M. le président. La parole est à M. André Gattolin, sur l'article.
M. André Gattolin. Je voudrais affirmer le plein et entier soutien du groupe écologiste du Sénat à l’article 10 du projet de loi, en appui à ce que vient de dire précédemment mon collègue David Assouline.
Oui, le développement d’un service public du numérique éducatif est essentiel, voire capital. Il ne s’agit pas simplement, comme je l’ai entendu, d’assurer un enseignement par correspondance ou de pallier notamment l’absence de système d’information pour les publics en situation de handicap. Nous pensons sincèrement que ce service public de l’éducation via le numérique est aussi une chance exceptionnelle de mettre en place de nouvelles formes de travail collaboratives, co-élaboratives entre les élèves, entre les enseignants et, naturellement, entre les enseignants et les élèves.
Il faut faire confiance au CNED pour se moderniser. Je le dis d’autant plus que j’ai participé pendant plusieurs années, en tant qu’enseignant à l’université Sorbonne Nouvelle, à une expérience d’enseignement à distance dans le cadre des sciences de l’information et de la communication. Une collaboration entre l’enseignement supérieur et l’enseignement dans les écoles peut se révéler très rapidement riche et opérationnelle parce que nous expérimentons ces techniques depuis des années dans les universités en direction des étudiants à la fois sur le territoire français et à l’étranger.
Nous savons faire passer des épreuves, des entretiens, des examens via internet. Nous savons élaborer des bases de données. Les restrictions proviennent davantage – nous y reviendrons ultérieurement – de blocages dans l’accession aux contenus. Un travail doit être engagé auprès des éditeurs, en particulier des éditeurs de manuels pédagogiques, mais aussi en matière de liberté d’accès à certaines sources, ce que nous appelons l’exception pédagogique concernant les droits d’auteurs.
Quoi qu’il en soit, la possibilité existe aujourd’hui. Elle ne requiert pas des moyens humains exceptionnels ; elle demande une intelligence, une inventivité et une capacité à utiliser des ressources qui existent déjà au sein de l’enseignement, notamment au sein de l’enseignement supérieur. Les futures ESPE destinées à remplacer les IUFM peuvent être l’occasion de combiner l’expérience universitaire en la matière et la formation des cadres professoraux et des enseignants dans l’école.
Par conséquent, nous appuyons pleinement la démarche du Gouvernement sur cet article.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Vincent Peillon, ministre. Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, de la qualité de vos interventions et de la précision des problèmes que vous soulevez, sur lesquels, je le conçois bien, il faut apporter des réponses.
D’abord, et chacun l’a compris, nous ne sommes pas dans la continuité de ce qui a été fait ; nous sommes dans un nouvel élan, et c’est bien un service nouveau que nous voulons créer.
Nous avons connu les difficultés qui ont été évoquées par M. Gérard Longuet ; le Président de la République lui-même a eu à les connaître : des collectivités locales mettent des moyens mais, derrière, les déficiences de l’État empêchent la formation au numérique et les usages du numérique. Des rapports de l’inspection générale de l’éducation nationale que j’ai rendus publics ont d'ailleurs été très nets sur ces questions.
Nous avons donc à nous ressaisir, et ce à un moment où, vous avez raison, le numérique permet de transformer les pédagogies, mais aussi, et bien au-delà, la communication avec les parents – c’est ce que proposent souvent les espaces numériques de travail, ou ENT, fournies par les collectivités locales –, l’aide aux élèves en difficulté, etc.
Vous citez des exemples étrangers. Je tiens tout de même à vous dire que, depuis notre belle région de Poitou-Charentes, à la rentrée, 30 000 élèves des zones d’éducation prioritaire auront accès à une assistance éducative par internet. De même, l’ONISEP a mis en place une identification des offres de formation que les « décrocheurs » peuvent recevoir sur leur téléphone mobile ; ces jeunes savent désormais qu’une formation leur est offerte à deux kilomètres ou à quatorze kilomètres de chez eux. Cette mesure n’est pas étrangère à nos succès en matière de décrochage. Le service public du numérique, nous l’avons déjà mis en œuvre à cette occasion.
Pour ce qui est des langues étrangères – et j’ai été heureux d’entendre votre soutien au travail de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, monsieur Longuet –, nous prévoyons dans ce projet de loi leur apprentissage dès le cours préparatoire. À cet égard, nous disposons déjà d’un site qui permet aux tout-petits d’apprendre les langues de façon ludique.
Vous appelez l’attention sur les apprentissages fondamentaux et la place des parents qui veulent accompagner leurs enfants et comprendre ce qui se passe au CP pour la lecture et l’écriture. Nous avons mis au point des moyens d’accompagnement pour les parents qui veulent suivre la progression de leur enfant au CP, ce qui concourra également à lutter contre les difficultés. C’est un projet considérable et pour tout dire assez extraordinaire qui est ainsi mis en œuvre – je vous invite d'ailleurs à venir le consulter.
Vous avez émis ici ou là une inquiétude concernant les opérateurs. La Cour des comptes, dont on parle beaucoup depuis vingt-quatre heures, avait déjà rendu un rapport très sévère sur l’enseignement à distance. Les opérateurs doivent évoluer, mais, dans le même temps, il faut les conforter, et c’est ce que nous comptons faire. Sont concernés l’ONISEP, le CNED, mais aussi le CNDP, le Centre national de documentation pédagogique, qui est une merveilleuse machine à produire de l’intelligence collective.
La France ne doit pas se laisser imposer des modèles uniquement anglo-saxons de logiciels pédagogiques, car ce ne serait pas sans conséquences. Nous devons organiser une filière française de la production du logiciel éducatif, et nous y travaillons également avec des éditeurs privés.
J’ai demandé à Louis Gallois de mobiliser des moyens, et nous en disposons comme jamais auparavant. Il faut recueillir des fonds européens, y compris pour relier au très haut débit de petites collectivités qui n’y ont pas accès aujourd’hui, où les enseignants renoncent à se servir d’internet en raison des coupures incessantes.
Nous devons unir nos forces. Pour revenir sur l’échange de vues entre Mme Gonthier-Maurin et ses collègues de l’autre côté de l’hémicycle, nous avons besoin d’une logique collaborative où les uns et les autres, et donc les collectivités locales, puissent librement, avec un droit d’initiative, apporter leur contribution. L’État garantit la sienne ; il va d'ailleurs accroître considérablement ses apports, dans des proportions jamais vues. Je viens de demander 100 millions d’euros pour mobiliser les fonds européens en faveur du très haut débit scolaire. Nous avons obtenu, d’une part, 10 millions d’euros et, d’autre part, 15 millions d’euros du Commissariat général à l’investissement. Vous pouvez consulter les sites dont je vous ai parlé. Nous nous sommes déjà mis en mouvement et nous irons beaucoup plus loin.
Je prendrai deux exemples pour faire comprendre où se situent les difficultés.
Nous avons besoin, pour le parcours d’éducation artistique et culturelle, de mobiliser des ressources numériques culturelles pour les élèves. Certaines appartiennent à l’État, et nous menons, par exemple, des négociations compliquées avec les musées nationaux pour qu’ils acceptent de mettre leurs ressources au service de la pédagogie. D’autres appartiennent en revanche aux collectivités locales et ne sauraient être à la charge de l’État. Certaines collectivités veulent également produire.
Les espaces numériques de travail sont des outils de liaison tout à fait importants avec les parents, avec la communauté éducative. Les villes, les régions construisent d’ailleurs souvent leurs propres modèles. Elles doivent pouvoir le faire !
Voilà pourquoi je récuse la logique d’un service public qui incomberait uniquement à l’État. J’entends dans les débats que les collectivités locales ne participeraient pas au service public : mais elles l’assument ! Elles sont démocratiques et participent par conséquent au service public. C’est cette logique collaborative qui permettra, là comme ailleurs – nous avons évoqué le projet éducatif de territoire –, la réussite de notre objectif pédagogique.
Vous mesurez l’importance du travail entrepris, et je vous en remercie. Vous avez raison de vouloir identifier clairement les responsabilités des uns et des autres. Vous demandez à l’État de s’engager pleinement ? C’est ce que nous faisons.
Pour répondre à une sollicitation adressée hier par M. Assouline, nous sommes en train de réorganiser en profondeur l’administration centrale de l’éducation nationale – et croyez-moi, la chose n’est pas facile…
M. Jean-Claude Lenoir. Bon courage !
M. Vincent Peillon, ministre. Il ne s’agit pas de courage. Cette réorganisation sera opérée, car c’est l’intérêt de tous. Nous devons recevoir le soutien de tous pour que le numérique soit précisément identifié.
Si vous interrogez mes prédécesseurs, qui n’ont pas toujours eu de mauvaises intentions sur ces sujets, ils vous diront qu’à un moment l’intendance ne suit pas. Nous avons, d’un côté, ceux qui s’occupent du tuyau, de l’autre côté, ceux qui traitent des contenus, sans compter les opérateurs, et je n’oublie pas de signaler que nous n’avons pas articulé l’académique et le national. Cette intégration est en cours de réalisation et sera sans doute annoncée plus précisément dans les semaines qui viennent. Elle est indispensable pour montrer l’engagement de l’État et la profonde mutation opérée.
J’ai constaté que la commission était revenue sur l’un des amendements du Gouvernement. Vouloir que l’ensemble du service public du numérique éducatif, y compris l’innovation et les ressources, soit à la charge de l’État, c’est s’engager dans une course en se créant des obstacles considérables ! Ce serait d’ailleurs revenir sur ce qui existe déjà, créant une situation invraisemblable.
Je prends l’engagement que l’État assumera totalement ses responsabilités dans les ressources numériques, dans sa restructuration et dans la formation de ses professeurs.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 63, présenté par Mmes Morin-Desailly, Férat et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« L'État confie, à sa charge, à l'éducation nationale, une mission de service public du numérique éducatif et de l'enseignement à distance, dont les objectifs sont de :
La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. L’article 10 du projet de loi nous mobilise tous, tant l’enjeu du numérique est important. Pour ma part, cependant, je ne comprends pas cette nouvelle notion de « service public du numérique ». Nous pensons qu’il s’agit plutôt d’une nouvelle et importante mission confiée à l’éducation nationale, et non pas d’un nouveau service public, puisque l’éducation nationale est le service public premier en tant que telle. Dès lors, pourquoi créer un nouveau service public au sein d’un service public existant ?
Par ailleurs, un service public du numérique ne saurait être circonscrit à l’éducation nationale, puisque tous les secteurs de notre société subissent aujourd'hui la conséquence de cette mutation numérique. Je citerai les secteurs de la santé, de l’énergie, des transports…Aussi les besoins de nos concitoyens en matière d’apprentissage aux nouveaux usages du numérique sont-ils larges. Tous les acteurs de la société sont concernés. Par conséquent, il nous semble que l’expression « mission de service public » est plus appropriée. Mais peut-être M. le ministre nous répondra-t-il sur les éléments qui nous auraient échappé ?
M. le président. L'amendement n° 386, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Dans le cadre du service public de l’enseignement et afin de contribuer à ses missions, un service public du numérique éducatif et de l’enseignement à distance est organisé pour notamment :
La parole est à M. le ministre.
M. Vincent Peillon, ministre. Cet amendement est au cœur des discussions que nous venons d’avoir. Il vise à supprimer la mention ajoutée par la commission, à savoir « à la charge de l’État », pour les raisons que j’ai développées. L’État va assumer ses charges, mais le service public n’incombe pas exclusivement à l’État.
M. Gérard Longuet. C’est exact !
M. Vincent Peillon, ministre. C’est un débat qui traverse notre pays depuis deux siècles, mais il va tout de même falloir s’y mettre ! S'agissant de l’école, c’est un élément très important, qui est au cœur de notre loi de refondation.
Vous avez d’ailleurs noté, nous ne l’avons pas encore abordé, que nous avons changé la représentation des collectivités locales dans les conseils d'administration. Quand les collectivités locales paient 25 % de la dépense d’éducation en France, il faut en tirer les conséquences. Vous m’avez assigné l’objectif de progresser dans les évaluations PISA. Justement, les pays qui réussissent le mieux sont ceux où tous les acteurs du monde scolaire et éducatif collaborent.
Nous assumons donc pleinement, je le répète, les responsabilités qui incombent à l’État. Nous souhaitons même les développer en y consacrant des moyens nouveaux. Toutefois, je souhaite que l’on supprime la notion de « à charge de l’État », car elle est extrêmement limitative.
Disant cela, je vous apporte une réponse, madame Morin-Desailly. Votre intervention montre d’ailleurs qu’une incompréhension subsiste quant à ce que nous voulons faire.
Ce que nous voulons, c’est que le service public soit le résultat de la collaboration de tous ceux qui doivent y contribuer, chacun dans son rôle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Cartron, rapporteur. S’agissant de l’amendement n° 63 de Mme Morin-Desailly, la commission considère qu’il est préférable, dans un souci de lisibilité et d’efficacité du dispositif, que le numérique scolaire soit intégré dans un véritable service public au sein de l’éducation nationale, plutôt qu’il ne fasse simplement l’objet d’une mission supplémentaire.
Au vu de cette ambition, que nous avons en commun avec le Gouvernement, nous émettons un avis défavorable.
En ce qui concerne l’amendement n° 386 du Gouvernement, la commission était animée, lorsqu’elle l’a examiné, par la même exigence de réussite de ce nouveau service public du numérique que celle qui est défendue par le ministre et que nous partageons tous. Cependant, au regard des expériences passées, elle souhaitait aussi que l’État ait un rôle d’impulsion et d’accompagnement, afin que nous ne rations pas ce rendez-vous.
L’amendement visant à supprimer les mots « L’État organise, à sa charge, », la commission a émis un avis défavorable.
À titre personnel, et compte tenu des explications que vient de nous donner M. le ministre, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 63 ?
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je suis surpris par cet amendement du Gouvernement, qui tend à supprimer la référence à la charge qui incombe à l’État.
Ce que vous proposez pour l’éducation nationale est tout à fait intéressant, monsieur le ministre, mais cette politique se fait en partie, me semble-t-il, sur le compte des collectivités locales. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Vous avez pris des engagements importants, en affirmant que l’État assumerait ses responsabilités financières pour améliorer la mise en place du numérique et l’éducation au numérique dans les établissements scolaires. Pouvez-vous également vous engager à donner aux collectivités locales les moyens d’accompagner l’État dans la mise en place de cette politique ?
On ne peut pas tenir deux discours ! D’un côté, on compte sur les collectivités locales pour mettre en œuvre un projet et, de l’autre, on diminue leurs dotations. Je rappelle que la DGF va diminuer de 4,5 milliards d’euros en deux ans ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Et avant ?
Mme Michelle Meunier. En effet, et avant ?
M. René-Paul Savary. Les collectivités territoriales s’impliquent d’ores et déjà de façon importante dans le système éducatif !
M. Bruno Sido. C’est très vrai !
M. René-Paul Savary. En ce qui concerne les collèges, les départements n’ont pas à rougir de leur action ! Ainsi, la Marne, qui bénéficie de 3 millions d’euros de dotation globale de fonctionnement, dépense en travaux pour ses collèges entre 16 et 22 millions d’euros par an.
Tout cela pose une véritable difficulté, notamment pour les départements. Comme vous le savez, du fait de l’absence de compensation des allocations de solidarité, ceux-ci n’ont plus de marges de manœuvre. Ils ne pourront donc pas vous accompagner comme ils le souhaiteraient dans cette démarche tout à fait intéressante de développement de l’éducation numérique.
M. Jacques-Bernard Magner. Vous mélangez tout !
M. René-Paul Savary. La réforme des rythmes scolaires se traduit par un coût supplémentaire de plus de 3 % pour le transport scolaire. Dans le département de la Marne, aux 20 millions d’euros consacrés à ce budget, il faudra ajouter 800 000 euros !
Sont aussi désormais à la charge des départements les mineurs étrangers isolés, ce qui représente un coût de 700 000 à 800 000 euros supplémentaires tous les trois à quatre mois. Et je ne parle pas de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales et des cotisations qui augmentent ! Monsieur le ministre, les collectivités locales n’en peuvent plus !
M. Claude Bérit-Débat. Et l’ardoise que vous avez laissée ?
M. René-Paul Savary. Vous risquez donc d’être déçu, vous qui attendez tant d’implication de la part des collectivités territoriales, qu’il s’agisse des communes, pour les écoles, ou des départements et des régions pour les collèges et les lycées !
Mme Françoise Férat. Très bien !
M. Bruno Sido. Oui, très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote.
M. Jacques-Bernard Magner. Contrairement à ce qui vient d’être dit, tout n’est pas remis en cause à l’occasion de ce débat sur le numérique.
La commission a longuement débattu, ses membres ont pu s’exprimer et le ministre a pris des engagements concernant la participation financière de l’État.
Mme le rapporteur l’a rappelé, la commission avait émis au départ un avis défavorable. Comme elle s’en est remise, avec raison, à la sagesse du Sénat, le groupe socialiste soutiendra l’amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il ne faudrait pas que l’UMP et la droite en général s’exonèrent de leurs responsabilités s’agissant de la politique qu’elles ont menée pendant des années. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Excellent !
Mme Dominique Gillot. Très bien !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cela ne veut pas dire pur autant, chers collègues socialistes, qu’il faut poursuivre dans cette voie !
Ce nouvel étranglement, envisagé ici, des collectivités territoriales, auxquelles on ne cesse de demander plus, pose un véritable problème.
M. Bruno Sido. Absolument !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je ferme le ban !
Tout d’abord, il est vrai que le numérique ouvre la voie d’une véritable révolution. Il est donc légitime de réfléchir à un service public du numérique éducatif.
Cela étant dit, si l’on veut que cette révolution soit positive, c’est-à-dire porteuse d’émancipation humaine, il ne faut pas, selon moi, qu’elle soit désincarnée. Pour que tel ne soit pas le cas, nous devons veiller à respecter deux exigences, aux deux bouts de la chaîne.
D’un côté, il faut des organismes opérateurs, dont il convient de définir le périmètre, l’articulation et les missions, et pour lesquels seront recrutés des personnels qualifiés, donc bien formés, ce qui nous renvoie au débat général que nous avons entamé et que nous poursuivrons sur la restauration urgente de la formation initiale et continue des enseignants. Il faut aussi doter ces opérateurs des moyens nécessaires à leur fonctionnement, surtout si l’on souhaite les faire évoluer.
De l’autre côté, c’est-à-dire à l’autre bout de la chaîne, il faut veiller à ce que les élèves qui sont appelés à utiliser ces ressources ne soient pas complètement délaissés, sans structures, sans lieux et sans enseignants, qui sont les mieux à même de donner de l’incarnation, au sens de la chair et de la présence physique, à ces enseignements numériques.
La collaboration, cela ne veut pas dire le transfert !
Mme Françoise Cartron, rapporteur. C’est vrai !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il est absolument indispensable que chacun veuille collaborer. En effet, le champ de la circulation de l’information est complètement bouleversé et ouvre, on l’a dit, des potentiels non explorés jusqu’alors.
Nous sommes plus rassurés par la rédaction retenue par la commission. Après tout, on ne parle pas simplement d’un « service au public », mais d’un « service public » qui engage la responsabilité de l’État ! Il convient donc de définir les périmètres et les missions relevant de cette responsabilité d’État, notamment celle qui consiste à veiller à l’égalité d’accès sur l’ensemble du territoire.
Nous voterons donc pour la rédaction de la commission, qui nous rassure davantage, même si nous avons bien entendu les propos du ministre.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Je soutiens les propos de René-Paul Savary, auxquels j’ajouterai que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Je crains que cet article ne soit un coup d’épée dans l’eau.
Sur le fond, monsieur le ministre, on ne peut y être défavorable. D’ailleurs, comme l’a dit mon collègue René-Paul Savary, nous assumons déjà ces missions : le numérique existe dans les collèges grâce à la clause de compétence générale, et les départements ont fait beaucoup dans ce domaine.
Cela étant, je le signale au passage, pour que le numérique fonctionne dans les collèges, encore faut-il que le haut débit y arrive. Et qui paie, pour cela ? Encore une fois, les départements, car la plupart du temps – mais il y a des exceptions ! –, les autres collectivités, que je ne nommerai pas ici, se dessaisissent de cette question.
Je le répète, grâce à la clause de compétence générale, nous avons déjà accompli beaucoup.
Souvent, la gauche plaide pour la cohérence, et elle a raison de le faire. Là aussi, soyons cohérents ! L’État diminue nos dotations, toutes collectivités confondues – ce n’est pas une critique ; on peut le comprendre ! –, de deux fois 1,5 milliard d’euros, auxquels s’ajoute 1,5 milliard déjà prélevé, soit 4,5 milliards ! Comment les collectivités, en particulier les départements pour les collèges, feront-elles en pratique pour mettre en place le service public du numérique ?
Je suis d’accord sur le fond de votre proposition. Il s’agit, certes, d’investir législativement pour l’avenir. Or de nombreux départements ne pourront pas participer, tout simplement parce qu’ils manquent de moyens. L’intention est donc bonne, mais le dispositif restera malgré tout inapplicable.
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.
M. Jacques Legendre. Dans l’amendement du Gouvernement figure un adverbe que je n’aime pas rencontrer dans un texte de loi, car il n’y a pas sa place : « notamment ». On n’écrit pas cela dans la loi ! On dit simplement ce que l’on fait, sans ouvrir à l’infini le dispositif.
Je lis par ailleurs dans l’objet de cet amendement qu’il s’agit de mobiliser « l’ensemble des acteurs du numérique éducatif, sans préjuger des multiples modalités de financement et de mise en œuvre de leurs missions ».
À la lecture des mots « multiples modalités de financement », je me dis que l’on s’apprête à présenter une addition salée ! Cela me fait penser à la célèbre formule de Mme Aubry : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » !
Je ne souhaite pas que nous laissions passer dans la loi, mes chers collègues, un flou dont nous aurions peut-être ensuite à nous plaindre.
M. le président. La parole est à M. Marc Daunis, pour explication de vote.
M. Marc Daunis. Chers collègues de l’UMP, si le repentir peut être nécessaire, souhaitable et vertueux, il n’efface pas pour autant les conséquences des fautes passées.
Cela vous honorerait, à titre individuel, de reconnaître que vous avez beaucoup fauté par le passé, raison pour laquelle vous exercez une telle pression sur le Gouvernement depuis un an déjà.
Efforçons-nous, à l’occasion d’un débat d’une telle qualité, de ne pas répéter ces antiennes, et de nous poser des questions très concrètes et pragmatiques.
Comment répondre à l’enjeu du numérique éducatif ? Un service public du numérique placé sous la seule autorité de l’État correspondrait-il à la réalité que nous connaissons ? Regardons ce que nous faisons actuellement !
Notre collègue Bruno Sido l’a dit, dès qu’il y aura transfert des données, il y aura forcément partenariats et collaborations.
Dès qu’il y aura des productions, nous savons qu’il y aura un apport, au vu des rythmes scolaires, des associations et du secteur associatif. Il faudra en effet travailler sur les contenus et les adapter en fonction des objectifs pédagogiques des enseignants, et cela donnera forcément lieu à l’établissement d’un partenariat à moment donné.
Cela étant, je ne souhaiterais pas que, dans le cadre de ce partenariat, le bâton soit tordu dans le mauvais sens. Il ne faut pas que l’État exerce une tutelle sur les collectivités, en leur donnant seulement le droit de payer, mais à aucun moment celui de dialoguer.
Dans la proposition qui nous est soumise, l’État a pour mission de garantir les fondamentaux et les missions de l’éducation nationale au travers de ce service public numérique, mais aussi de donner la possibilité aux collectivités, qui contribuent à l’équipement des salles de classes, de collaborer. Il s’agit d’en finir avec une situation dans laquelle les collectivités ont le droit de payer, mais rarement d’intervenir dans le cadre d’une organisation.
M. Bruno Sido. C’est exact !
M. Gérard Longuet. Certes ! Et votre conclusion ?
M. Marc Daunis. Nous avons besoin d’organiser une corrélation entre les temps pédagogique, extrascolaire et périscolaire. Voulez-vous vraiment que le service public du numérique éducatif ne s’inscrive que dans le seul temps scolaire ? Ce serait absurde !
Les collectivités interviennent pendant les temps périscolaire et extrascolaire. L’ouverture que permet ce dispositif est à la fois exigeante sur les fondamentaux, puisque l'État devra jouer son rôle, et d'un pragmatisme de très bon aloi qui permettra aux uns et aux autres d'intervenir dans leurs domaines respectifs de compétence.
Enfin, il appartiendra à l'État de veiller à éviter les distorsions trop fortes entre les collectivités. C’est là sa mission. Je ne doute pas que les départements, les établissements publics de coopération intercommunale, les régions sauront, en partenariat avec l'État, mettre en place un système global tiré par le haut. Il ne faudrait pas que seules quelques collectivités, parce qu'elles en ont la volonté politique ou plus simplement les moyens, offrent à leurs concitoyens un service public performant.