Sommaire
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
MM. Jean Desessard, Alain Dufaut.
2. Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe. – Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. François Zocchetto, Mme Esther Benbassa, MM. Philippe Darniche, Patrice Gélard, Vincent Eblé, Mme Cécile Cukierman, MM. Yves Détraigne, Robert Hue, Mme Corinne Bouchoux, MM. Jean-Pierre Raffarin, Yves Daudigny, Mme Isabelle Pasquet, MM. Vincent Delahaye, Jean-Vincent Placé, Bruno Retailleau, Mmes Catherine Tasca, Éliane Assassi, Chantal Jouanno, M. Nicolas Alfonsi, Mme Hélène Lipietz, M. Jean-Jacques Hyest, Mme Virginie Klès, M. Philippe Bas, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Charles Revet, Dominique de Legge, Hugues Portelli.
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
MM. Jean-Claude Lenoir, Christian Cambon.
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
MM. Georges Patient, Gérard Larcher, François Rebsamen.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales ; M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois.
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.
Mme Catherine Troendle, MM. François Rebsamen, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, MM. Robert Hue, Jean-Vincent Placé.
Mmes Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille ; Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.
3. Communication du Conseil constitutionnel
4. Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
M. Alain Dufaut.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe
Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (projet n° 349, texte de la commission n° 438, rapport n° 437, avis n° 435).
Nous avons achevé la discussion des articles et nous en sommes parvenus aux explications de vote sur l’ensemble du projet de loi.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. François Zocchetto, pour explication de vote.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, dans la solitude de son palais élyséen, le Président de la République va pouvoir cocher une petite case, la case « Mariage homosexuel » que nous avons qualifié de « Mariage et adoption pour les couples homosexuels ».
Certes, M. Hollande aura au moins une petite satisfaction à l’issue d’une année au pouvoir, mais ce sera la seule, puisqu’il ne cochera pas les autres cases – « J’inverserai la courbe du chômage » ; « Je ferai la guerre à la finance » ; « J’assurerai la sécurité des Français » –, qui risquent d’être oubliées pour longtemps.
Quel est le prix, pour les Français, de cette satisfaction présidentielle ?
C’est tout d’abord un texte bâclé.
Plutôt que de réécrire le code civil à l’aune de l’évolution des couples et des familles, vous avez préféré bricoler un dispositif construit à une autre époque et qui formait un tout.
Vous auriez dû admettre que le système de 1804 ne pouvait, en l’état, répondre à votre souhait, qui est aussi le nôtre, d’assurer aux couples homosexuels considération légitime et droits égaux auxquels ils peuvent légitimement prétendre.
Nous quitterons donc cet hémicycle avec un texte juridiquement fragile qui, je l’espère, fera l’objet d’un examen attentif par le Conseil constitutionnel.
Nous avons formulé des propositions pour vous permettre de sortir de l’impasse dans laquelle vous vous étiez mis en voulant ajouter ce mariage des couples de personnes homosexuelles à ce qui emportait, de par notre code civil, la filiation et l’adoption.
Nous vous avons suggéré l’union civile pour tous, mais là aussi, comme vous l’avez décidé par exemple pour le statut du beau-parent, nous nous sommes heurtés à un mur : au-delà des apparences, il n’y a pas eu débat.
Il n’est d’ailleurs pas étonnant que vous refusiez de débattre dans l’enceinte du Parlement puisque vous n’acceptez même pas d’entendre la population, d’organiser un référendum sur des questions sémantiques ou de recevoir ceux qui représentent plusieurs millions de nos concitoyens.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Vous ne pouvez pas dire cela !
M. François Zocchetto. Au Sénat, pendant une semaine, nous avons bien compris que nous étions seuls pour parler. Où étaient nos collègues de la majorité dans ce débat ? (Là ! sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Souvent, ils étaient absents physiquement. (Non ! sur les mêmes travées.) Oui, ils étaient retenus en commission. (Présent ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.) Oui, ils étaient pris par d’autres tâches. (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.) Ils étaient absents, comme en ont témoigné les scrutins publics successifs.
Mais les sénateurs de la majorité étaient aussi absents par leurs prises de position, et le contraste est frappant avec nous, sénateurs de l’opposition, qui nous sommes exprimés spontanément selon nos divers moyens oratoires, toujours avec passion et conviction.
En face de nous, nous n’avons rien entendu, sinon des invectives ou des interruptions qui n’avaient pas leur place dans le débat.
Au-delà des apparences et de vos grandes qualités d’expression, madame la garde des sceaux, nous avons vraiment eu le sentiment – et je le dis avec le respect qui vous est dû – que vous avez contourné les opinions émises de notre côté.
M. Bertrand Auban. Charmant…
M. François Zocchetto. Tel est le contexte dans lequel ce texte va être adopté.
Les conséquences directes seront les suivantes : cette semaine, dans de grands hôtels parisiens, des laboratoires proposeront leurs services à ceux qui souhaitent, leur disent-ils, s’offrir un enfant parfait. (Protestations sur les travées du groupe écologiste.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Évidemment ! C’est parti !
M. François Zocchetto. Ils rodent déjà sous nos fenêtres.
Voilà concrètement à quoi aboutira ce texte, alors même qu’il n’est pas encore promulgué.
Dans ces circonstances, nous sommes très amers. Soyez bien conscients, mesdames, messieurs les sénateurs qui siégez sur les travées de gauche de cet hémicycle, qu’une majorité de la population partage notre sentiment,…
M. Richard Yung. Croyez-le !
M. François Zocchetto. … car ce qui nous sépare, ce n’est pas l’union des couples de personnes homosexuelles, ce sont les questions de filiation et d’adoption.
Madame la garde des sceaux, à l’issue de cette discussion, vous repartirez du Sénat avec un texte qui est exclusivement le vôtre, puisque ni la représentation nationale ni la population n’ont pu participer à son élaboration et se l’approprier.
Il s’agit, je le répète, d’un texte fragile. Vous laissez une France profondément divisée ; elle n’en avait pas besoin… Vous laissez de futures familles désemparées et des enfants oubliés.
Vous comprendrez que, dans ces circonstances, nous voterons résolument contre ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, permettez-moi, pour cette explication de vote, de ne pas reprendre ici les arguments déjà développés par beaucoup en faveur de l’adoption de ce projet de loi.
Permettez-moi de ne pas céder non plus, en cet instant si solennel, aux séductions de la polémique, et de ne pas répondre une énième fois aux arguments du camp adverse. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Isabelle Debré. « Camp » ? Ce n’est pas gentil !
Mme Esther Benbassa. Je souhaite seulement donner à mon intervention un peu de chair, d’esprit, un peu de cette simple humanité qui a parfois manqué à nos débats, et vous raconter une histoire.
Voilà trente ans, au début des années quatre-vingt donc, alors professeur dans l’enseignement secondaire, j’ai rencontré, dans le fonds d’archives où je préparais ma thèse d’État, un jeune doctorant américain. Par le plus pur des hasards, nous travaillions sur des sujets connexes et exploitions souvent les mêmes sources. Ce jeune homme avait l’aisance et le brio de ces étudiants des grandes universités de la côte Est. Je l’enviais un peu, bien sûr.
M. Christian Cambon. C’est passionnant !
Mme Esther Benbassa. À force de travailler côte à côte, nous finîmes par devenir amis.
Un soir d’hiver, après une longue après-midi passée en bibliothèque, sortant tous deux du métro Châtelet (Exclamations sur les travées de l'UMP.), voilà qu’il me prend par la manche et me fait entrer, presque de force, dans le premier bistrot qu’il trouve (Oh ! sur les travées de l'UMP.),…
M. Jean-Claude Lenoir. Canaille !
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Et alors ?...
Mme Esther Benbassa. … pour me dire quelque chose… pour me dire qu’il est gay et pour me dire sa peur panique que cet aveu ne mette brutalement fin à notre déjà riche amitié. Je n’oublierai jamais son émotion et aussi quelque chose qui ressemblait, chez lui, à de la honte. Je n’oublierai jamais l’expression sombre, anxieuse de son visage.
Je suis peu perméable aux préjugés. Ce n’est pas de la vertu, c’est le fruit, plutôt, d’une histoire. Je fus donc stupéfaite, non de l’aveu, mais de l’angoisse profonde qui s’exprimait avec lui. Ma réponse fut simple, sans doute naïve – j’étais jeune. Je ne comprenais tout bonnement pas pourquoi il se mettait dans un tel état. Son homosexualité ne me gênait pas. Je le prenais et l’aimais tel qu’il était. Il me raconta alors sa vie en parallèle, les humiliations au quotidien, sa peur que d’autres n’apprennent son secret.
Nous sommes restés amis, bien sûr. Aujourd’hui, l’étudiant d’hier, devenu un éminent professeur, assume son identité en toute simplicité, ainsi que son couple. Quand je prononçais ici même mon intervention lors de la discussion générale, c’est à lui que je pensais, à son visage d’alors, tourmenté par l’aveu. Mon émotion, si vous l’avez perçue, c’est de là qu’elle venait, pas de la perspective des débats qui s’annonçaient. Lui me suivait des États-Unis par vidéo interposée. Nous étions fiers, je crois, l’un de l’autre.
C’est donc pour lui, et parce qu’il m’a tant appris, c’est pour tous ces gays et toutes ces lesbiennes qui ont, à un moment de leur vie, tant souffert de ne pouvoir simplement dire leur homosexualité, c’est pour tous ceux et toutes celles qui n’exigent que la banalisation de leur condition, qui n’exigent que l’égalité, et donc la possibilité de se marier et de fonder une famille, c’est pour eux, pour elles, et pour la grandeur de notre démocratie que je voterai, avec le groupe écologiste unanime, ce beau projet de loi, et que je continuerai à me battre.
Pardonnez, chers collègues, la tonalité inédite de cette explication de vote. Vous savez bien que je n’en suis pas à mon premier péché sénatorial. J’assume celui-là comme les autres. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat a encore une fois montré le mur idéologique contre lequel nous avons buté. Vos silences révélateurs d’une consigne de vote et non de l’expression personnelle ont révélé les difficultés dans lesquelles vous vous trouviez.
Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité, nous n’avons pas la même conception de la liberté, car nous avons la liberté de vote, nous voulons l’objection de conscience pour les maires, nous pensons que la liberté n’ouvre pas la porte à toutes les exigences communautaristes. La liberté n’est pas d’avoir l’enfant que l’on veut, comme l’on veut, quand on veut. La procréation médicalement assistée, ou PMA, de convenance et la gestation pour autrui, ou GPA, ce n’est pas notre manière de concevoir la liberté.
Nous n’avons pas la même conception de l’égalité, car, pour nous, ne peuvent être traitées de manière égale des situations analogues. Or, nous l’avons expliqué, la nature fait que seule l’union d’un homme et d’une femme engendre la procréation.
Nous n’avons pas la même conception de la fraternité, car nous aimons la vie et pensons que la première des charités est d’offrir à un enfant un père et une mère, de lui offrir la vérité sur ses origines, sur l’altérité sexuelle qui est complémentaire. Tout comme ma main droite n’est pas ma main gauche, jamais l’homme ne sera la femme, jamais la femme ne sera l’homme. Nous ne laisserons pas l’idéologie du genre balayer tous nos repères ancestraux.
Par votre refus du référendum, par votre mépris des opposants à ce texte, par votre rejet de notre proposition d’union civile et par vos mensonges, vous contribuez à fracturer la société en dehors de tout souci de bien commun.
M. François Rebsamen. Oh là là !
M. Yves Daudigny. Ces propos sont inacceptables !
M. Philippe Darniche. Vous êtes enfermés dans votre obsession d’assouvir les intérêts particuliers d’un lobby homosexuel minoritaire.
Pour l’honneur de l’amour et des enfants qui viendront demain, avec mes collègues non inscrits, je m’oppose à ce texte car je m’oppose à cette destruction de la famille. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, avec le vote de ce projet de loi, nous voilà partis sur une barque qui n’a ni rames, ni voiles, ni gouvernail, ni moteur,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Dans ce cas, elle va rester sur place !
M. René Garrec. Oh non ! Hélas !
M. Patrice Gélard. … et qui est lancée dans le brouillard.
En fait, on ne sait pas où nous mènera l’adoption de ce texte, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, ce projet de loi se fonde sur une vision faussée de l’égalité. Nous ne souscrivons pas à la conception que l’on veut nous imposer, à savoir que l’égalité, quoi qu’il arrive, serait la même pour chacun, quelle que soit sa situation, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle doit s’exercer.
Deuxièmement, le présent texte repose sur une analyse insuffisante, qui, comme nous l’avons déjà souligné, ne tient pas compte de l’opinion publique.
Chers collègues de la majorité, je ne comprends pas pourquoi vous n’avez pas voulu accepter les solutions simples que nous apportions. Je songe notamment à l’union civile, qui permettait de résoudre le problème alors que le projet de loi tel qu’il apparaît ne prévoit pas de véritable mariage : seul un ersatz de mariage est proposé ! Nous le verrons bien dans la pratique, le mariage des couples de personnes homosexuelles n’est pas la même chose que le mariage des couples de personnes hétérosexuelles, et ne peut pas être la même chose !
De même, vous n’avez pas tenu compte de nos avertissements sans cesse répétés concernant l’inconstitutionnalité de toute une série de mesures contenues par ce texte. Ces inconstitutionnalités se sont d’ailleurs développées jusqu’à la fin de la discussion des articles, en particulier avec la dénégation de l’article 2 du code civil qui, comme chacun le sait, a valeur constitutionnelle.
Face à cette situation, on nous assure que le mariage sera désormais le même pour tous. Non ! Le mariage homosexuel n’est pas le même que le mariage hétérosexuel et ne sera jamais le même car, en définitive, les règles de la filiation ne peuvent pas être similaires.
De surcroît, on est en train de mettre en place un système par lequel les enfants auront des statuts différents selon les cas : les premiers seront adoptables de façon plénière, les deuxièmes seulement de façon simple, les troisièmes ne pourront être adoptés par aucun des deux conjoints. Résultat : ce texte va engendrer une situation d’inégalité, alors que – là encore ! – notre solution était de nature à satisfaire tout le monde. Il s’agissait de l’adoption simple, qu’il fallait naturellement moderniser et adapter. Nous avons présenté un certain nombre d’amendements à cette fin. Ils n’ont malheureusement pas été acceptés.
Dès lors, dans quelle direction nous orientons-nous ? Je le répète, avec le texte qui nous est aujourd’hui proposé, nous sommes tout simplement lancés dans un brouillard juridique et constitutionnel où se perdent les fondements essentiels du contrat social qui nous unit tous. Sans doute n’a-t-on pas suffisamment réfléchi aux conséquences que ce projet de loi peut avoir sur l’ensemble de notre société ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Eblé.
M. Vincent Eblé. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de l’examen de cette belle réforme conduisant à l’ouverture de l’institution du mariage aux personnes de même sexe.
À mes yeux, ce texte opère une double avancée.
La première avancée concerne les couples de personnes de même sexe qui souhaitent inscrire leur amour dans la conjugalité. Sans doute faut-il se féliciter qu’au cours du débat on ait de multiples fois réaffirmé ici, et sur toutes les travées, que l’amour homosexuel a toute sa place dans la société française d’aujourd’hui, qu’il mérite une reconnaissance sociale, et que l’homophobie, trop longtemps présente – jusque dans notre arsenal juridique et pénal ! –, est désormais clairement écartée, interdite et dénoncée.
Si cette affirmation partagée est sincère, nous franchissons alors aujourd’hui une étape positive pour le vivre-ensemble, sans discrimination, sans ostracisme et sans exclusion fondée sur les préférences sexuelles. De notre point de vue, cette affirmation se traduit par une évidence : l’ouverture de l’institution du mariage aux personnes de même sexe.
Dans quelques instants, nous verrons si cette perspective est majoritaire au sein de la Haute Assemblée. Pour ma part, je le crois et je l’espère.
La seconde avancée qu’opère cette importante réforme est peut-être moins consensuelle. Je souhaite néanmoins m’y arrêter quelques instants. Elle concerne les enfants que les couples ainsi constitués peuvent accueillir.
Il ne viendrait à personne l’idée saugrenue d’affirmer que le processus d’accueil de ces enfants s’est exempté des exigences de la nature. À cet égard, il n’y a aucune fiction, car il ne peut pas en exister ! Les enfants eux-mêmes sont bel et bien les premiers à le savoir.
Les modalités d’accueil des enfants sont nombreuses, de même que les formes des familles le sont, et ce depuis fort longtemps : enfants issus d’un premier couple hétérosexuel et élevés par un couple homosexuel ; enfants issus d’une procréation médicalement assistée ou d’une gestation pour autrui à l’étranger – cette méthode a beau être contraire à notre droit, elle n’en existe pas moins, nous le savons tous ! – ; enfants adoptés, bien sûr, par un parent isolé, conformément aux exigences de la loi, et même si cette personne vit en couple, sorte de mensonge légal.
Toutes ces situations existent, et ces enfants doivent nous importer au premier chef. Ils sont d’ores et déjà présents en nombre au cœur de notre société, et notre responsabilité est de leur assurer la place qui leur revient.
La question n’est donc pas : « Par le mariage pour tous, faut-il permettre à des enfants de couples homosexuels de survenir ? » Le mariage ne fait pas les enfants ! À preuve, le mariage des personnes de même sexe n’existe pas encore à ce jour, et les enfants sont, eux, déjà là par dizaines, voire par centaines de milliers !
La question est donc : « Le mariage pour tous offre-t-il de nouveaux droits protecteurs aux enfants de couples homosexuels ? » Cette fois, la réponse est naturellement positive. En particulier, en faisant cesser l’insécurité juridique du conjoint survivant, qui deviendra héritier et touchera une pension de réversion, ce mariage protégera les enfants ! Il serait absurde que ces derniers soient qualifiés d’orphelins parce qu’un des deux parents qui les élèvent disparaît. Au demeurant, ce qui est vrai dans le cas d’un décès l’est également pour une séparation. L’autorité parentale conjointe est évidemment un acquis formidable.
De plus, la reconnaissance sociale des couples confirme le refus par la représentation nationale de toute discrimination homophobe. L’accès offert à la charge symbolique du mariage est une conquête d’égalité. La protection juridique complète des enfants a pour but non pas de prétendre à une filiation naturelle fictive, qui ne peut pas être puisqu’elle est impossible, mais de confirmer le lien étroit de parentalité qui se noue dans la relation conjugale ouverte à tous les couples.
Telle est la double avancée que nous appelions de nos vœux et qui, demain, fera progresser une nouvelle fois l’égalité et la fraternité dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, si l’égalité est une commune aspiration de l’Homme, à l’évidence, il n’est pas dans la nature de chacun de l’établir spontanément. Pourtant, nous avons toutes et tous ici cette lourde responsabilité.
Chers collègues, comme je vous le disais au premier jour de nos débats, il y a déjà plus d’une semaine, l’égalité ne se négocie pas, elle s’applique. Il revient à l’autorité supérieure de l’imposer et de la faire respecter afin qu’elle ne devienne que normalité. C’est là la fonction régalienne de la loi : protéger et ne pas contraindre.
Cette égalité que nous défendons aujourd’hui est non seulement un droit fondamental de la personne humaine mais aussi une valeur sociale et politique essentielle du système démocratique.
Ainsi, ce projet de loi s’inscrit dans la lignée des combats historiques et des conquêtes d’émancipation sociale, qu’il s’agisse du droit à disposer de son corps grâce à l’IVG ou de la fin de toute pénalisation de l’homosexualité, survenue en 1982 seulement !
Le groupe CRC a toujours été de tous les combats contre les discriminations et des luttes pour les droits des personnes dites LGBT. C’est naturellement qu’il y a pris part et qu’il votera ce texte, car ce dernier participe du combat universel pour la reconnaissance de toutes et de tous dans leurs diversités sans ôter aucun droit à qui que ce soit.
Durant ces longues journées de débats, les sénateurs communistes ont mené le combat de la laïcité contre l’invocation de l’ordre moral qui, à mon sens, a fortement dérapé à l’extérieur de notre hémicycle, dans les rues voisines du Sénat ; ils ont mené le combat contre toutes les injustices que légitiment tous les discours et les actes homophobes ; enfin, ils ont mené le combat pour la reconnaissance de toutes les familles dans l’intérêt des enfants actuellement privés d’un cadre protecteur et épanouissant.
Notre but a été de répondre à l’intérêt général, celui des enfants nés et élevés au sein de ces familles, quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense. À ce titre, nous n’avons aucun jugement à porter.
Nous avons exprimé le refus de toute hiérarchisation des individus et des familles fondée sur l’orientation sexuelle. Ce faisant, nous avons poursuivi notre objectif politique : la protection de toutes et de tous dans notre société, que nous voulons toujours plus juste et plus protectrice. Nous avons défendu nos exigences jusqu’au bout des valeurs républicaines.
Au cours de ce débat, différents points de vue se sont exprimés, certains beaucoup plus souvent et plus longuement que d’autres. Nous avons entendu divers arguments, certains ayant pour simple but de provoquer, mais d’autres, nous l’entendons, visant à alerter et à présenter d’autres propositions.
Toutefois, je le répète, l’égalité ne se négocie pas.
Chers collègues de l’opposition, vous nous avez effectivement proposé l’union civile. Mais, pour en discuter, il faut pousser la logique à son terme : puisque l’égalité ne se négocie pas, supprimons le mariage et débattons de l’union civile ! Sinon, permettons à toutes et à tous d’accéder au mariage. Ne créons pas deux statuts et deux droits !
Nous restons donc convaincus que ce texte rejoint les lois émancipatrices qui font de notre code civil un livre protégeant toutes les familles, sans jamais imposer de contrainte.
La demande sociale de changement dans l’ordre familial a été très forte durant le XXe siècle. Dès ses premières années, des réformes ponctuelles l’ont jalonné, qui ont modifié le divorce et la filiation puis transformé la puissance paternelle. Vinrent ensuite les grandes lois de 1964 et 1972.
Cette recomposition exalte avant tout l’égalité : égalité de l’homme et de la femme, égalité des filiations dans la vie en couple. Aujourd’hui nous pouvons le dire, et nous pourrons bientôt l’affirmer, s’y ajoute l’égalité de tous les couples devant toutes les unions possibles.
Nous sommes fiers à l’idée de voter ce texte dans quelques instants. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, désormais, un homme pourra épouser un homme, une femme pourra épouser une femme, et ces couples pourront adopter des enfants qui auront deux papas ou deux mamans, en attendant évidemment de pouvoir recourir à la PMA – pour les couples de femmes – et à la GPA – pour les couples d’hommes. Cette évolution viendra nécessairement : nous en avons eu la preuve cette nuit, avec les amendements déposés par notre collègue Esther Benbassa. Ce n’était pas le moment d’en discuter, mais ces propositions reviendront et l’on ouvrira inévitablement la GPA et la PMA aux couples homosexuels !
Comme disait Pierre Dac, autre Marnais célèbre et résistant bien connu : « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites. » (Sourires.) À mon sens, nous sommes en train d’en faire la démonstration !
Les groupes UDI-UC et UMP ont proposé une formule qui répondait aux attentes légitimes des couples homosexuels, à savoir l’union civile. Mais il n’était pas question de parler d’union civile, puisque, dans ses propositions, le candidat François Hollande évoquait, lui, le mariage pour tous !
Comme on nous l’a expliqué, notamment au cours des deux premiers jours de ce débat, le candidat François Hollande étant devenu Président de la République, les Français ont d’ores et déjà adopté le mariage pour les couples homosexuels. Ah, si seulement il en était de même pour les propositions formulées en matière économique ! En effet, si j’en crois cette théorie, les Français ont voté pour le redressement économique de notre pays. Il semble, hélas ! que ce chantier soit un peu plus compliqué à mettre en œuvre…
Vous me permettrez par ailleurs de m’étonner que, à propos d’un texte qui touche à l’humain, aux fondements de notre société, la majorité ait été aussi peu présente ― combien de scrutins publics… ― et aussi peu diserte. Je n’arrive pas à croire que les tenants d’une vraie démocratie, ceux qui écoutent plus que nous, semble-t-il, les attentes de la population, aient pu donner des consignes de vote sur un sujet touchant aux convictions personnelles. Je souhaite me tromper ; rassurez-moi ! Je crains malheureusement que ce silence et cet absentéisme ne soient trop éloquents !
Vous avez commencé à saper l’institution du mariage, l’institution de base de notre société des hommes et des femmes, autour de laquelle tant de choses se sont construites. Vous avez refusé les autres solutions. Je le regrette pour notre société. Vous accélérez en effet sa désorientation alors même que l’on se plaint depuis des années du manque de repères des jeunes générations.
Vous comprendrez dans ces conditions que je vote contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, je ne veux pas galvauder la formule, mais le moment que vit le Sénat est historique.
M. Charles Revet. Oh là là !
M. Robert Hue. Après avoir débattu pendant près d’une semaine, nous nous apprêtons à mettre fin à une inégalité. C’est bien au nom de l’égalité, ce principe inscrit au frontispice de notre République, qui fait la grandeur de notre pays, que, demain, des couples homosexuels pourront se marier, adopter, élever des enfants, mais aussi divorcer comme n’importe quel autre couple – il faut aussi le rappeler.
C’est toujours au nom de l’égalité que les personnes de même sexe pourront jouir de leur droit à vivre une vie familiale normale, à l’image des couples hétérosexuels, dans l’indifférence de l’État, sous réserve, bien sûr, du respect de l’ordre public.
C’est enfin au nom de l’égalité que les enfants adoptés par des familles homoparentales bénéficieront enfin du même statut juridiquement protecteur que tous les autres enfants nés d’une union hétérosexuelle.
L’histoire de la République, que nous avons en commun dans cet hémicycle, nous enseigne que la liberté demeure une fiction si l’égalité est sacrifiée à son seul profit. Aujourd’hui, nous ajoutons un degré de plus à ce délicat équilibre, car « il ne peut y avoir ni vraie liberté ni justice dans une société si l’égalité n’est pas réelle », comme l’écrivait Condorcet – certains l’auront reconnu.
Pour notre part, nous nous réjouissons de contribuer à la marche du progrès, mais nous restons conscients, malgré tout, qu’il reste beaucoup à faire pour que les discriminations dont sont victimes les homosexuels dans notre pays continuent à reculer pour enfin disparaître.
Plus que jamais, nous sommes convaincus que l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe ne provoquera pas le changement de civilisation ou le changement anthropologique que certains ici redoutent, ainsi qu’ils l’ont longuement exprimé. Bien au contraire !
S’il n’appartient pas au droit de dicter les faits, le droit ne peut ignorer le réel, tel un concept abstrait enfermé dans le monde des idées.
M. Patrice Gélard. Vous êtes gonflé !
M. Robert Hue. Le droit, qu’il nous appartient constamment de créer et d’améliorer, doit correspondre à la réalité sociale d’aujourd’hui, et c’est pourquoi nous faisons œuvre utile en ouvrant le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe.
L’histoire montre que la notion même de modèle familial est contingente et évolutive, et nos débats se sont largement épanchés sur ce point. Le statut de l’épouse ou des enfants adultérins et naturels ont fait l’objet d’évolutions majeures durant les dernières décennies, et il n’existe donc aucune raison pour que nous nous arrêtions sur cette voie.
Oui, cette réalité ne peut plus être ignorée ! L'hypocrisie de la société à l’égard des enfants nés dans des familles homoparentales doit cesser : ces enfants sont élevés avec le même amour et la même attention que dans n’importe quelle autre famille. Leur intérêt supérieur commande que leur soient offertes et garanties les conditions nécessaires à leur développement.
Madame la garde des sceaux, madame la ministre, je vous remercie d’avoir porté ce texte avec éloquence et avec toute la passion nécessaire pour concevoir une œuvre législative difficile mais désormais pratiquement aboutie. Je souhaite également remercier nos rapporteurs, dont la minutie a éclairé nos travaux.
Enfin, je souhaite saluer, avec toute la courtoisie républicaine qui s’impose, nos collègues, toutes sensibilités confondues, pour leur engagement déterminé dans le débat. Certes, nos positions divergent et les débats ont pu être parfois assez virulents, mais c’est aussi l’honneur du Parlement d’être le réceptacle du pluralisme, dans le respect des valeurs qui transcendent nos clivages.
M. Jean-Claude Lenoir. Merci !
M. Robert Hue. Mesdames les ministres, mes chers collègues, c’est en nous réjouissant que l’égale dignité des citoyens soit demain renforcée que la grande majorité des membres du groupe du RDSE votera ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec le vote de cette loi, les gays et les lesbiennes, ou, même s’ils ne se nomment pas comme tels, un homme qui aime un homme, une femme qui aime une femme, pourront choisir de vivre seuls, de vivre en union libre, de vivre pacsés, de se marier ou non, de fonder une famille ou de ne pas le faire, d’avoir des enfants et de les élever, avec des droits et des devoirs.
Il s’agit d’une loi de liberté et d’égalité qui n’enlève rien à personne. Puissions-nous, malgré la virulence du débat à certains moments et les faits regrettables qui se sont produits à l’extérieur de cette enceinte, en faire une loi de fraternité ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous venons de vivre un débat intéressant, même s’il fut pour nous profondément décevant.
Je voudrais, pour commencer, relever deux petites satisfactions. Tout d’abord, après notre mise au point à la suite du dérapage de M. Laurent, les accusations d’homophobie contre notre groupe ont cessé dans cette assemblée. Elles étaient pour nous inacceptables (Très bien ! sur les travées de l'UMP.) et nous n’aurions pu participer plus avant au débat si elles s’étaient poursuivies.
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. Nous n’avons d’ailleurs plus revu M. Laurent !
M. Charles Revet. Il n’est pas revenu !
M. Jean-Pierre Raffarin. Je remercie donc tous nos collègues pour le respect réciproque dont nous avons su faire preuve sur ces sujets.
Une autre satisfaction fut la controverse, très symbolique de notre débat, le choc des talents latinistes entre Jean-Jacques Hyest et Jean-Pierre Sueur : la bataille du nominatif contre l’accusatif !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. En effet, c’était très intéressant !
M. Jean-Pierre Raffarin. Car il s’agit, au fond, d’un point très significatif. Le camp du nominatif est le camp du nom, du sujet, le camp de l’accusatif celui de l’objet et de l’accusation ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. ― Oh ! sur les travées du groupe socialiste.) Permettez-moi de répondre à votre joute par cette boutade !
Je poursuivrai en affirmant une nouvelle fois qu’il y a dans ce texte une double faute politique !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Attention au passif, maintenant !
M. Jean-Pierre Raffarin. Tout d’abord, le pays vit un choc social majeur, le chômage augmente depuis vingt-deux mois et va continuer à progresser puisque les lourdes actions nécessaires n’ont pas été engagées. Alors que cette souffrance sociale est la première des souffrances de la société, on ne donne pas le sentiment – et c’est la première faute – qu’elle est la priorité du législatif et de l’exécutif.
Nous nous trouvons dans une crise morale majeure, qui attaque toutes les institutions, qui nous atteint, les uns et les autres, dans notre éthique, ce que nous avons de plus cher. Et nous donnons le sentiment de répondre à côté des préoccupations des Français.
Je crois que cette faute-là est lourde, qu’elle nous sera reprochée, qu’elle vous sera profondément reprochée. À une crise sociale et à un choc moral, vous ajoutez une rupture sociétale.
Ensuite – et j’en viens à la seconde faute –, je regrette que nous soyons passés à côté de véritables avancées consensuelles pour notre pays. Notre histoire nous a montré – et j’avais pris l’exemple du voile à l’école, à cet égard – que, quand nous sommes capables de trouver des consensus, nous sommes respectés dans la société !
Ne croyez pas que le vote de la loi effacera la rupture que vous avez créée ! Cette dernière a jeté dans la rue des centaines de milliers de gens qui ne comprennent pas et qui le disent. Ils resteront sur leurs positions ! Ce qui était au départ un choc de conscience devient un choc de conviction et suscite des blocages dans la société que le vote de la loi n’effacera pas. (M. Gérard Larcher opine.)
Nous aurions pu avancer ensemble sur les droits des couples homosexuels, puisque nous souhaitions tous les améliorer. Non par compassion seulement, comme le disait Mme Esther Benbassa, mais avant tout par respect, ce qui est fondamental pour faire la loi. C’est ce respect qui aurait pu nous permettre d’avancer ensemble sur le statut du couple homosexuel, mais également vers une nouvelle pensée de l’adoption.
En créant l’Agence française de l’adoption, nous avions en effet pris la mesure de la situation d’échec que vivait notre pays dans ce domaine. Je dois avouer que notre volonté de repenser cette politique n’a pas suffi à surmonter les échecs. L’adoption reste en effet un échec dans notre pays.
Vous avez rendu la situation plus complexe sans régler aucun des problèmes de notre société. Il y a là vraiment une occasion ratée : alors que nous faisions preuve de bonne volonté, il n’y a pas eu débat ; vous n’avez en effet pas favorisé une méthode politique de rassemblement, une méthode qui aurait pu permettre que, sur ces sujets majeurs, sur ces sujets de conscience, nous adoptions une approche de rassemblement.
Enfin, j’évoquerai avec regret une dimension du sujet qui a été presque absente de notre débat : la dimension spirituelle. L’enfant est-il reçu ou est-il désiré ? Il y a eu quelques oppositions à cet égard. Je crois quant à moi qu’un enfant est à la fois reçu et voulu. Le lien entre l’enfant, la mère et le père est un lien historique. C’est un lien de création et de dépassement. René Char avait cette belle phrase : « Aimer, c’est vouloir que les choses soient ce qu’elles sont ».
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est aussi vouloir qu’elles changent, c’est souhaiter la transformation !
M. Jean-Pierre Raffarin. Cela signifie qu’existe à côté de la volonté une part de réalité que certains appellent « immanence », d’autres lui donnant un nom différent. C’est la conscience d’une réalité qui nous est imposée parce que plus grande que nous. Le lien historique qui unit le père, la mère et l’enfant nous dépasse.
Sommes-nous légitimes à toucher, par ce travail législatif, à ce lien d’humanité, ce lien de vie qui concerne la naissance, la création et le dépassement ? C’est une grande question pour moi, mais je ne crois pas que la réponse soit nécessairement positive.
Je ne conteste pas votre ambition de paradis social ; je ne conteste pas votre volonté d’améliorer la vie sociale ; je ne conteste pas que la dimension sociale soit très importante. Mais je pense à Henri de Lubac qui disait : « Un paradis social peut être un enfer spirituel. » (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Hou là là !
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Madame la garde des sceaux, j’étais présent dans l’hémicycle ce jeudi 4 avril quand vous êtes montée à la tribune pour présenter ce projet de loi relatif à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.
Depuis ce jour, j’ai peu quitté ma place et j’ai vécu des moments intenses de travail parlementaire, des tensions vives, parfois des rires. J’ai surtout ressenti beaucoup de fierté : fierté de participer à la construction d’un texte soutenu par mon groupe avec cohérence et cohésion, sans ambiguïté, un groupe animé d’une formidable conviction de promouvoir l’égalité des droits pour toutes et tous quelle que soit leur orientation sexuelle.
On nous a opposé que ces jours auraient pu être plus utilement consacrés à l’examen de la situation économique de notre pays. Mes chers collègues, le temps de la démocratie n’est jamais perdu quand il est consacré à construire de nouveaux espaces de liberté, quand il met fin à une discrimination vieille de deux siècles, quand il est guidé par les idéaux de justice et d’égalité !
Je veux, madame la garde des sceaux, madame la ministre chargée de la famille, vous remercier, chacune, de votre engagement, de votre talent, de votre capacité à argumenter et à répondre aux interrogations, ainsi que du respect que vous avez témoigné pendant toutes ces heures aux membres de la Haute Assemblée. Madame la garde des sceaux, vous nous avez très souvent subjugués.
Je tiens aussi à adresser mes remerciements à M. le rapporteur, à Mme la rapporteur pour avis, à M. le président de la commission des lois, ainsi qu’aux présidents de séance qui se sont succédé.
Je veux également remercier mes collègues de la majorité sénatoriale, qui, au-delà de leur détermination, ont manifesté tant de patience, d’écoute et de sérénité.
Je veux, enfin, remercier nos collègues de l’opposition de leur tolérance.
Nous oublions, en cet instant, les répétitions, les tentatives de désinformation, les amalgames et les confusions. Nous oublions tout cela parce que le vote de la loi traduisant l’engagement du Président de la République d’ouvrir le mariage et l’adoption à droit constant aux couples de personnes de même sexe est un vote emblématique, un vote qui marquera l’histoire.
C’est bien le mariage, avec toute sa charge symbolique et toutes ses règles d’ordre public, qui s’ouvre aux couples de personnes de même sexe, avec les mêmes conditions d’âge et de consentement de la part de chacun des conjoints, avec les mêmes interdits, les mêmes prohibitions, avec les mêmes obligations d’assistance, de fidélité et de respect, avec les mêmes obligations pour chaque conjoint, l’un à l’égard de l’autre, les mêmes devoirs des enfants vis-à-vis de leurs parents, et inversement.
C’est selon les mêmes processus et dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels et les couples homosexuels pourront adopter. L’agrément sera accordé en vertu des mêmes règles par les conseils généraux. L’adoption sera prononcée dans les mêmes conditions par le juge, conformément à l’article 353 du code civil, qui dispose que l’adoption est prononcée si elle est conforme aux droits de l’enfant.
Aujourd'hui, nous parachevons l’évolution vers l’égalité d’une institution, le mariage civil auquel la constitution de 1791 a donné naissance.
Cette évolution a d’abord concerné les femmes. Comment imaginer aujourd'hui que les femmes avaient encore besoin, il y a quarante ans, de l’autorisation de leur époux pour ouvrir un compte bancaire ?
Elle a aussi progressivement reconnu les droits des enfants. Ce n’est qu’en 1972 que le législateur a cessé d’établir une différence entre les enfants légitimes et les enfants naturels.
Enfin, cette évolution rend aujourd'hui justice aux personnes homosexuelles. L’homosexualité ne doit pas seulement être dépouillée de ses qualifications d’infraction, de fléau, de maladie ou de péché. Elle doit bénéficier de droits et de devoirs équivalents à ceux de l’hétérosexualité.
Autrefois, institution de propriété, de possession et d’exclusion, le mariage devient aujourd'hui une institution universelle. Des droits nouveaux sont accordés, et aucun droit n’est ôté à ceux qui les possèdent déjà. Chacun a le droit de s’unir avec la personne qu’il aime, de protéger son conjoint, de fonder une famille, avec des enfants reconnus et protégés.
Mes chers collègues, dans cette évolution, la France n’est pas seule. Elle rejoint les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne, le Canada, l’Afrique du Sud, la Norvège, la Suède, le Portugal, l’Islande, l’Argentine, mais aussi le Royaume-Uni et l’Uruguay.
Si des États des Nations unies considèrent encore aujourd'hui que l’homosexualité est un crime, aucun de ceux que je viens de mentionner n’a sombré dans le chaos ou la guerre civile.
Le groupe socialiste votera ce projet de loi : permettez-moi, en conclusion, de citer Montesquieu : « Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi, mais elle doit être loi parce qu’elle est juste. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, avec le vote de ce projet de loi, nous pouvons nous féliciter de voir s’ériger enfin, à côté du droit du mariage, un véritable droit au mariage, dont chacune et chacun pourra se prévaloir.
Les mesures que nous avons adoptées durant ces longs jours de débat ne feront que traduire les évolutions de notre société. Le législateur en a simplement pris acte et, dans l’intérêt général, il lui revient aujourd’hui de voter ce projet de loi, afin que l’ensemble des citoyens bénéficient des mêmes protections, des mêmes droits et des mêmes obligations.
L’intérêt de l’enfant a beaucoup été invoqué durant cette longue discussion. La question de l’égalité n’a pas occulté celle de l’homoparentalité, loin de là, et je dirai même que les principales oppositions se sont cristallisées sur le point essentiel qu’est le bien-être de nos enfants. Voilà qui est rassurant, même si les réponses diffèrent en fonction des travées sur lesquelles nous siégeons.
Ouvrir un droit qui combat les discriminations est, à mes yeux, protecteur. Nous avons entendu les inquiétudes de chacune et de chacun, mais nous sommes convaincus que cette loi n’est que bienfait pour les enfants. Les arguments consistant à dire que cette loi détruira la famille ne sont que fantasmés. La famille en sortira au contraire renforcée !
Les arguments invoquant d’hypothétiques risques physiologiques ou psychologiques encourus par un enfant élevé par un couple homosexuel ne sont pas plus pertinents.
En effet, n’oublions pas que notre motivation première est de répondre à la détresse d’enfants nés ou qui naîtront dans ces familles. Leur protection est aujourd'hui fragilisée par l’absence de lien juridique de l’un des deux parents avec l’enfant qu’il élève avec son conjoint. L’intérêt des enfants commande qu’ils puissent enfin bénéficier, comme les autres, de la protection de la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, à l’issue de ce débat, je relèverai les points qui m’ont marqué.
Tout d’abord, nous avons assisté à un dialogue de sourds, qui restera dans les annales de la Haute Assemblée et servira sans doute, dans le futur, aux instituts d’études politiques pour l’étude d’un cas de figure qu’il ne faut bien sûr pas suivre !
Ensuite, j’ai été frappé par la façon dont le Gouvernement et la majorité ont minimisé, caricaturé et, plus grave encore, ignoré l’émotion et les convictions exprimées par des centaines de milliers de Français pendant que nous débattions.
En outre, à la crise politique majeure que nous vivons actuellement, à la crise économique et sociale que nous connaissons, nous ajoutons une crise sociétale, ce qui n’est pas une bonne chose.
Enfin, le Gouvernement devrait rassembler. D’ailleurs, tous les élus doivent rassembler : quand on est un élu local, on cherche à rassembler au niveau local ; cet esprit de rassemblement devrait également prévaloir au niveau national. Or nous nous sommes au contraire heurtés à un mur, un mur de convictions sans doute, mais un mur inébranlable.
Sur le fond, il y a ici une quasi-unanimité, je pense, pour reconnaître aux homosexuels le droit de vivre en couple, pour admettre qu’ils ont subi depuis des années des discriminations et pour nous opposer à ces dernières. Nous sommes donc tout à fait favorables à une partie du texte, de même qu’à la reconnaissance de leurs droits sociaux et fiscaux, et nous aurions pu, me semble-t-il, aboutir à un vote unanime sur le sujet.
Toutefois, pourquoi céder à la frange la plus extrême des homosexuels, le collectif Inter-LGBT ? Pourquoi créer un droit à l’enfant, qui n’existait absolument pas jusqu’à présent ? Pourquoi donner la primauté de ce droit à l’enfant par rapport aux droits de l’enfant ? Pourquoi créer un nouveau type d’enfant ?
Certes, des enfants vivent aujourd'hui avec deux hommes ou deux femmes, mais la nouveauté, avec cette loi, c’est que, demain, des enfants auront deux papas ou deux mamans. Pourquoi, s’agissant de l’être humain, des enfants à naître, ne pas mettre en avant le principe de précaution, si souvent utilisé à tort et à travers sur certaines travées ?
Mes chers collègues, j’avais abordé ce débat avec une volonté constructive, mais je me suis aperçu qu’une telle volonté n’existait que d’un côté de l’hémicycle : si des opinions différentes se sont exprimées à droite et au centre, à gauche, on n’a entendu aucune différence – et on n’a d’ailleurs pas entendu grand-chose… Or, dans l’opinion publique, on le sait, le clivage se situe non pas entre la gauche et la droite, mais au sein même de chaque camp.
Je l’ai indiqué dans certaines de mes interventions, si des personnes ont osé s’exprimer à gauche, elles l’ont fait en dehors des hémicycles. J’ai cité Élisabeth Guigou, et ceux qui voudront bien se référer à l’intervention qu’elle a faite sur le PACS voilà quatorze ans la trouveront très instructive : son virage à 180° sur un tel sujet décrédibilise, à mon avis, la parole politique. Mais je pourrais également citer Lionel Jospin, ancien Premier ministre, son épouse (Mme Esther Benbassa s’exclame.), ainsi que beaucoup d’élus de gauche. Cela prouve qu’il y a aussi des courageux à gauche. J’aurais aimé en entendre ici, mais j’ai l’impression qu’on les a bâillonnés !
Mme Isabelle Debré. Tout à fait !
M. Vincent Delahaye. Cela donne l’impression que la discussion a été, comme je l’indiquais au début de mon propos, un dialogue de sourds. Le débat n’a pas eu lieu, et c’est fort dommage.
Pour des raisons tenant à la fois à l’attitude du Gouvernement, à la création d’un droit à l’enfant et d’un nouveau type d’enfant et à l’ouverture de la PMA et de la GPA – vous ne nous avez pas du tout rassurés sur ce point, madame la garde des sceaux –, suivies sans doute demain de la marchandisation des enfants, je voterai, comme la quasi-unanimité du groupe UDI-UC, contre ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, je veux me réjouir, au terme de ce débat, de la passion qui a embrasé nos travées.
Majorité, opposition, nous n’avons pas ménagé nos forces. Nous nous sommes battus, pied à pied, car nous avions malgré tout un point commun : la conscience que ce texte était tout, sauf anodin.
Ces derniers jours, divers arguments juridiques ont été égrenés, défendus, développés. Dans le cadre des explications de vote, je vous propose de les oublier.
Oublions tout cela ! Oublions la technique, les arcanes du droit pour nous attacher une ultime fois au cœur du projet de loi, le mariage !
J’entends la crainte profonde que certains d’entre vous ont exprimée, celle que l’on touche à quelque chose de sacré : le mariage. Aussi, c’est à vous, collègues de l’opposition, que je veux m’adresser.
Oui, le mariage est sacré. Bien sûr qu’il l’est ! Et je ne parle pas ici de religion. D’ailleurs, qui, ici, parle de religion ? Nous sommes laïcs et républicains !
M. Jean-Pierre Raffarin. Cela n’interdit pas de parler de la religion !
M. Jean-Vincent Placé. Nous parlons de mariage civil et, je vous le dis, le mariage civil est à mes yeux sacré !
L’essence du mariage, c’est le couple. Et le ciment de ce couple, c’est l’amour.
L’amour. Un mot que l’on n’a pas assez entendu ces derniers temps. Pourtant, c’est en cela que le mariage est sacré dans nos cœurs.
Chers collègues, nous en avons parlé hier, je vous propose de lever vos bulletins de vote ! Affichez fièrement la couleur ! Et dites que, oui, vous acceptez qu’ils s’aiment et qu’elles s’aiment !
Dites que, oui, en France, être homosexuel, c’est être et vivre comme tout le monde.
Dites que, oui, nous sommes du même monde, que nous partageons les mêmes envies dans la vie : être heureux, être compris, pouvoir dire « oui » devant un maire, sa famille, ses amis, tous ses proches, fonder une famille.
Dites, que, oui, il pourra déclarer à tous et à toutes : « c’est lui que j’ai choisi » et qu’elle pourra dire à tous et à toutes : « c’est elle que j’ai choisie. »
Cette loi semble heurter certaines sensibilités. C’est pourtant dans ces moments, rares, que l’on se trouve face à soi-même avec le pouvoir de participer, en toute liberté, à une révolution majeure de notre société. Chacun a le pouvoir de corriger une règle de notre société, en se disant que l’on devait être bien aveugle pour ne pas avoir pris cette décision plus tôt. Notre société doit se débarrasser de ses peaux mortes. Elle doit préserver et cultiver les belles choses qu’elle a construites au fil du temps, mais tourner le dos à l’inégalité.
Je suis hétérosexuel, comme la plupart d’entre vous. Si l’on venait ici vous dire que vous n’avez pas le droit d’épouser celle que vous aimez, vous répondriez : « Et de quel droit ? » Cela vous semble absurde ? Mais pourtant c’est bien de cela qu’on parle ! Et c’est ce que ressentent certains !
Cela a été dit, de nombreux pays ont déjà adopté cette loi. Sentez le vent de l’histoire qui souffle autour de nous sur ces travées ! C’est pour cela que je me suis engagé en politique. Et je n’ai plus de mots pour vous dire la fierté qui est la mienne d’être parmi ceux et celles qui, dans l’histoire de notre pays, auront soutenu ce noble combat aujourd’hui.
Nous avons débattu, et longuement débattu. Personne n’aura su me démontrer qu’il n’y a pas une injustice patente, et une injustice que nous devons enterrer maintenant !
On nous regarde – je ne parle pas de ceux qui suivent notre débat dans les tribunes, que je salue ; je vois nombre de visages amis… – dans la rue ou à la télévision. Mais je pense aux enfants, aux petits-enfants de la France de demain, qui seront d’ailleurs issus de couples hétérosexuels ou de couples homosexuels. Ceux-là regarderont ce jour avec le respect et l’émotion que l’on ressent pour les moments qui marquent les grandes avancées sociales, pour les jours historiques.
Mes chers collègues, comme vous, je suis sénateur ; mais, à la différence de beaucoup d’entre vous, je sais ce qu’est l’adoption.
J’ai été orphelin. J’ai eu la chance extraordinaire d’être adopté, par une famille française qui avait déjà des enfants naturels, trois frères et une sœur que j’ai eu la chance de côtoyer pendant ma jeunesse. Mes parents n’avaient pas un désir d’enfant supplémentaire, ils avaient envie de partager, de donner de l’amour, ils voulaient un autre modèle familial que la famille de papa-maman ressassée par nos collègues de l’opposition, qui est d’une certaine façon la famille du droit du sang.
Chers collègues de l’opposition, je souhaite que vous respectiez les couples homosexuels qui vont adopter dans les mois à venir. Ils ont envie non pas de se faire plaisir, mais de concrétiser leur amour dans des valeurs qu’ils veulent transmettre, dans un amour qu’ils veulent partager, avec le souci que notre société se perpétue avec ces valeurs partagées.
Permettez-moi de vous le dire : vous avez été extrêmement caricaturaux en ce qui concerne l’adoption, dont je crois que vous ne maîtrisez pas beaucoup les notions. Je ne vous demande qu’une chose, mais c’est du fond du cœur : respectez les familles qui vont voir le jour, avec leurs enfants, dans les prochains mois et les prochaines années !
Aujourd’hui, je vote pour que tous les couples puissent s’unir devant la loi, quelles que soient leur religion, leur couleur de peau, leur condition sociale et leur orientation sexuelle. Je vote pour le mariage, pour toutes et pour tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années que je siège dans cette assemblée, j’ai vu passer de nombreux textes, mais jamais ne n’ai senti le poids d’une telle responsabilité. Cette responsabilité devrait nous amener, sur quelque travée que nous siégions, à nous poser trois questions.
En premier lieu, pouvons-nous prendre la responsabilité de changer notre pacte social par la voie d’une loi ordinaire ? En effet, ce que proposent les partisans de ce projet de loi, c’est un changement radical, pour le mariage mais aussi pour la filiation.
Pour ce qui est du mariage, il ne sera plus, désormais, cette institution inventée par les sociétés partout sur la planète, pour donner un cadre protecteur aux plus faibles et aux plus vulnérables, en particulier aux femmes et aux enfants, pour offrir un cadre stable au renouvellement des générations, de manière que les patrimoines matériel et immatériel, mais aussi spirituel, comme l’a fort bien dit M. Raffarin, puissent être transmis de génération en génération.
Pour ce qui est de la filiation, fondée depuis des siècles, et même davantage, sur une réalité biologique et symbolique – lorsqu’il s’agissait de l’adoption –, elle sera désormais fondée sur une intention, une volonté, avec toute la fragilité que l’une ou l’autre peut comporter.
Chers collègues de la majorité, vous avez voulu ce projet de loi au nom de l’égalité. Seulement, cette égalité pour les adultes va se traduire par des injustices pour les enfants, ceux qui n’auront pas accès à leurs origines et ceux qui ne connaîtront ni papa ni maman, ce double visage de notre humanité. Bien sûr, nous avons à cœur, comme vous, de soulager toutes les souffrances ; mais pas au prix d’en créer de nouvelles !
En deuxième lieu, même s’ils ont été au cœur de notre débat, les enfants risquent d’être les grands oubliés, les grands perdants de votre réforme. En effet, derrière le slogan du mariage pour tous, il y a le droit à l’enfant pour tous et le droit à l’adoption pour tous. Prenons garde que ce droit à l’adoption pour tous ne se transforme, au bout du compte, en adoption pour personne, lorsque la décision que vous vous apprêtez à prendre aura tari les adoptions dans les pays d’origine. Certains grands pays de l’Est considèrent déjà que la France ne tient pas suffisamment compte de l’intérêt supérieur des enfants !
Comme nous vous l’avons répété, ce projet de loi est une tromperie, parce qu’il est un cheval de Troie, un engrenage.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est faux ! Nous l’avons répété mille fois !
M. Bruno Retailleau. Ce projet de loi est une tromperie aujourd’hui au sujet du mariage et de l’adoption, mais aussi de la PMA ; à cet égard, il est clair qu’il va régulariser des situations de fraude. Peut-on l’accepter ? Il sera une tromperie demain, parce que l’engrenage nous conduira au bout du compte à la GPA.
Chers collègues de la majorité, quels sont ce progrès et cette modernité au nom desquels vous soutenez ce projet de loi, quand déjà le marché toque à notre porte ? Quand, dans notre pays, dans un hôtel de la rue Cambon, de grands laboratoires américains font leurs propositions sordides pour la fabrique d’enfants parfaits ? Sont-ce là le progrès et la modernité ?
En troisième lieu, cette réforme relève-t-elle des représentants du peuple ou du peuple lui-même ? Nous pensons qu’elle relève évidemment du peuple. Madame le garde des sceaux, on ne change pas une civilisation par la loi ordinaire ! Lorsqu’il a parlé d’un droit à la liberté de conscience, le Président de la République a eu raison, car ce projet de loi n’est pas comme les autres.
Le peuple, qui d’ailleurs est en train de basculer massivement contre ce projet de loi, demande à s’exprimer, comme il est bien normal ; non pas pour des droits acquis, mais pour sa conviction. Le référendum était une exigence, et la voie de l’apaisement.
Non ! Je ne prendrai pas la responsabilité de voter ce projet de loi. Je vous la laisse : vous aurez à l’assumer devant les futures générations, devant l’Histoire, que certains d’entre vous ont invoquée, mais surtout devant tous les Français ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP – M. François Zocchetto applaudit également.)
Mme Catherine Troendle. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, pendant tout notre débat, de nombreux orateurs ont invoqué la nécessité de respecter le sens des mots, en particulier celui du mot « mariage ».
Ce souci honore l’attachement de la Haute Assemblée à la langue française, mais, franchement, nous ne sommes pas à l’Académie française et nous n’avons pas besoin de convoquer le Petit Robert. Nous devons faire notre travail de législateur en nous attachant non seulement aux mots, mais aux faits, aux réalités de la société, aux attentes des citoyens.
Nous avons clairement entendu les difficultés de vie que rencontrent les couples de même sexe et leurs enfants. Ces difficultés, chers collègues de l’opposition, vous n’avez pas voulu les entendre lors de l’adoption du PACS. Votre effort pour vous rattraper en proposant un nouveau contrat d’union civile ne trompe personne, vu le peu d’empressement dont vous avez fait preuve sur ce sujet pendant vos dix années de gouvernement.
Aujourd’hui, l’objectif du projet de loi est de donner à tous, sans discrimination, une égale liberté de choix. Nos concitoyens disposent d’un éventail de possibilités pour organiser leur vie commune : union libre, concubinage, PACS, mariage. Au nom de quoi les couples de même sexe n’auraient-ils pas accès à l’ensemble de ces possibilités ?
On parle beaucoup de reconnaître leur amour, mais ce n’est pas le sujet essentiel pour le législateur. Le vrai sujet pour ces couples et leurs enfants, c’est que le mariage organise un engagement durable et juridiquement sécurisé, où chaque partenaire trouve son juste droit dans l’union comme en cas de séparation ou de deuil.
Dans une société du changement, de la précarité et, il faut bien le dire, d’un individualisme ravageur, pourquoi refuser le libre choix du mariage aux couples de même sexe qui souhaiteraient légitimement fixer leur union ? Rien ne le justifie !
Je m’adresse à vous, chers collègues de l’opposition, qui n’avez pas fait le même choix que nous. Je regrette que trop d’idées fausses aient enfermé notre débat dans une ronde sans fin. Même si nous n’espérons pas nous convaincre les uns les autres, nous devons au moins nous écouter. Le procès en mensonge que vous intentez à ce projet de loi est sans fondement, compte tenu de son périmètre clairement délimité. (Mme la rapporteur pour avis acquiesce.)
Le procès que vous lui intentez au sujet de l’altérité, que vous limitez à la relation homme-femme, est lui aussi sans fondement. Prétendre que ce projet de loi tendrait à nier l’altérité, comme vous le faites sans cesse, est un contresens ou un fantasme propre à impressionner l’opinion. Nous n’avons jamais songé à nier la différence biologique des sexes. Du reste, soyez sûrs que les enfants élevés par une famille homoparentale ne confondront pas, eux ; ils n’imagineront pas un instant être nés de deux hommes ou de deux femmes. Ils ont les yeux ouverts, faites-leur donc confiance !
Ce sont des situations qu’on ne peut regarder abstraitement. Je songe à tous ces parents d’élèves qui ne voyaient aucune objection à l’expulsion des étrangers sans papiers et qui changeaient radicalement de point de vue le jour où l’expulsion frappait un enfant de la même école, de la même classe que leur propre enfant.
Même parmi les plus farouches opposants au mariage de personnes de même sexe, chacun peut se trouver, un jour, devant la réalité de l’homosexualité d’un enfant, d’un parent ou d’un ami. Alors, son regard changera nécessairement et il pourra même se réjouir que la loi assure aux homosexuels droit de cité !
L’adoption de ce projet de loi, bien loin de provoquer les bouleversements annoncés, sera pour toutes les familles concernées une nouvelle heureuse, bien plus joyeuse que toutes les annonces catastrophistes que nous avons entendues tout au long de ce débat.
C’est à ces familles que nous penserons en votant ce projet de loi. Il ne fait ni plus ni moins que mettre fin à une discrimination d’un autre âge et, tout simplement, conforter un ordre républicain qui doit nécessairement s’adresser à tous les citoyens, sans aucune discrimination, même si certains ne l’ont toujours pas admis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Robert Hue applaudit également.)
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, en votant ce projet de loi, nous allons prendre le chemin d’une société plus égalitaire, plus juste et plus soucieuse du bien-être des individus. Nous allons commettre un acte de grande portée qui réaffirmera l’image de notre pays, patrie de droits de l’homme dont il faut reconnaître qu’ils sont aujourd’hui bien mis à mal.
Nous allons ouvrir l’égalité, ce qui n’est pas un acte mineur. Ce sera un progrès non pas seulement pour les couples homosexuels, mais pour tous les couples qui conçoivent le mariage comme un espace d’amour, un espace de liberté.
De nombreux arguments ont été développés, sur toutes les travées, certains plus vifs que les autres. In fine, ils ont démontré que, sur le fond, ce sont bien deux projets de société qui se sont affrontés.
En tout état de cause, je crois pouvoir dire que tous les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen sont fiers de rendre possible une nouvelle liberté. Ils n’oublient pas que le chemin a été semé d’embûches et que, si nous en sommes là aujourd’hui, c’est aussi grâce aux luttes et aux actions d’associations et de forces politiques progressistes. Celles-ci se sont battues pendant des années pour affirmer que le mariage pour les couples de personnes de même sexe représentait un enjeu d’égalité et de justice sociale. Je tiens à les saluer et à leur rendre hommage.
Aujourd’hui, notre assemblée va contribuer à une avancée humaine. Nous mettrons nos pas dans ceux des parlementaires qui ont voté la loi Badinter abolissant la peine de mort et la loi Veil autorisant l’IVG.
Oui ! Notre vote va mettre fin à une discrimination qui s’appuie sur un ordre : la domination patriarcale. Il va permettre qu’enfin, le mariage ne se réduise pas à un modèle familial unique, où amour et sexualité sont liés à la procréation et à la filiation. Ainsi, nous mettrons fin à une certaine hypocrisie, de même qu’à des souffrances et à des frustrations.
Oui ! Notre vote va en finir avec un modèle qui serait fondé sur la seule loi de la nature, selon certains de nos collègues de l’opposition qui oublient que les droits acquis par les peuples, par les femmes en particulier, ont permis de dépasser l’état de nature.
Oui ! Notre vote va contribuer à ce que des hommes, des femmes et des enfants puissent enfin vivre un vrai bonheur, en toute liberté. Comme le disait Saint-Just, « le bonheur est une idée neuve ». (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Nous pouvons aujourd’hui le démontrer avec force.
Mes chers collègues, c’est avec une grande fierté que les sénateurs communistes, républicains et citoyens voteront ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, je voterai ce projet de loi, même si ma position est minoritaire au sein de mon groupe.
M. Gérard Longuet. Elle n’est pas minoritaire, elle est unique !
Mme Chantal Jouanno. Au sein du groupe UDI-UC, nous sommes attachés à la liberté de vote et d’expression des uns et des autres. De fait, je suis très fière que nous puissions nous exprimer très librement sur ce sujet, où les certitudes n’ont certainement pas leur place.
M. Gérard Longuet. Chère collègue, excusez-moi de vous le dire : votre position n’est pas celle de vos électeurs !
Mme Chantal Jouanno. Je voterai ce projet de loi parce que j’ai des convictions libérales qui ne s’arrêtent pas aux questions économiques, mais s’étendent aux questions de société. Or, dans la nouvelle liberté qui va être offerte, je ne vois pas d’atteinte aux principes républicains qui justifierait une intervention de l’État pour la limiter.
Certains mettront en avant l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais cette notion n’est pas juridiquement définie aujourd’hui, ce qui pose d’ailleurs un vrai problème. Il n’existe pas de charte de l’enfant, alors que nous avons adopté, par exemple, une charte de l’environnement.
Si nous considérons que l’intérêt supérieur d’un enfant est d’avoir un père et une mère biologiques, certains écueils apparaîtront très vite : quelle position adopter à l’égard des mères célibataires, des familles monoparentales ou de l’interruption volontaire de grossesse ? C’est une voie, sinon potentiellement dangereuse, du moins délicate.
Par ailleurs, comme la très grande majorité de mes collègues, je pense que les familles homoparentales ont la même capacité que les familles hétéroparentales à assumer leurs responsabilités de parents et à élever des enfants dans le cadre, j’insiste sur ce point, d’un projet parental. Aujourd’hui, en effet, l’enfant est le plus souvent le fruit d’un projet parental, ne serait-ce qu’en vertu du droit à la contraception.
C’est vrai, ce texte de loi se heurte à deux écueils, en ne répondant pas à deux questions fondamentales. La première est celle de l’adoption, et tout particulièrement de l’adoption plénière, qui crée une fiction. La question se pose aujourd’hui à tous : dès lors que l’adoption plénière gomme les origines, jusqu’où devons-nous aller dans la fiction ? Ce dispositif, qui était justifié à une certaine époque, l’est-il encore ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il ne l’est plus !
Mme Chantal Jouanno. C’est un vrai sujet, que nous devrons un jour traiter. Pour ma part, je ne suis pas favorable à l’effacement des origines qu’implique l’adoption plénière.
La seconde question fondamentale est celle de la procréation médicalement assistée : jusqu’où devons-nous aller dans la médicalisation ? En autorisant la PMA avec tiers donneur, on a déjà ouvert une brèche. Faut-il aller plus loin ? C’est aussi une question à laquelle nous n’avons pas répondu. Il est dommage que notre débat ait eu lieu avant que le Conseil consultatif national d’éthique n’ait pu formuler ses conclusions.
Ces questions en suspens peuvent justifier de nombreuses oppositions à ce texte, oppositions qui s’expriment plus ou moins selon les travées sur lesquelles chacun siège.
Avec ce vote, une page se tourne et une autre s’ouvre. Je pense très honnêtement que le temps est à l’apaisement de notre société, à sa réconciliation. Veillons, dans nos discours, à nous positionner comme s’il s’agissait de nos propres enfants. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Christian Cointat applaudit également.)
M. Bertrand Auban. Elle est courageuse !
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je n’ai pas participé au débat.
Si j’ai voté pour le candidat François Hollande,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tiens donc !
M. Gérard Longuet. Nul n’est parfait ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Nicolas Alfonsi. … je n’étais pas favorable à sa proposition 31. Faudrait-il pour autant qu’une sorte de mandat impératif me conduise aujourd’hui à voter le texte qui nous est présenté ? La réponse est non. L’engagement que constitue cette proposition lie François Hollande, mais n’oblige pas nécessairement tous ceux qui ont pu voter pour lui. Si chaque électeur de François Hollande avait voté l’ensemble de ses propositions – aurait-il été élu dans ces conditions ? –, peut-être aurions-nous pu voter d’un cœur léger un texte de cette importance.
Ainsi, je le répète, je ne suis lié par aucun engagement.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Belle honnêteté intellectuelle !
M. Nicolas Alfonsi. Si je n’ai pas voté la motion référendaire, à laquelle j’étais favorable sur le fond, c’est tout simplement parce que je souhaitais que le débat continuât. Je ne voulais pas laisser le Sénat dans l’état de frustration qu’il a connu à l’occasion du vote du budget.
Au demeurant, le Président de la République est libre de retenir les moyens de son choix pour faire adopter ce texte, la voie parlementaire ou la voie référendaire. Dans la mesure où la majorité du Parlement y est favorable, il a choisi la première, au nom du principe de réalité.
C’est d’ailleurs ce même principe de réalité qu’il retient en renonçant à défendre sa proposition 56, en faveur de laquelle une majorité constitutionnelle n’existe pas. On devine aisément le sentiment de frustration de ceux qui auraient voté pour François Hollande uniquement pour voir cette proposition adoptée. En la matière, le principe de réalité s’impose donc.
Le Président de la République aurait également pu tenir compte d’une autre réalité : celle des manifestants, ceux de l’ouest parisien et ceux de l’est parisien, puisque chacun tient une comptabilité notariale de ceux qui protestent contre ce projet et de ceux qui le soutiennent. Mais on oublie – finalement, je crois que je suis aujourd’hui le seul interprète de cette position – tous ceux qui n’ont pas manifesté et qui ont voté pour François Hollande tout en étant défavorables à sa proposition 31. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Le problème, pour moi, se pose dans ces termes. Comme je tiens exclusivement au mandat représentatif – je regrette de m’étendre sur ce point qui me paraît important –, je reprends ma liberté.
Je n’évoquerai pas le fond, vous l’avez fait au cours de ces derniers jours. Je dirai simplement que le mariage est une institution déjà malade. Faut-il l’achever, en étendant en quelque sorte toutes les libertés qui sont prises ? Je respecte toutes les sensibilités, mais j’ai toujours eu le sentiment que, si je ne participais pas à ce vote, je manquerais, en quelque sorte, à mes devoirs. Il s’agit de questions trop importantes pour ne pas voter ! Des divergences existent, au sein de mon groupe, en la matière. Robert Hue a parlé de marche vers l’égalité parfaite, et il a même cité un auteur que je connais bien et qui nous enseigne que la démocratie est une marche vers toujours plus de liberté. Je réponds amicalement à mon collègue que, s’il avait poursuivi sa lecture, il aurait lu ceci sous la plume de Montesquieu : « Autant le ciel est éloigné de la terre, autant le véritable esprit d’égalité l’est-il de celui d’égalité extrême. » C’est cette règle qui m’a toujours conduit dans la République, c’est ce phare qui a toujours été le fondement de mon action. Dans ces conditions, vous le comprenez, je voterai contre ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, avant de voter en faveur de ce texte, je pense à ceux qui s’y opposent, avec qui je corresponds depuis plus d’un mois, notamment par le biais d’Internet. À leurs yeux, l’évolution de la famille est un véritable bouleversement, une remise en cause profonde de ce à quoi ils croient.
Mais à quelle famille pensent-ils ? De quelle famille rêvent-ils ? Celle des temps anciens, où le fils de famille engrossait la bonne après le père, qui la renvoyait lorsque les œuvres de la nature étaient visibles ? (Oh ! sur les travées de l'UMP.) Ou celle des parents adoptifs qui cachent ou cachaient aux enfants leur réalité biologique ? La famille n’est plus cela ! Depuis le divorce, la fin de la tutelle du mari sur la femme et de la puissance paternelle, l’IVG et l’égalité de toutes les filiations, les familles recomposées ont bouleversé la famille, les familles. Oui, ce texte introduit une évolution de la norme républicaine, mais il ne révolutionne pas la société.
Aujourd’hui, en effet, notre société est prête à l’indifférence. Je suis sûre que, demain, les enfants des opposants à ce texte joueront avec les enfants d’homos,…
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est déjà le cas !
Mme Hélène Lipietz. … tout comme les enfants de divorcés ou de filles mères jouent aujourd’hui avec eux, alors qu’il n’y a pas si longtemps, à l’époque où j’étais moi-même à l’école primaire, on ne devait pas jouer avec les enfants de divorcés. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Eh oui, mes chers collègues !
Mme Bariza Khiari. Elle a raison !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Christian Cambon. Dans quelle école étiez-vous ? Une école de riches ?
Mme Hélène Lipietz. Je pense aussi aux homosexuels, qu’ils soient femmes ou hommes, et tout particulièrement à cet homosexuel massacré il y a cinq jours. Je pense surtout à leurs enfants, qui n’auront plus à redouter leur avenir familial et qui pourront dire ou se dire que leurs parents sont dans la norme, parce que dans le droit, qu’ils sont « normaux », eu égard à leurs devoirs et leurs droits de parents.
Enfin, je pense aux hétérosexuels, qui font aujourd’hui, dans cet hémicycle, ce geste républicain de fraternité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, un homme politique du début du XXe siècle disait que les échanges pouvaient changer ses opinions, mais jamais son vote.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est dommage !
M. René Garrec. Herriot !
M. Jean-Jacques Hyest. On prête ces propos à Édouard Herriot, en effet.
Nous avons pu dialoguer au cours des nombreuses auditions organisées par le Sénat. À l’issue de notre débat, qui a été vif, mais digne, je m’aperçois que notre réflexion a acquis, comme c’est le cas dans l’opinion publique, une certaine maturité. Celle-ci ne peut se résumer à des slogans tels que l’égalité ou la liberté. Ce serait trop facile ! Combien de crimes ont-ils été commis au nom de ces deux principes ? Quand on cite Saint-Just et qu’on en fait un modèle, j’ai parfois froid dans le dos.
Aujourd’hui, le problème, ce n’est pas de reconnaître aux personnes de même sexe le droit de s’unir. C’est leur vie et personne n’a à contester ou à dénoncer ce droit. C’est pourquoi nous avions proposé la création d’une union civile.
Mais c’est bel et bien l’« intérêt supérieur de l’enfant » – deuxième slogan ! – qui est en cause.
Gérard Longuet a bien expliqué, hier et avant-hier, que l’adoption ne concerne que très peu d’enfants, la plupart d’entre eux bénéficiant aujourd’hui d’une filiation maternelle et paternelle. Les seuls cas réels – sauf en cas d’adoption plénière, demain, par des couples homosexuels – concernent des adultes qui n’ont pas respecté la loi, en recourant soit à une PMA, soit à une GPA.
Il me paraît tout de même curieux, sous prétexte qu’elle met en cause des enfants, de valider une telle situation, qui procède uniquement de la volonté de certains adultes. Dans un autre registre, il existe aussi des enfants qui sont nés illégalement d’autre manière. Va-t-on valider, par exemple, ce qui est totalement interdit par la loi et constitue même un tabou ?
Pour ma part, j’estime qu’on se trompe complètement ! Madame le garde des sceaux, si vous commencez à toucher à l’adoption et à l’état civil, vous modifiez forcément les règles de filiation. Vous avez dit que vous sanctuarisiez le chapitre du code civil relatif à la filiation, mais demain, au nom de la liberté individuelle – c’est un principe formidable ! –, ce cadre volera en éclats. Dans ces conditions, nous ne pouvons demander à la société de tout prévoir.
Comme le rappelait notre collègue Nicolas Alfonsi, l’institution du mariage va mal. On a ainsi offert aux couples la possibilité de régler un certain nombre de problèmes par le PACS, et beaucoup de jeunes ménages utilisent cette possibilité juridique. Le nombre de mariages diminue. Seuls les couples homosexuels, reconnus en tant que tels et désireux d’avoir des enfants, se marieront-ils demain ?
Nous sommes en train de détruire l'institution du mariage, qui était, jusqu'à présent, un principe du droit français.
Selon moi, l'exigence que les époux soient un homme et une femme est conforme au principe d'égalité, qui a valeur constitutionnelle en droit français. Nous avons donc formulé des propositions, nous avons contesté sur le plan juridique le texte que vous nous avez proposé, mais en vain.
Bien entendu, je voterai contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, voici venue l’heure des explications de vote, qui doit être aussi celle de l'apaisement et du retour à la sérénité.
M. Christian Cambon. Certainement…
Mme Virginie Klès. Je commencerai mon propos en soulignant que le doyen Gélard a partiellement raison lorsqu’il affirme qu'un mariage homosexuel n'est pas la même chose qu'un mariage hétérosexuel. Partiellement seulement, parce qu'aucun mariage n’est égal à un autre, qu'il soit homosexuel ou hétérosexuel !
M. Henri de Raincourt. C’est vrai !
Mme Virginie Klès. Un mariage est l'aboutissement de l'histoire de deux individus qui ont décidé de faire route commune, qui ont décidé par amour l'un pour l'autre, quel qu'il soit, d'unir leurs vies et de se protéger mutuellement jusqu'à la fin.
Pour cela, ils viennent se mettre à l'abri de la loi, du droit. Ils nous demandent de célébrer leur mariage. Le terme a son importance : ce n'est pas la même chose qu'une union civile. Ceux d'entre nous qui sont maires savent combien de mariages sont célébrés sans que les époux aient conclu de contrat de mariage. Autrement dit, ceux-ci ont fait confiance au droit pour se protéger mutuellement et réciproquement. Ils ne se sont pas préoccupés d'examiner en détail la loi, parce qu'ils ont confiance dans le droit.
Le mariage doit donc bien être le même pour tous, et ouvrir les mêmes droits. Sinon, il faudrait interroger les couples qui veulent se marier et soit décider pour eux, soit les engager à choisir l’une de ces voies : l’union civile, le PACS, l’union libre ou le mariage. « Avez-vous un projet de famille ? », « Êtes-vous sûrs que vous n'en aurez pas un d’ici à cinq ou à dix ans ? », « Avez-vous un passé de famille ? », devrions-nous leur demander.
En effet, les couples qui se marient aujourd'hui peuvent déjà avoir des enfants ; il en va de même quelquefois des personnes homosexuelles qui décident de construire leur vie ensemble. On ne peut donc, ne serait-ce que pour cette simple raison, différencier les deux types d’union : il doit n’exister qu’un seul mariage, qui confère exactement les mêmes droits à tous.
Les questions de fond qui ont été soulevées au cours du débat sont les mêmes pour les couples homosexuels et pour les couples hétérosexuels, dès lors qu'il s'agit d'enfants. L’argument de la loi de la nature a beaucoup été avancé. Pourtant, si le désir d'enfant est naturel, il n'est ni une obligation, ni une contrainte, ni un devoir.
On a également beaucoup parlé de droit à l'enfant ou de droits de l’enfant. Mais on ne s’est pas souvent demandé où était la limite entre ces deux droits. Cette question doit, à mon sens, être posée quand l'enfant n'est pas encore né, quand on est en amont de sa conception. À ce moment-là, la frontière est peut-être encore à construire. En tout cas, quand l'enfant est là, quand il est présent parmi nous, il ne doit plus être question que des droits de l'enfant, lesquels doivent être les mêmes pour tous.
Ont aussi été évoqués le mensonge sur les origines et l'appellation des parents.
Je vous signale, chers collègues, qu’un enfant adopté peut avoir connu ses deux parents et avoir partagé une histoire avec eux. En effet, l’enfant adopté n'est pas forcément un bébé de quelques jours ou de quelques mois qui a tout à apprendre ! Ce peut être un enfant d’une dizaine d’années, qui a une histoire, qui a déjà eu une mère et un père. Il aura du mal à appeler une autre femme « maman » et un autre homme « papa ».
Or cet enfant trouvera comment appeler ses adoptants, avec leur aide et grâce à la voix de l'amour. Je connais une petite fille qui a connu ses parents biologiques et qui, une fois adoptée par un couple hétérosexuel, n'a pas voulu appeler sa mère « maman ». Elle l'a appelée « Mamboise », contraction de « maman » et de « Framboise ». Les enfants ont cette intelligence du cœur qui leur permet de trouver des solutions. L’appellation n'est pas un problème en soi.
Quant au mensonge sur les origines, la question se pose exactement de la même façon pour les couples homosexuels que pour les couples hétérosexuels. Avec cette loi, avec l’ouverture de droits à tous, nous posons des questions fondamentales sur lesquelles nous devrons demain réfléchir. Ouvrons la porte de l’adoption, attendons la grande loi sur la famille et aidons les parents à ne pas mentir à leurs enfants !
Oui, le livret de famille est important, mais ce qui y est inscrit ne permettra, ni n’empêchera, le mensonge, qui intervient bien avant. Si un enfant doit attendre d’être capable d'ouvrir le livret de famille, de le lire et de le comprendre pour s’apercevoir qu’il a été adopté, cela signifie qu’on lui ment depuis longtemps ! Ce mensonge aura été porté non par l’État, mais bien par ses parents.
Aidons les familles et construisons une société tolérante, dans laquelle tous les parents, quels qu'ils soient, auront les mêmes droits et seront considérés comme de vrais parents par la société, dans laquelle les enfants auront des repères en matière de tolérance et n'auront aucun doute quant à l'amour que leurs parents leur portent, quant aux droits que leurs parents ont à leur égard et quant aux devoirs que leurs parents ont envers eux !
Pour toutes ces raisons, je voterai bien évidemment ce projet de loi et j'attendrai la suite avec une grande impatience ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous avons passé ensemble sept jours à traiter de sujets qui, malgré nos désaccords, sont à coup sûr des questions essentielles, qui touchent aux fondamentaux de la vie familiale et de la vie en société. Personnellement, je suis très impressionné par la responsabilité que nous prenons en examinant ce texte.
C'est une évidence, la famille a subi des coups de boutoir tout au long des dernières décennies, mais, heureusement, elle résiste ! Elle reste aujourd'hui le lieu des apprentissages fondamentaux, celui où se forge la personnalité et celui de l'accomplissement. C’est aussi, finalement, le lieu où l'on devient citoyen, car la famille est la première structure sociale que l’on découvre en grandissant.
Les questions que nous avons abordées touchent à l'intimité la plus grande de tout être humain, à son aspiration fondamentale à aimer, à trouver l’être aimé, à construire avec lui une vie commune, dont on espère toujours qu’elle durera toute la vie.
Au travers de cette vie commune, les deux adultes qui composent le couple ont, dans leur cœur, l’espérance fondamentale qu’un enfant puisse arriver et que leur amour réciproque se traduira par celui qu’ils porteront à leur enfant, pour lui permettre de grandir dans les meilleures conditions. À l’évocation de cette question, la polémique doit être loin, naturellement, et une exigence de prudence doit s'imposer à nous.
Nous avons les uns et les autres à cœur, me semble-t-il, que la loi apporte des réponses aux problèmes de société, parmi lesquels figure l’expérimentation d'une nouvelle forme de famille que les intéressés ont eux-mêmes qualifiée d’« homoparentalité ». Sans doute cette expression vise-t-elle à souligner que cette forme de famille est spécifique. Et ce n'est pas manquer d'égards à ces familles que de le dire.
Puisqu’il s’agit d’une forme spécifique de famille, la question s’est posée de savoir si le meilleur cadre que nous pouvions lui offrir est celui qui a été prévu pour toutes les autres formes de familles. Pourquoi pas ? Le débat en tout cas méritait d'avoir lieu.
Toutefois, nous pensons fondamentalement que ce n'est pas une bonne chose. Selon nous, l’homoparentalité doit se construire dans la vérité. Ce n’est pas aller en ce sens que d’utiliser le cadre du mariage, avec les conséquences qu’il emporte en termes de filiation. En effet, les règles du mariage, du divorce et de la filiation n'ont pas été établies pour permettre à ces familles de s'épanouir, de s'accomplir, de grandir et de trouver la stabilité dont elles ont besoin.
Cette transposition repose sur des conceptions qui me paraissent fausses. Je le dis peut-être de manière quelque peu brutale, mais je peux l’expliquer. Il s’agirait ici de construire une famille composée d’un couple de personnes de même sexe avec un enfant, dans lequel l'un des deux parents est soit le père soit la mère, car ils ne peuvent pas être pères tous les deux ou mères toutes les deux. On invente donc une troisième forme de parenté, qui consiste à être parent sans être mère ou sans être père.
Nous pouvons considérer que certains éléments vont effectivement dans cette direction : je pense notamment à l'amour qui sera porté à l’enfant, qui va lui permettre de se construire, et à l'amour que les deux membres du couple se portent l’un à l'autre.
Cependant, tout cela est basé sur une erreur fondamentale. Certes, la filiation ne peut reposer uniquement sur la biologie. Néanmoins, quand elle ne s’appuie pas du tout sur ce fondement, elle est fragilisée. On le voit bien avec l'assistance médicale à la procréation et avec l'adoption : dans ces deux cas, il faut faire preuve de grandes précautions pour réussir l'accueil de l'enfant. Quand on n'a ni l’altérité sexuelle ni le lien de la biologie pour construire une famille, alors il faut reconnaître qu'il y a un père ou une mère, mais pas deux pères ou deux mères.
C’est en raison de cette différence fondamentale de point de vue que nous avons proposé l'union civile et que nous refusons le mariage des personnes de même sexe, l'adoption, l'assistance médicale à la procréation et, naturellement, la gestation pour autrui, qui forment un ensemble, vers lequel nous irons irrésistiblement si nous adoptons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de nos débats.
Le Gouvernement a décidé de passer en force, coûte que coûte, malgré notre opposition et celle de millions de Français, qui ont défilé et qui font connaître chaque jour davantage leur désaccord. Il ne reste donc plus à l'opposition qu’à mettre en garde la majorité.
Avec ce projet de loi, nous sommes très loin de l’intérêt général. Certaines zones d'ombre risquent d’entraîner de graves insécurités juridiques. Vous avez eu manifestement de grandes difficultés à passer du débat éthique au registre de la loi, du droit. Il ne faut en effet pas oublier, ce que personne ne fait ici, les risques d'inconstitutionnalité de ce texte et les problèmes d’articulation avec le droit international qu’il soulève.
Notre désaccord vient de la définition du mariage. Celui-ci n’est pas seulement, mes chers collègues, la reconnaissance sociale de l’amour, même entre personnes de sexe différent ; c'est une institution qui inclut la perspective de la procréation. L'enfant bénéficie d'une filiation paternelle du seul fait de la loi. Voilà le point de départ de tout, et la raison de notre désaccord. Voilà à quoi vous vous êtes attaqués, au nom, selon vous, de l'égalité.
Votre objectif est de soumettre à un traitement égal la reconnaissance des différents sentiments amoureux. Or, nous vous l'avons dit, l'égalité consiste seulement à traiter de la même manière ceux qui sont dans des situations équivalentes. Au contraire, la différence de situations justifie la différence de traitement.
De fait, l’égalité n'est toujours que relative. Les couples de personnes de sexe différent et ceux de personnes de même sexe ne sont pas dans la même situation au regard de la procréation. Il n’y aurait pas eu de problème si le Gouvernement avait proposé de créer un contrat spécifique pour les couples homosexuels, un contrat d'union civile ouvrant les mêmes droits patrimoniaux, offrant même une protection juridique renforcée. L'erreur est d’avoir voulu aller plus loin, d’être passé à ce que vous avez appelé le « mariage pour tous ». Car, derrière la formule, c'est un imbroglio juridique et un enjeu de société qui nous sont imposés !
Imposer est bien le terme qui convient. C'est un texte sur lequel le peuple français aurait dû se prononcer. Je n'ai pas attendu l'intervention remarquable et courageuse de notre collègue Nicolas Alfonsi pour dire ici qu'aucun sénateur ne peut vraiment prétendre avoir un mandat de ses électeurs pour décider, ou non, d'un mariage pour tous. Donner la parole au peuple aurait été juste et prudent, car une véritable réforme de société ne peut être réfléchie et conçue que de manière consensuelle.
En outre, j’en suis convaincue, je vous l’ai dit, les enfants sont les grands oubliés de ce texte. Leur intérêt supérieur n'est pas respecté. Ce qui me perturbe vraiment, c'est que le législateur, avec votre texte, est en train de décider et de condamner plusieurs générations à se voir privées de leurs origines.
Où est l'objectif d'égalité dans tout cela ? Mes chers collègues, quelle responsabilité que de décider pour ces enfants d’effacer délibérément leurs origines ! Ni les nouvelles techniques de procréation, ni les innovations juridiques, ni le droit ne peuvent, et ne doivent, aboutir à la fabrication d'enfants sur le simple désir d'adultes.
Monsieur Placé, tout cela n’a rien à voir avec la situation de l’adoption, que vous avez rappelée tout à l'heure. Votre situation, celle d’un orphelin recueilli par un père et une mère, est merveilleuse ; elle est formidable ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Et alors ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous sommes tous d’accord sur ce point. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
En réalité, ce vote en appelle à nos consciences, d’où la gravité particulière de notre séance de ce matin. Ne jugeons personne, respectons tout le monde, car ce débat touche à l’intime de chacun, à sa vie affective, à sa fécondité, à ses blessures, à ses hauts et ses bas.
Madame la garde des sceaux, je vous ai reproché, gentiment mais fermement, c’est vrai, de vous réfugier derrière quelques citations fameuses, derrière Aimé Césaire et bien d’autres. Pour ma part, derrière ces grandes personnalités que vous avez citées, c’est Christiane Taubira que j’aurais aimé entendre ! J’aurais aimé vous entendre nous dire quelle conviction profonde vous guide, en tant que fille, en tant que femme, en tant que mère.
Madame Taubira, n’avez-vous pas peur de prendre la responsabilité de fracturer une institution si chère au cœur de nos concitoyens…
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. N’exagérons rien !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … pour accomplir une réforme qui, en réalité, ne convient, dans sa totalité, qu’à une toute petite minorité de Français ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Vos propos sont inadmissibles !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Quant à moi, monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je vous le dis en conscience, ma conviction est demeurée intacte : je reste favorable à l’union des couples de personnes de même sexe, mais fermement opposée à l’adoption par ces couples,…
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … ainsi qu’à la PMA et à la GPA, qui, en réalité, sont liées en droit.
Par conséquent, je voterai contre ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je crains que l’examen de ce projet de loi ne fasse pas date dans les annales du Sénat. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) C’est dommage, car ce n’est pas si souvent que nous avons à légiférer sur un projet de société fondamental.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. À chaque fois, vous votez contre !
M. Charles Revet. Il ne fera pas date pour celui qui, dans dix ou vingt ans, lira le compte rendu de nos débats et se rendra compte de la façon dont nous avons procédé à ce « changement de civilisation » que, madame la garde des sceaux, vous avez évoqué dans votre intervention.
Il ne fera pas date parce qu’il y a eu absence de dialogue, absence de débat. Bien sûr, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, les auditions ont été intéressantes et enrichissantes ; je l’ai déjà souligné. Toutefois, si nous avons pu poser des questions, il n'y a pas eu de débat.
M. François Rebsamen. Vous avez obtenu des réponses à vos questions !
M. Charles Revet. Nous n’avons pas eu de débat parce que, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous avez été absents. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Marc Daunis. Mais non !
M. Charles Revet. Vous avez été physiquement absents, comme en témoignent les scrutins publics à répétition. Vous avez aussi été absents en raison du faible nombre des amendements que vous aviez déposés et de la rareté de vos interventions dans cet hémicycle.
Le parlementaire que je suis trouve que c’est dommage. Pour ma part, je pensais que le Parlement était justement un lieu de débat, en particulier sur les problèmes de société…
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Il l’est !
M. Charles Revet. Madame la garde des sceaux, si nous avons souligné votre connaissance du dossier, la qualité de votre écoute et des réponses que vous nous avez fournies, tout cela n’en reste pas moins dommage.
En effet, à partir de nos premières propositions – les amendements visant à insérer des articles additionnels avant l’article 1er que nous avions déposés –, nous aurions peut-être pu trouver une solution acceptable par tous, correspondant aux attentes des personnes de même sexe vivant en couple et à l’engagement du Président de la République, sans remettre en cause les valeurs fondamentales de la société que chacun reconnaît, à savoir, en l’occurrence, la notion de mariage.
Nous sommes en désaccord sur ce point, parce que, étymologiquement, le mariage a toujours renvoyé à la situation d’un homme et une femme,…
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Cela va changer !
M. Charles Revet. … qui s’unissent pour donner la vie. Surtout, nous nous opposons à ce qui peut découler de votre texte concernant l’adoption et, éventuellement, la PMA ou la GPA.
Bien entendu, nous sommes également en désaccord sur ce qui a été proposé en termes d’adoption. En effet, madame la ministre de la famille, nous avons parlé du désir d’enfant plutôt que du droit de l’enfant ; nous reviendrons sans doute sur ce point. Alors que les droits des enfants devraient être au cœur de nos préoccupations, je crains que, dans les évolutions qui interviendront si ce texte est adopté et publié, l’intérêt de l’enfant ne passe en dernier.
Nous sommes aussi en désaccord parce que vous n’avez pas voulu du référendum que nous avions souhaité. Pourtant, il n’eût pas été extraordinaire que les Français donnent leur avis par référendum ! On sait que, s’ils ont pu s’interroger, ils sont aujourd'hui majoritairement opposés à cette mesure.
M. David Assouline. Bien sûr…
M. Charles Revet. Vous le savez, je ne désespère jamais ! Madame la garde des sceaux, quand vous aurez relu le compte rendu de nos débats, quand vous aurez réexaminé nos propositions – en réalité, les seules suggestions qui aient été émises sur ce texte –, peut-être ferez-vous votre propre cheminement sur ce projet de loi et, animée du souci d’apaisement manifesté, à plusieurs reprises, par le Président de la République et les membres du Gouvernement, formulerez-vous des propositions qui modifieront le résultat final… Bien sûr, je pense notamment aux amendements tendant à insérer des articles additionnels avant l’article 1er que nous avons déposés.
Pour terminer, je veux saluer le travail de l’ensemble de mes collègues, notamment de Patrice Gélard, Jean-Jacques Hyest et de notre vice-présidente chargée de coordonner le travail du groupe sur ce texte, mais aussi, plus largement de tous mes collègues ayant formulé des propositions. En fait, je le répète, il s’est agi des seules propositions émises sur ce texte, et vous n’y avez répondu, monsieur le rapporteur, madame la ministre, qu’en vous en tenant à ce qui a été décidé à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas exactement ce que j’appelle un échange.
Bien entendu, compte tenu de tous ces désaccords,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Charles Revet. … nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, que retenir de ces huit jours de débat ?
Selon moi, il en restera une triple faute.
Tout d’abord, vous avez commis une faute politique. S’il y a bien, dans le pays, une majorité favorable à une évolution du droit de nature à tenir compte de la situation fiscale, sociale et civile des personnes homosexuelles vivant en couple, il n'y en a pas pour remettre en cause les règles de la filiation.
Les milliers de personnes descendues dans la rue ne sont pas homophobes, contrairement à ce que vous auriez voulu nous laisser croire, à nous ainsi qu’à l’opinion. Elles sont tout simplement attachées au code civil.
En d’autres temps, des chefs d’État, faisant passer l’unité de la Nation avant l’intérêt partisan, n’avaient pas hésité à retirer un texte : ainsi avaient fait François Mitterrand ou Jacques Chirac. Pour votre part, vous n’avez pas voulu le faire. Ce n’est pourtant pas faute de vous avoir ouvert une porte de sortie avec l’union civile…
Vous avez préféré vous entêter, car, par les temps qui courent, votre priorité est de rassembler ce qui reste de votre majorité et de retrouver l’euphorie du 6 mai 2012. En somme, vous avez pris en otage les familles du pays pour tenter de régler les problèmes de votre propre famille. Ce n’est pas correct !
Du reste, personne n’est dupe car, dans vos rangs, certains, doutant, ont préféré ne pas venir siéger, ce qui vous arrangeait bien, puisque cela vous permettait de recourir au scrutin public, contournant ainsi la nécessité d’une discipline de vote. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
Ensuite, vous avez commis une faute juridique. « J’ouvrirai le droit au mariage et à l’adoption aux couples homosexuels ». Tel était le trente et unième engagement de celui qui allait être élu à la présidence de la République.
Non, monsieur le Président de la République, le mariage n’est pas un droit ; c’est une institution ! Non, monsieur le Président de la République, l’adoption n’est pas un droit, sauf à considérer qu’il y a un droit à l’enfant et que l’enfant serait non pas un objet, mais un sujet de droit !
C’est encore une faute juridique que de vouloir, au nom d’une prétendue lutte contre les discriminations, abolir toute différence. C’est cette erreur qui, demain, malgré vous, peut-être, mais plus sûrement à cause de vous, ouvrira la PMA de convenance et la GPA.
Enfin, vous avez commis une faute sociale. Le patronyme, qui permet de nommer et d’identifier, obéit non plus à une logique de transmission, mais à l’aléatoire de l’alphabet. Le patronyme, c’est souvent le seul patrimoine que les familles ont à transmettre ; et même cela, vous voulez le leur ôter.
Vous avez encore commis une faute sociale, lorsque, ne sachant pas répondre à nos objections, vous avez renvoyé nos amendements à une hypothétique loi sur la famille à venir – sans que l’on sache bien quand. J’y vois la preuve que le présent texte déstructure et, à tout le moins, fragilise la famille elle-même. J’y vois un aveu de votre part !
Nos amendements sur l’accès aux origines, sur les ordonnances ou sur la clause de conscience des maires ne visaient pas à remettre en cause la philosophie du projet de loi, que nous condamnons par ailleurs. Ils vous permettaient de donner un signe : un signe de bonne volonté, un signe de votre désir de dialogue. Or même ceux-là, vous les avez refusés…
Ni sur le fond ni sur la forme vous n’avez voulu ouvrir le dialogue ! Depuis un an, chers collègues de la majorité, vous êtes drapés dans vos certitudes. Pour avoir gagné les élections, vous pensez pouvoir vous affranchir de tout, y compris de la réalité économique et sociale, et même de la réalité juridique, puisque M. Placé lui-même nous a invités à « oublier le droit » !
Les lois emblématiques sur le logement, sur la taxation à 75 % des hauts revenus ou sur l’énergie ont toutes été condamnées par le Conseil constitutionnel, et cela parce que vous êtes sourds aux arguments de droit ! Chers collègues de la majorité, je vous rappelle que la France est un pays de droit : c’est le pays des droits de l’homme, le pays des droits des enfants !
Je ne veux pas d’un changement de civilisation, fût-il placé sous le patronage de Saint-Just. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) C’est pourquoi je voterai contre ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, comme l’ont dit ce matin mes collègues de l’opposition sénatoriale, il n’y a pas eu de vrai débat sur ce texte, même si je dois reconnaître, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, que vous nous avez écoutés et que vous avez échangé avec nous, ce dont je vous remercie, même si vous n’avez strictement rien lâché.
Nous aurons eu au moins une discussion avec vous, faute d’en avoir eu une avec la majorité. De toute façon, de dialogue avec cette dernière, il ne pouvait pas y avoir, pour la raison très simple qu’elle était obligée de verrouiller le débat dans ses rangs pour ne pas faire éclater ses contradictions.
Pour ce qui nous concerne, je peux vous le dire, nous avons eu un grand débat, très intéressant, passionnant même, ouvert, démocratique, avec liberté de vote à la clef.
Je veux m’adresser à présent à tous les membres de la gauche républicaine et laïque modérée, qui sont nombreux dans les rangs de la majorité : chers collègues, vous auriez dû saisir la main que nous vous avons tendue avec le projet d’union civile !
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Hugues Portelli. Pourquoi l’avez-vous refusé ? La raison en est simple : il existait dans vos rangs une contradiction intime.
D’une part, vous souhaitiez, comme nous, donner des droits équivalents aux couples de même sexe en leur offrant un statut juridique qui leur permette de créer une famille. C’était ce que nous proposions avec l’union civile, que l’on aurait pu, d'ailleurs, appeler autrement.
D’autre part, certains parmi vous voulaient aller beaucoup plus loin et considéraient le mariage comme une simple première étape. Pour eux, l’adoption devait être suivie de la procréation médicalement assistée et de la gestation pour autrui.
Si nous avions pu trouver un compromis intelligent sur la première étape, sur laquelle nous étions d’accord, si nous avions pu nous entendre pour nous arrêter là et écarter le reste, le débat aurait été possible au sein de cette assemblée. Or vous n’avez pas voulu de ce débat ; vous avez voulu tout verrouiller.
Permettez-moi de formuler deux remarques. En effet, s’il ne fait pas de doute que ce texte sera voté et entrera en vigueur, vous allez vous trouver face à deux difficultés.
Tout d'abord, le débat dont vous n’avez pas voulu va maintenant s’ouvrir dans vos rangs, notamment à l’occasion des textes que Mme la garde des sceaux nous a annoncés ; je pense, notamment, à celui qui portera sur le droit de la famille.
Ensuite, vous n’avez pas voulu nous entendre quand nous vous avons dit que vous désiriez faire une greffe sur un tronc qui ne peut l’accepter. En France, le droit de la famille et du mariage est hérité du droit romain ! Il ne peut intégrer des dispositions qui reposent sur une autre logique, par le simple ajout de morceaux de phrases épars. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) Il y aura des contradictions ! Et se poseront non seulement la question de l’intelligibilité du texte, mais aussi, plus fondamentalement, celles du droit de la filiation et du droit de l’état de la personne, comme nos collègues l’ont montré tout au long de cette semaine.
Ces questions, vous les retrouverez devant le Conseil constitutionnel, mais aussi devant les tribunaux qui, au jour le jour, auront à régler les problèmes que suscitera le texte ! Et nous ne serons pas les derniers à mener la bataille juridique sur ce terrain.
Je conclurai en m’adressant à ceux qui, comme moi, pensaient que les racines judéo-chrétiennes de notre société avaient encore un peu de vitalité,…
M. David Assouline. Les racines de notre société, ce sont aussi les valeurs de la République !
M. Hugues Portelli. … que cet héritage existait encore. Eh bien, mes chers amis, c’est fini ! On peut le regretter, mais nous ne sommes plus dans cette société-là, et il faut en tirer toutes les conséquences. Nous devrons faire passer nos idées culturelles, spirituelles, sociales et juridiques par d’autres moyens, qu’il nous revient d’inventer.
En attendant, ici et maintenant, pour ce projet de loi, c’est non ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
(Mme Bariza Khiari remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, je lisais ce matin, avant de regagner le palais du Luxembourg, les premiers articles de la presse nationale sur notre semaine de travaux. Il y est fait état d’un débat. Toutefois, en réalité, il n’y a pas eu de débat !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Qu’est-ce qu’il vous faut ! Cinquante heures de séance !
M. Jean-Claude Lenoir. Il y a eu des échanges avec une opposition très mobilisée, très motivée et très convaincue. Nous nous sommes retrouvés face à un Gouvernement qui, bien sûr, défendait pied à pied ce texte. À cet égard, je remercie M. Hue d’avoir souligné notre engagement et d’avoir ajouté qu’il avait été de qualité.
Je salue, à titre personnel, la détermination et la force de conviction des ministres, notamment de Mme la garde des sceaux, même si nous ne partageons pas l’idée qu’elle se fait du mariage et des textes que nous devons voter.
Cet échange s’est poursuivi avec les rapporteurs et le président de la commission des lois, mais, face à nous, se trouvait un groupe majoritaire ficelé par une règle qui lui avait été imposée. Il n’avait pas le droit d’avoir une opinion différente de celle qui avait été décidée en plus haut lieu.
En effet, c’était un engagement du Président de la République ! Comme si, mes chers collègues, vous étiez tenus par tous les engagements de François Hollande ! Comme si les Français étaient obligés, parce que certains d’entre eux, majoritaires lors de l’élection, avaient voté pour François Hollande, d’accepter tout ce qu’il avait proposé.
D’ailleurs, une sorte de malédiction pèse sur les engagements transformés en textes de loi. C’est presque une scoumoune qui les frappe aujourd'hui ! La décision du Conseil constitutionnel sur la proposition de loi de M. Brottes relative à la tarification progressive de l’électricité et du gaz en est le dernier avatar. Elle doit vous interpeller.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. L’électricité et le gaz n’ont pas beaucoup de rapport avec le mariage ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Lenoir. Cet avatar s’ajoute à tant d’autres !
Nous sommes opposés à ce texte car vous bouleversez ici le code civil. La démonstration en a été faite brillamment par plusieurs de mes collègues et amis, notamment le doyen Gélard. Vous introduisez dans notre système plusieurs mariages et nous avons noté que le livret de famille serait particulièrement riche en complications.
Aujourd'hui, pour qu’une loi soit applicable, comprise, admise, elle doit d’abord être simple et intelligible. Or vous ouvrez un champ extrêmement vaste de situations complexes. Celles-ci ne sont d'ailleurs, en réalité, que des réponses adressées à une minorité de personnes influentes, qui ont réussi à introduire dans notre code civil les dispositions qui leur convenaient. Ce faisant, vous bouleversez la famille, qui est le socle, le pilier central de notre société, uniquement parce que vous voulez que le droit à l’enfant soit reconnu.
Chacun a son histoire. La mienne est celle, très simple, d’un enfant qui appartient à une famille nombreuse, qui a été élevé par un père et une mère – celle-ci est toujours en vie, plus que centenaire ! –, à qui je dois beaucoup. Bien sûr, j’admets que d’autres situations aient pu exister, mais reconnaissez que notre société doit beaucoup à la famille, à une famille bien différente de la famille idéale, mais fausse, dépeinte un moment par notre rapporteur pour l’opposer à celle qui aurait existé il y a un siècle.
Cette famille, à laquelle je crois, porte des valeurs. Elle a éduqué plusieurs générations. Elle a permis aux uns et aux autres – c’est le cas de l’immense majorité d’entre nous, me semble-t-il – de vivre dans un pays apaisé, qui savait mobiliser ses forces vives et son énergie pour relever l’ensemble des défis posés à notre société et au monde.
Madame la ministre de la justice, vous dites, ce qui est révélateur, qu’un « changement de société » accompagnait le vote de ce texte. Je pense, malheureusement, que vous avez raison : c’est un véritable changement de société qui s’amorce.
Nous refusons de prendre la direction que vous empruntez. D’autres rendez-vous auront lieu. Nous nous retrouverons donc, et nous vous empêcherons, si possible, de légiférer sur la gestation pour autrui et sur la procréation médicalement assistée. C’est un monde différent, hélas, que vous êtes en train de construire, et je n’ai pour le décrire que cette phrase de Paul Valéry : « Le temps du monde fini commence ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous voilà donc parvenus au terme de ce débat.
Dans quelques minutes, madame la garde des sceaux, vous pourrez goûter la satisfaction d’une promesse tenue – enfin une ! – par le Président de la République. Quitte à avoir perdu le combat de la morale, quitte à perdre celui de la croissance et de la lutte contre le chômage,… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Rebsamen. Attendez un peu !
M. Christian Cambon. … autant gagner sur le front des réformes de société. Celles-là, au moins, ne coûtent pas cher !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Caricature !
M. Christian Cambon. Cette réforme donnera au moins satisfaction à un groupe de pression parisien très branché, l’association LGBT – pour lesbiennes, gays, bisexuels et trans –, qui sera devenue ainsi le logiciel de toute pensée en la matière !
Chers collègues de gauche élus en province, il vous sera utile de raconter tout cela dans vos réunions locales. Croyez-moi, le succès sera garanti ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Rebsamen. Je n’y manquerai pas !
M. Jean-Pierre Godefroy. Pour qui nous prenez-vous ?
M. Christian Cambon. Ainsi, le bel édifice du mariage qui, depuis des siècles, a organisé la rencontre d’un homme et d’une femme souhaitant construire leur vie ensemble et se faire ce don réciproque de concevoir et d’élever un enfant, aura vécu.
Vous vous serez obstinés jusqu’au bout à en détourner le contenu au profit d’une autre union, tout aussi respectable, mais tellement différente, l’union de deux personnes du même sexe.
Au terme de ce débat, c’est un sentiment de triple gâchis que nombre de collègues ressentent aujourd'hui.
Gâchis dans la méthode, tout d'abord : effectif minimal de vos groupes, utilisation compulsive du scrutin public – cela ne trompe pas, c’est le signe d’un verrouillage du débat. Or, en d’autres temps, nous avons connu cette situation, à front renversé, et nous l’avons payé très cher ensuite.
Plutôt que d’adresser des compliments flatteurs et forcés à nos chefs de file, madame la garde des sceaux, vous auriez été mieux inspirée de prendre en compte leurs amendements. Existe-t-il un autre parlement démocratique au monde où une réforme d’une telle importance et d’une telle violence n’aura tenu compte que de deux amendements de l’opposition, qui plus est mineurs ?
Est-ce cela, la France apaisée et unifiée voulue par M. Hollande ? Est-ce cela, monsieur Bel, la nouvelle démocratie parlementaire que vous appeliez de vos vœux lors de votre élection à la présidence du Sénat ?
Gâchis sur le fond, ensuite : ce débat divise les Français que nous aurions pu réunir en votant une union civile, comme tant d’autres pays européens. Notre majorité, en d’autres temps, aurait dû le faire. Votre majorité aussi aurait pu mieux faire. Aujourd’hui, vous redonnerez avec ce vote plus de force et plus d’ampleur à la protestation.
M. François Rebsamen. Nous verrons !
M. Christian Cambon. Le sentiment de millions de Français de ne pas avoir été entendus est appelé à se manifester, dès à présent dans les sondages, demain au fond des urnes.
Aussi, vous pouvez ricaner à propos de ces familles qui croient encore que l’enfant est un don et non pas un droit. Vous pourrez leur expliquer le principe de la société dont vous rêvez : « J’ai envie, donc j’y ai droit ».
Vous pourrez citer la constatation goguenarde du président de la commission des lois, selon lequel « la société change, c’est ainsi, il faut accompagner le mouvement ! »
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Caricature, encore !
M. Christian Cambon. Ce n’est sûrement pas avec des jugements d’une telle portée que les juristes dont les statues nous regardent dans cet hémicycle ont écrit les quelques règles intangibles d’un droit que le monde entier nous envie.
Gâchis, enfin, pour le Sénat : la Haute Assemblée ne vivra pas aujourd'hui un de ses jours glorieux.
M. David Assouline. Ah, si !
M. Christian Cambon. Chaque jour du débat, nous avons découvert la portée inquiétante, voire dramatique, de certaines dispositions du texte, notamment pour le nom ou le régime d’adoption. Plutôt que de répondre à sa belle mission de seconde chambre en améliorant ce texte, le Sénat s’est contenté d’être une chambre d’enregistrement, consignant toutefois nos mises en garde, nos appels à une réforme nécessaire, mais comprise et acceptée par tout le pays.
Cependant, vous n’en avez cure. L’important, pour vous, c’était que la gauche emporte une victoire, quel qu’en soit le prix, pour laisser croire au peuple que vous tenez vos promesses !
Aussi, maintenant, assumez vos responsabilités,…
M. Marc Daunis. On a l’habitude !
M. Christian Cambon. … mais apprêtez-vous aussi à vivre la suite du film. Hier encore, pour la cinquième fois en dix mois, le Conseil constitutionnel vous a sanctionné ! Le combat n’est pas fini. Et lorsque le Conseil constitutionnel aura parlé, vous n’attendrez pas longtemps avant de mesurer le rejet de votre politique, car celle-ci non seulement ne résout aucun des problèmes des Français, mais, aujourd'hui, divise la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mes interventions ne se limitent pas aux propos qui viennent de m’être attribués, je tiens à le préciser !
(M. Jean-Pierre Bel remplace Mme Bariza Khiari au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous sommes arrivés au terme de la discussion de ce projet de loi.
À tous ceux qui répandaient la rumeur selon laquelle les représentants de l’outre-mer, en raison de leur nombre et de la faiblesse de la majorité présidentielle, feraient capoter cette loi, nous avons su apporter un démenti par notre présence constante, nos interventions et nos votes.
Je tenais à leur dire qu’ils doivent cesser d’avoir des a priori sur les représentants de l’outre-mer et de les considérer comme des rétrogrades ou des conservateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Nous vivons, pour la plupart, dans des parties du monde bien plus avant-gardistes que la vieille Europe. Moi-même, je vis en Guyane, donc en Amérique du Sud, un continent où l’on a l’habitude de voir des femmes chef d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Le mariage pour tous y est déjà instauré, même dans le pays dont est originaire le pape actuel.
Nous voterons donc ce projet de loi, comme nous l’avons fait pour chacun de ses articles durant la discussion. Je tenais à remercier les ministres qui ont défendu ce texte, le rapporteur et le président de la commission des lois.
Enfin, avec beaucoup de fierté, et en associant mon collègue Jean-Étienne Antoinette, qui est comme moi guyanais, je tenais tout particulièrement à remercier notre ministre et compatriote Christiane Taubira. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous venons de partager, pendant huit jours, ce que je peux qualifier pour ma part de débat parlementaire.
Ce débat, partant du projet du Gouvernement, a suivi la trajectoire d’une balle de pelote basque renvoyée par un fronton, celui des deux groupes de l’opposition, ici, au Sénat. Il s’est fondé notamment sur les quatre motions qui ont été respectivement présentées par le doyen Gélard, par Jean-Jacques Hyest, par Hugues Portelli et par Bruno Retailleau. Elles ont structuré notre débat, face au projet du Gouvernement.
Je tenais à remercier, d’une façon générale, l’ensemble de nos collègues, à qui nous devons ce débat. Il s’est tenu, pour le groupe auquel j’ai l’honneur d’appartenir, dans le respect de liberté de choix de chacun,…
M. Patrice Gélard. Tout à fait.
M. Gérard Larcher. … ce dont je remercie ses membres. C’est un point extrêmement important, car aucun mandat n’est impératif et chacun décide, en conscience, de ses choix et de son vote. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Cointat. Ce n’est pas le cas dans tous les groupes !
M. Gérard Larcher. Au fil du XXe siècle, qui fut sans doute le plus chaotique et le plus tragique pour les différences, nous avons cheminé vers l’acceptation, puis vers le respect de ces dernières. Ce fut notamment le cas pour l’orientation sexuelle, ce qui est pour moi le signe d’un progrès de civilisation.
Sur ce point, un peu comme le disait Rabaut Saint-Etienne de la liberté de conscience, en août 1789, dans les débats préalables à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, nous sommes passés de la tolérance, qui est condescendance, à la liberté, qui est respect – Jean-Pierre Raffarin le rappelait tout à l’heure.
À la différence légitime, au nom d’une conception réductrice de l’égalité – cette égalité extrême qu’évoquait Nicolas Alfonsi –, vous répondez par l’uniformité d’une institution fondée sur l’altérité, à savoir le mariage. Comme si, au nom des principes essentiels, certaines valeurs fondatrices ne devaient pas, elles aussi, être considérées comme essentielles !
Ce débat m’a fait prendre conscience que l’enfant est le véritable fondement de notre société, que ce soit au travers de l’adoption, de la filiation, du nom ou de la famille. Le nom – ce sujet s’est révélé, pour moi, au cours du débat –, qui fait que chaque personne à la fois est unique et s’inscrit dans une continuité, traduit sans doute la dimension d’humanité spécifique qui sied à ce débat.
Tous ces fondements sortiront bouleversés, sans boussole, de nos débats. Une institution déjà fragilisée, le mariage, en sortira lézardée. Bientôt, dans quelques mois ou quelques années, viendront d’autres débats, qui porteront sur l’essentiel et sur le caractère du don que nous avons évoqué tout au long de nos travaux.
C’est donc vraiment en conscience, au-delà de mon appartenance claire à l’opposition politique, et avec la liberté que me confère mon mandat, que je voterai contre ce texte ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous voilà parvenus, après huit jours de débats et plus de soixante heures d’échanges, au terme de l’examen de ce projet de loi, qui doit ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Je reconnais avoir ressenti par moments une certaine lassitude…
M. Jean-Claude Lenoir. Cela s’est vu !
M. François Rebsamen. Nous étions tout à la fois là, mes chers collègues, et un peu las de vous entendre quelquefois répéter en boucle les mêmes arguments. (Sourires.)
M. Gérard Longuet. C’est du Hollande : c’est plat !
M. François Rebsamen. Il y a eu plus de deux cents explications de vote, certaines très originales et intéressantes, mais beaucoup d’autres reprenant inlassablement les mêmes raisonnements.
M. Henri de Raincourt. C’est de la pédagogie !
M. François Rebsamen. Je n’ai en revanche jamais éprouvé le moindre découragement, la moindre inquiétude, ni surtout le moindre doute, parce que je savais que nous adopterions ce texte.
Comment se décourager, en effet, quand on lutte pour une cause que l’on pense juste, pour faire cesser les inégalités et les discriminations qui frappent, aujourd'hui encore, certains de nos concitoyens en raison de leur orientation sexuelle ? Comment douter quand on combat pour des valeurs qui fondent notre République ? Et celles-ci ne sont pas dévalorisées, monsieur Hyest : la liberté reste une grande valeur, l’égalité est la plus belle de toutes et la fraternité doit nous rassembler à travers la laïcité.
Oui, la liberté, celle de vivre ensemble alors que certains de nos concitoyens – ce qui s’est produit ces derniers jours l’a prouvé – sont encore poursuivis, voire pourchassés en raison de leurs orientations sexuelles ! Ce n’est pas tolérable. (Marques d’approbation sur diverses travées.)
L’égalité des droits, quelle plus belle perspective ? La fraternité, enfin, face aux différences, est une valeur essentielle, qui doit nous rassembler dans la laïcité de la République. L’institution du mariage n’appartient à aucune religion, elle appartient à la République.
Pourquoi s’inquiéter lorsque la gauche se rassemble pour combattre en faveur de valeurs républicaines ?
Mme Isabelle Debré. Pas toute la gauche !
M. François Rebsamen. J’adresserai deux brèves remarques à nos collègues de l’opposition.
Vous nous avez opposé, madame Des Esgaulx, encore dernièrement, « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Ainsi, vous seriez les défenseurs de l’intérêt supérieur des enfants (Exclamations sur les travées de l'UMP.),…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Oui, je le crains !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Nous aussi !
M. François Rebsamen. … alors même que vous avez supprimé, sans même le dire, le Défenseur des enfants ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.) Et nous, alors ?
Mme Isabelle Debré. Vous mélangez tout !
M. François Rebsamen. Monsieur Raffarin, vous avez souligné que vous vouliez être le camp du « nom » – belle formule ! –, mais j’ai entendu d’autres de vos collègues dire que vous étiez le camp du « non », celui du refus du progrès ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce texte n’est pas un progrès !
M. François Rebsamen. Pour ma part, je préfère cette gauche qui s’est battue pour mettre fin aux discriminations et à la pénalisation dont étaient frappés les homosexuels,…
Mme Isabelle Debré. Cela n’a rien à voir !
M. François Rebsamen. … ici même, autour du sénateur Caillavet ! Je préfère cette gauche qui a su imposer le PACS, auquel vous vous opposiez, à l’époque, avec une violence que vous regrettez aujourd’hui !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On n’en est plus là !
M. François Rebsamen. Je préfère cette gauche qui va, dans quelques instants, donner aux couples homosexuels la possibilité de se marier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mes chers collègues, je voudrais dire, en quelques mots, la fierté qui nous envahit au moment de voter ce projet de loi et vous remercier de la part que vous avez prise aux débats.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je ne vous trouve pas très joyeux !
M. François Rebsamen. Nous sommes favorables à ce texte, qui fait avancer les droits avec noblesse, et nous lui avons apporté notre soutien, par notre présence aux côtés de Mme la garde des sceaux et de Mme la ministre de la famille. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nos débats de ce matin sont à l’image de ceux qui se sont déroulés depuis le début de l’examen de ce projet de loi et reflètent bien deux visions distinctes.
Sur le côté droit de l’hémicycle, on entend des propos alarmistes, alarmants, pessimistes, parfois prédictifs d’un monde qui, on le sait, n’apparaîtra pas. Les pays qui ont ouvert le droit au mariage homosexuel en Europe – et, cette semaine encore, en Amérique latine – n’ont connu ni la révolution ni le chaos redoutés. Toutefois, vous voulez faire peur ! (Mais non ! sur les travées de l'UMP.)
Il est certain que votre vision de la famille, vous le sentez, est en train de s’effriter. C’est au nom des mêmes valeurs que vous, c'est-à-dire dans l’intérêt de l’enfant, que nous défendons, du côté gauche de l’hémicycle, une vision plus progressiste, incluant toutes les familles, toutes celles et tous ceux qui veulent fonder une famille, quelle que soit leur orientation sexuelle.
M. Gérard Longuet. Vous vous gargarisez de mots !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Pour ma part, je remercie toutes celles et ceux qui ont contribué à ce que cette loi, que je m’apprête à voter avec fierté et conviction, voie le jour ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, vous le comprendrez, c’est avec beaucoup de fierté et d’émotion que je savoure ce moment, quinze ans après l’adoption du PACS.
Je remercie le groupe socialiste et la commission des lois, qui m’ont désigné pour être le rapporteur de ce texte. Je suis redevable de la confiance que m’ont accordée François Rebsamen et Jean-Pierre Sueur, pour participer à une histoire qui n’est pas terminée, vous l’avez tous dit, et qui se poursuivra par des améliorations constantes, parce que telle est notre société ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Isabelle Debré. Eh non !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Oui, le débat a eu lieu, mes chers collègues, mais il portait naturellement sur les propositions du Gouvernement.
M. Jean-Claude Lenoir. Nous en avons fait aussi !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous n’avez rien accepté !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Les vôtres, celles qui portaient sur l’union civile, sont dépassées. En dix ans, vous avez raté des étapes ! Il aurait peut-être pu en être autrement, mais vous n’avez rien fait, et vous avez perdu la main ! Aujourd’hui, acceptez que ce soient le Gouvernement et François Hollande qui proposent cette réforme majeure aux Français !
M. Gérard Longuet. Nous avons choisi la famille !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je remercie toutes celles et tous ceux qui m’ont aidé dans ce rapport, les collaborateurs du groupe socialiste et les services de la commission des lois, et je salue affectueusement Mmes Taubira et Bertinotti, leur connaissance du dossier – vous me direz que c’est le moins que l’on puisse faire, mais cela n’a pas toujours été le cas – et surtout leur engagement profond et leur fougue pour défendre nos idées.
Je voudrais également adresser un salut amical à Erwann Binet, qui va poursuivre et peut-être achever le travail entamé à l’Assemblée nationale voilà quelques mois.
Pour finir, ma pensée va à toutes celles et tous ceux qui attendent avec impatience le jour où ils pourront, enfin, se marier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
M. Gérard Longuet. Il n’y a pas de scrutin public ?
M. Daniel Raoul. Il fallait le demander !
(Le projet de loi est adopté.)
(Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE se lèvent et applaudissent longuement. – Plusieurs sénateurs du groupe UMP se lèvent et quittent l’hémicycle.)
M. Bertrand Auban. Vous pourriez rester encore un peu !
M. Gérard Longuet. Nous allons nous marier !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je voulais à mon tour dire la grande émotion qui est la nôtre et me tourner vers l’avenir, maintenant que ce texte est adopté au Sénat et qu’il le sera bientôt à l’Assemblée nationale, pour beaucoup d’hommes et de femmes homosexuels.
Ces hommes et ces femmes ont traversé des situations dans lesquelles ils étaient constamment vilipendés, critiqués ; ils ont vécu tellement longtemps dans la honte qu’ils ont demandé la reconnaissance. Ce projet de loi est donc d’abord un texte de reconnaissance pour celles et ceux qui ont demandé, depuis bien des années, de pouvoir passer de la honte à la fierté, afin que chacune et chacun, dans ce pays, puisse être fier d’être qui il est et respecté dans son être propre. Tel est le premier avenir de ce texte.
Ensuite, ce projet de loi est voté comme il est, dans la rédaction qui est la sienne. À cet égard, je tiens à dénoncer les faux procès qui nous ont constamment été intentés sur ce texte, qui ne porte pas sur autre chose que ce qui est son objet, à savoir le mariage et l’adoption.
Sur les autres questions, il est clair que nous aurons encore à travailler et à réfléchir ; aucune position n’est prise sur les mesures qui ont été constamment présentées comme étant impliqués par le texte. Sur l’adoption, je le dis avec confiance, je tiens à souligner l’accord général pour que la prochaine loi sur la famille comporte un vaste volet reprenant la totalité de la législation sur le sujet.
Pour terminer, je veux remercier de tout cœur nos rapporteurs, Jean-Pierre Michel et Michelle Meunier, de leur générosité, leur sincérité et la force de leurs convictions.
À mon tour, je salue toutes celles et tous ceux qui ont participé à nos travaux, notamment nos collègues de la commission des lois et, pour finir, nos deux ministres, Dominique Bertinotti et Christiane Taubira, qui ont fait preuve de la même force de conviction. Cela fait plaisir quand la politique est portée par le cœur et par l’esprit ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, je précise, pour que cela figure au Journal officiel, que les membres du groupe UMP sont défavorables à ce projet de loi, à l’exception de M. Christian Cointat, Mmes Jacqueline Farreyrol et Fabienne Keller, qui sont pour, et de MM. Alain Fouché, Yann Gaillard, Roger Karoutchi et Alain Milon, qui ont déclaré vouloir s’abstenir.
Quant aux sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe, ils sont tous défavorables à ce projet de loi.
M. François Rebsamen. Monsieur le président, les membres du groupe socialiste sont favorables à ce projet de loi, à l’exception de MM. Roland Povinelli et Richard Tuheiava, qui sont contre, et de MM. Maurice Antiste, Jacques Cornano, Claude Domeizel, Jean-Noël Guérini et Jeanny Lorgeoux, qui ont déclaré vouloir s’abstenir.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, les membres du groupe UDI-Union centriste sont défavorables à ce projet de loi, à l’exception de Mme Chantal Jouanno, qui est pour, et de M. Vincent Capo-Canellas, qui a déclaré vouloir s’abstenir.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le président, les membres du groupe du RDSE sont favorables à ce projet de loi, à l’exception de MM. Nicolas Alfonsi et Gilbert Barbier, qui sont contre, et de MM. Jean-Pierre Chevènement, Pierre-Yves Collombat et François Vendasi, qui n’ont pas pris part au vote.
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Le groupe écologiste formule la même demande, monsieur le président.
En cette belle journée, nous souhaitons faire figurer dans le compte rendu intégral des débats du Sénat que l’ensemble des membres du groupe écologiste sont favorables à ce texte.
M. le président. Je vous donne acte de vos déclarations, mes chers collègues.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous venons de vivre un moment d’émotion. Christiane Taubira et moi-même en avions déjà vécu un premier lors du vote du texte à l’Assemblée nationale, en voici un second. Il est tout aussi important et tout aussi fort.
Le peuple a souvent été convoqué dans cette assemblée au cours des débats. Or respecter le peuple, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est d’abord le respecter dans sa diversité. Il n’est plus possible aujourd’hui d’imposer un seul modèle familial à l’ensemble de la société, car il en existe plusieurs. Nos concitoyens, dans leur grande diversité, nous demandent de leur accorder les mêmes droits et les mêmes devoirs. C’est bien nous qui sommes en train de défendre la famille, même si celle-ci présente des visages multiples. Tel est le choix de nos concitoyens. En tant que représentants de l’État, nous devons leur assurer les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Je me tourne à présent vers Esther Benbassa pour lui dire combien ses propos m’ont touchée. En effet, dans mes fonctions antérieures, en tant que maire d’arrondissement, j’ai connu des situations humaines très proches de celles qu’elle a évoquées avec beaucoup de cœur.
J’ai eu l’occasion d’entendre de nombreux homosexuels me faire part de leurs souffrances, de leurs luttes contre eux-mêmes, de leur honte, parce qu’ils vivaient dans une société qui, hier – je l’espère –, tolérait plus les homosexuels qu’elle ne les acceptait. C’est ce qui explique encore, il ne faut jamais l’oublier, le taux de suicide bien trop élevé que l’on connaît chez les jeunes homosexuels.
Au fond, cette loi est une façon de leur donner enfin le droit d’exister sereinement, avec une dignité retrouvée. C’est cela qui est à mettre à votre honneur, mesdames, messieurs les sénateurs. Cette loi va leur permettre de ne plus être des clandestins dans leur famille, dans la société, dans la République.
Monsieur Raffarin, cette loi n’a vocation ni à assurer le paradis social ni à engendrer l’enfer spirituel. Elle vise simplement à permettre à chacun, quelle que soit son orientation sexuelle, d’être un citoyen à part entière, doté des mêmes droits et des mêmes devoirs.
Enfin, madame Des Esgaulx, en conscience, comme fille, comme mère, comme citoyenne, je partage pleinement le propos de cette mère que nous avons auditionnée et qui nous a demandé : « Comment justifier auprès de mes deux garçons, dont l’un est homosexuel, qu’ils n’aient pas les mêmes droits ? ». En conscience, je réponds que rien ne le justifie.
Je partage avec vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs qui avez voté pour cette loi, une immense fierté, car ce texte est un grand moment, une véritable avancée pour l’ensemble de notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a en cet instant une émotion si profonde, si forte, qu’elle emplit l’hémicycle. Nous ressentons bien le climat qui nous environne en ce moment particulièrement important.
Avant d’évoquer brièvement quelques éléments essentiels de ce texte, je tiens à saluer les présidents des groupes parlementaires.
Je commencerai par saluer les groupes de la majorité : M. François Rebsamen, président du groupe socialiste et, à travers lui, l’ensemble des sénateurs de son groupe ; Mme Assassi, présidente du groupe CRC et, à travers elle, les sénateurs de son groupe ; M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, et M. Robert Hue, qui a été fortement présent pendant les débats, ainsi que l’ensemble des sénateurs du groupe RDSE ; M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste et, à travers lui, l’ensemble des sénateurs de son groupe.
Je vous remercie de votre constance et de votre sens du travail commun, malgré, parfois, des divergences d’appréciation, de votre capacité à faire vivre ce texte et à l’enrichir. Grâce à vous, c’est un beau texte qui émanera du Parlement.
Je tiens à vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité, à quel point j’ai été sensible à la rigueur avec laquelle vous avez participé aux travaux préparatoires, à la très grande qualité de vos interventions lors de la discussion générale, à la dignité dont vous avez fait preuve lors de la discussion des motions de procédure et de l’examen des articles.
Ayant moi-même été parlementaire, je sais à quel point on peut brûler d’envie d’intervenir pendant les échanges. Je sais que vous avez stoïquement résisté à la tentation d’intervenir pour défendre vos convictions,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est très vrai !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … mais aussi pour faire connaître, ce qui est légitime, vos prises de position à vos électeurs.
Je tiens particulièrement à souligner l’abnégation qui a été la vôtre, qui vous a conduit à participer à ce débat et à être présents tout en économisant vos interventions. Je salue votre sens des responsabilités et je vous remercie de votre présence active et stimulante. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Je tiens également à saluer les sénatrices et les sénateurs de l’opposition qui ont fait vivre ce débat.
Je salue Mme Troendle, qui a assuré avec vigilance la défense des intérêts du groupe UMP au cours de ces huit jours de débat.
Je salue d’une marque particulière MM. Gélard, Hyest et Raffarin, compte tenu de la qualité de leurs interventions. Je les remercie d’avoir veillé à ce que nous ayons un texte de qualité et de s’être assurés de la compatibilité de ce projet de loi avec les dispositions de notre loi fondamentale.
Puisque vous n’aurez plus le temps de riposter, et compte tenu de ce qu’ont parfois été vos réactions, je tiens, madame Des Esgaulx, à saluer votre pugnacité. (Sourires.) Vous m’avez interpellée en qualité de fille, de mère et de femme. Toutefois, vous avez omis ma qualité d’épouse. Or je l’ai possédée – et même deux fois ! (Rires.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est la vie privée, cela !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est justement ce que j’allais vous dire ! Je suis ici en qualité de garde des sceaux. Je porte un texte du Gouvernement. Je le porte sans la moindre réticence. Je le porte avec une incontestable fierté. Je le porte avec toutes mes convictions et, surtout, avec le souci de la rigueur indispensable à la rédaction d’une loi, car celle-ci est une règle commune, qui vise à protéger les citoyens.
Il n’est donc nullement nécessaire de s’interroger sur ce que ma personne peut avoir à faire dans cette affaire. Ma personne n’est aucunement en contradiction avec le contenu de ce projet de loi. C’est en étant consciente de la responsabilité qui est la mienne que, en qualité de garde des sceaux, j’ai présenté ce texte devant vous.
Je salue Dominique Bertinotti, sa présence, sa forte implication, la qualité de ses interventions et sa combativité. Elle a sans doute mesuré l’attente extraordinaire que suscite le texte sur la famille qu’elle aura prochainement le plaisir et l’honneur de présenter devant les deux chambres du Parlement.
Même s’il n’est pas présent aujourd'hui, je salue Alain Vidalies, ministre des relations avec le Parlement, qui est venu à plusieurs reprises, par respect pour vous, mesdames, messieurs les sénateurs.
La commission des lois et celle des affaires sociales ont effectué un travail en commun, en bonne intelligence avec le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale. C’est là une méthode de travail entre les deux chambres qui est exemplaire.
Nous ouvrons l’institution républicaine du mariage aux couples de personnes de même sexe. La force et la puissance de la loi, c’est d’énoncer des règles générales pouvant couvrir toutes les situations dans leur diversité et permettant d’anticiper des litiges complexes. Or nous savons que l’imagination des hommes et des femmes est infinie lorsqu’il s’agit de rendre les litiges complexes, notamment lorsque les sentiments sont en cause. La force et la puissance de la loi, c’est d’être capable d’anticiper les règles nécessaires pour répondre à ces situations, dont certaines sont imprévisibles.
L’ouverture de l’institution du mariage aux couples de personnes de même sexe se fait dans les mêmes conditions d’âge et de consentement que pour les couples hétérosexuels, avec les mêmes obligations de respect, d’assistance, de fidélité, avec les mêmes sécurités par les effets d’ordre public, et les mêmes conséquences sur le régime social et fiscal, avec les mêmes protections aussi.
En cas de séparation ou de conflit, le juge interviendra pour protéger le membre du couple ou de la famille le plus vulnérable, le plus fragile. Il interviendra pour veiller à l’intérêt des enfants. Il interviendra pour s’assurer que ces adultes, qui sont pris dans le vertige d’un conflit et qui, souvent, deviennent déraisonnables dans ces moments-là, ne perdent ni leur dignité, ni leurs droits, ni le sens des devoirs qui demeurent, et continuent à veiller sur leurs enfants.
Je parle d’enfants, oui, qui vivent, qui existent, au sein de ces familles. Je parle de ces enfants qui sont faits de chair et d’os, qui sont tout vibrants de cris et de rires, de ces enfants qui s’écorchent le genou, qui aiment les sucreries, qui détestent les brocolis (Rires sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.), de ces enfants qui nous explosent la tête. Ce sont ces enfants-là que vous protégez, avec ce texte de loi ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Vous protégez aussi ces adolescents qui, en ces moments particuliers où la personnalité s’épanouit dans des élans et des tensions parfois contradictoires, vivent déjà dans le trouble et doivent affronter le trouble supplémentaire de regards, de paroles, de gestes qui signent leur exclusion de la société. Par ce texte, vous leur dites qu’ils sont pleinement citoyens de ce pays, qu’ils sont des adolescents comme les autres, avec leur singularité et leur individualité. Pour le reste, c’est leur affaire. Nous y veillerons, avec une vigilance sans faille.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En votant ce texte, vous avez renforcé le pacte républicain, la res publica, c'est-à-dire la chose publique. Car quel bien commun est plus précieux que nos institutions ?
En ouvrant cette institution républicaine aux couples de même sexe, nous reconnaissons, tout simplement, leur pleine citoyenneté. Nous disons à ces personnes qui décident de s’unir, animées d’un projet conjugal et parental, qu’elles ont exactement les mêmes droits que tous les autres citoyens. Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous contribuez à la paix civile.
Je le dis devant la Haute Assemblée, qui est si attachée aux libertés individuelles, à leur défense, à leur préservation, comme ses membres l’ont souvent montré, parfois contre le gouvernement qu’ils soutenaient.
Je le dis devant la Haute Assemblée, à qui les mœurs, parfois, posent quelques problèmes. C’est vrai, avec le mariage des couples de même sexe, nous sommes à la croisée des libertés individuelles et des mœurs. Je dis bien des mœurs, et non pas de leur évolution, car l’homosexualité a toujours existé.
Nous consentons aux mœurs. Nous acceptons de faire un pas supplémentaire vers l’égalité, en ouvrant cette institution républicaine aux couples de même sexe. Ainsi, nous faisons en sorte que leurs membres deviennent des citoyens comme les autres. Nous affirmons que nous n’avons pas à distinguer leur orientation et à en faire un marqueur personnel.
Personne ne s’offusquera que je salue plus particulièrement les parlementaires des outre-mer. Comme tous les parlementaires de la majorité, ils ont consenti à être présents, actifs, à stimuler notre travail, à nous accompagner, à nous encourager. Dans le même temps, ils ont consenti à nous faire gagner du temps lors de nos débats, pour lesquels ils ont traversé au moins un océan.
Je les remercie particulièrement, parce qu’ils ont fait preuve de courage, compte tenu de l’ambiance entretenue ces dernières semaines dans les territoires des outre-mer. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, je vous remercie de la très grande qualité de la plupart de vos interventions, qui ont contribué à l’enrichissement de ce débat.
Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité et de l’opposition qui avez voté ce texte, je vous adresse mes remerciements chaleureux. En adoptant ce projet de loi, vous nous avez conduits dans ce lieu, à la fois symbolique et social, que décrit très bien le grand poète Rabîndranâth Tagore :
« Là où l’esprit est sans crainte et où la tête est haut portée,
Là où la connaissance est libre,
[…]
Là où le clair courant de la raison ne s’est pas mortellement égaré dans l’aride et morne désert de la coutume ».
(M. le président de la commission des lois, M. le rapporteur, Mme la rapporteur pour avis, Mmes et MM. les sénateurs du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC se lèvent et applaudissent longuement.)
M. le président. Madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues de toutes sensibilités politiques, permettez-moi de vous remercier à mon tour de la qualité de vos interventions au cours de ce débat qui, je le crois, a honoré le Sénat.
3
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 12 avril 2013, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 123-9 du code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de l’article 16 de la loi n° 76-1285 du 31 décembre 1976 (plans locaux d’urbanisme) (2013 325 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la Séance.
Acte est donné de cette communication.
4
Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 12 avril 2013, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 adaptant la justice aux évolutions de la criminalité (délai de prescription des délits) (n° 2013-302 QPC).
Acte est donné de cette communication.
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 15 avril 2013, à seize heures et le soir :
Nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral (n° 499, 2012-2013) ;
Rapport de M. Michel Delebarre, fait au nom de la commission des lois (n° 503, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n° 504, 2012-2013) ;
et conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des conseillers intercommunaux et des conseillers départementaux ;
Rapport de MM. Michel Delebarre, sénateur, et Pascal Popelin, député, fait au nom de la commission mixte paritaire (n° 476, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n° 477, 2012-2013).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à onze heures cinquante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART