Mme Nathalie Goulet. Avec plaisir !
M. André Reichardt. L’idée était pourtant excellente !
M. Manuel Valls, ministre. Mais quand on abroge un mode de scrutin, il faut proposer un système de remplacement. Chacun s’y est employé, avec conviction.
Le mode de scrutin que nous proposons préserve le département, et même le renforce. Le découpage auquel il donnera lieu sera soumis, dans chaque département, à la fois aux grands élus et au conseil général.
En outre, monsieur Mézard, le Conseil d’État rendra un avis très précis, qui sera formulé sur le fondement de considérations d’ordre constitutionnel. C’est assez logique. Je ne saurais le regretter, surtout en m’exprimant dans cet hémicycle. D’ailleurs, nous avions sollicité la juridiction administrative sur ce texte.
Si j'ai proposé à l'Assemblée nationale de supprimer toute référence chiffrée à un écart démographique – personne n’en a été surpris –, c'est parce que je voulais sécuriser à tout prix les critères qui vont présider au découpage et les exceptions qui sont prévues. C'est la voie de la sagesse. Si le seuil de 30 % était maintenu, le risque d’une censure par le Conseil constitutionnel serait réel, non seulement sur le tunnel, mais également sur les exceptions. Il nous faut donc travailler intelligemment sur le découpage département par département pour pouvoir intégrer pleinement les exceptions que l'Assemblée nationale et le Sénat ont opportunément affinées au cours de la navette.
Encore une fois, ce mode de scrutin garantit la proximité. La diversité politique est une réalité ; elle ne peut en aucun cas être artificielle. Elle dépend évidemment des choix des électeurs. La parité, quant à elle, constitue bien évidemment une avancée nécessaire et incontestable pour notre vie politique.
Certains ont parlé de crise économique et de crise morale, affirmant que les institutions de la Ve République en étaient responsables, ce qui est assez étrange. Selon vous, le retour au régime des partis et à la proportionnelle permettrait de faire obstacle à la crise politique et morale que traverse notre pays ? Ce n’est pas mon avis. En effet, et certains exemples chez nos voisins, notamment l’Italie, le démontrent, ce n'est pas notre système institutionnel qui est à l'origine de cette crise ! Notre pays connaît déjà des difficultés ; vous voudriez en plus qu’il devienne ingouvernable ? C’est grâce à la solidité de ses institutions que la France peut affronter depuis des années, certes non sans obstacles, les défis du temps.
Le mode de scrutin que nous proposons permet d’assurer la représentativité non seulement de nos territoires, mais également de leurs habitants. C’est une donnée essentielle pour pouvoir affronter les problèmes qui ont été évoqués.
Encore une fois, je souhaite que le Sénat vote ce texte, puis que l’Assemblée nationale l’adopte ensuite après avoir intégré les apports de votre assemblée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir bien voulu reconnaître que j'avais respecté mes engagements. Mais j’aimerais que le Sénat porte également le nouveau mode de scrutin, un système moderne qui correspond, me semble-t-il, aux réalités départementales.
Tels sont les éléments de réponse dont je souhaitais vous faire part. J’entends vos propositions et je respecte vos convictions. Comme à chaque fois que j’ai eu l’occasion de défendre un texte dans cet hémicycle, j’ai apprécié la qualité des débats et la capacité d’initiative du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La discussion générale commune est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission sur le projet de loi ordinaire.
projet de loi
M. le président. Je rappelle que, en application de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets et propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.
En conséquence, sont irrecevables les amendements remettant en cause les votes conformes ou les articles additionnels sans relation directe avec les dispositions restant en discussion.
projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral
TITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES AU CONSEIL DÉPARTEMENTAL
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Chapitre Ier
Dispositions relatives à l’élection des conseillers départementaux
Article 2
(Non modifié)
L’article L. 191 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 191. – Les électeurs de chaque canton du département élisent au conseil départemental deux membres de sexe différent, qui se présentent en binôme de candidats dont les noms sont ordonnés dans l’ordre alphabétique sur tout bulletin de vote imprimé à l’occasion de l’élection. »
M. le président. La parole est à M. Christian Favier, sur l'article.
M. Christian Favier. Je présenterai en même temps nos deux amendements sur l’article.
Vous l’aurez remarqué, même en nouvelle lecture, nous n’avons pas déposé d’amendement de suppression de cet article 2, car nous ne pouvons pas nous satisfaire du statu quo.
Le mode de scrutin départemental actuel reste profondément injuste et inégalitaire. Mais ce que vous nous proposez, monsieur le ministre, est très loin de corriger cette inégalité ; cela risque même de l’aggraver.
Si nos amendements ne sont pas retenus, comme lors des deux lectures précédentes, nous serons contraints de voter contre cet article, qui met en place le scrutin binominal, un mécanisme totalement contraire au pluralisme.
Nous le savons tous, le seul mode du scrutin qui permette de respecter le double objectif constitutionnel de parité et de représentativité dans nos assemblées élues, locales et nationales, c’est la proportionnelle.
C’est d’ailleurs pourquoi ce système a été retenu pour les conseillers municipaux, les conseillers régionaux et une partie des sénateurs. Nous espérons qu’il s’appliquera bientôt aussi à l’Assemblée nationale. À ce jour, seuls les départements font encore exception.
Aussi, votre refus de prendre en compte ce mode de scrutin, même de manière partielle, n’en est que plus incompréhensible. Rien ne peut justifier l’anachronisme démocratique qui voudrait faire des conseils départementaux les seules assemblées élues au suffrage universel à ne pas intégrer pas le principe de proportionnalité, qui favorise le pluralisme et respecte le choix de chaque électeur.
Au demeurant, une telle attitude est d’autant plus incompréhensible que le pluralisme et, par conséquent, la proportionnelle ont toujours fait partie des exigences démocratiques soutenues par les partis se réclamant de la gauche.
D’ailleurs, voilà plus de vingt ans, sous la présidence de François Mitterrand, l’Assemblée nationale était intégralement élue à la proportionnelle départementale.
M. Gérard Longuet. C’était le bon temps… (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Favier. Compte tenu d’un tel héritage progressiste, de la culture de gauche et de l’existence d’assemblées appliquant déjà ce mode de scrutin, je suis étonné d’avoir entendu sur les travées de la gauche, au cours des précédents débats, des prises de positions hostiles par principe à la proportionnelle, sous couvert de maintenir un lien de proximité entre l’élu et son territoire.
Le lien de proximité ne se décrète pas. C’est d'abord le résultat d’une pratique des élus, quel que soit le mode d’élection.
En fait, les vraies raisons sont moins avouables. Elles sont à rechercher dans une volonté d’instaurer en France le bipartisme, en éliminant la représentation de toutes les forces ne se réclamant pas du parti socialiste ou de l’UMP.
Les résultats des élections cantonales de 2011, qui se sont tenues au scrutin uninominal, en apportent une belle démonstration. Le parti socialiste, avec 24,94 % des voix, avait raflé 41 % des sièges, soit 321 sièges de plus qu’il n’en aurait obtenu à la proportionnelle. À l’inverse, le Front de gauche, avec 8,92 % des voix, n’a obtenu que 6 % des sièges, soit 57 sièges de moins qu’à la proportionnelle. Un électeur du Front de gauche serait-il moins respectable qu’un électeur socialiste ?
Avec le scrutin binominal, avec des cantons encore beaucoup plus étendus, vous voulez franchir une nouvelle étape dans le laminage démocratique en éliminant vos alliés communistes, écologistes ou radicaux de gauche et en éloignant un peu plus les électeurs de leurs représentants.
Je ne suis pas sûr que puissiez réussir à surmonter la grave crise de confiance de nos concitoyens à l’égard de la politique avec ce genre de manœuvres…
Tout en restant ouverts à des solutions plus raisonnables et plus démocratiques, nous maintenons nos amendements et nous appelons nos collègues de gauche et écologistes à les soutenir. S’ils n’étaient pas adoptés, nous serions amenés à voter contre l’article 2.
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, sur l'article.
M. François Grosdidier. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas affirmer qu’il n’y a pas d’autre solution que le scrutin binominal.
M. François Grosdidier. Il y en a toujours ! En l’occurrence, il y en avait.
Par exemple, il était possible de maintenir le scrutin actuel, c'est-à-dire le scrutin uninominal, qui serait, selon vous, incompatible avec la parité. Dans ce cas, pourquoi ne pas appliquer le nouveau mode de scrutin aux élections législatives ! Peut-être est-ce d’ailleurs dans vos projets… Nous verrons bien.
En outre, et l’évolution récente des assemblées départementales en atteste, la parité entre titulaire et suppléant, avec possibilité pour le suppléant de siéger en cas non seulement de décès, mais aussi de démission, a boosté depuis quelques mois la représentation féminine dans les conseils généraux. Ce phénomène ne pourra qu’aller en s’accélérant avec la future loi fixant de nouvelles restrictions au cumul des mandats.
D’autres solutions étaient possibles. Par exemple, vous auriez pu décider d’augmenter les pénalités pour les partis politiques ne respectant pas la parité, non seulement aux législatives, mais aussi aux cantonales.
Mme Éliane Assassi. Vous êtes bien placés pour en parler !
M. François Grosdidier. Vous avez d’emblée écarté de tels outils, qui auraient permis, sans tomber dans l’intégrisme de la parité, de renforcer fortement, progressivement mais sûrement, la représentation féminine au sein des assemblées départementales.
Certains dans votre propre majorité ont suggéré un autre système : la proportionnelle intégrale. Nous approuvons votre plaidoyer en faveur du scrutin majoritaire, qui respecte l’esprit et la lettre de la Ve République. Gérard Longuet, qui a présidé le conseil régional de Lorraine pendant dix ans, pourrait témoigner des difficultés à gouverner la région à cause de la proportionnelle intégrale, qui plaçait systématiquement l’extrême droite en position d’arbitre. Il fallait négocier les abstentions de vote des uns et des autres, notamment avec la gauche républicaine. Ce n’est pas un mode de gouvernance satisfaisant. Si une telle formule devait être retenue pour les assemblées départementales, il n’y aurait plus de majorité, et ce serait la fin de l’efficacité de l’action publique.
En revanche, on aurait très bien pu imaginer de maintenir un scrutin uninominal dans les cantons ruraux et de prévoir des listes plurinominales majoritaires, par exemple, dans les grandes villes.
Dans mon département, la Moselle, nous aurions pu avoir des listes paritaires de deux candidats majoritaires à Thionville et de six à Metz. C’eût été un autre moyen d’aller vers la parité.
Vous avez balayé d’un revers de main toutes ces solutions et vous ne respectez plus l’impératif de proximité. Dans certains départements, les cantons pourront compter 60 000 ou 70 000 habitants. Dans le mien, la Moselle, on atteindra les 40 000 habitants par canton ; sans le tunnel, il y aura même un canton qui dépassera les 150 communes ! Comment pouvez-vous parler de proximité ?
Autant notre réforme a apporté de la clarification, autant la vôtre crée de la confusion. Confusion entre départements et régions ! Confusion liée à « l’avortement » de l’acte III de la décentralisation ! Et même confusion dans la représentation au sein du conseil général ! Lequel des deux conseillers généraux le maire devra-t-il recevoir ? Les deux conseillers s’entendront-ils ? Souvent, il s’agira d’un mariage de raison. Et même si c’est un mariage d’amour, tiendra-t-il pendant tout le mandat ? Les interlocuteurs du conseiller général ou des conseillers généraux ne sauront jamais qui contacter, ni qui voir. Ils auront toujours peur de vexer l’autre.
Voilà qui porte bien la marque de fabrique de la gauche. Vous voulez toujours diluer les responsabilités, là où nous avions cherché à les clarifier.
C'est pourquoi nous ne pouvons que refuser le scrutin binominal. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Richard. Quel niveau !
M. le président. L'amendement n° 23, présenté par M. Zocchetto et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Il n'est pas bon de faire du réchauffé. Néanmoins, il me semble utile d’exposer les motivations de cet amendement.
Je le dis sans polémiquer : le binôme n’est pas plus acceptable aujourd’hui qu’il ne l’était voilà quelques jours. C’est un système qui ne fonctionne pas !
Mme Nathalie Goulet. C'est vrai !
M. Jean Boyer. Que ce soit sur le plan économique, sur le plan associatif, dans le domaine bancaire ou syndical, il est de notoriété publique que cela ne marche pas !
Il est facile de dire : « il n'y a qu'à ; il faut qu’on ». Monsieur le ministre, la considération que je vous porte n'a pas changé. L'hypothèse d’un quotient, c'est-à-dire d’une moyenne départementale était positive : elle rendait les cantons homogènes et uniformes. Il n'y avait plus d’un côté des cantons de 900 habitants – mon département en compte deux – et de l’autre des cantons de 25 000 habitants.
Monsieur le ministre, vos responsabilités sont considérables. Vous avez autorité sur des brigades de gendarmerie, qui recouvrent un territoire. N’y a-t-il pas un responsable de brigade affecté à tel chef-lieu et un autre à tel chef-lieu ? Aurait-il été invraisemblable – il me semble au contraire que c’était tout à fait possible –, dans les nouveaux cantons, qui seront deux fois moins nombreux que les cantons actuels, que les deux membres du binômes s’entendent sur une affectation de territoire avant de déposer leur candidature ? On aurait maintenu à la fois la proximité et la « propriété » : si nous ne sommes pas propriétaires de nos électeurs, nous leur appartenons, en quelque sorte, puisqu’ils nous désignent !
J’ai discuté avec des personnes sensibilités politiques autres que la mienne. Au centre, nous faisons généralement preuve d’ouverture. Je puis vous dire qu’une telle mesure aurait associé la proximité et une clarification satisfaisante des compétences. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Delebarre, rapporteur. Les amendements sur l’article 2 feront l'objet d'un même avis de la part du rapporteur. Tous vont en sens contraire à l’idée de base du projet qui nous est présenté.
Nous en avons parlé en commission, et comme cela ne suffisait pas, nous en avons parlé deux fois, longuement, en séance plénière. Il n'y a pas eu moyen de convaincre ceux qui ne souhaitent pas du binôme !
Ceux qui y sont favorables estiment qu’il s’agit d’une voie nouvelle, certes difficile à adopter, mais de nature à associer proximité et parité et à insuffler une nouvelle pratique de la politique territoriale à l’échelle départementale. (M. André Reichardt s’exclame.)
Il n'y aura pas que du négatif dans une telle évolution !
M. René-Paul Savary. Il n'y aura pas que du positif non plus !
M. Michel Delebarre, rapporteur. À mon avis, le département pourra mieux débattre des enjeux territoriaux dans leur diversité. Que puis-je dire pour vous convaincre ?
Mme Nathalie Goulet. Rien !
M. Michel Delebarre, rapporteur. Vous le reconnaissez vous-même !
Mais projetez-vous ! Imaginez-vous membre d’un binôme, le jour de l’élection, bien accompagnée… Croyez-moi, cela vaudra la peine d’être vu ! (Rires.)
La commission émet un avis défavorable sur les différents amendements proposés sur l’article 2.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre. Je ferai même constat que M. le rapporteur, avec moins d’humour.
Les amendements qui ont été déposés sur l’article 2, bien que différents, vont dans le même sens.
J'ai écouté avec intérêt la proposition de M. Grosdidier : la parité trouverait son avenir dans la suppléance… Nous sommes encore loin du compte.
La situation est différente pour les élections législatives. Il y a un mécanisme de sanctions financières participant au financement des formations politiques. Si je voulais faire preuve d’optimisme et vous suivre, je prendrais exemple sur la majorité, notamment sur le groupe socialiste à l'Assemblée nationale, qui compte environ 40 % de femmes. Évidemment, ce n'est pas le cas du groupe UMP…
Vous le voyez, sans la loi, sans une volonté d'imposer la parité, nous n'y arriverons pas. S’il fallait compter sur les suppléances et sur le départ des hommes titulaires pour parvenir à la parité, les femmes risqueraient, je le crains, d’attendre longtemps ! Le système qui permet la proximité et la parité, c'est celui que nous proposons.
J'ai écouté M. Boyer avec toute l’attention que ses interventions passionnées et toujours respectueuses requièrent.
D’une certaine manière, ceux qui formeront le binôme tiendront compte, notamment dans les territoires ruraux ou périurbains, de la diversité du canton et respecteront la représentation territoriale : ici une partie plus rurale ; là une partie plus urbaine. Il y aura un maire ou une maire, un adjoint ou une adjointe au maire, un vice-président sortant du département… Les membres du binôme auront la volonté de gagner, ce qui implique de représenter à la fois les habitants et le territoire.
Voilà pourquoi nous n’avons pas voulu enfermer le canton dans deux sections. Nous avons au contraire souhaité faire confiance à l’intelligence des futurs candidats et candidates et des populations.
Vous avez évoqué les gendarmeries. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner ici, je souhaite, si le Président de la République et le Premier ministre me font confiance pour mener cette réflexion, envisager une réorganisation de l’État, de la puissance publique et des services publics, en tenant compte à la fois de l’évolution de l’intercommunalité, mais aussi de la carte cantonale, donc de la carte des arrondissements, qui devra être dépassée. Cette réorganisation doit s’effectuer en lien avec les collectivités territoriales. En effet, dans les territoires ruraux, là où des communautés de communes se sont constituées et se constituent encore, s’exprime une attente très forte à l’égard de l’État, comme du conseil général, sur le plan économique ou sur le plan social.
Nous devrons donc utiliser la nouvelle carte cantonale pour repenser l’organisation de l’État ; je pense notamment à la gendarmerie. Le général Favier, qui vient d’être nommé à sa tête, animera cette réflexion. La présence de la gendarmerie a reculé au cours des dernières années, en raison des suppressions de poste. L’hémorragie va prendre fin, et des postes supplémentaires vont même être créés.
Je souhaite que, avec les élus des collectivités territoriales et les sénateurs, nous parvenions à assurer une présence plus efficace des services publics dans les territoires. Tout cela peut se faire grâce à une meilleure représentativité des élus du département. C’est ce que nous vous proposons avec ce nouveau mode de scrutin.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je voudrais illustrer les propos que j’ai tenus tout à l’heure.
J’ai rencontré ce matin les maires d’un canton très rural de 2 200 habitants, le canton de Sompuis, dans la Marne, venus m’exposer plusieurs problèmes auxquels ils sont confrontés.
Premièrement, une usine de traitement des obus chimiques de la guerre de 1914-1918 y est implantée.
Deuxièmement, par le biais des services de l’environnement, cette zone très rurale a été désignée site expérimental pour la surveillance de la qualité des eaux, notamment des nitrates, ce qui représente un surcoût de 30 % pour chaque exploitation agricole.
Troisièmement, on leur a refusé l’implantation de panneaux photovoltaïques, faute de revenus suffisants.
Ces maires ont donc décidé de saisir le préfet et le président du conseil général par l’entremise de leur conseiller général. Dans le cadre du binôme – j’ai pris la carte pour vous montrer ce qu’il en sera (M. René-Paul Savary brandit une carte pour appuyer ses dires.) –, ce ne sera plus possible. Leur canton sera regroupé avec quatre autres cantons. La représentation de ce secteur rural, où la densité est de sept habitants par kilomètre carré, se fera dans un canton unique qui regroupera cinq anciens cantons.
M. Gérard Longuet. Absolument !
M. René-Paul Savary. Et ce sera pareil pour l’Argonne marnaise ! Sous prétexte que celle-ci est très peu peuplée, cinq cantons seront regroupés – on va défigurer cette région, qui compte actuellement trois cantons ! – pour n’en faire qu’un seul, où siègeront un conseiller départemental et une conseillère départementale. Les deux nouveaux cantons recouvriront pratiquement la moitié de la surface du département. On voit donc bien qu’il y a là un éloignement des élus départementaux. Ce sera particulièrement préjudiciable au monde rural.
C'est la raison pour laquelle nous soutiendrons l’amendement de suppression présenté par le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Cette discussion a lieu pour une raison bien précise.
Selon l’article 3 de la Constitution, le suffrage est toujours « universel, égal et secret ». C’est une innovation de la Constitution de 1958. Sous la IVe République, l’expression figurait uniquement pour l’élection de l’Assemblée nationale. Le texte constitutionnel rédigé par Michel Debré sous l’autorité du général de Gaulle prévoit que le principe d’égalité du suffrage s’applique à toutes les élections.
M. Gérard Longuet. Un homme, une voix !
M. Alain Richard. Depuis vingt ans, chaque fois qu’il est amené à se prononcer, le Conseil constitutionnel énonce que, lorsqu’il existe des circonscriptions, la représentation doit être « essentiellement démographique », tout simplement pour que le principe d’égalité du suffrage s’applique loyalement.
D’ailleurs, la même règle prévalait pour le conseiller territorial, que beaucoup d’entre vous aviez approuvé. Des regroupements de cantons très peu peuplés étaient tout aussi indispensables.
M. François Grosdidier. Mais les cantons étaient deux fois plus petits !
M. Alain Richard. Selon les départements, l’instauration du binôme aboutira à des cantons moyens, pour certains un peu plus petits, pour d’autres un peu plus grands, que ceux qui étaient envisagés pour le conseiller territorial.
Dès lors, monsieur Grosdidier, je ne comprends pas que vous puissiez vous offusquer avec une telle éloquence d’une réforme extrêmement proche de celle que vous avez votée voilà deux ans.
M. François Grosdidier. Avec des cantons deux fois plus petits !
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je remercie notre collègue Alain Richard, dont je connais la compétence en matière d’histoire et de droit constitutionnel depuis la classe de philosophie du lycée Henri IV. Elle n’a jamais été démentie.
Je ne suis pas certain que le général de Gaulle et le comité consultatif constitutionnel, dont faisait partie Louis Jacquinot, l’un de mes prédécesseurs, se soient souciés des cantons à l’été 1958. Je crois que l’idée du suffrage universel égal était beaucoup plus liée au problème colonial et à ce qui était, à l’époque, le projet de « Communauté ». Le canton, la territorialité et le regroupement cantonal n’ont à aucun moment été une puissante préoccupation des ministres de l’intérieur successifs du général de Gaulle, du président Georges Pompidou et du président Valéry Giscard d’Estaing. Je ne suis pas non plus certain que le président François Mitterrand ait regroupé beaucoup de cantons pour atteindre cet objectif d’égalité territoriale.
Mais ce n’est pas sur ce point que je voulais insister. Pour apporter mon soutien à cet amendement, je voudrais revenir sur l’un des paradoxes inhérents au binôme territorial. Mon collègue vient d’ailleurs de l’évoquer indirectement. C’est quelque chose qui me gêne énormément.
M. le rapporteur l’a dit, à un moment, l’intelligence des formations politiques sera de présenter des candidats ayant une assise territoriale pour le binôme. Il est assez vraisemblable que cette assise territoriale ne sera pas de moyenne identique pour chacun des candidats du binôme sur l’ensemble du territoire. Cela veut dire, très concrètement, qu’une section du canton, même si elle n’existe pas juridiquement, sera représentée par l’un des élus du binôme victorieux, alors qu’il sera notoirement minoritaire dans cette section du canton.
Pour reprendre l’exemple de l’environnement, je souligne que les élus cantonaux peuvent avoir des points de vue très différents sur la façon de traiter les déchets ménagers, les stations d’épuration… Ils se retourneront vers leur élu cantonal binominal qui aura l’affectation géographique et qui défendra un point de vue minoritaire dans cette section du canton. Car vous n’interdirez pas aux cantons de garder leur personnalité ; ils correspondent souvent à des petits pays qui ont des singularités.
Nous serons dans la situation suivante : la ville importante ayant entraîné la victoire de tel binôme, la partie démographiquement moins importante qui aura choisi un candidat d’un binôme battu mais majoritaire sur cette fraction du territoire devra s’adresser, pour être défendue, à un élu du binôme notoirement minoritaire dans cette zone. Cela entraînera d’extraordinaires frustrations. C’est la démocratie représentative départementale qui en souffrira. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 38, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 191. – Les conseillers départementaux sont élus à la proportionnelle intégrale sur une seule circonscription électorale, à partir de liste de candidats comportant autant de noms qu’il y a de sièges à pourvoir et composée alternativement d’un candidat de chaque sexe. »
Cet amendement a déjà été défendu.
L'amendement n° 39, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 191. – Le conseil départemental est composé d’élus représentant chaque canton du département et d’élus issus de listes départementales. Ces élus sur listes représentent 30 % de l’assemblée départementale. »
Cet amendement a déjà été défendu.
L'amendement n° 3, présenté par Mme Lipietz, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 191. – Les conseillers départementaux sont élus dans chaque département au scrutin de liste à deux tours sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l’ordre de présentation. Chaque liste est constituée de quatre sections. »
La parole est à Mme Hélène Lipietz.