M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. En ce qui concerne, enfin, l’orientation de l’épargne vers les PME, le Président de la République s’est engagé à construire un produit d’épargne PEA-PME, destiné à orienter l’épargne des ménages, qui est abondante en France, vers les PME.
M. Alain Gournac. Avec ça, on est bien partis !
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre, pour la réplique.
M. Francis Delattre. Nous venons d’apprendre une nouvelle intéressante : la BPI va financer des dépenses de fonctionnement, puisque ce sont des remboursements. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. David Assouline. Non, elle va avancer ces fonds.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce sera seulement une avance !
M. Alain Gournac. On ne peut pas avancer de l’argent que l’on n’a pas !
M. Francis Delattre. Le véritable problème tient au caractère de la créance. En effet, avec les conditions imposées lors du débat à l’Assemblée nationale, la créance ne sera pas certaine, ce qui créera des difficultés juridiques.
En fait, selon moi, le volet le plus important concerne tout de même les fonds propres des entreprises. Alors que vous entendez intervenir uniquement par une dotation de la BPI, je pense, quant à moi, que c’est à travers l’actionnariat, au travers de l’épargne privée qu’il faut tenter de réorienter les choses. Et pour gagner en force de frappe, ce que demandent en premier lieu les contribuables et les actionnaires, c’est un peu de lisibilité.
Bref, vous ne m’avez pas convaincu, madame la ministre, en m’expliquant que c’est uniquement grâce aux fonds publics que l’ensemble de nos entreprises retrouveront des moyens suffisants !
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Madame la ministre, relancer la compétitivité de nos entreprises nécessite des actions dans différents domaines. Après celles qui ont déjà été évoquées, je voudrais, pour ma part, vous interroger sur la simplification administrative, car la lourdeur des procédures pénalise fortement nos entreprises, quelle que soit leur taille.
À titre d’exemple, l’action des élus locaux est encadrée, à elle seule, par la somme phénoménale de 400 000 textes réglementaires et circulaires ! Et bien entendu, cette situation ne date pas d’hier. Or ces textes s’appliquent aussi, par ricochet, aux entreprises travaillant avec les collectivités locales. Le classement 2012-2013 du World Economic Forum place d’ailleurs la France au 126e rang sur 144 pays en matière de complexité administrative.
Toujours à titre d’exemple, on constate qu’il faut, en moyenne, six ans et demi de procédures en France avant de pouvoir entamer la construction d’une ligne à haute tension, contre trois ans en Autriche et deux ans et demi au Danemark. Et cette lourdeur a un coût, tellement élevé parfois qu’il peut aboutir à l’inverse de l’effet recherché, une règle excessive devenant vite inapplicable.
Le gouvernement précédent avait affirmé s’être saisi du problème. Malheureusement, les effets d’annonce n’ont été, comme souvent, suivis d’aucune action concrète et la commission dite « de la paperasse », comme il est d’usage de la nommer, est restée lettre morte.
Le Gouvernement a d’ores et déjà montré son efficacité, puisqu’il a confié à Alain Lambert et à Jean-Claude Boulard, maire du Mans, une mission en vue d’alléger les normes applicables aux collectivités locales. Leur objectif est de dresser la liste, dans des délais rapprochés puisque le travail doit être terminé pour le 15 mars prochain, des textes jugés absurdes et pouvant être facilement abrogés.
Le ministère du redressement productif a, de son côté, lancé, avec Pierre Moscovici, Marylise Lebranchu et vous-même, madame la ministre, une première réunion de concertation avec les entreprises sur le programme de simplification de leurs démarches administratives et de leur environnement réglementaire.
Pouvez-vous nous présenter les premiers éléments qui sont ressortis de cette concertation et les orientations du Gouvernement sur ce sujet d’importance ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, le comité interministériel de modernisation de l’action publique s’est, en effet, réuni pour la première fois le 4 février dernier en présence de Marylise Lebranchu et Pierre Moscovici.
Les projets sur lesquels nous travaillons actuellement sont extrêmement concrets. Je citerai tout d'abord le projet « Dites-le nous une seule fois », que j’ai évoqué lors d’une précédente réponse. Il consiste à déceler les redondances dans la transmission des informations, pour les réduire ensuite. Les principales déclarations sociales seront examinées en vue d’identifier et de supprimer celles qui sont superflues.
Dès 2013, quelque 250 000 entreprises bénéficieront d’une déclaration pré-remplie de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, ce qui fera également gagner un temps considérable aux entreprises.
En outre, le Gouvernement est bien décidé à accélérer le mouvement déjà engagé en faveur de la dématérialisation des attestations fiscales et sociales à fournir dans le cadre des procédures de marchés publics.
Les déclarations sociales seront unifiées dès le premier semestre 2013. Des solutions seront proposées pour simplifier et accélérer les procédures applicables à l’immobilier des entreprises.
Nous allons mettre en œuvre un portail unique d’aides, après avoir recensé les aides publiques aux entreprises, qui se comptent en milliers. Il sera intégré au portail unique de la création d’entreprise, guichet-entreprises.fr, qui sera, lui aussi, rénové.
Ce portail couvrira pour la mi-2014 l’ensemble des formalités prises en charge par les centres de formalités des entreprises, depuis la création jusqu’à la cessation ou la radiation.
Nous allons également travailler sur ce dossier très important qu’est la lutte contre la sur-transposition du droit communautaire, afin d’éviter que le droit français n’impose des normes et réglementations plus contraignantes encore que les celles de l’Union européenne.
Nous allons procéder au test PME, promesse du Président de la République pour évaluer l’impact de toute nouvelle réglementation sur les PME. Ce sera aussi une façon pour nous d’améliorer et de simplifier les relations entre l’administration et les entreprises.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour la réplique.
M. Yannick Vaugrenard. Je vous remercie beaucoup, madame la ministre, de la précision de votre réponse. Celle-ci montre que, au-delà des discours, le Gouvernement est très sensible aux préoccupations des entreprises, notamment dans le domaine des démarches administratives.
Il apparaît clairement que le Gouvernement, à l’écoute des entrepreneurs, n’est pas responsable de la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Il a bien conscience, comme tout le monde, que le pays traverse une phase économique, sociale et financière particulièrement difficile. Toutefois, ce n’est pas en moins de dix mois qu’on peut régler les problèmes !
Dès lors, je trouve quelque peu inconvenant d’entendre ceux qui ont exercé des responsabilités pendant une dizaine d’années se permettre de donner des leçons et de dire que le Gouvernement ne serait pas suffisamment conscient de la situation actuelle. Ces propos sont d’autant plus choquants que ceux qui les tiennent ont caché certaines suppressions d’emplois immédiatement avant les élections présidentielles ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. David Assouline. C’est la vérité !
M. Jean-Pierre Raffarin. C’est votre vérité, monsieur Assouline !
M. Alain Gournac. Vous, vous avez aggravé la crise !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la ministre, quand il est question de compétitivité, on parle souvent du coût du travail. Néanmoins, je suis frappée qu’il ne soit pas fait allusion au prix de l’immobilier, au coût du logement.
Or des études de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, montrent que chaque augmentation d’environ 10 % du prix de l’immobilier s’accompagne d’une baisse de nos exportations de 1,3 %.
De plus, des études sur la compétitivité comparée de la France et de l’Allemagne ont mis en exergue la flambée des prix de l’immobilier dans notre pays, notamment la forte augmentation des dépenses de logement dans la consommation totale de nos concitoyens.
Parce que les dépenses de logement n’ont pas augmenté en Allemagne, le pouvoir d’achat de nos voisins a été préservé en dépit de salaires en stagnation, voire en recul.
Dans le même temps, en France, ces dépenses de logement augmentaient de 15 à 20 %, voire davantage. Ainsi, un smicard peut dépenser jusqu’à 40 % de son salaire pour se loger ! Vous le voyez, quand une très faible progression des salaires est assortie d’une forte augmentation du coût du logement, on a une perte nette de pouvoir d’achat.
En dernier lieu, l’augmentation des prix de l’immobilier est un mécanisme spéculatif qui ne dissocie pas l’immobilier d’entreprise de l’immobilier commercial. Or, qu’elles soient liées à l’un ou l’autre poste, ces dépenses pèsent lourd pour certaines entreprises.
En conséquence, madame la ministre, je vous demande quelles dispositions le Gouvernement compte prendre, au-delà des mesures qui ont déjà été engagées, pour réguler à la baisse des prix de l’immobilier trop élevés et faire en sorte de stopper l’évolution à la hausse des loyers. On pourrait imaginer, par exemple, que l’indice de référence des loyers, l’IRL, soit gelé pendant trois ans.
Enfin, on sait que pour faire baisser le coût du logement, il faut produire massivement des logements sociaux et les proposer à un prix abordable. Or le Président de la République a notamment pris l’engagement de construire 150 000 logements sociaux.
J’attire votre attention sur un point : pour tous les acteurs concernés, cet objectif ne pourra être atteint que si la TVA pour le logement social est abaissée à 5 %. Je plaide donc pour que le Gouvernement prenne ces mesures, qui amélioreront la compétitivité de la France.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Vous avez raison, madame la sénatrice, de lier la question de l’inflation immobilière à la compétitivité de l’économie, que ce soit la compétitivité-prix ou la compétitivité hors prix.
S'agissant de la compétitivité-prix, la dégradation s’est faite par deux canaux : directement, via le prix des loyers, des investissements immobiliers qui sont le fait des entreprises ; indirectement, en raison de la pression sur les salaires nominaux. Puisque les prix de l’immobilier pèsent sur le pouvoir d’achat des ménages, ils se répercutent sur les salaires nominaux.
Les problèmes de logement des salariés affectent aussi les entreprises par d’autres biais, notamment parce qu’ils pèsent sur le recrutement, freinent la mobilité interne des salariés et diminuent leur productivité. Autrement dit, les tensions qui se traduisent par une hausse des prix de l’immobilier affectent les salariés et le marché du travail.
En ce qui concerne la compétitivité hors prix, la hausse des prix a pesé négativement par deux biais. Tout d’abord, elle a créé un effet d’éviction, puisque l’investissement immobilier se fait au détriment d’autres investissements ou de dépenses plus productives, dans le domaine des machines-outils ou de la recherche-développement, par exemple. Ensuite, du fait de la hausse des prix, l’épargne a préféré les crédits immobiliers au financement des entreprises ; il y a été fait allusion tout à l’heure.
Puisque vous soulevez la question de la TVA, j’aimerais apporter une clarification, tout en précisant que la relance de la construction de logements, notamment de logements sociaux, est une préoccupation du Gouvernement ; elle entre dans le cadre des attributions de Cécile Duflot, qui est très active et tout à fait mobilisée sur ce chantier.
Le taux de TVA applicable au secteur du logement social est, je tiens à le rappeler, le fait du précédent gouvernement. C’est lui qui avait choisi, à la fin de 2011, de faire passer le taux de TVA de 5,5 % à 7 %.
Quant aux différents taux de TVA inscrits dans le troisième projet de loi de finances rectificative pour 2012, ils ne sont applicables qu’à compter du 1er janvier 2014. Dans l’intervalle, les barèmes sont inchangés et le taux applicable au logement social reste à 7 %, tout comme pour les travaux de rénovation thermique.
Le Premier ministre l’a dit, la question très critique du relèvement des taux pour certains secteurs comme le logement social fait actuellement l’objet d’un débat. Celui-ci est en cours, dans un cadre budgétaire extrêmement contraint.
Le logement social, comme le logement en général, est l’une des priorités du Gouvernement. Le droit de tous nos concitoyens à se loger dignement est absolument inaliénable et fondamental. C’est la raison pour laquelle une mobilisation très importante en faveur du logement social a été engagée.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour la réplique.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Vous avez raison de dire que le passage du taux de TVA de 5,5 % à 7 % a handicapé la construction de logements sociaux, qui est en chute.
Néanmoins, je me permets de souligner – je l’ai d'ailleurs déjà fait auprès de certains de vos collègues – que la thèse selon laquelle le seul taux de TVA actuellement en vigueur est de 7 % passe sous silence un aspect majeur.
Pour construire, il faut acheter des terrains. Quand un organisme HLM veut acheter un terrain, il a besoin de savoir comment il va boucler le financement de son opération. Le taux de 7 % applicable à l’achat de toute une série de terrains le met dans l’impossibilité d’acheter et lui fait renoncer à l’opération.
Que le Gouvernement fasse, dès à présent, passer à 5 % le taux applicable à ce bien de première nécessité qu’est le logement social et les organismes HLM pourront constituer les réserves foncières nécessaires à la construction des 150 000 logements promis. Dans le cas contraire, ceux-ci ne verront pas le jour.
J’ai bien entendu la volonté du Gouvernement d’ouvrir le débat. Je lui demande de le conclure vite, en annonçant que le taux de la T VA est abaissé à 5 % pour le logement social.
M. Jean-Pierre Raffarin. Elle a raison !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur la compétitivité.
4
Hommage à deux anciens sénateurs décédés
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Henri Caillavet, qui fut sénateur du Lot-et-Garonne de 1967 à 1983, ainsi que de notre ancienne collègue Françoise Seligmann, qui fut sénatrice des Hauts-de-Seine de 1992 à 1995. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Henri Caillavet, après s’être engagé dans la Résistance au sein du réseau Combat, a fortement marqué la vie politique française.
Je veux rendre hommage à son rôle sous la IVe République, comme à son inlassable activité de législateur, au Sénat, à l’Assemblée nationale, au Parlement européen.
Je veux souligner son précieux apport à l’élaboration de lois à l’origine d’importantes avancées sociales. Vous le savez, il a longuement combattu l’acharnement thérapeutique, avant de présider l’Association pour le droit de mourir dans la dignité.
Par l’étendue de ses compétences, Henri Caillavet a incarné l’engagement politique dans toute sa noblesse.
Je veux saluer, également, la mémoire de Françoise Seligmann, ancienne sénatrice des Hauts-de-Seine, qui, jusqu’à son dernier souffle, aura milité pour les valeurs progressistes auxquelles elle a consacré son infatigable énergie.
Je veux rendre hommage au parcours de la résistante, profondément féministe, qui fut une proche collaboratrice de Pierre Mendès France. Présidente d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, Françoise Seligmann a créé le prix qui porte son nom pour encourager la lutte contre le racisme.
Je veux souligner la part prise par Françoise Seligmann dans le domaine de la culture. En effet, la culture a toujours constitué un élément clé de l’action de cette femme remarquable dans la vie publique.
À tous deux, je rends hommage en votre nom.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Vote blanc
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UDI-UC, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à reconnaître le vote blanc aux élections (proposition n° 156, texte de la commission n° 358, rapport n° 357).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, reconnaître le vote blanc dans la pratique du suffrage universel est une démarche d’importance, car elle est intimement liée à la notion même de démocratie représentative.
La reconnaissance du vote blanc n’est pas une question nouvelle, loin s’en faut. Elle est ainsi régulièrement évoquée par les associations comme par de nombreux citoyens intéressés, qui s’étonnent que leur bulletin blanc ne soit pas distingué des votes nuls. Un sondage récent indique d’ailleurs que pas moins de 69 % des Français estimeraient nécessaire de reconnaître le vote blanc aux élections.
À une époque où l’on scrute de plus en plus finement l’état de l’opinion comme les comportements électoraux, il peut paraître en effet surprenant que nous ne puissions pas connaître l’ampleur exacte du phénomène du vote blanc, ainsi que l’a souligné dans ses travaux M. le rapporteur.
Une réforme de notre droit électoral permettrait donc, selon les promoteurs du vote blanc, de reconnaître les électeurs dans leur diversité et de mieux prendre en compte l’expression de leur volonté. Dès les années soixante, de nombreux politologues – je pense à Alain Lancelot notamment – estimaient que le vote blanc était un acte intentionnel posé par des « électeurs très politisés », capables « de distinguer les nuances d’un choix et d’en peser les implications ».
On observe ainsi que le vote blanc et nul, longtemps compris entre 1 % et 2 % des inscrits, a tendance à augmenter dans des proportions importantes depuis la fin des années quatre-vingt, puisqu’il oscille désormais entre 4,4 % et 6,5 %, selon la nature des scrutins. Ce phénomène nouveau est parfois analysé par les spécialistes de sciences politiques comme une « abstention participative » ou une « abstention civique ».
Nos concitoyens sont sensibles à l’adaptation de notre droit électoral aux réalités nouvelles du pays, à ses aspirations à une meilleure représentativité. Cette préoccupation trouve, je crois, un écho à l’occasion de nos échanges aujourd’hui sur le vote blanc, comme dans les projets de loi du ministre de l’intérieur actuellement en discussion devant le Parlement.
La reconnaissance du vote blanc n’est pas une question nouvelle, je le répète. Elle plonge ses racines dans l’histoire institutionnelle de notre pays.
Si le 18 ventôse an VI, c’est-à-dire le 6 mars 1798, fut votée une loi autorisant le vote blanc, au moment même où le vote par bulletin était systématisé, il est étonnant de relever que cette reconnaissance n’a jamais fait l’objet d’un débat parlementaire approfondi avant 2003, alors même que de nombreuses propositions de loi sont régulièrement déposées sur ce thème.
Depuis le décret impérial du 2 février 1852, qui est, en un sens, l’ancêtre de l’article L. 66 du code électoral datant de 1969 et encore aujourd’hui applicable, des dizaines de propositions ont été déposées tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Songez que les premières remontent à 1880 !
Plus récemment, au Sénat, on a pu relever les contributions de MM. Roland Courteau, Yves Détraigne, Ladislas Poniatowski, Hubert Haenel ou Daniel Dubois, notamment, toutes cosignées par de nombreux autres sénateurs.
Cette question trouve également un écho en dehors de nos frontières. Je voudrais rappeler à titre liminaire que, en dépit des nombreuses critiques sur ce qui est considéré comme une anomalie de la démocratie, il convient, mesdames, messieurs les sénateurs, de relever que la France est loin d’être le seul pays à ne pas admettre le vote blanc.
En Europe, trois pays reconnaissent ce bulletin vierge : la Suisse, tout d'abord, qui comptabilise les bulletins blancs aux premiers tours des élections au scrutin majoritaire ; l’Espagne, ensuite, si elle considère le vote blanc comme « valide » à tous les scrutins, refuse que celui-ci soit traduit en sièges ; la Suède, enfin, ne reconnaît le vote blanc que dans certaines élections, notamment les référendums.
Certains parlementaires, encore très récemment, ont d’ailleurs pu estimer nécessaire, pour accompagner cette reconnaissance du vote blanc, de rendre obligatoire la participation des citoyens aux scrutins et d’envisager d’autres mesures incitatives de cet ordre.
Comme la question du vote blanc, la question du vote obligatoire est récurrente. Elle sera à n’en pas douter, le moment venu, de nouveau discutée et évaluée.
S’il est exact qu’une telle obligation n’est pas complètement étrangère à la tradition française, comme le montre l’exemple du mode de scrutin présidant à l’élection des honorables parlementaires de la Haute Assemblée – les grands électeurs qui s’abstiennent sans raison valable encourent en effet le paiement d’une amende de 4,57 euros ! –, force est de constater que, dans les pays où le vote est obligatoire, les résultats ne sont pas si convaincants. Il reste toujours, quel que soit le système, un taux incompressible d’abstention qui oscille, selon les cas et les scrutins, entre 5 % et 15 % des inscrits.
Monsieur le rapporteur, vous avez souligné à juste titre que le vote blanc et l’abstention ne se confondent pas, même s’ils se superposent parfois. Rien ne permet de conclure à un phénomène mécanique qui pourrait être jugulé de façon automatique et significative par une simple reconnaissance du vote blanc. Je crois sage, mesdames, messieurs les sénateurs, de devoir le rappeler.
Le vote blanc n’est pas uniquement l’expression de gens indécis, indifférents ou sans opinion. Il n’est pas non plus confondu avec les erreurs matérielles, volontaires ou involontaires, qui caractérisent le vote nul. Le message formulé par des citoyens qui se sont déplacés pour accomplir leur devoir électoral ne peut être considéré comme négligeable.
Une élection démocratique n’est pas une simple mesure de l’opinion. Un scrutin n’est pas un sondage, car on ne vote pas pour soi, mais dans l’intérêt de la société. La finalité des consultations demeure la désignation d’un ou de plusieurs représentants, ou la réponse à une question, ainsi que vous l’avez relevé lors de vos échanges en commission.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le vote blanc a également une valeur contestataire, et sa croissance inquiète. Il heurte la conception traditionnelle du suffrage, selon laquelle des élections doivent permettre de sélectionner les responsables publics.
Dans ce contexte, la problématique et l’alternative peuvent être formulées en des termes simples : Vaut-il mieux reconnaître le vote blanc comme une forme d’exutoire civique et élargir ainsi l’offre politique, ou bien encourager une expression protestataire nettement plus périlleuse pour notre démocratie représentative ? (Mme Hélène Lipietz s’exclame.)
Je partage à cet égard l’opinion exprimée par M. le ministre Alain Richard lorsqu’il a indiqué en commission : « Cette proposition de loi coupera les pattes à ceux qui veulent par cette revendication “délégitimer la démocratie représentative” ».
Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi débattue aujourd’hui vise donc à organiser la reconnaissance du vote blanc aux élections, après une première lecture intervenue à la fin de l’année dernière à l’Assemblée nationale. Le texte, il faut le rappeler, y avait été adopté à l’unanimité.
M. le rapporteur, vous mettez en avant que « ce texte rend justice aux électeurs qui se déplacent pour aller voter et manifestent à cette occasion une opinion qui doit être respectée ». Ce fut, je crois, l’appréciation de l’Assemblée nationale. C’est également la conviction du Gouvernement.
À ce stade, il me semble que les travaux de la Haute Assemblée rejoignent ceux de l’Assemblée nationale pour considérer qu’il n’est pas concevable de prévoir la reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé. Une telle disposition aurait des conséquences que le Gouvernement ne peut accepter, et que je veux rappeler rapidement.
Tout d’abord, une difficulté juridique incontestable devrait être soulevée concernant l’élection présidentielle, puisque l’article 7 de la Constitution dispose : « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». Si cette condition n’est pas réalisée au premier tour, elle doit l’être au second.
Il se pourrait alors, si les votes blancs étaient décomptés comme suffrages exprimés, que le Président de la République ne soit élu qu’à la majorité relative, ce que M. Zocchetto a fort justement rappelé dans son rapport. Outre que le Gouvernement exclut à ce stade une telle réforme constitutionnelle, nous ne pouvons que contester l’affaiblissement de la légitimité présidentielle qui en découlerait. Je pense que notre collègue Pierre Charon, notamment, ne manquerait pas de le relever.
M. Pierre Charon. C’est vrai !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Qu’en est-il du référendum ? Cette consultation des citoyens est en soi risquée, non du point de vue du résultat, mais pour ceux qui en prennent l’initiative. Chacun se souvient ici du résultat des référendums de 1969 et de 2005...
La prise en compte du vote blanc rendra évidemment plus compliquée cette consultation, puisque les bulletins oui devront être numériquement supérieurs aux bulletins blancs et non réunis. Une proposition pourrait donc être rejetée, alors même que les votes d’approbation seraient supérieurs aux votes de rejet. D’ailleurs, comme le montre très bien M. Sauvadet dans son rapport présenté à l’Assemblée nationale, « c’est à l’occasion des référendums que les pics de votes blancs et nuls sont les plus impressionnants ». Ce taux était de 16 % pour le référendum sur le quinquennat présidentiel en 2000.
Reconnaissez qu’il y aurait là une incongruité au regard de la logique même du scrutin, tel qu’il est prévu par nos institutions. En effet, par un curieux paradoxe, voter blanc reviendrait à voter non.
Enfin, les conséquences sur le scrutin municipal dans les communes de 3 500 habitants et plus, ou sur les élections régionales, seraient sensibles. En l’état du droit actuellement applicable, les listes qui n’obtiennent pas 5 % des suffrages exprimés ne sont pas admises à la répartition des sièges.
Si l’on tient compte des votes blancs, de fait, ce seuil serait surélevé. Ce serait de nature à entraver les principes à valeur constitutionnelle de l’expression pluraliste des opinions et de la participation équitable des partis politiques à la vie démocratique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’évoquerai enfin des arguments techniques que vous connaissez et qui concernent en particulier les élections à la représentation proportionnelle. Dans ce cas, les sièges sont attribués à des listes proportionnellement au nombre des voix qu’elles ont obtenues. Les bulletins blancs ne peuvent, par hypothèse, entraîner l’attribution de sièges au profit d’une liste qui n’existe pas.
Que ces bulletins soient comptabilisés ou non parmi les suffrages exprimés ne modifierait en rien la répartition mathématique des sièges entre les listes en présence. Ce système est donc complexe et cette complexité serait accrue par l’introduction de la disposition proposée.
Aujourd'hui, un point semble tout de même séparer le Gouvernement de la commission des lois.
Si l’on peut par exemple convenir d’une entrée en vigueur différée de ce nouveau système, le Gouvernement est plus réservé sur la mise à disposition de bulletins blancs dans chaque salle de scrutin.