compte rendu intégral
Présidence de Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Secrétaires :
M. Hubert Falco,
M. Jean-François Humbert.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement
Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe écologiste, la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte (proposition n° 329, texte de la commission n° 452, rapport n° 451).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes parvenus à une étape importante de la procédure parlementaire de cette proposition de loi.
À l’automne dernier, lors des débats au Sénat, la nécessité de garantir l’expertise scientifique et de mettre en place des outils adaptés à la gestion des risques émergents avait été reconnue par tous.
La gestion de ces risques est une préoccupation quotidienne des Français.
Le travail des deux chambres sur ce texte a été exemplaire. Je tiens à remercier Marie-Christine Blandin et le rapporteur Ronan Dantec, à saluer l’initiative du groupe écologiste du Sénat et à rendre hommage au travail accompli par l’ensemble des parlementaires qui ont pris part aux débats.
Grâce à vos échanges, la procédure parlementaire a permis d’approfondir le sujet et de résoudre les difficultés faisant obstacle à l’adoption de cette proposition de loi, à savoir la nature et les modalités de fonctionnement de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, d’une part, l’organisation de l’exercice du droit d’alerte dans l’entreprise, d’autre part.
Un important travail a, en effet, été accompli par le Sénat et l’Assemblée nationale. Loin de dénaturer la proposition de loi et ses objectifs, ce travail a donné au texte un impact plus important grâce à l’adoption d’une approche opérationnelle et pragmatique.
Dorénavant, l’alerte est affirmée, d’emblée, en préambule du texte, comme un droit : c’est un signal important. Les droits des lanceurs d’alerte sont posés. Ces derniers font l’objet d’une véritable protection juridique, aux termes de laquelle nul ne doit pouvoir être inquiété parce qu’il aurait révélé un danger sanitaire ou environnemental.
Le dispositif issu de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé est étendu à l’ensemble du champ de la santé et de l’environnement.
Les personnes qui sont victimes de discrimination parce qu’elles ont relaté des faits relatifs à des atteintes à la santé publique ou à l’environnement pourront saisir le Défenseur des droits.
La charge de la preuve est également modifiée puisqu’elle incombera désormais à la personne accusée d’avoir pris une mesure discriminatoire, et non au lanceur d’alerte.
Dans le même temps, les devoirs des lanceurs d’alerte sont également fixés. L’information que l’alerte rend publique ou qu’elle diffuse doit exclure tout caractère diffamatoire ou injurieux. Si le lanceur d’alerte est de mauvaise foi ou a l’intention de nuire, il peut être poursuivi pénalement.
Ces limites à l’exercice du droit d’alerte lui donnent toute sa force et sa légitimité.
Par ailleurs, en réponse à certaines inquiétudes formulées au Sénat et à l’Assemblée nationale, les règles relatives à la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement ont aussi été améliorées.
Vous aviez, mesdames, messieurs les sénateurs, pris le parti, en première lecture, d’orienter le texte sur cette formule plutôt que sur celle d’une haute autorité. Le Gouvernement a totalement approuvé cette approche. Cette commission ne sera donc pas une nouvelle entité se substituant aux agences ou aux organismes existants ; elle servira de dispositif d’appui à l’ensemble des acteurs, sera à même de travailler avec eux et de leur apporter rapidement des contributions.
L’exigence initiale d’une indépendance par rapport aux ministères est restée intacte. Cette indépendance sera assurée, d’une part, par la composition de cette instance, laquelle comprendra des représentants de l’État, des parlementaires, des membres du Conseil économique, social et environnemental et des experts, et, d’autre part, par sa possible saisine au-delà des seuls membres du Gouvernement.
La Commission nationale aura pour rôle de généraliser les bonnes pratiques et le « compagnonnage » entre les organismes existants, comme l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, ou l’Institut national de l’environnement industriel et des risques, l’INERIS.
La volonté a été nettement exprimée de ne pas imposer une nouvelle réglementation, tout en permettant rapidement aux organismes qui sont les moins avancés en matière de déontologie et de qualité de l’expertise de bénéficier de l’expérience de ceux qui sont déjà largement engagés dans ce mouvement.
Cette commission diffusera également les bonnes pratiques d’ouverture à la société civile des organismes publics. C’est un élément clé pour la bonne compréhension de la recherche et de l’expertise, plus nécessaire encore pour les risques émergents et les questions soulevées par les alertes.
Consolider le dialogue entre la société, les chercheurs et les experts aide à l’appropriation par nos citoyens des travaux scientifiques. L’ANSES, l’INERIS et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l’IRSN, ont déjà beaucoup œuvré en ce sens.
La Commission nationale de la déontologie et des alertes se voit aussi confier un rôle général de suivi des alertes. En amont, elle informera les établissements sur les éléments à porter dans les registres des alertes. Sur ce point particulier, la proposition de loi indique bien que ces registres sont du ressort des établissements.
La proposition de loi met en place un dispositif de traçabilité visant à éviter que des alertes ne soient perdues ou ignorées. La Commission nationale transmettra les alertes aux ministères compétents, complétant les dispositifs de prise en compte dans les établissements et sur le terrain.
Les organismes indiqueront dans les registres des alertes les suites qui y sont données, y compris en renvoyant vers des études en cours ou des initiatives déjà prises. De la même façon, les ministres feront connaître les éléments en lien avec les alertes que la Commission nationale peut leur transmettre.
Dans son rapport au Parlement et au Gouvernement, la Commission nationale informera de la mise en œuvre des procédures d’enregistrement des alertes par les organismes. Cela permettra au pouvoir législatif d’avoir une vision globale.
Elle aura une structure légère, comme l’est celle du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, le HCTISN, sans administration propre, et elle s’appuiera sur une instance déjà existante.
Je propose que cette instance soit le Comité de la prévention et de la précaution, qui agit dans les domaines de l’environnement et de la santé et traite déjà des aspects relatifs tant à l’alerte qu’à la pratique de l’expertise. Créé par un arrêté du 30 juillet 1996, il fait partie de la liste des commissions administratives du ministère prorogées pour une durée de cinq ans par un décret du 6 juin 2009.
Composé à ce jour d’une vingtaine de personnalités scientifiques reconnues pour leurs compétences sur les questions touchant à l’environnement et à la santé, il assure une fonction de veille, d’alerte et d’expertise sur les problèmes sanitaires liés aux perturbations de l’environnement. Il éclaire, par ses avis, les politiques du ministère au regard des principes de prévention et de précaution.
Positionné dans des champs proches de ceux de la nouvelle commission, créé par voie réglementaire, présidé par une personnalité ne représentant pas une structure de l’État, le comité semble donc offrir une première base pertinente.
L’évolution du Comité de la prévention et de la précaution nécessitera, bien sûr, des aménagements réglementaires qui seront mis en œuvre dans les meilleurs délais après l’adoption de la proposition de loi. À l’heure actuelle, les missions confiées ne sont pas les mêmes, les règles de saisine diffèrent, et la composition n’est pas celle qui a été retenue pour la commission. Nous procéderons à ces évolutions par la voie réglementaire.
Par ailleurs, pour assurer le secrétariat de la Commission nationale, je propose l’aide des services existants de mon administration. Je souhaite que cette instance puisse également s’appuyer pour des missions régulières sur les inspections générales concernées par ses sujets.
Le deuxième point principal sur lequel le texte a profondément évolué est le droit d’alerte au sein de l’entreprise.
Lors des débats au Sénat, j’avais indiqué que des négociations sociales portant sur les prérogatives des institutions représentatives du personnel étaient en cours et que cette échéance devait être prise en compte dans les discussions sur la proposition de loi.
Les débats à l’Assemblée nationale sont intervenus peu de temps après l’accord du 11 janvier 2013, obtenu à la suite de ces importantes négociations sur la sécurisation de l’emploi.
Le titre II de la proposition de loi a ainsi pu être complété en toute connaissance de cause. Il est prévu que le droit d’alerte sera reconnu à tout travailleur de toute entreprise, et à chaque représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, ainsi que, dans les conditions fixées par le code du travail, aux délégués du personnel.
Ce point est important, car, en complément des mesures de protection prévues par le titre III de la proposition de loi, le représentant du personnel bénéficie d’une protection spéciale en cas de licenciement.
Ce droit d’alerte s’exercera en cas de risque grave, et non pour des risques anodins, en cohérence avec les dispositions du code du travail sur la santé au travail.
Une procédure est organisée pour répondre à l’alerte et, surtout, un retour pour information est prévu devant le CHSCT. Ce dispositif améliore de manière significative la transparence du suivi de l’alerte. Il laisse aussi la possibilité, en cas de divergence sur le bien-fondé de l’alerte ou en l’absence de suite de la part de l’employeur, de saisir le représentant de l’État.
Le Gouvernement soutient également l’extension de l’obligation d’information des salariés à la santé publique et à l’environnement, sur un même plan que la santé au travail.
Il est important de rappeler que les missions et attributions des CHSCT n’ont pas été étendues à la santé publique et environnementale. La compétence du CHSCT, c’est bien la santé au travail, la protection de la santé des travailleurs et l’amélioration des conditions de travail. L’étendre à la santé publique et à l’environnement aurait constitué une réforme importante du CHSCT.
Une telle évolution aurait nécessité une modification de ses moyens d’action et n’aurait pu se faire sans que les partenaires sociaux en aient débattu. Or, le Gouvernement considère que c’est à ces derniers de prendre l’initiative de faire évoluer le CHSCT en ayant une vision globale de cette instance. C’est la voie et la méthode que nous avons choisies dans le cadre de la grande conférence sociale de juillet 2012. Il y aura une prochaine étape en juillet 2013, qui sera l’occasion d’examiner la question de la suite à donner à l’évolution du CHSCT.
Vous le voyez, cette proposition de loi est maintenant complète, et de grande qualité. Ce texte constituera un jalon marquant dans le rétablissement de la confiance de nos concitoyens dans les autorités et les procédures d’évaluation des risques.
Il viendra compléter les différents travaux en cours sur la prévention des risques sanitaires environnementaux. Vous le savez, c’est une priorité du Gouvernement, fixée lors de la conférence environnementale.
La France est en pointe sur ce sujet dans le monde et dispose d’une compétence scientifique reconnue, notamment en ce qui concerne les perturbateurs endocriniens.
Vous avez, d’ailleurs, récemment adopté la proposition de loi visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A.
L’élaboration d’une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens est aussi en cours. Le groupe de travail en charge de sa rédaction réunit de nombreux élus, dont la sénatrice Chantal Jouanno, des représentants des ministères, des agences publiques, des associations, des syndicats de salariés et des fédérations d’entreprises, ainsi que des personnalités qualifiées.
Ce travail aboutira en juin à la présentation d’un plan d’action et de propositions pour avancer sur la définition et l’identification des perturbateurs endocriniens, sur la recherche des risques liés, sur les actions de réduction de ces risques et sur l’information et la sensibilisation du grand public.
Sur le plan européen, je rencontrerai demain le commissaire européen à l’environnement, M. Janez Potočnik, pour lui demander que l’Agence européenne des produits chimiques transmette aux autorités françaises la liste des substances pour lesquelles le dossier d’enregistrement REACH mentionne explicitement une utilisation dans les jouets et articles de puériculture.
La France soutient fermement la position selon laquelle le critère d’activité, qui renvoie à une notion de seuil sans effet, ne peut pas être pris en compte dans la définition des perturbateurs endocriniens.
Le souhait du Gouvernement est donc que cette stratégie nationale puisse incarner une approche française volontariste sur la scène européenne. Cette proposition de loi s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Il s’agit maintenant d’entériner la démarche dont vous avez pris l’initiative, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous nous engagerons, ensemble, à mettre pleinement en œuvre le progrès qu’incarne cette proposition de loi, pour la prise en compte effective des signaux faibles d’alerte environnementale et sanitaire. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Michèle André applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous voici à nouveau réunis pour examiner, cette fois-ci en deuxième lecture, la proposition de loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, votée par l’Assemblée nationale en première lecture le 31 janvier dernier.
Les députés ont poursuivi le travail de fond que nous avions engagé ici sur ce texte, je le rappelle, d’initiative parlementaire. En reprenant la concertation avec les partenaires sociaux, les différents groupes politiques, les ministères et Matignon, l’Assemblée nationale a abouti à une rédaction qui reflète à la fois un souci d’efficacité et un équilibre politique. C’est pourquoi je n’ai pas jugé utile de déposer de nouveaux amendements. Je formule le souhait, et la commission du développement durable avec moi, que nous adoptions cette proposition de loi dans les mêmes termes que nos collègues députés.
Le travail effectué par les députés répond tout d’abord à un souci de restructuration du texte et de clarification juridique.
En première lecture, nous n’avions pas pu adopter de texte en commission, ce qui ne nous avait pas permis de procéder à tous les aménagements techniques que le texte aurait nécessités. C’est chose faite avec la rédaction qui nous revient de l’Assemblée nationale : la quasi-totalité des articles qui sont encore en discussion le sont du fait de l’adoption d’un nombre important d’amendements de nature rédactionnelle et de ré-ordonnancement du texte.
Les députés ont tout d’abord créé un titre Ier A consacré au droit d’alerte en matière sanitaire et environnementale. Ils y ont placé l’ancien article 8, devenu article 1erA, qui précise les droits et obligations du lanceur d’alerte. Cet article est désormais placé en exergue du texte. Cela lui confère une meilleure lisibilité et marque une volonté politique forte de répondre aux enjeux du repérage et de la protection des lanceurs d’alerte, ce qui était bien la motivation initiale de l’auteur du texte.
Dans le titre Ier, consacré à la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, les députés ont apporté quelques modifications de forme. Cette commission est maintenant chargée de définir les critères qui fondent la recevabilité d’une alerte. C’est un point important, que nous avons évoqué ce matin en commission, et le texte, dans son nouvel ordonnancement, est dorénavant plus clair.
L’article 1er créé un cadre, mais il reste encore beaucoup de choses à préciser. La Commission nationale aura à faire cet important travail de précision. Par ailleurs, notons que l’Assemblée nationale a prévu, c’est une amélioration majeure, un alinéa aux termes duquel les décisions des ministres compétents concernant la suite donnée aux alertes doivent être dûment motivées et transmises à la commission.
Sur la composition de la commission, les députés ont intégré au texte une obligation de parité – reconnaissons que le Sénat aurait pu y penser. Ils ont également prévu la possibilité de saisine de la commission par les organes nationaux de l’ordre des professions relevant de la santé ou de l’environnement. Voilà encore une amélioration résultant du travail parlementaire.
Enfin, l’Assemblée nationale a complété l’article 5, en précisant les règles applicables en matière de conflits d’intérêts et de secret professionnel, notamment en ce qui concerne les exigences de déclaration publique d’intérêts et la pratique du déport.
Le travail effectué par les députés se situe, vous le voyez, dans le prolongement du nôtre, et complète utilement les dispositions prévues pour l’exercice des missions de la commission de déontologie.
En première lecture, divers orateurs avaient craint la création d’un « machin » supplémentaire. En séance, j’avais indiqué que cette commission serait créée à moyens constants. Madame la ministre, c’est un point important pour la commission, et je prends acte des précisions que vous avez apportées sur ce sujet. Nous partons d’une structure existante, le Comité de la prévention et de la précaution, et je note tout particulièrement vos propos quant à l’évolution de ce comité. Rien ne s’oppose plus à ce que nous avancions maintenant assez rapidement, et nous allons le faire à moyens constants, sans création de structure supplémentaire.
C’est dans le titre II, relatif à l’exercice du droit d’alerte en entreprise, que se trouvent les modifications les plus substantielles au texte que nous avions adopté. La question de l’alerte en entreprise nous avait beaucoup mobilisés, et avait suscité diverses oppositions et discussions. Certains partenaires sociaux s’en étaient émus. La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a mené de nouvelles concertations, avec les partenaires sociaux et le ministère du travail.
Je vous avais proposé de remplacer les cellules d’alerte initialement prévues par la proposition de loi par une extension des missions des CHSCT, déjà compétents en matière d’alerte interne aux entreprises. Cette solution semblait en effet plus opportune. Elle avait été portée par les syndicats lors des auditions que ma collègue Aline Archimbaud avait menées au nom de la commission des affaires sociales.
Les députés ont conservé ce principe et la même architecture générale pour le titre II. Ils ont cependant allégé l’extension des missions du CHSCT. Il est apparu en effet au rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, après avoir entendu les arguments des partenaires sociaux – syndicats et patronat –, ainsi que ceux du ministère du travail, qu’il était difficile de maintenir l’ensemble du dispositif tel que nous l’avions adopté, notamment du fait des négociations en cours sur la question des institutions représentatives du personnel.
Il est également apparu qu’en l’absence de moyens nouveaux dévolus aux CHSCT, en termes de formation comme de crédits d’heures, il leur serait difficile d’exercer pleinement ces nouvelles prérogatives.
Forte de cette analyse, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, saisie au fond, alors que c’est la commission du développement durable qui l’est au Sénat, a créé un chapitre spécifique au sein du code du travail pour traiter de la question des alertes en matière de santé publique et d’environnement. L’article 9 regroupe désormais les diverses dispositions relatives au rôle des CHSCT.
L’Assemblée nationale n’a pas souhaité étendre les prérogatives de ce comité pour en faire le gestionnaire de l’alerte dans l’entreprise. Toutefois, je le souligne, elle a conservé une dimension collective à la prise en charge de l’alerte. Un droit d’alerte est ainsi accordé au représentant du personnel dans le CHSCT, et ce dernier doit être informé spécifiquement des alertes lancées et des suites qui leur sont données. Ce nouveau chapitre du code du travail reprend en outre les dispositions essentielles de protection des lanceurs d’alerte contre les discriminations. Il s’agit là encore d’une avancée majeure de ce texte.
Comme nous l’avions voulu, l’alerte conservera donc une dimension collective. Cela va dans le sens d’une nouvelle culture collective du risque, qui est l’une des garanties nécessaires à la mise en œuvre du droit d’alerte.
Les députés ont par ailleurs proposé qu’en cas de litige sur le bien-fondé ou la suite donnée à l’alerte par l’employeur, le travailleur comme le représentant du personnel au CHSCT pourront saisir le préfet. Une culture de l’alerte est bien créée dans l’entreprise, mais la gestion de l’alerte n’est pas gérée en son sein. Si l’entreprise ne réagit pas, le salarié pourra alerter le préfet, et il sera protégé. Si, à son tour, le préfet ne réagit pas, la Commission nationale pourra être saisie par une organisation syndicale et elle interrogera le ministère concerné. Ce dispositif sera moins lourd pour le CHSCT. C’est un compromis constructif qui s’inscrit dans un ensemble cohérent.
Peu de modifications ont été apportées par l’Assemblée nationale sur le troisième et dernier titre, regroupant les mesures encadrant le droit d’alerte, tant pour la protection des lanceurs d’alerte que pour la limitation des éventuels excès.
La protection des lanceurs d’alerte est codifiée à l’article L. 1350-1 du code de la santé publique, en reprenant la protection très large existant dans le domaine des produits de santé depuis la loi dite « Mediator » de décembre 2011. A contrario, les abus seront sanctionnés pénalement, conformément aux règles existantes en matière de dénonciation calomnieuse.
Les députés ont choisi de supprimer la disposition que nous avions introduite à l’article 16 A, concernant la possibilité, pour les institutions représentatives du personnel, de présenter leur avis sur les démarches de responsabilité sociale, environnementale et sociétale de l’entreprise dans le cadre de son rapport de gestion. Certains estimaient qu’il s’agissait d’un cavalier. Le Gouvernement a indiqué son souhait de ne pas voir cette question traitée dans le cadre de cette proposition de loi. Il a rappelé qu’une mission tripartite est chargée de préciser d’ici à juillet 2013 les modalités de développement de cette responsabilité en France. Nous resterons très attentifs à cette question.
La navette parlementaire aura ainsi permis de préciser et d’enrichir le texte initial. Ce travail est d’une actualité brûlante. Voilà quelques jours à peine, les juges en charge de l’instruction de l’affaire du Mediator ont mis en examen l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé pour homicides et blessures involontaires. Il lui est reproché « d’avoir contribué à créer la situation qui a engendré le dommage des victimes et de n’avoir pas pris les mesures permettant de l’éviter ».
Il est donc plus que jamais nécessaire d’assurer la transparence de l’expertise et de garantir sa déontologie, afin de sécuriser le travail des agences et rétablir la confiance des citoyens.
Lors des auditions que j’ai réalisées dans le cadre de la préparation de mon rapport, les agences ne se disaient pas opposées à la présente proposition de loi. Elles étaient certes soucieuses d’éviter des lourdeurs administratives supplémentaires, mais également parfaitement conscientes que l’existence à leurs côtés d’une commission capable de valider leurs propres règles de déontologie contribuait à les sécuriser.
En offrant un regard extérieur aux divers organismes sanitaires et environnementaux, la Commission nationale les confortera. Elle pourra soutenir et guider les agences en identifiant les bonnes pratiques tant en Europe qu’en France.
Ce texte protégera aussi les lanceurs d’alerte non institutionnels. Même si le risque zéro n’existe pas, les conditions de leur protection seront mieux réunies, et telle était notre responsabilité en présentant cette proposition de loi, pour que les signaux faibles soient repérés à un stade suffisamment précoce et éviter ainsi des catastrophes sanitaires comme celles que nous avons malheureusement connues régulièrement ces dernières décennies.
Par ce travail parlementaire collectif – je tiens, à cet égard, à remercier l’ensemble des parlementaires, de sensibilités politiques très différentes, qui y ont participé –, nous montrons l’importance de notre capacité d’initiative parlementaire. Nous avons fait œuvre utile et participé de la modernisation de la décision publique, qui passe par l’indépendance de l’expertise.
Il y a sur ce texte, je le crois, place pour un consensus. Je vous propose donc de l’adopter par un vote conforme. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est inspirée, à l’évidence, par de bons sentiments. Comme je l’ai dit en première lecture, il faut reconnaître ce mérite au rapporteur. Mes compliments s’arrêteront là.
Mme Évelyne Didier. C’est court !
M. Ronan Dantec, rapporteur. Effectivement !
M. Jean Bizet. En effet, le texte n’apporte que des réponses fragmentaires à des questions de grande ampleur et tend à faire de l’entreprise le cœur du problème – et non le problème, comme certains pourraient le penser.
Je commencerai par l’indépendance de l’expertise.
Je pèse mes mots, il n’existe pas d’expertise indépendante en soi, ni de certitudes de l’expertise, derrière laquelle les décideurs politiques pourraient s’abriter, comme l’a démontré une nouvelle fois le débat suscité par les travaux du professeur Séralini sur le maïs OGM NK603, auxquels je me suis intéressé. Le Haut Conseil des biotechnologies avait estimé que la toxicité de ce type de maïs n’était pas démontrée par cette étude.
La meilleure garantie d’indépendance, c’est le recours à l’expertise pluraliste, pluridisciplinaire, contradictoire et transparente. À chacun son rôle : aux scientifiques celui de donner leur avis et d’alerter, aux politiques celui de décider et d’appliquer, ou pas, le principe de précaution, selon une lecture qui ne doit surtout pas se résumer au seul article 5 de la Charte de l’environnement. Nous aboutirions sinon à faire du principe de précaution un principe d’inaction, ce que je dénonce, ayant été le rapporteur du texte à l’époque, car il n’est surtout pas cela.
Il ne faut pas oublier les articles 8 et 9 de cette charte, et e pense en particulier à l’innovation. Autrement, l’innovation se fera ailleurs, ce qui signifie que les brevets seront détenus par d’autres. Au terme de vingt ans d’efforts pour mettre au point le brevet européen, je suis excessivement sourcilleux sur ce point.
J’évoquerai ensuite la création de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement.
Même si ce qui devait être une agence dans le texte initial a été transformé en commission par l’Assemblée nationale, nous considérons que nous n’avons pas besoin de créer une structure de plus, dont les compétences ne sont pas bien clarifiées par rapport à celles des agences existantes. Je ne pense pas me tromper beaucoup en disant qu’avec ce texte le Gouvernement a souhaité faire plaisir au groupe écologiste, mais que, parallèlement, il trouble et perturbe les chefs d’entreprise.
Le rapport de l’Inspection générale des finances de mars 2012 intitulé L’État et ses agences énumère déjà 1 244 agences de l’État. Le développement des autorités administratives indépendantes et autres établissements publics est un phénomène déjà ancien, qui s’est développé de façon inflationniste au fil des ans en termes de moyens humains et financiers. Ce phénomène ne s’est pourtant pas accompagné d’un renforcement suffisant de la tutelle de l’État.
En matière de santé, en particulier, près de dix agences existent déjà, dont l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, créée à la suite de l’affaire du Mediator en décembre 2011, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, mise en place en janvier 2010, l’Institut de veille sanitaire et l’Institut de radioprotection et de sureté nucléaire.
Par ailleurs, près de quatorze agences rattachées au ministère de l’écologie traitent de problèmes environnementaux.
La multiplicité des agences d’expertise est un véritable sujet d’interrogation. Elle pose, compte tenu des exigences budgétaires, la question de la rationalisation des missions respectives, ainsi que la nécessité de regrouper un certain nombre d’entre elles dont les missions et les domaines d’intervention sont redondants.
Je sais les efforts consentis lors de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale, mais j’estime que tout cela créera indiscutablement de nouvelles charges et des tracasseries administratives supplémentaires pour nos entreprises, qui n’en ont pas besoin.
On parle de « choc de compétitivité », et vous répondez par davantage de complexité.
On parle d’allégements de charges, et vous répondez par la création d’une commission nationale !
Le Gouvernement annonce un « choc de simplification », qui doit débuter par un gel de la production de normes, et vous répondez par des contraintes supplémentaires.
On annonce même la mise en place d’un « test PME », qui doit mesurer l’impact des nouvelles réglementations sur les entreprises. Je serais curieux de voir comment les dispositions de cette proposition de loi passeront ce test !
J’imagine également que les instances communautaires ne verront pas sans un certain effroi le comportement du gouvernement français en la matière. À l’heure où, plus que jamais, nous devons parler convergence avec notre principal partenaire, l’Allemagne, nous en « rajoutons » en termes de spécificité et de complexité française. Croyez-moi, nous n’avons vraiment pas besoin de complexifier davantage la vie des entreprises de notre pays !
J’en viens à l’exercice du droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement dans l’entreprise et à la protection des lanceurs d’alerte.
La création d’une procédure d’alerte sanitaire et environnementale dans les entreprises de plus de onze salariés et celle d’un statut spécifique pour une catégorie de salariés relèvent du champ de la négociation paritaire et des partenaires sociaux. Ces derniers n’ont pas manifesté jusqu’à présent la volonté d’inclure ce sujet dans le champ des négociations.
Par ailleurs, cette procédure serait créée par extension des missions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail présent dans toutes les entreprises de plus de cinquante salariés.
Que se passera-t-il pour les plus petites entreprises ?
Ce dispositif entraînera, à mon sens, un alourdissement considérable des obligations liées aux institutions représentatives du personnel, notamment pour les entreprises de moins de cinquante salariés, alors qu’elles demandent avant tout un allègement et une rationalisation des obligations existantes, notamment par la fusion des trois instances représentatives existantes – le délégué du personnel, le comité d’entreprise et le CHSCT – en un seul comité des salariés et des conditions de travail.
Cette proposition de loi crée une nouvelle catégorie de salariés, avec un statut particulier, celui de lanceur d’alerte, qui pourrait déboucher sur des incertitudes juridiques, des abus, voire une inégalité entre les salariés.
De plus, cela pourrait avoir des conséquences dramatiques pour certaines petites entreprises qui ne disposent pas des moyens de communication nécessaires pour réagir efficacement, en cas d’alertes lancées à tort ou par malveillance.
Je voudrais donc appeler votre attention, mes chers collègues, sur les risques qui peuvent découler de la médiatisation de fausses alertes, susceptible d’affecter durablement la réputation d’une entreprise.
Je peux paraître un peu sévère aux yeux de certains, mais, en tant qu’élu de Normandie, je suis bien placé pour savoir que ces fausses alertes ont contribué voilà quelques années, dans mon département, au discrédit de certaines entreprises, voire à leur disparition pure et simple,…