M. Manuel Valls, ministre. … en la qualifiant de « permis de tuer » (MM. Jacques Chiron et Jacky Le Menn opinent.)
En effet, une telle présomption va à l’encontre d’une réalité : les forces de l’ordre étant formées et entraînées au maniement des armes, elles sont donc censées en faire un usage maîtrisé. Maintenir l’ordre et protéger nos concitoyens sans faire feu est, comme je l’ai déjà dit, une fierté. C’est donc faire injure au professionnalisme des policiers et gendarmes que de banaliser l’usage des armes en consacrant le principe d’une légitime défense a priori.
Qui peut croire, enfin, que cette disposition désarmerait les délinquants, qu’elle rendrait plus sûr le métier de policier ? Personne !
En revanche, comment ne pas voir en filigrane de ce texte un message de défiance à l’égard de la justice ? Ce message, toujours le même, depuis dix ans, vise à opposer systématiquement les policiers aux magistrats. Cette présomption de légitime défense, c’est un préjugé à l’égard de la justice.
Votre proposition de loi véhicule une idée fausse qui voudrait qu’une protection accrue des policiers passe par l’usage de l’arme. C’est une vision trompeuse. C’est une vision simpliste. Mesdames, messieurs les sénateurs, les solutions sont ailleurs. Certes, on peut toujours faire évoluer les textes, mais, ces solutions, contrairement à ce qui a été dit, le Gouvernement les met en œuvre dans le cadre, j’y reviendrai, d’une politique de sécurité renouvelée, visant à assurer la sécurité des Français et à renforcer l’efficacité de nos services de police et de gendarmerie.
Monsieur Nègre, vous avez raison (M. Louis Nègre sourit.), il faut que les responsables politiques traitent des questions qui préoccupent nos compatriotes : leur sécurité et leur sûreté en est une majeure. C’est bien évidemment ma priorité depuis que je suis ministre de l’intérieur et je ne doute pas que cette question a toujours été la priorité pour mes prédécesseurs. Mais répondre à un tel sujet, au malaise réel de la population, par ce type de proposition tendant à faciliter l’usage des armes n’est pas, de mon point de vue, à la hauteur de l’enjeu.
Ce n’est pas sérieux. C’est d’autant moins sérieux, monsieur Nègre, que, dans toutes les affaires que vous avez évoquées, les gendarmes et policiers étaient en état de légitime défense. Prétendre, en prenant appui sur une note ou une circulaire, que les forces de l’ordre n’ouvriraient pas le feu par crainte des tracasseries administratives et des poursuites judiciaires n’est pas non plus sérieux.
L’honneur, la fierté, je le répète, des forces de sécurité, c’est de maîtriser des individus, c’est de gérer des situations sans faire feu. Le sang-froid des policiers et des gendarmes, leur discernement ne peuvent pas, comme vous le faites, être ravalés au rang d’impuissance et de faiblesse de nos forces de l’ordre.
En tant que ministre de l’intérieur, j’ai donc le souci permanent de protéger les policiers et les gendarmes – et je ne veux pas oublier les policiers municipaux –, qui, au quotidien, je le sais très bien, font face à une contestation, parfois virulente, de leur autorité, et ce non pas depuis dix mois, mais depuis des années.
Dès ma prise de fonctions, j’ai voulu, à la suite des engagements du Président de la République, renforcer la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes. J’ai donc confié une mission en ce sens à M. Mattias Guyomar, conseiller d’État.
La protection fonctionnelle, c’est la juste garantie qu’accorde l’administration à ses agents lorsqu’ils sont victimes ou mis en cause dans l’exercice de leurs fonctions. C’est, pour l’État, un devoir impérieux de protéger ces hommes et ces femmes qui, chaque jour, risquent leur vie pour nos concitoyens.
Les auteurs de la proposition de loi affirment, dans son exposé des motifs, que « par peur de poursuites administratives ou judiciaires, des policiers ont pu hésiter à se défendre, devant des agresseurs dénués de tout scrupule ». C’est faux : le ministère de l’intérieur n’abandonne pas ses agents ! La protection juridique des policiers et des gendarmes est déjà une réalité : le nombre de mesures de protection prises pour les agents victimes, comme pour les agents mis en cause, en témoigne. Ce nombre n’a cessé d’augmenter depuis cinq ans pour atteindre plus 20 000 mesures de protection en 2012.
Cette protection que l’État doit à ses agents, j’ai souhaité qu’elle soit renforcée en signe de reconnaissance de la nation. J’ai voulu que l’administration exprime clairement sa solidarité envers celles et ceux qui la servent. Les fonctionnaires de police doivent savoir que l’État sera toujours présent pour les soutenir lorsqu’ils remplissent, avec professionnalisme, leur mission de service public.
Le rapport Guyomar, qui m’a été remis le 13 juillet dernier, comporte vingt-sept recommandations dont la plupart ont d’ores et déjà été mises en œuvre. Trois axes ont été privilégiés.
D’abord, la protection juridique accordée aux victimes devait être étendue aux concubins et aux pacsés, qui n’en bénéficiaient pas. Cette injustice a été réparée dans la police nationale ; elle est en train de l’être dans la gendarmerie.
Ensuite, les droits des agents mis en cause doivent être mieux protégés. Les services qui mènent les enquêtes judiciaires et administratives ne peuvent être les mêmes ; ils sont donc séparés. Par ailleurs, le droit à l’assistance juridique est désormais assuré dès la phase d’enquête administrative, ce qui constitue également une avancée importante.
Enfin, protéger les agents, c’est éviter de précariser leur carrière lorsqu’ils sont mis en cause. À cet égard, les policiers avaient une attente forte, notamment à la suite de l’affaire de Noisy-le-Sec qui avait quelque peu enflammé – une nouvelle fois sur ce sujet – la fin de la campagne pour l’élection présidentielle. La suspension « préventive » était devenue la règle. Désormais, en accord avec la garde des sceaux, le maintien en service sera privilégié ; des instructions en ce sens ont déjà été données.
Sécuriser les carrières, protéger les fonctionnaires et leur famille : parce que cet objectif vaut pour l’ensemble de la fonction publique, un certain nombre de mesures générales sont actuellement étudiées dans un cadre interministériel, sous l’égide du ministère de la réforme de l’État.
Mieux protéger nos policiers et nos gendarmes est nécessaire, mais ce n’est pas tout. Il faut aussi se demander comment ils peuvent agir efficacement contre les phénomènes délinquants auxquels ils sont confrontés – comment et avec quels moyens !
La question est donc bien plus complexe que le cadre dans lequel les auteurs de la proposition de loi cherchent à l’enfermer. Ceux qui connaissent la réalité savent qu’il est difficile d’avancer sur ce terrain sans heurter des principes fondamentaux. D’ailleurs, monsieur Nègre, vous n’avez jamais pris une telle initiative sous les gouvernements que vous souteniez. (M. Jacques Chiron opine.)
Les forces de l’ordre doivent faire face à une montée de la violence, qui n’est pas nouvelle, et à des individus déterminés, de plus en plus jeunes, lesquels utilisent parfois des armes de guerre. Elles sont aussi confrontées à des trafics et à des groupes organisés qui, dans les quartiers, veulent substituer un autre ordre à l’ordre républicain. Enfin, les policiers et les gendarmes doivent lutter contre une délinquance qui change de formes et qui se déplace vers de nouveaux territoires.
Personne ne conteste cette réalité. Je l’assume, quoiqu’elle ne soit pas le bilan du Gouvernement ni le mien. Je pourrais même vous dire qu’elle est le bilan de dix ans de la politique de sécurité menée par la majorité précédente ; c’est en partie vrai, mais c’est réducteur.
M. Pierre Charon. En effet !
M. Manuel Valls, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, je ne veux pas, moi, tomber dans vos caricatures. C’est un fait que cette situation est aussi le fruit d’une contestation de l’autorité, de la famille et de l’école ; le fruit aussi de la place de l’argent dans notre société, ainsi que des évolutions de la délinquance que je viens de rappeler. Une réponse très déterminée est nécessaire ; elle incombe à l’État, qui doit incarner l’autorité, mais aussi à toute la société.
Je veux agir avec détermination, ce qui implique de repenser non pas l’usage des armes, mais les dispositifs, les modes d’intervention, de sécuriser l’action des policiers. Sécuriser leur action, c’est faire en sorte qu’ils soient plus nombreux, mieux formés, mieux équipés et, surtout, pleinement respectés.
Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, je ne doute pas de votre bonne foi, mais il est pour le moins étonnant que vous présentiez une proposition de loi visant à protéger les policiers alors même qu’au cours des cinq dernières années les gouvernements que vous avez soutenus ont supprimé 10 700 postes de policiers et de gendarmes ! (M. Jacques Chiron opine.) Ces suppressions ont nécessairement rendu les missions sur le terrain beaucoup plus complexes (Eh oui ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.), et aussi beaucoup plus dangereuses : combien de policiers et de gendarmes soulignent que leurs équipages sont réduits !
Protéger les policiers, c’est avant tout garantir qu’ils soient en nombre suffisant sur le terrain et que les effectifs dont ils disposent leur permettent de se sécuriser eux-mêmes.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Jacques Chiron. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. En effet, la meilleure façon d’utiliser la force, qui est nécessaire, est de commencer par la rendre visible et opérationnelle sur le terrain.
C’est pourquoi, conformément aux engagements du Président de la République, il a été mis un terme à la politique de non-remplacement des départs en retraite. Non seulement les 3 000 départs prévus cette année seront remplacés,…
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. … mais 288 policiers et 192 gendarmes supplémentaires seront recrutés en 2013. Ces embauches se poursuivront à un même rythme annuel au cours du quinquennat, de sorte que 500 policiers et gendarmes supplémentaires au total seront recrutés chaque année. Bien évidemment, cela ne remplacera pas toutes les suppressions de poste, mais c’est le signe que le Gouvernement est décidé à s’attaquer avec force et détermination aux défis que nous posent la violence et la délinquance.
En matière de formation, – Mme la rapporteur y a fait allusion – j’ai voulu que des assises soient organisées au sein de la police nationale afin de réfléchir aux dispositifs permettant de rendre plus efficace la police d’aujourd’hui et de préparer celle de demain. Ces assises, qui se sont tenues au début du mois de février dernier, ont permis de préciser l’effort à accomplir en matière de formation initiale dans les écoles de police. Elles ont aussi permis de fixer des orientations pour renforcer la formation continue. En effet, il est primordial d’assurer, tout au long de la carrière des policiers, l’adéquation entre leurs compétences et les missions qui leur sont confiées, compte tenu des évolutions de la délinquance.
Les policiers ont également besoin de moyens matériels pour agir. Certes, le cadre budgétaire est contraint ; mais le Gouvernement entend donner à la police et aux gendarmes, qui les réclament, les moyens matériels nécessaires à l’accomplissement de leurs missions.
En particulier, les forces de l’ordre doivent pouvoir bénéficier d’avancées technologiques comme la géolocalisation des véhicules ou les caméras embarquées, qui permettent de dépêcher les effectifs nécessaires en renfort. Quant à la vidéoprotection, elle permet de sécuriser nos concitoyens, mais aussi les policiers dans leurs interventions.
En ce qui concerne les avancées technologiques, il faut encore citer les caméras-piétons, qui contribueront au rétablissement du rapport de confiance avec la population. Le retour du matricule et le nouveau code de déontologie concourront à ce même objectif. En levant les incompréhensions et en désamorçant les tensions, il s’agit aussi de sécuriser les policiers dans leurs interventions sur le terrain.
À Clermont-Ferrand où j’étais il y a quelques jours, dans un quartier classé en zone de sécurité prioritaire à la suite du drame qui s’est produit voilà un an, les policiers m’ont rapporté qu’ils rencontraient encore des difficultés pour patrouiller à pied, ce qui est pourtant nécessaire au rétablissement de la sécurité.
Je veux que les policiers soient respectés, que leur autorité soit pleinement établie. Cette autorité implique une police respectueuse et au contact de la population, notamment dans les quartiers ; c’est ainsi que la police sera respectée par la population.
Tout acte d’agression verbale ou physique à l’égard de nos forces de l’ordre doit être sévèrement puni. Je me rendrai demain à Amiens pour faire le point sur la zone de sécurité prioritaire créée il y a plusieurs mois, avant que n’éclatent des émeutes urbaines. Grâce au travail accompli par les enquêteurs sous l’autorité du parquet, ceux qui ont semé le désordre et qui ont agressé les forces de l’ordre sont, les uns après les autres, arrêtés et déférés à la justice.
Ce résultat montre qu’il faut avoir confiance dans la justice et dans sa collaboration avec les policiers. La mise en cause permanente de la justice affaiblit l’État de droit et la relation indispensable entre les forces de l’ordre et les magistrats. Hier soir, lors d’une visite de terrain à Aubervilliers et à Pantin, en Seine-Saint-Denis, j’ai constaté les fruits d’une coopération exemplaire entre la police, les douanes et la justice pour lutter contre les trafics et tout ce qui pourrit la vie quotidienne de nos concitoyens dans les quartiers populaires.
Une police sécurisée, c’est aussi une police confortée dans ses missions et dans ses modes d’intervention. Tel est l’objectif des soixante-quatre premières zones de sécurité prioritaires.
Comme je viens de le montrer, l’action coordonnée entre les services et les liens renforcés avec la justice portent déjà leurs premiers fruits. C’est le cas à Amiens, mais aussi contre des phénomènes de bandes à Grigny, où les agresseurs du RER ont été interpellés, à Corbeil-Essonnes, où une quarantaine de vols avec violence ont été élucidés, ou encore à Marseille, où des trafics sont démantelés. Seulement, pour lutter contre ces phénomènes, il faut un temps qui est parfois contraire à l’émotion que provoque tel ou tel fait ou à l’exploitation politique à laquelle il donne lieu.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi apporte une mauvaise réponse à une bonne question. Cette réponse, la même depuis dix ans, n’a pas empêché les violences aux personnes d’augmenter : elles augmentent depuis trente ans, touchant toutes les catégories, particulièrement les femmes et les plus fragiles. Pourtant, je ne doute pas que la même réponse sera avancée lors de la convention que tient aujourd’hui l’UMP sur le thème de la sécurité, avec un traitement spécial réservé à la garde des sceaux et au ministre de l’intérieur – j’ai bien compris que c’est la nouvelle stratégie.
Cette réponse, le Gouvernement ne peut pas l’entendre. C’est pourquoi il demande au Sénat de rejeter cette proposition de loi, qui n’est utile ni pour la sécurité des forces de l’ordre ni pour celle des Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. André Gattolin et François Fortassin applaudissent également.)
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre Charon. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Pierre Charon. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, j’aurais pu commencer mon intervention par le récit de quelques-uns de ces faits divers quotidiens qui illustrent malheureusement la terrible situation de notre pays. Louis Nègre m’ayant devancé avec beaucoup de talent et d’émotion, je consacrerai mon propos à la proposition de loi que nous présentons.
Il importe malgré tout de replacer notre initiative dans le contexte de l’hyper-violence à laquelle nos forces de l’ordre doivent répondre et qu’elles s’efforcent de contenir. Il s’agit d’une nouvelle violence dont les acteurs sont chaque jour plus lourdement armés. Quand j’étais adolescent, les blousons noirs avaient des canifs et des chaînes de vélo ; aujourd’hui, les délinquants ont troqué les canifs contre des kalachnikovs.
Or nous sommes très régulièrement témoins de situations terribles dans lesquelles un policier ou un gendarme perd la vie dans l’exercice de ses fonctions. Certains parleront sans doute des risques du métier. C’est un fait que l’engagement dans la police ou dans l’armée présente cette particularité qu’on y risque sa vie pour protéger celle des autres ; cette particularité doit nous inspirer le plus grand respect et la plus profonde gratitude, en aucun cas de la moquerie ou du dédain.
Ce sont, chaque année, plus de 10 000 policiers qui sont blessés, soit une quarantaine par jour ! Le cadre juridique semblant ne plus être adapté à cette situation, Louis Nègre, moi-même et une quarantaine de nos collègues avons décidé de déposer cette proposition de loi.
Ce texte a une portée symbolique et une nécessité concrète. Une portée symbolique, tout d’abord, en ce qu’il confirme le monopole de la violence légitime, pour reprendre la formule du sociologue Max Weber, monopole qui fonde l’État de droit. Permettez-moi, mes chers collègues, de prendre le temps d’ouvrir ici une parenthèse sur la nature de cet État de droit, si cher à nos démocraties contemporaines.
L’État de droit se fonde sur deux socles : le monopole de la violence légitime, qui justifie la prérogative de l’État en matière de maintien de l’ordre, et le respect des libertés civiles, lequel implique un usage exclusivement défensif de la violence.
Si l’on oublie l’un de ces deux socles, la société bascule, soit dans l’anarchie des règlements de compte, soit dans l’État totalitaire, qui étouffe la liberté sous la répression policière. Dans les deux cas, la fin de cet équilibre crée une situation dangereuse. Si l’État n’a plus le monopole de la violence légitime, c’est l’escalade anarchique de la violence des milices et des gangs, c’est la société du désordre du tous contre tous, où la loi du plus fort remplace la loi du juste. Au contraire, si l’État ne limite pas son autorité, c’est l’escalade de la répression, l’assèchement de la liberté et, bien souvent, la révolte d’un peuple contre un autre.
C’est donc dans un souci permanent d’équilibre que nous avons bâti cette proposition de loi, afin de donner toute leur légitimité et leur place à nos forces de l’ordre, en respectant les règles les plus fondamentales relatives aux limites de l’autorité dans une démocratie moderne.
Nous avons dû élaborer ce texte en veillant à suivre deux fils conducteurs : la protection des policiers, qui voient leurs conditions de travail se dégrader chaque jour et attendent de la part du législateur une réponse concrète à ce problème, et la vigilance, afin que ce texte ne constitue en aucun cas une incitation, pour les policiers, à tirer à la première occasion. Ce travail exige une certaine finesse, et les frontières sont bien entendu ténues.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Pierre Charon. Mais quand il s’agit d’une question aussi essentielle que le maintien de la paix civile, nous ne pouvons pas systématiquement nous réfugier derrière la complexité du droit. Si nous voulons vivre ensemble, et vivre en paix, il faut qu’il y ait un ordre, et des forces qui le fassent respecter.
Or, comme l’expliquait voilà quelques instants mon collège Louis Nègre, contrairement aux gendarmes et aux douaniers, qui peuvent faire usage de leur arme à feu après des sommations et sous réserve de conditions limitatives, les policiers ne sont autorisés à ouvrir le feu qu’en réponse à une agression de même nature. Cette situation met donc quasiment sur le même plan les délinquants et les forces de police.
C’est tout simplement moralement inadmissible. Il est par conséquent urgent de faire évoluer le droit afin de l’adapter à une réalité qui a changé.
Notre proposition de loi vise ainsi à donner aux policiers la possibilité de faire usage de leurs armes dans un cadre légal et protecteur des forces de l’ordre, et sous réserve de certaines conditions limitatives.
Dans un État de droit, si les délinquants bénéficient de la présomption d’innocence, il est légitime que les forces de police bénéficient de la présomption de légitime défense. Or, dans l’état actuel du droit, il faut quasiment que le policier se soit déjà fait tirer dessus pour pouvoir utiliser son arme. La réalité des situations est souvent beaucoup plus complexe que les classements arbitraires validant ou non la légitime défense.
Permettez-moi de vous donner un exemple, mes chers collègues, afin de bien comprendre ce qui se passe sur le terrain. Un policier poursuit un individu armé d’un pistolet. Celui-ci, à vingt mètres du policier, se retourne et menace de son arme ce dernier, lequel fait usage de la sienne à trois reprises. L’individu est tué et l’autopsie démontre que la balle l’a frappé de dos, alors que le policier affirme avoir tiré sur l’individu qui le menaçait. Légalement, la balle ayant frappé l’individu de dos, celui-ci ne pouvait diriger « simultanément » son arme en direction du policier : la légitime défense est donc exclue. Cet individu, qui s’enfuyait en tenant un pistolet à la main, présentait pourtant un danger important pour les policiers et les passants. On peut imaginer qu’entre le premier et le troisième coup de feu tiré par le policier l’individu s’est retourné un micro-instant pour se cacher, la balle l’ayant frappé alors qu’il faisait volte-face. Dans le système pénal actuel, le policier, menacé directement lorsqu’il a commencé à tirer, était en état de légitime défense, la condition de simultanéité étant retenue. Dès que l’individu a amorcé son retournement pour s’enfuir, le policier n’était plus en situation de légitime défense. Dans la réalité, toute la scène n’a duré qu’un instant. S’il est facile ensuite pour les magistrats de la décortiquer quart de seconde par quart de seconde, il était impossible pour le policier, dans le feu de l’action, d’arrêter son geste au moment où l’individu se retournait.
C’est pourquoi nous avons proposé une telle adaptation de la loi n° 2011–267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, qui modifie les conditions d’usage des armes à feu pour les fonctionnaires de police. Nous proposons que les membres des forces de l’ordre puissent tirer sur un individu armé refusant de déposer son arme après les appels répétés de « halte police ». Cela leur évitera de devoir attendre, au risque de leur vie, d’être directement menacés par l’arme et incitera les délinquants à déposer leurs armes sur injonction de la police. Telle est la dimension préventive de ce texte.
En élargissant le droit des policiers à utiliser leurs armes, le législateur envoie un signal à la société, et en particulier aux délinquants. Ce signal dissuasif devrait les inviter à un plus grand respect ou, du moins, à une plus grande crainte des forces de l’ordre. Mais ce signal concerne également les policiers, qui travaillent dans un climat d’insécurité judiciaire, lequel, associé à des conditions de travail extrêmement violentes, favorise malheureusement les situations d’exaspération et la possibilité de dérapages.
Mes chers collègues, j’ai entendu les craintes exprimées par certains d’entre vous, qui redoutent que ce texte n’ouvre la porte aux violences policières. Pourtant, les gendarmes servent déjà dans le cadre de la légitime défense que nous proposons d’ouvrir aujourd’hui aux policiers, et aucun chiffre n’indique un différentiel positif, en matière de faute professionnelle, dans la gendarmerie ! Par conséquent, sauf à différencier la confiance que nous accordons aux policiers et aux gendarmes, il n’y a aucune raison de différencier les conditions d’exercice de la légitime défense. Une telle confiance dépasse les particularités des deux branches de notre sécurité intérieure, et c’est bien dans cet état d’esprit que Louis Nègre et moi-même avons décidé d’harmoniser les conditions d’utilisation des armes à feu par les policiers et les gendarmes.
Je souhaite éclairer cet état d’esprit en revenant sur un sondage, qui indiquait récemment que l’armée – celle-ci inclut la gendarmerie – est l’institution dans laquelle 85 % des jeunes de notre pays ont le plus confiance. La police ne bénéficie malheureusement pas de la même réputation (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.), et il est de notre devoir de responsables politiques de tout faire pour améliorer la légitimité et l’image des gardiens de la paix. Il me semble que la légitimité, le respect et la confiance qu’accordent les citoyens à une institution sont à l’image de la légitimité que l’État lui donne. Encore une fois, il ne s’agit pas de délivrer une « licence pour tuer » aux forces de l’ordre. Il s’agit de rééquilibrer une situation, qui fait aujourd’hui peser sur notre police une forme de soupçon permanent.
Vous en conviendrez, mes chers collègues, nos policiers ne tirent sur les gens ni par plaisir ni par excès de zèle. Dans une société centrée sur le confort, le moindre effort et le moindre engagement, nous devons nous incliner avec respect devant ceux qui font le choix de cet engagement : risquer sa vie pour assurer la paix de tous. Pourtant, mes chers collègues, ces femmes et ces hommes qui se réveillent chaque matin sans savoir s’ils rentreront chez eux le soir sont quotidiennement méprisés, insultés et agressés.
Lequel d’entre nous peut sérieusement affirmer que la police fait aujourd’hui régner la terreur en France ? (M. Roger Karoutchi sourit.) Lequel d’entre nous peut sérieusement prétendre que l’insécurité est un fantasme, et qu’il n’y a pas de problème de délinquance en France ? Lequel d’entre nous peut nier l’évolution de la violence et la nature des armes qui circulent aujourd’hui dans certains milieux ?
Mes chers collègues, nous avons pris acte, lors de la discussion de ce texte en commission, des inquiétudes exprimées par un certain nombre d’entre vous. Je dois vous le dire, je suis attristé par de telles réticences, qui me semblent en décalage avec la réalité. Refuser, par méfiance, de renforcer le droit de nos policiers à se défendre, c’est renverser les choses, et voir la menace du côté des forces de l’ordre. Peut-on aujourd’hui estimer que la police utilise abusivement les armes qui sont à sa disposition ?
Mes chers collègues, nous avons tous en mémoire les images de nos policiers se réfugiant derrière des boucliers sous les tirs de fusils de chasse des émeutiers, à Clichy-sous-Bois, en 2005. Devant le sang-froid et la mesure de ces agents, je ne crois pas que l’on puisse parler de police de « cow-boys », pour reprendre le terme utilisé par Louis Nègre.
Un certain nombre de cosignataires de ce texte m’ont dit vouloir soutenir une proposition de « bon sens ». Je crois effectivement qu’en donnant aux forces de l’ordre les moyens de leur mission, il s’agit plus de bon sens que d’idéologie. Il aurait d’ailleurs été à l’honneur de notre Haute Assemblée de trouver, en la matière, une large majorité réunissant nos différents groupes politiques. Je souhaite pour ma part que cette question, au lieu d’être enterrée, trouve bientôt une réponse et un cadre adapté. Car si nous négligeons ceux qui garantissent la paix, nous risquons tout simplement, un jour, de la perdre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand le législateur se contente de réagir aux faits divers, même les plus horribles, il ne faut guère s’étonner qu’il méconnaisse certains des principes qui fondent nos sociétés démocratiques et tendent à éviter que l’on ne puisse tuer arbitrairement.
Quand les politiques cèdent aux raccourcis faciles, il ne faut pas non plus s’émouvoir que, trop occupés à agiter le chiffon rouge de la délinquance, ils reprennent des thèmes d’extrême droite (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.), qui fragilisent le statut juridique de l’action de ceux-là mêmes qu’ils prétendent défendre.
Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que les auteurs de cette proposition de loi connaissent si mal la jurisprudence pénale. Ils fondent en effet leur texte sur une inexactitude, sinon un mensonge. Selon eux, « un policier doit avoir été blessé pour être juridiquement en mesure de riposter ». C’est faux. (M. François Trucy s’exclame.)
Mes chers collègues, vous comprenez que, je puis d’ailleurs l’affirmer dès à présent, les sénateurs du groupe CRC s’opposent sans aucune réserve à la proposition de loi qui nous est soumise, d’autant que les politiques menées par la droite au cours de ces dix dernières années, en accentuant les injustices, en renforçant la précarité et la misère sociale,…
M. Roland Courteau. Eh oui !