Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ouvrons aujourd’hui un débat sur le thème de la police municipale, à la suite de la publication, le 26 septembre dernier, de l’excellent rapport d’information De la police municipale à la police territoriale : mieux assurer la tranquillité publique, rédigé par nos collègues François Pillet et René Vandierendonck.
Ce rapport d’information est construit autour de deux objectifs : améliorer le statut de la police municipale et rurale et rendre cette police plus efficace en renforçant la coopération avec les forces de police nationales. Je souhaiterais insister sur le premier objectif, et plus particulièrement sur la question de l’unification des statuts des polices locales par la création d’une police territoriale.
En effet, il existe aujourd’hui plusieurs types de polices locales. Ces polices sont façonnées par les décisions des maires, qui sont compétents pour organiser ce service public. Cette situation a conduit les rapporteurs à s’interroger sur la nécessité de fusionner police municipale et gardes champêtres au sein d’une police territoriale, afin de disposer d’agents polyvalents qui pourraient agir tant en milieu urbain qu’en milieu rural, selon la spécificité de leur périmètre d’action.
Je tiens à mentionner l’une des particularités du Haut-Rhin en la matière : le syndicat mixte des gardes champêtres intercommunaux, composant ce qu’on appelle communément la « brigade verte ». La loi du 5 janvier 1988 d’amélioration de la décentralisation a repris à son article 44 un amendement qui avait été proposé par le sénateur Goetschy, auquel s’étaient associés les sénateurs Schiele et Haenel. Cet amendement visait à permettre à un groupement de collectivités réunies dans un syndicat mixte d’avoir en commun des gardes champêtres compétents sur l’ensemble du territoire des communes constituant le groupement. La possibilité de mise en commun de ces fonctionnaires dans un établissement public de coopération intercommunale est désormais prévue par les articles L. 512-1, L. 512-2 et L. 512-3 du code de la sécurité intérieure.
Depuis l’entrée en application de ces dispositions, les gardes champêtres ont constitué un véritable corps dans le Haut-Rhin. Ils sont placés sous l’autorité juridique de leurs maires et leur cadre de gestion est un syndicat mixte regroupant des communes, le département du Haut-Rhin et, le cas échéant, des syndicats de communes.
La brigade verte compte 58 gardes champêtres, 6 personnels administratifs, 2 personnels techniques de catégorie B, 5 contrats uniques d’insertion et 1 contrat de travail après mise à la retraite, pour 308 communes. La soixantaine de gardes champêtres est répartie sur les dix postes du département. Des patrouilles sont effectuées sept jours sur sept, 365 jours par an. Cette structure est financée à 48 % par le conseil général, pour les missions environnementales dévolues aux gardes champêtres, et à 52 % par les communes adhérentes, pour les missions liées aux pouvoirs de police du maire. La brigade verte travaille en partenariat avec toutes les autres institutions du territoire, notamment la région, le conseil général, la gendarmerie et la police.
Cette brigade est l’un des piliers de la sécurité et de la tranquillité des habitants du Haut-Rhin. Cette organisation fonctionne très bien et répond parfaitement aux besoins des petites communes, en répartissant les coûts entre les communes, les intercommunalités et le département.
Monsieur le ministre, si une fusion de la police municipale et des gardes champêtres au sein d’une police territoriale était réalisée, quel serait l’avenir de la brigade verte ? La question mérite d’être posée. En effet, dans le Haut-Rhin, il pourrait y avoir un vrai problème de financement, car il serait difficilement envisageable que le conseil général continue à financer à 48 % un EPCI dont l’objet principal serait la « police intercommunale », dans la mesure où la sécurité des biens et des personnes ne fait pas partie des compétences qui lui sont dévolues.
La brigade verte étant unique sur le territoire national tant par le nombre des communes adhérentes – je rappelle qu’elles sont 308 – que par sa méthode de financement, il est certain qu’un projet national de police territoriale remettrait en cause son mode de fonctionnement et, donc, l’existence même de cette structure qui a su répondre aux attentes de nos concitoyens haut-rhinois et des élus des collectivités concernées.
Cette structure ayant fait ses preuves depuis plus de vingt ans, il serait intéressant de ne pas exclure ce genre de coopération intercommunale et même d’envisager de traiter avec soin cette question dans les futures lois de rénovation de la police municipale. En effet, si les mutualisations de personnels et de moyens sur le modèle de la brigade verte restent peu nombreuses en France, leurs résultats semblent prometteurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces dernières années, le nombre de policiers municipaux a connu une nette augmentation. On compte aujourd’hui quelque 18 000 agents, dont 715 dans les départements d’outre-mer, soit environ trois fois plus qu’il y a vingt-cinq ans.
Alors que, à l’origine, la police municipale avait une dimension essentiellement préventive et intervenait surtout en complément de la police nationale, ses missions se sont développées au point de l’ériger parfois en « police nationale bis ». Ce phénomène s’explique en grande partie par la réduction des effectifs des forces de sécurité de l’État – police et gendarmerie nationales – dans le cadre de la révision générale des politiques publiques et du fait de l’application de textes comme la LOPPSI.
Le reflux des forces nationales, combiné au développement et à l’intensification des phénomènes de délinquance, a contraint de nombreux maires à pallier, quand ils le pouvaient, les carences de l’État. On observe ainsi une grande diversité de pratiques sur le terrain, selon que les communes ont eu ou non les moyens de créer une police municipale et de l’équiper convenablement. Cette situation aboutit à un traitement différencié des administrés, à une police municipale à géométrie variable.
Je pense pouvoir affirmer que, au sein de cette assemblée, nous rejetons tous une telle dérive. Aucun recul des missions régaliennes exercées par l’État ni aucun système inégalitaire ne sauraient être tolérés.
Comment améliorer la situation ? Sur la base du rapport de nos collègues, qui établit un état des lieux et propose des pistes pour éclaircir les enjeux de la répartition des attributions et des moyens, la commission des lois a décidé d’engager un débat sur la police municipale, même s’il eût été plus approprié de parler de débat sur « les » polices municipales, comme cela a dit tout à l'heure.
Je tiens tout d’abord à féliciter nos collègues pour la qualité de leur rapport. Je n’ai qu’un seul regret à formuler : les territoires ultramarins semblent avoir été encore une fois oubliés…
À mon sens, les différences d’opinion entre nous se rapportent moins aux clivages politiques qu’aux réalités locales. Comment prendre en compte les inégalités locales ? Le rapport préconise d’encourager la mutualisation intercommunale. C’est une excellente idée, même si je m’interroge sur la possibilité de sa mise en œuvre dans les départements caractérisés par une grande fragilité budgétaire.
L’amélioration du dispositif de formation va également dans le bon sens. Cependant, le financement de la formation initiale peut être un frein et s’avérer discriminant. La situation financière d’une grande partie des communes ne leur permet pas d’assurer une formation correcte, ni même de doter leurs policiers d’un équipement plus approprié. Dans mon département, où 11 communes sur 17 sont aujourd’hui sous le contrôle de la chambre régionale des comptes, l’instauration d’un mécanisme de péréquation n’y changera rien.
À Mayotte, 140 policiers municipaux sont en exercice. D’après le dernier recensement, l’île compte 212 600 habitants, auxquels il faut ajouter les personnes en situation irrégulière, qui sont, vous le savez, très nombreuses sur ce territoire. Les effectifs sont donc loin de répondre aux besoins de cette île frappée par une forte délinquance et qui souffre de l’absence de structures d’accueil et d’encadrement d’une jeunesse parfois à la dérive. Par ailleurs, une partie de l’activité des policiers municipaux consiste à prêter main-forte aux forces de police et de gendarmerie – qui sont, faut-il le rappeler, en situation de sous-effectif – pour les reconduites à la frontière.
Quant à la formation des policiers municipaux mahorais, elle est très récente puisqu’il a fallu attendre la création de la délégation régionale du CNFPT, à Mayotte, en 2005, pour légaliser une activité qui existait depuis 1977.
Il paraît également indispensable de recentrer les polices municipales sur ce qui fait leur véritable singularité, à savoir leur connaissance du terrain, et de développer leur savoir-faire en matière d’îlotage, de prévention et de médiation. Les propositions formulées par les rapporteurs qui visent à améliorer les nouvelles conventions de coordination devraient permettre de clarifier le rôle de chacun et de rappeler la spécificité des différentes missions.
Monsieur le ministre, vous avez récemment confié à Jean-Louis Blanchou, préfet délégué à la sécurité privée, le pilotage d’un groupe de travail sur les polices municipales. Je souhaiterais que ce groupe de travail puisse tenir compte des situations spécifiques des territoires ultramarins. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à me féliciter des échanges que nous avons aujourd’hui.
Assurer la sécurité de nos concitoyens est ma priorité, celle qu’a définie le Président de la République. Cette priorité mobilise chaque jour les gendarmes et les policiers. Leur mission est de garantir l’ordre républicain sur l’ensemble du territoire : dans nos villes, dans nos zones périurbaines, dans nos campagnes. L’ordre républicain, c’est la même exigence de sécurité pour tous les Français. La sécurité est un droit, car c’est le préalable à la liberté et au progrès.
Assurer la sécurité de nos concitoyens est une mission essentiellement régalienne – vous avez été nombreux à le souligner –, une mission dans l’accomplissement de laquelle l’État doit assumer pleinement ses responsabilités. L’exercice de cette mission réclame des moyens et des effectifs adaptés.
C’est pour répondre à cet impératif prioritaire qu’un terme a été mis à la politique du gouvernement précédent, qui, je le rappelle, s’était traduite par la suppression de 10 700 postes de policiers et de gendarmes en cinq ans. Si rien n’avait été fait, 3 200 postes supplémentaires auraient disparu en 2013. Cette hémorragie devait cesser : tous les départs en retraite seront donc remplacés, poste par poste. Mais le Gouvernement fait plus encore : 480 emplois supplémentaires de policiers et de gendarmes seront créés en 2013. Les créations d’emplois se poursuivront au même rythme au cours des prochaines années.
Ce renforcement des effectifs était nécessaire, mais les augmentations d’effectifs ne sont pas tout. Des réformes sont également menées afin de renforcer la présence des forces de l’ordre sur le terrain – c’est leur vocation – et de restaurer le lien essentiel qui doit les unir à la population.
Si je veux rappeler, comme l’ont fait beaucoup d’entre vous, notamment Gilbert Roger, que j’ai été très heureux d’entendre, et Thani Mohamed Soilihi, qui nous a apporté il y a quelques instants son regard d’élu d’outre-mer, cette évidence du caractère régalien des missions de sécurité publique, c’est afin de préciser le cadre de nos échanges et de souligner que chacun doit être traité de manière égale sur notre territoire.
En effet, il me paraît important que les choses soient dites de la manière la plus claire, même si, selon moi, il n’y a pas de véritables désaccords entre nous sur cette question.
Les polices municipales ne sont pas et ne doivent pas être des palliatifs à un État défaillant. Elles ne sont pas les renforts nécessaires pour des forces de l’ordre ne pouvant, à elles seules, accomplir leurs missions. Les polices municipales – vous avez eu raison, messieurs les rapporteurs, d’en parler au pluriel – ont pour rôle de mener une action complémentaire aux côtés des forces de la police et de la gendarmerie nationales.
Ministre de l’intérieur, je suis également élu d’une ville de la banlieue parisienne, Évry, dont j’ai été le maire pendant plus de dix ans. Je connais donc bien le rôle et l’importance des polices municipales.
J’ai moi-même agi avec constance pour mettre en place, dans ma ville, une police municipale dotée des moyens nécessaires pour accomplir ses missions au plus près des habitants, qui, je le crois, même si Mme Assassi nous a fait part d’une expérience personnelle différente, ne la confondent pas avec la police nationale, confusion qui – j’en suis d’accord avec vous, madame le sénateur – ne doit pas se produire.
Monsieur Roger, je suis aussi d’accord avec vous pour dire que les polices municipales ne doivent pas être constituées seulement pour faire face à la baisse des effectifs de la police nationale.
Comme maire, à l’instar de beaucoup d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai considéré qu’il fallait créer les conditions nécessaires au bon fonctionnement, dans le cadre de la loi, de cette nouvelle force.
Je sais combien les policiers municipaux de France, les gardes champêtres et les agents de surveillance de la voie publique, à qui je veux rendre hommage, permettent aux maires, conformément au code général des collectivités territoriales, que beaucoup d’entre vous ont cité, « d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».
Je sais également que les prérogatives des polices municipales se sont renforcées, au travers de plusieurs textes de loi, portés d’ailleurs par différentes majorités, et qu’une certaine amplitude existe dans les missions qu’elles assument et dans les moyens dont elles disposent. Cette diversité, qui tient aux choix faits par les municipalités, doit être préservée.
Toutes les polices municipales ont en commun d’assurer des missions de police administrative et de police du code de la route. Par leurs actions de prévention, de présence dissuasive, de médiation et également, ne l’oublions pas, de répression, elles sont des acteurs déterminants pour assurer non seulement la tranquillité, mais également la sécurité de nos concitoyens. Il en va ainsi pour la sécurité routière, mais également pour la lutte contre les trafics de drogue.
Il y a eu des changements au cours des dernières années – pas uniquement depuis dix ans… –, changements auxquels les élus, avec le pragmatisme qu’on leur connaît, se sont adaptés. Nous sommes loin, même si parfois il en subsiste quelques traces, des polices municipales façon « cow-boy ». Tout est aujourd’hui encadré, ce qui est une bonne chose, grâce aux pratiques des élus et aux évolutions impulsées par le législateur.
Des partenariats efficaces se nouent, localement, entre les polices municipales et les forces de police et de gendarmerie. Les conventions de coordination permettent la mise en place d’une coopération solide, sur le long terme, assurant une meilleure efficacité opérationnelle. L’organisation d’actions communes, la répartition des interventions en fonction de leur nature et du lieu, ou encore le partage de moyens techniques, notamment la vidéosurveillance ou la vidéoprotection, sont autant de voies qui contribuent à une coproduction de sécurité au bénéfice des habitants.
À cet égard, monsieur Placé, vous avez encore une marge d’évolution, mais je ne doute pas que votre position changera (M. Jean-Vincent Placé sourit.), même si, vous avez raison, le recours à cette méthode ne peut pas être la seule réponse, un dosage entre la technique et la présence humaine des policiers ou des gendarmes sur le terrain devant évidemment s’imposer.
La vidéoprotection, si elle est respectueuse des droits fondamentaux de nos concitoyens, bien installée et adaptée à la carte de la délinquance dans nos villes, peut en effet être efficace. C’est grâce à elle aussi que l’enquête ouverte à la suite du terrible meurtre de trois militantes kurdes, voilà quelques semaines, avance à grands pas.
Nombre d’entre vous l’ont souligné, cette coproduction de sécurité ne se fait cependant pas sans certaines difficultés, dont il convient d’être conscient afin d’y remédier.
À ce titre, les travaux de la mission d’information conduits par René Vandierendonck et François Pillet, qu’à mon tour je veux féliciter, méritent d’être salués, tant pour leur ampleur que pour leur pragmatisme.
Le dossier des polices municipales appelait une étude approfondie, étude que fournit le rapport qu’ils ont remis le 26 septembre dernier. En tant qu’ancien parlementaire, je sais ce que représente, en temps et en implication, la rédaction d’un tel document. Le Gouvernement a besoin de cet autre regard, de cette expertise et de ce recul. À cet égard, monsieur Sueur, la commission des lois du Sénat vient une fois encore de faire la démonstration de l’aide précieuse qu’elle est susceptible de nous apporter. Je lui en suis très reconnaissant.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Merci !
M. Manuel Valls, ministre. La complexité du sujet tient, en premier lieu, à la multiplicité des acteurs et à leur articulation. Pour l’État, en particulier pour le ministre de l’intérieur que je suis, les polices municipales apportent une contribution indispensable à la politique de sécurité, avec une approche de proximité et une connaissance de la réalité du terrain irremplaçables.
Cette articulation entre la volonté de l’État, ses besoins, ses objectifs et ceux des élus doit être abordée de façon fine, ce qu’ont très bien fait les rapporteurs.
Monsieur Nègre, en aucun cas je ne souhaite apporter une réponse uniforme aux problématiques que vous avez soulevées. En effet, ce sujet ne peut être appréhendé sans une bonne compréhension de la diversité des situations locales.
À cet égard, l’éclairage apporté par le rapport de la mission d’information est essentiel. Messieurs les rapporteurs, cette qualité tient à la méthode employée : en fondant votre travail sur les réponses à un questionnaire que vous aviez adressé à près de 4 000 maires, vous êtes parvenus à retranscrire au plus près les attentes du terrain.
De même, les multiples déplacements que vous avez effectués, à Nice, à Dijon, ou encore à Évry,…
M. René Vandierendonck, au nom de la commission des lois. Et à Amiens ?
M. Manuel Valls, ministre. … entre autres villes, montrent à la fois votre capacité d’aller au contact de la réalité du terrain et votre intelligence politique. Ils sont le gage d’une approche réaliste et pluraliste. L’un des apports de votre travail tient justement au fait que vous avez su appréhender la diversité des situations.
Ce pragmatisme et cette attention portée au terrain sont aussi les axes que je souhaite donner au travail qu’accomplit actuellement le ministère de l’intérieur.
Tout d’abord, la méthode que j’ai choisie est simple et transparente : elle est basée sur la concertation et la collégialité.
Cela a été rappelé, j’ai décidé de créer un groupe de contact. Constitué de M. Jean-Louis Blanchou, préfet, délégué interministériel à la sécurité privée, de MM. Yves Monard et Bertrand Michelin, inspecteurs généraux de la police nationale, et de M. Jérôme Millet, chef d’escadron à la direction générale de la gendarmerie nationale, il bénéficiera du soutien de deux directions du ministère de l’intérieur, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques ainsi que la direction générale des collectivités locales. Je remercie de leur implication toutes les personnes concernées, dont plusieurs assistent d’ailleurs, ici-même, au débat.
Cette collégialité permet la confrontation des points de vue et des expériences. À cet effet, le groupe de contact s’est vu confier pour tâche de recevoir au ministère toutes les organisations syndicales de policiers municipaux. Le dialogue va évidemment se poursuivre, mais il en est d’ores et déjà ressorti un besoin partagé de reconnaissance – Mme Bouchart, qui connaît bien ces questions, y a fait allusion – des missions et du rôle des polices municipales.
Parmi les attentes qu’elles expriment, les organisations syndicales considèrent le volet social comme étant prioritaire. Néanmoins, même si les policiers municipaux demandent une reconnaissance, qui leur est d’ailleurs due, ils ne recherchent pas forcément une uniformisation. En effet, comme les élus, les personnels sont attachés à la diversité, car ils sont conscients de la nécessité d’adapter les polices municipales aux spécificités et aux besoins de chaque territoire.
Dans le cadre de ces consultations, le rapport sénatorial joue un rôle essentiel. En effet, vos recommandations ont constitué le fil rouge des entretiens menés par le groupe de contact. Un des objectifs essentiels de ces rencontres est de dégager des priorités au regard des attentes des organisations syndicales représentant les policiers municipaux, mais le réalisme est, là aussi, de mise : l’État ne promettra rien qu’il serait dans l’impossibilité de tenir.
Outre le volet social, j’ai engagé une réflexion globale au sein du ministère de l’intérieur sur le cadre et les moyens d’intervention des polices municipales. Cette mission, qui doit déboucher sur des propositions concrètes, a également été confiée au préfet Jean-Louis Blanchou. Ce dernier a la charge de piloter ces travaux, qui associent l’ensemble des entités du ministère ayant des compétences en matière de police municipale : la police et la gendarmerie, bien sûr, mais aussi la direction générale des collectivités locales et la direction des libertés publiques et des affaires juridiques. L’implication de ces deux dernières est, de ce point de vue, capitale. Il s’agit en effet de mieux définir les cadres d’intervention, ainsi que l’articulation de la politique de l’État avec les collectivités.
Monsieur Thani Mohamed Soilihi, vous avez eu raison de pointer la nécessité d’intégrer dans ces réflexions la spécificité des territoires d’outre-mer, à laquelle Victorin Lurel et moi-même sommes évidemment attentifs.
Messieurs les rapporteurs, vous avez dressé un état des lieux précis des problématiques auxquelles sont confrontées les polices municipales, état des lieux que les intervenants ont complété, en esquissant chacun des solutions, des voies de progrès. À mon tour, je tiens à vous faire part des objectifs que je me suis fixés ainsi que des mesures déjà prises au sein du ministère.
La politique que je veux mener repose sur trois axes principaux, qui visent à une plus grande efficacité du dispositif : une meilleure coordination entre l’État et les collectivités ; un impératif de proximité, garanti par l’adaptation au contexte local ; enfin, un renforcement des moyens d’action, pour une police municipale reconnue et efficace.
Pour traiter correctement du sujet des polices municipales, il convient d’abord de définir les responsabilités de chacun, en premier lieu celles de l’État, qui est, je le répète, responsable de la sécurité de nos concitoyens.
En aucun cas, les polices municipales ne doivent empiéter sur les prérogatives régaliennes de la police ou de la gendarmerie. Je le redis, elles ne sont pas non plus destinées à pallier une quelconque carence de l’État.
Je rappellerai, comme Mme Assassi, les termes de l’article L. 111-1 du code de la sécurité intérieure, auxquels je me tiendrai : « L’État a le devoir d’assurer la sécurité en veillant, sur l’ensemble du territoire de la République, […] au maintien de la paix et de l’ordre publics, à la protection des biens et des personnes ».
La coproduction sécuritaire ne peut être efficace que si elle repose sur un partage des responsabilités clair, et donc sur une coordination entre forces nationales et forces municipales. Tel est l’objectif des conventions de coordination mises en œuvre depuis 2000.
Les premières conventions types, issues d’un décret du 24 mars 2000, ont constitué un progrès certain, mais elles n’allaient pas assez loin. Surtout, elles ne reposaient presque jamais sur un diagnostic sécuritaire partagé. On pourrait citer plusieurs exemples illustrant cette réalité.
Services de l’État et collectivités travaillant de plus en plus ensemble en matière de sécurité, notamment dans le cadre des contrats locaux de sécurité ou des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, cette réalité devait se traduire dans les conventions de coordination. C’est l’une des recommandations qui ressortent du rapport d’information, mais c’était déjà l’un des axes du rapport commun produit en 2010 par l’inspection générale de l’administration, l’inspection générale de la police nationale et l’inspection générale de la gendarmerie nationale.
Cette recommandation a donc conduit à une nouvelle génération de conventions types, prévues par le décret du 2 janvier 2012. Ces conventions prévoient, par exemple, des coopérations opérationnelles renforcées entre polices municipales et forces de l’ordre.
Ces conventions constituent déjà un cadre intéressant, mais qu’il faut encore approfondir, notamment en ce qui concerne la définition des opérations conjointes ou l’armement.
Une meilleure coordination sur le plan national passe aussi par une harmonisation des pratiques lorsqu’elle est possible. Ainsi, en matière de procès-verbaux, il serait souhaitable qu’un modèle type soit généralisé afin de faciliter le travail de tous. Je sais que le CNFPT diffuse déjà un document de cette nature, pratique qui doit être étendue. (Marques d’approbation au banc de la commission.)
L’adaptation au contexte local est le deuxième axe de la réflexion que je souhaite développer. C’est un impératif qui concerne l’ensemble des politiques de sécurité. Je ne crois pas aux solutions uniformes, appliquées partout de façon indistincte. Le principe d’adaptation fine aux réalités de chaque territoire a présidé, par exemple, à la création des zones de sécurité prioritaires, dans lesquelles les polices municipales sont aussi impliquées. Les effectifs, les dispositifs opérationnels, les partenariats locaux, tous ces éléments doivent être adaptés au terrain et aux types de délinquance.
Cette adaptation est aussi rendue nécessaire par la diversité des polices municipales présentes sur le territoire. Dans sa coopération, l’État doit prendre en compte la volonté des communes et des intercommunalités, qui restent maîtresses des polices municipales. En aucun cas, il n’est question de remettre en cause le pouvoir de police générale du maire, car celui-ci est inhérent au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. J’adhère d’ailleurs à l’approche pragmatique du rapport, que vous avez été nombreux à saluer – je pense notamment aux interventions de Mme Klès et de M. Capo-Canellas –, mais je n’oublie pas les observations de MM. Plancade et Placé, ou de Mme Assassi, sur la nécessité de pousser davantage la réflexion.
L’idée d’une plus grande déconcentration ou d’une décentralisation accrue n’est pas, en elle-même, absurde, car de telles solutions sont appliquées dans d’autres pays et l’ont aussi été chez nous. Cependant, nous disposons aujourd’hui d’un cadre régalien qu’il me paraît important de respecter, tout en tenant compte des évolutions évoquées dans le rapport.
C’est donc par un dialogue approfondi, que j’espère fructueux, entre l’État et les élus que nous parviendrons à définir une « offre de sécurité » plus efficace pour nos concitoyens. La situation a d’ailleurs déjà évolué : le dialogue qui existe entre l’État, les collectivités territoriales et l’éducation nationale en matière de sécurité n’était pas même pensable voilà seulement quelques années.
Le dialogue doit aussi être pratiqué avec les partenaires sociaux comme avec les agents de l’État ou des conseils généraux, dans le respect, bien sûr, du secret professionnel. La coproduction doit en effet passer par un dialogue fondé sur la confiance à l’échelon local pour gagner en efficacité.
À cette même fin, une voie mérite, comme vous le soulignez dans votre rapport, messieurs les rapporteurs, d’être approfondie, celle de la mutualisation intercommunale. Vous citez notamment l’exemple de la communauté de communes de Roissy Porte de France – c’est donc faisable, monsieur Nègre ! Dans le respect, là encore, des pouvoirs de police générale du maire, il est possible par ce biais de réaliser des économies réelles d’échelle et de structures.
Surtout, la mutualisation intercommunale permettrait de mieux adapter l’action de la police municipale aux variations dans l’espace et dans le temps des besoins en termes de présence et de régulation de proximité.
Dans le cadre des conventions de coordination avec l’État, il peut également s’avérer souhaitable de rapprocher les périmètres d’action : des polices intercommunales seraient sans doute plus proches du zonage des circonscriptions de sécurité publique de la police ou des communautés de brigades de la gendarmerie. (Marques d’approbation au banc de la commission.)
Les rapporteurs l’ont constaté lors de leurs déplacements, les premières expériences en la matière sont une réussite. Il faut aller plus loin, mais sans attenter au pouvoir de police générale du maire, ce qui nous vaudrait d’ailleurs d’être rappelés à l’ordre par le Conseil constitutionnel.
Dans cette perspective, le projet de loi de décentralisation prévoira la possibilité, pour les EPCI à fiscalité propre le souhaitant, de transférer un pouvoir de police spéciale à leur président en matière de circulation et de stationnement ; ce transfert de plein droit découlera de la communautarisation de la compétence en matière de voirie.
Un double pouvoir de veto sera toutefois garanti : celui du maire, conformément au principe de libre administration ; celui du président de l’EPCI, pour lui éviter d’avoir à exercer une compétence sur un territoire en « taches de léopard » en cas de consensus insuffisant entre les différents maires concernés. Explorons cette voie, qui devrait également s’avérer intéressante pour nos agglomérations, compte tenu des compétences qu’elles exercent dans le domaine des transports.
L’adaptation au contexte local n’est pas seulement affaire de structures ; elle doit aussi guider la définition des moyens et modes d’action accordés aux polices municipales.
Il en va ainsi en matière d’armement. Comme l’a déjà dit M. François Pillet, il n’y a pas lieu de légiférer sur ce sujet. Il n’y a pas, en effet, de réponse univoque : dans certaines communes, il serait absurde que les policiers municipaux soient armés, mais cela peut se révéler nécessaire dans d’autres. Les policiers municipaux d’Évry sont armés, choix que n’ont pas fait d’autres villes et qui n’est d’ailleurs pas seulement fonction de la taille : le maire de Bordeaux ne souhaite pas armer sa police municipale, alors que celui de Lyon l’a fait. La solution retenue est ainsi plus affaire de pragmatisme, de prise en compte des réalités du terrain, que de positions politiques, même si des différences existent évidemment, et loin de moi l’idée de les gommer !
En revanche, il faut garantir à tous les policiers municipaux les moyens de se défendre si nécessaire. Je n’ai évidemment pas oublié cette policière municipale, Aurélie Fouquet, qui a payé de sa vie son engagement courageux. Je pense aussi aux policiers municipaux de Nice, que j’ai rencontrés il n’y a pas si longtemps, ou à ceux d’Évry, qui travaillent jusqu’à deux heures ou trois heures du matin et subissent les mêmes caillassages que d’autres fonctionnaires dans certains quartiers.
Ma volonté d’assurer une meilleure protection des policiers et des gendarmes vaut aussi, bien évidemment, pour les policiers municipaux. Tel est l’objectif du projet de décret, actuellement examiné par le Gouvernement, qui leur permettrait de disposer d’un certain type de tonfas, dont l’usage ne leur est pas autorisé pour l’instant, ou de matraques télescopiques.
Sur ces questions d’armement, soyons également pragmatiques et reconnaissons, en dépit des éventuels incidents ou accidents qui ont pu se produire, que nos forces de l’ordre, nationales et municipales, agissent avec beaucoup de responsabilité, même dans les situations extrêmement difficiles. Nous pouvons donc souligner l’exemplarité – en comparaison avec d’autres pays notamment – de nos forces de l’ordre.
Le troisième axe de ma politique concerne les moyens donnés à la police municipale pour qu’elle soit davantage reconnue et encore plus efficace.
Les polices municipales s’appuient sur les compétences de leurs agents. Ces compétences, il convient de les entretenir, mais également de les développer par des actions de formation adéquates.
En ce qui concerne la formation initiale, les parcours pédagogiques doivent être adaptés aux acquis professionnels des élèves. Pour autant, il faut veiller à ce que tous passent par le même creuset, y compris les anciens policiers et gendarmes, car, comme Mme Klès l’a dit à juste titre, même pour eux, devenir policier municipal revient à apprendre un nouveau métier.