Mme Éliane Assassi. … en prônant des politiques répressives et liberticides, ont largement contribué aux dérives de cette société violente que certains de nos collègues de l’UMP déplorent aujourd’hui.
Alors qu’il faudrait changer nos méthodes d’organisation sociale – guérir et non punir, éduquer et non combattre, accompagner et non isoler –, la droite nous propose un texte qui nous semble aussi inutile que dangereux.
Comme l’a très clairement démontré notre rapporteur, cette proposition de loi méconnaît tant les principes constitutionnels que les engagements internationaux de la France, notamment le droit à la vie. L’argumentaire juridique développé dans le rapport de la commission des lois est très complet, et je ne reviendrai donc que sur certains points.
Tout d’abord, en prétendant aligner l’usage de la force armée par la police sur la gendarmerie, les auteurs de la proposition de loi oublient qu’il ressort des jurisprudences tant européennes que nationales que l’article L. 2338–3 du code de la défense est limité à une « absolue nécessité », sans quoi, précise la jurisprudence, « un tel cadre juridique est fondamentalement insuffisant et se situe bien en deçà du niveau de protection “par la loi” du droit à la vie requis par la Convention [européenne des droits de l’homme] dans les sociétés démocratiques aujourd’hui en Europe ».
Il faut donc mettre fin au mythe selon lequel les gendarmes bénéficieraient d’un régime plus permissif que celui qui s’applique à la police nationale. En présentant cet alignement comme un renforcement sans condition de l’usage de la force armée, les auteurs de la proposition de loi exposent les fonctionnaires à une mauvaise interprétation du droit. Ils les induisent en erreur et, du coup, les fragilisent plus qu’ils ne les protègent.
Il est important de bien préciser que les gendarmes comme les policiers sont soumis au code pénal et bénéficient du monopole de la violence légitime sous certaines conditions, notamment sur ordre de la loi ou du règlement, en raison d’un état de nécessité ou de la légitime défense, ou pour « dissiper un attroupement ».
À ce sujet, parce que nous sommes persuadés que la violence engendre la violence et que nous sommes attachés aux libertés publiques, nous, les sénateurs du groupe CRC, avons été à l’initiative d’une proposition de loi s’opposant totalement à celle qui nous est présentée aujourd’hui par nos collègues de droite, et visant à interdire l’utilisation d’armes de quatrième catégorie par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations et leur commercialisation ou leur distribution pour des polices municipales ou des particuliers.
Ensuite, il est important de noter que, dans le cadre légal posé par le code pénal, applicable à tous, les forces de l’ordre bénéficient d’un traitement plus protecteur que n’importe quel citoyen. Ainsi, un policier ayant fait usage de son arme est réputé avoir agi légalement. En revanche, on ne tient pas compte de sa formation pour attendre de lui une meilleure appréciation que celle qu’aurait n’importe quel citoyen de la situation qui a donné lieu à tir.
Or, pour vérifier la réalité de la légitime défense, la gravité de l’agression s’apprécie subjectivement. On s’attache non pas aux résultats effectifs de l’attaque ni même au danger réel couru par la personne attaquée, mais bien au péril que cette personne a cru raisonnablement courir.
Il serait donc certainement plus utile, si l’on veut protéger les forces de l’ordre – je pense que nous le voulons tous ici – et respecter le droit à la vie, de renforcer la formation initiale et continue des forces de l’ordre, mais également d’être plus attentif à la gestion de leur stress.
On doit insister sur le fait que la prétendue présomption de légitime défense, comme un super bouclier, est un leurre qui expose les forces de l’ordre. En effet, il serait très dangereux de faire croire à une sorte d’impunité ou d’irresponsabilité pénale qui pourrait aggraver l’escalade de la violence.
Comme vous le savez, cette présomption n’est pas irréfragable ; autrement dit, elle peut être réfutée. Par conséquent, mes chers collègues de l’UMP, votre article 2 est, en droit, absolument inutile.
En raison de l’état de légitime défense, il appartient en effet au parquet de démontrer que celle-ci n’est pas caractérisée. Quid alors du risque de la preuve ? Que se passe-t-il en effet si un doute existe sur la caractérisation de ce fait justificatif ? Dans cette situation, le doute doit bien évidemment profiter au mis en examen puisqu’il existe une incertitude sur la commission de l’infraction. La présomption de légitime défense ne changerait donc rien au droit positif.
Enfin, comme je l’ai fait dans le rapport pour avis sur la mission « Sécurité », je voudrais insister sur la nécessité de rompre avec l’application de la RGPP, la révision générale des politiques publiques. Il y a là toute l’hypocrisie de nos collègues UMP, qui ont approuvé des politiques de réduction du nombre des fonctionnaires et qui, aujourd’hui, prétendent défendre ces derniers.
L’austérité budgétaire doit bien sûr être abandonnée s’agissant de la police et de la gendarmerie, mais également d’autres services publics telles l’éducation, la santé, la culture.
Par ailleurs, je me réjouis que le Gouvernement ait donné des directives claires pour, sinon abolir, du moins encadrer la politique du chiffre imposée par la droite. En effet, cette politique avait des effets néfastes pour les personnes et la protection de leurs droits, mais également pour les forces de l’ordre. Elle accentuait à la fois la perte de sens de l’exercice de leur métier et leur stress.
Mes chers collègues, on constate un réel malaise chez les forces de l’ordre et un nombre important de suicides, une cinquantaine chaque année, selon les estimations, dont trois au cours des trois derniers jours.
Les policiers et les gendarmes doivent faire respecter l’ordre public, mais, aujourd’hui, ils sont confrontés à la paupérisation de la société sans y avoir été préparés, ce qui peut les faire plonger eux aussi dans de grandes souffrances.
Dans une enquête réalisée en janvier 2012, Cadre de vie et sécurité, on apprend que plus des trois quarts des personnes interrogées sur les trois problèmes les plus préoccupants de la société française ont cité le chômage, la précarité et l’emploi. Si le sentiment d’insécurité semble augmenter, contrairement à la délinquance, cela montre que la violence que nous devons combattre est avant tout une violence économique et une violence sociale.
Renforcer l’usage des armes à feu, dans ce contexte, nous semble une proposition inadaptée et dangereuse. C’est pourquoi, je le dis encore une fois, les sénateurs du groupe CRC voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. le président de la commission des lois et M. André Gattolin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi de nos collègues du groupe UMP est liée à plusieurs événements tragiques qui ont suscité des réactions vives et légitimes des forces de police et qui ont ému l’opinion publique.
Nous avons tous en mémoire les événements d’avril 2012 à Noisy-le-Sec, quand le parquet de Bobigny mettait en examen, pour homicide volontaire, un policier après le décès d’un homme, délinquant multirécidiviste, recherché pour vols à main armé et alors qu’il pointait son arme sur un autre policier.
Cette décision judiciaire avait provoqué une profonde et légitime émotion parmi les policiers et des réactions dans la classe politique, à l’origine de cette proposition de loi.
Il n’est pas nécessaire de multiplier les exemples tragiques et les cas où les forces de l’ordre ont été victimes d’actes violents ou mortels. Nos collègues Louis Nègre et Pierre Charon les ont rappelés il y a quelques instants.
L’objectif de cette proposition de loi est de mieux assurer la protection des policiers et des gendarmes dans l’exercice de leurs missions. Cet objectif, nous le partageons.
Nous sommes naturellement aux côtés des forces de l’ordre, qui payent un lourd tribut chaque année. En 2012, ce sont ainsi plus de 11 000 policiers et gendarmes qui ont été blessés dans l’exercice de leur fonction de maintien de l’ordre public.
Assurer la sécurité de tous est une mission noble et nous n’oublions pas que policiers et gendarmes la remplissent au péril de leur vie.
Nous mesurons aussi l’extrême difficulté de leurs missions : sous le regard des médias et de l’opinion, il leur faut en quelques fractions de secondes prendre la bonne décision, assurer la sécurité de tous et la leur également, sans prendre le risque de commettre une faute pénale.
On sait aussi que lorsque le délinquant n’a pu être mis hors d’état de nuire chacun se tourne vers la police et s’interroge sur les raisons de cette situation.
Nos forces de l’ordre travaillent au quotidien dans un contexte très tendu. Elles le font avec un grand professionnalisme, que je veux saluer.
La question de ce matin est la suivante : faut-il modifier la loi applicable en matière d’usage des armes à feu pour les policiers ? Nous répondons oui.
Une seconde question lui fait alors suite : l’approche proposée à travers cette proposition de loi est-elle suffisante ? Là, je n’en suis pas sûr. Et poser cette question, c’est aller dans le sens de l’intérêt des policiers.
Comme l’a expliqué Mme la rapporteur, la proposition de loi de nos collègues soulève un certain nombre de difficultés juridiques et pratiques. L’instauration d’une présomption de légitime défense apparaît en effet, à l’examen, comme problématique. D’ailleurs, le rapporteur UMP du texte similaire qu’avait examiné l’Assemblée nationale, Guillaume Larrivé, l’a lui-même montré. Cette disposition ne répondrait pas aux difficultés actuelles et pourrait se retourner contre les policiers. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement de suppression de l’article 2 de la présente proposition de loi afin d’abroger la présomption de légitime défense pour les agents de la police nationale, qui est une mauvaise réponse à une vraie question.
Je ne développe pas plus ce point puisque cela a déjà été évoqué par Mme la rapporteur, mais je précise que le texte examiné à l’Assemblée nationale ne comportait pas un article similaire à cet article 2. (M. le ministre opine.)
Quant à l’article 1er de la proposition de loi, il vise à donner aux policiers l’autorisation de faire usage de leur arme lorsqu’ils sont menacés, à l’exemple de ce qui existe pour les gendarmes. Il s’agit d’améliorer l’efficacité de leur action et de faciliter la conduite des opérations communes entre la police nationale et la gendarmerie sur le terrain.
Contrairement aux gendarmes, qui peuvent le faire après des sommations verbales et dans des conditions limitatives précisément énoncées à l’article L. 2338–3 du code de la défense, les policiers ne sont autorisés à faire usage de leur arme à feu qu’en réponse à une agression de même nature, dans le strict cadre de la légitime défense.
J’ai déposé un amendement visant à réécrire cet article 1er afin de répondre aux difficultés juridiques et pratiques posées par le dispositif présenté par MM. Nègre et Charon.
Cet amendement, qui reprend la rédaction proposée par le rapporteur de l’Assemblée nationale, vise à préciser juridiquement la transposition du dispositif existant pour les gendarmes en le rendant applicable aux forces de police. Surtout, il intègre la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme en précisant que l’usage des armes par les forces de l’ordre est conditionné par une « absolue nécessité ».
Dans mon esprit, apporter cette précision, ce n’est pas affaiblir le dispositif ; bien au contraire, c’est lui donner plus de force. L’encadrer, le préciser, c’est donner plus de force au cadre juridique dans lequel les policiers pourraient agir.
Le rapprochement des deux forces de sécurité intérieure – police nationale et gendarmerie – est engagé depuis la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale. Certes, les gendarmes sont des militaires et leur statut est régi par le code de la défense, mais les deux corps des forces de sécurité relèvent du ministère de l’intérieur, coopèrent et assurent des missions de plus en plus semblables.
Il est donc bien légitime que les policiers s’interrogent et posent la question : « Comment comprendre qu’aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de faire usage de leurs armes à feu, les policiers et les gendarmes ne soient pas soumis aux mêmes règles ? »
Transposer le texte applicable aux gendarmes serait donc une tentation logique. Mais cette doctrine d’emploi des armes par les gendarmes est encadrée par les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation, qui conditionnent le déploiement de la force armée par « l’absolue nécessité » de l’usage de l’arme pour atteindre l’objectif. C’est cette jurisprudence que nous réaffirmons en proposant de l’intégrer, par voie d’amendement, dans le texte de cette proposition de loi. Mieux vaut un droit clair et bien encadré.
Cette rédaction améliore sensiblement, je le crois, ce texte. Nous verrons au cours de son examen si elle suffit à apporter une solution juridique adaptée à un vrai problème. On peut imaginer d’autres voies complémentaires.
Au-delà, il faut en effet s’interroger avec prudence sur le texte applicable aux gendarmes, ce à quoi nous conduit, de façon quelque peu paradoxale, cette proposition de loi. Les règles auxquelles sont soumis les gendarmes ne devraient-elles pas intégrer elles aussi la jurisprudence qui s’applique déjà à eux en pratique ? De fait, les gendarmes l’ont assimilée et savent bien que la justice apprécie leur attitude selon les principes de la proportionnalité et de l’absolue nécessité.
Il faut ici convenir que la première rédaction, issue d’un décret, du texte applicable aux gendarmes date de 1903 ! Nous ne l’écririons sans doute pas ainsi aujourd’hui.
Une voie serait donc de poser le problème de fond et d’aboutir à une doctrine d’emploi de la force armée commune aux policiers et aux gendarmes, selon les principes de 2013 et non pas ceux de 1903.
On m’objectera que la doctrine appliquée aux gendarmes est liée à leur statut militaire. Je mesure bien que la voie suggérée peut paraître périlleuse ; mieux vaut sans doute la considérer avec beaucoup de prudence et dans un contexte dépassionné, ce qui n’est pas forcément le cas depuis bien longtemps pour tout ce qui touche à ces sujets. Nous ne devons bien évidemment pas affaiblir la situation des gendarmes. C’est, me direz-vous, la quadrature du cercle.
Je pose néanmoins une question : en cas de contrôle de sécurité sur route, par exemple, les gendarmes tirent-ils si un individu franchit le contrôle sans les menacer ? À l’évidence, ils ont à l’esprit la jurisprudence et doivent proportionner l’usage des armes à la situation rencontrée. C’est l’honneur des policiers et des gendarmes d’agir ainsi et c’est tout leur professionnalisme, c’est toute la difficulté de leur mission, dont ils s’acquittent avec force et talent.
La mission Guyomar proposait de réfléchir et de codifier les conditions jurisprudentielles d’un usage légal des armes à feu pour l’ensemble des forces de l’ordre. C’est sans doute moins simple et moins lisible que la posture adoptée par les auteurs de la proposition de loi, mais c’est, me semble-t-il, plus opérationnel pour les forces de l’ordre. Au demeurant, s’il était fait usage d’une arme à feu dans un contexte inapproprié et dans le cadre du texte qui nous est soumis ce matin, je crains que le résultat ne soit de dresser l’opinion contre les policiers eux-mêmes.
En toute hypothèse, cette modification de l’usage des armes à feu par les policiers nécessite, quoi qu’il en soit, de renforcer leur formation à l’usage de celles-ci, notamment en augmentant les entraînements au tir, comme le réclament les organisations professionnelles de policiers.
Mieux former et mieux équiper les policiers et les gendarmes est en effet un élément essentiel de leur protection et de leur sécurisation dans l’exercice des missions de sécurité.
Au total, ces questions méritent une analyse juridique et opérationnelle plus poussée. En l’état, le groupe UDI-UC s’abstiendra donc.
Enfin, avant de conclure, je tiens à relayer une demande très forte des policiers et des gendarmes qui est de réformer la protection juridique dont ils font l’objet. Sur ce point, M. le ministre a fait part d’éléments rassurants et je ne peux que l’inviter à poursuivre dans cette voie et à donner aux policiers des garanties sur leur protection. Amplifier les efforts dans ce domaine serait un signe fort de confiance à l’égard de nos forces de l’ordre. (MM. Joël Bourdin et René Garrec applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi visant à renforcer la protection pénale des forces de sécurité et l’usage des armes à feu fait écho à des faits divers dramatiques dans lesquels des agents des forces de l’ordre ont perdu la vie dans l’exercice de leurs fonctions.
Ces tragédies suscitent chaque fois une profonde émotion au sein des corps de la police et de la gendarmerie, mais aussi parmi nos concitoyens. Le sentiment prévaut, fondé ou non, que les policiers hésitent à riposter par crainte d’une bavure qui les exposerait à une condamnation pénale.
Le législateur est souvent tenté de répondre à de telles situations en créant un nouvel arsenal destiné à mieux protéger ceux qui assurent la sécurité des biens et des personnes. Le précédent chef de l’État était d’ailleurs particulièrement actif, au gré de l’actualité, dans la mise en œuvre et la mise en scène de lois dites « de circonstance », au risque d’alimenter une forme de populisme pénal.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. François Fortassin. Dans ce domaine, l’essentiel est de ne pas sombrer dans l’émotionnel. C’est pourquoi nous devons nous garder d’adopter des mesures hâtives qui n’écarteraient pas, malheureusement, le risque zéro, et dont les effets pourraient être contraires à l’objectif recherché.
Des condamnations, heureusement très rares, mais très médiatisées, d’agents des forces de sécurité ont accrédité l’idée que la justice penchait plutôt du côté de la victime. Or, en réalité, la jurisprudence est plutôt protectrice à l’égard des policiers et des gendarmes. J’ajouterai que le juge ne fait pas de différence entre ces deux catégories.
Au-delà des arguments juridiques, un rapprochement des conditions d’emploi des armes à feu par les policiers et les gendarmes ne semble pas pertinent au regard de leurs spécificités respectives.
Bien que les gendarmes et les policiers aient en commun certaines missions d’ordre civil, leurs modes et leur aire de déploiement diffèrent. Les premiers interviennent majoritairement en milieu rural tandis que les seconds exercent plutôt dans les zones urbaines, ce qui suppose des approches différentes, notamment eu égard à la densité de population.
En outre, qu’apporterait aux policiers le régime de la sommation propre aux gendarmes ? Certains syndicats de policiers y voient un risque supplémentaire sur le plan pratique, alors que la légitime défense est possible sans sommation en cas de menace.
Pour toutes ces raisons, et bien d’autres qui ont été développées plus longuement par certains de mes collègues, il apparaît que le dispositif proposé conduirait à laisser penser que les policiers seraient pénalement plus à l’abri en cas de riposte, alors qu’ils seraient in fine en situation de plus grande fragilité juridique.
Pour autant, la proposition de loi a le mérite d’ouvrir un débat sur les conditions générales d’exercice des fonctions de policiers et de gendarmes.
En tant qu’élu de terrain, nous connaissons tous bien nos commissariats et nos casernes. Nous devons malheureusement constater qu’ils pâtissent, au-delà du manque de moyens humains, d’équipements souvent anciens et inadaptés. Face à une criminalité « riche » de ses trafics, donc souvent très bien armée et puissamment motorisée, les agents de sécurité se retrouvent très affaiblis dans certaines situations. Ce fut le cas de deux policiers de la BAC tragiquement assassinés en février dernier par un malfaiteur qui s’est servi d’un véhicule 4x4 pour tuer intentionnellement.
Le problème de la proportionnalité des équipements entre malfaiteurs et forces de sécurité est également illustré par l’utilisation banalisée d’armes de guerre. Sur ce point, la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif a jeté les bases d’un meilleur contrôle des armes à feu sur le territoire. Il n’en demeure pas moins que ce contrôle reste d’un exercice délicat. J’espère que ce texte, qui avait été unanimement approuvé, portera rapidement ses fruits.
Je sais que les temps sont à l’économie s’agissant du budget de l’État, mais un renforcement des moyens de la police et de la gendarmerie serait de nature à renforcer la protection dont nos agents ont besoin pour exercer sereinement leurs missions. Au-delà, il est fondamental de garantir une des premières fonctions régaliennes de notre République : la sécurité de nos concitoyens.
Enfin, je souhaite évoquer la question de la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes, qui a fait l’objet d’un rapport qui vous a été remis au mois de juillet 2012, monsieur le ministre. Vous l’avez dit, vingt-sept propositions ont été formulées.
Nous ne pouvons qu’être satisfaits de constater que vous avez appréhendé le rapport Guyomar avec pertinence.
M. François Fortassin. Les policiers et les gendarmes sont demandeurs de ces mesures visant à les protéger, eux-mêmes et leurs ayants droit, lorsqu’ils sont mis en cause.
Je souhaite que nous ayons l’occasion de revenir sur les conditions statutaires des policiers et des gendarmes qui exercent, avec responsabilité et courage, un métier difficile, au péril de leur vie. Dans cette attente, afin de ne pas rompre le subtil équilibre découlant de la jurisprudence sur l’usage des armes à feu, le groupe RDSE n’approuvera pas la proposition de loi de nos collègues Louis Nègre et Pierre Charon.
Avant de quitter cette tribune, je tiens à souligner que l’élu de terrain que je suis et qui, comme chacun de vous, rencontre assez fréquemment des représentants des forces de l’ordre a pu mesurer que l’immense majorité des policiers et des gendarmes apprécie tout particulièrement l’action de M. le ministre de l’intérieur (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. André Gattolin applaudit également.), action qui est menée avec mesure, fermeté et humanisme. Monsieur le ministre de l’intérieur, vous êtes le plus sûr garant de l’ordre et des valeurs républicaines.
M. Roland Courteau. C’est bien dit !
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. François Fortassin. Je tenais à le signaler et, en tant qu’élu de la nation, c’est un honneur et une fierté pour nous de vous apporter notre fidèle soutien. Nous nous éloignons ainsi, d’une part, des laxistes qui existent ici ou là et, d’autre part, des boutefeux qui ne rêvent que plaies et bosses. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Jacky Le Menn. Bien dit !
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a des textes qui semblent pavés de bonnes intentions. Mais pour poser ces pavés, le remblai initial est lui truffé de chausse-trapes mal comblées. C’est pourquoi, et pour continuer à filer la métaphore, je dirais que cette proposition de loi ne tient pas la route, faute d’avoir été suffisamment réfléchie. Si nous la votions, les roues du char de l’État que sont la police et la gendarmerie ne pourraient que s’embourber.
Bien sûr, comment ne pas s’indigner que des policiers soient blessés ou tués ? Ils sont les serviteurs de notre état de droit, garant du respect de nos lois et de la sécurité de nos concitoyens. Ils sont en première ligne des angoisses de notre société, de ses déviances et de ses dérives. Ils ont de lourdes tâches à effectuer et qui ne consistent pas seulement en l’arrestation de délinquants. Ils doivent aussi alerter et assister les proches des victimes, enquêter sur des drames et, évidemment en premier lieu, les prévenir.
Alors oui, protéger ceux qui nous protègent est un devoir fondamental. Aussi et à première vue, cette proposition de loi peut sembler apporter une plus grande sécurité aux policiers par l’alignement de leur régime sur celui des gendarmes en ce qui concerne les possibilités d’utiliser leur arme et de bénéficier d’une présomption de légitime défense.
Dans les faits, ces deux propositions n’apportent qu’une apparence de sécurité.
D’abord parce que ce texte démontre une méconnaissance du comportement des délinquants armés. Aujourd’hui, les délinquants n’ont plus peur des forces de l’ordre et, s’ils en ont encore peur, ils s’arment en conséquence.
Mais surtout, et le plus souvent, un délinquant est persuadé de ne jamais se faire prendre, sinon, il ne serait pas délinquant.
Savoir que les policiers peuvent user dans des conditions moins draconiennes de leur arme ne va certainement pas dissuader les délinquants de tirer.
Si les délinquants ont, par hasard, connaissance de cette nouvelle disposition, ne vont-ils pas, au contraire, être tentés de dégainer encore plus vite pour s’échapper, selon le vieil adage : qui tire le premier a gagné.
Permettre aux policiers de tirer dans les mêmes cas que les gendarmes n’est donc pas protecteur. Cela participe surtout d’une surenchère.
Aujourd’hui, les policiers font déjà un usage de leur arme tout comme les gendarmes : quelque 250 cas par an sur des milliers d’arrestations, pour les deux corps réunis.
S’il y a globalement aussi peu d’utilisation des armes, c’est que les policiers, tout comme les gendarmes, savent que cet usage est le dernier recours quand la vie de leurs concitoyens, de leur collègue ou leur propre vie est en jeu. Les laisser croire qu’ils pourront tirer plus tôt, plus vite, les exposera donc à un risque juridique plus grand, doublé, je viens de le rappeler, d’un risque de riposte plus élevé.
En alignant le régime de l’usage des armes par les policiers sur celui qui s’applique aux gendarmes, nous créerions une égalité de droit factice et surtout précaire. Qu’est-ce qui garantira aux policiers qu’ils sont dans le cadre du droit, qu’ils peuvent faire usage de leur arme, alors même que la jurisprudence de la Cour de cassation reste très stricte pour les gendarmes en la matière ?
Mais surtout, les dispositions de cette proposition de loi ne sont-elles pas, avant même leur éventuelle adoption, déjà « condamnées » par la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation, qui s’appuie sur celle de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’emploi de la force létale ?
Il est assez paradoxal de vouloir étendre aux policiers le cadre juridique d’une loi dont la conventionnalité n’est pas établie. Cette égalité est d’autant plus factice que le texte ne reprend pas l’intégralité de l’article L. 2338-3 du code de la défense. À ce titre, le rapport très précis de notre collègue Virginie Klès pointe clairement les faiblesses et les incohérences de cette proposition de loi et les effets pervers, au détriment des policiers eux-mêmes, que son application pourrait engendrer.
Quant à la présomption de légitime défense, elle ne vaut que ce que valent les présomptions juridiques. Elles sont l’exception à la règle commune. Elles doivent dépendre non pas de la personne qu’elles entendent protéger, mais de la situation et des circonstances dans lesquelles cette personne agit.
Cette règle juridique est d’autant plus nécessaire que le port d’arme ne concerne pas exclusivement les forces de l’ordre. Il concerne aussi notamment les convoyeurs de fond, si souvent pris pour cible, et les gardiens de prison.
Prévoir que seules les forces de l’ordre pourraient agir sous le statut protecteur de la légitime défense est un non-sens juridique.
Si on a le droit de porter une arme, c’est parce qu’on protège des intérêts dignes de protection et qu’on a suivi une formation au droit et au tir. Pourquoi seules deux catégories de porteurs d’arme seraient présumées être toujours en état de légitime défense ?
M. Louis Nègre. C’est bien la question !
M. André Gattolin. Enfin, pourquoi les policiers et les gendarmes auraient-ils besoin d’attendre l’ultime moment, quand seul l’usage des armes peut arrêter la catastrophe ? Pourquoi devraient-ils attendre alors qu’ils seraient protégés par une présomption de légalité du tir ? N’est-ce pas prendre le risque d’un usage accru de leur arme, avec pour conséquence le risque d’erreurs, de bavures…
M. Louis Nègre. Effectivement !
M. André Gattolin. … et donc le risque d’incompréhension de la population ?
Rappelons-nous qu’au bout du viseur de l’arme d’un policier ou d’un gendarme qui serait présumé, si ce texte était adopté, en situation de légitime défense, il y a toujours un corps, celui d’un citoyen présumé innocent de par notre Constitution.
Voilà donc un texte a priori protecteur qui, au fond, est insécurisant de fait, mais aussi de droit, tant pour les forces de l’ordre que pour les citoyens.
Alors pourquoi avoir présenté ce texte ? Parce qu’il a été dicté non par la réflexion, mais par la logique infernale de la réponse instantanée à un événement dramatique...
Depuis des années, notre droit pénal s’est gonflé au rythme des faits divers développés par les journaux télévisés. Tout comme la vie de nos « gardiens de la paix », l’équilibre des situations juridiques est trop important pour être laissé à la seule indignation et aux réflexes séculaires du « œil pour œil, dent pour dent ».
En réalité, pour protéger les forces de l’ordre, il faut un ingrédient essentiel : une présence sur le terrain plus importante pour faire de la prévention et de la dissuasion a priori, et non pour tirer une fois que le mal est fait.
Le groupe écologiste votera évidemment contre cette proposition de loi, considérant que ce texte imparfaitement élaboré s’apparente davantage à un effet d’affichage à des fins de communication politique qu’à une réelle volonté d’améliorer la législation.
Nos « gardiens de la paix » et le respect du travail parlementaire soigné méritent, à nos yeux, bien davantage. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. Jean-Vincent Placé. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi de MM. Nègre et Charon visant à renforcer la protection pénale des forces de sécurité et l’usage des armes à feu.
Pour les auteurs de cette proposition de loi, le cadre légal en vigueur conditionnant l’emploi des armes à feu par les policiers et les gendarmes serait inadapté.
Aussi, nos collègues Louis Nègre et Pierre Charon préconisent un rapprochement des règles d’usage des armes pour les deux forces de sécurité intérieure.
Au-delà de ce rapprochement, ils proposent également de créer un nouveau cas, celui de « présomption de légitime défense pour les policiers ».
Tout d’abord, avant d’aborder le fond de cette proposition de loi, je souhaite attirer votre attention sur ses motivations telles qu’elles sont formulées par les auteurs du texte.
Le contenu de son exposé des motifs est pour le moins inhabituel, pour ne pas dire déroutant.
Ces dix dernières années, la ligne de conduite du Gouvernement en matière de sécurité intérieure semble avoir été dictée par ce que l’on pourrait appeler « la politique du fait divers ».
À chaque événement suscitant l’émotion de l’opinion publique, l’ancien Président de la République s’empressait d’apporter une réponse législative quasi immédiate.
Comme l’a rappelé Jean-Marc Ayrault, nous ne voulons plus de ces « lois de circonstances », dépourvues de tout recul et bien souvent inappliquées.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !