné. Sans entrer dans le détail, je dirai que la méthode utilisée est en principe la même que celle de la précédente commission du Livre blanc de 2008. Avec toutefois une différence de taille : les membres de la commission du Livre blanc de 2013 n’ont pas disposé de l’enveloppe budgétaire dans laquelle ils étaient censés confiner l’exercice.

Je le dis sans passion, mais avec gravité et un peu de colère : ce n’est pas admissible ! L’absence d’enveloppe financière a privé l’exercice d’une grande part de son utilité.

Au pays de Descartes, comme au pays de John Locke, il n’y a que deux façons de conduire l’analyse stratégique : partir des ambitions de défense et se donner les moyens de les satisfaire ou bien réduire ses ambitions à la hauteur de ses pauvres moyens.

Nous, Français, en avons inventé une troisième : parler des ambitions sans parler des moyens. Ce n’est pas forcément la bonne méthode ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

De ce fait, les membres de la commission n’ont pas été en mesure de résoudre des problèmes dont on leur avait caché pour partie l’exposé.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Caché…

M. Jacques Gautier. Il est tout simplement anormal que la version présentée en janvier dernier n’ait pas compris d’hypothèse budgétaire. Comme je l’ai souligné il y a quelques instants, elle est ainsi restée floue quant au format et plus encore quant à la stratégie d’acquisition.

Les membres de la commission étant mis hors jeu, il est revenu aux services – terme vague et indéfini – d’effectuer le travail, dans la précipitation. J’imagine sans peine quelle a dû être leur tâche et l’effort qu’ils ont dû fournir.

Nous avons donc assisté à un regrettable exercice de « rétropédalage ».

Monsieur le ministre, je devine ce que vous allez nous dire : les travaux budgétaires n’étaient pas terminés et, pendant nos réunions, la vente, comme on dit, continuait Rue de Bercy.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Tout à fait ! D’ailleurs, je l’ai déjà dit !

M. Jacques Gautier. Pardonnez-moi, mais je ne crois pas une seconde à cette explication. La décision était prise puisque l’équation budgétaire finalement retenue est la même, je dis bien « la même », que celle qui avait été indiquée dans la loi de programmation des finances publiques votée à l’automne 2012,…

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ah non !

M. Jacques Gautier. … à savoir une progression « zéro valeur », qui traduit de facto une diminution en termes réels des dépenses de défense.

Mon collègue député UMP Christophe Guilloteau et moi-même aurions dû alors démissionner. Néanmoins, par respect pour nos soldats, face à l’importance des enjeux et conscients de l’intérêt national, nous ne l’avons pas fait, contrairement à ce qui s’était passé en 2008.

Cinquième et dernière série de considérations : il nous faudra modifier – ensemble – la manière dont s’écrira le prochain Livre blanc.

Mes chers collègues, si vous le permettez, je vous livrerai quelques éléments de réflexion à cet égard.

Première proposition : la commission du Livre blanc ne doit plus perdre son temps à redécouvrir l’état du monde et à refaire chaque fois la prospective de défense.

L’atlas des menaces, des risques et des opportunités est la synthèse d’un ensemble d’analyses réalisées en permanence par des organismes dont c’est le métier. Lorsque la commission commence ses travaux, la prospective de défense doit donc être sur la table, les principales ambitions définies et la trajectoire budgétaire affichée. Les membres de la commission ne sont pas et ne doivent pas être des spécialistes de géopolitique ou de polémologie. Leur rôle n’est pas celui-là. Leur plus-value n’est pas celle-là. Ils doivent avant tout être indépendants. Leur rôle est d’élaborer des choix construits. Il faut donc que chacun fasse ce pour quoi il est le mieux placé et ce qu’il sait faire de mieux.

Le temps que la commission a perdu à refaire la prospective de défense s’est révélé d’autant plus dommageable que cette prospective venait d’être actualisée par le SGDSN, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. À quoi donc a servi ce document ? À rien. Fallait-il l’écarter au seul prétexte qu’il avait été conduit sous la précédente présidence ?

Deuxième proposition : il faut réfléchir à la création d’une structure légère mais permanente, permettant la synthèse et le croisement des exercices de prospective et capable de fournir à tout moment et dans la durée une prospective de défense. En effet, comme nous l’avons vu, le monde évolue en permanence.

Troisième proposition : les membres de la commission doivent travailler le plus possible ensemble. Limiter leur réflexion à tel ou tel aspect de la situation au travers de groupes de travail, c’est réduire artificiellement la portée de leur horizon et réserver toute vision d’ensemble au président et au rapporteur général ainsi qu’à ceux qui les assistent.

S’il faut créer des groupes de travail, il faut que ces instances agissent en synergie et s’enrichissent les unes les autres. Délibérer sur le format des forces ou sur l’industrie de défense n’a aucun sens ni aucun intérêt tant que l’analyse globale n’est pas achevée. Cette situation ne peut qu’aboutir à une succession de plaidoyers pro domo, tous très convaincants, mais qui font perdre le fil de l’intérêt général.

Quatrième proposition : il faut déterminer une meilleure articulation entre le moment de la commission et celui du politique. Il est légitime et incontestable que le Président de la République ait le dernier mot. Néanmoins, les exercices de « rétropédalage » de dernière minute doivent absolument être proscrits.

Enfin, – je conclurai ainsi pour ne pas excéder davantage mon temps de parole – le prochain Livre blanc doit être un document beaucoup plus bref et plus dense que le document actuel. La stratégie américaine tient en huit pages et celle du président russe sur une double page. Je rappelle par ailleurs que la stratégie élaborée par Ben Gourion pour Israël tenait en une seule page et qu’elle est toujours valable !

Au pays de Blaise Pascal, prenons donc le temps de faire court. Écrire un Livre blanc n’est ni un exercice intellectuel dont il faudrait comprendre les subtilités entre les lignes, ni un exercice pédagogique pour propager l’esprit de défense. C’est un document public destiné à être lu par nos amis comme par nos ennemis potentiels. Seul l’essentiel doit être dit ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Mes chers collègues, vous le constatez, au sein de la commission, nous sommes d’accord à 99,9 %. Toutefois, il nous arrive d’avoir des analyses divergentes, par exemple au sujet de la commission du Livre blanc. Celle-ci a travaillé durant de longs mois, qui, à mes yeux, étaient encore trop courts !

En effet, une pression extraordinaire a été exercée sur cette instance afin qu’elle remette ses conclusions avant la fin de l’année, ce qui nous a posé beaucoup plus de problèmes que la non-indication de l’arbitrage budgétaire. C’est là mon analyse : elle n’est pas dissonante, elle est simplement complémentaire. (M. Jacques Gautier acquiesce.)

Toutefois, je dois à l’honnêteté de remarquer que le Président de la République, par l’intermédiaire du ministre de la défense, nous a, encore une fois, entendus. Lorsque nous avons demandé que les délégations de l’Assemblée nationale et du Sénat soient renforcées, un siège supplémentaire a en effet été attribué à chacune des deux chambres, assurant la meilleure pluralité – pas la parfaite pluralité, comme cela a été demandé – et renforçant la composante parlementaire de cette commission. Nous y étions profondément attachés. Au demeurant, le président de la commission du Livre blanc a largement tenu compte de nos préconisations.

Par ailleurs, j’insisterai sur le fonctionnement du groupe de travail n° 4, relatif à une thématique qui passionne beaucoup de monde bien qu’elle soit placée sous le sceau du secret-défense, à savoir celle du renseignement.

Ainsi que mon homologue de l’Assemblée nationale, Mme Adam, j’ai siégé au sein de ce groupe de travail ès qualités, en tant que président de la commission de la défense du Sénat. À notre demande, le Président de la République et le ministre de la défense ont admis la présence de deux membres supplémentaires représentant l’opposition parlementaire. Il s’agit de M. Courtois pour le Sénat et de M. Myard pour l’Assemblée nationale.

S’agissant de la problématique de la transmission des arbitrages budgétaires, je souligne que jamais une revue du Livre blanc ne s’est déroulée dans un tel climat économique ! L’enjeu budgétaire était au cœur de toutes nos préoccupations. Rappelons-nous de la problématique Z. Imaginons un seul instant que le pré-arbitrage budgétaire conditionnant tous nos travaux tombe et qu’il s’appelle Z ! Nous aurions été plongés dans le désarroi et placés face à une excessive difficulté pour tenter d’adapter un outil de défense cohérent à ce type de dispositif.

Je ne balaye pas d’un revers de main la remarque de notre collègue Jacques Gautier. Néanmoins, étant donné les circonstances dans lesquelles s’est déroulée la revue du Livre blanc, mieux valait attendre de disposer des arguments politiques et en matière de défense pour obtenir les arbitrages du Président de la République. C’est dans ce sens que nous avons combattu tous ensemble, avec Jacques Gautier, Daniel Reiner,…

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. … mais aussi avec le ministre de la défense, et que, selon moi, nous avons fait œuvre utile pour notre défense. Donc, là, j’ai une petite divergence d’analyse, bien mineure mais que je tenais à indiquer, avec Jacques Gautier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Jean-Claude Requier et Jean-Marie Bockel applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, pour la commission des affaires étrangères.

M. Daniel Reiner, pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme Jacques Gautier, je tiens tout d’abord à vous faire part très simplement de ma satisfaction d’avoir participé à la commission du Livre blanc et d’y avoir représenté le Sénat. Mes premiers mots vont donc à ceux de mes collègues qui ont pris la responsabilité de me désigner. Je les en remercie vivement.

Au terme d’un exercice qui aura duré plus de six mois, j’ai un peu le sentiment d’un devoir accompli. En effet, tout au long des délibérations de la commission, nous avons porté les fruits d’une réflexion collective : celle de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat qui, sur l’initiative de son président, Jean-Louis Carrère, a travaillé sur ces questions tout au long du printemps 2012. Je songe en particulier aux travaux que mon collègue Pozzo di Borgo et moi-même avons consacrés aux capacités industrielles et militaires critiques. Ils nous ont permis d’appréhender la démarche stratégique, les chemins qu’elle devait emprunter et que Jacques Gautier vient de détailler.

Toutefois, comme Jacques Gautier, je ressens une légère frustration de n’avoir pas pu disposer assez rapidement de l’ensemble des données permettant l’aboutissement de nos propres réflexions. Nous nous sommes en quelque sorte mis sur la touche pendant un mois et demi, d’où l’impression un peu étrange de voir le match se dérouler, mais sans nous.

Sur le fond, la rédaction du Livre blanc a nourri de grandes inquiétudes. Chacun est conscient de la gravité de la situation budgétaire, de la nécessité de redresser nos comptes publics et de la contrainte que cette situation exerce naturellement sur le budget de la défense.

Il n’en est pas moins vrai que, finalement, ce qui ressort de l’arbitrage rendu par le Président de la République est un moindre mal. Le budget de la défense contribuera au redressement des comptes publics, ni plus ni moins que les autres, et même plutôt moins.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Effectivement !

M. Daniel Reiner. Ce ne sera donc pas une variable d’ajustement. Les promesses ont par conséquent été tenues, jusqu’à présent.

Monsieur le ministre, cher Jean-Yves Le Drian, vous avez pesé pour beaucoup dans cet arbitrage, et je tiens à vous en féliciter, publiquement ici, au Sénat,…

M. Daniel Reiner. … qui, vous le savez, était à vos côtés dans cet exercice.

Fallait-il un nouveau Livre blanc ? C’est le choix qui a été fait. Force est de le constater, au-delà du contexte financier, la situation géostratégique a beaucoup changé entre 2008 et 2013. Néanmoins, au terme de cet exercice, les options stratégiques de la France restent les mêmes et c’est donc la continuité qui prévaut entre ce Livre blanc et le précédent.

Pourtant, mon sentiment, comme celui de tous ceux qui ont pris part à cet exercice, est que ce document sera vraisemblablement le dernier du genre, non seulement sur la méthode,…

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Oui !

M. Daniel Reiner. … qui vient d’être évoquée – il faudra sûrement remettre à plat notre démarche stratégique –, mais aussi sur le fond.

À mon sens, ce Livre blanc marque la fin d’une époque : celle où il était encore possible de concilier la diminution cohérente du format de nos armées avec le maintien d’une certaine autonomie au sein de nos alliances, tout en promouvant une stratégie d’acquisition accordant une large place aux industriels nationaux.

Je passerai en revue ces trois points, à savoir les alliances, le format et la stratégie d’acquisition.

Premier point : notre stratégie d’alliances militaires, qui comporte trois volets.

Premier volet, le Livre blanc 2013 acte la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN. Au vrai, il n’était pas question pour la France de sortir de cette alliance. Au contraire, comme y invitait le rapport d’Hubert Védrine, il convenait d’y prendre toute notre place.

Cette participation n’est pas un problème. Elle ne se situe pas en opposition avec la souveraineté nationale : on peut être membre à part entière d’une alliance militaire où les décisions se prennent par consensus et rester indépendant.

Deuxième volet, ce Livre blanc, comme le précédent, continue à faire la promotion du projet européen. On peut notamment y lire : « La France considère que la construction européenne en matière de défense et de sécurité est une priorité. » Ce document appelle de manière urgente à une « relance pragmatique de la politique de défense et de sécurité européenne ».

Troisième volet, ce Livre blanc consacre comme fondement de notre stratégie la préservation de notre indépendance et notre souveraineté. Il précise même que « l’efficacité des actions engagées par les forces de défense implique de pouvoir disposer en toutes circonstances d’une capacité autonome d’appréciation des situations et d’une complète indépendance de décision et d’action ».

En résulte cette antithèse apparente au cœur de ce Livre blanc, comme dans d’autres : « Le dialogue – avec les membres de l’Union européenne – vise à substituer à des dépendances subies des interdépendances organisées, et à concilier ainsi souveraineté et dépendances mutuelles. » Mon dieu que la formule est jolie ! Mais ô combien difficile sera sa mise en œuvre !

La vérité est qu’on ne peut murmurer sans cesse les mots « indépendance » et « souveraineté » tout en réduisant les crédits année après année. S’il nous faut diminuer les dépenses, construisons avec lucidité les alliances nécessaires pour pallier nos carences et faire à plusieurs ce que nous ne sommes plus capables de faire seuls.

Cela m’amène à mon deuxième point : le format. Je ne le détaillerai pas car tout est dans le Livre blanc. Ce qui est important n’est pas tant le fait que le format diminue, mais bien que sa cohérence soit sauvegardée. C’est le cas, nous en avons eu l’assurance. (M. le président de la commission des affaires étrangères opine.) Je ferai néanmoins deux séries d’observations.

La première a trait aux motifs de satisfaction. Dans cette catégorie, je range le maintien de la force de dissuasion nucléaire dans l’intégralité de ses deux composantes – qui était un engagement du Président de la République. C’est, d’ailleurs, une opinion presque unanime au Sénat.

Par ailleurs, je me réjouis que les forces spéciales et le renseignement soient largement préservés. Mon collègue Jacques Gautier et moi-même avons visité récemment le 5e régiment d’hélicoptères de combat et le 4e régiment d’hélicoptères des forces spéciales, dont nous avons pu mesurer l’utilité et l’efficacité. Je me réjouis également de la décision que vous avez prise, monsieur le ministre de la défense, concernant les drones MALE. Il était temps de rompre avec l’indécision !

Enfin, j’approuve naturellement l’accent mis sur la cyberdéfense. Il s’agit, à l’évidence, d’un combat que nos forces auront à mener, il convient de s’y préparer.

M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !

M. Daniel Reiner. Ma seconde série d’observations est relative aux inquiétudes et aux attentes. La principale inquiétude, et Gilbert Roger s’en est fait l’écho, concerne la diminution des effectifs, qui vont décroître de 24 000 emplois supplémentaires. C’est à la fois un exercice difficile pour l’état-major et un effort énorme demandé à nos forces armées. Il va donc falloir y procéder avec un grand respect des femmes et des hommes, afin de prévenir démoralisation et démotivation.

S’agissant des équipements, je suis inquiet pour certains grands programmes, aujourd’hui encore, en particulier pour l’A400M, qui, on le sait, comble une importante lacune capacitaire. En réduire la cible, ou l’étaler trop largement serait ouvrir la boîte de Pandore et lancerait un très mauvais signal pour l’Europe de la défense.

Concernant le MRTT, s’il nous faut réduire la cible, c’est bien ce qui, a priori, ressort des chiffres, alors reconsidérons nos positions : lançons un appel d’offre européen afin de faire baisser les prix et constituons une unité multinationale, où, à tout le moins, insérons nos avions dans l’EATC ! (M. le président de la commission des affaires étrangères opine.) J’en mesure la difficulté compte tenu des impératifs liés à la dissuasion, mais si les mots ont un sens, c’est bien celui que porte cette phrase du Livre blanc : « accepter des dépendances librement consenties ».

J’en viens à mon troisième et dernier point : la stratégie d’acquisition. Nous avions regretté, au Sénat, l’absence de stratégie d’acquisition ou son caractère illisible lors de la précédente programmation militaire. Le Livre blanc 2013 ne marque guère de progrès, et le chapitre consacré à l’industrie de défense est, dans l’ensemble, plutôt décevant. Il rassemble une somme d’évidences que personne ne conteste sur l’importance de la base industrielle de défense et ressemble à un catalogue de bonnes intentions. Mais il n’explicite toujours pas la stratégie de l’État, alors que l’intérêt bien compris de chacun, de l’État comme des industriels, serait de savoir à quoi s’en tenir.

La recherche et développement de défense est importante. Nous en sommes tous d’accord. En période de disette budgétaire, concentrons les crédits sur les capacités les plus critiques, tout en restant cohérents. Rien ne sert d’avoir des armes, des avions excellents tel le Rafale ou des hélicoptères remarquables tel le Tigre si, en bout de chaîne, ils ne sont pas équipés des armements adéquats.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Effectivement !

M. Daniel Reiner. De ce point de vue, la filière optronique française nous semble avoir été délaissée depuis plusieurs années et cela pose un problème de cohérence capacitaire.

Par ailleurs, depuis le temps où on sillonne la France en qualité de rapporteur du programme 146, on a constaté en maintes occasions les difficultés de relations entre les PME et les grands groupes ainsi que les dysfonctionnements systémiques qui conduisent l’État à surpayer des équipements militaires.

Il n’est ainsi pas normal qu’une simple vis, certifiée pour l’aéronautique, coûte 7 euros quand elle est fabriquée par une PME et 450 euros lorsqu’elle est revendue par un grand groupe. Il n’est pas normal qu’on lance des appels d’offres pour l’achat des boulons et que les plus gros programmes se passent de gré à gré.

Mme Évelyne Didier. Au lieu de cela, on fait des économies ailleurs !

M. Daniel Reiner. Le temps est peut-être venu de faire évoluer le rôle de la DGA, de concentrer son intervention sur les grands programmes et de laisser, pour le reste, plus de souplesse aux états-majors et plus de place aux solutions innovantes. Il faudra le faire au cas par cas, car, après cinq années passées à étudier ces questions, la seule conviction que j’ai acquise et que je vous livre avec humilité, c’est qu’il n’y a pas de règle. Une chose est sûre : l’État ne doit pas renoncer à acheter ses équipements militaires moins chers et doit s’efforcer de lutter en permanence contre la tendance, devenue naturelle et consentie, à l’augmentation des coûts des équipements militaires.

En conclusion, ce Livre blanc n’est sûrement pas parfait, il sera critiqué, mais il traduit la continuité de la stratégie de la France – elle est éternelle ! – et reflète les difficultés de l’époque. Il sera, selon moi, le dernier de son genre, car il marque la fin d’une politique s’efforçant de concilier des choses inconciliables.

Monsieur le ministre, vous vous définissez souvent comme un « pragmatique » (M. le ministre de la défense opine.),…

M. Jeanny Lorgeoux. Nous sommes bien obligés !

M. Daniel Reiner. … et vous avez raison. Nous sommes, au Sénat, très favorables au pragmatisme. Pragma, en grec ancien, désigne la preuve avant l’action, apportée par un événement. En clair, être pragmatique c’est considérer que la vérité vient de l’action. C’est elle seule qui prouve, car l’on sait que la parole peut hélas tromper. Le pragmatique jugera sur les actes, non sur les promesses.

M. Jeanny Lorgeoux. Le pragmatique, c’est saint Thomas !

M. Daniel Reiner. Soyez assuré, monsieur le ministre, que nous jugerons le Livre blanc avec ce pragmatisme-là et que nous serons à vos côtés pour que les actes suivent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat qui vient de se dérouler montre toute l’importance des choix qui sont énoncés dans le Livre blanc et qui définissent la stratégie de défense et de sécurité nationale. Ces choix sont fondamentaux car il y va de notre indépendance et de notre souveraineté, de la sécurité de nos concitoyens et de la défense de nos intérêts en France et dans le monde. Ces choix engagent la nation dans toutes ses composantes.

Cette stratégie a été approuvée par le Président de la République le 29 avril. Il en a confirmé les orientations vendredi dernier 24 mai devant I’IHEDN. Elle nous est présentée aujourd’hui.

Ce débat constitue également une étape dans un processus de participation accrue du Parlement au suivi et au contrôle des questions de défense, domaine traditionnel de l’exécutif, « domaine réservé », disait-on au début de la Ve République. Les décisions annoncées par le Président de la République le 24 mai vont dans le sens d’une plus grande implication parlementaire et d’une plus grande transparence. Je ne peux que m’en féliciter.

Notre commission a engagé sa réflexion sur le futur Livre blanc très en amont, dès le mois d’octobre 2011, alors qu’il n’était question encore que d’une revue du Livre blanc de 2008. En juillet 2012, nous avions adopté dix rapports qui ont été autant de contributions à la commission réunie en août et dont les travaux se sont achevés au début de cette année. Avec Daniel Reiner et Jacques Gautier, nous avons représenté le Sénat tout au long de ses travaux.

Il me semble important de rappeler que ces dix rapports ont été adoptés à l’unanimité par notre commission. Ce consensus qui dépasse les clivages partisans est une des caractéristiques de la commission que j’ai l’honneur de présider. Il témoigne, non d’un affadissement des opinions, ainsi que certains le prétendent, mais, au contraire, d’un esprit de responsabilité dès lors que l’intérêt national est en jeu.

Les décisions qui ont été prises, et qui trouveront leur concrétisation dans la loi de programmation militaire, n’étaient pas évidentes dans le contexte du nécessaire redressement des finances publiques, dont dépend aussi notre indépendance.

Grande était la tentation d’appliquer une logique comptable et de réduire drastiquement un budget qui atteint un peu moins de 10 % des dépenses publiques. C’était oublier que la défense n’est pas une dépense publique comme les autres, puisqu’elle est le garant de notre sécurité et, donc, de notre prospérité, maintenant et dans le futur.

C’est la raison pour laquelle, le 14 mars dernier, nous avions repris à notre compte la célèbre et quelque peu truculente apostrophe de Danton en 1792, en disant qu’aujourd’hui « La patrie est en danger », car sa défense l’est.

Nous avions néanmoins fixé à 1,5 % du PIB le plancher en deçà duquel notre outil de défense et l’influence de notre pays dans le monde connaîtraient un véritable déclassement. Ce cri a été entendu, puisque, fait assez exceptionnel, tous les groupes politiques du Sénat, à l’exception du groupe écologiste, et avec l’abstention positive du groupe CRC, ont solennellement soutenu la position unanime de la commission. Je veux saluer ici l’engagement personnel du ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, qui a mené la bataille du côté de l’exécutif avec le résultat que l’on sait.

L’arbitrage rendu par le Président de la République fait prévaloir l’intérêt supérieur de la nation. Il ne nous étonne pas puisqu’il correspond à ce que le candidat à l’élection présidentielle avait affirmé : la défense n’est pas une variable d’ajustement, mais elle se doit de participer, au niveau adéquat, à l’effort de redressement des finances publiques. Elle est la décision d’un homme d’État, qui rassure nos alliés et crédibilise l’action de la France à l’extérieur.

Cet effort est important. Nous en sommes d’autant plus persuadés que l’un de nos rapports de juillet dernier portait un titre un peu provocateur, mais qui décrivait bien notre réalité : Forces armées : un format juste insuffisant. (M. Jeanny Lorgeoux acquiesce.)

Cet effort porte sur le budget global puisque celui de la défense est maintenu à son niveau actuel, mais il affecte aussi les forces armées, dont la déflation des effectifs devra se poursuivre encore. Un ajustement est nécessaire, incluant une réduction des coûts et du fonctionnement du ministère.

Nous avons, malgré tout, réussi à préserver l’essentiel, à fixer un plancher à la baisse des dépenses militaires. J’insiste sur le mot « plancher », car il est évident que le niveau actuellement arrêté n’est pas suffisant. Il donne, certes, un coup d’arrêt à la dégradation, mais n’a de sens que s’il s’inscrit, à terme, dès que l’environnement économique le permettra, dans une perspective de progression. Nous ne renonçons en aucune façon à l’objectif de consacrer à notre défense 2 % du PIB en norme OTAN ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Jeanny Lorgeoux applaudit également.)

Le chemin passe, nous le savons, par l’Europe et les partenariats. Nous y travaillons dans la perspective du Conseil européen qui sera consacré à la défense en décembre prochain. Ce sera, du reste, le thème central de nos prochaines universités d’été de la défense qui se tiendront en septembre, à Pau, et auxquelles j’ai l’honneur de vous inviter à participer nombreux ! Notre commission entend être une force de proposition en vue de ce Conseil. Il faut, comme vous le disiez, monsieur le ministre, que la France tire le meilleur parti, pour sa défense, de la construction européenne et de son insertion au sein d’alliances. Il faut être pragmatique. (M. le ministre de la défense opine.)

Pour autant, nous sommes bien conscients que le débat d’aujourd’hui est une étape importante, mais une étape dans un processus qui va demander toute notre vigilance, cher Xavier Pintat, dans les mois et les années à venir. Mais le cap est fixé par le Président Hollande : « assurer le meilleur entraînement, le meilleur équipement, le meilleur renseignement pour nos armées ».

La loi de programmation militaire sera présentée à l’Assemblée nationale en octobre, puis au Sénat. Nous serons particulièrement attentifs à ce que les orientations arrêtées dans le Livre blanc soient scrupuleusement respectées. Mais je sais, monsieur le ministre de la défense, que vous y veillerez. En particulier, il faut que nous disposions d’une garantie que les recettes exceptionnelles, qui doivent permettre, tout au long de la programmation, le respect des décisions du Président de la République, soient bien au rendez-vous. Je veux dire ici à Mme Aïchi que les recettes exceptionnelles prévues dans la précédente durée du Livre blanc ont été encaissées, même au-delà des 3 milliards d’euros qui étaient indiqués, et ne se sont donc pas résumées à 900 et quelques millions d’euros.

Il est clair, dans mon esprit, que, si les recettes exceptionnelles ne pouvaient se réaliser conformément à ce qui sera inscrit dans la loi, ce sera au budget général, sous la forme d’une réserve, comme pour ce qui concerne les OPEX, ou sous toute autre forme, d’abonder à due concurrence.

Selon moi, il sera également nécessaire d’inscrire une clause de contrôle en 2016,…

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Oui !

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. … afin de dresser un bilan et de tirer les conséquences de l’exécution de la loi de programmation militaire. Je n’aurai pas la cruauté de rappeler l’exécution des précédentes lois de programmation militaire : elles étaient toutes en situation de dérive assez substantielle.

Nous serons aussi très attentifs à l’ensemble des questions relatives aux personnels, et ce sous deux angles : le premier concerne les mesures protectrices pour éviter une judiciarisation excessive – il ne s’agit pas là que d’un process de défense, il s’agit aussi d’un process de sécurité nationale – ; le second est relatif aux mesures d’adaptation sociale qui ne manqueront pas d’accompagner les restructurations nécessaires.

Donnons-nous pour objectif que cette programmation soit, pour la première fois, pleinement respectée. Telle est l’exigence du Président de la République, qui déclarait le 29 avril dernier : « Ce que j’exige, c’est que les engagements que nous prenons soient respectés sur la durée – j’allais dire au moins des cinq prochaines années, parce qu’elles nous obligent. Cela marquera une certaine évolution […] par rapport au passé. »

Vigilants, nous devrons l’être aussi au moment de l’examen et du vote des lois de finances, j’en suis tout à fait d’accord, mes chers collègues. Ce sera bien évidemment le cas pour le budget de 2014, qui constituera la première annuité de la programmation.

Mais, au-delà, c’est sur l’exécution que porteront toute notre attention et tout notre contrôle en la matière afin que des décisions de gestion, en cours d’exercice, ne viennent pas « détricoter » ce qui a été préalablement décidé.

Vous le voyez, mes chers collègues, beaucoup de travail nous attend et nous avons encore de nombreux combats à mener. Sachez, messieurs les ministres, que notre commission tout entière est mobilisée en ce sens.

C’est dans cet état d’esprit fait de satisfaction et de vigilance que nous approuvons la stratégie de défense et de sécurité nationale qui nous est proposée dans le Livre blanc.

Vous l’avez compris, Messieurs les ministres, nous sommes soulagés et nous vous remercions de vos décisions ; nous serons à vos côtés si vous respectez la parole donnée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux, au terme de ce débat, remercier les uns et les autres de la qualité des interventions que nous avons entendues et de la pertinence de celles-ci.

Mes remerciements vont tout particulièrement à Daniel Reiner, à Jacques Gautier ainsi qu’au président Carrère, qui ont siégé au sein de la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, à laquelle ils ont apporté leurs contributions, souvent très argumentées. Concernant le déroulement des travaux, je partage certaines de leurs remarques, y compris sur le temps de latence qu’ils ont constaté à un moment donné.

Contrairement à ce qu’a affirmé M. Jacques Gautier, il n’était pas évident d’obtenir l’engagement financier tel qu’il a été indiqué. Des débats et des négociations ont eu lieu avant le choix du Président de la République.

La tâche était très difficile. En effet, l’enjeu était à la fois de tracer des perspectives stratégiques et de tenter de résoudre deux impératifs de souveraineté, sur la durée.

Le premier impératif avait trait à la souveraineté budgétaire. Les crises économique et financière successives que nous avons traversées font peser sur notre dette une pression inédite. Le règlement de la dette est devenu un enjeu de souveraineté.

Le second impératif était lié à la nécessité de garantir notre souveraineté stratégique en raison de l’ampleur des bouleversements géopolitiques et géostratégiques intervenus depuis 2008.

Face à la diversité des menaces pesant sur notre sécurité, il fallait éviter de baisser la garde, même s’il était sans doute nécessaire d’apporter quelques inflexions aux orientations du Livre blanc de 2008.

Il nous fallait donc résoudre une équation très difficile, qui supposait, si elle était validée, des engagements financiers définitifs et garantis.

Monsieur Jacques Gautier, les discussions budgétaires et financières se sont poursuivies pendant toute la durée des travaux, jusqu’à l’arbitrage opéré par le Président de la République. Par conséquent, je suis tenté de dire en cet instant que tous les propos entendus alors sur les risques de déclassement financier et budgétaire sont aujourd'hui passés à l’arrière-plan.

On avait dit : la défense ne sera pas une variable d’ajustement. Elle ne l’est pas ! On avait également dit : la défense contribuera ni plus ni moins à l’effort de redressement des comptes publics. Elle y contribue plutôt moins que d’autres départements ministériels.

C’est donc un résultat équilibré que le Président de la République a approuvé au terme des travaux de la commission du Livre blanc.

Ainsi, le budget de la défense est stabilisé à hauteur de 31,4 milliards d’euros, non pas uniquement pour l’année 2014, monsieur Chevènement, mais pour les années 2014, 2015 et 2016.

La loi de programmation militaire qui sera débattue ici à l’automne prochain prévoira l’inscription dans le temps des engagements capacitaires et financiers. J’espère qu’il sera possible d’inscrire une révision de la trajectoire à la fin de l’année 2016, pour constater une reprise de la croissance et, donc, une situation meilleure.

Avec ces engagements, monsieur le président Carrère, en norme OTAN, nous consacrerons 1,76 % du PIB à la défense. Vous y avez vous-même fait référence. En effet, concernant le pourcentage du PIB, il y a une série d’écoles. Pour ma part, je m’en tiens à celle-là, parce qu’elle nous permet de comparer avec d’autres pays. Certains souhaitent, comme vous-même, que nous puissions aller à un niveau supérieur, et même jusqu’à 2 % en norme OTAN. Nous nous en tenons à 1,76%, mais c’est beaucoup mieux que les références qui étaient diffusées à l’automne dernier.

Cela constitue, me semble-t-il, une avancée significative. Le Livre blanc permet, je le répète, de parvenir à un équilibre.

Le Livre blanc est aussi de nature à maintenir les grandes missions de notre sécurité – une mission de protection, une mission de dissuasion et une mission d’intervention –, ainsi que certains d’entre vous l’ont rappelé au cours du débat.

À cet égard, je répondrai aux orateurs qui se sont interrogés sur les missions de dissuasion et d’intervention.

Je veux le dire à Mmes Demessine et Aïchi ainsi qu’à M. Chevènement, la dissuasion est maintenue dans sa capacité, dans la stricte suffisance. C’est l’une des trois grandes missions assignées à nos armées dans ce Livre blanc, parce qu’elle constitue la garantie ultime contre les agressions ou les menaces d’agression d’origine étatique qui cibleraient nos intérêts vitaux – nous ne pouvons pas les exclure – et permet d’écarter tout chantage qui voudrait paralyser la liberté d’appréciation, de décision et d’action de la France.

Cette mission fondamentale de notre défense est évidemment garantie dans le Livre blanc qui a été proposé. C’est peut-être un point de divergence entre nous, mais je le dis ici avec force.

Concernant le désarmement, je suis tenté de dire que la France a fait son devoir depuis plusieurs années. En effet, nous avons démantelé nos installations de production de matières fissiles, ainsi que nos sites d’essais nucléaires, et réduit notre arsenal à 300 têtes maximum.

Avec les deux composantes, nous sommes dans la stricte suffisance pour assurer la mission de dissuasion que je viens d’évoquer et à propos de laquelle je tiens à réaffirmer le choix fondamental opéré par le Président de la République, un choix qu’il avait d’ailleurs annoncé avant son élection. Cette décision s’inscrit dans la continuité de ce qui constitue les fondamentaux de la défense de notre pays depuis de nombreuses années.

C’est d’autant plus nécessaire maintenant que, dans le panorama géostratégique que nous connaissons, nous devons faire face – M. le Premier ministre l’a affirmé dans son propos introductif – à la fois aux menaces de la force et aux risques de la faiblesse, que l’on a évoqués à plusieurs reprises. S’y ajoute le risque de surprise stratégique, qui a été abordé par M. Pintat.

La meilleure garantie contre l’ensemble de ces risques et de ces menaces, c’est bien la dissuasion, dans ses deux composantes. La situation est désormais claire pour ceux qui s’interrogeaient à cet égard.

Je le sais, mesdames Demessine et Aïchi, certains experts militaires – d’ailleurs, ils l’écrivent – ne partagent pas ce point de vue. Mais le choix est fait, il est maintenu, il est garanti et il sera respecté dans la future loi de programmation et, j’en suis convaincu, dans la loi de programmation suivante.

Concernant les missions d’intervention, certains d’entre vous ont exprimé des inquiétudes sur l’armée de terre et se sont interrogés sur nos capacités d’intervention.

La France est le seul pays qui maintient ses trois missions fondamentales – plusieurs d’entre vous l’ont dit –, et qui possède la capacité d’entrer en premier et de tenir des interventions dans la durée en cas d’opérations de coercition ou de crise.

Avec les 66 000 hommes de la force terrestre projetable, qui sont inscrits dans le Livre blanc et qui figureront dans la loi de programmation, nous permettons la mobilisation de 6 000 à 7 000 hommes dans la durée, projetables et renouvelables, sur deux ou trois théâtres de crise. Dans le même temps, nous pouvons mobiliser 15 000 hommes en cas d’opération de coercition majeure, avec un préavis significatif.

Nous avons donc réduit l’effectif de 30 000 hommes prévu dans le précédent Livre blanc et la précédente loi de programmation, c'est-à-dire sur le papier – on s’est très rapidement rendu compte que cet effectif ne pouvait pas être mobilisé dans son ensemble ! –, à 15 000 hommes, qui s’ajoutent aux 7 000 hommes. On oublie souvent de les additionner !

Pour notre part, nous avançons des chiffres réels ; cet effectif permettra d’assurer le maintien des missions d’intervention dans toute leur diversité, ainsi que le renouvellement des forces projetées. Du reste, ceux qui évoquaient un déclassement stratégique n’en parlent plus : toutes les missions sont maintenues, comme le sont les moyens afférents.

Permettez-moi de formuler une remarque sur les recettes exceptionnelles.

Le maintien des trois missions fondamentales exige une mobilisation financière.

Je n’ai pas les inquiétudes que certains ont pu exprimer quant à la réalité des recettes exceptionnelles qui pourraient être mobilisées au cours des échéances budgétaires à venir.

Tout d’abord, parce que l’exercice budgétaire 2013 montre que les recettes exceptionnelles annoncées, à hauteur de 1,3 milliard d’euros, sont au rendez-vous.

Ensuite, parce que les engagements du Président de la République et du Premier ministre, dans son discours introductif, apportent une garantie sur la durée.

D’où viendront ces recettes exceptionnelles ? De trois sources différentes : les opérations immobilières, les ventes de fréquences et les cessions d’actifs. Ces cessions, qui ne concerneront pas seulement des actifs militaires potentiels, ne pourront être réalisées qu’à la condition que les garanties de souveraineté indispensables soient maintenues dans les industries de défense.

Mon ministère est en train de travailler sur ces trois orientations avec le ministère du budget et le ministère de l’économie et des finances ; nous aboutirons à un résultat qui nous apportera les garanties nécessaires, comme le Président de la République et le Premier ministre s’y sont engagés. Je sais bien qu’on peut toujours s’interroger. Pour ma part, en tout cas, je n’ai pas d’inquiétudes graves.

Je ne pourrai pas, ce soir, répondre à l’ensemble des questions qui m’ont été posées, mais mon assiduité devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat me permettra de compléter mon propos au cours des prochaines semaines.

Monsieur Gautier, j’ai pris bonne note de vos six commandements. (Sourires.)

M. Jeanny Lorgeoux. Six préceptes !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. On pourra les appeler « les commandements du sénateur Gautier ». Parmi ces commandements, le sixième, le plus important, est : Le Sénat, toujours tu écouteras. (Nouveaux sourires.)

Monsieur le président Carrère, j’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt des travaux menés sur votre initiative en anticipation du Livre blanc et de la loi de programmation militaire. Les documents tout à fait essentiels qui en sont issus m’ont amené à prendre un certain nombre d’orientations et de décisions sur lesquelles je voudrais brièvement revenir.

S’agissant d’abord de la recherche, elle est l’une de nos priorités et, comme je l’ai annoncé devant votre commission, elle sera sanctuarisée dans les futurs choix budgétaires. Du reste, j’ai moi-même rehaussé le niveau de ses crédits dans le budget 2013 par rapport au budget 2012, tant il est vrai que j’attache beaucoup d’importance à cette orientation.

Ensuite, je suis très attentif aux propos tenus sur le maintien de la capacité opérationnelle de nos forces, en particulier de leur capacité d’entraînement.

Cette question est un peu liée à celle des pièces de rechange. À cet égard, ce qui importe pour l’avenir, c’est que nos forces aient le bon outil au bon moment et avec des soldats, des aviateurs ou des marins bien entraînés ; les trois conditions en même temps. Or un risque existe, que certains orateurs ont signalé et dont je suis conscient : le risque que nous soyons trop sous la pression du « plus technologique ». (M. Daniel Reiner acquiesce.) Si nous n’y prenions garde, nous pourrions progressivement constituer une armée d’échantillons de haut niveau, certes, mais qui ne serait qu’une armée d’échantillons. Ce n’est pas d’une telle armée que nous avons besoin !

Sans doute, l’excellence technologique est nécessaire dans un certain nombre de domaines – j’y reviendrai –, mais nous avons surtout besoin de capacités de réaction et d’intervention composées de militaires en mesure de remplir leur mission. Parfois, un matériel robuste vaut mieux que le modèle le plus pointu exposé au dernier salon.

M. Daniel Reiner. En effet !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Cet équilibre qu’il nous faut trouver, on l’appelle la différenciation ; le Livre blanc adopte cette logique et vous la retrouverez dans la loi de programmation militaire.

Il est certain que cette orientation aura une incidence sur notre potentiel industriel, que le président Carrère et plusieurs autres orateurs ont souligné la nécessité de garantir : elle entraînera un allongement des délais en matière industrielle. Cependant, nous avons veillé à ce que les choix proposés dans le Livre blanc ne provoquent aucune rupture dans la capacité de production des différentes industries d’armement françaises, qui sont très performantes et qui ont une capacité d’exportation très importante. Il y aura certes un ralentissement des commandes, mais, dans tous les secteurs industriels, l’ensemble des capacités seront maintenues.

L’exemple du Tigre illustre très bien le sens de la différenciation. Aujourd’hui, nous avons beaucoup de Tigre, mais certains ne peuvent pas être utilisés, faute de pièces de rechange. La logique que nous voulons mettre en œuvre est inverse : il vaut mieux avoir moins de Tigre avec plus de pièces de rechange !

Plusieurs orateurs ont également abordé la question des drones. Dans ce domaine, le choix a été fait par mes soins, au moment où j’ai pu avoir une lisibilité budgétaire et financière suffisante pour décider. Acquérir sur étagères des drones américains, c’est aujourd’hui indispensable sur le plan capacitaire. (M. Jeanny Lorgeoux acquiesce.) Songez qu’au Mali, nous sommes dépendants en grande partie de la bonne volonté des Américains, qui nous fournissent les informations issues de leurs drones de nouvelle génération.

Il n’y avait pas de disponibilité technologique au niveau en France et en Europe ; c’est un fait et je n’y suis pour rien. Il fallait agir rapidement pour combler notre lacune et nous l’avons fait. Seulement, au moment où nous le faisons, nous insistons aussi sur la nécessité de préparer dès à présent les drones Male de nouvelle génération. (M. Jacques Gautier acquiesce.)

Cet objectif requiert une mobilisation des acteurs industriels, mais aussi de nos partenaires européens qui sont confrontés aux mêmes nécessités que nous. Je pense qu’avec les Britanniques, nous pourrons avancer rapidement sur ce sujet. Je souhaiterais aussi travailler avec les Allemands, mais on ne peut pas attendre tout le monde en même temps : il faut bien s’engager.

Je réponds ainsi à quelques observations tout à fait justes qui m’ont été adressées à propos des drones ; du reste, nous aurons l’occasion de reparler de cette question lors de l’examen de la loi de programmation militaire.

En ce qui concerne l’A400M, il participe au renouvellement de notre capacité de transport. Compte tenu des nombreux retards qu’il a connus, il faut prendre toutes les précautions d’usage. Moyennant ces précautions, tout me laisse à penser que le premier avion pourrait être livré avant le 14 juillet prochain.

À cet égard, M. Reiner a imaginé que nous pourrions mutualiser davantage nos capacités de transport nouvelles. Il s’agirait d’élargir l’European Air Transport Command, l’EATC, c’est-à-dire le commandement commun à la France, à l’Allemagne et au Benelux pour le partage de capacités de transport aérien. Plus précisément, ce commandement, qui nous permet de disposer à Eindhoven d’une capacité d’échange importante, pourrait intégrer une sorte de club de l’A400M, afin de nous permettre d’échanger des capacités de transport avec les sept pays qui ont acquis ou qui vont acquérir cet appareil et de disposer de moyens renforcés et mutualisés. Je suis tout à fait favorable à cette logique parce que c’est, à mes yeux, la manière d’engager l’Europe de la défense.

Monsieur Reiner, vous avez bien voulu souligner que j’étais pragmatique ; en ce qui concerne l’Europe de la défense, je pense que c’est une nécessité. (M. Daniel Reiner acquiesce.) Nous ne pouvons pas reprendre un discours théorique incantatoire sur la mise en place d’une défense européenne.

M. Robert del Picchia. En effet, cela vaut mieux !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Remarquez que, peut-être par une coquetterie de langage, je distingue la défense européenne de l’Europe de la défense. Pour moi, la défense européenne, c’est le concept qui n’a pas réussi. On a essayé de monter, à la fois sur le plan de la théorie et des structures, un dispositif qui n’a pas abouti, constatons-le. C’est donc qu’il faut prendre la question d’une autre manière.

Je suis favorable à l’orientation tracée par le Livre blanc : dans les domaines opérationnel, capacitaire et industriel, la France doit être à l’initiative des dynamiques nécessaires au renforcement de coopérations à deux, à trois, à cinq ou à vingt-sept, selon les cas. Du reste, le Conseil européen qui doit se tenir sur le sujet à la fin de cette année sera peut-être l’occasion pour nous d’avancer nos propositions.

M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Le fait est que, comme je l’ai dit devant la commission, nous avons des idées sur chacun des sujets, y compris dans le domaine des opérations. Il s’agirait par exemple d’accélérer et d’alléger la chaîne de décision et de commandement dans l’Union européenne en cas de crise ; actuellement, sept ou huit échelons interviennent avant qu’une décision soit prise, ce qui, en matière de défense, est tout de même beaucoup. Cette initiative pourrait être lancée par plusieurs États et aboutir. (MM. Jeanny Lorgeoux et Jacques Gautier acquiescent.)

Notre travail avec les Britanniques pour la mise en place en 2016 d’un corps expéditionnaire conjoint, prévue par les accords de Lancaster House, est un exemple de coopération au niveau opérationnel. Nous coopérons aussi avec les Allemands et avec d’autres pays européens dans le cadre de l’opération Atalante. Accumulons les initiatives croisées pour aboutir à un concept de l’Europe de la défense qui s’imposera de lui-même, parce que l’Europe de la défense devient progressivement une nécessité après avoir été peut-être davantage un vœu. Telle est en tout cas la logique de mon action.

La question de l’Europe de la défense me conduit à celle des alliances, qui lui est liée. À ce propos, je tiens à signaler à plusieurs orateurs, notamment à Mme Demessine, que notre place dans l’OTAN est abordée dans le Livre blanc sur le fondement des suggestions émises par le rapport de M. Védrine.

Il s’agit de constater que nous sommes dans le commandement intégré et, partant, d’y prendre toute notre place. Autrement dit, loin d’être le passager clandestin ou le passager à regret de l’Alliance atlantique et de son commandement intégré, notre pays doit en être définitivement un acteur. Cette attitude change la donne car, dès lors que nous l’adoptons, nous pouvons être en mesure d’infléchir la doctrine et les orientations, tout en conservant notre autonomie stratégique et notre capacité de décision propre, comme nous l’avons fait dans l’opération au Mali. Telle est la voie tracée par le Livre blanc. Il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté sur cette question, ni dans un sens ni dans l’autre.

Messieurs Lorgeoux et Berthou, la cybersécurité est inscrite dans le Livre blanc. Dans ce domaine, des priorités essentielles ont été fixées, en particulier l’existence d’une chaîne de commandement opérationnel de la cybersécurité au sein du centre de planification et de conduite des opérations, le CPCO. La nécessité a aussi été affirmée de consolider une base industrielle de bon niveau dans ce domaine. En outre, des ressources humaines notables doivent être affectées à la cyberdéfense ; cet objectif concerne à la fois le recrutement, la formation et la réserve, ainsi que l’expertise citoyenne.

En tout cas, c’est un fait acquis que la cyberdéfense, qui était une indication dans le Livre blanc de 2008, est aujourd’hui reconnue comme une nécessité et une véritable capacité militaire.

À propos de la maritimisation, monsieur Trillard, nous sommes tout à fait en phase sur les grands enjeux de demain. Le Livre blanc réaffirme trois objectifs dans ce domaine : faire respecter le droit et, en particulier, défendre notre souveraineté partout dans notre espace océanique, qui est le deuxième au monde ; s’opposer aux trafics illégaux et lutter contre la piraterie qui se développe, non plus seulement dans la corne de l’Afrique, mais aussi dans le golfe de Guinée ; nous assurer que nous sommes capables de mener des opérations à partir de la mer. Je suis convaincu que les choix qui ont été arrêtés, en particulier le renforcement, évoqué par le Livre blanc, de certaines capacités d’intervention de la marine, nous permettront d’atteindre ces trois objectifs.

D’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, si vous avez bien lu le Livre blanc, vous aurez observé que les inflexions géostratégiques qu’il marque par rapport au Livre blanc de 2008 intègrent, d’une part, l’enjeu maritime et les nouveaux risques maritimes et, d’autre part, la nécessité d’un partenariat stratégique rénové entre la France et l’Afrique.

S’agissant de ce dernier point, monsieur Lorgeoux, je partage entièrement votre position. Il faut que nos prépositionnements et notre présence en Afrique, ainsi que les accords que nous passons avec plusieurs pays africains, soient un outil réactif et flexible. La loi de programmation militaire sera l’occasion de réfléchir à l’évolution de ce dispositif pour le rendre mieux adapté aux besoins. Il s’agit d’une orientation forte du Livre blanc ; elle se traduira aussi dans la loi de programmation militaire.

Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations que je souhaitais présenter en réponse aux remarques qui ont été formulées dans le débat. Je n’ai pas répondu à la totalité de celles-ci, mais je ne veux pas être trop long. Le dialogue permanent que j’entretiens avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat me permettra de compléter mon propos.

Permettez-moi, pour conclure, d’évoquer les hommes et les femmes de la défense, qui sont pour moi le plus important.

Beaucoup d’orateurs ont fait référence à leur courage et à leur professionnalisme. Ils sont en effet en première ligne pour faire respecter nos intérêts de sécurité et nos valeurs, parfois au péril de leur vie. Ils le font le plus souvent dans l’ombre, la discrétion étant une des conditions de l’efficacité de notre défense.

Le débat que nous venons d’avoir et l’élaboration d’un Livre blanc sont des moments privilégiés pour rendre à ces hommes et ces femmes l’hommage qu’ils méritent. Vous l’avez fait.

Plus encore, nous ne devons cesser de penser à eux au moment de prendre les décisions les plus importantes pour notre défense. C’est ce qui a été fait pour le Livre blanc. Nous avons, dans le cadre de son élaboration, mis en place une plate-forme participative, qui a connu un très grand succès ainsi qu’en attestent les 300 000 visites et 7 000 contributions de militaires recueillies. Nous aurons la même attention à leur égard pour la loi de programmation militaire.

Je sais qu’il faudra réduire l’ensemble du périmètre de 24 000 postes. Nous mettrons en place les moyens d’accompagnement pour que cela se fasse le mieux possible et continuerons, dans le même temps, à recruter et à former ceux qui, de manière exemplaire, assurent la sécurité de notre pays et qui ont fait preuve, tout particulièrement au Mali, d’un courage et d’un professionnalisme reconnus de tous.

Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre contribution au Livre blanc. Je vous remercie de votre attention et vous confirme mon souci de poursuivre avec vous une collaboration active, dans l’intérêt bien compris de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UMP. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères et de la défense, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux et honoré à mon tour de m’exprimer devant vous aujourd’hui, sous la présidence vigilante de Jean-Pierre Raffarin. Je crois qu’il est en effet essentiel que le Parlement soit pleinement associé aux évolutions que vont connaître, dans les prochaines années, la défense et la sécurité nationale.

Jean-Yves Le Drian a, comme à son habitude, parfaitement apporté à ces débats ses éclairages et son engagement que vous connaissez tous.

Je veux à mon tour saluer ici l’implication des parlementaires qui ont participé aux travaux de la commission du Livre blanc. Pour le Sénat, je pense à Jean-Louis Carrère, Daniel Reiner et Jacques Gautier.

Le ministère de l’intérieur a participé de façon importante à l’élaboration de ce Livre blanc. En effet, la pertinence du concept de « sécurité nationale », introduit lors de l’exercice de 2008, a été réaffirmée en 2013 et devra, dans l’avenir, l’être tout autant sinon d’avantage.

Ce concept vise un objectif, je ne vous apprends rien, bien plus large que la simple protection du territoire et de la population contre les agressions extérieures imputables à des acteurs étatiques. Il traduit la nécessité de gérer l’ensemble des risques et des menaces, directes ou indirectes, susceptibles d’affecter la vie de la nation et de nos compatriotes.

Aujourd’hui, ces risques ne connaissent pas de frontières, terrestres, maritimes, aériennes ou numériques. Ils comprennent, évidemment, le terrorisme, mais aussi les catastrophes naturelles ou industrielles, ainsi que les attaques informatiques.

Qu’ils se manifestent à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire, ils ont des dimensions nouvelles, évolutives et appellent une mobilisation large, cohérente et déterminée de toutes les ressources de la puissance publique.

Le Livre blanc de 2013 adopte, ainsi que M. le Premier ministre l’a rappelé, une approche globale qui repose sur la combinaison de cinq fonctions stratégiques : la connaissance et l’anticipation, la protection, la prévention, la dissuasion et l’intervention. Je m’arrêterai sur les deux premières d’entre elles – la connaissance et l’anticipation, et la protection – car elles concernent particulièrement le ministère dont j’ai la responsabilité.

Le Président de la République, cela a été rappelé, a fait du renseignement et des capacités de connaissance et d’anticipation une priorité majeure du Livre blanc.

L’affaire Merah et, plus récemment, l’assassinat d’un militaire à Londres marquent la constance de la menace terroriste sur le territoire national et européen.

Ces événements, dont nous avons eu l’occasion de traiter sous différentes formes, notamment ici même il y a quelques jours à l’occasion de questions cribles sur les défis du terrorisme, soulèvent bien sûr la question des moyens et de l’organisation des services de renseignements dans l’identification et la prévention des passages à l’acte.

L’activité du renseignement constitue donc le socle de la lutte antiterroriste. La lutte contre le terrorisme, coordonnée par l’unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT, participe d’une stratégie globale impliquant aussi bien les services de la défense que ceux du ministère de l’intérieur ou d’autres administrations, comme les douanes ou l’aviation civile.

Elle repose, pour faire simple, sur un dispositif administratif qui vise à prévenir, en les neutralisant, les acteurs et les réseaux de la mouvance radicale, je pense, par exemple, au processus d’expulsion d’étrangers radicaux ou du gel des avoirs.

Elle repose également sur un dispositif judiciaire qui combine l’action de la direction centrale du renseignement intérieur – la DCRI –, de la direction centrale de la police judiciaire, de la préfecture de police, de la police nationale et de la gendarmerie nationale autour d’un arsenal juridique en constante évolution.

Ainsi, récemment, l’adoption de la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et la lutte contre le terrorisme – ce texte, qui a bénéficié d’un apport important du Sénat lors de sa discussion, a été adopté à une très large majorité, sinon à la quasi-unanimité, par le Parlement – a permis que soient désormais sanctionnés les individus engagés dans les filières djihadistes à l’étranger, qu’il s’agisse de ressortissants français ou d’étrangers résidant en France. Dans ce contexte, on peut souligner – c’est un exemple parmi d’autres – les poursuites judiciaires engagées à l’encontre du français Gilles Le Guen.

Mais, nous le savons bien, la préoccupation du gouvernement français comme des autres gouvernements européens porte désormais notamment sur les filières ou les individus qui se rendent dans un contexte bien particulier en Syrie. Nous l’évoquons bien sûr avec les ministres des affaires étrangères et de la défense. Ainsi, j’aurai pour ma part dans quelques jours une réunion avec les ministres de l’intérieur des pays européens les plus concernés par ce mouvement préoccupant, qui se développe sur un long terme, et qui doit nous mobiliser sur le plan diplomatique, sur le plan du renseignement, mais aussi sur le plan judiciaire.

Les différents audits réalisés à l’issue de l’affaire Merah ont conclu à la nécessité de réformer et de mieux encadrer nos services, nous en avons déjà parlé ici même.

L’audit réalisé par l’Inspection générale de la police nationale a notamment formulé plusieurs observations, qui ont d’ores et déjà fait l’objet d’une mise en œuvre au travers de plusieurs mesures : la création d’une inspection du renseignement intérieur, la création d’une structure en charge de la coordination sur le plan opérationnel entre services centraux et territoriaux, ainsi que la création de bureaux de liaison au niveau parisien et dans chaque zone de défense afin de renforcer l’articulation entre la DCRI et la sous-direction de l’information générale de la direction centrale de la sécurité publique.

Le renseignement intérieur doit également bénéficier désormais d’un renforcement de ses moyens et d’un renouvellement du cadre de ses interventions.

Il convient, en premier lieu, de renforcer les effectifs en assurant une diversification du recrutement, et notamment du recrutement contractuel : ingénieurs, linguistes ou analystes. Je sais que c’est une préoccupation du président Carrère, qui me l’a souvent exprimée.

Il faut, en deuxième lieu, développer les investissements techniques pour renforcer les moyens opérationnels de la DCRI en termes d’équipements et de parc roulant.

Le rapport de la mission d’information présidée par le député Jean-Jacques Urvoas, par ailleurs président de la commission des lois de l’assemblée nationale, soulève, par exemple, la question de la création d’une direction générale du renseignement intérieur, en vue de lui conférer une autonomie en matière de budget et de gestion des ressources humaines. Je ne vous cache pas mon intérêt pour cette proposition. En tout cas, le débat est ouvert ; il faudra rapidement le trancher.

En troisième et dernier lieu, il apparaît nécessaire de renforcer les bases juridiques de l’action des services de renseignement. Il s’agit d’un sujet compliqué. La plupart des grandes démocraties ont cependant engagé de telles démarches en mettant en place les outils protecteurs. Il faut reconnaître que, pour différentes raisons, bonnes ou mauvaises, notre pays a encore du mal à le concevoir.

Le contrôle des services de renseignements par les représentants du peuple est un impératif démocratique ; c’est déjà le cas. Je le sais, la délégation parlementaire au renseignement accomplit d’ores et déjà un travail important, comme l’a démontré la qualité de son dernier rapport remis au Président de la République, qui le prend en considération. Je voudrais d’ailleurs saluer l’implication, au sein de cette délégation, des présidents des commissions des lois et de la défense de votre assemblée, Jean-Louis Carrère et Jean-Pierre Sueur.

En matière de contrôle, les conclusions de la délégation du Parlement ou de la mission Urvoas sont ambitieuses et bienvenues. Si elles ne concluent pas forcément aux mêmes propositions, elles posent les jalons d’une réflexion qui doit être menée, avec discernement, de manière intelligence, dans les mois et les années à venir.

C’est d’ailleurs ce que nous avons commencé à faire dans le cadre de la loi antiterroriste du 21 décembre 2012 que j’ai évoquée il y a un instant. Nous avons aussi des rendez-vous, comme je m’y étais engagé, dans ce domaine-là.

S’agissant de la seconde fonction stratégique, la protection du territoire national et de nos concitoyens associée à la préservation de la continuité des fonctions essentielles de la nation, celles-ci sont au cœur de notre stratégie de défense et de sécurité nationale.

Ainsi, en matière de lutte contre le terrorisme, le dispositif de l’État sera maintenu à un haut niveau de vigilance, et ce dans une approche globale, face à une menace qui reste majeure et persistante. J’ai eu souvent l’occasion de décrire cette menace. Nous avons un ennemi extérieur : des États ainsi que des organisations terroristes particulièrement organisées. Nous avons également un ennemi intérieur, et c’est ce que nous avons vécu au cours de la dernière année, depuis l’affaire Merah. Cela s’est aussi traduit par le démantèlement de filières ou de groupes et l’arrestation d’individus qui voulaient passer à l’acte dans notre pays ou se rendre sur des théâtres de guerre, au Sahel ou en Syrie.

Et il y a ces phénomènes, liés, d’auto-radicalisation, que nous ne découvrons pas. Voilà encore quelques mois, un français s’est rendu en Belgique pour poignarder deux policiers belges. Mais ce qui vient de se passer à Londres et les interrogations sur ce qui s’est passé à La Défense samedi dernier nous poussent à une très grande vigilance.

Le plan gouvernemental Vigipirate assure la mobilisation des différents ministères, des collectivités territoriales, des opérateurs d’importance vitale et des citoyens pour renforcer nos niveaux de protection, sans jamais sombrer dans la routine, ni céder à la communication. Ainsi, chaque fois qu’il y a un événement, une menace, on nous demande, à M. Jean-Yves Le Drian et à moi-même, si nous allons rehausser le niveau du plan Vigipirate. Il n’y aura bientôt plus de couleurs ! Il faut faire preuve de prudence pour être capable d’apporter à cette menace une réponse adéquate.

Ce plan repose, vous le savez, sur quatre grands principes : une posture de vigilance qui s’appuie sur l’analyse permanente de l’évolution de la menace – il faut aller vite, il faut être capable d’y répondre, et notamment à celle que nous connaissons sur internet – ; une approche globale qui permet d’exercer cette vigilance dans tous les secteurs de la société, celle-ci devant être sans cesse mobilisée ; un principe de responsabilité partagée entre autorités publiques, opérateurs et, donc, citoyens ; une gradation de la réponse de l’État, qui peut notamment comporter des mesures contraignantes.

Ce plan comprend enfin quatre niveaux d’alerte rendus publics et matérialisés par une couleur : jaune, orange, rouge – qui peut être renforcé – et écarlate. Ce dernier niveau d’alerte a été mis en œuvre après les assassinats perpétrés par Merah dans la région Midi-Pyrénées.

Compte tenu du caractère structurellement élevé de la menace terroriste, le plan Vigipirate est au niveau rouge depuis 2005. Ce niveau rouge est renforcé, ou rappelé, quand il s’agit de faire face à des menaces évidentes, comme celles qui pèsent sur notre pays après l’intervention juste et légitime de la France au Mali.

Conformément au mandat confié par le Premier ministre au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, le dispositif sera modernisé afin d’en renforcer l’efficacité.

Ce principe a été confirmé par le Livre blanc. Le ministère de l’intérieur est naturellement associé aux travaux de révision aujourd’hui engagés.

Le Livre blanc marque également une étape nouvelle et déterminante dans la prise en compte de la menace informatique et le développement des capacités de cyberdéfense. Il décrit aussi la vulnérabilité croissante de l’État et de la société face à des attaques de plus en plus dangereuses, rappelées tout à l’heure par M. Berthou : prise de contrôle à distance, paralysie ou destruction d’infrastructures d’importance vitale, voire tentative de pénétration de réseaux à des fins d’espionnage militaire, économique ou industriel.

Si le ministère de l’intérieur est déjà l’une des trois entités gouvernementales à disposer d’un centre de cyberdéfense, il participera aux côtés des autres ministères à l’amélioration de la fiabilité des systèmes d’information de l’État et des grands opérateurs.

S’agissant plus particulièrement de la lutte contre l’espionnage, il nous faut renforcer la préparation des acteurs économiques et industriels. Aussi, afin d’optimiser la réponse interministérielle, j’ai souhaité que les services de police et de gendarmerie contribuent, au sein de chaque territoire, dans le cadre de leurs actions d’intelligence économique, à la diffusion du guide d’hygiène informatique conçu par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.

Dans le Livre blanc est aussi fixé l’objectif d’établir dès 2013 un contrat général interministériel, qui décrira les capacités civiles nécessaires aux missions relatives à la sécurité nationale. En effet, mesdames, messieurs les sénateurs, l’exercice de certaines missions en situation de crise suppose la disponibilité de capacités spécifiques bien identifiées.

Certains partenaires jouent un rôle essentiel dans la capacité de résilience de notre pays face à des crises souvent multiformes. L’enjeu est donc de mobiliser et d’identifier les savoir-faire présents dans l’ensemble des services publics, notamment au sein des collectivités territoriales et chez de nombreux opérateurs privés.

Le Livre blanc de 2013 confirme aussi les orientations de 2008, à savoir la montée en puissance des capacités civiles, et demande aux ministères concernés de faire les efforts d’équipement nécessaires. De ce point de vue, nous devons préserver les capacités d’intervention de présence en temps de crise sur nos territoires ultramarins. Le ministre de la défense était encore il y a peu de temps aux Antilles pour constater ce défi. Le ministère de l’intérieur participe également à la réflexion engagée avec les ministères les plus concernés.

Enfin, le ministère de l’intérieur est chargé des modalités de la déclinaison territoriale de la planification de crise. Celle-ci est mise en œuvre par les préfectures de zones de défense et de sécurité puis des départements. Il s’agit d’une démarche capacitaire que l’État mènera dans les zones de défense et de sécurité par grands bassins de risques, afin de mieux mobiliser, au-delà des ministères concernés, les différentes collectivités compétentes, acteurs clés de la gestion de crise.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sur la base d’une analyse ciblée des risques et des menaces, la stratégie de sécurité nationale doit organiser des réponses diversifiées mobilisant une multitude d’acteurs pour prévenir et gérer les crises majeures sur notre territoire.

Au plan international, nous vivons dans un monde où le développement des réseaux et la circulation toujours plus intense des personnes, des marchandises, des capitaux et des informations relativisent la notion de frontière et multiplient en tout cas les interdépendances. Si ces évolutions peuvent être un facteur de vulnérabilité, dans la mesure où elles facilitent la propagation des crises, elles peuvent aussi devenir un atout, dès lors que, tirant toutes les conséquences du fait que notre sécurité ne commence pas à nos frontières, nous serons assurés de la promotion d’un projet, notamment européen, de sécurité, mais aussi, évidemment, d’un partenariat nous liant à des pays amis un peu partout dans le monde.

Un tel projet peut être réalisé, pour ce qui concerne l’Europe, dans les cadres juridiques actuels de l’Union et serait de nature à renforcer l’efficacité des politiques nationales, qui revêtent une importance particulière pour les peuples européens.

Ce sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les défis qui nous attendent et auxquels, bien évidemment, le ministère de l’intérieur apporte sa contribution et son action. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Hervé Marseille, Robert del Picchia et Jean-Claude Lenoir applaudissent également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec la déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

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Dossier législatif : proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement
Discussion générale (suite)

Déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement

Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi modifiée

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant déblocage exceptionnel de la participation et de l’intéressement (proposition n° 559, rapport n° 594, résultat des travaux de la commission n° 595).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement
Article 1er

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation. Monsieur le président, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis aujourd’hui ici pour présenter la proposition de loi, dont l’initiative revient au groupe socialiste de l’Assemblée nationale, portant déblocage exceptionnel de l’épargne salariale : il s’agit d’offrir aux salariés la possibilité de débloquer de manière exceptionnelle une partie de leur épargne salariale, pendant une période d’une durée de six mois.

Cette mesure a été prise en cohérence avec d’autres orientations du Gouvernement en matière de soutien à l’activité économique et à la croissance.

Notre première orientation concerne évidemment la création d’un environnement européen plus favorable à la croissance et tenant compte de rythmes de consolidation budgétaire qui n’altèrent pas les possibilités de reprise dans l’Union européenne. Ce travail a trouvé une première traduction dans la réorientation de la politique européenne et le changement de doctrine de la Commission sur les rythmes de consolidation budgétaire.

Notre deuxième priorité est la restauration de la compétitivité de nos entreprises et de leurs marges, pour qu’elles créent de nouveau de l’emploi. C’est le sens du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, mesure d’ores et déjà préfinancée, qui devrait permettre aux entreprises de restaurer leurs marges, donc leur compétitivité, et leur capacité à exporter et à créer de l’emploi.

Enfin, le soutien à la consommation est le dernier pilier de cette stratégie de croissance. Celle-ci a en effet été altérée ces dernières années, puisque, pour la première fois en 2012, le pouvoir d’achat des Français a reculé de manière suffisamment significative pour affecter la consommation. Il s’agit pourtant là d’un pilier fondamental de l’activité en France, qu’il est bien évidemment nécessaire de restaurer. C’est d’ailleurs le sens de la proposition formulée le 28 mars dernier par le Président de la République, qui a annoncé sa volonté d’ouvrir la possibilité d’un déblocage exceptionnel de la participation et de l’intéressement pendant une période de six mois.

Nous avons voulu que cette mesure soit la plus simple et la plus lisible possible, de façon que, tout en encourageant concrètement la consommation, elle ne porte atteinte ni à l’épargne longue ni à l’épargne solidaire.

L’épargne salariale, vous n’êtes pas sans le savoir, c’est à peu près 90 milliards d’euros d’encours. La part des sommes bloquées au sein de cet encours global concerne environ 4 millions de salariés français, qui pourraient faire usage, selon leurs besoins, d’une partie de leur épargne salariale pour consommer.

Nous avons voulu flécher l’utilisation de cette épargne salariale vers la consommation et je me réjouis que l’Assemblée nationale nous ait aidé à cibler cette mesure, afin d’éviter que le déblocage de ces sommes – 20 000 euros au maximum – n’aille abonder d’autres produits financiers, dont certains Français pourraient attendre une meilleure rémunération.

À cet égard, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’entrer tout de suite dans le vif du sujet. Plusieurs sénateurs appartenant notamment à l’UDI-UC ont souhaité renforcer encore ce ciblage, en proposant un amendement visant à flécher encore plus strictement les sommes débloquées par les Français, qui seraient destinées uniquement à l’achat de services et non de biens d’équipement, au motif – la philosophie est louable – que les emplois dans le secteur des services sont localisés en France et non à l’étranger, comme c’est souvent le cas lorsqu’il s’agit de fournitures ou de biens d’équipement. Je pense aux téléviseurs ou aux automobiles, même si on fabrique aussi, et c’est heureux, des automobiles en France.

Je le dis tout de suite, le Gouvernement ne souhaite pas qu’on limite trop la portée d’une telle mesure. Par exemple, si une personne décide d’acheter une cuisine, peu importe chez quel cuisiniste, elle achète en réalité un service, à savoir la pose de la cuisine, mais aussi des biens, tels que meubles, cuisinière et réfrigérateur.

Ainsi, – c’est mon premier argument – le fait de limiter le déblocage de l’épargne salariale aux services risquerait donc de freiner les salariés qui souhaitent équiper leur maison d’une véranda ou d’une cuisine. Si je comprends la volonté de certains parlementaires de soutenir le secteur du bâtiment, je ne crois pas qu’en empêchant les salariés français de s’acheter des biens d’équipement on renforce pour autant les achats de services dans le domaine du bâtiment. Je crains même qu’on ne les restreigne.

Au demeurant, la logique des sénateurs centristes rejoint, me semble-t-il, la philosophie générale de ce texte. J’évoquerai toutefois un autre argument, particulièrement important à mes yeux, qui justifie l’opposition du Gouvernement à un tel amendement. Aujourd’hui, quand on achète des services, on fait effectivement appel à des emplois localisés en France. Toutefois, les biens que nous achetons n’ont pas tous été fabriqués en Corée ou au Japon ! Une bonne partie des automobiles achetées en France viennent heureusement de France, grâce à des marques comme Peugeot ou Renault. Or le déblocage de l’épargne salariale permettra de déstocker un bon nombre de véhicules aujourd’hui détenus par les concessionnaires.

De surcroît, même si on achète un bien importé, combien sont-ils, ces emplois liés au service clientèle d’un certain nombre de grandes marques commercialisant de l’électroménager et localisées dans notre pays ? Combien sont-ils, ces emplois de la grande distribution, créés ici parce qu’on y achète des produits ? Peu importe qu’ils soient fabriqués ici ou ailleurs ! Le soutien à la consommation des ménages, en particulier de biens d’équipement, permet aussi de soutenir l’emploi en France.

En tant que ministre chargé de l’économie sociale et solidaire, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de formuler une remarque supplémentaire. La filière de la réparation est aujourd’hui en train de se développer dans le secteur de l’électroménager et des biens d’équipement. Les emplois qu’elle crée, localisés en France, sont soutenus par l’achat de ces biens.

Cet ensemble d’arguments, que je tenais à avancer à ce stade du débat, devraient justifier qu’on en reste à la rédaction du texte en son état actuel, sans chercher à limiter le déblocage de l’épargne salariale uniquement à l’achat de services.

La lisibilité de ce texte, c’est aussi de fixer une période de six mois, à savoir du 1er juillet au 31 décembre 2013.

Nous avons également prévu un certain nombre de garde-fous. Tout d’abord, notre choix s’est porté sur un dispositif préservant l’épargne placée en vue de la retraite dans les PERCO, les plans d’épargne pour la retraite collectifs, afin d’éviter que cet investissement, qui consiste à préparer le futur, ne soit pas sacrifié à un besoin immédiat de consommation.

Nous préservons aussi les fonds solidaires, qui bénéficieront donc d’un statut particulier. En effet, les besoins des entreprises de l’économie sociale et solidaire, en raison de leur modèle capitalistique, sont différents de ceux des entreprises dites de l’économie classique. Elles ont un fonctionnement beaucoup plus tempérant et patient, qui suppose de disposer d’un accès à des financements pérennes, auxquels participent les fonds solidaires. Il était donc nécessaire de les mettre à l’écart de ce dispositif de déblocage exceptionnel de l’intéressement et de la participation. Cela ne remet pas en cause ce que nous considérons être un outil fondamental d’association des salariés à la performance des entreprises.

Je rappelle également que la participation, l'intéressement et l'épargne salariale ne sont pas des outils de rémunération du travail ; ce sont des outils de partage des profits, d'intéressement à la performance, qui procèdent d’une philosophie quelque peu différente. Ce modèle original qui est celui de la France justifie d'être consolidé parce qu'il est de surcroît un objet de dialogue social et que cela fonctionne plutôt bien.

Cette mesure exceptionnelle que nous vous soumettons ne préjuge pas de ce que sera la réforme plus globale de l'épargne salariale. Une fois installé, le COPIESAS, le Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat des salariés,…

Mme Isabelle Debré. Créé ici, au Sénat !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. … préparera en effet une réforme plus globale devant répondre à trois objectifs.

Le premier de ces objectifs, c'est l'élargissement du bénéfice de l'épargne salariale. Si 8,8 millions de salariés bénéficient aujourd’hui d'au moins un de ces dispositifs, en réalité, ce chiffre cache des inégalités extrêmement fortes, puisque moins d’un salarié sur cinq travaillant dans une entreprise de moins de cinquante salariés a accès à l'un de ces dispositifs et près de deux tiers des salariés des grandes entreprises ont accès à tous : l'intéressement, la participation, un plan d’épargne entreprise ou un PERCO. Ce sont autant d’inégalités auxquelles il faut mettre fin.

Notre volonté, c’est que la réforme globale de l'épargne salariale bâtie en lien avec les partenaires sociaux élargisse le bénéfice de ces dispositifs sans pour autant bouleverser l'équilibre qui doit demeurer entre la rémunération du travail par les salaires et les outils de participation. À nos yeux, la participation ne doit pas être un substitut ou un palliatif au salaire. Je vous rappelle par ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'elle ne bénéficie pas du même régime de contribution sociale. Le salaire est aujourd'hui un instrument essentiel de financement de la sécurité sociale et c'est pour cette raison qu'en soutenant l'élargissement de la participation et de l'épargne salariale, nous ne voulons pas remettre en cause un principe politique, celui selon lequel la rémunération des salariés repose d'abord sur le salaire.

Deuxième objectif : la simplification. Faut-il le rappeler, depuis 2001, dix lois ont été adoptées dans ce domaine, conduisant à un empilement considérable de règles nouvelles, source d’une complexité d’un extrême raffinement, si j’ose dire. Notre objectif est de simplifier cet ensemble en répondant à des questions simples : quel est le bon niveau d'association des salariés au profit qui soit adapté à l'entreprise ? Quels sont les critères de performance pour faire de ces outils des leviers au service de la productivité et de la compétitivité des entreprises ? Nous devons répondre à ces questions avec les partenaires sociaux.

Troisième et dernier objectif de cette réforme globale de l'épargne salariale : que ces 90 milliards d'euros d’encours soient consacrés au financement de l'investissement productif. Il est frappant de constater que des liquidités abondantes circulent au sein de l'économie européenne, mais qu’une bonne part d’entre elles vont dans des investissements refuge, et non dans des investissements productifs. C’est la fameuse « trappe à liquidité ». C’est pourquoi il est fondamental de faire en sorte que cette épargne salariale soit consacrée au financement de l'investissement productif.

À cet égard, je me réjouis que les partenaires sociaux aient tenu à saluer le montant actuel de l’encours des fonds socialement responsables, soit 10 milliards d'euros. C'est la preuve que nous sommes capables de faire de cette épargne une source pérenne, robuste, participative et tempérante de financement des entreprises, ce qui est notre ambition.

Vouloir restreindre le champ de cette mesure de soutien à la consommation, et donc à l’activité, c’est considérer qu’elle n’aura aucun effet sur l'économie. Or là est l’enjeu : oui ou non voulons-nous que cette mesure ait un impact non seulement sur le pouvoir d'achat, mais également sur la consommation, et donc sur la croissance et sur l'emploi ? Toute modification dans un sens restrictif du champ de cette proposition de loi desservirait tant les consommateurs que l’emploi. C’est pourquoi je souhaite que le Sénat, au diapason de l'Assemblée nationale, instruit des heureux effets que cette mesure de bon sens a pu avoir dans le passé, s’exprime majoritairement en faveur d’un dispositif qui sera utile à nos concitoyens et utile à l'emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, c’est dans un contexte tout à fait particulier que nous sommes appelés aujourd’hui à examiner cette proposition de loi visant à autoriser le déblocage exceptionnel de l’intéressement et de la participation, adoptée par l’Assemblée nationale le 13 mai dernier.

Au terme de trois ans de dégradation continue, les dépenses de consommation des ménages et le pouvoir d’achat de nos concitoyens ont en effet établi l’an dernier de tristes records. Les chiffres publiés par l’INSEE la semaine dernière sont en effet sans appel : en 2012, les ménages ont réduit leur consommation pour la seconde fois seulement depuis l’après-guerre et pour la première fois depuis 1993. Le pouvoir d’achat individuel, quant à lui, a connu l’an dernier sa plus forte baisse depuis trente ans.

Si la crise que nous traversons se mesure à l’aune des données de l’INSEE, elle se traduit aussi et surtout par les difficultés financières que rencontrent nos concitoyens et par le désarroi que dissimulent de plus en plus mal nos administrés.

La mesure de déblocage sur laquelle nous allons nous prononcer vise, au moment où la conjoncture reste difficile, à compléter la stratégie de croissance du Gouvernement en améliorant dans les meilleurs délais le pouvoir d’achat des Français et en soutenant la consommation des ménages.

Elle ouvre aux salariés concernés la possibilité de récupérer, avant le délai légal de déblocage qui peut être de cinq ans ou de huit ans, les revenus épargnés au titre de la participation et de l’intéressement et leur permet de bénéficier des avantages sociaux et fiscaux habituellement associés à l’épargne salariale.

Je tiens à rappeler qu’une telle mesure ne constitue pas une idée neuve. Ce dispositif a même été abondamment utilisé par les gouvernements successifs dans le passé. Depuis 1994, pas moins de quatre déblocages exceptionnels ont ainsi été autorisés par la loi : en 1994, en 1996, en 2004 et en 2008 - cinq, même, si l’on compte le déblocage réalisé en 2005, qui, à la différence des autres, n’offrait aucune exonération fiscale aux bénéficiaires des droits libérés.

Le dispositif que nous examinons aujourd’hui se distingue néanmoins de tous ceux qui l’ont précédé. Il est à la fois plus ambitieux, d’un spectre plus large, ce qui doit garantir son efficacité, et mieux encadré, ce qui devrait limiter les effets indésirables souvent attachés à ce type de mesures.

Il couvre ainsi les sommes issues de la participation et de l’intéressement, quand les dispositifs précédents – en particulier ceux de 2005 et de 2008 – ne concernaient que le premier régime, c'est-à-dire la participation.

Ce choix permet ainsi de toucher les entreprises de plus de cinquante salariés, pour lesquelles la participation constitue une obligation, mais aussi les PME et certaines TPE, qui recourent plus facilement aux accords d’intéressement, compte tenu de leur facilité de mise en œuvre.

Il permet également aux salariés de débloquer l’ensemble des sommes qui leur ont été attribuées au titre de la participation et de l’intéressement, quels que soit leur année de versement et l’exercice au titre duquel elles ont été attribuées. Les sommes « déblocables » ne sont pas limitées à celles qui ont été attribuées au cours des deux années précédentes, comme ce fut le cas en 1994 et en 1995.

Il autorise enfin le bénéficiaire à débloquer jusqu’à 20 000 euros, soit le double du plafond autorisé en 2004 ou en 2008, permettant ainsi de procéder, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, à l’achat d’un véhicule ou à la réalisation d’importants travaux domestiques.

Si ce dispositif est ambitieux – il concerne potentiellement près de 8 millions de salariés et représente 90 milliards d’euros d’encours –, il reste néanmoins fermement encadré afin de limiter les effets pervers associés par le passé aux déblocages anticipés.

Le dispositif exclut d’abord les sommes issues de la participation et de l’intéressement investies dans les plans d’épargne pour la retraite collectif, les PERCO, afin de ne pas remettre en cause l’épargne longue, qui permet de compléter la pension de retraite de salariés souvent modestes.

Il exclut ensuite les sommes placées dans des fonds solidaires. Les 2,6 milliards d’euros d’encours consacrés au financement des entreprises sociales et solidaires sont en effet indispensables à la pérennité de ces structures.

Il prévoit enfin des modalités particulières pour le déblocage des sommes affectées à l’actionnariat salarié. Si le déblocage des sommes investies sur des fonds monétaires ou diversifiés peut se faire, sans formalité préalable, sur simple demande du salarié, celui des droits affectés à l’acquisition de titres de l’entreprise ou à l’acquisition de parts de FCPE d’actionnariat salarié est quant à lui subordonné à la signature d’un accord collectif.

On prend ainsi toutes les précautions nécessaires pour ne pas fragiliser inutilement les fonds propres des entreprises concernées.

Ces précautions ont d’ailleurs été considérablement renforcées par nos collègues députés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi par l’Assemblée nationale.

Sur l’initiative du rapporteur de la commission des affaires sociales, Richard Ferrand, l’Assemblée nationale a en particulier complété le dispositif initial en subordonnant expressément le déblocage à l’achat d’un ou de plusieurs biens ou à la fourniture d’une ou de plusieurs prestations de service.

Ce faisant, la proposition de loi vise à éviter que les sommes débloquées ne soient immédiatement redirigées vers d’autres supports d’épargne, en particulier les livrets défiscalisés, dont les plafonds ont récemment été relevés.

Ce fléchage est d’autant plus nécessaire que ce phénomène a jusqu’ici considérablement amoindri l’effet des mesures de déblocage sur la consommation des ménages. En effet, 70 % des sommes liées à la participation ou à l’intéressement débloquées en 2004 auraient été, selon l’INSEE, immédiatement replacées sur des supports d’épargne plus liquides ou plus rémunérateurs.

Afin de garantir l’efficacité du fléchage, l’Assemblée nationale a également prévu une procédure de contrôle allégée imposant au salarié bénéficiaire de la mesure de tenir à la disposition de l’administration les pièces justificatives attestant l’usage des sommes débloquées.

Ce mécanisme me paraît équilibré. Il a le mérite d’être suffisamment simple pour ne pas décourager les salariés désireux de bénéficier du déblocage tout en étant suffisamment clair pour décourager les abus.

En guise de conclusion, je tiens à faire part de mon regret que la commission des affaires sociales ait rejeté cette proposition de loi.

Nous sommes tous conscients, dans cet hémicycle, que cette mesure de déblocage ne permettra à elle seule ni de faire brusquement décoller la consommation dans notre pays ni de rétablir définitivement la confiance de nos concitoyens dans l’avenir, mais je reste persuadée qu’elle pourra constituer, pour ceux qui pourront en bénéficier, une mesure bienvenue, au moment où les effets des réformes structurelles menées par le Gouvernement ces douze derniers mois commencent à peine à faire sentir leurs effets. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, le 28 mars dernier, le Président de la République, François Hollande, annonçait un déblocage exceptionnel de la participation afin, disait-il, de relancer la consommation.

Cette volonté s’est traduite par une proposition de loi du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, adoptée le 13 mai dernier.

Permettez-moi ici d’exprimer deux regrets : premièrement, que le support législatif retenu ne soit pas un projet de loi, ce qui aurait permis aux parlementaires de disposer d’une étude d’impact ; deuxièmement, que l’on n’ait pas attendu que le COPIESAS, créé par le Sénat et auquel vous avez fait référence tout à l’heure, monsieur le ministre, rende ses travaux avant de prendre une telle initiative.

La commission des affaires sociales du Sénat a rejeté ce texte la semaine dernière, démontrant une fois encore l’absence d’unité au sein de la majorité sénatoriale.

Mme Isabelle Debré. Je tiens tout d’abord à souligner, mes chers collègues, qu’en 2004 et en 2008, lorsque les gouvernements précédents avaient proposé les mêmes mesures que celles sur lesquelles nous aurons à nous prononcer aujourd’hui, la gauche s’y était fermement opposée.

À cet égard, permettez-moi de rappeler quelques-uns des propos tenus à l’époque sur les travées du groupe socialiste de la Haute Assemblée.

Notre collègue Jean-Pierre Godefroy, lors de l’examen de la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail, voyait dans le déblocage de la participation « un grand classique des périodes de ralentissement de l’activité » ou, mieux encore, un « montage trompeur pour les salariés, destiné à masquer l’inefficacité de la politique du Gouvernement ». Notre ancienne collègue Raymonde Le Texier s’exclamait : « Faire passer une baisse de l’épargne pour une augmentation du pouvoir d’achat, il fallait oser ! » Quant à Mme Bricq, aujourd’hui ministre, je rappelle qu’elle avait déclaré que « le déblocage de la participation était un très mauvais signal donné à l’épargne salariale »…

Je m’arrête là, la démonstration étant faite que les convictions de l’opposition d’alors, devenue majorité depuis, ne sont guère établies en matière de déblocage de l’épargne salariale !

Pour ma part, je tiens à rappeler, comme je l’avais fait en 2008, lors de l’examen du projet de loi en faveur des revenus du travail, que la participation et l’intéressement ne peuvent être considérés comme des variables d’ajustement de la politique économique.

En tant que gaulliste, il me semble utile de rappeler en quelques mots l’origine de la participation et, surtout, sa vocation. Mise en œuvre par le général de Gaulle sur la proposition de Louis Vallon, Marcel Loichot et René Capitant, la participation avait clairement pour objectif la réconciliation entre le capital et le travail et, comme le disait le Général, « l’association des hommes, de leurs intérêts, de leurs capacités ».

La participation permet d’associer les salariés aux résultats de l’entreprise en leur attribuant une partie du bénéfice réalisé. Elle ne constitue en aucun cas, comme certains voudraient le faire croire, souvent par méconnaissance, voire par dogmatisme, une substitution de salaire.

Cette proposition de loi, qui vise à redonner du pouvoir d’achat aux Français en autorisant le déblocage des avoirs qu’ils détiennent au titre de la participation et de l’intéressement, cherche bien maladroitement à pallier les conséquences d’une politique économique et sociale inadaptée à la situation que connaît notre pays.

Depuis mai 2012, le gouvernement dont vous êtes membre, monsieur le ministre, n’a cessé d’alourdir les prélèvements qui pèsent fortement sur les classes moyennes, matraquées par une fiscalité devenue confiscatoire.

Depuis mai 2012, vous n’avez cessé de « défaire » la politique en faveur du travail menée par le précédent gouvernement : je pense en particulier à la défiscalisation des heures supplémentaires, qui permettait aux salariés d’accroître substantiellement leur pouvoir d’achat…

M. Marc Daunis. Et le chômage !

Mme Isabelle Debré. Pour la première fois depuis 1984, année où vous étiez déjà aux affaires, le pouvoir d’achat des Français a reculé. En 2012, l’INSEE évoque une diminution du pouvoir d’achat de 0,4 %, imputable, selon lui, à la forte hausse des impôts.

À notre grand regret, la seule mesure que vous préconisez pour remplir le porte-monnaie bien allégé des Français est celle qui avait été mise en œuvre en 2008 et qui n’a pas produit – il faut bien le reconnaître – les effets escomptés.

Des études portant sur les mesures de déblocage de 2004 et 2008 ont été réalisées, s’intéressant notamment aux usages faits des sommes débloquées.

Selon une étude de l’INSEE datée de 2005, les deux tiers des retraits effectués en 2004 étaient allés vers des placements plus souples, comme le livret A, ou des placements plus rémunérateurs, comme l’assurance-vie. À titre d’exemple, sur les 7 milliards d’euros dégagés en 2004, à peine 2 milliards d’euros avaient été injectés dans des consommations nouvelles. Ces 7 milliards d’euros ne représentaient d’ailleurs qu’un dixième de l’encours total de l’épargne salariale.

En 2008, 1,6 million de salariés avaient retiré un total de 3,9 milliards d’euros, bien loin de l’objectif visé, fixé à 12 milliards d’euros.

J’ajoute que la mesure que vous proposez représentera un manque à gagner pour l’État, dans la mesure où les déblocages seront exonérés d’impôt.

Il ne s’agit finalement que d’un simple effet d’annonce qui n’aura aucune influence positive sur le pouvoir d’achat et qui replace sur le devant de la scène le mythe – éternel, pourrais-je dire – de la relance de la croissance par la consommation.

Croyez-vous réellement que les Français aient réellement l’intention, en temps de crise – je rappelle que la France est en récession –, d’affecter les avoirs retirés à la consommation de biens et de services ? Il faudrait d’abord restaurer la confiance pour que nos concitoyens consomment, mais aussi lutter plus efficacement en faveur de l’emploi et du développement des entreprises.

Compte tenu de la situation dans laquelle se trouve notre pays, les Français s’abstiendront de retirer leurs avoirs, ou placeront les sommes débloquées sur un livret A, par exemple, qui a un profil plus liquide.

En outre, vous souhaitez permettre le déblocage de 20 000 euros, alors même que la moyenne d’un compte d’épargne salariale s’élève, vous le savez, à 7 500 euros : aussi proposerons-nous un amendement tendant à abaisser le plafond de déblocage à 10 000 euros. Un deuxième amendement que je vous présenterai vise à ne débloquer que les sommes placées en fonds monétaires, afin de ne pas grever excessivement le budget des entreprises.

Je tiens également à souligner que les travaux de l’Assemblée nationale ont complexifié le dispositif du déblocage, pour obliger nos concitoyens à consommer et non à épargner. À la suite de l’adoption d’un amendement du rapporteur, il a été décidé que le salarié doit pouvoir tenir à la disposition de l’administration fiscale toutes les pièces justificatives attestant l’usage des sommes débloquées ! Nos collègues étaient-ils conscients qu’une telle mesure est tout simplement inapplicable, tant pour le salarié que pour les contrôleurs ? Nous présenterons donc un amendement visant à simplifier le contrôle, en confiant au teneur du compte la tâche de la gestion administrative auprès de l’administration fiscale.

Monsieur le ministre, nous sommes sans illusion sur les effets réels du déblocage de la participation et de l’intéressement sur la consommation. Avec ce dispositif, vous voulez nous faire croire que vous pouvez relancer la consommation en augmentant le pouvoir d’achat. C’est une fausse bonne idée et les expériences passées l’ont malheureusement démontré – même celles de la précédente majorité, à laquelle j’appartenais !

J’avancerai enfin un dernier argument. Alors que la prochaine réforme des retraites doit être engagée rapidement et qu’un allongement de la durée de cotisations se profile, quel peut être l’intérêt des salariés à liquider aujourd’hui leur épargne longue ? Ne devrait-on pas, au contraire, inciter nos concitoyens à préparer de façon sereine leur retraite grâce à ces différents dispositifs d’épargne salariale ?

Pour l’ensemble de ces raisons, et à défaut de prise en compte des amendements défendus par notre groupe, nous nous opposerons au texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, notre pays souffre depuis des années de politiques d’austérité qui conduisent à une forte modération des salaires. Cette politique de rigueur, publique comme privée, entraîne notre pays dans une spirale de récession.

Comme l’attestent les récentes statistiques de l’INSEE, la consommation des ménages a reculé de 0,9 % entre février 2012 et février 2013. Cette chute n’est malheureusement pas accidentelle, elle démontre un changement de comportement radical de la part des consommateurs qui, face à l’ampleur de la crise, ne font plus seulement le choix de privilégier les achats les moins chers en jouant sur les soldes, les promotions ou en achetant en ligne : ils décident maintenant de renoncer à acheter, soit par prudence, soit parce qu’ils sont dans l’incapacité financière de le faire.

L’explosion du chômage que vous refusez d’encadrer en interdisant les licenciements boursiers, les salaires indécents soutenus par les exonérations de cotisations sociales consenties aux patrons pour les salaires les plus bas, la hausse des contrats précaires et à temps partiel, tout concourt à une baisse continue de la demande et de la consommation. Pourtant, chacun s’accorde à dire que cette baisse aura inévitablement pour conséquence l’accroissement du chômage. Comme le précisait l’économiste Philipe Légé, « tout est en place pour que l’échec se perpétue. En 2014, le pacte de compétitivité sera financé par des coupes budgétaires supplémentaires et par une hausse de TVA, ce qui aggravera la baisse de consommation ».

N’oublions pas non plus les conséquences à venir de l’accord national interprofessionnel, l’ANI, et de l’article 12 du projet de loi le transposant qui autorisent les employeurs à diminuer la rémunération de leurs salariés jusqu’à 1,2 SMIC, voire à les licencier, si ces derniers refusent cette atteinte à leur pouvoir d’achat.

Comment croire un seul instant que ces mesures, qui vont soit comprimer les salaires, soit entraîner des vagues de licenciements, n’auront pas de conséquences désastreuses sur l’emploi et la consommation ?

C’est dans ce contexte que nous sommes appelés à débattre de cette proposition de loi prévoyant le déblocage de l’intéressement et de la participation.

Le texte nous apparaît limité.

Tout d’abord, il ne s’agit là que d’une mesure « à un coup », et donc limitée dans le temps.

M. Jean Desessard. C’est vrai !

M. Dominique Watrin. Passés les six mois durant lesquels les salariés pourront prétendre au déblocage de l’intéressement et de la participation, le Gouvernement, s’il ne trouve pas d’autres moyens d’action pour soutenir la consommation, ne disposera d’aucun levier supplémentaire pour relancer l’économie.

Et personne ne peut raisonnablement prétendre, aujourd’hui, que les conséquences catastrophiques des politiques menées depuis des années et qui, malheureusement, se poursuivent pourraient être contrebalancées par cette seule mesure. En 2014, lorsque les délais d’application de cette loi auront expiré, comment entendez-vous, monsieur le ministre, permettre aux salariés de notre pays de consommer des produits de qualité – qui plus est, fabriqués en France –, quand les Français sont déjà des millions à renoncer aux soins, faute d’argent, et que le nombre de salariés pauvres ne cesse de croître ?

Nous doutons d’autant plus de l’efficacité de cette mesure qu’elle suppose que toutes les sommes débloquées par les salariés soient réinvesties dans la consommation. Si j’admets que plus de 8 millions de salariés sont concernés, nous ne pouvons ignorer ni les expériences malheureuses du passé, ni le contexte actuel.

On sait en effet, grâce à une étude de l’INSEE menée à la suite du déblocage de l’intéressement mis en œuvre en 2004, que, sur les 7,5 milliards d’euros débloqués par les salariés, au mieux 2,5 milliards d’euros ont été réinjectés dans la consommation. Les salariés ont donc fait très majoritairement le choix de placer ces sommes sur d’autres supports d’épargne, plus souples et pouvant être mobilisés par la suite plus facilement.

Or, compte tenu de l’effet anxiogène de la crise économique, tout nous conduit à penser que les salariés auront aujourd’hui le même comportement qu’en 2004 et en 2008, d’autant plus que cette disposition intervient après que le Gouvernement a fait le choix de rehausser le plafond du livret A, placement préféré de nos concitoyens.

Cela étant dit, cette proposition de loi montre – c’est ce qui nous intéresse plus particulièrement – que les députés socialistes, tout comme le Président de la République et le Gouvernement, donnent raison à l’analyse qui est la nôtre depuis maintenant plusieurs années, selon laquelle la relance économique de notre pays passe aussi par une relance de la consommation. C’est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons sur ce texte, en invitant le Gouvernement à aller beaucoup plus loin.

Comment ne pas exprimer ici notre déception après l’annonce, par le ministre de l’économie et des finances, du refus de légiférer pour encadrer les rémunérations des dirigeants d’entreprise ? En lieu et place d’une loi, le Gouvernement dit avoir obtenu de la présidente du MEDEF, Laurence Parisot, et du président de l’Association française des entreprises privées, l’AFEP, Pierre Pringuet, « un renforcement de leur code de gouvernance ». Vous faites ainsi le choix de vous en remettre à une très hypothétique autorégulation des patrons et des actionnaires au lieu de recourir à la loi, autrement efficace.

Vous auriez mieux fait de vous inspirer de notre proposition de loi du 21 mai 2012 « tendant à encadrer les écarts de rémunération au sein des entreprises publiques et privées ». Notre dispositif permettait de relever les salaires les plus bas, puisque toute décision ayant pour effet de porter le montant annuel de la rémunération la plus élevée à un niveau vingt fois supérieur à celui du salaire le plus bas aurait été considérée comme nulle, dès lors que le salaire le plus bas ne serait pas relevé. Voilà une mesure qui permettrait, n’en doutons pas, d’augmenter le pouvoir d’achat !

Notre conviction, monsieur le ministre, est qu’il faut rompre définitivement avec toutes les politiques budgétaires et salariales récessives, en mettant en place une stratégie de croissance conjuguant relance de l’offre et relance de la demande, en soumettant la finance pour favoriser l’investissement productif.

Car de quelle crise parlons-nous, sinon de la crise d’un système économique, le capitalisme, qui conduit notre pays dans le mur, en accaparant les richesses économiques de la planète et en mettant sous tension les salariés, voire en les appauvrissant ?

D’ailleurs, où est la crise pour les actionnaires du CAC 40, qui se sont arrangés, depuis 2008, pour stabiliser les dividendes distribués à un très haut niveau en faisant des salariés les variables d’ajustement de la crise ?

N’est-ce pas Le Figaro qui annonçait, il y a moins d’un mois, que le groupe Lagardère allait distribuer 1,2 milliard d’euros de dividendes exceptionnels à ses actionnaires, soit près de deux fois le montant de la taxe supplémentaire infligée à partir de cette année aux retraités imposables ?

De quelle crise parle-t-on lorsque le journal Les Échos – voyez, j’ai de bonnes lectures ! – indique, dans son édition du 21 mai 2013, donc tout récemment, que l’«’abondance de liquidités et la recherche de rendement poussent les investisseurs vers les actions ».

Décidément, ce texte ne va pas assez loin ! Il faut, monsieur le ministre, de tout autres ambitions pour que notre pays retrouve le chemin du dynamisme économique et de la justice sociale.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe CRC s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

(M. Jean-Léonce Dupont remplace M. Jean-Pierre Raffarin au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la manière dont il a été présenté et examiné en commission des affaires sociales démontre bien les limites du présent texte.

Madame la rapporteur, comme vous l’avez dit en commission et répété à la tribune, la mesure ne permettra ni de faire décoller la consommation dans le pays ni de rétablir la confiance. Vous l’avez également constaté, la mesure « ne constitue pas une idée neuve ». Enfin, il s’agit, avez-vous dit, d’une « mesure circonstancielle qui appelle des réformes plus profondes de notre système d’épargne salariale ».

On pourrait presque s’arrêter là : tout est dit ! Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que le texte ait été rejeté par notre commission.

M. Charles Revet. C’est logique !

M. Hervé Marseille. Reprenons ces différents points.

L’objet du texte qui nous est soumis est de permettre aux salariés de débloquer leurs primes de participation et d’intéressement, dans la limite de 20 000 euros, avant le terme du blocage légal, en bénéficiant des exonérations fiscales et sociales qui leur sont attachées, et ce afin de consommer des biens et services.

Effectivement, il ne s’agit pas là d’une mesure particulièrement innovante. D’autres gouvernements l’ont fait auparavant. Comme cela a déjà été rappelé, la loi a autorisé cinq déblocages exceptionnels en vingt ans. C’est presque devenu un classique !

On ne peut donc pas vous reprocher, monsieur le ministre, d’avoir agi comme vos prédécesseurs, mais on pourrait, en revanche, vous reprocher de ne pas avoir tiré les leçons des démarches précédentes.

L’objet de la mesure est de relancer la consommation, ce qui pose trois questions.

On peut, d’abord, se demander si la mesure sera effectivement utile et de nature à relancer la consommation. À l’évidence, non. On ne saurait mieux le dire que notre rapporteur !

En dépit de son ampleur potentielle, l’effet keynésien du déblocage exceptionnel ne peut avoir, à lui seul, qu’un impact marginal. Il sera marginal et d’autant plus incertain que l’on ne sait rien des montants débloqués en 2004, 2006 et 2008. Heureusement, le présent texte prévoit enfin une évaluation a posteriori. Cela nous permettra d’y voir plus clair, mais l’information ne sera exploitable que pour l’avenir.

La mesure aura d’autant moins de chance de relancer la consommation que l’ensemble des autres mesures prises par le Gouvernement depuis son arrivée au pouvoir ne peut, au contraire, que la déprimer.

C’est le cas de la suppression de l’exonération des heures supplémentaires, de l’augmentation de la CSG, de la suppression du forfait applicable au versement des cotisations sociales pour les salariés intervenant au domicile des particuliers, du gel du barème de l’impôt sur le revenu, de l’augmentation de la redevance audiovisuelle.

Ce sont ces 30 milliards d’euros retirés au pouvoir d’achat des ménages qui contribuent à maintenir la consommation en berne.

Et apparemment, ce n’est pas fini, puisque l’on parle d’une augmentation de la TVA, qui serait prévue pour le 1er janvier 2014. Il s’y ajouterait sans doute la mise sous conditions de ressources des allocations familiales.

Comment, alors, espérer quoi que ce soit du présent texte ?

C’est, en réalité, toute la cohérence de votre politique économique du pouvoir d’achat et de la consommation qui est posée, et de manière particulièrement caricaturale, lorsque l’on met en balance le déblocage exceptionnel proposé avec le quasi-triplement du forfait social dans le tout premier collectif budgétaire adopté par la nouvelle majorité, en juillet 2012.

Il est totalement contradictoire d’avoir fait passer, il y a moins d’un an, le forfait social de 8 % à 20 % pour « éviter la substitution de cette forme de rémunération aux hausses de salaires directs » et de compter maintenant sur la participation et l’intéressement pour relancer la consommation !

Cela me conduit à la deuxième question soulevée par la proposition de loi : faut-il seulement relancer la consommation ainsi ? À notre avis, non. En effet, ce qui affecte notre économie est un choc d’offre, non de demande. Ce sont le chômage, le poids des prélèvements sociaux, l’insuffisance d’investissement qui dépriment la croissance et, partant, le pouvoir d’achat des ménages.

Dans ces conditions, relancer la consommation ne peut être d’aucune efficacité pour faire repartir la croissance. Autrement dit, compte tenu du contexte, le multiplicateur keynésien ne peut être que faible, voire nul.

Au contraire, le déblocage, s’il était effectivement utilisé par les salariés, pourrait même déstabiliser la trésorerie des entreprises et fragiliser leurs fonds propres, et ce à un moment où il faudrait, au contraire, les renforcer, notre économie manquant cruellement d’investissement productif.

Compte tenu de tous ces éléments, le fait que le déblocage proposé soit d’une ampleur sans précédent n’est pas une bonne nouvelle.

Il sera, c’est vrai, d’une ampleur sans précédent : ceux de 1994 et 1996 ne concernaient que l’achat de véhicules et les déblocages étaient limités aux sommes attribuées au cours des deux années précédentes, quand celui-ci a un objet de consommation beaucoup plus large pour des sommes non limitées dans le temps.

Le plafond de déblocage en 2004 et 2008 était deux fois inférieur à celui qui est proposé aujourd’hui. Et, contrairement à celle qui nous est proposée, les mesures de 2005 et 2008 ne concernaient que la participation, et non l’intéressement. L’ampleur potentielle de la mesure fait donc bien peser un risque sur notre économie.

En résumé, cela nous conduit à penser qu’à l’échelle macroéconomique, au mieux, ce déblocage ne servira à rien, au pire, il pourrait même avoir des effets néfastes ; à l’échelle microéconomique, est-on seulement sûr que les sommes débloquées seront injectées dans la consommation ?

C’est la troisième question que pose, selon nous, ce texte. Autrement dit, n’y a-t-il pas un risque de détournement de la mesure ?

Nos collègues de l’Assemblée nationale ont adopté deux dispositions pour l’éviter. Si l’effectivité de la première nous paraît parfaitement illusoire, la seconde va, en revanche, dans le bon sens. Encore mériterait-elle, selon nous, d’être davantage resserrée.

La première de ces dispositions institue un contrôle a posteriori. Les bénéficiaires de la mesure devront tenir à la disposition de l’administration fiscale les pièces justificatives attestant l’usage des sommes débloquées. Mais qui peut croire une seule seconde que de tels contrôles seront effectués ? Comme si l’administration fiscale n’avait pas déjà suffisamment à faire avec ses missions actuelles !

En revanche, les députés ont été bien inspirés de limiter l’usage des sommes débloquées à la fourniture de services ou à l’achat de biens. Il s’agit d’éviter le contournement de la mesure consistant à replacer les sommes débloquées sur des supports d’épargne plus liquides ou plus rémunérateurs. Ce risque est aujourd’hui d’autant plus réel que les plafonds des livrets défiscalisés ont été récemment augmentés.

Même en l’absence de contrôle a posteriori effectif, nous croyons que l’immense majorité des salariés concernés respecteront les règles du jeu.

En revanche, nous pensons que le dispositif doit encore être resserré pour ne concerner que la fourniture de services, à l’exception, donc, de l’achat de biens manufacturés. Notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe défendra un amendement en ce sens. Le déblocage représenterait, en effet, une perte de valeur économique s’il servait surtout à acheter des biens produits à l’étranger et, donc, à dégrader un peu plus le solde de la balance commerciale française.

En revanche, la mesure pourrait être, a minima, un premier geste en direction des secteurs du bâtiment et des services à la personne, des activités non délocalisables qui ont vraiment besoin d’être soutenues pour développer leur potentiel.

En attendant la remise à plat de tout le dispositif d’intéressement, de participation et d’actionnariat salarié promis par le Président de la République à Rueil-Malmaison le 29 novembre 2012, le groupe UDI-UC se positionnera sur ce texte en fonction du sort qui sera réservé à ses amendements. Mais je crains, monsieur le ministre, que vous n’ayez déjà apporté la réponse avant même qu’ils ne soient défendus ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur un sujet aussi important que celui du pouvoir d’achat de nos concitoyens, et dans la période de crise économique que nous traversons, les divisions partisanes et les renvois mutuels de responsabilité, n’ont, me semble-t-il, pas lieu d’être. Le sujet mérite le plus grand sérieux. Je vous invite donc, mes chers collègues de la majorité comme de l’opposition, à rassembler nos efforts pour permettre à nos concitoyens les plus en difficulté de « sortir la tête de l’eau », si je puis m’exprimer ainsi.

Faut-il rappeler les données publiées récemment par l’INSEE ? Un recul du pouvoir d’achat de 0,9 % – chiffre jamais atteint depuis 1984 ! – et une baisse de 0,4 % de la consommation en 2012, sans compter la récession – moins 0,2 % de croissance –, qui se poursuit pour le deuxième trimestre consécutif.

Les causes de cette situation sont multiples et imbriquées de manière complexe. Quant aux responsabilités, elles sont sans doute très largement partagées.

La situation s’explique, en premier lieu, par le ralentissement des revenus d’activité et l’augmentation du chômage, conséquences directes de la crise mondiale qui a plongé notre pays – et bien d’autres !– dans une langueur sans précédent.

Bien sûr, les hausses d’impôts jouent également un rôle dans la perception qu’ont les Français de leur pouvoir d’achat. Mais c’est aussi l’augmentation des dépenses contraintes, telles que le logement, l’énergie ou la téléphonie, qui pèse lourdement sur leur budget. Ces dépenses, qui représentaient seulement 15 % de la consommation des ménages en 1959, en représentent plus de 30 % aujourd’hui.

Le moral des ménages est au plus bas. Il y a urgence, monsieur le ministre, à rétablir la confiance de ces derniers dans notre économie. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui y contribuera sans doute. Elle sera, en tout cas, un apport non négligeable pour nombre de ménages, qui pourront débloquer jusqu’à 20 000 euros sur les montants qui leur sont attribués dans le cadre de la participation et de l’intéressement.

Ces montants, qui doivent normalement être bloqués pendant cinq ou huit ans, pourront donc être débloqués de manière anticipée, dans la plupart des cas sur simple demande du bénéficiaire, formulée entre le 1er juillet et le 31 décembre 2013.

Certes, cela a été dit et je le redis, cette proposition de loi ne permettra pas à elle seule de dynamiser durablement le pouvoir d’achat et la croissance, mais elle n’en constitue pas moins, pour de nombreux ménages, un « coup de pouce » qui sera sans doute bienvenu et viendra s’inscrire dans un dispositif plus large, comme nous l’a annoncé M. le ministre.

C’est ainsi qu’elle devra être complétée par d’autres mesures en faveur du pouvoir d’achat. Le prochain examen du projet de loi relatif à la consommation en sera sans doute l’occasion.

Relancer la croissance, c’est relancer la consommation et l’investissement, mais c’est aussi et, surtout, agir pour la compétitivité de nos entreprises. Nous l’avons suffisamment dit, les marges de ces dernières ont atteint un niveau dangereusement faible, qui les empêche d’investir, d’innover. Il en résulte qu’elles sont prises dans un cercle vicieux et que leur « retard » de compétitivité vis-à-vis de la concurrence étrangère s’accroît.

Le Gouvernement et la majorité – pas toujours au complet, je le regrette ! – ont déjà engagé un certain nombre de réformes courageuses et nécessaires pour permettre à nos entreprises de retrouver une réelle compétitivité-coût et hors-coût. Notre groupe, lui, les a toutes soutenues, qu’il s’agisse de la Banque publique d’investissement ou du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.

C’est grâce à un ensemble de réformes structurelles de ce type que nous pourrons sans doute restaurer une croissance durable et créatrice d’emplois. Si les efforts en ce sens doivent être poursuivis et accélérés, c’est parce que la croissance et les emplois sont les meilleures garanties pour le pouvoir d’achat des Français. De ce point de vue, le rapport Gallois doit être notre référence absolue. Et nous sommes heureux que le Gouvernement l’ait compris !

En attendant que ces réformes produisent tous leurs effets, la présente proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l’intéressement est une mesure importante, souple et efficace pour restaurer en partie le pouvoir d’achat de nos concitoyens. (Mme Isabelle Debré s’exclame.)

En incluant les sommes issues de l’intéressement et non seulement celles qui sont issues de la participation, comme c’était le cas des deux derniers dispositifs de déblocage en 2005 et en 2008, la présente proposition de loi élargit le bénéfice de cette mesure, qui concernera plus largement les salariés des PME et non seulement ceux des grandes entreprises.

Certes, j’entends les critiques de nos collègues de l’opposition,….

Mme Isabelle Debré. Ce ne sont pas des critiques ! Ce sont des constats !

M. Yvon Collin. … qui nous disent que ce type de dispositions n’a jamais marché et provoque surtout des effets d’aubaine.

Je leur répondrai que le dispositif, tel qu’il a été amélioré par l’Assemblée nationale, permet justement, en tout cas, selon moi, d’éviter ce type d’effets.

Ainsi, l’article 1er prévoit le fléchage des sommes débloquées vers l’acquisition de biens de consommation ou de prestations de services. Ce fléchage évitera que les sommes débloquées ne soient déplacées vers d’autres types d’épargne plus liquides ou plus rémunératrices, comme cela a pu être le cas par le passé.

Pour éviter les abus, sans être trop rigide et risquer de décourager les bénéficiaires, la proposition de loi a également prévu un dispositif de contrôle par l’administration fiscale. Certes, je partage les interrogations de certains collègues concernant l’application pratique de ce dispositif de contrôle. En effet, si les bénéficiaires n’effectuent qu’un achat important grâce aux sommes débloquées, il semble relativement simple de garder à disposition de l’administration fiscale les pièces justifiant cet achat. Qu’en est-il, toutefois, lorsqu’ils effectuent une multitude d’achats de moindre montant ?

Mme Isabelle Debré. Tout à fait ! C’est cela !

M. Yvon Collin. Il paraît, dès lors, assez complexe de conserver l’ensemble des tickets de caisse et autres preuves d’achat. Néanmoins, cette complication ne me paraît pas de nature, je l’espère, en tout cas, à constituer un véritable obstacle susceptible de nuire à l’efficacité et à l’utilité de ce texte. Peut-être M. le ministre nous répondra-t-il sur ce point.

Ce déblocage exceptionnel ne constitue pas non plus une « menace déstabilisatrice » pour les entreprises, comme j’ai pu l’entendre, car il est suffisamment encadré. Un certain nombre de précautions ont été prises par les auteurs du texte : ainsi, quand les fonds bloqués sont réinvestis dans des titres d’entreprises ou dans des parts ou actions d’OPCVM, la conclusion d’un accord collectif est nécessaire pour les débloquer. Cela permettra de ne pas déstabiliser la trésorerie ou les fonds propres des entreprises.

En outre, cela a été rappelé, les fonds investis dans des entreprises solidaires sont exclus du dispositif, afin de pérenniser le financement de ces dernières.

Par conséquent, cette proposition de loi nous semble aussi utile qu’équilibrée. Elle prévoit un certain nombre de garde-fous pour éviter tout effet secondaire non désiré, tout en restant suffisamment souple pour être efficace. Nous pensons vraiment qu’elle constituera une « bouffée d’oxygène » pour de nombreux ménages qui se privent depuis plusieurs mois et n’osent pas consommer.

Voter en faveur de cette proposition de loi, c’est soutenir le pouvoir d’achat de nos concitoyens, qui en ont bien besoin en ce moment. C’est pourquoi, avec mes collègues radicaux de gauche et les membres du RDSE, nous la soutiendrons dans une belle unanimité ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, que nous disent les textes à propos de la participation et de l’intéressement ? Ils nous disent qu’ils ont pour objet « d’associer collectivement les salariés aux résultats et aux performances de leurs entreprises ».

Les primes de participation et d’intéressement ne sont donc pas versées aux salariés en contrepartie du travail fourni au profit de l’employeur ; elles le sont en raison de l’appartenance du salarié à l’entreprise et de ses résultats. Vous aviez d’ailleurs noté, monsieur le ministre, qu’il existait une inégalité entre les salariés des grandes entreprises et ceux des très petites entreprises.

Pour nous, écologistes, la reconnaissance de l’appartenance du salarié à l’entreprise doit passer non pas simplement par des mécanismes de primes, mais également par une meilleure intégration des salariés aux choix et aux orientations de l’entreprise.

Qu’en est-il du droit à l’information ou au contrôle, direct ou indirect, qu’ont les salariés sur leur entreprise ? Où en est-on de la mise en œuvre des dispositifs qui permettent une meilleure coopération des salariés pour arrêter les orientations de leur entreprise ? Qu’en est-il d’une véritable codécision dans le dialogue social ? Autant de questions qui ne sont toujours pas résolues et qui se posent encore pour la participation et l’intéressement.

À cet égard, je rappelle que les sociétés coopératives ouvrières de production, les SCOP, dans lesquelles le capital et le sort de l’entreprise restent entre les mains des salariés, sont exemplaires tant au niveau social que sur le plan du dynamisme économique.

Je sais d’ailleurs que M. le ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire, ici présent, n’est pas insensible aux structures de ce type, car il n’ignore pas que ces entreprises résistent mieux à la crise que les autres.

Mme Isabelle Debré. C’est vrai !

M. Jean Desessard. Pourquoi ne pas s’en inspirer et étendre ce principe de codécision à d’autres entreprises, dans lesquelles les salariés sont encore bien trop souvent considérés comme de simples facteurs de production ?

Après ce bref détour, cette introduction sur ce qu’est et devrait être un véritable mécanisme de participation et d’intéressement, venons-en à la proposition de loi.

L’objet de ce texte est donc de permettre le déblocage exceptionnel des primes de participation et d’intéressement placées en épargne salariale.

Dans ce cadre, les salariés disposeront de six mois, à compter de la publication de la loi, pour débloquer jusqu’à 20 000 euros nets de prélèvements sociaux. Les sommes ainsi débloquées, y compris les intérêts, bénéficieront d’une exonération d’imposition sur le revenu, sous réserve de la CSG et de la CRDS sur les intérêts.

Je rappelle la situation actuelle : soit le salarié choisit l’épargne salariale sur cinq ans, voire huit ans, soit il demande le versement de la somme définie, mais celle-ci est alors soumise à taxation. Le déblocage ne sera toutefois pas autorisé, à juste titre, pour les sommes gérées par un PERCO, c’est-à-dire un plan d’épargne pour la retraite collectif, ni pour celles qui sont investies sur un fonds solidaire.

Cela a été dit précédemment, la mesure qui nous est présentée intervient dans un contexte particulier : celui de la plus forte baisse du pouvoir d’achat des Français depuis 1984. J’ajoute que plusieurs dispositifs similaires ont été mis en place, au moins quatre en un peu moins de vingt ans. S’agissant du dernier en date, celui de 2008, qui devait en principe permettre l’injection de 12 milliards d’euros dans l’économie, il a seulement entraîné le déblocage de 3,9 milliards d’euros.

Nous rappelons également que ce type de dispositif, comme l’avait fait judicieusement remarquer Mme la rapporteur en commission, peut provoquer un effet d’aubaine et détourner l’épargne salariale vers d’autres placements plus rémunérateurs, de type livret A ou assurance vie. Il en a été ainsi lors du déblocage de 2004, quand 70 % des sommes liées à l’intéressement ou à la participation ont été replacées sur des supports d’épargne plus liquides ou plus rémunérateurs. Espérons que le fléchage vers les achats de biens et de services, prévu dans la proposition de loi, permettra de lutter efficacement contre les dérives du système.

Malgré les quelques réserves que nous venons de formuler, le groupe écologiste ne s’opposera pas à une mesure visant à permettre, dans un contexte difficile, aux 9 millions de salariés qui peuvent en bénéficier de puiser dans leur épargne pour améliorer leur pouvoir d’achat. Il apportera son soutien à la proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l’intéressement, tout en attendant beaucoup du projet de loi sur la consommation, en particulier des mesures qui seront prises à destination des chômeurs, des précaires et des salariés les plus modestes, qui ne bénéficient, quant à eux, ni de primes de participation ni de primes d’intéressement.

Les élus écologistes se prononcent donc pour l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.

Mme Jacqueline Alquier. Monsieur le président, madame la rapporteur, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, le pouvoir d’achat des Français est aujourd’hui en berne. Certains collègues l’ont rappelé, un recul de 0,4 % a été observé en 2012, ce qui ne s’était plus produit depuis 1984.

Au même titre que l’emploi, le pouvoir d’achat est l’une des grandes causes nationales sur le plan économique. Depuis un an, le Gouvernement et la majorité parlementaire se mobilisent pour adopter les mesures nécessaires et encourager les entreprises de ce pays.

Plutôt que d’expliquer que ces mesures seraient insuffisantes et qu’elles ne feraient qu’illustrer le prétendu immobilisme du Gouvernement, laissons-leur le temps de produire leurs effets ! Les auteurs de ces critiques, sauf à penser qu’ils ne retournent jamais dans leur circonscription, savent pertinemment que des mesures ne sont jamais d’effet immédiat, que ce soit en termes d’emploi, de santé ou d’éducation.

Sur le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, notre réaction, qui consiste à débloquer une partie de l’épargne salariale afin de l’orienter vers la consommation, principal moteur de la croissance dans notre modèle économique actuel, va permettre en effet de donner un coup de pouce au pouvoir d’achat des Français.

À cet égard, je voudrais d’ailleurs rappeler à l’opposition qu’elle ne peut sans cesse imputer à la gauche, après seulement un an d’action, les problèmes de pouvoir d’achat des Français. D’ailleurs, lorsqu’elle était aux responsabilités, le déblocage de l’épargne salariale adopté n’était assorti d’aucune condition et n’a donc eu aucun effet véritable sur la consommation. Il vaut donc mieux s’abstenir de toute prévision.

Je voudrais à ce titre souligner la présence d’esprit de nos collègues députés, qui ont demandé au Gouvernement le dépôt d’un rapport réalisant le bilan de la mesure dans le délai d’un an après son adoption.

Ce rapport nous permettra sans doute, et pour la première fois depuis vingt ans, de disposer dans les mois qui viennent de données fiables sur l’effet d’un tel déblocage.

À travers les précédentes interventions de nos collègues de la majorité, nous avons pu à nouveau revenir sur les objectifs de ce texte, qui aura des effets positifs au niveau tant microéconomique que macroéconomique.

Il est en effet salutaire de permettre aux Français de débloquer leur épargne salariale en temps de crise, sans pénalités fiscales. Par ce texte, nous comblons temporairement un manque de la loi. Celle-ci prévoit d’ores et déjà un déblocage anticipé en cas de coup dur, mais rien, en revanche, en cas de crise économique. Il fallait donc permettre ce déblocage afin d’orienter une partie de l’épargne salariale, aujourd’hui indisponible, vers la consommation. Le dispositif proposé est de nature à redonner quelques marges de manœuvre aux ménages pour des achats de biens durables ou d’équipement.

Une autre amélioration doit être relevée : dans ce texte, le déblocage exceptionnel porte aussi sur l’intéressement, ce qui n’est pas négligeable. Cela permettra de ne pas s’adresser uniquement aux salariés des grandes entreprises, mais aussi à ceux qui travaillent au sein de plus petites entreprises et qui ont le plus souvent accès à l’intéressement.

Notre action est simple, lisible et, espérons-le, efficace. Il est cependant important de rappeler que nous ne concevons pas, pour aujourd’hui ou demain, l’épargne salariale, l’intéressement ou la participation comme des substituts du salaire.

Ce qui nous préoccupe en premier lieu, dans notre action politique, c’est la hausse des salaires les plus bas et la juste répartition des richesses au sein de l’entreprise. Prenons garde de ne pas perdre de vue que l’outil de rémunération du travail, c’est le salaire. En cela, notre proposition de loi, même si elle est actuellement nécessaire, doit nous questionner aussi sur les déséquilibres dans le partage des richesses au sein de l’entreprise.

Il s’agit donc de parvenir à une juste répartition entre ce qui doit relever de la rémunération du travail, sous forme de salaire, et ce qui correspond à la participation ou à l’intéressement. Je tiens d’ailleurs à souligner la pertinence de la décision du Gouvernement lorsqu’il se prononce contre la mise en place d’un système de primes défiscalisées et désocialisées au sein des entreprises dans lesquelles n’existent pas de tels dispositifs.

En effet, lorsque les entreprises ont les moyens de procéder à des augmentations de salaires, elles doivent le faire : c’est à l’avantage du salarié et des régimes sociaux qui sont, du même coup, abondés par ces augmentations.

Je voudrais aussi saluer la vigilance des auteurs du texte. En effet, contrairement à ce qui s’est fait dans le passé, des exceptions concernant les PERCO, qui permettent de compléter une retraite, et l’épargne solidaire sont judicieusement prévues.

L’épargne réalisée sur le long terme ne doit pas être remise en cause, pas plus que celle qui permet des financements pérennes en direction des entreprises de l’économie sociale et solidaire, dont on connaît les besoins en fonds propres. M. le ministre y veille. Ce n’est pas le moment de déstabiliser un secteur qui fonctionne bien, qui a du sens et qui a créé, depuis dix ans, 23 % d’emplois nouveaux, quand le secteur privé traditionnel n’en créait que 7 %. Il doit d’ailleurs devenir un pan essentiel de notre politique de croissance.

Par ailleurs, nos collègues députés ont introduit un certain nombre d’amendements permettant de clarifier le dispositif.

Il fallait, bien sûr, préciser ses dates d’application, ce qui a été fait. Nous devions aussi garantir le fléchage des sommes débloquées au profit de la consommation, afin de ne pas voir cet argent partir vers des produits d’épargne plus rémunérateurs. Pour mémoire, 70 % des sommes débloquées en 2004 ont été immédiatement épargnées, sans même profiter à la consommation. Il était donc nécessaire de cibler un minimum les conditions du déblocage.

Veillons toutefois à ne pas introduire trop de conditions, au risque de rendre ce dispositif incompréhensible pour les salariés.

Certes, il est indispensable de limiter les effets d’aubaine. L’Assemblée nationale a prévu pour cela une procédure de contrôle allégée imposant au salarié bénéficiaire de la mesure de tenir à la disposition de l’administration les pièces justificatives attestant l’usage des sommes débloquées. Ce mécanisme a deux mérites : il évite de décourager, par un formalisme excessif, les salariés désireux de bénéficier du déblocage, tout en posant suffisamment de conditions pour décourager les abus.

Mais attention ! Nous n’avons pas demandé de contrepartie aux entreprises lors de la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et nous avons veillé à mettre en place un mécanisme simple. Il doit donc en être de même lorsque l’on s’adresse aux salariés qui, dans le cas contraire, ne comprendraient pas le sens de notre action.

Ce dispositif, limité dans le temps et correctement ciblé, sera ainsi pleinement efficace et ne portera pas atteinte à l’outil même de l’intéressement et de la participation.

Il faut d’ailleurs faire évoluer ce dispositif et l’élargir afin de réduire les inégalités entre salariés. Il n’est qu’à observer l’évolution de la participation, de l’intéressement et de l’épargne salariale pour constater que la répartition des primes est beaucoup trop inégalitaire : les montants versés entre les salariés d’une même entreprise ne sont pas identiques.

De plus, le nombre de bénéficiaires est encore trop faible dans les entreprises de moins de cinquante salariés, très nombreuses dans notre pays. Pour qu’elles puissent s’approprier cet outil, il faudrait le simplifier. Or les dix lois qui ont été adoptées depuis 2001 n’ont fait que complexifier le dispositif !

Les réflexions qui s’engageront prochainement seront peut-être l’occasion de se pencher sur la manière de développer les incitations pour les jeunes salariés et les plus modestes, ces deux catégories ayant un très faible taux d’épargne.

Comme nous l’avons fait avec les emplois d’avenir et les contrats de génération, nous devons maintenir notre attention sur les salariés les moins protégés. Sans opposer les uns et les autres, cessons de créer systématiquement de nouveaux droits pour ceux qui sont déjà les mieux protégés et poursuivons notre combat en faveur des plus fragiles. Le constat d’une société dans laquelle les inégalités de toutes natures se creusent doit nous pousser à agir dans le sens d’une politique de soutien en faveur des plus défavorisés.

Enfin, il sera sans doute nécessaire de réfléchir à une possible révision de la formule de calcul de la participation, et ce afin d’encourager les entreprises à partager plus équitablement les fruits de leur production.

Néanmoins, il convient pour le moment d’attendre que les négociations annoncées soient lancées par le ministre du travail, Michel Sapin, et de voir sur quel type de propositions elles déboucheront.

Pour le moment, le texte qui nous est soumis est une mesure d’urgence bien calibrée. Elle constitue un nouveau levier qu’il ne faut pas négliger. Elle s’inscrit dans la stratégie globale du Gouvernement en faveur de la consommation et du pouvoir d’achat et intervient à un moment crucial pour notre économie.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste se prononcera bien évidemment en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’issue des différentes interventions et avant d’aborder la discussion des articles, j’apporterai quelques réponses et formulerai quelques commentaires.

Je commencerai par m’adresser aux membres du groupe CRC, en particulier à M. Watrin. Je comprends que des formations de la gauche expriment des nuances, voire des désaccords sur certains choix de politique économique du Gouvernement. Je conçois tout autant qu’elles émettent des regrets sur les questions salariales, en particulier les licenciements boursiers, et ce dans un contexte de crise. Tout cela, je l’accepte sans réserve.

Je rappelle cependant que le Gouvernement ne confond pas la question de la participation et celle du salaire. Comme l’a très bien expliqué Jean Desessard, la participation et l'intéressement sont des instruments permettant une répartition des profits et un intéressement des salariés aux résultats de l'entreprise, alors que le salaire rémunère un travail.

Certains à droite – je ne sais plus si c’est Mme Debré ou M. Marseille – ont souligné que le choix du Gouvernement d'augmenter le forfait social sur la participation et l'intéressement, à l'exception des SCOP, témoignait de son refus de voir l'épargne salariale se substituer aux salaires. C’est en effet un engagement que nous prenons.

En revanche, s’abstenir sur ce texte, comme l’a fait le groupe GRD à l'Assemblée nationale, c’est prendre le risque, ou la responsabilité, d’empêcher des millions de salariés de profiter de cette épargne salariale dont ils ont besoin aujourd’hui pour des dépenses qu'ils jugent indispensables et qui, de surcroît, iront alimenter l'activité, donc l'emploi, c'est-à-dire les salaires d'autres travailleurs en France.

Je le répète, je comprends ces désaccords ; ces discussions et ces débats existent à gauche. Pour autant, je ne comprends pas que cela vous conduise, monsieur Watrin, à vous abstenir et à ne pas voter une mesure qui reste favorable à un nombre important de salariés, même si, moi aussi, j’aurais préféré qu’elle bénéficie à tous. Notez que cette mesure sera utile non seulement aux salariés concernés, mais aussi, indirectement, à d'autres, grâce à l'utilisation qui sera faite de ces fonds.

Je m’adresse maintenant aux membres du groupe UC-UDI. On peut ne pas être d'accord avec les mesures que nous avons prises sur le CICE ; on peut vouloir une plus grande réduction de la dépense publique ; on peut réclamer une politique de réduction des impôts. On peut vouloir tout cela, mais, dans le même temps, nous savons tous, vous comme moi, qu’il va falloir arracher chaque demi-point, chaque dixième de point de croissance.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Or cette mesure-ci permettra d’injecter dans l’économie près de 3 milliards d'euros destinés à l'achat de biens ou de services.

Je comprends parfaitement la philosophie qui sous-tend la proposition de réduire le champ d'application de ce dispositif en fixant un plafond de 10 000 euros. Mais pourquoi s’interdire la possibilité que cette épargne salariale serve à l’acquisition, par exemple d’une voiture, alors qu’une Picasso coûte 20 000 euros, une Mégane, 18 000 euros ? On peut le regretter, mais il faut un peu plus que 10 000 euros pour s’acheter une voiture !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Pourquoi s'interdire d'acheter des biens fabriqués ici, alors que cette mesure aura un impact en termes de consommation et d'emploi ?

Si je comprends donc la philosophie qui vous anime, je ne partage pas pour autant la logique qui, au terme de ce raisonnement, vous conduit à vous prononcer contre cette mesure, alors même que vous reconnaissez avec nous sa nécessité en termes d'impact sur la consommation.

Mais, madame Debré, je veux pour conclure vous féliciter. (Mme Isabelle Debré s’étonne.) Cela étant, je ne suis pas sûr que vous appréciiez totalement le compliment ! (Sourires.)

Mme Isabelle Debré. Cela commence bien ! (Nouveaux sourires.)

M. Benoît Hamon, ministre délégué. C'est en effet la première fois depuis un an que j’entends un parlementaire dresser un inventaire négatif des mesures prises par Nicolas Sarkozy et, même, se faire applaudir par les sénateurs de l'UMP. C’est remarquable ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Isabelle Debré. C’est l’honnêteté !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. En effet !

Pas de chance pour moi, et là je passe du compliment au reproche, votre honnêteté ne vous conduit pas pour autant à voter la mesure proposée par le gouvernement auquel j’appartiens ni à admettre que, si le pouvoir d'achat a baissé en 2012, c'est non seulement à cause de la modération salariale, qui fait que les gens ont moins de revenus, mais surtout en raison des augmentations d'impôts votées avant le mois de mai 2012. Je rappelle en effet que, sur les 20 milliards d'euros d’augmentations d’impôts prévus, 13 milliards d'euros l’ont été dans les lois de finances rectificatives adoptées avant le mois de mai 2012 ; seuls 7 milliards d'euros résultent des choix de notre gouvernement.

Mme Christiane Demontès. Absolument, ce n'est pas la gauche !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Par conséquent, si le pouvoir d'achat des Français a baissé, c'est au moins pour la moitié, voire plus, à cause des augmentations d'impôts que vous avez votées.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Je vous invite à apprécier ce texte pour ce qu'il est : il s’agit d'arracher ce demi-point ou ces dixièmes de point de croissance dont la France a besoin.

Mme Isabelle Debré. Il y a d'autres façons !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Cette mesure est utile, parce qu'elle favorise la consommation et que la consommation crée de l'activité. J'entends les arguments en faveur des politiques de l'offre, mais il nous faut à la fois une politique de l'offre et une politique de la demande. Au passage, tout le monde sait que l’investissement est aujourd'hui une composante de la demande et non de l'offre. Nous avons besoin des deux leviers, et même si, je le dis au nom du Gouvernement, le dispositif qui vous est soumis aujourd’hui ne résout pas tout – nous n’avons jamais prétendu le contraire -, il constitue une initiative utile et importante. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La commission n'ayant pas adopté de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement
Article 1er bis (nouveau)

Article 1er

I. – Les droits au titre de la participation aux résultats de l’entreprise affectés, en application des articles L. 3323-2 et L. 3323-5 du code du travail, antérieurement au 1er janvier 2013, à l’exclusion de ceux affectés à des fonds investis dans des entreprises solidaires en application du premier alinéa de l’article L. 3332-17 du même code, sont négociables ou exigibles, pour leur valeur au jour du déblocage, avant l’expiration des délais prévus aux articles L. 3323-5 et L. 3324-10 dudit code, sur demande du salarié pour financer l’achat d’un ou plusieurs biens ou la fourniture d’une ou plusieurs prestations de services.

Les sommes attribuées au titre de l’intéressement affectées à un plan d’épargne salariale, en application de l’article L. 3315-2 du code du travail, antérieurement au 1er janvier 2013, à l’exclusion de celles affectées à des fonds investis dans des entreprises solidaires en application du premier alinéa de l’article L. 3332-17 du même code, sont négociables ou exigibles, pour leur valeur au jour du déblocage, avant l’expiration du délai prévu à l’article L. 3332-25 dudit code, sur demande du salarié pour financer l’achat d’un ou plusieurs biens ou la fourniture d’une ou plusieurs prestations de services.

Lorsque, en application de l’accord de participation, la participation a été affectée à l’acquisition de titres de l’entreprise ou d’une entreprise qui lui est liée au sens du deuxième alinéa de l’article L. 3344-1 du code du travail, ou de parts ou d’actions d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières relevant des articles L. 214-40 et L. 214-41 du code monétaire et financier, ou placée dans un fonds que l’entreprise consacre à des investissements, en application du 2° de l’article L. 3323-2 du code du travail, le déblocage de ces titres, parts, actions ou sommes est subordonné à un accord conclu dans les conditions prévues aux articles L. 3322-6 et L. 3322-7 du même code. Cet accord peut prévoir que le versement ou la délivrance de certaines catégories de droits peut n’être effectué que pour une partie des avoirs en cause.

Lorsque, en application du règlement du plan d’épargne salariale, l’intéressement a été affecté à l’acquisition de titres de l’entreprise ou d’une entreprise qui lui est liée au sens du deuxième alinéa de l’article L. 3344-1 du code du travail, ou de parts ou d’actions d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières relevant des articles L. 214-40 et L. 214-41 du code monétaire et financier, le déblocage de ces titres, parts ou actions est subordonné à un accord conclu dans les conditions prévues aux articles L. 3332-3 et L. 3333-2 du code du travail. Cet accord peut prévoir que le versement ou la délivrance de certaines catégories de droits peut n’être effectué que pour une partie des avoirs en cause. Lorsque le plan d’épargne salariale a été mis en place à l’initiative de l’entreprise dans les conditions prévues à l’article L. 3332-3 du même code, le déblocage susvisé des titres, parts ou actions, le cas échéant pour une partie des avoirs en cause, peut être réalisé dans les mêmes conditions.

II. – Le salarié peut demander le déblocage de tout ou partie des titres, parts, actions ou sommes mentionnés au I entre le 1er juillet et le 31 décembre 2013. Il est procédé à ce déblocage en une seule fois.

III. – Les sommes versées au salarié au titre du I ne peuvent excéder un plafond global de 20 000 €, net de prélèvements sociaux.

IV. – Les sommes mentionnées aux I et II du présent article bénéficient des exonérations prévues aux articles L. 3312-4 et L. 3315-2, ainsi qu’aux articles L. 3325-1 et L. 3325-2 du code du travail.

V. – Le présent article ne s’applique ni aux droits à participation, ni aux sommes attribuées au titre de l’intéressement affectés à un plan d’épargne pour la retraite collectif prévu à l’article L. 3334-2 du même code.

VI. – Dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, l’employeur informe les salariés des droits dérogatoires créés en application du présent article.

VII. – L’employeur ou l’organisme gestionnaire déclare à l’administration fiscale le montant des sommes débloquées en application du présent article.

VIII (nouveau). – Le salarié tient à la disposition de l’administration fiscale les pièces justificatives attestant de l’usage des sommes débloquées conformément aux deux premiers alinéas du I.

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l'article.

M. Dominique Watrin. Le scepticisme que j’ai exprimé lors de la discussion générale sur l’effet de relance économique de cette proposition de loi se double d’une inquiétude forte sur la stratégie de croissance affichée par le Gouvernement. Voilà qui répondra peut-être à l'étonnement du ministre sur la décision du groupe CRC de s’abstenir sur ce texte.

Monsieur le ministre, vous vous êtes récemment rallié à la Commission européenne, laquelle préconisait « un rythme de consolidation budgétaire plus compatible avec les exigences de croissance dans la zone euro ». Nous ne partageons pas votre analyse et je regrette que vous vous satisfassiez de cette annonce, d'autant que le candidat François Hollande avait promis de renégocier le Traité européen avant de se contenter finalement d’afficher des crédits qui étaient en réalité déjà programmés.

De plus, en contrepartie de cette enveloppe financière, les États doivent engager des réformes structurelles, notamment concernant leur marché du travail, qui ne sont pas sans rappeler « la stratégie de Lisbonne » que vous condamniez alors, monsieur le ministre. Je rappelle d'ailleurs que l'un des anciens gouverneurs de la Banque centrale européenne expliquait en ces termes le but de cette stratégie : il s’agit d’« atténuer le diaphragme des protections qui, au cours du XXe siècle, ont progressivement éloigné l’individu du contact direct avec la dureté de la vie, avec les renversements de fortune, avec la sanction ou la récompense de ses défauts et qualités ».

Tout un programme, et un programme bien éloigné, vous en conviendrez, des fondements du programme du Conseil national de la Résistance, ce CNR dont nous fêtions le soixante-dixième anniversaire de la création hier.

C’est au nom de ces dogmes européens que le Gouvernement a, je pense, voulu la transposition de l’accord national interprofessionnel, qu’il a fait le choix de taxer les retraités et qu’il s’apprête demain à réformer les retraites en allongeant la durée de cotisation.

C'est toujours dans cette logique qu’à l’Assemblée nationale, et encore aujourd'hui au Sénat, vous avez affirmé que le second axe de votre politique reposait sur « la restauration des marges de l’entreprise », restauration dont chacun aura compris qu’elle se fera sur le dos des salaires et des salariés, notamment avec les réductions de cotisations patronales qui constituent, depuis 1945, un salaire socialisé permettant de financer notre système de santé, notre politique familiale ou encore notre système de retraite.

Au final, ce sont donc bien les salariés qui, une fois encore, seront les grands perdants d’une politique d’austérité.

Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi de vous interroger sur les conséquences de cet article 1er sur les sociétés coopératives et, d’une manière plus globale, sur l’économie sociale et solidaire, à laquelle, je le sais, vous êtes particulièrement attaché.

Comme vous le savez, les SCOP obéissent à des principes particuliers de gouvernance, puisque les salariés sont étroitement associés et participent à la direction de l’entreprise. Leur financement est également singulier. En effet, la participation y est majoritairement réinvestie en interne et constitue un moyen essentiel de financement des actifs et des activités qui permet aux entreprises de se développer sans avoir recours au crédit. Ce mode de financement explique sans doute pourquoi les SCOP sont généralement très compétitives et savent répondre aux enjeux liés à la concurrence, y compris internationale, et à la modernisation des outils de production.

Or, comme en 2004 et en 2008, cette mesure inquiète un certain nombre d’acteurs de l’économie sociale et solidaire, qui craignent que le déblocage anticipé des fonds de la participation ne déséquilibre les bilans. Qui plus est, cette mesure pourrait être un mauvais coup porté à l’économie sociale et solidaire, puisque chaque plan d’épargne d’entreprise est légalement contraint d’investir entre 5 % et 10 % de ses encours dans un fonds de l’économie solidaire. Les encours étant de fait réduits, les investissements dans ce secteur le seront d’autant, et ce pour des effets sur la consommation des plus incertains. Pourtant, le secteur de l’économie sociale et solidaire pourrait être lui-même source de création d’emplois et de richesses.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous apporter plus de précisions à ce sujet ?

M. le président. L'amendement n° 4 rectifié, présenté par Mme Debré et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

I. - Alinéas 1 et 2

Remplacer les mots :

dans des entreprises solidaires en application du premier alinéa de l'article L. 3332-17 du même code

par les mots :

en tout ou partie en actions

II. - Alinéas 3 et 4

Supprimer ces alinéas.

III. - Alinéa 5

Remplacer les mots :

titres, parts, actions ou sommes

par le mot :

avoirs

La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Cet amendement concerne le champ d’application de la mesure de déblocage.

Comme je l'ai souligné au cours de la discussion générale, pour éviter que les entreprises ne voient leur capacité d’investissement se contracter faute de pouvoir disposer de financements, nous proposons que le déblocage ne soit possible que pour les avoirs détenus par les salariés qui sont placés dans les fonds monétaires et non pour ceux qui sont investis en actions.

Les fonds investis principalement en actions représentent 50 milliards d’euros sur un encours total de 94,6 milliards d’euros. Il semble essentiel de sanctuariser les fonds « actions », qui concourent de manière significative aux financements de l’économie par le biais des fonds propres des entreprises.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. Cet amendement vise à réduire considérablement le champ de la mesure prévue par le texte en limitant le déblocage aux sommes intégralement investies en actifs monétaires ou obligataires. Dans sa rédaction actuelle, il exclurait non seulement les fonds communs de placement et les SICAV d'actionnariat salarié, mais également la majeure partie des fonds diversifiés, puisque 63 % des encours se composent d'une part plus ou moins importante d'actions en fonction de la sensibilité aux risques.

Au total, l'amendement, s’il était adopté, diviserait par quatre l'encours de l'épargne salariale susceptible d’être débloquée, réduisant de ce fait drastiquement l'effet attendu de la mesure sur la consommation et le pouvoir d'achat.

J’ajoute que, en aboutissant à autoriser sans condition un déblocage des fonds que l’entreprise consacre à des investissements – le texte de la proposition de loi exige, lui, la signature d’un accord collectif –, cet amendement pourrait perturber considérablement les projets de l’entreprise concernée.

Je tiens enfin à vous rassurer quant à l’impact potentiel de la mesure sur le financement des entreprises françaises : la capitalisation des entreprises du CAC 40 représente près de 1 000 milliards d’euros, tandis que les fonds diversifiés investis totalement ou partiellement en actions représentent 32 milliards d’euros. En considérant que 10 % des sommes investies sur ces fonds diversifiés devraient être effectivement débloquées, et que ces fonds se composent d’un bouquet d’actions internationales et non pas seulement d’actions françaises, on voit que l’effet de la mesure sur le financement des entreprises nationales devrait être infinitésimal.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Comme la commission, le Gouvernement est défavorable à cet amendement, qui restreindrait considérablement le champ de la mesure. Nous voulons au contraire optimiser l’impact de ce dispositif.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 3, présenté par Mme Debré et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 1

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

« Le salarié remet au teneur de compte une déclaration sur l’honneur mentionnant l’usage précis des avoirs dont il demande le déblocage. »

II.- Alinéa 2

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

« Le salarié remet au teneur de compte une déclaration sur l’honneur mentionnant l’usage précis des avoirs dont il demande le déblocage. »

III.- Alinéa 11

Remplacer le mot :

salarié

par les mots :

teneur de compte

La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Cet amendement vise à préciser les démarches incombant au salarié avant le déblocage des avoirs par le teneur de compte.

Il tend également à faire du teneur de compte l’interlocuteur unique de l’administration fiscale en cas de contrôle portant sur l’usage des sommes débloquées.

Nous proposons, en premier lieu, que le teneur de compte débloque les avoirs détenus par le salarié sur simple présentation d’une déclaration sur l’honneur mentionnant l’utilisation des sommes qui lui seront versées.

Nous proposons, en second lieu, que le teneur de compte soit le détenteur des factures correspondant aux achats effectués par le salarié en cas de contrôle – rappelons que le teneur de compte est soumis au secret professionnel, comme toutes les banques.

M. le ministre l’a rappelé, l’ambition de cette proposition de loi est de faire que ces sommes débloquées soient utilisées pour réaliser des achats relativement importants – vous avez évoqué des projets d’ensemble comme une cuisine, mais on peut aussi citer tous types de travaux dans l’immobilier, l’achat d’une automobile ou d’un gros appareil électroménager – plutôt que pour acquérir une multitude de petits produits, souvent importés, ce qui ne résoudrait en rien le problème de l’emploi dans notre pays et pourrait accentuer notre déficit commercial.

Cette mesure faciliterait aussi un éventuel contrôle : comme l’ont souligné plusieurs de nos collègues, il me semble aussi impossible pour le salarié de garder toutes ses factures et facturettes que pour le contrôleur de toutes les contrôler.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. La commission a constaté que cet amendement aurait pour conséquence de complexifier considérablement le dispositif de contrôle applicable à la mesure de déblocage introduite par nos collègues députés, sans pour autant accroître son efficacité.

D’une part, en amont de la procédure, il prévoit de subordonner le déblocage des fonds à une déclaration sur l’honneur auprès du teneur de compte, précisant l’usage des sommes débloquées. D’autre part, une fois le déblocage effectué, il tend à imposer aux teneurs de compte de garder à la disposition de l’administration fiscale, non seulement la déclaration sur l’honneur, mais aussi l’ensemble des pièces justificatives attestant l’usage des sommes débloquées, y compris les facturettes évoquées par Mme Debré.

Ce dispositif pose un certain nombre de questions : quelle est la valeur juridique d’une déclaration sur l’honneur ? À quel moment et dans quelles conditions le salarié devra-t-il transmettre les pièces justificatives attestant l’usage des sommes débloquées aux teneurs de compte ? Les contraintes supplémentaires imposées aux teneurs de compte – gestion, archivage, classement des millions de justificatifs potentiels – sont-elles justifiées ?

Compte tenu de ces interrogations et de la lourdeur qu’entraînerait en l’état la mise en place d’un tel mécanisme de contrôle, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

Certains dispositifs de déblocage de l’épargne salariale ont fonctionné, d’autres moins bien. Tout excès de formalisme risque de compromettre la réussite du dispositif, qui vise à débloquer de l’argent.

L’Assemblée nationale a souhaité mettre en place un système de contrôle sous la forme de l’obligation pour le salarié de conserver les justificatifs de son usage des fonds, qui peuvent être exigibles dans n’importe quel contrôle de l’administration fiscale. Nous estimons que cette mesure est suffisante, sauf à alourdir encore un dispositif dont nous souhaitons qu’il reste le plus simple possible, afin de permettre de débloquer le plus possible d’épargne salariale.

Mme Isabelle Debré. C’est donc un avis défavorable !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. En conséquence, l'avis est en effet défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 7, présenté par MM. Vanlerenberghe, Marseille et Amoudry, Mme Dini et MM. Roche et Zocchetto, est ainsi libellé :

Alinéas 1 et 2

Supprimer les mots :

l'achat d'un ou plusieurs biens ou

La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. L’objet de cet amendement est de concentrer le dispositif du déblocage exceptionnel sur la fourniture de services en excluant l’achat de biens manufacturés. Autrement dit, il faut favoriser l’investissement et non espérer relancer la croissance par la consommation. Sinon, au lieu de relancer l’investissement, le déblocage de la participation et de l’intéressement pourrait contribuer à le fragiliser davantage en privant les entreprises de fonds propres.

Dans ces conditions, il faut a minima s’assurer que les fonds débloqués servent pleinement à alimenter l’économie nationale et qu’ils ne soient donc pas détournés de leur objet.

Pour éviter cet écueil, nos collègues députés ont limité l’usage des sommes débloquées. C’est une première assurance, incontestablement, mais nous pensons qu’il faut aller plus loin, pour que chaque euro débloqué soutienne pleinement l’économie nationale en ciblant la mesure sur la fourniture de services, donc en excluant l’achat de biens manufacturés du champ d’application du dispositif.

En effet, par définition, les services ne sont pas délocalisables, et ce serait un premier signal tangible en direction de secteurs aussi cruciaux que ceux du bâtiment ou des services à la personne, ce dernier étant souvent géré, d’ailleurs, par des associations relevant de l’économie sociale et solidaire.

Ces deux secteurs ont jusqu’ici été très durement affectés par la politique menée par votre majorité, alors qu’ils recèlent un potentiel de croissance et d’emploi considérable. Ils méritent donc à présent d’être substantiellement soutenus.

Au contraire, si on ne le contrôlait pas, l’achat de biens manufacturés contribuerait à la dégradation de la balance commerciale, nombre desdits produits étant importés.

Vous nous répondez qu’il s’agit de soutenir la grande distribution, qui crée des emplois en France. Nous l’entendons, mais, à ma connaissance, la grande distribution n’est pas en crise, alors que la France l’est…

Mme Isabelle Debré. Absolument !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Il est aussi allégué que la mesure a pour objet de soutenir le secteur automobile. J’entends bien, mais, soyons francs, le dispositif est bien trop modeste pour avoir un impact sur la croissance durable de ce secteur.

Mais je m’adresse à vous, monsieur le ministre, vous qui avez à cœur de faire voter cette proposition de loi : nous serions peut-être prêts à faire une exception pour l’automobile, et à examiner une modification de la rédaction du texte transmis qui limiterait l’achat de biens à l’automobile… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Quoi qu’il en soit, il s’agit pour nous d’un amendement important, qui reflète une certaine logique du développement de l’économie visant à préserver l’emploi, et l’emploi durable en France.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. Cet amendement part d’une intention louable, puisque, en l’état du texte, les sommes débloquées peuvent effectivement pour partie financer l’acquisition de biens d’importation. Pour autant, il nous apparaît trop restrictif, pour plusieurs raisons.

Il réduirait tout d’abord à néant l’objectif essentiel de la mesure, qui consiste à relancer la consommation des ménages, notamment à l’heure où celle-ci atteint un point bas historique.

Il décevrait ensuite les attentes de la plupart de nos compatriotes, qui souhaitent utiliser cette épargne pour s’équiper comme ils l’entendent.

Il ferait enfin sortir du champ de la mesure des pans entiers de notre industrie et donc de notre économie, à commencer par l’automobile, que vous avez citée, ou le commerce de proximité, susceptible de bénéficier des sommes libérées à l’occasion du déblocage.

Historiquement, aucune des mesures de déblocage précédentes, dont on a pourtant évoqué l’efficacité, n’a été assortie d’une telle restriction.

En conséquence, l'avis est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Vous l’aurez anticipé, l’avis du Gouvernement est défavorable.

Imaginons, pour changer d’exemple, que je veuille profiter de mon épargne salariale pour faire construire une véranda. Je pourrais utiliser les fonds débloqués pour payer la main-d’œuvre, qui relève d’une prestation de service, mais pas la fourniture de l’équipement ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Non ! C’est une prestation globale !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. La main-d’œuvre est certes considérée comme une prestation globale, mais vous n’auriez pas la possibilité d’utiliser l’épargne salariale pour acheter l’équipement – les meubles, le réfrigérateur et la cuisinière dans le cas d’une cuisine, pour prendre un autre exemple.

M. Jacques Chiron. Très bien !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Vous avez par ailleurs évoqué la grande distribution, monsieur le sénateur. Mais elle n’est pas la seule concernée par cette mesure. Des dizaines de milliers d’emplois, dans l’économie nationale, sont en effet liés à la vente et à la commercialisation de produits importés. Le fait de soutenir aujourd’hui l’achat d’un bien permet aussi de soutenir ces emplois-là, et il ne nous revient pas d’établir une hiérarchie entre un emploi dans la grande distribution, le commerce ou le petit commerce – on y vend des biens d’équipement - et un emploi dans l’industrie, au motif que tel ou tel produit serait importé.

Il m’est donc difficile de vous donner raison, monsieur Vanlerenberghe, y compris sur la proposition – un sous-amendement ? - que vous formulez pour les véhicules français.

En effet, si nous voulons que la mesure ait un impact, elle doit concerner les biens d’équipement et les services, sauf à rater sa cible, la consommation des ménages, dont la relance favorisera l’emploi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, pour explication de vote.

M. François Rebsamen. Je comprends l’esprit de votre amendement, monsieur Vanlerenberghe, qui vise à orienter les sommes débloquées vers la fourniture de services non délocalisables.

L’impact de ce déblocage ne sera pas forcément insignifiant sur l’économie française. Quand on en est à rechercher des petits dixièmes de point de croissance, des demi-points de PIB, tout ce qui concourt à relancer la consommation et, partant, l’activité économique au sens large est bienvenu.

Une chose m’échappe toutefois : lorsque des mesures similaires ont été adoptées dans le passé, vous n’avez pas cherché à en limiter ainsi la portée. Vous pouvez certes proposer cette limitation aujourd’hui, mais, étant donné que les dernières mesures de ce type datent, me semble-t-il, de 2008 – les premières remontent quant à elles à 1994 – est-ce à dire qu’il s’agissait à l’époque de mauvaises mesures ?

Lorsqu’on constate une panne de croissance liée à un défaut de consommation, et alors que la situation est difficile, il est normal de permettre à la consommation de repartir.

Au demeurant, la démonstration que vient de livrer M. le ministre me semble assez juste, mon cher collègue. Pour reprendre l’exemple de la véranda, il est difficile de penser que le salarié aura besoin de débloquer sa participation pour les travaux, mais qu’il aura par ailleurs les moyens d’acheter tout le matériel nécessaire à son installation.

Parce que cette mesure devrait nous rassembler, ne pouvons-nous réfléchir à la rédaction d’un sous-amendement qui pourrait prendre en compte les préoccupations qui se sont exprimées ? On ne peut pas écarter les biens de consommation courante et les biens d’équipement, mais on pourrait préciser que ce sont notamment les services qui sont concernés.

En revanche, il n’est pas envisageable de réserver le déblocage de la participation et de l’intéressement à l’achat de biens français – vous ne l’avez d'ailleurs pas demandé, et je ne vous fais aucun procès d’intention –, cela serait contraire aux règles de libre concurrence. Cependant, rien n’empêche d’acheter des véhicules français, surtout s’ils ont été produits en France. La mesure que propose le Gouvernement est d'ailleurs attendue par les constructeurs automobiles français qui produisent en France.

J’essaie de trouver un point d’accord entre nous. Peut-être qu’un sous-amendement pourrait préciser que la mesure concerne notamment les services. Nous devrions parvenir à un accord. En tout cas, c’est le sens de mon intervention.

Mes chers collègues, tout concourt à tout dans l’économie. Les propos de M. le ministre sont tout à fait justes : il n’existe pas de « sous-emplois », il y a seulement des emplois créés ou maintenus par l’activité économique et commerciale. Je pense que le déblocage de la participation et de l’intéressement peut y contribuer. Ce ne sera certes pas une révolution, mais tout compte, en ce moment. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. J’entends bien ce que nous dit le président du groupe socialiste. L’UDI-UC est, quant à lui, tout à fait ouvert à la discussion, pour peu que M. le ministre soit prêt de son côté à revoir son texte. Jusqu’à présent, il nous a donné le sentiment que la rédaction en était intangible à ses yeux, qu’il la considérait comme l’alpha et l’oméga et qu’il fallait donc accepter le texte tel quel si l’on approuvait un dispositif apparemment exemplaire. Or nous savons pertinemment qu’il comporte des dangers ; nous venons d'ailleurs de vous les rappeler. Cependant, nous sommes également conscients qu’il faut maintenir, ou du moins sauvegarder l’emploi. C'est la raison pour laquelle j’ai évoqué le secteur automobile.

Monsieur le ministre, je reviens sur vos propos au sujet des services. Quand on fait appel à un artisan pour installer une véranda, il peut fournir la véranda. L’achat de cette dernière peut donc être comptabilisé comme faisant partie de la prestation de service. L’achat et l’installation constituent une prestation globale. Il en va de même pour les cuisines, que vous avez citées tout à l'heure. Là encore, il s'agit d’une prestation globale ; je peux vous le dire d’expérience. (Mme Christiane Demontès s’exclame.) Les produits sont compris dans la prestation, je vous l’assure. Tout dépend de l’interprétation que l’on fait des notions de services et de biens d’équipement.

Vous dites que vous voulez favoriser le commerce de proximité. Soyons sérieux : à moins qu’il ne s’agisse d’un tour de passe-passe pour protéger une autre épargne, on ne va pas débloquer 5 000 ou 8 000 euros pour acheter des choux et des carottes au marché du coin… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Monsieur Rebsamen, je suis tout disposé à examiner, avec mon groupe et peut-être avec d’autres, un amendement qui irait dans le sens de notre proposition.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Je demande une suspension de séance, monsieur le président.

M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur le ministre.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. J’ai profité de cette suspension de séance pour me rapprocher de M. Rebsamen et de Mme Demontès.

Monsieur le ministre, j’ignore si vous donnerez un avis favorable à la rectification de l’amendement que je compte proposer, mais il s’agirait de cibler le secteur automobile pour que le déblocage de la participation et de l’intéressement puisse servir à financer l’achat d’un ou plusieurs biens, « notamment dans l’automobile ». (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Vous avez souligné vous-même que ce secteur était en difficulté. Or la mesure que nous proposons favoriserait l’achat d’automobiles fabriquées en France, car, qu’elles soient fabriquées par une entreprise française ou par une entreprise étrangère, c’est bien l’emploi français qui en bénéficierait. Cela correspond à l’ambition de notre amendement initial : défendre l’emploi non délocalisable.

Je ne dis pas que l’amendement ainsi rectifié est parfait, loin de là, mais je pense que l’on peut lui donner sa chance. Nous évaluerons ensuite le dispositif, comme le prévoit l’article 1er bis de la proposition de loi. Nous verrons alors si nous obtenons un meilleur résultat qu’en 2004 et 2008. Je rappelle que le déblocage est une mesure one shot, elle ne peut valoir qu’une seule fois. Nous pourrons donc en mesurer assez rapidement – sans doute dès 2014 – les effets.

M. le président. Il s’agirait donc d’un amendement n° 7 rectifié qui, au lieu de supprimer les mots : « l’achat d’un ou plusieurs biens ou », aux alinéas 1 et 2 de l’article 1er, compléterait ces mêmes alinéas par les mots : «, notamment dans l’automobile ».

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Exactement : nous ne retranchons plus rien du texte initial, nous le complétons.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, la commission ne s’est pas réunie pour examiner cette proposition. Or l’amendement, ou le sous-amendement, présenté par M. Vanlerenberghe est complètement différent de l’amendement n° 7.

Je ne sais d’ailleurs pas s’il est possible de sous-amender ici, puisque, en l’espèce, M. Vanlerenberghe propose de compléter des alinéas dont il demandait initialement de retrancher certaines mentions. Peut-on dire encore qu’il s’agit d’un sous-amendement ? Pour ma part, il me semble que nous sommes plutôt en présence d’un nouvel amendement. Or je crois savoir qu’un groupe ou un sénateur isolé n’a pas la possibilité d’en déposer un en séance.

En tout cas, je pense que la commission doit prendre le temps de regarder cette proposition de près, qui modifie considérablement le texte de l’amendement initial.

M. le président. Madame la présidente, il s’agissait plutôt de la rectification d’un amendement.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Je n’ai pas la science parlementaire qui est la vôtre, mais, à mon sens, vous pourriez, mesdames, messieurs les sénateurs, rejeter l’amendement initial n° 7, présenté par le groupe UDI-UC, et adopter un amendement, que le Gouvernement déposerait, reprenant la préoccupation de M. Vanlerenberghe, que je tiens d’ailleurs à remercier, en faveur du secteur automobile.

Mme Christiane Demontès. Ce sera un amendement du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Nous n’avons pas besoin de rejeter l’amendement n° 7 : je le retire, à charge pour le Gouvernement d’en déposer un reprenant notre préoccupation, ce qui réglera le problème de procédure que vous avez à bon droit soulevé, madame la présidente de la commission.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Le Gouvernement dépose en effet un amendement en ce sens, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 7 est retiré et je suis saisi d’un amendement n° 9, présenté par le Gouvernement, ainsi libellé :

Alinéas 1 et 2

Après les mots :

l'achat d'un ou plusieurs biens

Insérer les mots :

, notamment dans le secteur de l'automobile,

La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.

Mme Isabelle Debré. Pardonnez-moi, mais je ne vois pas ce que cet amendement va apporter au texte. Il s’agit de « financer l’achat d’un ou plusieurs biens ». Pourquoi préciser «, notamment dans le secteur de l’automobile » ? La précision est superfétatoire. Dans ces biens figure naturellement l’automobile. Pourquoi ne pas ajouter aussi les cuisines, l’électroménager, les voyages ? Autant en rester au texte de l’article 1er tel qu’il nous a été transmis.

M. Gérard Bailly. C’est vrai !

M. Jean-Noël Cardoux. C’est ce que l’on appelle un vœu pieux !

M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, pour explication de vote.

M. François Rebsamen. Sur la procédure, la bonne solution a été trouvée avec le dépôt d’un amendement par le Gouvernement.

Sur le fond, madame Debré, l’adverbe « notamment » a un sens, et il n’est pas besoin de procéder à une énumération exhaustive.

Nous savons que le secteur de l’automobile est aujourd’hui particulièrement touché, et l’industrie en général.

Mme Isabelle Debré. Et le bâtiment ?

M. François Rebsamen. Non, pour le bâtiment, ce n’est pas la même chose.

Ce qui est surprenant, c’est que des gouvernements que vous avez soutenus ont eu recours à ce type de procédé, en précisant « notamment l’automobile » ou « spécialement l’automobile ». Que vous fassiez cette critique au moment où cette industrie est en crise du fait d’une baisse de la consommation me semble surprenant.

Mme Isabelle Debré. Vous n’avez pas écouté ce que j’ai dit !

M. François Rebsamen. La précision me semble assez claire et compréhensible ! C’est du français que tout le monde comprend.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Même si je ne suis peut-être pas le meilleur interprète de ce groupe, il me semble que cet amendement se comprend au regard de la préoccupation des membres de l’UDI-UC, qui souhaitent privilégier la consommation de biens ou de services dans des secteurs non délocalisables.

Or, au nombre des secteurs où l’on continue à produire des biens en France figure l’automobile. En apportant cette précision, on traduit la volonté qui est, je pense, partagée par beaucoup, de soutenir l’emploi en France, y compris dans le tissu industriel producteur de biens. À mes yeux, cette précision n’est pas superfétatoire ; elle est au contraire utile dans ce texte.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. J’entends bien les arguments des uns et des autres, mais il n’empêche que l’amendement du Gouvernement est nouveau. Il me semble donc important que la commission puisse avoir le temps de l’étudier.

Je vous rappelle que, ici même, voilà quelques semaines, lors du débat sur la biologie médicale, dans des circonstances similaires, je n’avais pas demandé la réunion de la commission sur un amendement déposé en séance par le Gouvernement, pensant que ce n’était pas nécessaire, et MM. Barbier et Roche m’en avaient fait le reproche.

Je maintiens que l’amendement n° 9 est très différent de l’amendement n° 7. En outre, mes chers collègues, je vous rappelle l’aversion du Sénat pour l’adverbe « notamment » dans les textes de loi.

Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas juridique !

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Il serait paradoxal que nous en insérions un ici, alors qu’habituellement nous nous efforçons de le supprimer dès que nous le pouvons pour éviter que la loi ne soit ambiguë.

Monsieur le président, pardonnez-moi, mais la procédure utilisée n’étant pas tout à fait respectueuse des prérogatives de la commission, je vous demande une suspension de séance pour que nous puissions nous réunir et discuter tranquillement de cet amendement déposé par le Gouvernement.

M. le président. Madame la présidente, je vous accorde une courte suspension de séance, temps de trajets compris ! (Rires.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures vingt, est reprise à vingt heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Pour tenir compte des observations de Mme la présidente de la commission, je rectifie l’amendement n° 9 afin de remplacer le mot « notamment » par les mots « en particulier ». (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)

Mme Isabelle Debré. Oh non ! C’est une plaisanterie ?

M. Charles Revet. C’est en effet très différent… Ce n’est pas à l’honneur du Sénat de travailler ainsi.

Mme Isabelle Debré. C’est du théâtre, je n’ai jamais vu ça !

M. le président. Il s’agit donc de l’'amendement n° 9 rectifié, présenté par le Gouvernement et ainsi libellé :

Alinéas 1 et 2

Après les mots :

l'achat d'un ou plusieurs biens

Insérer les mots :

, en particulier dans le secteur de l'automobile,

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.

Mme Isabelle Debré. Cela fait maintenant huit ans que je siège au Sénat, et je n’avais jamais vu cela !

Mme Isabelle Debré. Non ! Je n’ai jamais vu rectifier un amendement simplement pour remplacer « notamment » par « en particulier ».

M. Jean-Pierre Godefroy. Relisez le Journal officiel !

Mme Isabelle Debré. On n’est pas au théâtre ici, on travaille !

Mme Christiane Demontès. Pas de leçon, madame Debré !

Mme Isabelle Debré. Madame Demontès, vous me connaissez depuis longtemps : je me mets rarement en colère, mais là, vraiment, il y a de quoi ! Il n’est pas admissible d’aller ainsi à la pêche aux voix !

Mme Christiane Demontès. La droite ne l’a jamais fait ?

Mme Isabelle Debré. Si, madame, nous l’avons fait, mais je sais reconnaître les torts que nous avons pu avoir. M. le ministre a d’ailleurs salué mon honnêteté intellectuelle. Je le répète, je ne suis pas au théâtre, je suis là pour travailler !

Monsieur le ministre, cibler spécifiquement l’automobile, alors que le bâtiment et d’autres secteurs vont eux aussi très mal, n’a pas de sens, d’autant que l’expression « en particulier » n’a aucune portée juridique.

Le groupe UMP votera donc contre cet amendement et demande qu’il soit mis aux voix par scrutin public.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Je ne m’opposerai pas à l’adoption de cet amendement, mais je ne peux pas non plus y être favorable. Il aurait fallu réfléchir en amont sur le secteur de l’automobile, qui n’a pas réussi à engager la mutation nécessaire. Outre l’automobile, il existe bien d’autres secteurs, écologiquement responsables, qui mériteraient que l’on s’intéresse également à eux. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)

Par conséquent, je m’abstiendrai sur l’amendement du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.

M. Dominique Watrin. Je ne vois pas en quoi cet amendement constituerait un signal fort. L’UDI-UC se rallie à l’amendement du Gouvernement : je ne peux que m’en étonner, dans la mesure où il a un objet exactement inverse de celui de l’amendement n° 7.

Par ailleurs, sur le fond, comment peut-on croire que, en ajoutant la mention « en particulier dans le secteur de l’automobile », on favorisera la production nationale, alors que de nombreux équipementiers automobiles ont aujourd’hui délocalisé leur activité et que les groupes automobiles français vendent sur le marché français des voitures fabriquées au Maroc ou en République tchèque ?

C’est l’Union européenne qu’il faut changer si l’on veut favoriser notre production automobile, puisque c’est elle qui nous interdit de verser des primes pour protéger notre industrie nationale.

En tout état de cause, mon groupe votera contre un amendement qui ne fait que créer une illusion.

M. le président. La parole est à Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. L’amendement du Gouvernement est en effet assez éloigné de celui que nous avions déposé, il serait ridicule de le nier.

Notre objectif était de mettre l’accent sur la nécessité d’éviter à tout prix les délocalisations et d’encourager la consommation. La rédaction de l’amendement du Gouvernement n’est peut-être pas très heureuse, mais il s’agit bien d’essayer de donner un coup de fouet à la consommation tout en favorisant la production nationale et l’emploi, ce qui correspond au moins en partie à l’esprit de notre amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9 rectifié.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l'avis de la commission est favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 241 :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 335
Pour l’adoption 176
Contre 159

Le Sénat a adopté.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes Giudicelli et Deroche, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

Compléter cet alinéa par les mots :

ou pour rembourser une ou plusieurs dettes financières

II. – En conséquence, alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

ou pour rembourser une ou plusieurs dettes financières

La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. En dépit de la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, le nombre de ménages surendettés demeure très élevé.

Cet amendement vise à compléter le fléchage des sommes débloquées par les salariés au titre du dispositif exceptionnel ouvert par la proposition de loi pour permettre le remboursement de dettes.

Certes, la procédure prévue à l’article R. 3324-22 du code du travail offre la possibilité de liquider les droits ouverts au titre de la participation avant l’expiration des délais, notamment dans les cas de situation de surendettement, sur demande du juge ou par le président de la commission de surendettement. L’objet de notre amendement est d’agir en amont et d’anticiper le risque de surendettement des ménages qui présentent des signes de fragilité financière, en permettant le remboursement des dettes, y compris les crédits dits renouvelables.

M. le président. L'amendement n° 6, présenté par Mme Lienemann, est ainsi libellé :

Alinéas 1 et 2

Compléter ces alinéas par les mots :

, ou encore le remboursement d'une ou plusieurs dettes

Cet amendement n'est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 1 rectifié ?

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. La commission a longuement discuté de cet amendement cet après-midi. Elle a partagé le souhait d’aider au maximum à desserrer la contrainte financière qui pèse sur les personnes lourdement endettées, mais a relevé un certain nombre d’arguments militant plutôt contre l’adoption de l’amendement.

D’abord, la mesure de déblocage vise avant tout à soutenir la consommation, et non à permettre le remboursement de dettes.

Ensuite, en cas de surendettement, la possibilité de liquider par anticipation les droits ouverts au titre de la participation existe déjà, comme Mme Deroche l’a rappelé.

Enfin, nous craignons un effet pervers s’agissant du crédit renouvelable, appelé autrefois crédit permanent et qui, à la différence d’un crédit amortissable, n’est par définition jamais remboursé, puisqu’il consiste à mettre à la disposition de l’emprunteur, généralement par le biais d’une carte de crédit, une somme d’argent réutilisable au fur et à mesure de son remboursement pour financer des achats non prédéfinis. Or c’est notamment cette forme d’endettement que vise l’amendement : nous craignons que sa rédaction ne réponde pas à l’objectif poursuivi.

La commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Le Gouvernement émet un avis défavorable.

L’objectif est de favoriser la consommation : prévoir que les sommes débloquées pourront être consacrées au remboursement de créanciers ne produirait pas l’effet escompté.

J’ajoute que, par principe, il nous semble important de préserver l’épargne en cas de surendettement et de laisser à la commission de surendettement le soin de distinguer, parmi les créances, celles qui sont prioritaires. Une partie de la dette peut être effacée, reportée ou échelonnée, il n’est pas souhaitable que l’épargne soit totalement engloutie dans le désendettement.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.

Mme Isabelle Debré. Le groupe UMP votera cet amendement.

Comment pourrait-on inciter des personnes endettées à consommer ? Monsieur le ministre, des possibilités de déblocage anticipé existent en cas de surendettement, mais non pas en cas de simple endettement. Je trouverais irresponsable d’encourager les ménages à débloquer leur épargne salariale pour consommer davantage, en leur interdisant de l’utiliser pour rembourser leurs dettes !

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour explication de vote.

M. Hervé Marseille. Nous soutenons cet amendement de bon sens ; Mme Lienemann avait d’ailleurs formulé une proposition identique.

Vouloir favoriser la consommation est une bonne chose, mais un grand nombre de personnes connaissent des difficultés financières, voire vivent en situation de précarité, à la suite par exemple d’une séparation. En tant que président d’un office d’HLM, je le constate tous les jours. Permettre l’affectation des sommes débloquées au désendettement pourrait apporter un bol d’air à de nombreuses familles, notamment monoparentales, et leur permettre de repartir du bon pied, sans avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Nous voterons cet amendement extrêmement important.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Cardoux et Mme Primas, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Après les mots :

au titre du I

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

, à l’exception de celles destinées à la réalisation de travaux immobiliers, ne peuvent excéder un plafond global de 7 500 euros, net de prélèvements sociaux. Pour débloquer ces sommes, le salarié doit présenter un devis ou une facture pro forma auprès du teneur de compte. Lorsque les sommes sont destinées à la réalisation de travaux immobiliers tels que construction, transformation, aménagement et entretien de locaux, quelle que soit leur destination, ce plafond est fixé à 20 000 euros. Dans ce cas, le déblocage des fonds sera effectué par le teneur de compte dans les quinze jours de la remise de la facture par le bénéficiaire. Les deux plafonds ne sont pas cumulables.

La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.

M. Jean-Noël Cardoux. Après la scène – de comédie ou de tragédie, je ne sais – à laquelle nous avons assisté, j’hésite à présenter cet amendement…

Une fois de plus, le Gouvernement vient de se rendre compte qu’il n’a pas de majorité au Sénat. En tant que jeune sénateur, je m’imaginais qu’un parlementaire est élu pour légiférer ; l’adoption d’un dispositif incantatoire, sans valeur juridique, donnera une nouvelle fois une piètre image de nos travaux !

Cet amendement vise à fixer le plafond des sommes débloquées à 7 500 euros pour le financement de dépenses de consommation courante, concernant en particulier le secteur de l’automobile – en espérant que cet argent ne servira pas à acheter des Toyota ou des Hyundai –, et à 20 000 euros pour le seul financement de travaux immobiliers. Cela respecterait l’esprit de la participation, qui est faite pour développer l’investissement durable au profit des salariés, réaliser des travaux dans son logement permettant en effet de capitaliser en vue de la retraite.

Nous ne voulions pas que l’on puisse nous accuser de supprimer toute incitation à la consommation de biens courants, c’est pourquoi j’ai maintenu la possibilité de consacrer les sommes débloquées à cette fin, mais en fixant le plafond à un niveau plus bas que pour la réalisation de travaux immobiliers : il s’agit d’adresser un signe fort aux entreprises du bâtiment, qui, bien plus que celles de la grande distribution, se trouvent dans une situation extrêmement difficile. Pour paraphraser un adage bien connu, si nous parvenons à relancer le secteur du bâtiment, nous ferons un grand pas vers la reprise de la croissance. Cela étant, je ne me fais pas d’illusion sur le sort qui sera réservé à cet amendement.

Mme Isabelle Debré. Très bien !

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Debré et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Remplacer le nombre :

20 000

par le nombre :

10 000

La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. J’aurais pu retirer cet amendement si l’amendement n° 3, qui tendait à cibler le financement d’achats importants, plutôt que celui de biens de faible valeur souvent fabriqués hors de notre territoire, avait été adopté, mais tel n’a pas été le cas…

Il s’agit de ramener à 10 000 euros le plafond des avoirs susceptibles d’être débloqués. Cela correspond au plafond retenu pour les précédentes mesures de déblocage exceptionnel. En outre, une telle proposition me semble plus réaliste eu égard au montant moyen des avoirs détenus par les salariés.

Enfin, il me semble important de ne pas mettre en péril la capacité de financement des entreprises, alors que nombre d’entre elles peinent à obtenir des réseaux bancaires les crédits dont elles ont besoin pour investir. Il nous faut préserver les capacités d’investissement des entreprises pour l’avenir et les emplois qui en découlent.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.

M. Dominique Watrin. Nous voterons contre ces deux amendements.

Les sommes épargnées par les salariés atteignent rarement les montants évoqués. Bien souvent, elles sont inférieures à 5 000 euros, et l’intéressement et la participation se limiteront généralement cette année à quelques centaines d’euros, notamment pour les ouvriers. Par conséquent, proposer de fixer le plafond à 10 000 ou à 20 000 euros ne correspond pas à la réalité vécue par les salariés, d’autant qu’un dispositif permet désormais aux entreprises de mettre en réserve certains fonds avant de les redistribuer sous forme d’intéressement et de participation, les montants ainsi répartis ayant d’ailleurs tendance à diminuer ces dernières années.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 242 :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l’adoption 189
Contre 137

Le Sénat a adopté.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement
Article 2

Article 1er bis (nouveau)

Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport dressant un bilan de la mesure de déblocage exceptionnel de la participation et de l’intéressement, notamment au regard du volume débloqué et de l’usage fait des sommes.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, sur l’article.

M. Jean Desessard. Ce n’est pas possible ! Le Gouvernement doit recourir au vote bloqué ! (Sourires.)

Mme Isabelle Debré. Je souhaite simplement annoncer une bonne nouvelle : le groupe UMP retire sa demande de scrutin public sur l’article 1er bis ! (Exclamations amusées.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis.

(L'article 1er bis est adopté.)

Article 1er bis (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement
(Supprimé)

Article 2

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement
Explications de vote sur l'ensemble (début)

(Supprimé)

Vote sur l'ensemble

(Supprimé)
Dossier législatif : proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.

M. Jean-Noël Cardoux. Au terme d’un débat qui a connu de nombreux rebondissements, je constate que nous sommes à peu près unanimes à admettre que la relance par la consommation n’a jamais fonctionné. Vous vous engouffrez aujourd’hui dans une voie qui a donc montré ses limites, après avoir, depuis un an, systématiquement démantelé les dispositifs qu’avait fait adopter le précédent gouvernement et qui allaient dans le bon sens. Où est la cohérence ? Vous allez seulement reproduire les échecs du passé.

En commission, Mme le rapporteur a indiqué qu’elle était bien consciente que la mesure de déblocage ne permettrait, à elle seule, « ni de faire décoller la consommation ni de rétablir la confiance » de nos concitoyens dans l’avenir. Tout est dit ! On ne peut pas rétablir la confiance par voie réglementaire ou législative : c’est ce que vous essayez de faire, mais cela ne fonctionnera pas !

Par ailleurs, je souligne, à la suite de Mme Debré, que nous sommes, une fois de plus, en train de dénaturer le véritable esprit de la participation des salariés aux fruits de l’expansion de leur entreprise.

La participation a été créée par un texte datant de la fin des années soixante, à l’élaboration duquel Christian Poncelet avait pris une part active ; je tiens à lui rendre hommage à cet instant. La participation est simplement une voie médiane, voulue par le général de Gaulle, entre l’appropriation des moyens de production prônée par l’extrême gauche et le capitalisme sauvage promu par les ultralibéraux. Voilà ce qu’est la participation !

À force de vouloir détourner la participation de sa destination véritable, on finit par verser dans des outrances : comme l’a fort justement rappelé Isabelle Debré, la participation n’est pas une variable d’ajustement de la consommation !

Monsieur le ministre, dans votre propos liminaire, vous avez fait référence à l’investissement productif, expression qui n’est guère habituelle dans le vocabulaire de la majorité : nos amendements, cohérents avec l’esprit de la participation, allaient tout à fait dans le sens de la promotion de l’investissement productif.

Dans cette perspective, il convenait que les sommes débloquées ne proviennent pas de fonds investis en actions. Par ailleurs, nos amendements tendaient à supprimer les mesures de contrôle irréalistes votées par l’Assemblée nationale. En effet, outre qu’il est fastidieux, pour le commun des mortels, de conserver toutes les petites factures, de telles mesures sont contradictoires avec la décision de Bercy de supprimer l’obligation, pour les contribuables, de produire des pièces justificatives au titre de leur déclaration de revenus. Enfin, nous avons proposé de diriger l’utilisation des fonds débloqués vers l’investissement durable, plus conforme à la notion d’épargne salariale instituée par la participation.

Chers collègues de la majorité, tel est le signal que nous avons voulu donner, en défendant des dispositions cohérentes. Une fois de plus, vous n’avez pas voulu saisir notre main tendue. C’est une nouvelle occasion perdue !

Je voterai contre ce texte, comme la grande majorité, sinon la totalité, des membres de mon groupe. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.

M. Hervé Marseille. Ce soir, nous sommes en présence d’un cas d’école.

En lui-même, le présent texte n’appelle pas d’observations extraordinaires : son dispositif relève d’une démarche que de nombreux gouvernements, tant de droite que de gauche, ont déjà mise en œuvre par le passé. D’ailleurs, à l’Assemblée nationale, les députés de l’opposition ont voté pour ce texte ou se sont abstenus.

Lorsque le Gouvernement se présente devant le Sénat en sachant qu’il aura du mal à convaincre sa propre majorité, il devrait au moins essayer de convaincre l’opposition, en discutant avec elle en amont !

Ainsi, l’amendement relatif à l’utilisation des sommes débloquées pour le désendettement défendu par Mme Deroche aurait pu être mieux pris en compte. Mme Lienemann avait d’ailleurs déposé un amendement similaire. Certes, le rôle du Gouvernement est de définir et de mener une politique, mais il ne peut pas avoir raison à la fois contre sa majorité et contre l’opposition : il doit accepter la discussion.

Monsieur le ministre, le Gouvernement devra, à l’avenir, débattre davantage avec le Sénat, tant avec sa majorité qu’avec l’opposition. Je suis persuadé que les textes s’en trouveront améliorés et qu’ils rallieront plus aisément une majorité de suffrages au sein de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, modifiée.

J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public, émanant l'une du groupe socialiste, l'autre du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 243 :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l’adoption 189
Contre 137

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

5

Décès d'un ancien sénateur

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Marcel Costes, qui fut sénateur du Lot de 1983 à 1992.

6

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 29 mai 2013, à quatorze heures trente et le soir :

1. Projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (n° 419, 2012-2013) ;

Rapport de M. André Vallini, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 564, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 565, 2012-2013).

2. Projet de loi autorisant la ratification de l’accord-cadre global de partenariat et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la République d’Indonésie, d’autre part (n° 417, 2012-2013) ;

Rapport de M. André Dulait, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 562, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 563, 2012-2013).

3. Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg pour le développement de la coopération et de l’entraide administrative en matière de sécurité sociale (n° 416, 2012-2013) ;

Rapport de M. Daniel Reiner, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 560, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 561, 2012 2013).

4. Projet de loi autorisant l’approbation de l’entente entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Québec relative à l’Office franco-québécois pour la jeunesse (n° 418, 2012-2013) ;

Rapport de M. Christian Cambon, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 575, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 576, 2012-2013).

5. Projet de loi autorisant la ratification du traité d’extradition entre la République française et la République populaire de Chine (n° 529, 2011-2012) ;

Rapport de M. Jean Besson, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 587, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 588, 2012-2013).

6. Projet de loi autorisant l’approbation de l’arrangement concernant les services postaux de paiement (n° 402, 2010-2011) ;

Rapport de M. Jean Besson, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 589, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 590, 2012-2013).

7. Projet de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, habilitant le Gouvernement à légiférer pour accélérer les projets de construction (n° 604, 2012-2013) ;

Rapport de M. Claude Bérit-Débat, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 608, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 609, 2012-2013) ;

Avis de M. René Vandierendonck, fait au nom de la commission des lois (n° 607, 2012-2013).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt et une heures quinze.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement