M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux, tout d’abord, saluer votre engagement dans cette discussion que j’ai appelée de mes vœux. Je vous remercie, ensuite, de la qualité des observations des uns et des autres. Pour y répondre, il me faudra apporter des précisions, rectifier des erreurs, des incompréhensions. Il me faudra aussi lever un certain nombre d’ « inquiétudes » – le terme a été employé – tout en acceptant des divergences, voire des controverses.
Je commencerai par saluer les nombreux amendements adoptés en commission. Sachez-le, je ne me dédis pas de l’état d’esprit qui est le mien depuis le début. Je ne cesse de le dire publiquement, j’en appelle, pour l’école, au rassemblement. Il me semblait – et cela devrait valoir encore – que la priorité accordée aux moyens du primaire, la mise en place d’une formation des enseignants, le développement d’un service public du numérique, les projets éducatifs de territoire pouvaient valoir, au-delà d’un certain nombre de réflexes conditionnés, que l’on se rassemble.
Chacun l’a compris, j’ai appelé au rassemblement. Monsieur Legendre, vous avez parlé de « bonne foi ». Je l’ai fait, en effet, de bonne foi, avec l’idée que la bonne volonté, comme on disait autrefois, est la qualité déterminante. Nous avons aussi besoin d’être précis, d’être exacts. La vertu des comportements commande de toujours agir de telle sorte que la maxime de son action puisse être érigée en loi universelle. Voilà un principe qui n’est pas inintéressant et que l’on l’apprenait autrefois dans ces écoles normales célébrées par certains ici ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Vous m’avez reproché, en dépit de mon attitude, d’être « sectaire » – ce mot, je l’ai entendu. Et vous avez avancé comme argument que vos amendements n’auraient pas été acceptés. Or, à l’inverse, trente-cinq amendements – dix-huit de l’UMP et dix-sept de l’UDI-UC – ont été acceptés au cours des débats en commission. Je reviendrai, d’ailleurs, au fil de la discussion sur certains de ceux que vous avez proposés.
Les leçons, les directeurs d’école, la revalorisation des métiers, l’accompagnement des moins de trois ans ? Lorsque la droite, alors aux responsabilités, présentait la loi dite « Fillon », au total quatorze amendements avaient été adoptés. À cette heure, alors que nos débats débutent, nous en sommes à trente-cinq !
Nous pouvons avoir des divergences, elles sont légitimes. Je considère que certaines observations méritent pleinement des réponses argumentées. Celles ne peuvent pas changer les convictions ou les points de vue, car la pédagogie n’est pas une science exacte. Néanmoins, si nous avons véritablement la volonté d’avancer, si nous considérons, ce dont la preuve n’avait pas été faite ces dix dernières années, que l’école est une priorité et que le système éducatif doit réussir, alors, on doit employer des arguments légitimes !
Vous l’aurez noté, c’est l’avenir qui m’intéresse. Le point de départ, c’est l’attitude que l’on a en entrant dans une classe. « Il faut donner d’abord », disait Alain, pour qui la liberté est un pouvoir de commencement.
Je me suis gardé d’évoquer les suppressions de postes. J’ai évité de dire que la semaine de quatre jours sans aucune concertation, la suppression de la formation des enseignants, c’était vous, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition. Cela vous prive, néanmoins, de tout droit de nous donner des leçons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je faisais silence sur ces points parce que je considérais que vous étiez malheureux d’avoir été contraints, par les exercices de solidarité que nous connaissons, d’accompagner un mouvement qui n’était pas bon pour le pays. Toutefois, j’attendais au moins qu’un certain nombre d’entre vous soient au rendez-vous, au moment d’ailleurs où nous reprenons beaucoup de vos préconisations, sur l’accueil des petits enfants, sur la diversité des pédagogies, sur la remise en place d’une formation qui associe bien discipline, didactique et pédagogie au sens de la pratique. Ce moment, il était attendu depuis assez longtemps pour que vous puissiez nous rejoindre et faire fi des clivages politiques !
Or je constate, à ce stade, que vous n’êtes pas au rendez-vous, et je le déplore, y compris pour l’exemple que nous avons à donner, car l’école n’appartient pas à un camp contre un autre : elle appartient à tous les républicains. Je l’ai rappelé au début de la discussion, et vous avez repris cette idée.
Un certain nombre d’interrogations m’ont tout de même semblé légitimes. Quand on me parle des directeurs d’école, pour lesquels rien n’a été fait pendant dix ans, sinon supprimer toutes les aides administratives que je vais rétablir en un an, je pense que, là, le débat s’arrête ! Lorsque l’on nous dit qu’il faudrait accueillir les enfants de moins de trois ans, alors que la proportion d’accueil de cette tranche d’âge est passée de plus de 30 % à 11 % en l’espace de dix ans, le débat s’arrête ! En revanche, lorsque l’on soulève des interrogations légitimes, j’y réponds volontiers.
Monsieur Savin, les questions que vous avez soulevées me paraissent légitimes. La prise en charge et l’accompagnement des enfants de moins de trois ans doivent se faire de façon spécifique. Aucun d’entre nous ne pense – et je reviendrai, plus globalement, sur la maternelle, à propos de laquelle M. Carle, en particulier, a soulevé des questions – que l’accueil des enfants de moins de trois ans se fait comme celui des enfants de cinq ans, voire de sept ou neuf ans. C’est pourquoi nous avons indiqué qu’une formation spécifique pour l’école maternelle serait mise en place ; je remercie d'ailleurs le groupe CRC d’avoir insisté sur ce point.
Quand j’avais le bonheur d’enseigner en école normale, il y avait des modules de 70 heures pour préparer à l’enseignement en maternelle. Je vous rappelle que ces modules ont été totalement supprimés. Il y a une cohérence dans cette suppression, puisqu’elle est intervenue au moment où on « primarisait » l’école maternelle.
Monsieur Carle, nous considérons que, même du point de vue des apprentissages cognitifs, gnoséologiques et donc intellectuels, que vous appelez à juste titre de vos vœux, la préparation psychomotrice et affective est socialisante et tout à fait déterminante, comme nous l’enseignent tous les psychologues de l’enfance. En revanche, forcer des enfants à faire à cinq ans, avant la maturation nécessaire et alors que des problèmes de motricité peuvent les empêcher d’apprendre à écrire, ce qui ne peut être fait qu’à six ou sept ans, en ayant laissé mûrir l’enfance dans l’enfant, c’est provoquer nombre de difficultés scolaires, d’échecs et d’exclusions ; c’est d'ailleurs ce qui se passe aujourd'hui.
Il y a peut-être une différence entre nous, une différence noble, qui porte sur la pédagogie. Nous assumons pleinement, en accord avec les maîtres, notre choix de redonner à l’école maternelle toute son identité et sa formation, afin de préparer les apprentissages et de faire en sorte qu’ils soient couronnés de succès.
Vous avez abordé un point important : l’objectif d’avoir plus de maîtres que de classes en primaire. J’ai été très étonné que vous pensiez que ce principe pédagogique, qui permet, comme vous l’avez souhaité dans votre ouvrage, monsieur Carle, d’affecter plus de moyens au cours préparatoire et aux premiers apprentissages – le directeur général de l’enseignement scolaire et moi-même l’avons indiqué dans les circulaires d’accompagnement –, vise à traiter la difficulté scolaire.
Je continue de penser que les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, doivent être confortés, car ils ont toute leur place. Nous les ferons évoluer sur la base des rapports d’inspection. Toutefois, la pédagogie du maître surnuméraire, pratiquée dans un certain nombre de pays, que l’on cite souvent en exemple, vise non pas simplement à prendre en charge la difficulté scolaire, mais également à diversifier les pratiques pédagogiques dans la classe, afin de donner à tous les moyens de réussir.
Il existe également une incompréhension sur la question des rythmes scolaires. Vous m’avez adressé à de multiples reprises un reproche que je trouve curieux : vous m’avez reproché d’avoir commencé par mobiliser des moyens financiers pour la réforme des rythmes scolaires. Il est vrai que les intervenants ultérieurs m’ont quant à eux reproché de ne pas avoir mobilisé assez de moyens... Le principe de non-contradiction n’était donc déjà pas respecté !
Nous débattons d’une loi de programmation et d’orientation qui, pour ne prendre que cet exemple, prévoit que la Nation consacrera 800 millions d'euros à la remise en place de l’année de stage : 800 millions d'euros pour que les professeurs puissent entrer progressivement dans le métier, comme nous l’avons fait.
L’État n’a pas affecté 60 000 postes au traitement de la question des rythmes scolaires. Le fonds est doté de 250 millions d'euros, et vous savez très bien qu’il fait appel à la caisse nationale des allocations familiales, la CNAF. Votre reproche est donc injuste. En la matière, la priorité n’est pas financière. Comme l’ont rappelé plusieurs orateurs, les moyens sont mis au service d’un projet pédagogique qui passe par le rétablissement de la formation.
Je crois que, sur ce sujet, il n’y a pas de divergences entre nous. Peut-être avez-vous la volonté de ne pas voir ce que nous faisons. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, dont certains ont salué le principe, ont précisément vocation à faire en sorte que la professionnalisation soit assurée par la présence de praticiens – professeurs, conseillers pédagogiques, maîtres formateurs, conseillers principaux d’éducation, inspecteurs – dans les établissements.
Nous récusons la division, que le système n’a d'ailleurs jusqu’à présent jamais réussi à établir, entre la théorie et la pratique. Les praticiens iront enseigner dans les écoles. Ils accueilleront, mais ils iront enseigner dans les écoles. Bien entendu – je le souligne en réaction à un amendement que je ne peux pas accepter –, les enseignements disciplinaires ne seront pas entièrement assurés par les écoles : les unités de formation et de recherche, les UFR, en assureront également.
Je rejette les accusations de pédagogisme, les reproches éternels formulés à l’encontre des instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM d’autrefois. Nous devons dépasser les problèmes, tous ensemble, car le problème français réside dans le cloisonnement. C’est pour cette raison que je veux réunir tout le monde – les universitaires, les praticiens, les éducateurs, les maîtres du primaire et les maîtres du secondaire – dans les ESPE, afin que chacun apprenne qu’il a quelque chose à apprendre des autres. En outre, comme vous nous avez permis de le préciser, il y aura un investissement important sur le terrain.
Des inquiétudes ont été exprimées. Madame Bouchoux, la pédagogie que vous appelez de vos vœux est fortement présente dans l’ensemble du projet de loi. Je l’ai toujours affirmé, la refondation de l’école de la République se doit d’être une refondation pédagogique.
Le problème que nous rencontrons – cela nous ramène à mon évocation de Michelet –, c’est que la pédagogie française républicaine est une pédagogie de la coopération, et même du mutuellisme, comme on disait autrefois, une pédagogie de l’action, de l’initiative, de la confiance. C’est bien parce qu’il existe une distorsion entre les qualités que l’on attend du citoyen, et éventuellement du travailleur, et celles que l’on enseigne à l’école, que nous sommes confrontés à une difficulté structurelle et très ancienne.
Plusieurs de mes prédécesseurs ont tenté de rectifier la situation ; Jean-Michel Baylet a cité Jean Zay, par exemple. Cependant, à chaque fois, l’inertie, la lourdeur et une certaine forme d’incompréhension des fondements mêmes de notre engagement républicain ont conduit à dévaloriser les méthodes que je viens d’évoquer. Elles sont toutefois présentes, à de nombreux points de vue.
La discussion à l’Assemblée nationale et en commission au Sénat a déjà permis d’enrichir le projet de loi : d'abord, en substituant une logique de coopération à une logique de compétition ; ensuite, en précisant, comme vous le souhaitiez, que la réforme s’inscrit dans un projet d’école tout au long de la vie ; enfin, en rappelant – vous y avez beaucoup insisté – que le numérique doit être facteur de travail en équipe, interdisciplinaire et en initiative. Il faut changer les pédagogies et les pratiques pédagogiques elles-mêmes. Tout cela est déjà dans le texte, qui a été enrichi par vos travaux.
J’en viens aux projets éducatifs de territoire. Certains se sont demandés si ce projet de loi comportait une grande réforme ; il n’en comporte pas une, mais plusieurs. Il n’y a qu’à voir les résistances qu’il suscite. Les projets éducatifs de territoire sont évidemment une nouveauté. Leur mise en œuvre sera évidemment difficile : il est difficile de s’ouvrir aux autres, de travailler avec les autres, de concevoir un projet éducatif.
Les collectivités locales financent 25 % de l’investissement éducatif en France. Il faut demander à l’État d’accepter de leur parler, car les collectivités ne sont pas seulement des carnets de chèques. Il faut également dire aux professeurs que les éducateurs sont des gens respectables, auxquels on confie d'ailleurs les enfants. C’est ce que nous avons fait, pour nous mettre au niveau des pays qui réussissent. Il est donc normal que nous rencontrions les difficultés que vous avez pu observer ces derniers temps.
Un comité de suivi, qui réunit l’ensemble des associations d’élus, des syndicats d’enseignants et bien entendu des représentants des parents, examine les projets éducatifs qui ont été mis en place cette année. Si c’est nécessaire – et ce sera sans doute nécessaire, comme pour les ESPE –, nous améliorerons le dispositif au fur et à mesure. Le comité de suivi est actuellement au travail.
Vous avez réclamé plus de liberté locale, plus de souplesse dans l’ensemble du dispositif. Je viens de faire une expérience en tant que ministre de l’éducation nationale – vous avez raison d'ailleurs de dire que je suis ministre du scolaire et non du périscolaire. J’ai décidé qu’il y aurait de nouveau école le mercredi ou le samedi matin. Au cours préparatoire, au CP, quinze heures sont consacrées aux apprentissages fondamentaux. Or je sais qu’il vaut mieux trois heures cinq matins par semaine que trois heures quatre matins par semaine, avec un complément vers seize heures. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Ma responsabilité est de faire en sorte que les enfants sachent lire, écrire et compter. C'est pourquoi je mettrai en œuvre la réforme des rythmes scolaires quelles que soient les résistances et les mauvaises fois. J’assume la responsabilité de l’État ; aux collectivités locales d’assumer leurs responsabilités, qui sont différentes. Il faut associer tout le monde à la réforme.
J’ai entendu un certain nombre d’affirmations que je souhaite rectifier. La mise en place de la réforme des rythmes scolaires, ce n’est pas une question de richesse ou de pauvreté des collectivités locales. Certaines collectivités parmi les plus pauvres de France – Roubaix ou Denain, par exemple – passeront dès cette année à la semaine de cinq jours.
M. Michel Savin. Et Lille ?
M. Vincent Peillon, ministre. Nous avons décidé – peut-être ne l’aviez-vous pas noté, mais c’est désormais inscrit dans le projet de loi grâce au Sénat – de donner plus d’argent aux communes les plus pauvres.
Madame Férat, vous vous êtes inquiétée du financement, en faisant remarquer que toutes les collectivités ne recevraient pas la même somme. Justement ! Nous avons veillé à ce que les collectivités, urbaines ou rurales, qui ont le moins de moyens reçoivent davantage que les autres : 130 euros au lieu de 50 euros.
Comme cela a été souligné dans cet hémicycle, il n’y a pas non plus de partage entre les communes urbaines et les communes rurales.
Nous connaissons de grandes villes, des villes riches, dont certaines sont dirigées par la gauche, qui ne passeront pas à la semaine de cinq jours cette année ; vous le savez bien, puisque vous avez parfois utilisé leur choix de manière polémique.
Nous connaissons également des départements extrêmement ruraux, à commencer par celui du président de votre noble assemblée ou celui de Jean-Michel Baylet, dans lesquels de nombreuses communes passeront dès 2013 à la semaine de cinq jours. La commune du président de l’Association des maires ruraux de France, M. Vanik Berberian, qui, je crois, compte 150 habitants, y passera elle aussi dès cette année.
M. Michel Savin. Et Lille ?
M. Vincent Peillon, ministre. Par conséquent, il doit y avoir autre chose que le critère de la pauvreté ou de la richesse, de la petitesse ou de la grandeur des communes, même si je ne doute pas que ces éléments soient respectables.
Monsieur Savin, vous avez évoqué la priorité donnée aux enfants de moins de trois ans. C’est un grand acquis du projet de loi ; tout le monde l’a souligné. J’ai bien compris votre argumentation, mais nous n’allons pas exclure les autres, car il n’y a aucune raison de le faire. Cependant, nous assumons notre priorité. Je mettrai d'ailleurs tous les éléments à votre disposition, car je suis favorable à la transparence de toutes les évaluations, y compris sur les internats d’excellence ; j’y reviendrai d'ailleurs dans un instant, puisque l’évaluation a eu lieu : on connaît le coût et les résultats du dispositif.
M. Serge Dassault. Combien cela coûte-t-il ?
M. Vincent Peillon, ministre. Je vous l’indiquerai dans un instant.
C’est au vu des résultats de cette évaluation que mon prédécesseur avait déjà fait évoluer très largement les internats d’excellence. Je vous en prie, ne nous livrons pas à des débats théologiques sur une affaire aussi sérieuse !
Mme Françoise Férat. Précisément !
M. Vincent Peillon, ministre. Je ne partage donc pas vos arguments, monsieur Savin, même si le fond de votre interrogation est juste. Il faudra veiller – cela relève aussi de votre responsabilité de parlementaire – à ce que nous tenions nos engagements.
Les postes doivent être accompagnés. On ne peut pas recourir à n’importe quelle pédagogie. Il faut être extrêmement vigilant sur l’accueil des enfants de moins de trois ans. Il y aura 3 000 postes, vous l’avez fort bien dit. Si on fait le calcul sur cinq ans, on se rend compte le nombre de 60 000 postes ne nous permet pas d’aller aussi loin que nous le souhaiterions. En tout cas, des postes seront réservés aux zones en difficulté.
J’en viens à la prise en charge pédagogique des enfants qui sont dans les centres d’accueil d’urgence. Je suis convaincu de la générosité de votre intention, mais je ne pense pas qu’il soit utile de séparer ces enfants des autres. Je ne crois pas aux séparations. Je crois que nous devons en permanence nous rassembler. Je crois même que c’est la mission de l’école : cesser de singulariser et d’individualiser, afin de produire du commun. C’est ce qui manque à notre société : on ne rassemble pas assez, on ne produit pas assez de commun.
Ma collègue George Pau-Langevin, actuellement retenue par les questions d’actualité au Gouvernement à l’Assemblée nationale, a émis plusieurs circulaires à ma demande. L’administration de l’éducation nationale est donc mobilisée plus qu’aucune autre. Vous pouvez juger que c’est encore insatisfaisant, mais, dans un récent avis, le Défenseur des droits, Dominique Baudis, a rendu hommage, comme je le fais moi-même, aux fonctionnaires de l’éducation nationale pour la manière dont ils ont répondu aux demandes d’accueil de ces enfants, formulées au nom de la dignité humaine et de nos principes partagés.
Même en nous mobilisant au maximum, nous nous sommes heurtés à des difficultés venant des populations qui accueillent d’autres missions, d’autres services de l’État, comme vous pouvez vous-mêmes en rencontrer dans vos activités d’élus responsables. L’éducation nationale est présente à ce rendez-vous. S’il y a des problèmes, il ne faut pas hésiter à nous les signaler, avant bien entendu que des évaluations ne soient menées.
Madame Bouchoux, la coéducation est au centre de notre projet. Vous le savez, elle doit beaucoup aux apports du groupe écologiste. Tel fut aussi le cas pour la reconnaissance des alliances avec les familles, comme avec le mouvement d’éducation populaire et le mouvement associatif.
En même temps, nous avons voulu faciliter les expérimentations pédagogiques et faire en sorte que les équipes puissent être reconnues.
S’agissant du collège unique, permettez-moi de vous dire qu’il y a un malentendu. À ce sujet, je vous recommande de relire l’article le concernant. Non, nous ne croyons pas qu’il faille séparer les enfants à l’âge de treize ou quatorze ans ; nous ne pensons pas qu’existe un destin s’imposant aux enfants. Nous considérons donc – je vous remercie d’ailleurs du travail réalisé sur la notion de socle, sur laquelle je vais revenir – qu’il faut les élever au maximum d’éducation, de connaissance et de compétences possible, ce qui, à mon sens, sous-tendait le principe de l’école obligatoire et l’idée de socle.
Non, nous n’avons pas supprimé l’apprentissage à quinze ans. Là encore, ayons la précision de ceux qui aiment l’école, qui la connaissent et lisent les textes. Nous avons seulement supprimé un premier dispositif dit « d’apprentissage junior », figurant à l’article L. 337-3 du code de l’éducation, voté en 2005, dont le Gouvernement avait d’ailleurs, dès 2007, annoncé vouloir la suppression, sans donner suite. Cet article permettait à des jeunes de quatorze ans d’entrer dans un programme les menant, dès quinze ans, à la signature d’un contrat d’apprentissage.
Ce dispositif n’a d’ailleurs concerné personne. Pourquoi ? Tout simplement parce que la difficulté est de trouver des stages d’apprenti ! Xavier Bertrand a passé des années à nous parler d’un objectif de 800 000 apprentis fixé par le président Sarkozy. Or, en cinq ans, nous avons assisté à une augmentation de 15 000 du nombre d’apprentis, qui reste bloqué à 450 000. Il faut donc s’interroger sur ce point.
Concernant l’initiation aux métiers en alternance, ce que nous supprimons en abrogeant le dispositif dit « Cherpion », qui datait de 2011, c’est uniquement la possibilité, pour ceux qui ont moins de quinze ans, d’aller en apprentissage. Ceux qui ont quinze ans le peuvent toujours, mais je souhaiterais – je pense que vous pouvez partager ce souhait, puisque vous avez l’air attachés au socle commun – qu’ils le fassent en ayant la maîtrise des connaissances fondamentales.
Ce dispositif de 2011 a concerné 7 000 jeunes pour l’ensemble du pays. À ceux qui ne comprennent pas et qui ont notamment affirmé dans deux interventions publiques inscrites au Journal officiel que j’avais supprimé un dispositif d’apprentissage à partir de quinze ans, je répète que c’est faux : le dispositif demeure à partir de quinze ans. Seul est supprimé le dispositif applicable à partir de quatorze ans, que vous aviez mis en place et qui n’a jamais concerné personne. Il s’agit donc d’un débat très idéologique.
À cet égard, je tiens à dire qu’aucune entreprise de France – vous le verrez avec le conseil économie-éducation que nous mettons en place – ne réclame ce dispositif. En effet, les entreprises ont besoin de salariés qualifiés, capables d’évoluer, ayant un niveau d’instruction suffisant. Je veux être précis sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques-Bernard Magner. Évidemment. Et même chez Dassault !
M. Vincent Peillon, ministre. Madame Gonthier-Maurin, je voudrais répondre à vos inquiétudes. Sur certaines d’entre elles, je considère que nous apportons d’ores et déjà des réponses. Sur d’autres, nous allons avoir à débattre.
Au préalable, je vous remercie des appréciations positives que vous avez faites. Vous saluez la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, donc le retour à une formation professionnelle des maîtres.
Vous vous réjouissez de la création des postes. Vous vous félicitez, en particulier, du rétablissement des moyens dédiés aux remplacements, soit 1 000 postes pour la rentrée qui vient.
Vous soulignez l’importance de l’accueil des enfants à l’école, dès deux ans, dans les zones les plus difficiles.
Vous appréciez la création d’un service public du numérique, ainsi que du parcours d’éducation artistique et culturelle.
Il est vrai que les objectifs de mixité sociale, de réussite scolaire pour tous, de capacité d’apprendre et de progresser accordée à tous les enfants ne figuraient pas dans le texte initial. Vos travaux ont permis une telle réécriture de l’article 3, en bonne intelligence, d’ailleurs, avec les autres groupes de gauche de cette assemblée. À mon avis, la loi en aura davantage de sens et de force.
Je salue aussi les précisions qui ont été apportées sur les missions de l’école maternelle. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il s’agit pour moi d’un objet essentiel de ce projet de loi, indispensable pour mettre en œuvre nos projets dans un futur proche.
Les éléments que vous avez apportés enrichissent encore les débats qui durent depuis plus d’un an sur le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Néanmoins, il ne s’agit pas de s’arrêter là, comme si le minimum était suffisant. Au contraire, il faut l’assurer à tous les enfants de France comme un moyen d’aller au-delà.
Monsieur Legendre, sachez que je ne prétends pas du tout le raboter. Vous en aviez débattu en 2005 dans l’hémicycle, pensant qu’il revenait à la représentation nationale de le définir. Il me semble même que vous vouliez vous attaquer aux programmes ; nous en débattrons.
Mme Catherine Morin-Desailly. Pas les programmes !
M. Vincent Peillon, ministre. Vous vous êtes rendu compte, dès l’année suivante, qu’il fallait procéder autrement, puisque, évidemment, la sérénité requise pour ce genre d’exercice n’était pas assurée dans une assemblée parlementaire. Il a donc fallu réécrire le socle.
Je considère comme tout à fait dommageable la suppression du Conseil national des programmes tel qu’il existait, même sous des majorités de votre sensibilité. Il faut un organe indépendant du ministre, des pressions partisanes ou médiatiques pour traiter des sujets aussi sérieux, bien évidemment sous le regard du Gouvernement et du Parlement. C’est ce que je ferai pour la première fois au sein du Conseil supérieur des programmes, comme je le ferai dans le conseil d’évaluation, au sein desquels les sénateurs pourront siéger.
En même temps, il fallait évidemment préciser que le socle est non pas un terme, mais un point de départ. Notre but, partagé avec les responsables des projets éducatifs de territoire, au-delà même de la priorité accordée aux apprentissages fondamentaux, est de donner la possibilité à tous les enfants, de tous les milieux, de tous les territoires, d’avoir accès au meilleur de notre culture.
Lisez ce qui est écrit dans le projet de loi à propos de l’éducation culturelle : tout y est ! Aujourd’hui, 10 % des enfants de France en bénéficient ; les collectivités locales sont très engagées pour proposer des pièces de théâtre, des séances de cinéma ou des activités diverses. Néanmoins, seuls 10 % des enfants sont concernés. L’objectif est donc que tous les enfants, à commencer, d’ailleurs, par ceux qui en bénéficient le moins chez eux, puissent profiter de cette offre culturelle. C’est ainsi que nous devons entendre le socle commun de connaissances, de compétences et de culture.
Nous avons pu préciser le retour en formation initiale pour les jeunes décrocheurs. À cet égard, je tiens à vous dire que nous avons d’ores et déjà des résultats importants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai bien noté que vous exprimiez deux interrogations principales.
La première, que vous portez depuis longtemps, concerne le pré-recrutement des enseignants. Je vous le dis comme je le pense : cette préoccupation est légitime, et je la partage. Grâce aux emplois d’avenir professeurs, j’ai apporté un début de réponse, même s’il est évident qu’il n’est pas à la hauteur de ce que les uns et les autres pourraient souhaiter. Malheureusement, nous sommes liés par une contrainte budgétaire que certains ont rappelée ; je tiens d’ailleurs à dire à Serge Dassault que nous y dérogeons.
De plus, comme vous le savez, lors des travaux menés à l’Assemblée nationale, j’ai accepté que soit voté un amendement déposé par vos collègues communistes, menés par Marie-George Buffet, pour que soient étudiées les modalités de mise en œuvre d’un système de pré-recrutement des personnels enseignants dès la licence. À mon sens, cette question se posera avec acuité dans les années qui viennent.
Ne vous méprenez pas, madame Blandin, madame Bouchoux, je ne suis pas du tout insensible à vos propos sur le concours en fin de troisième année. Néanmoins, tout le monde, ici, connaît assez bien le sujet pour savoir que le simple fait de l’avoir ramené en fin de quatrième année, malgré la position de nombre d’acteurs, que, parfois, d’ailleurs, vous défendez, était une prise de risque. En effet, les syndicats d’enseignants, les enseignants eux-mêmes, qui souhaitent la revalorisation de leur métier, étaient attachés, pour beaucoup d’entre eux, au concours en fin de cinquième année.
Si elles ne coûtent pas davantage d’argent public et si elles assurent une meilleure formation, nous serons alors disposés, dans les années qui viennent, à envisager ces évolutions.
Notre unique objectif est de donner la meilleure formation professionnelle aux enseignants de France, parce qu’elle seule permet – le rapport de la Cour des comptes le dit encore aujourd’hui – la réussite des élèves. De ce point de vue, je pense que nous pouvons cheminer ensemble.
Votre deuxième interrogation porte sur la territorialisation. Je tiens à vous dire, même si j’ai déjà eu l’occasion de le faire, que l’État n’a pas toujours été dans notre pays la garantie absolue de l’égalité entre les uns et les autres. Si tel était le cas, cela se saurait !