M. Gérard Longuet. Vous voulez dire : étonnée !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je me rends compte, en effet, que votre ton est en général beaucoup plus véhément que le fond de votre propos ! (Rires sur les travées du groupe UMP.) Au début, je me demandais pourquoi vous sembliez fâchée, mais j’ai constaté que vos interventions comportaient toujours une argumentation et une démonstration. Seulement, votre ton pourrait faire croire à une certaine agressivité, alors que tel n’est pas le cas. Ces spécificités font incontestablement le charme et le mystère de chacune et de chacun ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)
Article 4 bis
I. – Dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance :
1° Les mesures nécessaires pour adapter l’ensemble des dispositions législatives en vigueur, à l’exception de celles du code civil, afin de tirer les conséquences de l’application aux conjoints et parents de même sexe des dispositions applicables aux conjoints et parents de sexe différent ;
2° Les mesures relevant du domaine de la loi permettant, d’une part, de rendre applicables, avec les adaptations nécessaires, les dispositions mentionnées au 1° en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, pour celles qui relèvent de la compétence de l’État, et, d’autre part, de procéder aux adaptations nécessaires en ce qui concerne Mayotte et les collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon.
L’ordonnance prévue doit être prise dans un délai de six mois suivant la publication de la présente loi.
II. – Le projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 69 rectifié bis est présenté par M. Gélard et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et MM. Darniche et Husson.
L'amendement n° 176 rectifié ter est présenté par MM. Zocchetto et Détraigne, Mme Gourault, M. Mercier, Mme Morin-Desailly, MM. Pozzo di Borgo, Arthuis, J. Boyer, Delahaye, Marseille, Bockel, Dubois, Amoudry et J.L. Dupont, Mme Férat, MM. Guerriau, Maurey, Merceron, Namy, Roche et Tandonnet, Mme Létard et MM. Capo-Canellas, Jarlier et de Montesquiou.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Patrice Gélard, pour présenter l'amendement n° 69 rectifié bis.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, permettez-moi de remonter dans l’histoire du Sénat.
Je me souviens du temps où l’actuel président de la commission des lois, de concert avec le regretté Michel Dreyfus-Schmidt et d’autres collègues, tel Pierre-Yves Collombat, les uns et les autres rigoureusement hostiles à l’utilisation des ordonnances, se livraient à une défense âpre et convaincue des prérogatives du Parlement.
Il est intéressant de voir qu’avec la réapparition des ordonnances il nous revient à nous, qui sommes maintenant dans l’opposition, d’endosser le costume qu’avaient autrefois revêtu les socialistes et d’attaquer les ordonnances. Cela démontre bien que, quand on est dans la majorité, on a un point de vue et que, une fois dans l’opposition, on en a nécessairement un autre !
J’ajouterai, toutefois, qu’en ce qui nous concerne il est des cas où les ordonnances nous apparaissent nécessaires.
Il en va ainsi, par exemple, dans le domaine de la codification, à l’exclusion, bien évidemment, du code de procédure pénale, du code pénal et du code civil. Je veux parler de codes et de matières très complexes, qui atteignent un degré de technicité incompatible avec l’organisation de véritables débats dans l’hémicycle.
De même, nous avons estimé, à juste titre, que la nécessité d’aller vite pour combler des retards accumulés en matière de transposition de directives européennes ou de ratification de traités internationaux – sujets, là encore, très techniques – justifiait parfois le recours aux ordonnances.
Dans le cas précis qui nous intéresse aujourd’hui, je m’interroge sur le bien-fondé de l’utilisation de l’article 38 de la Constitution.
En effet, il s’agit là de revoir toute une série de textes qui n’ont pas été visés par le projet de loi que nous examinons. Peut-être allons-nous être aussi amenés à aller parfois dans l’inconnu tant l’argumentation développée en faveur du recours aux ordonnances me paraît faible.
Pour toutes ces raisons, je pense absolument nécessaire de ne pas autoriser le Gouvernement à prendre l’ordonnance ici prévue mais de faire confiance au législateur pour modifier lui-même, normalement et en vertu de l’article 34 de la Constitution, les dispositions à appliquer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour présenter l'amendement n° 176 rectifié ter.
M. Yves Détraigne. Le groupe centriste, qui est, par principe, hostile au recours aux ordonnances, l’est a fortiori sur un sujet aussi fondamental que celui qui nous occupe aujourd’hui. Avec cette ordonnance, il s’agit, en effet, ni plus ni moins, de donner au Gouvernement la possibilité de légiférer sur un sujet qui touche aux fondements mêmes de notre organisation sociale.
Sans vouloir en rajouter dans les citations, je dois dire que je suis assez d’accord avec le député François Hollande qui, s’exprimant à l’Assemblée nationale le 8 juin 2005, voyait dans la procédure des ordonnances le moyen de flouer le Parlement et de renoncer à la confrontation démocratique et au débat. Je ne saurais mieux dire.
Sur un sujet de cette importance, je considère qu’il n’est pas raisonnable d’ôter à la représentation nationale, à la représentation démocratique, la responsabilité du débat.
Voilà pourquoi nous sommes hostiles à l’article 4 bis et en demandons la suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission est défavorable aux deux amendements identiques nos 69 rectifié bis et 176 rectifié ter, qui tendent à supprimer l’article 4 bis.
Après avoir voté l’article 1er sur le mariage, le Sénat vient d’adopter l’article 4. Ce dernier modifie le code civil en complétant le titre préliminaire par un article général qui pose le principe d’égalité.
S’il avait fallu passer en revue tous les articles concernés, contenus dans des textes et codes différents, cela aurait pris, compte tenu de la longueur et de la densité des débats, beaucoup de temps, plusieurs mois peut-être !
Il est donc tout à fait normal que le Gouvernement demande au législateur, qui a voté les principes, l’autorisation de prendre par voie d’ordonnance les mesures nécessaires pour adapter l’ensemble des dispositions législatives en vigueur.
Ces ordonnances présentent deux garanties pour le Parlement.
D’abord, si le Gouvernement veut réintégrer l’ordonnance dans le domaine législatif - à mon avis, ce sera le cas, car le Gouvernement est prêt -, il nous demandera, après l’avoir prise dans un délai de six mois suivant la publication de la loi d’habilitation, de l’approuver par un projet de loi de ratification qui sera déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.
Vous le savez très bien, les projets de loi de ratification ont donné lieu, ici même, à des débats souvent très longs. Ce fut le cas, par exemple, lorsque le code du travail a été modifié par ordonnance. Il se trouve qu’un certain nombre d’articles n’avaient pas été codifiés à droit constant. M. Xavier Bertrand, alors au banc du Gouvernement, en était convenu et avait accepté un certain nombre d’amendements. La discussion prit un certain temps. Cette garantie, vous la retrouvez ici.
Ensuite, supposons que le projet de loi de ratification ne soit pas présenté dans les délais, soit par inadvertance, soit en raison de bouleversements politiques ou autres, ce qui est déjà arrivé : les textes adoptés seraient alors caducs et pourraient, en tant que tels, être attaqués à tout moment devant le Conseil d’État.
L’article 4 bis me paraît donc présenter toutes les garanties et permet, à mon sens, d’améliorer d’autant la lisibilité du projet de loi.
Je laisse maintenant à Mme le garde des sceaux le soin de vous donner les explications détaillées que je ne suis pas en mesure de vous fournir, notamment quant à l’état d’avancement des travaux du Gouvernement pour modifier un certain nombre de textes, dans le prolongement de l’article 1er du projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement est également défavorable à ces deux amendements.
Nous savons que les deux chambres du Parlement refusent farouchement de se voir dépossédées de l’élaboration de la loi et de transférer cette responsabilité à l’exécutif.
Cette préoccupation est une constante dans l’histoire d’un Parlement qui a toujours vigoureusement contesté un tel transfert. J’y suis d’autant plus sensible que j’ai moi-même été parlementaire et que j’ai, dans ce cadre, bataillé contre les ordonnances. J’entends donc votre protestation, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je rappelle simplement que l’article 38 de la Constitution a introduit des conditions très strictes pour encadrer le recours aux ordonnances en ce qu’il impose le dépôt d’un projet de loi de ratification dans un délai très précis. Le Parlement a ainsi la possibilité de discuter du contenu des ordonnances et, par conséquent, de contester éventuellement certaines des dispositions prises. La Constitution apporte donc une garantie solide au législateur, qui, loin d’être dépossédé de son pouvoir, en voit simplement l’exercice différé de quelques mois.
Je rappelle à M. le doyen Gélard que le Gouvernement sera habilité non pas à élaborer des règles mais à procéder, dans les six mois de la publication de la loi, aux coordinations nécessaires dans tous les codes, à l’exception de celles qui concernent le code civil et qui demeurent de la compétence du Parlement.
Donc, le Parlement n’est pas dépossédé de ses prérogatives.
Nous serons en mesure de tenir les délais, puisque le travail a été fait lors de la première phase d’écriture du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Les ordonnances font partie de ce parlementarisme rationalisé que nous avons voulu instaurer en 1958. L’usage que nous en avons fait a en général été critiqué par l’opposition et défendu par la majorité, comme il se doit.
Il est évident que les ordonnances de l’article 38 participent au bon fonctionnement de nos institutions.
Y a-t-il, derrière notre opposition, car je soutiens l’amendement du doyen Gélard, un jeu politique ? La réponse est non ! Absolument pas !
La matière sur laquelle nous travaillons aujourd'hui, et nos débats le démontrent très largement, est horriblement complexe. On comprend bien votre volonté initiale ; vous avez le sentiment que l’adoption de l’article 1er a fixé définitivement et globalement une orientation. Or nous découvrons en fait – ce n’est pas un grief contre les travaux de la commission, tant le sujet est complexe –, au fur et à mesure de l’avancement de nos débats, toute une série de complications.
J’aurais pu ne pas intervenir puisqu’il est clairement dit par l’article 4 bis que tout ce qui est lié au code civil ne sera pas dans le champ de l’habilitation. Tant mieux ! En revanche, tout le reste, notamment cette dimension sociale et sociétale du mariage, peut être traité par ordonnance.
Vous nous renvoyez à des débats ultérieurs. Or nous aimerions dès aujourd'hui pouvoir mesurer les implications de ces changements. En effet, le rythme, sinon expéditif, en tout cas, accéléré de nos travaux sur un sujet de société primordial fait que l’opinion, qui découvre les choses, s’interroge, à juste titre, à travers ses parlementaires.
J’évoquais à l’article 4 le concept de « parents ». Vous balayez notre inquiétude en disant que tout ce qui est lié au code civil ne sera pas traité par ordonnance.
Nous aurons pourtant à décliner le changement apporté au code civil dans différents domaines qui ne relèvent absolument pas de ce code, qu’il s’agisse, par exemple, de prestations sociales, de logement, d’éducation, de responsabilité fiscale des uns et des autres. Et nous allons être privés de ce débat.
Je prendrai en outre deux exemples de ces dispositions que nous découvrons, chemin faisant, mais que la commission n’a pas traités définitivement, alors qu’ils seront concernés par l’ordonnance bien que relevant par nature du code civil.
Il s’agit d’abord des ascendants, lesquels sont des « parents » au sens du langage commun, mais pas des « géniteurs », pour reprendre la formule employée par Hugues Portelli.
Or ces ascendants sont impliqués dans la modification du code civil issue de l’article 4 du projet de loi. L’adoption est désormais autorisée si les ascendants ne manifestent aucun intérêt ou s’ils n’ont pas manifesté clairement un intérêt pour l’enfant - en l’occurrence, il s’agit du petit-fils ou de la petite-fille, puisque l’on saute une génération. L’adoption dudit enfant peut donc avoir lieu sans leur intervention.
Ce débat relève-t-il du code civil ? Oui ! Ne relève-t-il que du code civil ? Non ! L’ordonnance risque de créer des situations de fait avant même que nous n’ayons débattu des conséquences de ces dispositions sur le code civil – même si nous avons vocation à en parler à un autre moment.
Je prendrai brièvement un second exemple.
M. Jean-Louis Carrère. Oui, il est temps de conclure !
M. Gérard Longuet. Vous avez renvoyé la GPA à un texte à venir sur la famille. Ce texte, nous aimerions qu’il soit examiné avant que l’ordonnance ne soit prise. En effet, si nous parlons de la GPA et de la PMA dans le projet de loi sur la famille, cela va avoir toute une série de conséquences dans des domaines qui relèvent manifestement de l’ordonnance que vous nous proposez.
C'est la raison pour laquelle nous allons nous opposer à cet article. Notre opposition, qui n’est pas de principe, se justifie parce que nous souhaitons avoir une vision d’ensemble. Cette vision, nous l’aurons à l’occasion du débat sur la famille, qui permettra de revenir sur des aspects du code civil jusqu’à présent traités très superficiellement.
Par ce vote négatif, nous souhaitons non pas condamner le système des ordonnances, mais signifier que ces dernières ne devraient être prises qu’après un examen approfondi par le Parlement des conséquences d’ensemble du vote de l’article 1er. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.
M. Charles Revet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cela a été dit, vous l’avez repris les uns et les autres, le Parlement n’aime guère être dessaisi de ses prérogatives. C’est vrai, il y a une propension – pas forcément de ce seul gouvernement ! – à vouloir légiférer par ordonnances.
Je reprends ce que disait tout à l’heure le doyen Gélard. Dès lors qu’il s’agit de la transcription d’un texte qui s’impose à nous – directives européennes ou autres – de toute façon, notre marge de manœuvre est epsilon. Si le recours aux ordonnances peut nous laisser plus de temps pour examiner d’autres textes, importants pour la société, j’y suis favorable ; de toute façon, on ne peut rien modifier dans ces cas-là.
Mais il en va différemment quand il s’agit d’un texte aussi fondamental que le présent projet de loi, dont nos discussions montrent qu’il va modifier la société en profondeur. En outre, il ne fait pas l’objet de l’engagement de la procédure accélérée, ce qui signifie qu’il nous reviendra.
Madame le garde des sceaux, ce texte aura manifestement des incidences qui n’ont pas été encore totalement recensées. Pourquoi ne pas mettre à profit ce temps supplémentaire que nous offre la navette pour demander à vos services de travailler sur ces questions et pour nous proposer en deuxième lecture des amendements intégrant des éléments d’évolution que nous pourrions adopter ? Après tout, c’est une possibilité ouverte au Gouvernement, à défaut de l’être toujours au Parlement.
Je ne suis pas juriste, madame le garde des sceaux ; je parle donc simplement, et vous pouvez me reprendre si mes propos sont inexacts. Toutefois, il me semble que, lorsque le Gouvernement légifère par ordonnances, le Parlement ne dispose d’aucune marge de manœuvre et ne peut que se prononcer pour ou contre. Mieux vaudrait, sur ce texte dont chacun peut mesurer les enjeux, que vous nous proposiez des amendements et, disant cela, je m’adresse aussi à l’ensemble de nos collègues.
Dès lors que le texte a été adopté en première lecture par la majorité, le fait de nous soumettre un ou plusieurs amendements visant à prendre en compte les évolutions qui s’imposeront nous permettrait d’en débattre à nouveau, voire d’apporter nous-mêmes des modifications.
Ce serait de bon sens, madame le garde des sceaux, car la démarche nous permettrait d’appréhender les conséquences de ce texte, en faisant la part des dispositions nécessaires et des points susceptibles d’être modifiés, sans pour autant que nous prenions du retard.
Puisque la procédure accélérée n’a pas été engagée, et puisqu’une deuxième lecture aura lieu, pourquoi ne pas procéder de cette façon ? Ce serait plus démocratique. Sur un projet de loi d’un tel enjeu, cela me paraîtrait – permettez-moi de répéter ces mots que j’aime bien, même s’ils sont de moins en moins traduits en actes – de bon sens !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je n’ai pas d’objection de principe à l’habilitation accordée par le Parlement au Gouvernement pour modifier, par voie d’ordonnance et pendant une durée limitée, la législation en vigueur. Comme le rappelait notre collègue Gérard Longuet, c’est un apport de la Constitution de la Ve République.
Toutefois, et bien que le principe en soit admis, il convient de ne recourir aux ordonnances que lorsque le contexte le justifie.
Je relève qu’au fil des décennies l’interprétation de l’article 38 de la Constitution a été de plus en plus extensive. Il portait à l’origine, nous ne devons pas l’oublier, sur la seule exécution du programme du Gouvernement, ce qui avait un sens fort dans l’esprit des constituants : il s’agissait de mettre en œuvre, dans un délai limité, un train de réformes très importantes pour faire face à l’urgence imposée par les circonstances.
Le Gouvernement pourrait ainsi nous annoncer, aujourd’hui, qu’il souhaite légiférer par ordonnances pour faire face aux très graves difficultés économiques et sociales que nous rencontrons. Nous aurions certes le droit de lui refuser l’exercice de ce droit, mais le Gouvernement serait, alors, tout à tout à fait dans l’esprit de l’article 38. On pourrait d’ailleurs se demander si le Gouvernement ne devrait pas y recourir en la matière ; mais c’est un autre débat...
En revanche, s’il s’agit d’utiliser les ordonnances pour des raisons qui tiennent à la complexité juridique et au détail de changements législatifs auxquels on n’a pas encore réfléchi, mais dont on a l’intuition qu’il serait complexe et trop long d’en délibérer au Parlement, alors la situation est tout autre !
Je crains fort que nous soyons, en l’occurrence, dans ce dernier cas de figure : sans savoir exactement ce que l’on veut faire, on dessaisit à l’avance le Parlement de son droit de délibérer, de crainte que le débat ne soit trop long et trop compliqué. Je remercie le Gouvernement, ou plutôt la commission, de vouloir nous épargner, mais notre devoir serait, bien au contraire, de délibérer dans le détail des questions qui seront soulevées.
Mais je laisse de côté le principe et je reviens sur ses modalités d’application.
On peut certes, et j’ai souligné mon attachement à l’article 38 de la Constitution, vouloir légiférer par ordonnances, mais dans un cadre qui a été déterminé avec précision par le texte d’habilitation.
Or que lit-on dans le texte qui nous est proposé ? On nous demande en quelque sorte de signer un chèque en blanc, dans la mesure où l’on ne nous dit pas sur quelles lois porte l’habilitation. Il s’agirait en effet de « l’ensemble des dispositions législatives en vigueur », bref, de toutes les lois, ou de n’importe lesquelles !
Je n’ai vraiment pas envie d’habiliter le Gouvernement à légiférer sur n’importe quelle loi, ce qui pose d’ailleurs un problème juridique très important. Je veux bien, en revanche, l’habiliter à modifier des textes précis – tel chapitre d’une loi votée en 1967 ou en 1972, par exemple – qu’il s’agit, à l’avance, d’adapter à de nouvelles dispositions législatives votées par le Parlement. Dans ce cas, en effet, je serai à même de vérifier le bien-fondé de sa demande.
Dans le cas contraire, si le Gouvernement ne précise pas sur quels textes porte l’habilitation et quelles en sont les modalités, je ne peux qu’avoir le sentiment de l’habiliter d’une manière générale, presque universelle, à changer toute loi, dans des conditions qu’il ne m’est pas possible de prévoir.
Je veux donc bien discuter du principe du recours aux ordonnances, même si nous sommes bien loin des motifs originels qui justifiaient l’application de l’article 38. Toutefois, s’agissant des modalités, je ne peux accepter que le Parlement accorde au Gouvernement, de manière totalement indéfinie, un pouvoir général lui permettant de modifier des lois qui ne sont même pas nommées. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Louis Carrère. C’était très intéressant ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.
M. Hugues Portelli. Je précise, dans le prolongement des propos de Philippe Bas, qu’il n’est pas suffisant, selon moi, de prévoir une exception pour les dispositions du code civil, ainsi que le prévoit l’article qui nous est proposé, et ce pour une raison très simple : le droit civil ne se limite pas à ce qui figure dans le code civil !
Par ailleurs, il est de tradition que le Parlement, et en particulier le Sénat, répugne à laisser modifier par ordonnances des dispositions qui relèvent du droit civil.
Je sais bien qu’il y a eu un précédent, sous le gouvernement Villepin, qui portait sur un sujet assez grave puisqu’il s’agissait de filiation. Nous avions d’ailleurs été nombreux, y compris de ce côté-ci de l’hémicycle, à protester contre le recours de l’article 38 dans ce genre de cas.
Je partage l’avis de notre collègue centriste. À titre personnel, je suis contre le recours à l’article 38, y compris dans les domaines qui ne relèvent pas du droit civil.
Je citerai, pour illustrer ce propos, le récent débat que nous avons eu ici même sur le harcèlement sexuel. Il arrive en effet très souvent, et même systématiquement, que l’on utilise l’article 38 pour transposer des directives européennes.
Certes, je sais bien que la France figure à l’avant-dernier rang pour la transposition des directives, ce qui n’est pas très glorieux, et que le recours aux ordonnances est un moyen d’accélérer la procédure. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une erreur très grave.
Le droit européen, en effet, n’existe pas. Il n’est qu’un mélange des droits anglais, allemand, français et italien. Le problème se pose alors très souvent, au moment de la transposition des directives, de la traduction dans le droit français de concepts qui viennent d’autres pays.
Or il arrive que cette traduction ne soit pas possible. Ainsi, dans le texte sur le harcèlement sexuel auquel je faisais allusion, et que nous avons examiné voilà quelque mois, figurait le mot « environnement ». Or, en anglais, environment signifie le cadre, ou le climat social et familial. Cela n’a pas du tout le même sens que le mot français ! Nous avons donc bataillé, de façon au demeurant fort sympathique, pour savoir quel terme utiliser, et nous avons finalement décidé que l’on ne toucherait pas au mot « environnement ».
Il n’est donc pas bon de recourir aux ordonnances lorsqu’il s’agit de faire un travail juridique précis, cas de figure dans lequel nous nous trouvons en l’occurrence. Je vous le redis très franchement, c’est une erreur !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Avant que nous passions au vote sur ces amendements, je tiens à rassurer MM. Revet et Bas.
L’habilitation est exigeante, notamment depuis la révision de la Constitution de 2008, qui fut bonne en cela (Ah ! sur les travées de l'UMP.) : non seulement le Gouvernement doit déposer devant le Parlement un projet de loi de ratification, mais encore les dispositions deviennent caduques si aucun texte de ratification n’a été déposé avant la date fixée par la loi d’habilitation, ici dans les trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.
Nous avons donc la garantie d’être saisis d’un projet de loi de ratification, que les parlementaires conservent tout pouvoir d’amender.
Nous l’avons d’ailleurs déjà fait – je ne sais si vous étiez alors sénateur, monsieur Bas, mais je parle sous le contrôle de Mme Dini, alors présidente de la commission des affaires sociales ! – pour la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST ».
Le Parlement avait alors autorisé le Gouvernement à modifier par ordonnances l’ensemble des textes qui étaient impactés par la nouvelle législation. Les ordonnances ont alors été publiées, puis le projet de loi de ratification a été présenté au Sénat, qui l’a modifié. En effet, le Gouvernement a accepté un certain nombre d’amendements, dont certains avaient été déposés par la commission des affaires sociales, et tout s’est passé le mieux du monde. Il en sera exactement de même si le présent article est adopté ! (M. le président de la commission des lois applaudit.)
Demande de vérification du quorum
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques de suppression nos 69 rectifié bis et 176 rectifié ter.
Mes chers collègues, je suis saisi d’une demande écrite de vérification du quorum.
En application de l’article 51, alinéa 2 bis, du règlement du Sénat, la constatation du nombre des présents est effectuée sur la demande écrite de trente sénateurs dont la présence doit être constatée par appel nominal.
Il va donc être procédé à l’appel nominal des signataires de la demande de vérification du quorum.
Huissiers, veuillez effectuer cet appel.
(L’appel nominal a lieu. – Ont signé cette demande et répondu à l’appel de leur nom : MM. David Assouline, Bertrand Auban, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Jean-Pierre Caffet, Pierre Camani, Mme Claire-Lise Campion, MM. Jean-Louis Carrère, Luc Carvounas, Félix Desplan, Claude Domeizel, Vincent Eblé, Mmes Anne Emery-Dumas, Frédérique Espagnac, M. Jean-Jacques Filleul, Mmes Bariza Khiari, Virginie Klès, Françoise Laurent-Perrigot, MM. Jean-Yves Leconte, Jean-Claude Leroy, Roger Madec, Mme Michelle Meunier, M. Jean-Pierre Michel, Mme Danielle Michel, MM. Gérard Miquel, Jean-Jacques Mirassou, Thani Mohamed Soilihi, Mme Renée Nicoux, M. Jean-Marc Pastor, Mme Gisèle Printz, M. François Rebsamen, Mme Patricia Schillinger, M. Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Tasca, MM. Yannick Vaugrenard, Michel Teston et Hervé Poher.)