M. Jean-Claude Lenoir. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Jeanny Lorgeoux.
M. Jeanny Lorgeoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je focaliserai ma brève intervention sur l’Afrique.
Le Livre blanc a inscrit dans le marbre quelques vérités de bon sens. Nous les apprécions, même si nous eussions aimé qu’un chapitre ait nominalement traité de l’Afrique. Quelles sont ces vérités ?
Premièrement, les crises en Côte d’Ivoire, en Libye et au Mali ont replacé l’Afrique au cœur de l’« essentiel géopolitique français ». Le nouveau document stratégique assure qu’il est impératif de maintenir des troupes pré-positionnées dans une région du monde où la France se retrouve souvent seule et en première ligne. Avant l’intervention au Mali, le 11 janvier dernier, et l’opération Serval, le socle de défense représentait près de 5 000 soldats français, répartis sur sept pays africains. L’architecture nouvelle de défense au Sahel, souple, évolutive, doit s’appuyer sur cette réalité.
Deuxièmement, le présent Livre blanc démontre sans conteste les liens entre sécurité en Afrique et en Europe, et le développement du continent africain. Les bases françaises en Afrique, qui, depuis le discours de François Hollande à Dakar, le 12 octobre 2012, ont vocation à devenir des « pôles de coopération », restent autant de points d’appui incontournables. Nos partenaires européens devraient ouvrir grand les yeux, car il n’y aura, à notre sens, ni croissance en Afrique ni réduction du terrorisme international sans stabilité des États africains. La construction de la démocratie politique est donc inséparable de l’action de sécurité, et inversement.
Troisièmement, l’intervention étant engagée au Mali contre des ennemis très mobiles et non étatiques, la menace terroriste accrue contre la France implique un renforcement des capacités humaines et techniques de nos services de renseignement. Le développement de l’imagerie spatiale et la hausse des moyens de surveillance aérienne, à l’aide de drones, dont on a parlé, et d’avions légers d’observation sont capitaux pour avoir une meilleure vision des vastes territoires hors de contrôle, notamment dans les déserts ou parages montagneux.
Par ailleurs, et avec raison, le Livre blanc suggère de renforcer les effectifs des forces spéciales, qui se sont imposées comme une capacité de premier plan dans toutes les opérations récentes. Elles sont particulièrement adaptées aux besoins accrus de réaction dans l’urgence. Ces spécialisations techniques et humaines constituent le fer de lance de la destruction des sanctuaires de l’obscurantisme.
Quatrièmement, c’est dans une optique de connaissance et d’anticipation que s’inscrit et s’inscrira l’engagement de la France. La connaissance du terrain, la formation d’armées nationales et l’accompagnement des processus démocratiques, d’une part, l’anticipation par le pré-positionnement, le renseignement et la réactivité, si besoin est, d’autre part, constitueront l’indispensable apport à la sécurisation de l’Afrique que les institutions africaines, telles que l’Organisation de l’unité africaine, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, ou CEDEAO, et d’autres organisations régionales dont le cadre paraît adapté à de telles actions s’efforcent de construire progressivement et courageusement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Très bien !
M. Jeanny Lorgeoux. En attendant, j’y insiste, il y a lieu de maintenir sur le sol africain le volume actuel du contingent militaire, peut-être, toutefois, en ventilant une partie des effectifs des bases de Djibouti et de Libreville sur d’autres points d’appui composant un collier de plates-formes sahariennes et sahéliennes à proximité des repaires djihadistes.
Naturellement, mes chers collègues, tout cela n’a de sens que dans le cadre d’une coopération étroite avec nos pays amis : l’Algérie, au premier chef, mais aussi le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad qui sont aux premières loges, sur la ligne de front. Mais il faut viser plus loin : le flanc sud est également soumis à des menées subversives, Boko Haram nous ayant rappelé que la fièvre du Nord du Nigeria peut diffuser à l’Est vers le Cameroun et vers le Nord-Ouest. De ce point de vue, on ne peut faire l’impasse sur l’implantation stratégique que peuvent représenter, en plus de Dakar, les villes de Niamey, N’Djaména, voire Abidjan, où la composante maritime de notre armée a naguère démontré, à maints égards, sa polyvalence et son efficacité.
Le ministère de la défense présentera, le moment venu, le dispositif retenu ; je ne doute pas, monsieur le ministre, que celui-ci sera qualitativement optimal, tant il est vrai que sont grands les compétences et le dévouement qui font honneur à la France.
De grâce, que l’on ne nous rebatte pas les oreilles avec l’antienne du néocolonialisme : il ne s’agit, en fait, que de concourir, à la demande de la communauté internationale, à la paix et à la concorde, pour que l’Afrique – l’Afrique-de-bonne-espérance, comme je l’appelle –, en assurant son développement, puisse surmonter le stress nourricier, hydrique et climatique, dont parlait Leila Aïchi tout à l’heure, c’est-à-dire assumer pleinement son destin, demain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, en ces temps de grande disette budgétaire, nous apprécions que vous ayez su obtenir du Président de la République le maintien à son niveau actuel de notre effort de défense, c’est-à-dire 31,4 milliards d’euros pour le budget de la défense en 2014.
Ce résultat est à porter à votre actif, même si vous avez pu bénéficier du renfort que vous ont apporté tous ceux qui, au Sénat, avec le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ont contribué à éviter, au moins pour le moment, le déclassement stratégique qu’eût entraîné une baisse significative des crédits militaires. Ce risque a été écarté, aussi, en raison de l’éclatante démonstration d’efficacité qu’ont faite nos soldats, appelés à sauvegarder l’intégrité, la souveraineté et la liberté du Mali.
Le Président de la République a annoncé que nos forces armées disposeraient de 365 milliards d’euros sur la période 2014-2025, dont 179,2 milliards pour celle que couvrira la loi de programmation militaire 2014-2020. Pour maintenir une France forte, il a estimé ce chiffre réaliste. Il faudra faire avec !
J’approuve, par ailleurs, le recentrage opéré par le présent Livre blanc sur l’Afrique, notamment sahélienne, de la définition de notre zone d’intérêts prioritaires. Je l’avais déjà réclamé, mais en vain, lors du débat du 15 juillet 2009 sur la loi de programmation militaire 2009-2014.
Nous sommes aussi évidemment concernés par la montée des tensions en Asie, ne serait-ce que par le « pivotement » des forces américaines de l’Atlantique vers le Pacifique, qui obligera l’Europe, à l’avenir, à pourvoir davantage à sa défense.
Or, force est de le constater, la plupart des pays européens, à l’exception de la Grande-Bretagne et de la France, se sont installés dans un climat de fausse sécurité.
Nous ne devons pas craindre la Russie, qui ne représente plus une menace militaire pour l’Europe, mais qui est davantage préoccupée par la montée de l’islamisme radical dans le Caucase et l’Asie centrale.
Que la Russie soit aussi une puissance énergétique de première grandeur ne constitue pas davantage, à mes yeux, une menace, mais représente, au contraire, une opportunité. Ce fournisseur, qui n’est pas le seul, dépend autant de son client que l’inverse.
Les « menaces de la faiblesse », notamment en Afrique, me paraissent autrement plus graves, car la plupart des pays européens n’en ont pas pris conscience. Les pays du Nord de l’Europe s’en sont remis un peu trop facilement aux pays du Sud pour garder leurs frontières méridionales et aux États-Unis et à la France pour préserver l’équilibre fragile, du Moyen-Orient pour les premiers, de l’Afrique pour la seconde.
L’Europe serait bien avisée d’aider à la formation d’armées africaines opérationnelles et à la constitution, à l’échelon régional, de forces de réaction rapide africaines, à partir d’états-majors permanents capables d’entraîner régulièrement des unités professionnelles dédiées dans chaque pays.
C’est ce qui a manqué à la CEDEAO et a obligé la France à intervenir en premier au Mali, à l’appel de ses autorités légitimes, parce qu’elle seule pouvait le faire, comme l’a rappelé le Président de la République. Je constate que la France contribue pour moitié à la force européenne, d’ailleurs insuffisamment calibrée, de formation des forces maliennes.
Dans l’immédiat, vous avez conjuré, monsieur le ministre, le risque d’un déclassement stratégique de la France. Mon groupe vous en sait gré, mais ce risque n’est pas écarté pour toujours par l’arbitrage du Président de la République.
Je ne parle pas seulement des recettes exceptionnelles de 5,9 milliards d’euros qu’il faudra trouver, je l’espère, autrement que par la liquidation des participations de l’État dans le secteur des industries de défense. De ce point de vue, je ne partage pas tout à fait l’avis de M. Jacques Gautier.
Je veux surtout parler de la dégradation de notre situation économique et, par conséquent, budgétaire, qui résulte de la mécanique mise en place par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, dit « TSCG », dont les effets récessifs en Europe risquent de se faire sentir durant une longue période. En effet, les moteurs de la croissance – consommation, exportations, investissement – y sont en panne, sauf peut-être, en Allemagne, encore que faiblement.
Celle-ci consacre d’ailleurs à sa défense des crédits légèrement supérieurs aux nôtres, en volume. L’Allemagne a entrepris de professionnaliser, à son tour, son armée. Ses capacités en seront accrues, mais dans le cadre de l’OTAN. L’Allemagne, et son opinion publique, fondamentalement pacifiste, considère que l’OTAN vaut essentiellement comme une sorte de traité de réassurance contre des dangers qu’elle a d’ailleurs de la peine à discerner.
La dissuasion nucléaire est garantie par les déclarations du Président de la République, mais pour combien de temps ? On entend de plus en plus s’élever des voix qui se plaignent de l’effet d’éviction qu’elle exercerait sur les crédits attribués aux forces conventionnelles. Ces critiques, à mon avis, à courte vue, oublient que la dissuasion est l’outil de notre autonomie stratégique et politique et qu’elle seule peut garantir le maintien d’une diplomatie indépendante et, je le dis à Mme Demessine, nous tenir à l’abri de guerres qui ne seraient pas les nôtres.
Le Président Obama vient d’affirmer sa volonté d’aller plus loin que le traité New Start dans la voie du désarmement nucléaire. À tous ceux qui se laisseraient porter par l’opinion, je veux tout de même rappeler que les États-Unis disposent aujourd’hui de 1 654 têtes nucléaires déployées, sans compter les milliers de têtes non déployées qui n’ont jamais été incluses dans un accord. En regard, la France dispose de moins de 300 têtes, c’est-à-dire beaucoup moins que la Russie et même que la Chine. Le principe de la stricte suffisance nous interdit de descendre en dessous de quatre sous-marins lanceurs d’engins et de deux escadrons aériens. Si les armes nucléaires tactiques américaines étaient retirées d’Europe, nous serions le seul pays, en dehors de la Russie, à disposer d’armes nucléaires sur le continent. C’est une garantie de l’équilibre et de la paix sur celui-ci. C’est pourquoi nous ne sommes pas membres du « groupe des plans nucléaires » de l’OTAN, et devons continuer à nous en tenir à l’écart.
Sans doute, avez-vous raison d’affirmer l’objectif d’une défense européenne, comme le croyant affirme l’existence de Dieu. Mais la volonté politique chez nos partenaires fait aujourd’hui défaut. Comme le précise le traité de Lisbonne de 2008, les pays de l’Union européenne membres de l’OTAN contribuent à l’élaboration et à la mise en œuvre de leur défense dans le cadre de cette alliance. Même après avoir rejoint, en 2012, l’organisation militaire intégrée de l’OTAN, la France, elle, ne peut renoncer à assurer elle-même, en ultime ressort, le soin de sa défense. C’est la condition de notre indépendance, et donc du maintien de l’esprit de défense à long terme dans le pays, ne l’oublions jamais !
La République française est aujourd’hui confrontée au défi de l’islamisme radical, il faut le voir. Il ne faut bien entendu pas confondre celui-ci avec l’Islam, qui est la religion de 1 200 millions d’hommes et de femmes. Nous devons tout faire, au contraire, pour aider les peuples musulmans, dans le respect de leur authenticité, à trouver leur place dans le monde moderne.
À ce défi, la sophistication des armements n’est pas une réponse suffisante. La bonne réponse est d’abord humaine et politique.
À cet égard, je ne saurais trop approuver le principe de la différentiation des forces posé par le Livre blanc. Évitons, par une course excessive à la « technologisation », de réduire encore le nombre des hommes dans les armées. Nous avons besoin de soldats qui comprennent d’autres civilisations que la nôtre. C’était jadis une des traditions de l’armée française. Elle a donné les Lyautey, les Gallieni, les Charles de Foucauld, et combien d’autres ! Il serait temps de réinvestir dans la formation des officiers le champ de la compréhension humaine, de favoriser ainsi l’apprentissage des langues, orientales et africaines. Cela coûterait moins cher que les missiles guidés avec précision, et ce ne serait pas de l’argent perdu.
La défense, monsieur le ministre, ne l’oublions pas, repose toujours, en dernier ressort, sur un facteur humain et sur l’étroite union du peuple et de son armée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – MM. Roland du Luart et Jean-Pierre Chauveau applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la présence, en début de séance, de M. le Premier ministre illustre bien l’importance que revêt ce débat sur le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Ce Livre blanc a vocation à incarner le guide des futures orientations stratégiques et militaires de notre pays. Exercice difficile, moins dans sa dimension de réponse aux menaces auxquelles la France doit faire face, que dans la politique et la dynamique à mettre en place pour se conformer à ses prescriptions.
Aussi, je tiens à rappeler devant vous que notre commission n’a pas ménagé sa peine afin de pouvoir jouer pleinement son rôle de contrôle de l’action du Gouvernement, mais aussi son rôle de force proposition.
Depuis 2012, la commission des affaires étrangères et de la défense a rendu pas moins de huit rapports d’information permettant de préparer cette révision du Livre blanc. Quatre groupes de travail ont été mis en place, en respectant les équilibres politiques. Cela mérite d’être salué.
Pour ma part, j’ai travaillé avec mon collègue Lorgeoux sur les enjeux maritimes de la France. Comme il s’est déjà exprimé, ainsi que plusieurs de nos collègues, je vais m’efforcer d’éviter les redites.
Avant de revenir sur la nouvelle géopolitique des océans qui contraint notre pays à se repositionner sur la scène maritime, je veux formuler quelques observations d’ordre plus général, mais auxquelles j’attache du prix.
Tout d’abord, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous me permettrez d’évoquer l’agression dont le chasseur Cédric Cordiez vient d’être la victime. Nous nous réjouissons que son pronostic vital n’ait pas été engagé. Mais souvenons-nous qu’il y a un peu plus d’un an, le maréchal des logis Imad Ibn Ziaten était assassiné, dans les circonstances que l’on connaît. À travers eux, c’est toute la République qui a été attaquée. (M. le ministre de l'intérieur opine.)
Je ne souhaite pas rouvrir des polémiques quant à la typologie des auteurs de ces actes odieux. Toutefois, au moment où nous débattons sur ce que sont les enjeux en termes de défense et de sécurité de la France, à l’heure où nous participons à la lutte contre le terrorisme à des milliers de kilomètres de notre pays, force est de constater qu’il faut intensifier cette lutte sur le territoire national.
Selon certains analystes, nous entrons dans une nouvelle ère de terrorisme, très complexe à appréhender, qu’il s’agisse de ses acteurs nouveaux, de leurs motivations ou des filières auxquelles ils pourraient appartenir.
L’hiver dernier, une loi pour la sécurité et la lutte contre le terrorisme a été adoptée, et nous l’avons votée. Le ministre de l’intérieur avait alors déclaré vouloir poursuivre plus efficacement les personnes ayant participé à l’entraînement terroriste à l’étranger.
Mais qu’en est-il, au moment où nous savons que 200 djihadistes français – chiffre sans doute approximatif – sont partis se battre en Syrie, et ce alors même que le Président de la République se déclare favorable à la livraison d’armes aux rebelles syriens ? Plus que jamais, une extrême vigilance s’impose, en particulier sur ce dossier très complexe des armes.
C’est notamment pourquoi je souscris sans réserve à la priorité accordée par le Livre blanc au renseignement. Elle s’inscrit dans la droite ligne du concept de « sécurité nationale », qui figurait déjà dans le précédent Livre blanc.
Par ailleurs, je souhaite insister sur un problème qui, s’il n’a pas fait l’objet de nombreux commentaires, me paraît essentiel : il s’agit de l’approche relative aux ressources humaines.
Un nouveau modèle d’armée a été défini, qui prévoit 24 000 suppressions de postes. Si nous avons de bonnes raisons de penser que l’armée de terre sera la principale concernée, nous ne disposons d’aucune précision sur les régiments qui seront touchés. Et à moins d’un an des élections municipales, je doute que nous puissions disposer de détails sur les installations qui pourraient être fermées.
C’est à ce moment que les élus locaux concernés prendront la mesure du concept nouveau présenté par le Président de la République, vendredi dernier à l’Institut des hautes études de défense nationale : « le dépenser juste ».
Cependant, et là encore peu de journalistes se sont fait l’écho de cette dimension, la défense est d’abord et avant tout constituée d’hommes et de femmes dont le professionnalisme et l’engagement doivent être des exemples pour toute la société civile.
Bien que le Livre blanc fasse à de nombreuses reprises référence aux civils, je souhaite vivement que nous nous penchions également sur le devenir humain de nos militaires.
Depuis 1996, en effet, les armées ont connu des bouleversements qui les ont profondément touchés, jusqu’à atteindre leur identité.
À l’époque, nous avions pensé définir un modèle « armée 2015 » qui devait correspondre à une armée numériquement moindre, mais aux capacités techniques accrues. Ce modèle s’est révélé lourd et peu adapté, du point de vue tant des réalités géopolitiques que de la capacité de notre pays à incarner la place qui doit être la sienne sur la scène internationale.
Près de vingt ans après la suppression du service militaire, nos armées doivent résoudre un problème identitaire. La création de contrats courts implique un turn over nouveau, auquel s’ajoute celui qui est issu de la RGPP, qui sous-tend suppressions de postes et externalisation de certains services.
Mais si l’armée peut et doit externaliser certaines fonctions de support, dans un souci de rationalisation et d’optimisation, elle doit avant tout poursuivre l’objectif de recentrer la politique de ressources humaines du ministère de la défense autour du soldat.
Simultanément, la France doit faire face à de nouveaux impératifs stratégiques – menaces nouvelles, engagements sur des théâtres d’opérations d’un nouveau type –, qui impliquent le retour aux fondamentaux composant l’armée, en particulier le soldat en OPEX.
Ainsi, le ministère de la défense doit faire face à la convergence de deux phénomènes : l’arrivée à la retraite des engagés, notamment de ceux qui avaient un contrat de 5 ans à 15 ans ; le non-renouvellement des contractuels de la défense. Il s’agit donc de définir les besoins réels des armées pour les années à venir, en termes de projection des forces en OPEX et d’anticipation des menaces.
La professionnalisation de l’armée posait déjà en 1996 le défi de la reconversion des soldats et de leur réintégration dans la vie civile, et ce dans une société imprégnée d’idées pacifistes, pour laquelle les notions de pertes humaines et de sacrifice pour la nation suscitent fréquemment l’incompréhension, voire le rejet.
Le turn over des personnels impose au ministère un recrutement à un rythme très soutenu. L’enjeu n’est donc plus de susciter les vocations d’une vie, mais de donner l’envie de s’engager pour quelques années seulement, au service d’une institution qui se bat pour la nation, tout en sachant que l’on peut y perdre la vie !
Cela se révèle particulièrement difficile à l’heure où les armées sont au régime sec, même les moyens dédiés à l’entraînement étant réduits.
Aujourd’hui, l’armée doit donner envie d’elle-même alors qu’elle peut apparaître – je le regrette – comme l’école de la seconde chance pour des jeunes qui auraient échoué à l’école de la République ou comme une bouée de secours pour des jeunes connaissant des difficultés. Or nous avons besoin de tous ceux qui composent la nation, des plus ordinaires aux plus forts, aux meilleurs.
Au cours des campagnes de recrutement, le ministère de la défense a mis en valeur les multiples possibilités de formation. Si l’armée offre de nombreux métiers et spécificités, ceux-ci doivent pouvoir trouver leur transcription dans la société civile. Et cela ne peut se faire sans une véritable validation des acquis professionnels.
Le reclassement, la reconversion des soldats constitue un vrai défi, y compris pour des raisons budgétaires, car le ministère de la défense ne pourra supporter cette charge en termes d’indemnités.
Désormais, le passage dans l’armée doit être une plus-value, qui permettra une reconversion valorisante au cœur de la société civile professionnelle. Le Président de la République souhaite renforcer les liens entre les armées et la société civile. Nous le souhaitons tous, mais cela ne pourra se faire qu’au prix d’une politique volontariste de reconversion et d’une véritable mobilisation des services de l’État.
Le dernier point sur lequel je souhaite revenir concerne, je l’ai dit, la place croissante de la maritimisation dans notre stratégie.
Aujourd’hui, 90 % du trafic mondial se fait par voies maritimes. Les océans permettent d’assurer les échanges mais aussi les approvisionnements : 48 000 bateaux de commerce naviguent sur les mers et océans du monde. Les territoires ultramarins, de Mayotte à la Guadeloupe et de la Réunion à la Nouvelle-Calédonie, font de la France une des premières puissances maritimes au monde. C’est un atout formidable. Déjà en 1969, à Brest, le général de Gaulle déclarait : « L’activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l’exploitation de la mer. Et, naturellement, les ambitions des États chercheront à dominer la mer pour en contrôler les ressources. »
Pouvait-on être plus visionnaire ? Aujourd’hui, la croissance des budgets navals de la Chine, de l’Inde, de la Russie et du Brésil est exponentielle, entre 35% et 69 % d’augmentation. Parallèlement, les États-Unis ont officiellement annoncé qu’ils redéployaient leurs priorités stratégiques sur l’Asie-Pacifique.
Face à cette nouvelle donne, je souhaite que la France ne reste pas au port. Certes, toujours sur le plan de la sécurité, nous participons – avec succès – aux opérations de lutte contre la piraterie et contre les narcotrafiquants qui sévissent en Méditerranée, au large du golfe de Guinée ou de la Somalie.
Mais, dans cet esprit, j’aurais souhaité que puissent être traités de façon plus exhaustive deux sujets majeurs liés à la mer : d’une part, la capacité de la Marine nationale à protéger tout notre outil de commerce avec les pays asiatiques, c’est-à-dire la protection par nos forces, évidemment associées à d’autres, de la libre circulation dans les détroits ; d’autre part, la protection de nos départements ultramarins et de nos ZEE – zones économiques exclusives – par des moyens appropriés et efficaces, étant précisé que je ne souhaiterais pas que soient prises des initiatives inadaptées, au premier rang desquelles je place la création de réserves marines non surveillées : même une société de pêche ne le fait plus en France. Sur ces deux points, je tiens à ce que le débat se poursuive.
Mais, surtout, je voudrais que ce Livre blanc renforce la nécessaire prise de conscience des immenses opportunités nouvelles qui résulteront de la mise en place d’une politique plus intégrée, plus globale et plus volontariste des enjeux maritimes de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. le président de la commission des affaires étrangères et M. Jeanny Lorgeoux applaudissent également.)
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.
M. Gilbert Roger. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le Président de la République a tenu l’engagement, pris en 2012, d’élaborer un nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, pour tenir compte des bouleversements géostratégiques mais également économiques qui sont intervenus depuis 2008, et qui placent la France dans la nécessité d’ajuster sa posture de défense et de sécurité.
Je souhaite tout d’abord saluer la qualité des échanges et des consultations qui ont précédé l’élaboration du Livre blanc, en particulier au Sénat, mais également le souci stratégique qu’il incarne. Car cette spécificité française est regardée positivement à l’étranger, rares étant les pays européens dotés d’une analyse stratégique qui débouche concrètement sur une politique de défense nationale.
Le nouveau Libre blanc permet de maintenir la France dans son autonomie stratégique malgré la crise et la contrainte financière que connaît le ministère de la défense. Par conséquent, je suis satisfait que le Président de la République ait pris la décision de conserver un effort de défense au-delà de 1,5 point du PIB, comme l’avaient demandé les groupes politiques du Sénat, de telle sorte que l’influence de la France et sa capacité à défendre sa place, ses intérêts et ses ressortissants soit maintenue. Aujourd’hui encore, le budget de la défense française demeure, par son montant, le deuxième en Europe et le sixième dans le monde.
Le Président de la République a pris l’engagement d’un effort de défense significatif et stable, avec un budget de la défense en 2014 de 31,4 milliards d’euros – cela a été dit –, au même niveau qu’en 2012 et 2013 ; cet engagement est comparativement élevé, puisqu’il maintient l’effort sur plusieurs années : c’est une situation favorable par rapport à d’autres obligations.
Cependant, malgré un effort budgétaire important, le Livre blanc prévoit la poursuite de la révision du format des forces et du ministère dans son ensemble, avec la suppression de 24 000 postes au titre de la prochaine loi de programmation militaire, qui sera notamment débattue au Sénat. Bien que cette contraction des effectifs soit sensiblement moins importante que celle qui avait été décidée en 2009, avec la suppression de 54 000 postes sur la période 2009-2015, je m’inquiète de la traduction que pourraient avoir ces réductions d’effectifs sur le format des bases de défense.
En effet, lors des visites de terrain que j’ai pu effectuer dans le cadre de la préparation du rapport sur la mise en place de la réforme des bases de défense que j’ai coécrit avec mon collègue le sénateur André Dulait, j’ai pu constater que la réforme avait été effectuée avec beaucoup de brutalité, et que les militaires avaient vécu une période difficile.
Au-delà des 30 000 personnes qui ont quitté leur armée pour rejoindre la nouvelle organisation interarmées du soutien, c’est à un bouleversement du quotidien de tous les agents du ministère qu’a abouti la réforme, surtout perceptible pour les unités combattantes, qui ont perdu la plénitude de leurs moyens.
L’irruption d’une organisation matricielle dans un univers hiérarchique a bousculé les modes de fonctionnement ancestraux. Par ailleurs, les restructurations de la carte militaire, en densifiant les implantations, ont touché de plein fouet des dizaines de collectivités territoriales, avec la fermeture de classes, de services de la poste, du Trésor public et j’en passe. Dans les petites villes, le choc a été rude, notamment dans l’est de la France.
Au total, là où l’État aura dépensé 320 millions d’euros d’aides à la revitalisation économique, les collectivités en auront déboursé trois fois plus pour créer des activités de substitution, dont la pérennité n’est malheureusement pas avérée.
Aussi, les répercussions que pourraient avoir de nouvelles restrictions d’effectifs sur le stationnement des forces sont préoccupantes. Si le choix était fait dans la loi de programmation militaire de réduire, une fois encore, la carte des bases de défense, cette décision aurait des conséquences dramatiques dans les territoires concernés, et menacerait la croissance et l’emploi.
En effet, les soixante bases de défense que compte notre territoire, ce ne sont pas seulement des militaires, ce sont aussi des civils, ce sont leurs familles qui sont prestataires de services publics, ce sont leurs enfants qui fréquentent les écoles, ce sont des artisans, des commerçants, des PME qui maintiennent l’activité et l’emploi, au plus près des régions.
La fermeture de bases de défense serait synonyme de départ de population et d’augmentation du chômage, dans des territoires déjà en situation de fragilité économique, où la base militaire est le centre du tissu économique local.
Alors que les conditions de vie courante des armées se sont déjà fortement dégradées du fait de la suppression des 54 000 postes que j’ai évoquée voilà un instant, de nouvelles fermetures de bases de défense seraient vécues très douloureusement sur les territoires, pèseraient sur le moral des troupes et risqueraient de saper les efforts déjà consentis, en interarmées, sur la mutualisation et la rationalisation des efforts du dispositif de soutien, d’autant que les économies de la réforme des bases de défense engagée en 2011 restent à démontrer.
Bien que le format actuel des bases de défense ne permette sans doute pas de tirer tous les bénéfices possibles du concept d’embasement, une nouvelle réduction du nombre de bases de défense ne serait pas avantageuse, dans la mesure où elle se traduirait par la transformation d’actuelles bases en antennes, et ne produirait que très peu d’économies.
Mon collègue André Dulait et moi-même avons préconisé de conforter la réforme actuelle, et même de cesser certaines externalisations réalisées plus par idéologie que par pragmatisme.
Bien que la poursuite de la dynamique de réduction des forces soit nécessaire, la réflexion doit être menée en concertation avec les états-majors et les officiers supérieurs, au plus près du terrain, avec des objectifs compréhensibles par tous.
Aussi, je serai très attentif aux dispositions de la loi de programmation militaire qui sera soumise au vote du Parlement dès l’automne prochain, afin d’éviter la désertification militaire et de préserver le lien armée-nation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Christian Namy, Jean-Marie Bockel, Roland du Luart et Alain Gournac applaudissent également.)