M. Victorin Lurel, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, l’ambition de cette proposition de loi est de combler un vide juridique qui pourrait être fort préjudiciable à la Guadeloupe et à la Martinique en matière de régularisation foncière de la zone littorale et de pallier l’inexécution de l'article 35 de la LODEOM, adoptée en 2009, relatif à la mission de titrement qui avait été confiée à un GIP unique, ce qui s’est avéré – nous avons pu le constater – inapplicable. Le Gouvernement a très bien compris l’intérêt de cette proposition de loi, qu’il soutient.
Je l'ai dit dans mon propos liminaire, une mission d'inspection a été diligentée : elle doit nous permettre d’avoir une vision d’ensemble de la question. Sitôt son rapport remis, ce qui sera fait dans quelques mois, nous n'hésiterons pas à en tirer des conclusions qui seront, je l'espère, significatives, et à proposer un dispositif plus global et définitif dans le véhicule législatif qui sera porté par Cécile Duflot.
Nous sommes bien conscients – en ce qui me concerne, pour l’avoir vécu personnellement – de la confusion qui s'est installée depuis longtemps sur ces zones. Nous avions déjà l’ONF et les agences des cinquante pas géométriques, dont l’existence a été prorogée à plusieurs reprises, avec une taxe spéciale d’équipement portée uniquement par les communes littorales. Nous aurons bientôt les EPF, de l’État ou locaux, qui seront financés au moyen d’une redevance.
La question se pose de savoir pourquoi – c'est, me semble-t-il Jacques Cornano qui a soulevé ce point intéressant – la plupart des collectivités ont écarté la formule de l'établissement public foncier d'État. Le Gouvernement a bien compris que, au regard de l'esprit de la décentralisation, l’EPFE représente en quelque sorte une forme de recentralisation d'une politique très importante pour les collectivités : la politique foncière et, demain, la politique du logement, en particulier du logement social.
Je me suis renseigné, les EPFE fonctionnent très bien. Mais le directeur est nommé par l'État, il est l'ordonnateur de l'établissement public. En revanche, un EPFL relève des élus locaux : ce sont eux qui désignent, qui gèrent et qui assument pleinement les responsabilités. Cette formule fonctionne bien à la Réunion, où l’EPFL mène une politique de réserve foncière. En Guadeloupe, l’ensemble des collectivités a été consulté : la plupart d’entre elles se sont prononcées pour un EPFL. Un rapport d'inspection a été fait. L'État avait proposé un EPFE, mais il s'est rendu compte que cette formule se heurtait à la forte volonté des élus de domicilier le pouvoir local dans les territoires. Attentif au souhait des élus, le Gouvernement a préféré proposer un EPFL.
La question de l'après-2016 a été posée par de nombreux orateurs, dont Jacques Cornano et Joël Guerriau. Nous avons différents scenarii selon les choix faits par les collectivités.
Je vérifierai ce qu’il en est pour Saint-Martin où je me rendrai très bientôt. Après avoir discuté avec les élus, la situation est la suivante. En Guadeloupe, c’est un EPFL. En Martinique, il y a l'agence et un EPFL a été créé. J'ai bien entendu la demande du sénateur Antiste d’attendre de voir si le dispositif fonctionne avant d’envisager une absorption par un nouvel organisme. Il faut s'assurer du caractère opérationnel de la formule choisie.
En Guyane, il y a l’établissement public d'aménagement guyanais, qui fera probablement l'objet d’un examen en vue d’une éventuelle révision. Un EPFL pourrait être créé, si tant est que cela soit le choix des élus guyanais.
À la Réunion, l’EPFL a été créé.
Mayotte, qui entre également dans le périmètre de la mission de titrement, doit encore être consultée : ce sera soit un GIP, soit un EPFE ou un EPFL. Compte tenu du choc institutionnel que Mayotte devra absorber, un dialogue opiniâtre, ou à tout le moins soutenu, devra être mené avec les institutions et les élus pour faire le choix définitif de la structure qui sera chargée des deux missions. Un EPFE est envisageable, si la collectivité le souhaite, compte tenu du choc institutionnel que Mayotte devra absorber, je le répète, à compter du 1er janvier 2014. Nous prenons de nombreuses ordonnances, car nous ne pouvons pas faire autrement. Le code général des impôts devra désormais être appliqué sur ce territoire, ce qui suppose de nouveaux impôts ; sont également en cours une mission cadastre, et une mission état civil, qui s’achève. Ensuite, il y aura l'octroi de mer. Un énorme travail notamment en matière de cadastre doit être effectué. Il faudra donc être très attentif à la situation.
En tout cas, on peut retenir la souplesse de loi : elle sera adaptée en fonction de la volonté des élus locaux et selon les réalités locales.
Le bilan des agences des cinquante pas géométriques, évoqué par Serge Larcher, est mitigé, je le reconnais. Ce n’est pas une stigmatisation. Leur durée de vie a été prolongée, et le sera sans doute encore jusqu'en 2016. Après un certain nombre d’années de fonctionnement, on ne peut nier qu’elles rencontrent des difficultés. Une formule appropriée devra être trouvée. C’est pourquoi – j’hésite à vous le dire, mais c’est dans l’ordre des choses –, selon le contenu du rapport qui nous sera remis par les deux inspecteurs, des conclusions devront être tirées. Faudra-t-il aller jusqu'à l'absorption des agences par les établissements publics fonciers ou, comme cela a été fait à la Réunion, aller jusqu’à donner les terres aux communes et, depuis 1922, les titrements ont été faits ? Voilà un exemple qui n'a pas été évoqué !
Si l'on veut éviter de créer trop d'institutions, trop d’instances, trop de « zinzins », diraient certains, une réflexion ne doit-elle pas être menée sur ce sujet ?
Je sais bien que des inquiétudes existent quant au personnel, à la pérennisation, aux institutions. Mesdames, messieurs les sénateurs, toutes ces questions seront mises sur la table et nous reviendrons bien évidemment devant vous.
Une autre question pose problème, sur laquelle j’ai, là aussi, demandé à l'inspection de nous éclairer : il s’agit des différences d'évaluation des terrains en Martinique et en Guadeloupe. Je ne comprends pas les méthodes employées.
J'ai bien entendu tous les intervenants demander des aides plus importantes pour aider les occupants de ces zones, qui sont des populations défavorisées. Mais, dans mon budget, 500 000 euros sont inscrits sur une ligne budgétaire unique. La distribution de ces crédits est très certainement pertinente, mais elle n’est peut-être pas parfaitement appropriée. Le montant est-il suffisant ? J'ai voulu évacuer un affreux soupçon porté par certains élus, lesquels estimaient qu’avec des évaluations aussi élevées, on reprenait d'une main ce qu’on donnait de l’autre avec des subventions déjà insuffisantes. Il faudra soulever toutes ces questions et trouver la meilleure solution, je n'ose dire la moins mauvaise, compte tenu de la situation des finances publiques.
Sur la lourdeur des procédures, évoquée par Jean-Claude Requier, vingt-deux étapes nécessaires pour régulariser, c’est long.
S’agissant des zones rouges, la question de leur gestion se pose : faut-il reloger les occupants actuels ? Comment le faire ? Je n'ai pas aujourd’hui la réponse.
J'ai déjà répondu à Joël Labbé, qui s'est excusé de devoir partir, la réflexion se poursuivra.
Je tiens à remercier tous les groupes, en particulier l'UMP, qui va voter ce texte de consensus. Je profite de l’occasion pour remercier le groupe l’UDI-UC, qui, ayant changé de position, a voté en faveur de la précédente proposition de loi.
Enfin, nous devrons poursuivre une réflexion sur le financement. Nous n’avons pas évoqué ce point, mais à l'époque où les textes ont été discutés au Parlement, 60 % du financement provenait de l'État, contre 40 % des collectivités. (M. Jacques-Bernard Magner applaudit.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Article 1er
(Non modifié)
Le premier alinéa de l’article 4 de la loi n° 96–1241 du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d’outre-mer est ainsi modifié :
1° À la deuxième phrase, les mots : « maximale de deux ans » sont remplacés par les mots : « qui ne peut excéder le 1er janvier 2016 » ;
2° La dernière phrase est supprimée.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Au deuxième alinéa de l’article L. 5112–5 et au troisième alinéa de l’article L. 5112-6 du code général de la propriété des personnes publiques, la date : « 1er janvier 2013 » est remplacée par la date : « 1er janvier 2015 ». – (Adopté.)
Article 3 (nouveau)
L’article 35 de la loi n° 2009–594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer est ainsi rédigé :
« Art. 35. – I. – En Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte et à Saint-Martin, il peut être mis en œuvre une procédure, dite "procédure de titrement", ayant pour objet :
« - de collecter et d’analyser tous les éléments propres à inventorier les biens fonciers et immobiliers dépourvus de titres de propriété ainsi que les occupants ne disposant pas de titres de propriété ;
« - d’établir le lien entre un bien et une personne, afin de constituer ou de reconstituer ces titres de propriété.
« II. – La procédure de titrement mentionnée au I peut être conduite :
« - soit par un groupement d’intérêt public qui peut être constitué, dans chacun des territoires concernés, dans les conditions prévues au chapitre II de la loi n° 2011–525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.
« Chaque groupement est constitué de l’État, de la région d’outre-mer concernée ou, selon le cas, du Département de Mayotte ou de la collectivité de Saint-Martin, ainsi que d’associations d’élus locaux et de représentants des notaires. Compte tenu des compétences spécifiques exigées par la procédure de titrement qui lui est confiée, le groupement peut, par exception aux dispositions du 3° de l’article 109 de la loi n° 2011–525 du 17 mai 2011 précitée, recruter directement et en tant que de besoin des agents contractuels de droit public ou de droit privé ;
« - soit par un opérateur public foncier, sous réserve que le statut de cet opérateur soit complété par des dispositions permettant la mise en œuvre de cette nouvelle mission.
« L’organe délibérant de cet opérateur est alors complété par les représentants des personnes mentionnées au troisième alinéa du présent II.
« III. – L’opérateur public foncier ou le groupement d’intérêt public chargé de la procédure de titrement crée et, le cas échéant, gère l’ensemble des équipements ou services d’intérêt commun, et effectue les travaux et missions connexes ou complémentaires rendus nécessaires par la conduite de la procédure de titrement.
« Pour l’accomplissement de sa mission, l’opérateur public foncier ou le groupement d’intérêt public chargé de la procédure de titrement peut créer un fichier de données à caractère personnel dans les conditions définies par la loi n° 78–17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
« Sans que puisse leur être opposé le secret professionnel, l’opérateur public foncier ou le groupement d’intérêt public chargé de la procédure de titrement ainsi que les personnes qu’il délègue peuvent se faire communiquer par toute personne, physique ou morale, de droit public ou de droit privé, tous documents et informations nécessaires à la réalisation de la procédure de titrement, y compris ceux contenus dans un système informatique ou de traitement de données à caractère personnel.
« Les agents de l’opérateur public foncier ou du groupement d’intérêt public chargé de la procédure de titrement et les personnes qu’il délègue sont tenus de respecter la confidentialité des informations recueillies au cours de leur mission sous peine des sanctions prévues aux articles 226–13, 226–31 et 226–32 du code pénal.
« Ces informations sont communiquées aux officiers publics ministériels concernés, aux représentants de l’État ainsi qu’aux responsables des exécutifs des collectivités territoriales. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 14
Après le mot :
communiquées
insérer les mots :
aux pétitionnaires,
II. - Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Les informations mentionnées à l’alinéa précédent sont consultables par toute personne intéressée en préfecture. »
La parole est à M. le ministre.
M. Victorin Lurel, ministre. L’ordre d’examen des amendements me donne la priorité, mais je souhaite répondre par anticipation à un amendement tout à fait judicieux présenté par M. Lenoir.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Il ne faut pas en faire trop !
M. Victorin Lurel, ministre. Nous comprenons son amendement, qui tend à améliorer le texte, et voulons en tenir compte.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement vous propose simplement de préciser que les informations concernées sont aussi communiquées aux pétitionnaires et peuvent être consultées par toute personne intéressée – par exemple, des contestataires. L’information sera donc parfaite.
Sous le bénéfice de cet engagement, je serai donc conduit à vous demander, monsieur Lenoir, de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Lenoir, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
« Un décret d’application précise les conditions dans lesquelles les informations collectées par l’opérateur public ou le groupement d’intérêt public chargé de la procédure du titrement sont portées à la connaissance des personnes concernées. »
La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les compliments que je viens d’entendre justifient pleinement mon initiative et le temps que j’ai passé avec vous sur un sujet intéressant et important, dont j’ai autrefois eu à connaître à l’occasion d’une mission effectuée dans le cadre de responsabilités au sein l’administration centrale.
Vous avez souhaité, monsieur le ministre, que je retire mon amendement au profit du vôtre, mais je me permets de le résumer brièvement au moins à l’intention des lecteurs du Journal officiel, car si tous les sénateurs ici présents sont parfaitement avertis de la question, il convient cependant d’exposer le problème posé.
Le Gouvernement a déposé un amendement concernant la procédure de titrement, confiée soit à un groupement d’intérêt public, soit à un opérateur public foncier. Aux termes de cet amendement, d'ailleurs fort long et donc très précis, l’opérateur public travaillait sous le sceau de la confidence, ce qui est tout à fait justifié, et les informations finalement recueillies par lui étaient transmises aux autorités locales, aux officiers ministériels etc.
Or, lorsque cet amendement est parvenu à la commission, il est apparu que l’on ne savait pas comment ces informations étaient finalement connues des personnes concernées. D’où l’amendement que j’ai déposé, qui prévoit un décret d’application destiné à préciser le dispositif.
Le ministre fait très justement observer qu’un décret d’application s’ajoutant à d’autres, cela risque d’engendrer des complications et des retards. Loin de moi l’idée d’ajouter à la frénésie législative à laquelle notre rapporteur faisait allusion tout à l'heure ! Je voulais simplement que les choses fussent précisées.
Je maintiens néanmoins mon amendement, pour le cas où celui du Gouvernement ne serait pas adopté (Rires.) – hypothèse assez peu vraisemblable, j’en conviens –, afin de nous ménager en quelque sorte un parachute ventral !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Serge Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques. L’amendement de notre collègue Lenoir prévoit qu’un décret d’application précise les conditions dans lesquelles les informations recueillies par la structure chargée de la procédure de titrement sont portées à la connaissance des personnes concernées. Il s’agit d’obtenir une information plus complète que celle qui est recueillie dans le cadre de la procédure de titrement. Fort bien !
Cependant, cet amendement pose deux problèmes.
D’une part, sur la forme, il est ambigu : quelles personnes vise-t-il exactement ? S’agit-il des personnes qui vont bénéficier d’un titre de propriété ? Ou bien des autorités, notaires, représentants de l’État, élus locaux ?
D’autre part, cet amendement pose un problème sur le fond : je rappelle que le décret d’application initialement prévu par l’article 35 de la loi pour le développement économique des outre-mer de 2009 n’a toujours pas été publié, au bout de quatre ans. C'est d'ailleurs pour cela que le dispositif législatif a été modifié. Vous comprenez dons aisément que je ne puisse pas être favorable à un amendement ayant pour effet de ne rendre le dispositif prévu applicable qu’après la publication d’un décret.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Serge Larcher, rapporteur. Souhaitant répondre aux inquiétudes de notre collègue, le Gouvernement a déposé un amendement tendant à renforcer l’information des personnes concernées par la procédure de titrement en prévoyant qu’elles pourront consulter à la préfecture les informations transmises aux autorités.
L’amendement de notre collègue paraît, dans ces conditions, satisfait. La commission est donc favorable à l’adoption de l’amendement du Gouvernement et souhaite le retrait de celui de Jean-Claude Lenoir.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Comme je l’ai dit en commission, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois manifeste cette préoccupation en permanence : un certain nombre de lois demeurent inapplicables, faute de parution de leurs décrets d’application.
L’intention de Jean-Claude Lenoir était tout à fait louable…
M. Jean-Claude Lenoir. Encore, encore ! (Sourires.)
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. … et, d'ailleurs, nous avions invité notre collègue à déposer un amendement. Je suis donc très content, monsieur Lenoir, que vous ayez obéi à cette amicale injonction, même si vous avez été « doublé » par le Gouvernement. (Nouveaux sourires.)
Mais, d’une façon générale, chers collègues, évitez donc de prévoir des décrets d’application dans vos propositions de loi, car cela peut renvoyer aux calendes grecques la mise en œuvre de vos initiatives…
Vous le voyez, monsieur Lenoir, j’interviens plutôt sur la forme et non sur le fond, pour lequel vous avez satisfaction.
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu, monsieur Lenoir ?
M. Jean-Claude Lenoir. Je n’ai pas l’intention de prolonger les débats. Un échange très intéressant et sympathique a eu lieu. Nous sommes donc d’accord sur le fond. Sur la forme, mon amendement aura permis au Gouvernement de remarquer qu’il manquait quelque chose à celui qu’il avait déposé la semaine dernière… Le but est atteint et, dans ces conditions, je vais retirer mon amendement.
On peut se rallier au propos général du président de la commission : en effet, trop de décrets d’application sont prévus. J’avais d’ailleurs le sentiment que son admonestation s’adressait au Gouvernement plutôt qu’aux sénateurs, qui ne produisent pas énormément de propositions de loi, dans lesquelles ils ne renvoient au surplus que rarement à des décrets d’application. (M. le président de la commission s’exclame.) Mais je suis sûr que le Gouvernement a entendu le président de la commission !
Cela dit, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié est retiré.
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote sur l’amendement n° 2.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que l’histoire coloniale de Mayotte soit plus récente que, par exemple, celle des Antilles, mon département possède, lui aussi, sa zone des pas géométriques héritée d’un passé douloureux.
Dans une île où coexistent deux sortes de propriétés, la propriété coutumière et la propriété dite « titrée », la première catégorie, qui concerne la quasi-totalité des villes et des villages, pose à ce jour d’énormes problèmes aux Mahorais. Plusieurs parcelles situées sur les rivages de l’île, souvent habitées, se trouvent dans la zone des pas géométriques. Or la plupart de ces parcelles sont possédées sans titre malgré un processus de régularisation engagé depuis les années quatre-vingt-dix.
Par ailleurs, la réglementation de la régularisation foncière, qui résulte notamment des décrets dits Fillon, se révèle injuste – je dirais même particulièrement injuste. Elle aboutit en effet à demander à des propriétaires coutumiers, plusieurs générations après une installation sur des terres leur ayant toujours appartenu et transmises par leurs ancêtres, d’acheter ces terrains à l’État.
C'est pourquoi je me réjouis de l’article 3 de la présente proposition de loi, qui instaure une procédure dite « de titrement ».
Eu égard à la situation financière des collectivités de Mayotte, et parce qu’il est de la responsabilité de l’État de « boucler » la régularisation foncière avant le transfert des compétences décentralisées, j’appelle de mes vœux la mise en place très rapide d’un organisme étatique afin de régler, une fois pour toutes, la problématique foncière de la zone des pas géométriques
Je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre, sur le « choc institutionnel » que connaît ce département, qui milite avec d’autant plus de force en faveur de cet organisme étatique. Il y va de la réussite du développement de ce département et de sa réforme fiscale, programmée au 1er janvier 2014.
Il s’agira, par ailleurs, de rendre justice aux propriétaires coutumiers mahorais, qui risquent une véritable spoliation si la situation demeure inchangée. C'est pourquoi je ne peux qu’être favorable à l’article 3 de cette proposition de loi, et demander que le processus de titrement, pour reprendre les termes de cet article, soit rapidement mis en œuvre à Mayotte.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Je voulais simplement préciser à notre collègue Jean-Claude Lenoir que le message que j’ai lancé s’agissant des décrets d’application concernait bien entendu les propositions de loi, mais qu’en aucune façon je n’ai changé de position concernant les projets de loi déposés par les gouvernements, quels qu’ils soient ! J’avais même souhaité, devant une autre majorité sénatoriale, que les projets de loi soient accompagnés de leurs projets de décrets d’application…
M. Jean-Claude Lenoir. Ils vont l’être, maintenant !
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?...
Je mets donc aux voix l’ensemble de la proposition de loi, dont la commission a ainsi rédigé l’intitulé : « Proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques et à faciliter la reconstitution des titres de propriété en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte et à Saint-Martin ».
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Victorin Lurel, ministre. Je tiens à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs. Si toutes les lois que je défends étaient votées avec pareille unanimité dans les deux assemblées, je serais un ministre totalement heureux… Heureux, je le suis, mais je le serais encore davantage ! (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
11
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 21 mai 2013, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 313-13 du code de la construction et de l’habitation (participation des employeurs à l’effort de construction) (2013-332 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
12
Refondation de l’école de la République
Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (projet n° 441, texte de la commission n° 569, rapport no 568, avis nos 570 et 537).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, madame la rapporteure, madame, monsieur les rapporteurs pour mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une grande fierté pour moi que de vous présenter ce projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
Je salue d’abord très chaleureusement et sincèrement le travail qui a été mené en commission. Durant sept heures de débat – ce n’est pas rien ! –, 426 amendements ont été examinés et 135 amendements ont été adoptés. Soixante-cinq d’entre eux émanaient de la commission, mais tous les groupes ont vu certains de leurs amendements adoptés ; je salue par conséquent vos méthodes de travail.
Je le dis d’autant plus que j’attends beaucoup de ce débat, pour l’école elle-même, bien sûr, mais au-delà, pour une certaine conception de la République, puisqu’il s’agit de la refondation de l’école de la République.
La première chose – elle est ancienne –, c’est que la loi, déclaration publique et solennelle de la volonté générale sur un objet d’intérêt commun, suppose la délibération, et par conséquent les lumières. Lorsque l’on pénètre dans une salle de classe, comme nous l’ont enseigné nos maîtres de l’école primaire, on apprend tout d’abord à l’élève à se décentrer : je n’ai pas raison tout seul. Comme le disait Anatole France dans ses beaux ouvrages, le chien de M. Bergeret se croit toujours le centre du monde. Ce n’est pas bon pour la démocratie.
L’école de la République est l’idée même de la rationalité. Elle cherche à décentrer les points de vue. « Je m’écoute, mais se croire, c’est ce qu’il y a de pire », disait Alain. J’essaie de prendre en compte le point de vue de l’autre. C’est que nous sommes plus intelligents à plusieurs que tout seul, mesdames, messieurs les sénateurs.
De ce point de vue, le travail parlementaire, qui a déjà été bien conduit à l’Assemblée nationale, est essentiel à l’intelligence de la loi. Je considère que, en laissant les débats se dérouler – j’ai veillé à ne pas être présent en commission pour que les parlementaires œuvrent comme ils l’entendaient –, nous participons aussi de cet esprit.
La deuxième chose – et elle est centrale, pour moi, dans ce débat au Sénat, parce que j’ai été surpris par la première lecture à l’Assemblée nationale –, c’est que nous devons et nous pouvons nous rassembler autour de l’école de la République. Comme je n’ai cessé de le répéter, il s’agit d’un nouveau pacte entre l’école et la nation. L’école n’appartient pas aux uns ou aux autres, elle appartient à tout le monde. C’est d’ailleurs une idée que vous avez défendue dans les amendements que vous avez proposés, y compris à l’égard des parents.
Je ne vois pas pourquoi, lorsque l’on adopte le point de vue qui fut le nôtre, celui de la clarté, de la simplicité, de la méthode, en commençant par ce qui est élémentaire et donc fondamental, ce sur quoi nous allons construire, on devrait se diviser ! Certains ne comprennent pas ce que « fondation » veut dire. La fondation, c’est ce sur quoi l’école repose. Elle est d’une simplicité que personne n’a été capable de mettre en œuvre, dans notre pays, non pas depuis cinq, dix, vingt ans, mais depuis plus d’un siècle : c’est la priorité au primaire.
Qui peut nous dire, alors que, pour la première fois, nous proposons une loi de refondation de l’école de la République qui accorde la priorité au primaire, avec des moyens programmés et l’ambition de nouvelles pédagogies, que nous ne pouvons pas nous rassembler autour de cette idée ? J’ai connu d’anciens ministres de l’éducation nationale – certains membres de cette confrérie siègent d’ailleurs dans votre noble assemblée – qui ne sont pas de ma famille politique et qui soutiennent cette priorité au primaire.
Pour quelle raison ? Lorsque 25 % des élèves qui entrent au collège aujourd’hui sont en difficulté pour lire, écrire, compter et entrent dans le processus de l’échec que nous connaissons et, à terme, du décrochage, les difficultés se sont créées avant. Chacun convient donc que, pour ces apprentissages fondamentaux, l’effort doit être fourni avant. Or, de tous les pays développés de l’OCDE, nous sommes celui qui accorde le moins à l’école primaire. Je ne parle pas encore de la formation des enseignants, mais j’évoque ici les moyens humains qui sont mis devant les élèves. Notre taux d’encadrement des élèves du primaire est le plus faible de tous les pays de l’OCDE.
Nous avons choisi d’accorder la priorité au primaire pour permettre la réussite de tous les élèves, en veillant à programmer des moyens dans la transparence, pour un tiers vers le secondaire et pour deux tiers, c'est-à-dire le double, vers le primaire.
Les besoins, dans les zones en difficulté – qu’elles soient urbaines, rurales ou dans les territoires d’outre-mer – sont criants. Nul n’est venu contester, lorsque nous avons présenté le collectif budgétaire prévoyant 1 000 postes supplémentaires pour le primaire au printemps dernier, ni à présent que les postes sont prévus pour la rentrée prochaine, que le fait de ne pas fermer une classe dans un village, d’être capable de ne pas en fermer une dans une zone urbaine sensible n’est ni de gauche ni de droite, mais républicain, dans l’intérêt des élèves et donc dans l’intérêt, demain, de la nation.
M. Christian Bourquin. La droite a assassiné l’école !