Sommaire

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

MM. Jean Desessard, Jacques Gillot.

1. Procès-verbal

2. Engagement des forces armées au Mali. – Lecture d'une déclaration du Gouvernement suivie d'un débat

MM. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères ; Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.

M. Christian Cambon, Mme Michelle Demessine, MM. François Zocchetto, Jean-Pierre Chevènement, Joël Labbé, Jean-François Husson, François Rebsamen, Gérard Larcher, Mme Leila Aïchi.

M. Laurent Fabius, ministre.

Clôture du débat.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle

3. Démission d’un membre d’une commission sénatoriale et candidature

4. Élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modification du calendrier électoral. – Suite de la discussion d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Discussion générale commune (suite) : MM. Alain Richard, Jean Boyer, Pierre-Yves Collombat, Ronan Dantec, Philippe Bas, Yves Daudigny, Rémy Pointereau, Roland Courteau, Louis Nègre, Mmes Delphine Bataille, M. André Vallini, Mme Bernadette Bourzai, M. Claude Domeizel.

5. Nomination d’un membre d’une commission sénatoriale

Suspension et reprise de la séance

6. Élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modification du calendrier électoral. – Suite de la discussion d'un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission

Discussion générale commune (suite) : M. Pierre Camani, Mme Catherine Troendle.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur.

Clôture de la discussion générale commune.

Exception d’irrecevabilité sur le projet de loi

Motion no 49 de M. Jean-Jacques Hyest. – MM. Hugues Portelli, Didier Guillaume, Michel Delebarre, rapporteur de la commission des lois ; Manuel Valls, ministre. – Rejet par scrutin public.

Demande de renvoi à la commission du projet de loi

Motion no 1 rectifiée de M. Jean-Jacques Hyest. – MM. Bruno Retailleau, Jean-Pierre Michel, le rapporteur, Manuel Valls, ministre.

Mme Catherine Troendle.

Suspension et reprise de la séance

Demande de censure contre un sénateur

Mme Catherine Troendle, MM. Jean-Pierre Michel, le président.

Suspension et reprise de la séance

MM. Bruno Retailleau, Didier Guillaume, Mme Catherine Troendle. – Retrait de la demande de censure.

Demande de renvoi à la commission du projet de loi (suite)

Rejet, par scrutin public, de la motion n° 1 rectifiée.

Demande de renvoi à la commission du projet de loi organique

Motion no 1 rectifiée de M. Jean-Jacques Hyest. – MM. Christophe Béchu, René Vandierendonck, le rapporteur, Manuel Valls, ministre. – Rejet par scrutin public.

Renvoi de la suite de la discussion.

7. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

M. Jacques Gillot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Engagement des forces armées au Mali

Lecture d'une déclaration du Gouvernement suivie d'un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’engagement des forces armées en réponse à la demande d’intervention militaire formulée par le président du Mali, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous donner lecture du message que M. le Premier ministre m’a demandé de vous lire. J’ajouterai ensuite quelques brefs commentaires et répondrai, à l’issue du débat, aux différentes interventions.

« Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, depuis plusieurs années, la montée du terrorisme au Sahel est une source croissante de préoccupation.

« La dégradation de la situation au Mali, en 2012, a hélas confirmé que les pires scénarios étaient possibles.

« L’assaut des groupes terroristes, qui ont conquis une partie du territoire de ce pays, a provoqué une profonde déstabilisation de l’État malien, une atteinte inacceptable à sa souveraineté et la constitution d’un sanctuaire terroriste, à près de deux mille cinq cents kilomètres de notre territoire.

« C’est toute une région, déjà vulnérable, dont la sécurité et la stabilité sont mises en danger. C’est une menace qui pèse sur l’Europe et sur la France.

« À la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, au mois de septembre dernier, le Président de la République avait averti que la situation créée par l’occupation d’un territoire au nord du Mali par des groupes terroristes était insupportable, inadmissible et inacceptable, non seulement pour le Mali, mais également pour tous les pays de la région et, au-delà, pour tous les États qui font preuve de détermination dans la lutte contre le terrorisme.

« La France a donc agi pour mobiliser la communauté internationale et, nous pouvons l’affirmer, nos initiatives diplomatiques ont porté leurs fruits.

« Après deux premières résolutions, le Conseil de sécurité des Nations unies a autorisé, le 20 décembre dernier, le déploiement d’une force africaine de stabilisation, la MISMA, la Mission internationale de soutien au Mali.

« L’Union européenne a, quant à elle, décidé d’une opération de soutien, dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune.

« C’est probablement pour y faire obstacle que, pour la première fois, les groupes terroristes présents au nord du Mali, AQMI, le MUJAO et Ansar Eddine, ont regroupé leurs forces afin de lancer l’offensive contre les villes commandant l’accès à Mopti à l’Est, et à Ségou à l’Ouest, en direction de Bamako.

« Dès le 9 janvier, le président du Mali a lancé à la France une demande d’assistance militaire. La prise de Konna le 10 janvier a achevé de nous convaincre, s’il en était besoin, que nous étions bien devant une agression caractérisée, mettant en jeu l’existence même de l’État malien, et que les forces armées maliennes n’avaient pas les moyens d’y résister seules. Le Conseil de sécurité a confirmé cette menace directe pour la paix et la sécurité internationales, dès le 10 janvier.

« Le Président de la République a donc décidé, le 11 janvier, que la France devait intervenir militairement, en appui aux forces armées maliennes.

« Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, face à des adversaires dangereux, bien équipés et déterminés, la France poursuit des objectifs parfaitement clairs. Je souhaite à nouveau les rappeler devant vous.

« Premier objectif : arrêter l’avancée des groupes terroristes vers Bamako.

« Deuxième objectif : préserver l’existence de l’État malien et lui permettre de recouvrer son intégrité territoriale.

« Troisième objectif : favoriser l’application des résolutions internationales à travers le déploiement de la force africaine de stabilisation et l’appui aux forces armées maliennes dans leur reconquête du Nord.

« Le Président de la République l’a affirmé avec détermination : notre intervention durera le temps nécessaire pour atteindre ces objectifs. Les moyens engagés y répondront strictement.

« Aujourd'hui, 1 700 militaires français sont engagés dans l’opération Serval, dont 800 sur le territoire malien. Notre dispositif aérien est composé de douze avions de chasse et de cinq ravitailleurs. Notre dispositif terrestre comprend un état-major tactique, deux compagnies de combat et un escadron blindé. L’ensemble de nos moyens continue à monter en puissance.

« Leurs efforts se concentrent, d’une part, sur l’aide aux forces armées maliennes, pour arrêter la progression des groupes terroristes, en combinant une action aéroterrestre des forces spéciales, engagées dès les premières heures, des frappes aériennes et un appui par des unités terrestres. Les premiers éléments des compagnies françaises arrivées à Bamako ont commencé leur progression vers la zone de combat.

« Les efforts portent, d’autre part, sur les actions aériennes mobilisant nos avions de chasse basés à Ndjamena ou en métropole. Elles visent, dans la profondeur, les bases arrière des groupes terroristes, pour leur infliger les pertes les plus importantes possible, et neutraliser leur capacité offensive sur l’ensemble du territoire malien.

« À cet égard, il ne saurait être question de figer l’actuelle ligne de front, qui n’est rien d’autre que le résultat d’une division artificielle du Mali et d’un rapport de force que nous avons précisément la volonté de modifier.

« La France agit à la demande des autorités légitimes du Mali, qui lui ont lancé un appel à l’aide. Elle s’inscrit dans le respect de la Charte des Nations unies et de son article 51, en parfaite cohérence politique avec les résolutions du Conseil de sécurité.

« Le Secrétaire général des Nations unies a d’ailleurs salué notre réponse à la demande souveraine du Mali. Au Conseil de sécurité, une grande majorité d’États membres a expressément rendu hommage à la rapidité de notre réaction. Son opportunité et sa légalité ne sont pas contestées.

« De fait, la France n’est pas seule.

« Notre décision bénéficie d’un large soutien international. Elle a été accueillie avec soulagement par les États africains, unanimes, et qui sont prêts à se mobiliser. L’Algérie nous a accordé les autorisations de survol nécessaires et les dirigeants algériens nous ont dit qu’ils avaient fermé la frontière avec le Mali.

« Nos partenaires européens sont eux aussi au rendez-vous, en mettant à notre disposition d’ores et déjà des moyens logistiques de transport ou de ravitaillement en vol. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique et le Danemark devraient très rapidement être rejoints par d’autres.

« Nous pouvons aussi compter sur le soutien des États-Unis et du Canada, sans compter les propositions que nous recevons d’autres pays.

« Mais, si nous sommes intervenus en urgence pour éviter un effondrement du Mali, qui aurait rendu vaine toute initiative internationale, nous n’avons pas vocation à rester durablement en première ligne. Notre opération n’est pas une fin en soi.

« La priorité consiste à accélérer le déploiement de l’opération africaine, qui doit aider les autorités maliennes à reprendre le contrôle de leur pays.

« D’ores et déjà, un échelon précurseur de l’état-major de la force africaine, la MISMA, est arrivé à Bamako. De nombreux contributeurs de troupes ont exprimé leur volonté de participer à cette opération. Je pense au Nigeria, au Sénégal, au Bénin, au Burkina Faso, à la Côte d’Ivoire, au Niger, au Tchad, au Togo, et d’autres pays vont suivre. En conséquence, les premières troupes africaines devraient être en mesure d’arriver à Bamako, d’ici à la fin de la semaine.

« Une réunion des chefs d’état-major de la CEDEAO se poursuit actuellement dans la capitale malienne et un sommet de l’Organisation aura lieu à Abidjan, le 19 janvier, où le Président de la République a demandé au ministre des affaires étrangères de le représenter. Il s’agit d’autant d’occasions de poursuivre la mobilisation africaine et de préparer le déploiement opérationnel de la MISMA.

« La France se mobilise également, avec ses partenaires, pour accélérer la mise en place de l’opération européenne EUTM-Mali, qui apportera les indispensables soutiens en matière de logistique et de formation.

« Mme Ashton, dont je salue la contribution, a convoqué demain, à Bruxelles, une session extraordinaire du Conseil des ministres des affaires étrangères. La France souhaite que cette réunion permette de créer effectivement EUTM-Mali, d’en désigner le commandement et d’envoyer, dès les prochains jours, une équipe de précurseurs sur le terrain. Lors de cette réunion seront également examinées les réponses à apporter – c’est fort important – à la situation humanitaire sur le terrain, qui est grave.

« Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, ont été évoquées hier les mesures adoptées par le Gouvernement, dans le cadre du plan Vigipirate, pour renforcer la sécurité du territoire national, notamment la sécurité des transports et des bâtiments publics, ainsi que des lieux de culte.

« La même attention est portée à la situation de nos quelque 6 000 compatriotes qui résident au Mali, et que nous avons encouragés, pour ceux dont la présence n’était pas indispensable, à ne pas demeurer dans ce pays, sans pour autant procéder à leur évacuation. La présence de nos forces offre naturellement une protection à notre communauté.

« Enfin, comme nous l’avons fait ces derniers jours, nous devons évoquer la situation de nos otages et l’angoisse de leurs familles, dont nous sommes tous pleinement solidaires. Mais, une fois encore, n’oublions pas que ce sont ceux-là mêmes qui détiennent nos otages qui voulaient s’emparer de la totalité du Mali. Ne rien faire n’aurait évidemment pas contribué à leur libération.

« Dans ces circonstances, je sais pouvoir compter sur l’unité de l’ensemble des forces politiques de notre pays pour soutenir l’action du Président de la République et du Gouvernement.

« Nous le devons à nos soldats qui, au péril de leur vie, sont engagés sur un terrain difficile aux côtés de l’armée malienne.

« À nouveau, je veux saluer leur courage et leur professionnalisme, qui forcent l’admiration. J’ai présidé hier l’hommage solennel rendu par la Nation au chef de bataillon Boiteux et renouvelle toute ma solidarité à l’égard de sa famille.

« Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, comme pour toute démocratie, l’engagement de nos forces armées est une décision grave.

« Mais, nous pouvons aujourd’hui le constater, notre intervention a manifestement changé la donne.

« Sur le terrain, nous sommes parvenus à arrêter l’offensive des groupes terroristes dès le 11 janvier à l’Est et, depuis mardi, à l’Ouest.

« À Bamako même, les institutions de transition, qu’il s’agisse du Président ou du Premier ministre, sont confortées.

« C’est un élément essentiel. Car, nous en avons la conviction et la volonté, une paix durable au Mali passe bien sûr par une solution de nature politique, c’est-à-dire l’adoption d’une feuille de route de la transition, qui ouvre la perspective d’élections démocratiques organisées sur l’ensemble du territoire malien.

« D’après les indications recueillies à Bamako, le Premier ministre Cissoko souhaite aller vite : il a déjà consulté les partis politiques sur la feuille de route qui sera prochainement présentée au conseil des ministres malien, puis au Parlement. Une cellule de suivi sera créée pour en assurer la mise en œuvre.

« La donne devrait également changer entre le sud et le nord du Mali. Le retour à l’intégrité territoriale devra s’accompagner d’une négociation destinée à établir les modalités d’une paix durable, entre toutes les composantes du Mali, sur tout son territoire, à l’exception bien sûr des groupes terroristes.

« Notre ambition est également de donner une nouvelle perspective de développement au Mali, et à toute cette région de l’Afrique. Car il n’y aura pas de stabilisation durable du Mali sans perspective d’avenir pour sa population.

« D’ores et déjà, je salue l’intention de la Commission européenne de reprendre son aide budgétaire au Mali, qui représente un apport de près de 100 millions d’euros. La France reprendra évidemment son aide bilatérale, dès la feuille de route de la transition adoptée.

« Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, en décidant de répondre à l’appel au secours du Mali, la France a montré sa détermination à lutter contre le terrorisme.

« Dans ces moments difficiles, et alors que nos troupes sont engagées à l’étranger, l’unité de la Nation est un atout irremplaçable. Je salue l’esprit de responsabilité dont les forces politiques ont témoigné depuis le 11 janvier.

« Face à la menace des groupes terroristes, la détermination du Gouvernement ne faiblira pas. »

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, la déclaration que m’a demandé de vous lire M. le Premier ministre.

J’ajouterai, avant de vous écouter et de répondre à vos questions au nom du Gouvernement, trois messages courts.

Le premier, c’est de dire que cette opération n’est pas sans risque. Il faut le reconnaître.

Mais le plus grand risque aurait été de ne pas agir. Car il n’y aurait alors plus eu de Mali, sinon un État terroriste.

Le deuxième, c’est pour me faire l’écho, tout comme vous sans doute, de la satisfaction, et même de l’émotion extraordinairement forte, non seulement des Maliens eux-mêmes, qu’ils résident au Mali ou chez nous, mais aussi de l’ensemble de la communauté africaine devant l’intervention nécessaire et urgente de la France. Partout, le rôle de la France a été salué, et je pense que cette image doit demeurer dans nos esprits.

Enfin, comme cela vient d’être dit, je veux personnellement, et au nom du Gouvernement, saluer le choix qui a été le vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs. On critique souvent la politique ou les politiques, mais, dans ces circonstances graves, les sénateurs comme les députés ont montré qu’ils savaient être à la hauteur des grandes décisions. Pour le Président de la République et le Gouvernement, pour l’ensemble du pays comme pour la communauté internationale, il s’agit évidemment d’une contribution de première grandeur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe CRC et sur certaines travées du RDSE, et sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en introduction, je voudrais tout d’abord me féliciter, et féliciter le Gouvernement, de la tenue de ce débat. Il faut le dire avec honnêteté : c’est un des acquis de la révision constitutionnelle de 2008, dont le texte équilibré permet tout à la fois au Gouvernement d’agir et au Parlement d’être informé. Certains oublient l’avancée significative qu’a pu constituer ce texte ! Faut-il préférer un système « à l’allemande », où le Bundestag doit autoriser les moindres faits et gestes du gouvernement en matière de défense ? Ma réponse est toute simple : cinq heures après la décision du Président, nos soldats étaient au combat.

Les polémiques me semblent stériles et vaines à l’heure du rassemblement républicain autour de nos forces armées.

Notre diplomatie et notre défense ont été à la hauteur de l’urgence, et ont été fidèles, je ne crains pas de le dire, à l’image que je me fais de la France, membre permanent du Conseil de sécurité, pays qui dispose d’une vision globale des enjeux internationaux. Je salue l’action du Président de la République, qui a su prendre lucidement des décisions courageuses. C’est la France qui a fait prendre conscience à la communauté internationale de la gravité de la situation. C’est la France qui a été la cheville ouvrière des trois résolutions des Nations unies. C’est la France, aussi, qui a su mobiliser ses partenaires européens. Nous avons su agir en temps utile.

Quels sont les enjeux de l’intervention au Mali ? Ce qui se produit au Nord-Mali n’est pas un défi pour les autorités de ce pays seulement ; c’est une menace pour toute l’Afrique de l’Ouest, pour le Maghreb, pour l’Europe et pour le monde. Le Mali, qui a sept frontières, est une clé dans la zone. Le « nid de frelons » d’AQMI dans le désert sahélien ne cessait d’étendre son champ d’action, y compris vers le Sud, avec les liens qui l’unissent à Boko Haram. Quand un territoire grand comme une fois et demie la France est maîtrisé par des groupes terroristes, alors nous sommes devant une menace qui concerne l’ensemble du monde.

Nous ne pouvons pas supporter ces mains coupées, ces femmes violées, ces enfants déplacés, ces hommes lapidés, ces soldats-enfants embrigadés. Nous ne pouvons pas admettre que des monuments qui représentent les trésors de l’humanité soient mis en pièces. Nous ne pouvons pas accepter que le terrorisme et le narcotrafic puissent se structurer sur un territoire. Nous ne pouvons admettre que les preneurs d’otages soient les maîtres du Mali. Nous ne pouvons laisser proliférer le risque de contagion sur le territoire européen.

La France a agi sous mandat de la communauté internationale. Elle a su prendre ses responsabilités au service du rétablissement de la paix et de l’intégrité du Mali.

Est-ce que ce sera facile ? Vous le savez au moins aussi bien que moi, mes chers collègues : un engagement militaire n’est jamais une formalité. Quand une guerre est lancée, elle a sa logique propre, qui échappe parfois à notre volonté. Nous savons que ce sera difficile. Le sacrifice de la vie de nos soldats, à qui je rends ici hommage, aux premières heures de l’intervention, vient nous le rappeler cruellement.

Nous faisons face à des troupes aguerries, fortement armées, extrêmement mobiles, bien entraînées et fanatisées, qui se diluent dans le désert, et qui savent mener des combats structurés dans une région hostile qui leur est familière, au cœur d’un immense désert au relief accidenté. Nous connaissons la difficulté et les pièges de la guerre « asymétrique ». J’ai confiance dans le professionnalisme, la qualité et la compétence de nos forces armées, qui ont su montrer, sur d’autres théâtres non moins exigeants, leur valeur. Je leur redis aujourd’hui avec force ma confiance, mon respect, mon estime, notre confiance, notre respect, notre estime.

Devons-nous rester seuls ? Naturellement pas ! Nous agissons dans le cadre strict de la légalité internationale, conformément à la Charte des Nations unies et à la résolution 2085. Cette intervention est tout sauf une « aventure » française ! Nous avons reçu le soutien, politique et pratique, de nombreux partenaires, du Conseil de sécurité, de l’Union européenne, de l’Union africaine, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO.

Oui, l’Algérie, pays ami, pays central, a un rôle clé dans la résolution de cette crise. Son soutien actif nous est indispensable. Oui, les capacités de renseignement, de communication, de ravitaillement en vol ou de transport de troupes de nos partenaires nous seront très utiles. Oui, la France n’a pas vocation à agir seule, car elle n’agit pas pour son propre compte.

La force africaine, la MISMA, est en cours de constitution – vous venez de nous le rappeler, monsieur le ministre des affaires étrangères. Après l’urgence de l’intervention, la priorité doit être de l’amener à son niveau opérationnel le plus rapidement possible. L’Union européenne doit jouer un rôle central pour la mission de formation de l’armée malienne, qui devrait aussi être accélérée. Monsieur le ministre, peut-être nous donnerez-vous des éléments de calendrier ?

La sécurité de l’Afrique doit être, bien sûr, assurée par les Africains. Je me félicite donc de l’action de l’Union africaine et de la CEDEAO. Nous touchons du doigt l’importance de notre coopération de défense structurelle avec les pays africains, de nos écoles de maintien de la paix et de notre formation des cadres militaires africains, actions qui disposent pourtant dans notre budget de crédits dérisoires, très insuffisants ! (Mme Nathalie Goulet s’exclame.) Nous le disons depuis longtemps, mais, aujourd’hui, cela résonne de façon particulière…

Certains nous disent : il aurait fallu négocier ! Bien sûr ! Mais négocier avec qui ? S’il s’agit de forces politiques qui veulent prendre leur part dans la construction d’un avenir démocratique au Mali, oui ! Mais négocier avec des groupes terroristes, il ne peut pas en être question. L’offensive terroriste au Sud a fait tomber les masques : nous avions hélas raison sur Ansar Eddine, qui n’a cessé de souffler le chaud et le froid, pour finalement révéler son vrai visage, celui de terroristes odieux prônant l’application de la charia sur tout le territoire malien et asservissant les populations.

Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad, le MNLA, dont nous avons reçu les représentants il y a un mois et demi au Sénat, est évidemment un acteur incontournable pour la résolution dans le long terme de la « question du Nord », maltraitée depuis des décennies. Mais il est aujourd’hui fragilisé. Bien sûr, nous appelons à la reprise du processus démocratique, à une solution négociée, à une résolution institutionnelle de la question du Nord-Mali, mais quand « la maison brûle », pardonnez-moi de le dire de cette façon, il faut d’abord éteindre l’incendie.

Au-delà de l’urgence sécuritaire, le processus politique de normalisation à Bamako mais aussi le processus de réconciliation inter-malienne doivent reprendre. Il reste plus que jamais essentiel que les Maliens adoptent le plus rapidement possible une feuille de route et créent une structure de négociation avec les groupes armés qui se dissocient du terrorisme. Et cela commence ! Nous ne pourrons pas rebâtir la démocratie malienne à la place des Maliens ! Le Président Hollande l’a dit hier, Laurent Fabius l’a répété tout à l'heure : la France n’a pas vocation à rester !

Est-ce qu’il nous fallait privilégier le développement sur la guerre ? Oui, certainement ! Seule une solution globale, où le développement du Nord, trop longtemps négligé en dépit des promesses et des accords passés, permettra la paix à long terme. Mais nous savons aussi que le développement est impossible sans sécurité et sans démocratie. Notre action militaire ne nous dispensera pas de repenser notre politique de développement pour tout le Sahel. La France et l’Europe s’y emploient avec la « stratégie de l’Union européenne pour la sécurité et le développement au Sahel ». La première urgence sera de dominer la crise alimentaire. La seconde urgence concernera les personnes déplacées : des centaines de milliers dans toute la sous-région. Notre responsabilité est d’agir sur les deux fronts à la fois : éradiquer la menace et trouver les moyens d’une solution de long terme.

Je voudrais, pour conclure, vous livrer deux réflexions.

La première concerne les conséquences de cette intervention – pardon d’y faire référence, mais c’est tellement d’actualité ! – sur le format et les équipements de notre armée. (M. Alain Gournac acquiesce)

À l’heure où la commission du Livre blanc tient ses dernières réunions, fait ses derniers arbitrages, à l’heure où l’avenir de notre défense va se jouer dans la prochaine loi de programmation militaire, la crise malienne fait la démonstration de la nécessité de disposer de moyens capables de faire face à la diversité des situations et des menaces : un éventail capacitaire large, des forces bien préparées, bien équipées et capables de durer. Ces qualités sont encore celles de notre armée. Elles permettent à la France de concrétiser sa volonté. Cependant, chers collègues, ne baissons pas la garde ! Notre commission l’a affirmé à maintes reprises : le format de nos armées est à un niveau, pardon de le dire ainsi, « juste insuffisant ». En deçà, nous encourrions le risque d’un déclassement.

Nous avons aujourd’hui la démonstration que la défense ne doit pas servir de variable d’ajustement budgétaire ! (M. Robert del Picchia applaudit.) Le Président de la République l’a récemment affirmé, je le rappelle, avec beaucoup de force.

Diminuer nos moyens militaires, ce serait diminuer notre place dans le monde, ce serait perdre en crédibilité internationale. Les dépenses de défense ne sont pas des dépenses publiques comme les autres ! Elles sont les garantes de la sécurité de nos concitoyens, et la condition du développement de notre pays. Ne l’oublions pas ! Ce sont aussi elles qui, à l’heure du redressement du pays, portent les ruptures technologiques et l’innovation qui se diffusent ensuite dans tout le tissu économique déterminant. Je ne doute pas que cette intervention militaire ne nous fasse mieux prendre conscience, collectivement, de ces enjeux majeurs.

Ma dernière réflexion porte sur l’impact de cette intervention sur l’Europe de la défense.

Notre commission sénatoriale travaille avec ses homologues du « triangle de Weimar plus » sur la préparation du Conseil européen de décembre prochain, qui sera déterminant pour l’Europe de la défense.

Notre action au Mali, et les suites qui lui seront données, mesdames et messieurs les ministres, sont une occasion de construire et de relancer l’Europe de la défense par des réalisations concrètes et par l’affirmation de notre communauté d’intérêt et donc de notre solidarité.

À cet égard, c’est ensemble que les Vingt-Sept ont décidé, fin décembre, d’assurer la formation de l’armée malienne. Dès le lendemain du lancement de l’intervention militaire, Laurent Fabius le rappelait, c’est ensemble que les États membres de l’Union européenne nous ont apporté un soutien sans réserve. La France a reçu un appui technique de plusieurs pays, notamment du Royaume-Uni. L’Allemagne, qui enverra à Bamako un contingent de formateurs, apporte un soutien logistique. Et, monsieur le ministre des affaires étrangères, je crois avoir compris que demain se tiendrait un conseil des ministres des affaires étrangères européen. Je pense que ce sujet sera à l’ordre du jour.

Il nous faut poursuivre dans cette voie de manière pragmatique, en accentuant nos efforts de partage et de mutualisation des équipements et des capacités. Ces enjeux sont ceux de l’Europe concrète, mes chers collègues, ceux de l’Europe qui avance, au quotidien. C’est la méthode qui a été utilisée, et pour moi, c’est la bonne ! Nous la soutenons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, six jours après la décision du Président de la République d’une intervention militaire au Mali, le Gouvernement engage ce débat en application de l’article 35 de la Constitution.

Nous souhaitons tout d’abord vous faire part de notre satisfaction pour la mise en œuvre de cette disposition constitutionnelle, qui permet l’information la plus précise des parlementaires au moment où nos forces armées sont engagées dans un conflit sensible.

Vous nous avez rappelé, monsieur le ministre, avec précision, la chronologie des faits qui ont conduit à cette décision du Président de la République. Depuis des années, en effet, la présence de mouvements terroristes s’est intimement mêlée à l’ancienne revendication touareg pour aboutir à une double constatation : le Mali a perdu sa souveraineté sur la moitié nord de son territoire ; le Nord-Mali est devenu un véritable sanctuaire pour des djihadistes, cachant sous de prétendues convictions religieuses toutes sortes de trafics et constituant ainsi une très lourde menace pour les pays voisins, pour la France et pour l’Europe tout entière.

Alors que s’organisait avec difficulté la mise en place de la force africaine de stabilisation prévue par la résolution 2085 du Conseil de sécurité, les mouvements djihadistes ont opéré une convergence et se sont mis en mouvement afin d’empêcher la stratégie des Nations unies. Face au peu de résistance opposée par les forces armées maliennes et à l’instabilité politique qui règne au sein du régime malien depuis des mois, le risque était grand d’assister à l’implosion brutale du Mali tout entier et de voir s’installer, au cœur même de l’Afrique, un régime terroriste menaçant l’ensemble du Sahel, une partie du continent africain et, à terme, l’Europe.

Dès lors, c’est à bon droit que le Président de la République a pris la difficile décision d’engager nos forces armées. C’est donc sans ambiguïté que le groupe UMP apporte son soutien à cet engagement.

Par ses liens historiques avec le continent africain, par l’action qu’elle mène au titre de la coopération et du développement, la France se devait de prendre une part prépondérante afin de sauver cet État ami, d’assurer la sécurité des 6 000 Français qui y résident et de poursuivre la recherche inlassable des huit otages français qui, depuis trop longtemps, vivent l’enfer.

À cet instant, notre pensée va d’abord vers eux et vers leurs familles, comme nous pensons aussi, avec tristesse et consternation, au sort qui a été réservé au soldat français tué lors de l’assaut et à Denis Allex, l’otage vraisemblablement assassiné lors de l’opération de sauvetage qui a malheureusement échoué en Somalie.

Notre pensée va aussi vers le lieutenant Damien Boiteux, qui a péri au Mali aux premières heures de l’offensive en s’opposant courageusement à la progression des bandes armées terroristes.

Enfin, nous voulons assurer nos troupes françaises et leurs alliés de notre soutien sans faille et de notre admiration. Les Français doivent savoir que c’est aussi pour leur sécurité que ces femmes et ces hommes se battent. Que nos soldats en soient remerciés !

Si notre approbation vous est acquise, monsieur le ministre, elle n’est cependant ni aveugle ni béate. Elle se veut responsable et lucide. Pour avoir déjà connu l’engagement de nos forces au Liban, en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, et en Libye, la France est hélas bien placée pour mesurer tous les risques qui pèsent sur une telle opération ! Le devoir de la représentation nationale à travers ce débat est de vous inviter à ne pas tomber dans le piège malheureusement inhérent au choix courageux que vous avez fait.

Les risques, nous les connaissons, et, lentement, au fil des jours, ils vont apparaître : risques d’enlisement, risque d’isolement, risque, enfin, pour la sécurité même de notre territoire si une solution politique ne vient pas rapidement se substituer au bruit des armes.

Le risque d’enlisement est bien celui qui nous menace le plus : on le constate chaque jour avec inquiétude. C’est une guerre différente qu’il faut livrer. C’est une guerre où la technologie la plus sophistiquée de nos armes peut être chaque jour mise en défaut par les pratiques de guérilla sur un territoire immense que maîtrisent parfaitement ces terroristes. Pour prendre Konna, ils ne sont arrivés ni avec des chars, ni même avec des pick-up, mais en autobus, se mêlant d’abord à la population puis faisant soudain usage de leurs armes. Quel Livre blanc va nous livrer les bonnes solutions, quelles armes décisives vont permettre à nos troupes de débusquer les djihadistes désormais noyés au sein des populations locales ? Et lorsque nous aurons reconquis ces villes et ces villages, qui en assurera ensuite la gouvernance ? La faiblesse ou l’inexistence des autorités locales fait craindre le pire. Certes, il y aura la MISMA, la force africaine de stabilisation. Mais croit-on réellement que des soldats ouest-africains imposeront leur autorité à Kidal, en plein fief touareg ? Et là le risque est grand de voir maintenues pendant longtemps, très longtemps, des forces françaises afin d’empêcher le retour des insurgés.

Nous n’avons pas la capacité de maîtriser dans la durée un territoire plus grand que la France et aussi accidenté que l’Afghanistan. Chacun le sait, cela n’est ni possible, ni même souhaitable. Prenons garde de ne pas nous faire entraîner dans cette voie-là.

Le risque d’isolement n’est pas moindre. La France ne peut pas porter seule toute la lutte contre le terrorisme. Nous n’en avons pas les moyens ni la vocation. La relation de la France avec ses partenaires africains doit être fondée sur le transfert aux Africains de leurs propres dispositifs de sécurité. On en voit malheureusement aujourd’hui les limites.

À l’heure actuelle, nous intervenons ; mais nous intervenons presque seuls. Une fois de plus, l’Union européenne vient de montrer qu’elle n’est pas tout à fait au rendez-vous. L’Europe n’est pas en capacité d’avoir une politique et des moyens d’action communs vis-à-vis du flanc sud du continent. Et nous n’avons visiblement pas converti l’Europe à l’Afrique. Il est vrai que nous recevons de nombreux concours logistiques, des moyens de transport de troupes qui nous font toujours défaut, mais de soldats expérimentés susceptibles de participer activement à cette opération, nous n’en voyons pas venir.

Il faudra en tirer les leçons, d’abord, pour notre propre politique de défense au moment – M. le président de la commission vient de le rappeler – où nous finalisons le Livre blanc. Pour l’Europe ensuite, à quelques jours du cinquantième anniversaire du traité d’amitié franco-allemand : il nous faudra dépasser notre déception et donner enfin une nouvelle ambition à la coopération franco-allemande.

Les États-Unis nous apportent leurs encouragements et un soutien non négligeable pour le renseignement et la logistique. Mais au regard de notre propre engagement à leurs côtés en Afghanistan, est-ce bien suffisant ? L’Algérie, enfin, va peut-être commencer à jouer le rôle essentiel qui doit absolument être le sien. Les nouvelles d’aujourd'hui vont dans le bon sens. Forte d’une armée de 400 000 hommes, elle est en vérité la seule puissance militaire de la région. Fermer ses frontières, autoriser le survol de son territoire, tout cela est utile. Mais on peut s’interroger sur des attitudes ambiguës du passé. Et si la presse algérienne, qui, certes, change de ton, semble redouter des relents de néocolonialisme dans la présence militaire française actuelle au Mali, il faut que l’Algérie, avec l’aide et le soutien de la France, prenne toute sa part dans la résolution de ce conflit, car c’est sa propre stabilité qui est aussi en jeu.

Risque, enfin, d’une absence de solution politique durable. Le bruit des armes n’a qu’un temps. Il faudra très vite que la France et ses partenaires aident le Mali et ses voisins à élaborer une solution politique durable. Celle-ci devra prendre en compte non seulement les revendications anciennes des communautés touareg, mais aussi l’aspiration des populations maliennes à une société plus soucieuse de lutte contre la pauvreté que de luttes politiciennes internes. À défaut d’une telle politique, l’actuelle opération militaire aura été menée pour rien. Et tout recommencera. De surcroît, le terrorisme sera exporté sur le sol français, les djihadistes souhaitant se venger des échecs et des destructions que nous leur faisons subir. Ce qui vient de se passer aujourd'hui même dans le sud de l’Algérie est déjà un signe inquiétant.

Pour notre part, nous ne ferons pas non plus l’économie d’une révision de notre politique de développement vis-à-vis du Mali et des seize autres pays prioritaires en matière de coopération française. C’est en effet sur le terreau du sous-développement que prospèrent les mouvements révolutionnaires, qui proposent l’instauration de toutes sortes de trafics comme seule réponse à la pauvreté.

Le Mali figure parmi les pays les plus pauvres de la planète. L’espérance de vie moyenne y est inférieure de vingt ans à celle des citoyens des pays européens. Un enfant qui naît au Mali a cinquante fois plus de risques de mourir avant cinq ans qu’un petit Français. Or à ne pas considérer les pays d’Afrique subsaharienne comme une priorité absolue dans le domaine de notre aide au développement, de même que toute l’Europe, nous portons une part de responsabilité dans leur désagrégation. Monsieur le ministre chargé du développement, la future loi de programmation sur le développement devra procéder à ce réexamen.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, telles sont les raisons pour lesquelles le soutien des membres du groupe UMP à l’intervention de la France au Mali est certes total, mais aussi lucide. Au moment où, hélas ! certaines autres initiatives nationales du Gouvernement ne vont pas dans le sens de l’apaisement (M. Charles Revet s’exclame.), nous vous assurons néanmoins de notre entière solidarité dans ce conflit, car, au Mali, c’est de nos valeurs communes qu’il s’agit et c’est pour la paix du monde qu’ensemble nous nous battons. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nos premières pensées vont aux victimes et au soldat Boiteux, disparu dès le début de l’offensive menée au Mali. Nous témoignons notre solidarité aux otages et à leurs familles, dont nous ne pouvons imaginer l’angoisse.

Depuis le vendredi 11 janvier, la France est en guerre. Il s’agit d’une action grave, potentiellement lourde de conséquences, décidée, comme il y va de sa responsabilité, par le Président de la République.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen n’ont jamais considéré l’entrée de leur pays dans un conflit comme une victoire annoncée, comme une solution positive à une situation donnée, quelle qu’elle soit. Ils considèrent que le choix des armes est toujours le résultat d’un échec, qu’il soit économique, social, culturel, ou encore diplomatique et politique.

Trop souvent, la guerre laisse une situation dégradée ; elle meurtrit toujours les populations et enracine les haines.

Ces propos ne sont pas tenus par une pacifiste béate ou idéaliste ; ils sont le résultat de l’analyse lucide de l’histoire ancienne ou récente.

Oui, nous pensons toujours que la guerre n’est pas une fatalité et que la résolution des conflits devrait être le résultat d’un travail diplomatique considérable effectué en amont pour négocier, débattre, désamorcer les tensions.

L’exemple malien est édifiant. C’est le résultat d’une catastrophe annoncée, qui a mené un pays, longtemps présenté comme une réussite démocratique africaine, à se déliter, son État à s’effondrer, la misère à s’y développer plus encore. Faut-il rappeler que le Mali est l’un des pays les plus pauvres du monde ?

Peut-on penser que tout a vraiment été entrepris pour construire une alternative à la déferlante islamiste qui est maintenant une réalité au Mali comme dans de trop nombreux pays ?

Du maintien du Mali dans un sous-développement économique, social et institutionnel à la suite d’une domination, pendant des décennies, de l’Occident et de sociétés multinationales, dont la préoccupation première n’était pas, on le sait, l’épanouissement des populations, résulte la crise que connaît ce pays.

Plus ponctuellement, et ce point doit être rappelé, la crise actuelle est la conséquence indirecte de l’intervention en Libye qui a permis la dissémination d’un arsenal considérable dans l’ensemble de la région.

Cette opération a également poussé des Touareg, déjà de longue date en rébellion contre l’État malien, à revenir sur leur terre d’une façon si précipitée qu’elle a ouvert le chemin de la déstabilisation.

Je le disais à l’instant, l’État malien s’est effondré. La déliquescence de son armée, depuis le coup d’État de 2012, a aussi contribué à laisser la voie libre aux groupes islamistes, dont certains d’entre eux sont terroristes.

Même si elle regrette cette situation, la France, qui a exercé et exerce encore une forme de tutelle sur la région, ne peut s’exonérer d’une certaine responsabilité dans cette terrible évolution.

Ces premières réflexions faites, la réalité s’impose à nous : des groupes armés, sous l’influence la plus radicale de l’islamisme combattant, certains directement liés à Al-Qaïda, comme AQMI, occupent depuis des mois le nord du pays, font régner la terreur, appliquent la charia. L’un des symboles de cette violence est la destruction du patrimoine historique que constituaient les mausolées soufis de Tombouctou.

Bien entendu, il faut faire la part des choses. La notion de groupe terroriste ne peut être appliquée à l’ensemble de ces mouvements. Il serait donc utile, monsieur le ministre des affaires étrangères, que vous nous décriviez, avec la précision qui vous caractérise, la réalité des adversaires que la France affronte aujourd’hui.

Qu’en est-il, par exemple, de la mouvance indépendantiste ou autonomiste touareg non liée historiquement avec l’islamisme radical ? Ne doit-on pas veiller, avec une grande vigilance, à ne pas faire d’amalgames qui pourraient servir de prétexte à des exactions contre les populations touareg, comme s’en est déjà rendue responsable dans le passé l’armée malienne ?

Cette force composite menée par des mouvances incontestablement menaçantes pour l’idéal de démocratie et de progrès a fait mouvement jeudi dernier vers Bamako, la capitale. Fallait-il laisser ces forces conquérir, au-delà de cette ville, l’ensemble du Mali ? La réponse est clairement : « Non ! » Il fallait empêcher dans l’urgence l’avancée de ces groupes, dont l’idéologie porte à instaurer des régimes despotiques d’une rare violence, en particulier à l’égard des femmes.

J’insiste également sur le fait que ces groupes s’appuient souvent sur une organisation de type mafieuse leur assurant un important financement issu du trafic de drogue ou d’armes. Le Sahel est ainsi devenu une gigantesque plaque tournante.

Nous approuvons donc cette décision d’éviter la prise de Bamako et d’empêcher l’avancée des groupes islamistes.

De plus, cette action de la France résulte d’une demande officielle d’intervention du président malien au titre de l’article 51 de la Charte des Nations unies. Elle reçoit d’évidence le soutien au Mali des populations et en France des Maliens et de leurs organisations. Elle obtient aujourd’hui une approbation sans ambiguïté de l’ensemble du Conseil de sécurité de l’ONU.

Au-delà des premiers résultats de cette intervention se pose la question de la suite qui devra y être donnée.

Hier, j’ai lu que des responsables américains redoutaient un enlisement rapide, comme en Afghanistan.

Que se passera-t-il si les djihadistes trouvent refuge dans les montagnes de l’ouest ?

L’annonce, par le Président de la République, d’un engagement militaire de notre pays jusqu’à la stabilisation du Mali vise, selon nous, une échéance bien lointaine, qui donne un cadre trop large et trop flou à notre intervention. Nous souhaitons donc que le présent débat soit l’occasion d’obtenir des précisions sur ce sujet.

Prenons garde que, au nom de la lutte contre le terrorisme d’obédience islamiste, cette guerre, qui risque d’être longue, ne nous rappelle fâcheusement le concept de guerre de civilisation porté par George Bush en 2001. Il faut travailler à isoler les groupes à proprement parler terroristes, qui sont minoritaires, tout en évitant, je le répète, tout amalgame avec des forces moins radicales qui se sont engagées dans ce conflit du fait de la déstabilisation du pays et de la région.

Nous soutenons la proclamation claire de l’objectif de reconstruction de l’État malien et de restauration de la démocratie.

Adopter uniquement la posture d’une déclaration de guerre à l’islamisme radical et au terrorisme serait dangereux et vain.

Si action politique, diplomatique contre l’islam radical, véritable fascisme de notre temps, il y a, elle doit être cohérente.

Qui finance certains groupes actifs au Mali si ce n’est le Qatar ? Doit-on se voiler la face ? Les groupes radicaux à l’œuvre en Libye, en Syrie, comme au Soudan ou en Palestine, soutiennent ou vont soutenir activement les forces que nous commençons à combattre au Mali.

Que fait notre diplomatie à l’égard des émirats, où le Président de la République vient de se rendre, à l’égard du Qatar ou de l’Arabie saoudite, régimes monarchiques et despotiques qui fondent leur influence sur leurs immenses richesses, pour les dissuader de continuer leur action au Proche-Orient ou au Moyen-Orient comme en Afrique visant à déstabiliser, à diviser et, finalement, à combattre les valeurs démocratiques, les valeurs de progrès et d’épanouissement ?

Monsieur le ministre des affaires étrangères, lorsque, en Arabie saoudite, les autorités wahabites décident de faire décapiter au sabre une employée sri lankaise immigrée, n’envoient-elles pas des signaux de haine et de violence qui se propagent dans le monde entier et au Mali ?

Nous demandons par conséquent avec force qu’une nouvelle cohérence anime la politique que nous menons vis-à-vis de l’islam radical.

Enfin, conformément aux engagements internationaux, nous demandons aussi que la présente intervention soit prise en charge par un nombre croissant de pays, aux premiers rangs desquels les pays africains.

La force d’intervention décidée par les Nations unies par la résolution 2085 doit devenir réalité au plus vite. Il faut à tout prix éviter que nous ne restions, un temps indéterminé, seuls en première ligne. Nous avons pris nos responsabilités, et il fallait le faire. Mais ce cavalier seul ne peut durer. C’est notre autorité politique et démocratique qui est en jeu, ainsi que notre sécurité.

Ce conflit, le drame malien, peut être un signal de plus donné quant à l’urgence du développement.

Afin de permettre à l’Afrique, qui possède toutes les richesses naturelles et humaines adéquates, de se développer, il faut cesser le pillage de ses matières premières et de ses compétences intellectuelles.

Ces mots, que beaucoup ont utilisés dans cette enceinte, doivent enfin se traduire par des actes, afin que l’Afrique ne compte pas un Mali puis deux, puis trois, avant l’embrasement de toute une région. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –  M. Jean Boyer applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto. (MM. Aymeri de Montesquiou et Jean-Marie Bockel applaudissent.)

M. François Zocchetto. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la puissance est une donnée relative. Toutefois, elle n’est pas sans entraîner certains devoirs. Aussi, je ne crois pas me tromper en affirmant que, chaque fois que la France met son appareil de défense et le courage de ses soldats au profit de la défense de la liberté, elle s’honore et respecte sa mission historique parmi les nations.

Au nom des sénateurs du groupe UDI-UC, je souhaiterais joindre notre voix à l’hommage rendu au lieutenant Damien Boiteux, qui a perdu la vie pendant les premières heures du conflit.

Progressivement, nos soldats reviennent d’une opération difficile en Afghanistan, longue de dix années et lourde de dizaines de pertes d’hommes irremplaçables.

Le nom du lieutenant Boiteux figure désormais sur la liste de nos concitoyens disparus lors du combat que la France a toujours mené pour la liberté.

Depuis son indépendance, le Mali est un ami indéfectible de la France.

Nous comptons plus de 100 000 ressortissants maliens sur notre territoire et nombre de citoyens français restent attachés, par le biais de leur famille ou de leurs amis, à ce pays.

Le Mali s’est également imposé depuis de nombreuses années comme la terre d’accueil d’un nombre important de nos concitoyens, qui se sont installés à Bamako ou ailleurs.

Forte de ces liens profondément enracinés, la France ne pouvait que répondre vigoureusement à l’appel lancé par le président malien pour défendre son territoire et ses institutions menacés.

La crise catastrophique que traverse le nord du Mali depuis près d’un an est une plaie béante au cœur du Sahel. La conjugaison des forces des rebelles touareg revenus des rangs de l’armée de Kadhafi et des groupes islamistes qui alimentent tous les trafics entre la Mauritanie, l’Algérie, le Niger et même d’autres pays a eu raison de la stabilité et de la paix qui ont longtemps caractérisé le Mali.

En réalité, nous connaissons assez mal notre ennemi. Les rebelles nordistes sont un bataillon hétéroclite qui comporte aussi bien des Touareg laïcs que des terroristes islamistes, des criminels et des pillards en tout genre. Nous avons cependant une certitude : à Tombouctou, cité universitaire millénaire élevée au rang de patrimoine mondial de l’humanité, on coupe depuis plusieurs mois des mains, on excise, on viole, on pille et on tue impunément. Des exactions sans nom sont perpétrées sur un territoire plus vaste que la France. Des villes entières sont sous la coupe de la charia et d’organisations criminelles qui font peser un risque généralisé sur la stabilité de tous les États voisins du Mali et même sur la sécurité de la France et de l’Europe. Ne nous y trompons pas, le nord du Mali est situé à moins de trois heures d’avion du sud de la France. Nous n’imaginons pas ce que deviendrait la France si elle devenait la cible d’un sanctuaire terroriste. Nous ne pouvons pas laisser un nouvel Afghanistan apparaître au cœur de l’Afrique.

Ces groupes, financés à la fois par l’argent des trafics de stupéfiants, par l’immigration illégale et par le rançonnage, le rapt et le pillage, alimentent une sourde haine contre notre pays et contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à l’expression de la liberté. C'est pourquoi, monsieur le ministre, les sénateurs du groupe UDI-UC ne peuvent que saluer la réponse du Président de la République à l’appel lancé par le Mali.

Le 16 janvier est malheureusement un jour anniversaire. En effet, le 16 janvier 2012 a eu lieu la première incursion des terroristes dans le territoire malien, avec la prise de Ménaka. Dès le 26 janvier 2012, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, notre groupe avait, par la voix de Joël Guerriau, alerté le Gouvernement et suggéré une intervention rapide de nos forces armées. Peu de temps après, les places militaires de Tombouctou, Gao et Kidal sont tombées. Le problème n’est donc pas nouveau.

Douze mois ont passé depuis la prise de Ménaka. Sur un plan purement tactique, les six premiers jours d’intervention semblent positifs. Ce succès opérationnel s’accompagne toutefois d’un certain nombre d’incertitudes. De nombreuses questions demandent des réponses et justifient le recours à la procédure prévue à l’article 35 de la Constitution.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué une intervention rapide, de l’ordre de quelques semaines. Mais ne risquons-nous pas de nous enliser dans un engagement intensif et exigeant en hommes comme en matériel, sans bénéficier d’un appui significatif de nos alliés ? En effet, la France est la seule puissance à avoir répondu à l’appel du Mali. (M. le président de la commission s’exclame.) En dépit du mandat confié aux forces internationales dans le cadre de la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU, la France est bien à ce jour la seule puissance militaire engagée dans le déroulement opérationnel du conflit malien. (M. le président de la commission s’exclame de nouveau.)

Les forces de la CEDEAO tardent à se rassembler, et, quand bien même elles se rassembleraient, elles ne représentent que 2 900 hommes issus de bataillons et d’armées différents. Or il s’agit, je le rappelle, de couvrir au sol un territoire plus vaste que la France. Plus grave encore, les troupes maliennes sont désorganisées, mal équipées et parfois même, pour certaines d’entre elles, tentées de rejoindre les rangs nordistes.

Nous l’avons bien compris, l’issue militaire du conflit restera incertaine tant que la France ne parviendra pas à réunir la coalition la plus large possible. Certes, l’Algérie nous a ouvert son espace aérien. Certes, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada ont donné des signes de soutien immédiats. Mais comment ne pas regretter l’absence de concertation visible et de réaction de l’Europe ? Ce ne sont pas les quelques commentaires du président de la Commission européenne qui peuvent masquer l’incapacité de l’Europe à réagir diplomatiquement et militairement. Monsieur le ministre, nous demandons une réunion des chefs d'État et de gouvernement de l’Union européenne, car nous souhaitons une réaction à la mesure de l’enjeu pour l’Europe.

Notre deuxième interrogation porte bien évidemment sur le sort des otages ; ce sujet a déjà été évoqué. Leur sécurité n’est-elle pas mise en cause par l’intervention au Mali ? De quelles informations disposons-nous ? Pouvons-nous espérer leur libération ? Là encore, de nombreux points méritent d’être éclaircis, sous réserve du respect de la discrétion que requiert ce genre d’information.

Enfin, quelles sont les perspectives pour trouver une solution politique à ce conflit ? Notre intervention se limite-t-elle seulement à bloquer la progression des terroristes, ou s’agit-il d’appuyer la restauration de la souveraineté du Mali sur l’ensemble de son territoire, y compris la région du nord ? Cette entreprise de restauration de souveraineté sera-t-elle exclusivement menée par l’emploi de la force, ou existe-t-il encore une chance de dialogue diplomatique ?

En dépit de ces quelques interrogations importantes, qui portent sur des points que vous ne manquerez pas d’éclaircir, monsieur le ministre, je tiens à rappeler, au nom de l’ensemble du groupe UDI-UC, notre soutien ferme et indéfectible à nos troupes engagées sur le terrain. Nous leur transmettons tous nos vœux de succès et nous nous en remettons à vous pour garantir la sécurité de nos otages comme de nos soldats. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le coup d’arrêt donné par l’armée française à la progression vers Bamako de colonnes islamistes, sur ordre du Président de la République française et en réponse à l’appel des autorités légitimes du Mali, était nécessaire. Le groupe RDSE approuve donc la décision prise, sous l’empire de l’urgence, par le chef de l’État.

Contrairement à ce que j’ai entendu dire, il ne s’agit pas d’une ingérence qui aurait violé la souveraineté d’un pays africain indépendant. Au contraire, il s’agit d’une assistance apportée à un pays ami en grand danger, dont l’intégrité territoriale avait été violée par des groupes terroristes entendant imposer leur loi – et quelle loi ! –, et dont non seulement la souveraineté mais également la survie même eussent été compromises si des éléments islamistes armés avaient pu continuer leur raid vers le Sud. L’intervention de la France s’est faite en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations unies et a entraîné la réunion du Conseil de sécurité, qui a confirmé la légitimité de cette intervention.

Certes, la guerre est toujours haïssable, mais il est des guerres inévitables. Celle-là en est une, car elle répond à un souci de légitime défense de la part du Mali mais aussi des pays d’Afrique sahélienne, y compris l’Algérie, et des pays européens comme le nôtre qui sont clairement visés par les menaces d’AQMI.

Certes, une solution politique partielle avec les groupes rejetant le terrorisme eût été préférable, pour isoler les groupes terroristes et rétablir à moindre frais l’intégrité territoriale du Mali, ce qui implique un modus vivendi durable entre les populations du nord et du sud de ce pays. En tout état de cause, une telle perspective n’aurait pas dispensé de réduire les éléments terroristes dans leurs repaires du Nord-Mali. Mais le choix d’Ansar Dine, groupe touareg fondamentaliste, et de son chef, Iyad Ag Ghaly, de rompre toute négociation avec le MNLA et de se joindre aux groupes terroristes que sont AQMI et le MUDJAO, pour menacer Bamako et mettre à bas la république et l’État du Mali, a rendu caduque une telle perspective.

Il n’était tout simplement pas possible de laisser se constituer sur les décombres de la république malienne un sanctuaire du terrorisme au cœur de l’Afrique. La réactivité exceptionnelle des forces armées françaises doit être saluée et hommage doit être rendu à nos soldats tombés dans l’accomplissement de leur devoir, au service de la France.

À l’occasion de ces évènements, on mesure l’intérêt des forces françaises pré-positionnées et, soit dit en passant, l’erreur d’appréciation, que j’avais signalée lors de l’adoption du Livre blanc, qui consistait à ne vouloir conserver qu’une seule base en Afrique de l’Ouest.

M. Philippe Bas. Très juste !

M. Jean-Pierre Chevènement. Heureusement, il restait encore quelques forces disponibles à Dakar, à Ndjamena et en Côte d’Ivoire. Bienvenue est l’arrivée de matériels – ERC Sagaïe et hélicoptères Tigre – assurant à nos soldats une meilleure protection que les hélicoptères Gazelle.

Je dirai d'abord un mot sur les buts politiques de l’intervention. Le Président de la République en a défini trois : arrêter l’agression terroriste, sécuriser Bamako et permettre au Mali de recouvrer son intégrité territoriale. « La France, a-t-il ajouté, n’a pas vocation à rester au Mali. Son but est de préparer la venue d’une force africaine, encadrée et soutenue par la communauté internationale, afin qu’il y ait au Mali des autorités légitimes, un processus électoral et plus de terroristes quand nous partirons. »

Constatons cependant que, pour le moment, la France se trouve seule en ligne avec ce qui reste des forces armées maliennes combattantes. C’est une réalité. C’est dans des moments comme celui-ci que se révèle la réalité sur la base de laquelle les politiques doivent être construites.

Les troupes de la CEDEAO mettront un certain temps pour monter en ligne. Cela dépendra beaucoup des moyens logistiques disponibles ou mis à disposition par nos alliés. Une partie de ces forces sera peu opérationnelle. La majorité d’entre elles seront plus des forces de maintien de la paix que des forces d’intervention proprement dites. On peut espérer que certains pays comme le Tchad, le Niger ou la Mauritanie pourront fournir des forces aguerries.

Sans être « aux abonnés absents », nos partenaires européens manifestent peu d’empressement à se joindre à nous. Là encore, c’est à l’aune des réalités qu’on mesurera la pertinence des discours sur la « défense européenne ». Espérons que le Conseil des ministres des affaires étrangères européen, qui devrait se réunir demain, démentira le constat fait par un membre du Gouvernement d’« une mobilisation un peu minimale de l’Union européenne » et « certaines absences regrettables ».

Un sénateur du groupe UMP. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Jean-Pierre Chevènement. Je suis moins surpris que d’autres de cette carence.

Par conséquent, l’atteinte du troisième objectif fixé par le Président de la République risque de prendre du temps ; il faut en être conscient. Or la France est engagée. Il vaut donc mieux frapper vite et fort pour dérouter l’adversaire et profiter, autant que faire se peut, de l’effet de surprise. Ne nous laissons pas enliser dans le schéma peu opérationnel, selon moi, initialement prévu. Si les alliances ont un sens, c’est maintenant qu’elles doivent se manifester. En tout état de cause, il faut acheminer des renforts. Il ne faut pas attendre trop longtemps pour occuper les villes du Nord.

Une précaution est toutefois indispensable : nous devons dissocier autant que possible les populations du Nord, Touareg et autres, des éléments terroristes, et en tout cas ne pas les solidariser. Nous devons également éviter au maximum ce qu’on appelle les « dommages collatéraux ». Ne sous-estimons pas non plus la dimension ethnique du conflit. Il y a un problème touareg au Mali, qui ne date pas d’hier puisque nous en sommes à la quatrième rébellion touareg depuis l’indépendance en 1960.

Les autorités de Bamako doivent être fortement incitées à trouver un accord avec le MLNA et avec les éléments égarés d’Ansar Dine qui reprouvent le terrorisme et souhaitent rejoindre le MLNA. L’objectif est la refondation démocratique du Mali. Celle-ci sera d’autant plus facile que le rapport des forces aura évolué au détriment des groupes terroristes. Une certaine autonomie territoriale des provinces du Nord serait alors souhaitable. Je me réjouis que la déclaration gouvernementale ait évoqué ce problème et le souci de le voir abordé dans la feuille de route que va adopter le gouvernement malien.

C’est le cœur des populations qui doit s’exprimer en faveur d’une telle refondation démocratique, au Nord comme au Sud. Nul ne peut ignorer que la répression des précédentes rébellions n’a pas laissé de bons souvenirs aux populations du Nord. Les ressentiments existants n’excusent cependant en aucune manière le massacre récent et sauvage de soldats maliens.

Le problème touareg n’est pas propre au Mali. Les Touareg, environ un million de personnes, sont dispersés entre, au moins, six États : le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Nigeria, l’Algérie et la Libye. Ils sont mêlés à d’autres ethnies, telles que les Bérabiches ou Chaambi, qui sont arabes, mais aussi les Soninkés, les Peuls, les Bambaras, etc.

Je doute, pour ma part, que les villes du Nord puissent être reprises sans l’appoint substantiel de militaires français. Au fond, plus que « le coup d’après » et le « billet de retour » de nos soldats, c’est le temps qui est problématique dans ces espaces immenses, qui vont de l’Atlantique à la Mer Rouge, battus non seulement par les vents de sable, mais aussi par le vent des contestations, fondamentalistes et autres, venues du fond de l’histoire, bien avant la colonisation.

Les frontières qu’ont tracées nos officiers, voilà à peine un siècle, n’ont pas encore été pleinement intériorisées par ces populations, même si la loi internationale, celle de l’ONU et celle de l’Union africaine, leur confère, à juste titre, un caractère d’intangibilité. Les tribus touareg, par exemple, se connaissent et s’interpénètrent par-delà les frontières.

Quoi qu’il en soit, la communauté internationale devra financer et mettre en œuvre un vaste plan de développement du Sahel. L’Union européenne pourrait montrer son utilité dans cette affaire.

Pour mettre avec nous le temps, nous avons, dans cette région du monde, un allié : l’Algérie. Il faut le dire, car cela n’a pas été assez souligné à mon sens.

Il s’agit du seul grand État de la région sahélienne – je mets à part le Maroc, situé plus à l’ouest –, les autres États étant fragiles, y compris le Nigeria, rongé par un mouvement djihadiste, le Boko Haram. On ne peut concevoir la paix et la stabilité de cette immense région sans l’Algérie, dont l’armée, soit dit en passant, dépasse les 300 000 hommes. Ce pays a lui-même dû faire face, dans les années 1990, à la terreur islamiste. Il a payé un lourd tribut au djihadisme. En ce moment même, ses soldats doivent faire face, à In Amenas, à une tentative d’enlèvement concernant des ressortissants français, japonais, mais aussi britanniques et norvégiens.

J’entends s’exprimer, ici et là, des réserves, des critiques, laissant entendre que les terroristes auraient pu s’approvisionner en essence en Algérie. Quiconque connaît le terrain sait qu’il est très difficile de contrôler les trafics d’essence à toutes les frontières de l’Algérie, du Maroc à la Tunisie. Telle est la réalité.

L’Algérie, qui privilégie la voie d’un isolement des groupes terroristes, a choisi clairement de fermer sa frontière avec le Mali, longue de 1 200 kilomètres. Elle a de surcroît autorisé le survol de son territoire par les avions français. Bref, dans la lutte contre le terrorisme, l’Algérie et la France combattent côte à côte.

Au moment où le Président de la République, François Hollande, vient de déclarer, à Alger, le 20 décembre 2012, devant les deux chambres du Parlement algérien, vouloir « ouvrir une nouvelle page dans les relations entre la France et l’Algérie », il ne faudrait pas que ceux qui ne sont pas encore tout à fait résolus à tourner la page empêchent par myopie la construction au Sahel, avec tous les pays riverains, d’un espace pacifique et stable, durablement purgé du terrorisme, lequel n’apporterait que malheur à la population de ces régions.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, nous comptons sur le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, sous l’autorité du Président de la République, pour bâtir un avenir partagé entre la France, l’Algérie et les pays africains amis. Cette vision politique est nécessaire pour résoudre les immenses problèmes qui se posent aujourd’hui à cette région, à commencer par celui de sa sécurité.

Nous faisons confiance au Gouvernement, et à vous-même particulièrement, pour mettre en œuvre les médiations nécessaires, tisser les alliances, coordonner l’effort. Certes, il s’agit d’une tâche gigantesque, mais le soutien du pays tout entier ne vous fera pas défaut si cet effort lui est convenablement expliqué dans toutes ses dimensions, comme nous n’en doutons pas vous concernant et comme nous y encourageons, d’ailleurs, l’ensemble du Gouvernement. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, et sur plusieurs travées de l'UMP. –  MM. Jean-Marie Bockel et Henri Tandonnet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’interviens aujourd’hui non seulement en tant que parlementaire écologiste, mais également en tant que président délégué pour le Mali du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest de notre assemblée, et aussi parce que je suis membre du Mouvement des citoyens du monde.

La France intervient militairement au Mali en soutien aux forces armées maliennes, à la demande du président par intérim de cet État.

Si le recours aux interventions militaires n’est évidemment jamais souhaitable, il peut se révéler nécessaire. L’offensive sur la ville de Konna, qui a eu lieu au début du mois, et le risque de voir ces groupes armés déstabiliser davantage le pays, avec les conséquences que l’on imagine pour les populations civiles de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, nous conduisent à approuver et à soutenir le choix du Président de la République.

La crise malienne résulte d’une déstabilisation accrue de toute la bande sahélienne, que le conflit libyen a encore accentuée. En effet, celui-ci a déjà permis à des groupes djihadistes de s’armer dangereusement.

De fait, l’intervention militaire en Libye n’a pas été suivie d’une véritable politique de développement, tant française qu’européenne, en direction des pays de la région, notamment le Mali et le Niger, et nous en subissons les conséquences aujourd’hui. Il est primordial d’en tirer les leçons : nous ne créerons jamais les conditions de l’avènement d’un état de droit par la seule intervention militaire, ainsi que l’a justement relevé hier notre collègue Daniel Cohn-Bendit au Parlement européen. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)

La population du Nord-Mali vit dans un extrême dénuement (M. Jean-Claude Lenoir s’exclame.), ce qui favorise notamment les trafics, tels ceux des armes et des drogues. Les liens entre pauvreté, défaut d’éducation et terrorisme sont malheureusement bien connus. Par conséquent, la mise en place d’une politique de développement sur le long terme est urgente.

Le véritable enjeu, au-delà de l’opération militaire en cours dans l’urgence, est de tirer des leçons de l’échec du simple soutien à un état de droit au Mali, sans véritable politique de développement pour l’accompagner.

Notre coopération avec le Mali doit s’inscrire sur le long terme et reposer sur des valeurs d’éthique et de respect de notre partenaire. C’est particulièrement important de le réaffirmer dans la mesure où le Mali est classé au 170e rang sur l’échelle de la pauvreté, alors que son sous-sol est riche en matières premières et que la tentation de certains est grande d’accaparer ces richesses. L’uranium de cette région, pour ne prendre qu’un exemple, attise les convoitises. Malheureusement, nous le savons, ces exploitations ne profitent quasiment pas aux populations locales.

Il se trouve que le département du Morbihan a une relation privilégiée avec l’ensemble de la région de Kidal. Voilà deux ans, nous avons reçu une délégation d’élus de la nouvelle génération de cette région dans le cadre de la décentralisation voulue par le gouvernement malien de l’époque. Nos interlocuteurs, notamment l’ancien président de l’assemblée régionale de Kidal, Abdoussalam Ag Assalat, qui nous a quittés accidentellement, nous avaient affirmé leur volonté, en tant que Touareg, de s’autodéterminer, d’avoir une certaine autonomie, tout en se reconnaissant Maliens. À l’époque, ils nous avaient mis en garde contre le risque représenté par les mouvements terroristes.

Le président de l’assemblée régionale nous avait par ailleurs expliqué son opposition à un projet d’achat de terres par une société australienne afin d’exploiter une mine d’uranium dans la région très proche de Kidal. Il leur avait répondu que la terre de ses ancêtres n’était pas à vendre et que le plus précieux des minerais était la ressource en eau. Il m’avait alors cité un proverbe touareg lourd de sens : « Tu peux dire ce que tu veux à celui qui a soif, il ne te demandera toujours que de l’eau ».

Il est temps de revoir, comme a commencé à le faire le ministre délégué chargé du développement, Pascal Canfin, sous votre autorité, monsieur le ministre des affaires étrangères, toute l’architecture des aides de la France aux pays qui en ont besoin, notamment ceux du Sahel. La future loi d’orientation et de programmation sur le développement devra tracer les lignes de nouvelles relations avec les pays les plus pauvres.

Je voudrais également m’exprimer ici au nom de ma collègue Kalliopi Ango Ela, sénatrice représentant les Français établis hors de France, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui a résidé plus de vingt-cinq années en Afrique subsaharienne. Elle tenait à ce que soient précisés divers points rendant compte de sa vision, que je partage évidemment.

Il nous semble effectivement important que l’accent soit mis sur la nécessaire reconstruction de la paix. L’aide au développement devra également prendre la forme d’un accompagnement de sortie de conflit ayant pour objectif le bien-être pacifié de tous les peuples et sociétés vivant au Mali, non seulement les Touareg, mais aussi les Maures, les Peuls, les Songhay et les Bozos, dans le respect des identités de chacun. C’est dans ce cadre que devra s’inscrire une paix durable.

S’il est fondamental que les actions menées sur le territoire malien le soient sous protection des forces africaines, la gestion du post-conflit devra, elle aussi, impliquer l’ensemble des différents acteurs du développement.

En conclusion, je dirai que, s’il est nécessaire d’intervenir dans l’urgence, il nous faudra ensuite permettre les conditions de mise en place d’un régime politique démocratique fort et stable au Mali, ce qui est encore possible. Nous devrons également œuvrer pour une véritable politique de développement autour des axes essentiels que sont l’alimentation et le droit à l’eau, à la santé et à l’éducation. Les conditions seront réunies sur les territoires malien et français, étant donné la richesse du réseau relationnel entre les collectivités locales, les associations françaises et les collectivités maliennes. Comme le dit Kofi Annan : « Il n’y a pas de développement sans sécurité et de sécurité sans développement et il ne peut y avoir ni sécurité ni développement si les droits de l’homme ne sont pas respectés. » (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. –  M. Henri Tandonnet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, compte tenu du temps très court qui m’est imparti, je souhaite d’emblée, et en toute responsabilité, apporter mon entier soutien à l’initiative prise par la France au Mali.

Je salue cette intervention, parce qu’elle s’est produite juste à temps pour que ce pays soit en mesure de résister contre le processus de conquête du Sud clairement engagé par des groupes terroristes en vue de la prise du pouvoir central et de l’instauration d’une république islamique.

Je reconnais sa légitimité, d’autant plus forte qu’il s’agit du Mali, pays avec lequel la France entretient des relations étroites pour des raisons historiques, culturelles et communautaires, au regard de l’importance de la diaspora malienne sur notre territoire.

Cette légitimité est aussi d’ordre géostratégique, car, ne l’oublions pas, le territoire du Mali a une position toute particulière sur le continent africain.

Mon soutien s’explique aussi par le fait que l’intervention de nos militaires, dont nous devons saluer l’engagement et le courage à s’exposer pour défendre les valeurs qui sont les nôtres sur ce nouveau théâtre d’opérations, s’est faite dans le respect des cadres politique et juridique.

En effet, c’est le président par intérim de la République malienne, le professeur Traoré, qui a sollicité notre intervention militaire pour stopper l’avancée des djihadistes. Par ailleurs, notre intervention est confortée par sa légitimité internationale incontestable, dès lors qu’elle intervient dans le cadre de la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU et dans le respect des termes de notre Constitution.

Si, comme vous le voyez, monsieur le ministre, mon soutien est sans ambiguïté, je me permets de penser que l’urgence de notre engagement militaire au Mali doit aussi nous pousser à réfléchir à deux faits importants.

Peut-être avons-nous sous-estimé les forces, les moyens et les capacités de lutte de ces groupes armés ?

Peut-être n’avons-nous également pas voulu croire à leur faculté de jouer, en dépit de leurs nombreuses divergences, le jeu de l’union et de la solidarité, puisque ces trois groupes, AQMI, le MUJAO et Ansar Eddine se sont battus, tous ensemble, pour repousser au sud la ligne de front et conquérir Sévaré ?

Il me semble, monsieur le ministre, que ces considérations doivent inciter la France à la plus haute vigilance, dans un certain nombre de régions du monde où les terrorismes, rampants ou actifs, masqués ou dévoilés, sont capables de s’unir pour le pire en vue de déstabiliser les régimes démocratiques et d’ouvrir la voie à l’islamisation politique.

Il m’apparaît enfin, monsieur le ministre, que nous devrons être attentifs aux risques de renforcement ou de radicalisation des mouvements terroristes à l’œuvre au Mali, en réaction à notre intervention, et à l’aléa, inhérent à toute action militaire, de l’enlisement. Pour l’éviter, il conviendra, me semble-t-il, qu’outre son indispensable intervention militaire, la France fasse tout ce qui est en son pouvoir pour favoriser, sans ingérence, la résolution du problème politique et institutionnel malien. Elle pourra, elle devra le faire avec l’assentiment et le soutien de nos partenaires européens. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Rebsamen.

M. François Rebsamen. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis le 11 janvier dernier, sur décision du Président de la République, à la demande du président du Mali, M. Traoré, et dans le respect de la charte des Nations unies, la France s’est engagée pour appuyer l’armée malienne face à l’agression terroriste.

En cet instant, je tiens moi aussi à rendre hommage à la mémoire du lieutenant Damien Boiteux, tué le premier jour des combats, ainsi qu’à celle des soldats tombés samedi au cours de l’opération en Somalie. Au nom des sénateurs socialistes et, plus largement j’en suis certain, au nom de tous mes collègues, j’exprime à leurs familles, à leurs proches, à leurs compagnons d’armes, mes plus sincères condoléances.

Je voudrais aussi saluer nos soldats engagés aujourd’hui aux côtés des forces maliennes : 800 d’entre eux sont déployés actuellement sur le sol malien et ce chiffre devrait progressivement passer à 2 500, selon les dernières informations du ministre de la défense. Je veux le dire ici, la nation rassemblée admire leur courage et leur apporte tout son soutien.

Mes chers collègues, que ce serait-il passé si la France n’était pas intervenue ?

Les forces terroristes auraient continué leur avancée, faisant sauter sans difficulté les verrous de Konna – c’était déjà fait – et de Mopti, ouvrant la porte à la prise de Bamako, qui serait tombée entre leurs mains, mettant la population malienne et nos ressortissants à leur merci. Le Mali serait aujourd’hui un pays d’otages, pris lui-même en otage pour servir de base terroriste au cœur du continent africain, constituant une sorte de nouvel Afghanistan aux portes de la Méditerranée et de l’Europe, menaçant de déstabiliser l’ensemble des pays d’Afrique de l’Ouest.

Dès l’appel de détresse du président malien, la France, par la voix de son président, a su répondre « présent ! ». Sans tergiversation, avec sang-froid, calme, détermination, le chef de l’État a fait preuve de sa capacité de décision et d’action en engageant nos forces armées pour aider le peuple malien et combattre les terroristes. Les sénateurs socialistes saluent et soutiennent cette décision, personne n’en doutait.

Vous le savez, c’est toujours un choix terrible que d’engager nos soldats dans la bataille. Ce choix, le Président de la République l’a fait en prenant ses responsabilités, en conscience et avec rapidité. Notre pays peut en être fier et s’honorer de l’avoir fait, comme ce fut le cas dans le passé, que ce soit en Afghanistan ou en Libye, quand il s’est agi d’aider des peuples à combattre la tyrannie et la dictature pour faire, à terme, triompher la démocratie, ce qui est notre souhait.

À ce jour, un coup d’arrêt a d’ores et déjà été porté à l’avancée des terroristes et nos troupes poursuivent actuellement leur offensive, avec un déploiement de nos forces terrestres vers le front du Nord pour y pourchasser les groupes armés d’AQMI liés à Al-Qaida.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais souligner devant vous l’exemplarité qui caractérise cette intervention armée au Mali.

Exemplarité d’abord en ce qui concerne la forme et le respect des procédures : la France a agi dans le respect de la légalité internationale, conformément à la résolution 2085 adoptée le 20 décembre dernier. Elle a reçu, le 14 janvier, le soutien unanime du Conseil de sécurité.

L’action déterminée de la France, saluée par l’ensemble des pays africains, a accéléré leur mobilisation et celle de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO, qui traînait quelque peu, il faut bien le reconnaître. Le Togo, le Nigéria, le Niger, le Burkina Faso, le Bénin, le Sénégal, la Guinée, le Ghana et le Tchad ont aujourd’hui confirmé la participation de leurs soldats. Je n’oublie pas la position de soutien de l’Algérie dont nous mesurons l’importance.

Je sais, monsieur le ministre des affaires étrangères, le rôle essentiel que vous avez joué pour fédérer et mobiliser ces participations indispensables, et je tiens ici à saluer votre action.

Au Mali, le peuple a dit son soutien et sa reconnaissance au président Hollande et à la France sur les chaînes de télévision et les radios du monde entier.

Au niveau européen, dès le déclenchement de l’offensive française, les contacts ont été pris par le Président de la République, par le ministre de la défense et par vous-même, avec nos partenaires pour les informer et les associer à l’intervention.

À ceux qui déplorent, dans ce conflit, la « solitude du Président de la République en Europe », je rappelle qu’au fil des jours l’aide apportée par les Vingt-Sept se met en place. D’ores et déjà, le Royaume-Uni, le Danemark, la Belgique, l’Allemagne et l’Italie apportent un précieux et indispensable soutien logistique.

La convocation que vous avez demandée et obtenue, monsieur le ministre des affaires étrangères, d’un conseil extraordinaire des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne, qui se tiendra jeudi, doit permettre d’accélérer la coopération européenne, y compris militaire, pour l’intervention française. C’est bien le moins que nous puissions attendre de l’Union européenne !

Les États-Unis ont immédiatement manifesté leur soutien en termes de logistique et de renseignement. Les Émirats arabes unis, enfin, ont proposé à François Hollande, lors de son déplacement de mardi dernier, leur aide matérielle, financière et militaire.

Sur notre territoire, enfin, l’information des citoyens et des élus représentants du peuple a été, elle aussi, exemplaire. Dès sa prise de décision, le Président de la République s’est adressé aux Français pour leur en expliquer, et il faudra continuer à le faire, les raisons et les enjeux. Après le premier conseil de défense, il est également intervenu dans les médias pour faire le point de la situation, relayé ensuite par des « points presse » réguliers, tenus par vous-même, monsieur le ministre des affaires étrangères, et par Jean-Yves Le Drian, le ministre de la défense.

La représentation nationale a été scrupuleusement tenue informée par le Premier ministre, d’abord par téléphone, dès vendredi après-midi, le jour même du déclenchement de l’opération, puis lors d’une réunion des responsables parlementaires à l’hôtel Matignon, lundi soir. Ont suivi les auditions des ministres par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Aujourd’hui, le débat qui nous réunit autour de vous dans cet hémicycle, monsieur le ministre des affaires étrangères, et qui, dans le même temps, réunit les députés autour du Premier ministre, va permettre d’apporter toutes les précisions nécessaires aux questions des élus de la nation.

Voilà pour l’exemplarité de la forme. En ce qui concerne l’exemplarité de notre intervention sur le fond, beaucoup a déjà été dit. Je tiens cependant à rappeler que, bien avant son élection, François Hollande avait suivi de près l’évolution de la situation au Mali. Dès son investiture, lors de son déplacement aux États-Unis, il avait alerté les autorités américaines à ce sujet. Le travail diplomatique et celui de nos services de renseignement s’est poursuivi tout au long des six derniers mois.

La décision d’intervenir au Mali a donc été longuement mûrie et prise de façon extrêmement rationnelle, en fonction de renseignements concordants sur la dégradation accélérée de la situation et le retard pris – on peut le dire ! – dans la mise en place de la Mission internationale de soutien au Mali, la MISMA.

Quelle était la situation le vendredi 11 janvier au matin ? D’un côté, profitant de cette inertie ou de la lenteur de cette mise en place, les forces terroristes d’Ansar Eddine, d’AQMI et du MUJAO, qui pour la première fois s’étaient regroupées et agissaient de façon concertée, déclenchaient une offensive ambitieuse pour progresser vers Bamako et confisquer le territoire malien à leur profit.

En face, l’armée malienne, en grande difficulté, n’avait pas la capacité de résister à l’offensive des groupes terroristes lancée vers la capitale malienne, ville ouverte si le verrou était tombé.

L’appel à l’aide du président malien a confirmé l’urgence d’agir, telle qu’elle avait été évaluée par nos services de renseignement, provoquant la prise de décision du Président de la République et, par conséquent, l’intervention de nos forces armées.

Cette intervention, je le crois et personne ne le nie, est donc exemplaire également sur le fond, car elle est raisonnée et raisonnable.

Les objectifs de l’intervention décidée par le Président de la République sont très clairs : il s’agit, tout d’abord, de stopper l’offensive des terroristes et de les empêcher de menacer l’État malien ; ensuite, de préserver l’intégrité territoriale du Mali, d’assurer la sécurité des ressortissants français et étrangers, notamment à Bamako ; enfin, de préparer et faciliter l’application des résolutions du Conseil de sécurité prévoyant le renforcement de l’armée malienne africaine, ce qui ne sera pas facile, et le déploiement d’une force d’intervention africaine.

Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, les missions assignées à nos forces armées consistent à utiliser les frappes aériennes et le déploiement d’éléments terrestres pour atteindre ces objectifs. Ces opérations se déroulent en ce moment même sur le terrain.

Le Président de la République a donné toutes les instructions pour que les moyens utilisés par la France soient strictement limités en fonction de ces objectifs. La France, vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre des affaires étrangères, ne poursuit aucun intérêt particulier autre que la sauvegarde d’un pays ami et n’a pas d’autre but que la lutte contre le terrorisme.

Je comprends bien évidemment que l’inquiétude ressentie par les familles des otages retenus au Sahel soit ravivée. Je ne doute pas néanmoins que la France reste déterminée et mobilisée pour obtenir leur libération.

Mais, sur ce point, je me permettrai de vous citer, monsieur le ministre des affaires étrangères, car cette déclaration est éclairante pour ceux qui doutent : « Ce n’est pas en laissant le Mali devenir un sanctuaire terroriste que nous protégerons les otages.»

Combat pour le Mali ou pour le maintien de l’intégrité de ce pays, le combat est aussi contre le terrorisme. Il va donc se poursuivre. Il s’agit d’une mission fondamentale, qui s’inscrit dans la durée et qui, comme l’a déclaré le Président de la République et comme cela a été répété ici même, durera aussi longtemps que nécessaire.

Cela étant, grâce à la rapidité de la décision du chef de l’État et à la capacité de réaction immédiate de nos armées, qui y étaient en quelque sorte préparées, la France a créé une dynamique internationale importante, une dynamique majeure pour avancer dans la lutte contre le terrorisme et vers la paix, ce que nous voulons.

Quand on fait la guerre, il faut savoir préparer la paix. Pour cela, vous l’avez dit, la sortie ne peut être que politique. Je sais que le Président de la République et vous-même y travaillez et le préparez, comme le confirme la déclaration faite hier par le chef de l’État : « Notre objectif est de faire en sorte qu’il y ait une sécurité au Mali, des autorités légitimes, un processus électoral et plus de terroristes qui menacent. »

J’ajoute que rien ne sera possible sans qu’une politique active de soutien par l’Union européenne au développement de ce pays – l’un des plus pauvres du monde – ne se mette en place durablement.

Pour terminer, monsieur le ministre des affaires étrangères, chers collègues, je voudrais saluer ici, dans cet hémicycle, le ton employé par chacun des intervenants. Il se distingue, m’a-t-on dit, de celui qui a été employé par certains à l’Assemblée nationale. Je salue, nous saluons ici le très large rassemblement républicain qui s’est créé autour de cette intervention au niveau tant des citoyens français que des forces politiques.

Au-delà des positions politiques et des clivages, au-delà des différences, la France est donc réunie aujourd’hui autour de ses soldats qui combattent en ce moment même sur le sol malien contre les forces terroristes.

C’est sans doute, mes chers collègues, ce qui fait la grandeur d’un pays comme le nôtre que de savoir se rassembler quand il s’agit de défendre les valeurs de la démocratie. (Vifs applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.

M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je le dis d’emblée, nous nous tenons aujourd’hui aux côtés du chef de l’État et de notre armée engagée au Mali.

À nos forces, qui mènent en première ligne le combat sur un théâtre exigeant et difficile, je veux dire, comme tous mes collègues, ma totale confiance dans leurs capacités. Grâce au courage de nos soldats – et ils en ont déjà payé le prix, hommage leur soit rendu, comme à la mémoire de Damien Boiteux - oui, grâce à leur courage, un coup d’arrêt a déjà été porté à l’avancée des terroristes et des pertes leur ont été infligées.

Nous le savons, nous avons affaire à des terroristes aguerris, jetés corps et âme dans une guerre « asymétrique » où ils mènent un combat total. Mobiles, surentraînés, ils savent utiliser ce désert au climat hostile, enclavé et escarpé, propice à tous les trafics. Dans cette immensité, ils peuvent se diluer et s’abriter. Ils ont fait du désert leur sanctuaire et leur base arrière. Ils y ont leurs camps d’entraînement, ils y établissent leurs connexions avec d’autres réseaux terroristes, la secte Boko Haram au Nigéria, les shebab somaliens, Ansar al-Sharia en Tunisie, AQMI en Algérie... Ils constituent progressivement, en toute impunité, un vaste arc djihadiste de l’Atlantique à la mer Rouge, dans un continuum de trafics et d’exactions qui va du Sahel à la Somalie.

Vous le savez, monsieur le ministre des affaires étrangères, tout cela n’a pas commencé au début de l’affaire libyenne, mais bien avant. En 2010, un certain nombre de chefs d’État et de gouvernement de cette région attiraient l’attention de la France sur l’émergence de groupes terroristes, grâce aux trafics, et à leur montée en puissance. Je les ai entendus souligner en 2010 le risque d’une déstabilisation qui s’étendrait demain au Nigéria, jusqu’au golfe de Guinée, créant, en quelque sorte, le syndrome de la Somalie. Alors, non, ce phénomène n’a pas commencé il y a dix-huit mois, il est beaucoup plus ancien.

Je ne reviendrai pas longuement sur l’importance de l’armement dont disposent ces groupes. Au-delà des armes légères, ils disposent, nous le savons, de missiles antichars MILAN et, si j’en crois une dépêche parue hier, des missiles sol-air SAM-7.

L’argent, il y en a, grâce au trafic d’otages, dont ces groupes se sont fait une spécialité, et à la dîme prélevée au passage des convois des trafiquants de cigarettes, d’essence et, surtout, de cocaïne. Car le réseau de la cocaïne, ce n’est plus Madrid-Barajas, comme il y a vingt ans ! Il s’étend aujourd’hui sur de vastes territoires du Sahel.

Pouvions-nous laisser AQMI devenir maître de la région et y faire prospérer, avec les moudjahidine notamment, ses trafics ? Pouvions-nous laisser les terroristes asservir tout un peuple ? Pouvions-nous laisser se constituer cet immense sanctuaire djihadiste qui, du Mali à la corne de l’Afrique, en passant par le Nigéria, puis par le golfe de Guinée, s’étendrait progressivement ?

Oui, la France a eu raison de vouloir stopper l’avancée des terroristes ! Oui, la France a eu raison d’empêcher l’effondrement du Mali, et, par un effet de souffle, de toute la région ! Oui, la France a raison de vouloir aider la force africaine à restaurer l’intégrité de ce pays ! Oui, la France a raison de vouloir restaurer une légalité constitutionnelle au Mali !

Pour autant, la situation n’est pas tout à fait celle que nous avions imaginée. Sur l’initiative du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et avec Jean-Pierre Chevènement, nous avons constitué un groupe de travail sur la question sahélienne. Nous avons entamé une réflexion. À la fin du mois de novembre, le scénario était un peu différent. Aujourd’hui, face à l’urgence, notre gouvernement et le chef de l’État ont réagi et nous avons changé notre planification.

C’est l’honneur de la décision, c’est l’honneur de notre armée : moins de cinq heures après l’ordre présidentiel, elle était au combat contre les 1 200 terroristes de cette colonne qui fondait sur Bamako.

Je tiens en cet instant à rendre hommage à nos services de renseignement. Durement éprouvés ces jours derniers, ils ont su déceler la menace avec précision et pertinence.

Christian Cambon et François Zocchetto l’ont dit, nous avons des interrogations.

Quelle sera l’ampleur de la phase « terrestre » et quelles seront ses implications pour nos soldats ? Que veut dire « tenir » seuls un territoire hostile d’une telle immensité ? Les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui pour « traiter » le « fuseau ouest » augurent-elles d’une combativité supérieure à celle que nous avions prévue ? Quelle sera la durée de l’intervention ? La guerre sans fin serait le risque majeur. Quel sera le degré de préparation des troupes de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO ? Jean-Pierre Chevènement l’a évoqué, nous savons qu’il faudra des semaines pour qu’elles atteignent le niveau opérationnel. Quel est notre scénario de sortie ?

Comme l’a fait le président de la commission des affaires étrangères, j’aimerais aujourd’hui dire clairement aux rédacteurs du Livre blanc et de la loi de programmation militaire en préparation qu’il nous faut réfléchir avant d’abandonner des capacités, avant de réduire nos forces prépositionnées ! Forces spéciales, renseignement, troupes au sol, moyens blindés, moyens aériens : nous avons besoin de tout le spectre !

N’oublions pas qu’il faut soixante-douze heures à un bâtiment de la marine nationale pour rejoindre, à partir de Toulon, le détroit d’Ormuz, et je ne dis pas cela tout à fait par hasard. On voit bien aujourd’hui l’importance de nos forces au Tchad, au Gabon, au Sénégal, dans la montée en puissance du dispositif « Serval ». Ce pourrait être demain le cas, vers d’autres théâtres, à partir des Émirats arabes unis.

Et si nous avions dû évacuer plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de nos ressortissants au Mali ? Rappelons-nous la Côte d’Ivoire...

Il nous faut méditer ces enseignements et ne pas avoir comme variable d’ajustement simplement des préoccupations financières, que nous avons tous, par ailleurs.

Mais, fondant notre action sur la résolution 2085, nous n’avons pas vocation à agir seuls. Je trouve que, dans sa déclaration, le Premier ministre a été très aimable avec Mme Ashton… Certes, j’en conviens, un certain nombre de nos partenaires se sont engagés, nous apportant soutien politique et moral. Mais nous voyons bien que la grande absente aujourd’hui, c’est l’Europe ! À une semaine de l’anniversaire du traité de l’Élysée, qui sera pour nous l’occasion, en quelque sorte, de refonder sur cette base ce qui fait le socle de l’Europe, nous ne pouvons que constater, avec un peu de tristesse, que l’Europe n’est autre chose en cette matière qu’une « super ONG » ou une entreprise à responsabilité limitée ! (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées de l'UMP.) Je crois que nous devons, les uns et les autres, dans notre diversité, poser cette question.

Je n’oublie pas, pour conclure, les deux enjeux de long terme pour le Mali.

D’abord, je l’évoquais avec Henri de Raincourt dans la responsabilité ministérielle qui fut la sienne, le développement est la seule vraie solution durable : 150 000 réfugiés, 230 000 déplacés viennent encore accroître les maux d’une des populations parmi les plus pauvres de la planète. On a évoqué cette espérance de vie, de vingt ans inférieure à la nôtre. La moitié de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. S’y ajoutent la désertification, le réchauffement climatique, la perte du pastoralisme, laquelle est en train de déstructurer toutes ces sociétés, notamment au nord du Mali.

Il est en outre nécessaire d’avoir une cohérence dans notre attitude face au fondamentalisme religieux et à ses multiples facettes, qu’il s’agisse d’une expression politique ou de moyens terroristes. Il n’y a pas vérité ici et erreur ailleurs !

La refondation démocratique du Mali est, naturellement, le second enjeu. Toutes ces populations, des Bambaras aux Touaregs, en passant par les Songhaï ou les Bérabiches, ne partagent, en fait, que le fleuve Niger et un islam jusqu’à présent modéré.

Cela a été évoqué, le Nord a, au fond, toujours été oublié : peu de routes, peu d’écoles, peu d’infrastructures médicales, peu de développement économique. Il a été, à chaque fois, fortement brutalisé, pour ne pas utiliser d’autres mots.

La reprise des négociations inter-maliennes est une urgence, mais ces négociations ne doivent pas, une nouvelle fois, aboutir à des accords qui ne seront jamais respectés. Il faut une feuille de route, il faut reprendre le fil de la transition vers des élections démocratiques.

Je conclurai, comme François Rebsamen et Christian Cambon, avec une pensée toute particulière pour nos otages et leurs familles, aujourd’hui dans l’angoisse. Mais, si nous n’avions pas agi, alors, les preneurs d’otages auraient soumis tout un pays ! Nous le savons, le message ainsi adressé aurait été contraire aux valeurs qui sont les nôtres. Il est des valeurs sur lesquelles, ensemble, dans notre diversité, nous ne devons pas transiger.

Ce sont les valeurs qui nous rassemblent dans cet hémicycle aujourd’hui, ce sont des valeurs que nous portons ensemble et qui font, me semble-t-il, l’honneur de notre République. (Vifs applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens, une nouvelle fois, au nom du groupe écologiste, à présenter mes condoléances à la famille du lieutenant Boiteux et à l’ensemble des civils tués dans les opérations.

Dans les périodes de crise intense, nos compatriotes attendent des réponses claires.

En ce sens, le groupe écologiste du Sénat et moi-même reconnaissons la licéité de l’intervention française au Mali, au regard des relations bilatérales entre nos deux pays et soutenons nos femmes et nos hommes engagés dans cette opération.

Toutefois, au regard du droit international, les trois résolutions votées à l’ONU – les résolutions 2056, 2071, 2085 – ouvrent la voie à une intervention internationale sous responsabilité africaine et avec possible usage de la force, mais sans implication directe de la France.

Il est donc urgent de nous conformer au droit international.

Pour autant, la clarté de notre décision ne s’inscrit pas dans la simplification à outrance ou la caricature d’une situation géopolitique très complexe.

« Faire la guerre contre le terrorisme partout où il se trouve» est une formulation trop stéréotypée, voire fausse pour appréhender de manière exhaustive une problématique malienne et régionale multifactorielle et, je le répète, complexe.

Souvenons-nous du funeste exemple des néo- conservateurs américains et du concept plus que douteux de la « guerre contre la terreur ».

Quelle a été la plus-value de cette stratégie en Irak en 2003 et en Afghanistan, en termes de sécurité ? Les populations civiles ne connaissent – hélas ! –que trop bien le coût exorbitant de telles idées.

D’ailleurs, avons-nous les moyens d’une telle ambition ? Dans ce cas, pourquoi ne pas tirer les conséquences de vos analyses et multiplier le budget de la défense par cinq ?

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Leila Aïchi. De même, je vous rappelle que nous évacuons nos troupes d’Afghanistan après dix ans de guerre, avec des résultats plus que mitigés...

Pour ma part, je ne souscris en rien au concept de « choc des civilisations », alors même qu’il s’agit essentiellement, et nous le savons tous ici, d’un problème d’accès aux matières premières et à l’énergie. Je ne crois pas non plus au caractère irréconciliable de l’opposition entre un Nord-Mali touareg et un Sud-Mali noir. De la même façon, l’antagonisme historique entre une culture nomade et une culture sédentaire ne doit pas être exagéré.

Le prétexte religieux, souvent utilisé dans le cas d’entreprises criminelles, liées pour l’essentiel, on le sait, au trafic de drogues et au trafic d’armes, ne peut en aucun cas tenir lieu d’argument sérieux.

Le groupe écologiste et moi-même sommes favorables au principe d’une intervention immédiate, urgente, humanitaire et limitée dans le temps, et contre le principe d’une guerre s’installant dans la durée.

Nous ne devons ni minorer les risques encourus par la population malienne, ni sous-estimer ceux qui pèsent sur les États de la région, ni encore ignorer les perspectives internes au Mali pour l’après-conflit.

Quel sera le sort réservé aux réfugiés ? La possibilité d’exactions contre la population touareg est plausible, compte tenu de la faible formation de l’armée malienne et des forces de la CEDEAO. La situation explosive de la Libye, de la Côte d’Ivoire et d’autres pays doit nous imposer de réfléchir et de proposer, dès à présent, des solutions pour l’après-conflit.

En tant qu’écologistes et progressistes, nous rejetons avec véhémence toute approche essentialiste des identités. Nous savons où cela mène ! Souvenons-nous du Rwanda, mes chers collègues ... Nous devons donc nous défier de toute lecture ethnique trop simpliste et nous attaquer aux réels problèmes qui minent le Mali. Et ils sont nombreux !

Gagner un conflit, c’est d’abord gagner la paix. Car le pouvoir malien est en pleine décrépitude... Qui gouverne le pays ? Le pouvoir civil ? La junte militaire ? Qu’en est-il de l’état du système judiciaire malien, de son administration, de ses services publics ? Quel est le niveau de corruption institutionnel ? Quel est le rôle des acteurs régionaux ? Quel est le rôle de l’Algérie ?

Pour répondre à toutes ces questions, la France et l’Europe, dramatiquement absente, doivent d’abord porter leur concours à la mise en place d’institutions légitimes et démocratiques pérennes qui répondent aux aspirations de la société civile.

On a fait l’Europe des banques et de la finance. Où en est l’Europe de la défense ?

La mise en place de plans de coopération pour le développement d’économies réellement durables et solidaires doit constituer une priorité. À cet égard, je tiens à saluer le travail de M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement. Il s’agit de favoriser non pas l’installation de multinationales voraces pillant le pays, mais bel et bien le développement solidaire et durable des PME et TPE françaises et maliennes, dans le cadre d’un partenariat équitable.

Il ne faut pas oublier non plus que cette crise est une conséquence historique du colonialisme dans la région et du tracé arbitraire des frontières. La prise en compte de cette dimension est essentielle pour envisager tout processus de sortie de crise.

Enfin, il faut aussi prendre la mesure de la problématique environnementale dans la sous-région sahélienne.

Comme le rappelle l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, la sécheresse entraînée par le dérèglement climatique a réduit, en 2012, la production céréalière du Sahel de 26 % par rapport à l’année précédente. De graves pénuries de fourrage conduisent à la transhumance précoce et à des changements dans les voies empruntées par le bétail, ce qui aggrave les tensions entre communautés ainsi qu’aux frontières. L’insécurité alimentaire et la malnutrition, récurrentes dans la région, menacent directement cette année plus de 16 millions de personnes.

Je ne le répéterai jamais assez, mes chers collègues : au XXIe siècle, la paix et l’environnement sont plus que jamais liés. Combien faudra-t-il de drames humains pour que la France et l’Europe comprennent cette triste réalité ?

Que dire de la crise du Darfour, un conflit qui trouve son origine dans un problème d’accès à l’eau ? Que dire du delta du Niger, ou encore de la Somalie, où la surpêche, phénomène principalement dû aux bateaux-usines des multinationales, crée des pirates en puissance ?

Monsieur le ministre, les conflits du XXIe siècle ne sont plus ceux du siècle précédent.

Le monde a évolué, mais pas notre vision des conflits militaires. Les conflits liés aux guerres territoriales cèdent la place à d’autres, qui sont de nature environnementale et énergétique. J’ai interpellé plusieurs fois le Gouvernement sur ce nécessaire changement de paradigme, sans obtenir de réponse.

L’opération Serval est une nouvelle démonstration de ces cinquante années d’échec de la coopération avec l’Afrique, cinquante ans de pillage des ressources naturelles, cinquante ans de développement gangrené par la corruption, cinquante ans d’incapacité totale à construire des relations durables, respectueuses et équilibrées, bref cinquante ans sans vision ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Le drame qui se déroule aujourd’hui nous impose de remettre en question les relations franco-africaines. Sachez-le, mes chers collègues, les réfugiés climatiques d’aujourd’hui seront les révoltés de demain ! Nous avons la responsabilité historique de mettre en œuvre des instruments de prévention écologique des conflits. (Applaudissements sur certaines travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord vous remercier, au nom du Gouvernement, de la qualité et, j’y reviendrai en conclusion, de la tonalité de vos interventions, qui font honneur à la politique en général et à cette assemblée en particulier.

Je tiens à remercier le président de la commission des affaires étrangères, M. Carrère, pour la force de son intervention, qui a, je crois, reçu un large assentiment. Il a souligné avec raison l’urgence, comprise par tous, d’organiser un débat au Parlement, et la disponibilité du Gouvernement pour venir s’exprimer devant la représentation nationale.

Il a relevé que la France avait été, et depuis longtemps, à l’initiative sur ce dossier du Mali, et a tenu des propos extrêmement justes, repris par plusieurs d’entre vous, sur la menace terroriste. Comme vous tous, il a également rendu hommage à nos soldats.

Je retiendrai en particulier l’une de ses formules, qui recueillera, j’en suis sûr, l’approbation de chacun : « Quand la maison brûle, il faut d’abord éteindre l’incendie ». C’est exactement de cela qu’il s’agit.

Il a enfin tiré à juste titre, comme d’autres, des leçons plus larges de cette intervention militaire, en soulignant que l’on ne peut, d’un côté, saluer la rapidité et l’efficacité d’intervention de nos forces et, de l’autre, ne pas en tirer des conséquences lors de l’examen du budget de la défense et lors de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. On ne peut pas ne pas considérer la cohérence qui doit présider ici.

Mme Nathalie Goulet. Eh oui ! C’était la mauvaise année...

M. Laurent Fabius, ministre. Je remercie M. Cambon de son intervention, qui traduit une grande élévation de pensées.

Aux remerciements qu’il a bien voulu m’adresser, je répondrai que l’intervention du Gouvernement devant le Parlement est prévue par l’article 35 de la Constitution.

Il a souligné le risque que constituait, pour le Mali, mais aussi pour la région et l’Europe, l’installation d’un régime terroriste, et a apporté à l’engagement de la France un soutien non ambigu.

Il m’a aussi interrogé sur le drame intervenu en Somalie. Le ministre de la défense aura l’occasion de lui apporter des réponses plus précises sur ce point lorsqu’il viendra devant le Sénat.

Je tiens, pour ma part, à déplorer ce drame en insistant sur le fait, même si cela est connu, qu’il n’y a aucune corrélation à établir entre les dates des différentes interventions.

Par ailleurs, je veux vous mettre tous en garde, ainsi que l’opinion française, contre une épouvantable instrumentalisation d’une victime française, qu’heureusement la presse ne semble pas avoir relayée. Selon certaines informations qui nous ont été récemment transmises, une autre instrumentalisation, peut-être plus horrible encore, se prépare au sujet de l’un de nos ressortissants ; j’espère que les uns et les autres adopteront la même attitude.

M. Cambon a également soulevé certaines questions posées par l’intervention française. Il n’est en effet pas contradictoire d’apporter un soutien sans faille à notre engagement, comme vous l’avez quasiment tous fait, tout en s’interrogeant sur certains points.

Au travers des interventions de M. Cambon et des orateurs qui se sont succédé, auxquelles j’apporterai une réponse commune, j’ai relevé trois questions principales : le risque d’isolement, le risque d’enlisement et le problème du développement.

S’agissant de l’isolement, la France agit, pour les raisons d’urgence qui ont été rappelées, avec les seuls Maliens. Plusieurs d’entre vous ont souligné que l’armée malienne, pour le moment, était faible. Est-ce à dire que nous allons continuer ainsi ? Pas du tout !

Nous sommes actuellement dans la première phase, celle de l’urgence. Dans une deuxième phase, le plus rapidement possible, nous souhaitons – et nous y travaillons ! – être rejoints par d’autres forces, parmi lesquelles la Mission internationale de soutien au Mali, la MISMA, dont je tiens à souligner – il y a parfois confusion sur ce point – qu’elle sera essentiellement composée de troupes africaines, mais pas seulement. La résolution 2085 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies donne en effet une perspective plus large. Puis viendront, comme nous en aurons la confirmation demain, les militaires chargés d’assurer la formation des troupes maliennes et la sécurisation des formateurs de ces troupes.

Nous ne pouvons certes forcer personne, mais, tout en espérant que la conscience universelle existe, elle qui permet de passer de la conscience à l’action, nous ferons en sorte que d’autres forces, en provenance de différents pays, viennent nous aider.

Il est vrai que nous sommes au premier rang, même si les Maliens sont les initiateurs de cette intervention, mais il faut très vite une seconde phase, afin que nous puissions bénéficier de nombreux appuis.

Tels sont les faits.

Sur le plan diplomatique, à présent, nous ne sommes évidemment pas isolés, c’est même le contraire : il est rare qu’une intervention militaire recueille un soutien international aussi unanime.

Ce soutien durera-t-il ? Je ne peux pas en préjuger, car ce genre de situation est toujours complexe. Quoi qu’il en soit, on ne peut parler l’isolement diplomatique.

Quant à l’isolement militaire, il prendra fin lorsque les militaires français et maliens seront rejoints par d’autres forces, lors d’une deuxième phase qui doit intervenir, je le répète, le plus rapidement possible.

Pour ce qui est de l’enlisement, puisque certains d’entre vous ont prononcé le mot, c’est effectivement une menace, et il faut tout faire pour éviter qu’elle ne devienne réalité. C’est la raison pour laquelle les objectifs de l’opération ont été précisés par le Président de la République, et réitérés par le ministre de la défense et par moi-même.

De ce point de vue, je souhaite apporter une précision. Le fait de définir ces buts, notamment la défense de l’intégrité du Mali et l’organisation d’élections, ne signifie pas, dans notre esprit, que les troupes françaises devront rester sur place, dans les dispositions présentes, jusqu’au « bout du bout » du processus.

Nous sommes présents au Mali, en première ligne, parce qu’il y a urgence, et nous allons apporter tout notre soutien à ce pays ; mais il faut très vite que d’autres relais, notamment politiques, interviennent. Notre présence, que justifient bel et bien ces objectifs, n’est pas subordonnée à leur réalisation totale. J’espère, disant cela, être suffisamment clair.

Mais certains ont parlé de développement. Évitons les faux débats entre nous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Bien évidemment, le sous-développement est une catastrophe absolue. À cet égard, je tiens à faire observer à ceux qui ont rendu hommage à M. Canfin, excellent ministre qui travaille à mes côtés, que, ce faisant, ils ont rendu hommage au Gouvernement. (Sourires.)

Cela dit, il nous faut bien évidemment agir avec plus de force pour le développement : c’est le sens des actions de la France.

Le sous-développement ou le « mal développement » expliquent en grande partie nombre de phénomènes malheureux, voire dramatiques, que l’on constate de par le monde. Mais, et personne dans cette assemblée, fort heureusement, n’a ce sentiment, ce n’est pas parce que le mal développement explique ces comportements qu’il les justifie.

Nous savons tous à quel point le développement et la sécurité sont liés, pour reprendre l’expression utilisée par plusieurs d’entre vous. Mais ne tombons pas dans l’excès qui consisterait à considérer que, dès lors que les populations sont pauvres, tout est justifié. Rien ne justifie le terrorisme ! Je tenais à apporter cette précision, non qu’il y ait eu des dérives, mais afin de m’assurer que nous sommes bien d’accord sur la façon d’aborder les choses.

Mme Demessine a parlé sans ambages. Fallait-il laisser les groupes terroristes conquérir Bamako ? La réponse est clairement : « non » ! Elle a ensuite approuvé, au nom de son groupe, l’intervention de la France, faite en application de l’article 51 de la charte des Nations unies, ajoutant, à juste raison, qu’il fallait isoler les groupes terroristes. Je la remercie de ce soutien même si, comme elle, je me pose quelques questions.

En ce qui concerne les financements, veillons à ne pas prononcer d’accusations à la légère. Je n’entrerai pas dans le détail, mais sachez que nos services ont, à notre demande – et cela ne date pas des derniers jours – conduit des actions afin de déterminer l’origine de ces financements. Certaines accusations ont été portées dont nous n’avons absolument aucune confirmation. C’est un paramètre auquel il faut être attentif.

Pour autant, certains faits sont prouvés, malheureusement ! Drogues, armes, otages, tous ces trafics rapportent des dizaines de millions d’euros. Dans nombre des groupes dont nous parlons, on confond banditisme, terrorisme et affirmation religieuse. Et il faudra que la France soit beaucoup plus active, avec d’autres, sur la scène internationale - c’est l’une des orientations que devront suivre notre diplomatie et l’action gouvernementale – pour lutter notamment contre le développement du trafic de drogues, contre les narco-États terroristes, car le phénomène a pris une telle ampleur, représente de telles sommes, que, si l’on ne donne pas un coup d’arrêt, nous serons désemparés.

Pour ce qui concerne l’Afrique, une grande partie de la drogue provient d’Amérique, notamment d’Amérique du Sud, et aboutit en Guinée Bissau, qui malheureusement devient un narco-État. Une partie des produits circule vers l’est du continent, jusqu’à l’océan Indien, une autre vers le Sahel et remonte vers l’Europe avant, parfois, de repartir vers les États-Unis. Ces pratiques dégagent des sommes telles que si l’Europe, les pays du G8, du G20, et l’ensemble de la communauté internationale ne font pas de la lutte contre le trafic de drogues l’un de leurs objectifs majeurs, beaucoup de ces États, déjà faibles, seront sans moyens d’action.

Mme Demessine s’est également interrogée sur la réalité de la MISMA. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de la défense et moi-même travaillons activement sur ce dossier. Nous avons déjà un certain nombre d’engagements. Nous en aurons d’autres dans les jours qui viennent : il s’agit de faire en sorte que la MISMA soit présente sur le terrain le plus vite possible.

M. Zocchetto, après avoir rendu lui aussi hommage à nos soldats, a souligné le nombre de Maliens vivant en France. Il a, je reprends ses termes, saluer la réponse du Président de la République à l’appel lancé par le Mali. Il a également posé des questions, au reste légitimes, sur la durée de notre intervention, sur le risque d’enlisement.

Il m’a interrogé sur l’absence de concertation. Sachez, monsieur Zocchetto, que la concertation est engagée depuis longtemps. Personne, me semble-t-il, ne conteste que c’est en particulier sur l’initiative de la France que l’affaire a été portée dès les mois de septembre et octobre derniers devant le Conseil de sécurité. À l’époque, les autorités maliennes nous avaient d’ailleurs rendu hommage.

Au sujet de l’intervention proprement dite, des concertations rapides ont eu lieu avec le président des États-Unis et avec nos alliés les plus proches vendredi et samedi derniers. Pour ce qui concerne l’action militaire, nous avons été les seuls sollicités. Si l’on nous avait proposé de venir avec nous… mais on ne l’a pas fait. C’est donc dans le cadre de la MISMA que l’action pourra être conduite d’une manière plus globale. Je reviendrai dans un instant sur la question des otages.

Enfin, M. Zocchetto a insisté, à juste titre, sur les perspectives de solutions politiques.

M. Jean-Pierre Chevènement, qui connaît très bien cette région et qui a une expérience diversifiée compte tenu de ses fonctions ministérielles passées, a apporté des précisions utiles pour aborder la situation dans toute son ampleur.

Il a indiqué, au nom de son groupe, que le coup d’arrêt était nécessaire. Je pense, et je ne suis pas le seul, que, si aucune guerre n’est souhaitable, certaines guerres sont inévitables.

M. Chevènement a souligné qu’il s’agissait non pas d’ingérence, mais d’assistance – j’ai retenu la formule - et il a insisté sur le rôle indispensable de nos partenaires africains. Il a indiqué, avec une pointe d’esprit facétieux dans un débat par ailleurs très dur, que, s’agissant de nos partenaires européens, il avait quelques doutes, mais que l’histoire et ses prises de position l’avaient préparé à cela.

Il a également souligné qu’il fallait frapper vite et fort, éviter les dommages collatéraux, avoir conscience, sans les exagérer, et ce y compris dans l’appui militaire, des problèmes ethniques qui peuvent se poser. Il faut bien évidemment tenir compte des diversités ethniques : les populations arabes ne sont pas les populations noires. Il a par ailleurs rappelé la nécessité de lancer un plan de développement du Sahel.

Il a enfin, avec une grande pertinence, évoqué la situation de l’Algérie, pays qu’il connaît bien, et dont le concours est nécessaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce pays, dans lequel 150 000 personnes ont péri du fait d’actions terroristes, est, au moment où je vous parle, victime d’une nouvelle attaque. Je dispose de renseignements divers en provenance de notre ambassade et de nos services mais, vous le comprendrez, je ne peux, à cette tribune, vous livrer des informations qui ne sont pas encore confirmées.

Je peux simplement vous dire qu’il y a eu une attaque, selon toute vraisemblance, de groupes terroristes ; on parle notamment d’AQMI. Des personnes de plusieurs nationalités sont retenues, mais on ignore encore s’il y a des Français parmi elles. De toute façon, il s’agit à nouveau de personnes qui sont prises en otage, cette fois en Algérie, et par des groupes terroristes. Voilà qui montre bien que nous ne sommes pas confrontés simplement à des actions isolées.

Nous ne pouvons que souhaiter que les événements d’Algérie trouvent une issue la moins tragique possible. Les Algériens doivent bien prendre la mesure du risque encouru.

M. Labbé puis Mme Aïchi sont intervenus au nom du groupe écologiste. J’ai retenu le soutien de M. Labbé, et son hommage, auquel je souscris, à M. Canfin.

Mme Aïchi, après un début d’intervention auquel je peux souscrire, a formulé des interrogations quelque peu surprenantes. Je pense que personne dans cette enceinte, en tout cas pas le Gouvernement, ne recommande un « choc des civilisations ». Cette doctrine, qui a certes été évoquée, n’a pas de sens. Il convient d’éviter les amalgames, et c’est ce que nous faisons. Il faut, sans répit, combattre les groupes terroristes, mais sans assimiler l’ensemble des populations du Nord aux terroristes. Soyons très vigilants sur ce point, et c’est sans doute ce que voulait dire Mme Aïchi.

En revanche, sur la légalité de notre intervention, je ne suis pas tout à fait d’accord avec Mme Aïchi, et, si je m’en tiens à cette litote, c’est parce que j’apprends petit à petit à être diplomate… (Sourires.)

Outre la résolution 2085 du Conseil de sécurité, sans parler des résolutions qui l’ont précédée, notre intervention se fonde sur l’article 51 de la charte des Nations unies, qui explicite le droit à la légitime défense : si le gouvernement d’un pays membre des Nations unies demande au gouvernement d’un autre État membre d’intervenir pour le défendre, cette intervention est légitime.

Sans vous révéler de grands secrets, je puis vous dire que M. Ban Ki-moon a pris la peine de m’appeler et nous avons eu une longue conversation téléphonique. Le secrétaire général des Nations unies a, je reprends ses termes, félicité la France pour sa gestion de la situation, parlant même de « feu vert », ce qui, vous en conviendrez, ne saurait être la marque d’un défaut de légalité internationale.

M. Labbé a par ailleurs souligné, à juste titre, l’importance du rôle joué par les collectivités locales et des liens noués par certaines d’entre elles avec le Mali. À l’avenir, en particulier en matière de développement, nous devrons nous appuyer sur l’effort des collectivités qui connaissent bien les réalités et qui savent à quel point nous avons besoin d’être aux côtés de nos amis maliens.

M. Husson nous a, lui aussi, apporté son entier soutien, et je l’en remercie. Il a souligné la vigilance nécessaire qu’exigeait le terrorisme, demandé un soutien européen accru, autant de points sur lesquels nous nous rejoignons tous.

M. Rebsamen a, comme tous ici, rendu hommage à nos soldats, avec une pensée particulière pour ceux qui sont morts pour la France, dont le lieutenant Boiteux et les membres de la DGSE qui ont perdu la vie.

Il a posé, avec beaucoup de force, la question de savoir ce qui se serait passé sans intervention. Nous sommes tous des responsables politiques et nous savons que la politique n’est pas le choix entre une solution extraordinairement bonne et une autre extraordinairement mauvaise. Si tel était le cas, la bonne décision s’imposerait d’elle-même.

Il fallait faire un choix ; ce choix comportait des risques. Néanmoins, l’absence de choix, qui aurait été un choix inverse, présentait pour les otages, pour le Mali, pour la région africaine, pour la France et pour l’Europe, un risque bien plus grand encore. (Applaudissements.)

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Laurent Fabius, ministre. C’est la raison pour laquelle la décision d’intervenir a été prise.

M. Rebsamen a souligné la légalité internationale de cette intervention, le rôle des Maliens et celui des Européens. Il a rappelé, à raison, le rôle essentiel du Président de la République qui, en qualité de chef des armées, est amené, au fil des conseils de défense et des contacts internationaux, à réaffirmer ses décisions.

Comme l’a également rappelé M. Rebsamen à juste titre, nous n’avons au Mali pas d’intérêts, au sens étroit du mot, à défendre. Il n’y a pas de société, grande ou petite, que nous devrions préserver. D’aucuns ont évoqué l’uranium : à ma connaissance, il n’y a pas de mine d’uranium au Mali. Il y en a au Niger, mais nous n’intervenons pas au Niger.

De toute façon, ce n’est pas ce qui est en cause ici : le Mali est un pays ami, un pays martyr, dont la population risque d’être prise en otage. Il s’agit, pour la France, de défendre les principes du droit international : c’est le sens de notre intervention.

Monsieur Larcher, vous avez affirmé avec force votre confiance dans nos soldats et signalé qu’il existe depuis longtemps des trafics, et pas seulement dans cette région.

Vous avez cité, me semble-t-il, Boko Haram, l’organisation terroriste du nord du Nigéria, pays qui est assez loin du Mali. Et que veut dire Boko Haram en Français ? « Non à l’éducation » ! Le nom de ce groupe terroriste, lié à AQMI et à d’autres mouvements, est donc à méditer. Ce qui se cache derrière tout cela est évidemment redoutable.

Monsieur Larcher, vous avez souligné que, moins de cinq heures après la décision du chef de l’État, une partie de nos soldats étaient déjà sur place.

Vous m’avez interrogé sur les scénarios de sortie. Je crois y avoir répondu en répondant à d’autres intervenants.

Vous avez relevé à juste raison, non sans humour et une certaine distance –, l’amabilité dont nous faisons preuve envers Mme Ashton… (Sourires.) Mais nous ne sommes pas aveugles, et l’amabilité n’exclut pas l’exigence : il faudra à la fois pratiquer l’une et rappeler l’autre !

Comme vous l’avez dit les uns et les autres, il convient évidemment de nouer des contacts politiques avec le gouvernement malien, et ensuite élaborer la feuille de route. Chaque chose en son temps, mais, dans la position qui est la nôtre, nous gardons cela présent à l’esprit.

Avant de conclure, je voudrais vous présenter mes excuses, mesdames, messieurs les sénateurs, si je n’ai pas répondu avec suffisamment de précisions à vos interrogations. J’y reviendrai quand vous le souhaiterez.

Pour terminer, j’évoquerai deux points, d’une part, les otages, d’autre part, le débat de cet après-midi.

Nous avons des otages au Mali. Compte tenu de ce qui s’est passé en Somalie, de la situation dans le monde, en particulier au Sahel, où 30 000 Français sont répartis entre les différents pays de ce vaste territoire, et compte tenu du comportement des groupes terroristes, nous savons que beaucoup de nos compatriotes sont exposés.

C’est la raison pour laquelle la France doit agir, que ce soit chez elle (M. le ministre de l’intérieur acquiesce.) – je salue l’action du ministre de l’intérieur à cet égard – ou à l’étranger, et elle le fait.

Mais, au-delà de ces actions, au-delà de la solidarité dont nous devons faire preuve envers les otages et leurs familles, qui sont en général d’un courage admirable, il faut bien comprendre que, même si nous essayons de toutes les manières possibles de sortir les otages de leur situation tragique, il est très difficile, il est même impossible de céder, car, en cédant aux terroristes, nous condamnons davantage de personnes à devenir otages. C’est vrai dans le cas du Mali, mais c’est vrai ailleurs.

Ce n’est précisément pas lorsque le phénomène devient aussi général, lorsque les groupes sont à ce point armés, lorsque les rançons exigées atteignent des montants aussi inimaginables que l’on peut céder. Nous devons faire tout ce qui est possible pour libérer les otages, mais, dans le même temps, ce n’est pas en cédant aux terroristes que l’on peut protéger nos otages.

Cela doit être médité, car les questions ne seront pas tranchées en quelques jours. Nous espérons le meilleur, bien sûr, nous y travaillons de toutes nos forces, mais c’est une question avec laquelle nous aurons à vivre, mesdames, messieurs les sénateurs.

Enfin, comme je l’ai fait en commençant mon intervention, je tiens à remercier tous les groupes du Sénat de leur soutien et des interventions qui se sont succédé, pas seulement sur le fond, mais aussi pour la tonalité du débat. La Haute Assemblée, comme il est d’usage d’appeler le Sénat, a montré cet après-midi que ce titre était mérité. (Bravo ! et applaudissements.)

M. le président. Nous en avons terminé avec la déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’engagement des forces armées en réponse à la demande d’intervention militaire formulée par le président du Mali, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Jean-Claude Carle.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

Démission d’un membre d’une commission sénatoriale et candidature

M. le président. J’ai reçu avis de la démission de M. François Trucy, comme membre de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

J’informe le Sénat que le groupe UMP a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois en remplacement de M. François Trucy, démissionnaire.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

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élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modification du calendrier électoral

Suite de la discussion d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral (projet n° 166 rectifié, texte de la commission n° 252, rapport n° 250), ainsi que du projet de loi organique relatif à l'élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux (projet n° 165 rectifié, texte de la commission n° 251, rapport n° 250).

Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Alain Richard. (M. le rapporteur applaudit, ainsi que M. Jean-Pierre Michel.)

 
 
 

M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite m’adresser brièvement à vous pour commenter les dispositions du projet de loi relatives aux élections municipales et à l’élection des conseillers communautaires.

À mon sens, nous pouvons tous nous réjouir d’un choix politique judicieux et partagé.

Chacun a à l’esprit les dispositions en question, à savoir ce que l’on nomme le fléchage, c'est-à-dire l’identification des candidats au poste de conseiller communautaire sur les listes municipales présentées aux électeurs. Cette formule était également prévue dans un projet de loi déposé au cours de la précédente législature, qui devait accompagner la réforme territoriale mais qui, pour diverses raisons que certains de nos collègues évoqueront peut-être, n’a jamais été mis en discussion.

Ainsi, cette formule novatrice constitue une évolution, mais non une rupture. Elle ouvre la voie à un progrès de la participation démocratique à la vie et aux choix politiques des intercommunalités.

Cette nouvelle règle électorale, qui mettra physiquement sous les yeux des électeurs la composante intercommunale de leur choix, va nécessairement se traduire dans les campagnes électorales précédant les élections municipales. Ainsi, on observera une prise en compte plus ou moins intense des enjeux intercommunaux dans les débats démocratiques qui animeront ces élections. Nous faisons enfin entrer de plain-pied dans la compétition démocratique la réalité intercommunale et l’existence de projets et de choix qui peuvent être alternatifs dans la vie des communautés urbaines, des communautés d’agglomération et des communautés de communes.

Certes, selon les contextes locaux, certaines listes électorales seront plus incitées que d’autres à ouvrir le débat intercommunal, souvent, peut-être, à partir d’une position plus contestataire, plus critique. Mais le simple fait qu’une compétition démocratique existe et que certains enjeux, certains éléments de débat de la vie intercommunale seront soumis aux électeurs avec une sanction directe, c'est-à-dire une motivation de vote nouvelle pour les différentes listes en présence, constituera une avancée réelle : nos concitoyens prendront pleinement conscience que leurs décisions concernent également l’avenir de leur intercommunalité, de leur communauté.

Bien sûr, l’une des conséquences majeures de ces dispositions que nous allons inscrire dans le réel et mettre en pratique d’ici à dix-huit mois, l’un des effets de ce changement du mode de scrutin sera la généralisation de la présence des minorités municipales. Des représentants des différentes tendances siégeront donc au sein des conseils communautaires.

Dans un premier temps, cette évolution sera peut-être considérée comme un peu dérangeante, dans la mesure où elle est susceptible de bouleverser des habitudes – parfois respectables – de recherche du consensus. Toutefois, elle ouvrira les yeux des citoyens sur le fait que des choix, des tendances et des objectifs politiques différents peuvent être légitimement défendus au sein des assemblées intercommunales.

À cet égard, je souhaite appeler le Gouvernement à réfléchir sur cette question : faut-il aller plus loin ? Est-il judicieux, alors que nous adoptons cette réforme destinée à s’appliquer dans dix-huit mois, d’anticiper et d’engager dès à présent la réflexion sur un mode de scrutin adapté à la situation des métropoles, d’instaurer pour l’avenir une relation d’une autre nature entre communes et communautés ?

C’est une tentation forte, que nous observons depuis un temps déjà respectable, chez les dirigeants de certaines grandes communautés. Néanmoins, je souligne que cette tentation soulève une question existentielle dans notre démocratie locale et dans son système de gestion : veut-on rompre le lien entre commune et communauté ?

M. Pierre-Yves Collombat. Bonne question !

M. Alain Richard. Ne risque-t-on pas d’effacer la légitimité démocratique des élus communaux, s’ils ne disposent plus de la moindre représentation dans des instances qui, pourtant, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel, exercent des compétences au nom des communes ?

M. Philippe Bas. Exactement !

M. Alain Richard. Lorsque nous débattrons de la question des métropoles, nous devrons donc, à mon sens, nous poser de vraies questions sur l’existence, ou non, d’un progrès dans cette formule, alors que, pour l’heure, nous opérons déjà une réelle avancée via la combinaison des deux élections.

Ainsi, je tiens à exprimer ma satisfaction à l’égard du système équilibré et riche d’ouvertures démocratiques que nous allons adopter via le présent projet de loi, tout en lançant un appel à la réflexion, au sein du Gouvernement comme du Parlement, pour déterminer s’il est réellement judicieux d’aller plus loin.

J’ajouterai de très brèves remarques concernant les deux évolutions opérées, par le présent texte, concernant le scrutin municipal lui-même.

Premièrement, le choix du seuil de 1 000 habitants pour l’application du système de la liste groupée et de ce que je nomme la « semi-proportionnelle » me semble pertinent. Pour ceux qui, il y a fort longtemps, ont pris part à l’élaboration de ce mode de scrutin, dans un contexte qui n’était pas entièrement pacifié, c’est une satisfaction de constater que ce système est à présent accepté par tous, tandis que l’équilibre démocratique et l’équilibre de capacité de gestion qu’il a instaurés sont reconnus par chacun.

À mes yeux, ce seuil de 1 000 habitants est le bon. Bien entendu, de nombreux maires qui, sans être totalement victimes du panachage, ont été éprouvés par cette formule, demandent que ce scrutin s’applique même dans des communes plus petites. Toutefois, je ne suis pas certain que les électeurs des communes concernées exprimeraient nécessairement la même préférence. Mieux vaut y songer avant de prendre une décision.

Deuxièmement, je remercie le Gouvernement de la compréhension dont il a fait preuve sur ce sujet : de fait, à la suite des états généraux de la démocratie territoriale, nous étions nombreux à souhaiter qu’une déclaration de candidature devienne obligatoire dans toutes les communes. Le Gouvernement s’est assuré que les services de l’État étaient en mesure d’assurer la mise en œuvre d’une telle réforme, qui représente, pour eux, une charge de travail importante. C’est là une étape heureuse, nouvelle et marquante de l’évolution de notre démocratie locale. Au demeurant, elle coïncide avec l’achèvement de la carte intercommunale.

Je le sais, ni l’une ni l’autre de ces deux réformes n’est aisée, et l’achèvement de la carte intercommunale ne s’accomplit pas partout dans la plus parfaite concorde. M’adressant, en cet instant, à un ministre dont les conceptions réformistes rejoignent en grande partie les miennes, je n’en ai que plus de force pour affirmer que, lorsque l’on mène une belle réforme, il importe par-dessus tout de l’intégrer dans le paysage et de laisser la société la digérer, avant de songer à la suivante. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Michel Delebarre, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, reconnaissons que notre société est en permanente évolution et que, parallèlement, son organisation doit suivre les mutations successives et s’adapter à elles.

M. Philippe Bas. Tout à fait !

M. Jean Boyer. Comme l’a écrit un auteur que j’admire, Saint-Exupéry, « Dans la vie, il y a le passé, où sont nos souvenirs » – personnellement, j’ajouterais peut-être nos regrets, y compris pour ce qui concerne les décisions publiques – « l’avenir, où sont nos espérances » – nous devons remplir notre mission de bâtisseur de la société de manière constructive, et bien sûr non partisane – « et il y a le présent, où sont nos devoirs. »

Or notre mission est de bien définir et de construire objectivement l’avenir, en le regardant en visionnaires, y compris dans les territoires ruraux, qui n’ont pas mérité de subir une sanction. Je le souligne devant M. le ministre, pour qui, je le dis publiquement, j’ai une indiscutable considération.

Comme nous le savons tous, la France urbaine et la France rurale ont évolué. Depuis un demi-siècle, dans nombre de départements, le rapport de population entre la seconde et la première, de l’ordre jadis de 80 % à 20 %, s’est inversé. Je suis élu d’un territoire rural et montagneux. Sur les 260 communes que compte mon département, 249 sont classées en zone de montagne et 186 en zone de revitalisation rurale, ou ZRR. Ces 186 communes représentent près de 70 % du territoire départemental, avec des centaines de kilomètres de voirie rurale, communale, vicinale ou départementale.

De surcroît, ces territoires s’expriment en faveur du maintien des services publics, notamment le ramassage scolaire, pour n’en citer qu’un parmi d’autres.

Toutefois, malgré la volonté, la richesse économique ne vient pas facilement car, on le sait, les entreprises vont là où elles veulent, et non là où on veut les faire aller. Les handicaps de la montagne sont d’ailleurs reconnus par la politique agricole commune – c’est un ancien agriculteur qui vous parle – non pour donner un privilège aux territoires concernés, mais pour atténuer les disparités existantes.

J’ai cité l’exemple de la Haute-Loire, car je le connais bien, et même très bien, mais cette réalité pourrait être transposée dans beaucoup d’autres départements français.

Mme Nathalie Goulet. Dans l’Orne, par exemple !

M. Jean Boyer. Or le projet de loi n’associe pas suffisamment l’espace à gérer à la présence des hommes. Il va aggraver les différences, il va décourager les volontés : nous n’en avons pas le droit !

Monsieur le ministre, reconnaissons que les gouvernements, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui, admettent mal qu’il y ait une France rurale, une France silencieuse, une France presque de l’oubli, mais une France qui compte des élus et des petites communes. Ils souhaiteraient donc tout regrouper comme dans une copropriété ; resterait simplement à entretenir le parking et la station d’épuration ! Mais il y a également des dizaines et des dizaines de kilomètres de chemins à entretenir…

À cet égard, je tiendrai les mêmes propos qu’il y a quelques années. En effet, en tant que rural, lorsque l’on vit les problèmes sur le terrain, on n’a certes pas plus de compétences, mais on a peut-être plus que d’autres la farouche détermination de répondre aux problèmes posés. Il ne doit pas y avoir des territoires sans hommes, de terres sans avocats ! Le futur conseiller départemental ne doit être ni un représentant de commerce ni un voyageur kilométrique, qui se découragerait face au temps passé sur les routes ou les chemins difficiles. Et, pour joindre son binôme au téléphone, le conseiller départemental cherchera en vain à recourir à la téléphonie mobile, qui reste en sommeil dans nos territoires !

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jean Boyer. Oui, je suis de ceux qui ont déposé des amendements, afin d’aller dans le sens qui me semble le bon. De fait, moins il y aura d’élus dans les territoires ruraux, moins la population sera sécurisée, et plus elle sera incitée à quitter les campagnes pour rejoindre les villes, en particulier les grandes agglomérations.

Assurera-t-on une plus grande efficacité, en gardant le même nombre de conseillers départementaux, avec des responsabilités partagées dans tous les domaines politiques ou associatifs ?

On l’observe, les binômes ne fonctionnent pas. Imaginez s’il y avait deux préfets pour un même département, deux présidents pour un même conseil général !

M. Jean-Claude Lenoir. Bon exemple !

M. Claude Haut. Il y a bien parfois deux sénateurs pour un département ! (Sourires.)

M. Yves Daudigny. Le mariage, c’est pourtant un bon binôme ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean Boyer. Je citerai un exemple très concret : lorsqu’une association locale ou nationale est dotée d’une coprésidence, le plus souvent, cela va mal et, d’ailleurs, cela ne dure pas longtemps…

Chers collègues, à Paris, à Marseille ou à Lyon, un conseiller général connaît son territoire, mais les électeurs, eux, ne le connaissent pas. En revanche, en zone rurale, dans un département comme la Haute-Loire, lorsque nous nous rendons au sein des associations, nous n’avons pas besoin de porter un badge ou de présenter notre carte d’identité, parce que nous sommes connus ! Notre rôle, c’est précisément de mettre un nom et un prénom sur les visages de ceux avec qui nous avons en partage un même pays. En revanche, j’ouvre une parenthèse pour rappeler que, si l’on peut chez nous oublier sa carte d’identité, il faut avoir sur soi son portefeuille : l’amitié doit se concrétiser ! (Sourires.)

Alors, non, le gouvernement d’aujourd’hui pas plus que celui d’hier ne souhaite prendre en compte ce que j’appellerai « l’espace à gérer ».

Je voudrais vous présenter en conclusion un exemple qui devrait nous faire réfléchir.

J’ai fait procéder à une projection vraisemblable des futurs cantons de Haute-Loire. L’urbain s’étend actuellement sur 800 hectares, en prenant comme base les 12 400 habitants de la référence départementale, mais, selon nos simulations, certains des futurs cantons pourraient s’étendre sur 106 400 hectares ! Je tiens le détail de ces chiffres à la disposition de qui pourrait douter de la véracité de mon propos.

Monsieur le ministre, peut-on penser que tout cela est raisonnable ?

Si nous ne changeons pas les règles envisagées, nous rencontrerons de nombreux obstacles. Alors, je vous en prie, avant de mettre en place ces structures invraisemblables, réfléchissons, et décidons objectivement. La France rurale vous en remerciera.

Je termine tout à fait en répétant que votre action, monsieur le ministre, est appréciée par beaucoup, dont je suis. Vous pourrez me répondre que je m’occupe de ce qui ne me regarde pas, mais ne pensez-vous pas que ce projet de loi risque de ternir cette bonne image, celle d’un homme clair, déterminé, d’un homme en qui on peut avoir confiance ? Pour ma part, je suis certain que ce sera le cas.

Face à l’ancien gouvernement, monsieur le ministre, j’aurais manifesté la même opposition et émis le même vote, parce que je vis depuis soixante-quinze ans au même endroit, là où je suis né. Il est normal qu’un élu d’un département rural vous apporte le message de la France d’en bas ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon temps de parole étant réduit, j’irai à l’essentiel, et je réserverai de plus amples développements à la discussion des amendements que j’ai déposés, seul ou accompagné.

Le premier sujet est l’élection des conseillers communautaires et, par ricochet, la révision du mode d’élection des conseillers municipaux des communes de moins de 3 500 habitants.

Sur le fond, ce texte me pose d’autant moins de problème qu’il répond à une attente ancienne des maires ruraux de France.

« L’intercommunalité, le projet de développement intercommunal, doivent aussi être au cœur du débat démocratique. Le meilleur moment reste encore celui des élections municipales. En choisissant les membres du conseil municipal, les électeurs désigneraient, en même temps parmi eux les représentants de la commune au sein des organismes de coopération intercommunale » peut-on lire dans le Manifeste pour le monde rural de l’Association des maires ruraux de France, l’AMRF. Le rappel de ce texte datant de 1994 est destiné à ceux qui tiennent les élus ruraux pour d’incurables retardataires...

Ils le sont si peu, qu’ils souhaitent voir la modernisation annoncée aller jusqu’au bout des principes qui la portent, avec la généralisation à toutes les communes du mode de scrutin appliqué aujourd’hui aux communes de plus de 3 500 habitants. On aura l’occasion d’y revenir.

Beaucoup moins consensuelles sont les suites post mortem du conseiller territorial.

Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !

M. Pierre-Yves Collombat. En effet, si le défunt conseiller territorial laisse derrière lui peu d’orphelins éplorés, le mode de scrutin choisi pour désigner le conseiller départemental qui le remplacera fera des victimes, et elles ne seront pas forcément consentantes.

L’élection d’un binôme paritaire dans des cantons deux fois moins nombreux qu’actuellement donne en effet une impression de bricolage pyrotechnique. (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

En tout cas, l’originalité de la formule peine à en masquer les inconvénients et rien ne garantit que ses promoteurs en tireront les bénéfices électoraux attendus

Le principal inconvénient d’un tel mode de scrutin, c’est qu’en accentuant encore le manque de signification des circonscriptions pour la population et les électeurs, il rendra les conseillers départementaux ruraux moins identifiables que les conseillers généraux actuels, sans pour autant améliorer la visibilité des conseillers urbains, actuellement inexistante.

M. Jackie Pierre. C’est vrai !

M. Pierre-Yves Collombat. Je vois un autre inconvénient majeur dans la réduction, sévère, de la représentation des territoires ruraux dans les départements, et ils sont très nombreux, où la population n’est pas répartie de manière homogène. En zone rurale, il y aura des cantons aussi vastes que ceux qui étaient envisagés pour l’élection des conseillers territoriaux !

On peut enfin s’interroger sur les risques de développement d’un syndrome de diplopie binoculaire chez l’électeur en cas de désaccord au sein du binôme. Qui vivra verra probablement ce qui va se passer !

Tout en sachant que je prêche dans le désert, je persiste à penser que d’autres formules sont possibles. Le choix n’est pas restreint entre le mode de scrutin proposé et le scrutin proportionnel départemental : il existe des alternatives,…

M. Pierre-Yves Collombat. … mais je m’en expliquerai plus tard.

Reste ce dont le texte ne parle pas, c'est-à-dire le rétablissement de fait du mode de scrutin actuellement utilisé pour l’élection des conseillers régionaux. S’il donne une prime appréciée aux appareils partisans, ce mode de scrutin se révèle très défavorable à la représentation des territoires ruraux, plus encore que celui qui avait été choisi pour l’élection des conseillers territoriaux, qu’il remplace.

Ainsi, dans ma région, Provence-Alpes-Côte d’Azur, les Alpes de Haute-Provence vont-elles désigner quatre représentants élus à la région.

M. Pierre Bernard-Reymond. C’est pareil pour les Hautes-Alpes !

M. Pierre-Yves Collombat. Le schéma du conseiller territorial, que nous avons combattu, que j’ai combattu, en prévoyait quinze.

S’agissant du scrutin régional, on peut donc considérer que c’est une régression.

J’ai présenté, avec d’autres, des amendements pour y remédier, l’un garantissant qu’aucun département ne disposerait de moins de cinq sièges, l’autre de sept.

Très discrétionnairement, le Saint-Office financier du Sénat (Exclamations.) a cru bon d’opposer l’article 40 à l’un des deux, interdisant de ce fait le débat. Je voudrais donc présenter toutes mes félicitations à M. Philippe Marini pour son sens de la provocation !

Mon dernier point concerne la proposition de la commission des lois, pour le moins risquée, de lier le débat sur le cumul des mandats à la question des modes de scrutin, en ajoutant un article nouveau au projet de loi organique. Comme s’il n’y avait pas suffisamment de sujets urticants dans ce texte !

Il n’est pas question pour le RDSE de traiter d’une question aussi complexe et sensible, liée au statut de l’élu et au rôle du Sénat, au détour d’un texte dont ce n’était pas la vocation initiale.

Si le texte finalement adopté devait être pire que celui que nous avons combattu, que j’ai combattu pied à pied il n’y a pas si longtemps, ce qui paraît de plus en plus probable, il ne faudra pas s’étonner que des voix manquent à l’appel. La première fidélité, c’est la fidélité à soi-même et, pourquoi pas ? à ceux que l’on représente ! (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC, ainsi que sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans une démocratie, une réforme des modes de scrutin est toujours, par définition, un moment important. Le débat qui la précède est donc riche d’enseignements sur la représentation que nous nous faisons de nos priorités de gouvernance.

Nous vivons donc des débats qui balayent large et présentent une photographie d’enjeux allant parfois de la défense de nos valeurs fondamentales à des calculs plus boutiquiers intégrant les rapports de force électoraux entre majorité et opposition.

La précédente réforme, durant le mandat du président Sarkozy, avait peu dit de nos valeurs communes, se concentrant justement sur des calculs bien précis, avec l’invention du conseiller territorial, à la fois régional et départemental, qui, élu de son mini-territoire, aurait peut-être pu aider la droite à conserver ou à reconquérir quelques régions et départements. Telle était en tout cas l’idée.

M. Éric Doligé. Mauvais esprit !

M. Ronan Dantec. Fort heureusement, le calcul a été déjoué, mais nous ne pouvons qu’être atterrés de la capacité de la précédente majorité à faire fi de ce qui fonctionnait bien, en l’occurrence le scrutin régional, parfaitement compris par les électeurs, et à privilégier quelques calculs particuliers plutôt que l’intérêt général.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Ronan Dantec. Avec l’abrogation du conseiller territorial et le retour aux anciennes modalités électorales, la loi présentée aujourd’hui rend d’abord au scrutin régional une procédure démocratique lisible. C’est conforme à l’intérêt général, et ce sera pour nous la principale raison de voter cette loi. Toutes les voix ne manqueront donc pas !

En termes de valeurs, cette loi est aussi une nouvelle étape de ce long, bien trop long chemin pour, enfin, atteindre la parité dans nos institutions. En imposant l’élection d’un couple homme-femme ou, pour mieux dire, d’un duo – terme plus approprié si l’on veut éviter de réveiller les nostalgies conservatrices qui s’expriment beaucoup actuellement (Protestations sur les travées de l'UMP.) –, le législateur dit sa volonté de construire la parité dans de nouvelles instances. C’est une avancée, mais elle devra être confirmée demain dans certains des derniers bastions inégalitaires – je regarde la droite de notre assemblée –, tout à fait contradictoires avec des démocraties modernes. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Peut-être faudrait-il approfondir l’idée, évoquée hier, de généraliser ce nouveau mode de scrutin départemental à nos propres assemblées !

Expression de cette capacité de la loi électorale à intégrer les évolutions de notre société, notons aussi le renforcement de la représentation urbaine dans les conseils départementaux. Certains s’en sont inquiétés. Il ne s’agit pas de supprimer toute représentation rurale dans ces conseils, mais, étant donné le rôle des conseils départementaux dans les politiques sociales, il est tout de même très normal de renforcer la représentation urbaine. Nous savons bien que nombre de problèmes sociaux se concentrent dans nos agglomérations. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Mme Nathalie Goulet. Pas seulement !

M. Jean-Claude Lenoir. Quelle méconnaissance de la réalité !

Mme Cécile Cukierman. Il y a aussi des petites communes, dans les agglomérations ! Et la crise frappe partout !

M. Ronan Dantec. Je ne dis pas que ce n’est pas le cas dans le monde rural, ne vous méprenez pas sur mes propos ! (Protestations renouvelées sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Laissez l’orateur s’exprimer, mes chers collègues !

M. Ronan Dantec. Permettez-moi néanmoins de regretter qu’au-delà de ces corrections et de ces avancées réelles la loi ne réponde pas à d’autres enjeux.

Je ne reviens pas sur l’absence d’introduction d’une dose de proportionnelle dans le scrutin départemental, ma collègue Hélène Lipietz en a parlé hier soir. C’est évidemment très regrettable, mais nous ne désespérons pas que le débat de ces prochains jours nous offre l’occasion de quelques avancées sur ce point.

J’évoquerai surtout le scrutin d’intercommunalité, où l’absence de scrutin direct nous fait clairement rater une étape. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)

J’entends bien la difficulté posée par le calendrier, et la volonté de respecter l’usage et donc de clore l’examen de la loi plus d’un an avant les élections municipales, mais nous pouvons penser que la proposition discutée aujourd’hui a déjà presque une loi de retard.

Nous espérons en effet que la future loi sur la décentralisation confortera fortement les compétences des intercommunalités. À cet égard, le simple fléchage sur les listes municipales des futurs conseillers communautaires ne correspond pas à l’importance que prend dans notre pays la communauté de communes, et je pense tout particulièrement aux futures communautés métropolitaines aujourd’hui annoncées.

Fort de mon expérience, mais nous sommes nombreux à la partager, je peux dire que le mode de scrutin actuel, finalement assez peu modifié, conduit à réduire la place faite, durant la campagne des élections municipales, au débat sur les grands choix qui seront faits par l’intercommunalité. (M. Alain Richard s’exclame.) Généralement, seule la ville-centre s’empare vraiment du débat d’agglomération, son maire étant d’ailleurs, la plupart du temps, appelé à en devenir le président. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Il suffit, pour s’en convaincre de comparer les professions de foi des listes entre la ville-centre et les petites communes au moment des élections municipales.

Ainsi ce mode de scrutin renforce, dans les communes périphériques, le sentiment d’être en position de spectateur des choix futurs du conseil communautaire. Voilà une organisation du débat public par le mode d’élection qui aboutit à ce curieux paradoxe que des habitants de grandes agglomérations n’ont pas tous le même sentiment d’appartenance politique à un territoire urbain qui est pourtant l’espace de vie commun !

Le renforcement de l’intercommunalité doit donc aller de pair avec le renforcement du débat démocratique d’agglomération, ce qui ne sera possible que par la mise en place d’un mode de scrutin direct.

Vous connaissez, monsieur le ministre, l’attachement des écologistes à ce dossier, et nous serons vigilants, lors des débats sur la future loi de décentralisation, aux précisions qui seront apportées pour qu’en 2020 le mode de scrutin réponde aux compétences.

J’ai bien noté, dans votre propos d’hier soir, que le mode de scrutin proposé, l’était « à ce stade ». C’est un stade qu’il nous faudra donc dépasser !

Au vu des avancées actuelles du texte que vous présentez, monsieur le ministre, nous voterons ce projet de loi, mais nous espérons sincèrement que le débat parlementaire et les amendements déposés permettront de l’améliorer, pour un renforcement ambitieux de la démocratie locale. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.

M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je limiterai mon intervention à quelques points.

Tout d’abord, je suis satisfait de constater que le Gouvernement se rallie au processus de généralisation, de renforcement et d’approfondissement de l’intercommunalité prévu dans la loi de décembre 2010, et ce malgré le texte que notre assemblée a adopté voilà un an, sur l’initiative de sa nouvelle majorité.

Nous allons donc uniquement discuter des élections, puisque, monsieur le ministre, vous vous intéressez davantage, et de manière plus urgente, aux conditions de désignation des membres de nos assemblées locales qu’aux conditions de plus en plus contraintes d’exercice de leurs responsabilités.

S’agissant des élections municipales, le blocage des listes de candidatures à partir de 1 000 habitants me paraît néfaste : il privera le monde rural d’une liberté, celle de choisir ses élus sans que ce choix lui soit dicté par ceux qui établissent les listes. Nos communes rurales échappaient jusqu’à maintenant à l’esprit partisan ; vous allez l’inoculer, monsieur le ministre.

Concernant la désignation des délégués communautaires, je préférerais qu’ils demeurent les délégués de la commune.

Nos cantons sont une belle réalité. Nés au lendemain de la Révolution, ils sont devenus territoires d’élection au début de la IIIe République, c’est-à-dire au moment précis où naissait notre tradition républicaine. Depuis quarante ans, leur nombre a été augmenté pour améliorer leur représentativité. Cependant, il n’est pas rare que certains conseillers généraux représentent dix fois plus d’habitants que d’autres. On ne peut se satisfaire d’un tel constat.

Mme Corinne Bouchoux. C’est vrai !

M. Philippe Bas. Vous proposez, monsieur le ministre, de remplacer les cantons par des circonscriptions en moyenne deux fois plus peuplées, avec chacune deux élus. Ce dont il est question ici est donc non pas un simple redécoupage, mais bien la refonte intégrale de la carte cantonale. Or cette carte ne doit pas être établie discrétionnairement par le Gouvernement sous la seule réserve qu’il respecte une condition arithmétique. Vous aurez beau revendiquer, monsieur le ministre, le privilège du pouvoir en place, ce ne serait pas convenable.

Il importe que la délimitation des nouveaux cantons soit impartiale. Votre gouvernement pourrait facilement faire reconnaître sa bonne foi en acceptant des garanties qui ne lui demanderaient guère d’efforts compte tenu des vertueuses intentions qu’il proclame au nom de la « transparence et de la déontologie de la vie publique » !

Monsieur le ministre, ce qui serait conforme à la « transparence » et à la « déontologie », c’est que, après consultation des conseils généraux, la carte cantonale soit soumise à une commission de sages indépendante et impartiale, puis à une instance de concertation au sein de laquelle tous les groupes parlementaires des deux assemblées seraient représentés.

M. Pierre-Yves Collombat. Faisons appel à Gélard ! (Sourires.)

M. Philippe Bas. Le rôle précis de chacune de ces instances, leur indépendance, les documents qui leur seraient remis, la publicité qui serait donnée à leurs travaux sont la condition de la confiance, pas seulement la nôtre, monsieur le ministre, mais celle de nos concitoyens.

Mais il est une autre difficulté. Par un simple choix de vocabulaire, les territoires d’élection des conseillers départementaux porteraient encore le nom de « cantons », mais sans avoir le moindre rapport avec les cantons actuels.

Or, en France, un canton, c’est un peu plus qu’un mot ; c’est une réalité géographique et historique, une réalité humaine, aussi, que l’on ne peut faire disparaître d’un simple trait de plume. Il ne suffit pas d’appeler « cantons » les nouveaux territoires à créer pour faire droit à cette forte réalité.

Avec les nouveaux cantons, il s’agit d’assurer la représentation démocratique de nos territoires au sein de l’assemblée départementale. Nous devrions donc être à la fois plus libres que pour les circonscriptions législatives, par rapport aux équilibres démographiques, et plus contraints, par rapport aux réalités territoriales héritées de la tradition républicaine.

Nous demandons que le découpage des nouveaux cantons tienne compte des cantons existants et respecte les limites des circonscriptions législatives actuelles ou, à défaut, celles des arrondissements. Nous souhaitons que l’on travaille à partir de l’existant : ici, par regroupement des cantons les moins peuplés ; là, par division des cantons les plus peuplés, en ne séparant les communes d’un même canton que par exception.

Pour faciliter cette prise en compte, il faut se donner suffisamment de marge par rapport à la moyenne départementale en acceptant la possibilité d’un écart de population entre les nouveaux cantons plus important que celui que vous prévoyez : pour ce qui nous concerne, nous proposons 50 %. Le poids démographique des cantons variera alors de un à trois, quand l’écart peut aller aujourd’hui de un à dix, et parfois beaucoup plus !

M. Pierre-Yves Collombat. Un à quarante !

M. Philippe Bas. Un autre aspect de votre texte, sous une intention apparemment louable, soulève des difficultés au regard de notre tradition républicaine ; je veux parler de l’obligation de présenter ensemble, dans chaque nouveau canton, une candidate et un candidat.

Passons sur le fait que la coexistence de deux élus sur un même territoire suscitera d’inévitables tensions, et c’est contesté jusque dans vos rangs. Toutefois, se pose un problème de principe : la discrimination positive est contraire à nos principes d’égalité républicaine.

Pour faciliter la participation des femmes à la vie publique sans porter atteinte à la liberté du suffrage et à l’égal accès aux fonctions électives, il avait fallu réviser la Constitution. Ce fut fait sur l’initiative du président Chirac, sur proposition du Premier ministre Jospin.

Toutefois, si le texte ajouté en 1999 à l’article 1er de la Constitution permet de déroger à nos principes constitutionnels pour « favoriser » – c’est le verbe utilisé – l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs, il ne va pas jusqu’à rendre la parité obligatoire. « Favoriser » la mixité n’est pas « imposer » la parité !

L’invitation faite au législateur, s’agissant d’une dérogation à un principe fondamental, doit être interprétée strictement. Il est loyal de vous mettre en garde sur ce point, monsieur le ministre.

L’obligation faite aux suppléants d’être du même sexe que les titulaires aggrave cette incertitude constitutionnelle. Il y a là une démarche rigide et autoritaire que l’on est en droit de trouver excessive.

Enfin, la réforme territoriale de 2010 mettait un terme à une anomalie démocratique, les conseillers régionaux étant les seuls parmi les élus de nos territoires à être désignés à la représentation proportionnelle intégrale. Or vous rétablissez le système ancien.

Le mode de scrutin proportionnel intégral présente pourtant trois inconvénients majeurs : les électeurs n’ont plus aucun lien personnel avec leurs élus ; ceux-ci représentent non plus des territoires, mais des partis ; les assemblées sont le théâtre d’arrangements successifs au détriment d’une politique cohérente. Ce n’est décidément pas le bon modèle pour l’expression de la volonté populaire.

Monsieur le ministre, plus les difficultés s’accumulent, plus le principe de réalité s’impose à votre politique économique, au préjudice parfois de l’unité de votre coalition, et plus l’immense besoin de sécurisation de vos positions électorales semble s’imposer à vous comme une urgence. On parle aujourd'hui de grand chambardement dans les modes de scrutin !

M. Roland Courteau. N’est-ce pas un peu exagéré ?...

M. Philippe Bas. Ce que vous n’espérez plus obtenir de la confiance des Français, vous le réclamez donc désormais de la loi électorale. Nul ne peut plus être dupe de vos intentions, qui ne sont ni transparentes ni déontologiques ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après tant de menaces, d’attaques frontales ou masquées, après l’épisode du conseiller territorial avorté, ce projet de loi, au travers de ses dispositions visant à proposer un nouveau mode d’élection des futurs conseillers départementaux, marque une étape importante dans la réaffirmation de la pertinence, de l’efficacité, du caractère novateur et réactif de l’action publique départementale.

Au cœur de cette action publique, je vois la mise en œuvre des solidarités humaines et territoriales, dont le fondement est la proximité des citoyens, des collectivités locales, des associations, des acteurs économiques, dont la force est la volonté constante de prendre à bras-le-corps les problématiques d’avenir telles que le numérique, le haut débit, l’éducation ou encore la santé.

Un simple maintien de l’échelon départemental n’aurait que peu d’intérêt, au moment où se met en place une rénovation de nos institutions et de nos collectivités et à l’heure où se dessine un nouvel acte de la décentralisation. Le département est une institution vivante, qui évolue, réagit et s’adapte. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

C’est certainement une petite – peut-être une grande ? – révolution que contient le présent projet de loi dans la volonté de faire élire dorénavant au scrutin majoritaire à deux tours dans chaque canton deux conseillers, que nous appellerons par cohérence, et pour retracer le lien entre le département, son assemblée et ses élus, « départementaux » et non plus « généraux ». Les candidats, qui se présenteront constitués en binôme solidaire devant le suffrage, devront, dans tous les cas, être un homme et une femme.

À celles et ceux qui s’inquiètent de la manière dont ce binôme travaillera et se répartira dossiers et compétences, je dis mon étonnement. Quelle est donc cette vue pessimiste des choses ? Que faites-vous de l’intelligence, du bon sens, de la raison,…

M. Antoine Lefèvre. La raison ?...

M. Yves Daudigny. … de l’imagination d’un homme et d’une femme élus solidairement (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

M. Michel Delebarre, rapporteur. Très bien !

M. Yves Daudigny. … et de leur capacité à organiser de façon pragmatique l’exercice de leurs deux mandats sur un même territoire ? Et n’en est-il pas d’ores et déjà ainsi pour les sénateurs élus dans les départements de moins de quatre sièges ?

M. Éric Doligé. Ce n’est pas comparable !

M. Yves Daudigny. Valorisons au contraire l’image de ces futurs élus qui, se saisissant avec enthousiasme de ce nouveau mode de scrutin et des pratiques qu’il va susciter, le feront vivre démocratiquement et lui donneront consistance et assurance pour l’inscrire dans la modernité.

M. Bruno Sido. Ce n’est pas vrai !

M. Yves Daudigny. Ayons confiance dans le souci de ces nouveaux élus de conserver une proximité avec leur territoire. Ayons confiance dans leur volonté de faire émerger une réelle représentativité. Ayons confiance dans leur détermination à élaborer des politiques cohérentes, et ce dans le respect de l’intérêt général.

Mes chers collègues, le scrutin binominal majoritaire est une innovation majeure pour notre démocratie.

M. Roland Courteau. Absolument !

M. Yves Daudigny. Avec la réforme constitutionnelle de 1999 relative à l’égalité entre les femmes et les hommes, puis l’entrée en vigueur de la loi du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, la parité dans la vie politique s’est améliorée. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de notre République, un gouvernement est composé d’autant de femmes que d’hommes. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

À l’heure où le Premier ministre installe le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes et fait de la lutte pour l’égalité entre les sexes une priorité, les conseils généraux ne pourraient plus – ne peuvent plus ! – rester en marge de ces progrès.

M. Yves Daudigny. En effet, les femmes ne représentent encore que 13,8 % des conseillers généraux dans nos départements. Pis, trois départements français ne comptent toujours aucune femme au sein de leurs conseils généraux, alors que seulement 23,2 % des candidats aux élections cantonales de 2011 étaient des candidates, la plupart des femmes – 76,8 % - s’étant présentées comme suppléantes.

S’opposant à cet état de fait, le Gouvernement nous permettra d’entériner avec ce projet de loi une évolution nécessaire. Les départements seront désormais les garants de la modernité de nos institutions et de l’évolution en cours, en devenant le symbole même de la parité dans nos territoires.

M. Éric Doligé. Il n’y a plus d’argent !

M. Yves Daudigny. Le Président de la République a d’ailleurs affirmé le 5 octobre dernier, lors des états généraux de la démocratie territoriale réunis à la Sorbonne, que le département a « un besoin d’ancrage territorial » – qui le nierait ? – « et, en même temps, une exigence de parité ».

Pourquoi, alors que l’article 1er de notre Constitution stipule que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales », pourquoi si peu de femmes parviennent-elles de fait à ces responsabilités ?

« La femme, cette égale de l’homme », selon la formule de Victor Hugo : ne serait-ce encore vrai qu’en partie ?

Grâce à ce projet de loi, qui permettra d’instaurer une réelle parité sans pour autant rompre l’indispensable lien entre les élus et leur territoire, les conseils généraux deviendront exemplaires. Quelle bonne nouvelle !

Certes, l’application de la règle des plus ou moins 20 % soulève des questions légitimes. Je ne veux pas les éluder ; cela étant, dans une grande majorité de cas, elle aura pour conséquence non pas une sous-représentation des territoires ruraux, mais une moindre surreprésentation qu’actuellement. Cette observation ne me paraît pas mineure. En définitive, le résultat dépendra très largement de la pertinence du nouveau découpage des cantons.

Je souligne que cette règle, dont la mise en œuvre nous est imposée par la Constitution, n’est pas liée au scrutin binominal ; elle s’appliquerait de la même façon à un scrutin uninominal.

L’exigence démocratique d’assurer une représentation plus équitable, sur le plan arithmétique, des citoyens et des territoires commande d’accepter cette règle, moyennant les nuances que M. le rapporteur souhaitera lui apporter par la définition, à l’article 23 du projet de loi, d’une série d’exceptions liées à la géographie, à la démographie ou simplement au nombre de communes. Pour ma part, je soutiendrai les amendements qu’il présentera alors.

Mes chers collègues, par son caractère audacieux et novateur, le projet de loi qui nous est soumis marque une étape importante dans le renouvellement de notre vie politique. Il traduit une volonté de doter nos départements de bases démocratiques adaptées à la France d’aujourd’hui.

Le scrutin binominal majoritaire permettra de conserver le lien primordial entre élus départementaux et citoyens. Je vois dans cette évolution intéressante de notre droit électoral une raison supplémentaire de soutenir ce projet de loi, qui apporte une réponse efficace aux attentes des citoyens, des élus et des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.

M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président du Sénat a souhaité, il y a quelques mois, organiser des états généraux de la démocratie territoriale. Les uns et les autres, nous avons joué le jeu en tenant des réunions dans nos départements, soit en tant que présidents d’associations de maires, soit en tant que sénateurs. Ensuite, lors de ces fameux états généraux de la démocratie territoriale, nous avons présenté des idées et des propositions.

Aujourd’hui, le constat est amer. On nous avait parlé de démocratie territoriale et de démocratie participative ; or nous voyons arriver des projets de loi écrits d’avance, nous assistons finalement à un « enfumage » complet, tout étant verrouillé en amont !

Les textes soumis aujourd’hui à notre examen bafouent les droits du Parlement : c’est ce qui a motivé le dépôt de motions de procédure par le groupe UMP. La commission des lois les a examinés en un temps record, dans des conditions frisant l’absurde. Elle a donné son aval sans broncher au projet du Gouvernement pour tenter – il faut bien le dire – de verrouiller les prochains scrutins au profit de la majorité.

M. Éric Doligé. C’est évident !

M. Rémy Pointereau. Personne n’est dupe ! Encore n’est-ce là qu’un début. Une expression existe pour désigner ce genre d’opérations : il s’agit d’un tripatouillage électoral. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois. Vous vous y connaissez !

M. Rémy Pointereau. Chers collègues de la majorité, c’est l’expression que vous n’auriez pas manqué d’employer si nous avions osé agir ainsi ! (M. Jackie Pierre applaudit.)

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois. Avez-vous oublié M. Marleix ? Un orfèvre en la matière !

M. Rémy Pointereau. Monsieur le ministre, voilà quelques semaines, vous avez déclaré devant la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation vouloir laisser quelques portes entrouvertes. C’était une façon de nous donner à entendre que tout n’était pas complètement arrêté et qu’il existait une marge de négociation. Il faudra nous dire où est cette marge, et quelles portes restent entrouvertes !

Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe UMP estiment que ce projet de loi n’est pas acceptable. Monsieur le ministre, vous confondez vitesse et précipitation, comme l’a si bien dit, hier, Mme Assassi.

Bien que l’esprit d’ouverture dont le Gouvernement fait preuve ne me laisse que peu d’espérance, j’ai déposé un certain nombre d’amendements, portant en particulier sur le seuil de population déterminant l’application du scrutin proportionnel aux élections municipales, question qui divise les maires de France : certains pensent que l’obligation d’appliquer la proportionnelle doit concerner toutes les communes, d’autres considèrent qu’il ne faut pas changer le système actuel.

Le scrutin de liste, actuellement en vigueur pour les communes de plus de 3 500 habitants, présente assurément des avantages : il assure l’émergence d’une majorité cohérente et la parité. Toutefois, il faut tenir compte du fait que plus on abaissera le seuil, plus il sera difficile de mettre sur pied au moins deux listes, voire une seule, la constitution d’une liste complète et paritaire étant complexe dans les petites communes.

Pour ma part, j’ai observé, au cours de toutes les réunions auxquelles j’ai assisté, qu’une majorité de nos élus locaux ne souhaitaient pas que l’on abaisse le seuil en dessous de 2 000 ou de 1 500 habitants. En effet, il y a aussi un risque de politisation des élections municipales, laquelle n’a pas lieu d’être dans nos communes rurales et mettrait en péril le pluralisme traditionnel de nos conseils municipaux. En fait, on a l’impression que vous voulez politiser toutes les élections ! (M. Jean-Jacques Mirassou proteste.)

S’agissant du fléchage pour les communes où le scrutin proportionnel ne s’appliquera pas, je continue de penser que, pour simplifier les choses, les délégués communautaires doivent être désignés par le conseil municipal lors de l’élection du maire, comme c’était le cas jusqu’à présent.

J’en viens à l’élection des conseillers « départementaux », qui ne seront plus des conseillers généraux : pourquoi pas, puisque nous l’avions déjà proposé !

Dans votre entreprise de détricotage, vous avez abondamment dénoncé le conseiller territorial. Le qualifiant d’élu hybride, vous l’avez supprimé.

M. Jean-Jacques Mirassou. On a bien fait !

M. Rémy Pointereau. Or vous proposez aujourd’hui de mettre en place un scrutin binominal lui aussi hybride, et qui de surcroît n’existe nulle part ailleurs ! Une fois élus, l’homme et la femme composant le binôme hétérosexuel pourront exercer leur mandat indépendamment l’un de l’autre, mais ils risquent à terme de devenir un couple infernal. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Au bout du compte, j’en suis sûr, ceux qui n’aimaient pas le conseiller territorial en viendront à le regretter !

L’instauration de ce scrutin binominal amène à diviser par deux le nombre des cantons. Bonjour la proximité ! Un redécoupage général sera opéré sur des bases exclusivement démographiques, de sorte que « le nombre d’élus des zones rurales pourrait être divisé par deux ou trois, au profit des agglomérations ». Ainsi, la représentation des territoires ruraux sera écrasée.

Pour éviter la « casse » de la représentation de nos territoires ruraux, j’ai déposé des amendements tendant à créer un scrutin mixte, formule que nous avions déjà imaginée, mais que certains prétendaient inconstitutionnelle ; il semble finalement qu’elle ne le soit pas. Je rejoins ainsi la proposition de notre collègue Philippe Adnot.

Le scrutin uninominal à deux tours serait réservé aux zones rurales, tandis que dans les zones urbaines, où les limites des cantons ne correspondent à aucune réalité, on appliquerait le principe de la représentation proportionnelle, ce qui permettrait de progresser vers la parité et d’améliorer la représentation des diverses sensibilités politiques, conformément aux vœux des écologistes et du groupe CRC.

Le scrutin majoritaire est adapté aux zones rurales, dans lesquelles le canton correspond aux réalités locales : très souvent, une intercommunalité s’est constituée selon les limites du canton.

En zone urbaine, à l’inverse, les périmètres des cantons ne correspondent à aucune réalité administrative. La plupart du temps, les cantons urbains ne respectent même pas les limites entre les quartiers d’une même ville. Dans ces conditions, il semble judicieux de créer de la solidarité entre les candidats en leur permettant de se présenter ensemble devant les électeurs : la représentation proportionnelle est adaptée au cas des cantons urbains.

Monsieur le ministre, vous qui nous avez tant parlé de démocratie territoriale, de transparence et de justice, donnez une portée concrète à vos belles paroles en prévoyant la création d’une commission nationale chargée de valider le nouveau découpage des cantons et l’avis conforme des conseils généraux sur les projets de modifications. (M. Éric Doligé acquiesce).

En outre, pour tenir compte de la volonté exprimée par les élus de terrain, il convient de faire référence au chef-lieu de canton actuel, qui est une réalité historique et le lieu d’implantation, par exemple, de la brigade de gendarmerie et du collège, en respectant les circonscriptions législatives et en ouvrant la possibilité de dérogations à la règle des plus ou moins 20 %. De telles propositions me paraissent constructives.

Nous sommes nombreux, sur l’ensemble des travées, à défendre nos territoires ruraux, au-delà des clivages habituels. À la faveur de cette discussion générale, monsieur le ministre, je m’aperçois que votre projet de loi est bien loin de faire l’unanimité, que ce soit au sein du RDSE, du groupe CRC ou même parmi les écologistes.

Le Président de la République, lors des états généraux de la démocratie territoriale, a promis aux élus qu’il accorderait toute son attention à leurs propositions. Monsieur le ministre, il est temps de transformer ces belles promesses, ces belles paroles, en actes concrets ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous entrons dans la phase de traduction législative des doléances et des propositions formulées par les élus lors des états généraux de la démocratie territoriale.

En effet, après les deux textes que nous examinons aujourd’hui viendront les propositions de loi relatives à la diminution des normes applicables aux collectivités territoriales et au statut de l’élu, déposées par nos collègues Gourault et Sueur, le projet de loi sur la décentralisation annoncé par Mme Lebranchu constituant le point d’orgue de cette phase.

Tous ces textes, et particulièrement les deux que nous examinons ce soir, ont pour objet la modernisation de la démocratie locale. Monsieur le rapporteur, vous avez eu raison de souligner que celle-ci est à l’aube d’une nouvelle évolution. Pour les départements, ce sera même une révolution.

La féminisation accrue des conseils généraux que nous appelons de nos vœux n’est pas, comme vous l’avez indiqué, un simple ajustement, un « adjuvant cosmétique » : elle permettra un véritable enrichissement des politiques publiques. L’élection de binômes paritaires au conseil départemental sera une authentique innovation. C’est, à ma connaissance, la seule solution qui permette de garantir à la fois la parité et la proximité, c’est-à-dire le lien entre l’élu et le territoire qu’il représente.

S’agissant des élections municipales, je me réjouis que le projet de loi et le projet de loi organique prévoient l’abaissement du seuil démographique pour l’application du scrutin proportionnel de liste. Le renforcement de la parité au sein des conseils municipaux sera ainsi assuré, ce dont on ne peut que se féliciter.

En effet, c’est grâce à l’application du scrutin de liste, assorti de contraintes plus strictes que le scrutin uninominal, que la parité a pu devenir une réalité effective dans les conseils municipaux des villes de plus de 3 500 habitants. La loi du 6 juin 2000 a ouvert la voie à une modification profonde de la composition des conseils municipaux de ces communes à l’issue des élections de 2001 et de 2008 : la proportion de femmes, qui était seulement de 26 % en 1995, est passée à plus de 47 % en 2001 et à 48,5 % en 2008, tandis que les progrès vers la parité sont restés très limités dans les conseils municipaux des communes de moins de 3 500 habitants.

Il fallait donc poursuivre l’effort en élargissant le champ d’application du scrutin proportionnel de liste. Dans cette perspective, quel seuil de population faut-il adopter ? Le Gouvernement et la commission des lois du Sénat ont retenu le seuil de 1 000 habitants. Il me semble qu’il s’agit d’une proposition de consensus et d’équilibre. Environ 6 550 communes seraient concernées par le passage au scrutin proportionnel de liste, ce qui entraînerait l’élection de près de 16 000 conseillères municipales supplémentaires. Par comparaison, si le seuil était fixé à 1 500 habitants, 3 730 communes seulement seraient concernées et l’on compterait à peine 9 500 femmes élues de plus.

En maintenant l’application du scrutin majoritaire en dessous de 1 000 habitants, on a voulu protéger les petites communes, où la constitution de listes complètes et paritaires présente de trop grandes difficultés.

À titre personnel, je fais confiance aux administrés : compte tenu de l’intérêt qu’ils portent à la vie de leur commune, aussi petite soit-elle, ils sauront franchir le pas de la candidature, d’autant que l’adoption, par la commission, du principe de la réduction de deux unités de l’effectif des conseils municipaux des communes de moins de 500 habitants facilitera la constitution de listes complètes.

En outre, je pense qu’il faut, autant que possible, tendre vers la suppression à la fois du panachage, qui s’apparente à un « tir au pigeon » souvent cruel et débouche sur un véritable défouloir dans l’isoloir, et de l’absence de déclaration, qui peut rendre l’élection pittoresque, certes, mais surtout très peu responsabilisante !

Enfin, dans le même esprit, je me réjouis de l’introduction concomitante de l’abaissement du seuil de population pour l’application du scrutin proportionnel de liste et de l’élection au suffrage universel des délégués communautaires par fléchage. Ce système, d’une part, ne brise pas le lien entre commune et intercommunalité, et, d’autre part, il respecte l’identité des communes. Il y a donc, d’un côté, une légitimité démocratique conférée aux EPCI à fiscalité propre par l’élection au suffrage direct – enfin ! –, et, de l’autre, une réelle bonification du scrutin municipal.

En conclusion, l’ancrage des EPCI dans la démocratie locale me semble assuré, tandis que l’objectif constitutionnel d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives sera significativement mieux respecté. C’est là du très bon travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Louis Nègre.

M. Louis Nègre. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le projet de loi soumis à notre discussion ce jour appelle de ma part plusieurs observations.

Monsieur le ministre, je commencerai par quelques douceurs ! (Sourires.)

D’une part, la nouvelle dénomination de « conseiller départemental » me paraît incontestablement plus lisible pour nos concitoyens.

M. Michel Delebarre, rapporteur. Très bien !

M. Louis Nègre. D’autre part, la proposition de la commission de prévoir, en cas d’égalité des suffrages, l’élection du plus jeune des candidats en lice, au lieu du plus âgé, représente un renversement complet de nos traditions électorales.

M. Michel Delebarre, rapporteur. C’est vrai !

M. Louis Nègre. Ce signal iconoclaste peut être apprécié positivement : il s’agit d’un message d’ouverture à la jeunesse de notre pays.

M. Louis Nègre. Par ailleurs, je comprends la volonté d’instaurer, par le biais de l’élection de binômes, une parité largement souhaitée et à ce jour très insuffisamment assurée, nos conseils généraux comptant seulement 13,5 % de femmes.

Cependant, monsieur le ministre, je m’insurge contre la disparition ainsi programmée de nombre d’élus ayant parfaitement rempli leur mission.

Mme Nathalie Goulet. Pas assez !

M. Louis Nègre. De plus, je m’interroge sur le risque important de voir apparaître, au fil du temps, la zizanie au sein du binôme, innovation électorale aussi originale que pittoresque.

Enfin, si l’assouplissement du fléchage pour l’élection des délégués communautaires a été validé à juste titre par la commission, je demande néanmoins qu’il soit simplifié, comme l’a d’ailleurs souhaité le ministre, au maximum…

M. Michel Delebarre, rapporteur. Oui !

M. Louis Nègre. … et qu’il puisse concerner l’ensemble des conseillers municipaux élus, quelle que soit leur place sur la liste, afin d’éviter tout « stockage en tête ».

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois. Mais il faut qu’ils soient élus !

M. Louis Nègre. Bien sûr !

Cela étant, l’essentiel de ce texte s’avère malheureusement être un projet funeste pour la démocratie des territoires et empreint d’un anti-sarkozysme primaire. (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois. Un ressuscité !

M. Louis Nègre. J’en veux pour preuve deux dispositions qui sont profondément politiques, voire politiciennes.

En premier lieu, l’article 25 du projet de loi supprime d’un trait de plume le conseiller territorial institué en 2010 par le gouvernement précédent.

M. Jean-Jacques Mirassou. Une décision salutaire !

M. Louis Nègre. Votre projet nous ramène à une vision conservatrice d’un conseil général replié sur son périmètre historique. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)

M. Éric Doligé. Mais c’est un conservatisme révolutionnaire !

M. Louis Nègre. En second lieu, l’article 8 prévoit l’abaissement à 10 % des inscrits du seuil pour le maintien au second tour : c’est l’exemple type d’une démarche non pas inspirée par le souci de l’intérêt général, mais grandement politicienne. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

En mars 2011, lors des dernières élections cantonales organisées selon notre cadre législatif, il n’y a eu que 52 triangulaires, alors que, avec l’abaissement du seuil que vous préconisez, il y en aurait eu 259 !

M. Bernard Piras. Vous n’aimez pas les triangulaires ?

M. Louis Nègre. À l’évidence, cette volonté manifeste de favoriser la multiplication des triangulaires a pour seul objet d’affaiblir l’opposition de droite ! (M. le rapporteur s’exclame.) Mais, ce faisant, chers collègues, vous favorisez incontestablement, et délibérément, le maintien des candidats des extrêmes. Cette disposition met cruellement en pleine lumière la manipulation électorale que cache cet abaissement de seuil !

Mais la critique la plus grave que je puisse faire, étant donné les conséquences dramatiques encourues par les territoires, porte sur la conjonction de l’article 3, qui prévoit, ni plus ni moins, une réduction de moitié du nombre des cantons,…

Mme Nathalie Goulet. C’est bien !

M. Louis Nègre. … et de l’article 23, aux termes duquel « la population d’un canton n’est ni supérieure ni inférieure de plus de 20 % à la population moyenne des cantons du département ».

Ce double dispositif signe non seulement l’exclusion délibérée des conseils départementaux d’élus méritants, mais aussi le renvoi dans les ténèbres des territoires ruraux, qui ne seront plus représentés correctement.

S’il est légitime de rééquilibrer les représentations…

M. Louis Nègre. … et de lisser certains excès manifestes, dans un sens comme dans l’autre, l’application rigide de la règle des plus ou moins 20 %, telle que vous la proposez, serait catastrophique au regard du maintien d’un équilibre harmonieux entre territoires ruraux et zones urbaines.

La mise en œuvre de ce texte ne pourra donc qu’entraîner la création de cantons soit surpeuplés, soit d’une superficie démesurée ! L’élu départemental ne sera plus un élu de proximité : il sera coupé des réalités des territoires et de ses concitoyens.

À travers l’exemple de mon département des Alpes-Maritimes, je souhaite que le Gouvernement prenne conscience de ce risque majeur. En effet, l’application de son dispositif conduirait à ce qu’un unique canton couvre les deux tiers de la superficie du département !

Dans la zone du haut et du moyen pays, où se déplacer d’une vallée à l’autre présente des difficultés majeures, des dizaines de communes seraient ainsi sacrifiées, au détriment d’une politique départementale aujourd’hui de grande qualité, en termes tant d’aménagement que de solidarité territoriale.

Tels sont, monsieur le ministre, le cas bien concret des Alpes-Maritimes et le résultat funeste que l’on constaterait si d’aventure votre projet devenait réalité.

Au même titre que le monde urbain, la ruralité mérite, ici au Sénat, qui est par définition la maison des territoires, écoute et soutien.

Monsieur le ministre, vous auriez pu assouplir significativement cette règle des plus ou moins 20 %, qui ne relève pas, à ma connaissance, d’une obligation constitutionnelle pour les cantons.

Vous auriez pu également, en vous appuyant sur les exceptions qui sont effectivement prévues, dès lors qu’elles sont justifiées par des considérations géographiques, proposer un autre projet et sauver ainsi nombre de cantons ruraux.

Vous ne l’avez pas fait ; je le regrette profondément. Aussi voterai-je résolument contre ce projet de loi « ruralicide », qui, à mes yeux, va à l’encontre d’une juste représentation des territoires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Michel Delebarre, rapporteur. C’est dommage, l’argumentation était belle ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois. Elle avait bien commencé, mais elle se termine mal !

M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.

Mme Delphine Bataille. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la création du département visait à homogénéiser le découpage du territoire en conservant une administration locale. Il devait être possible de se rendre au chef-lieu en une journée de cheval depuis n’importe quel point du territoire départemental.

Deux siècles et bien des évolutions plus tard, on peut se réjouir que les dispositions relatives à l’élection des conseillers départementaux présentées dans ce projet de loi restent fidèles à l’esprit de la décentralisation, respectent la richesse de chacun des territoires de la République et soient le fruit d’une meilleure concertation avec les élus.

Toutefois, il s’agit d’un changement fondamental et certains aspects du contenu de ce texte suscitent de multiples inquiétudes, pour les élus locaux comme pour un grand nombre de citoyens.

La création d’un binôme paritaire dans le cadre d’un mode de scrutin majoritaire à deux tours apparaît comme une bonne solution, compte tenu du fait qu’elle permet de maintenir l’ancrage local d’un élu en même temps qu’elle favorise la parité.

En réalité, cette solution est sûrement la moins mauvaise, dans la mesure où elle permet d’éviter le recours à un scrutin proportionnel qui ignore la relation de proximité et aurait par conséquent fait l’objet d’un rejet très fortement majoritaire.

En ce qui concerne le nombre des cantons, une grille de lecture mise en œuvre à l’échelle nationale et prenant en compte la densité démographique des territoires selon leur caractère, urbain, périurbain, rural ou de montagne, aurait permis une répartition des cantons plus équilibrée, plus adaptée et plus équitable entre départements.

Aujourd’hui, le choix de diviser le nombre des cantons par deux dans chaque département est une mesure de simplification et de modernisation, mais les critères retenus créeront des disparités importantes et ne tiennent pas compte de la réalité des territoires.

Les inégalités patentes qui existent déjà entre les départements, mais aussi dans la représentation des territoires au sein d’une même assemblée départementale, risquent d’être aggravées par la mise en œuvre de critères qui ne laissent, en l’état, quasiment aucune marge de manœuvre.

Dans les zones à caractère rural, ce choix aura des conséquences néfastes qui risquent, à terme, de déboucher sur la disparition du lien privilégié existant entre un citoyen et son représentant élu.

Ainsi, le poids démographique des cantons pourrait, d’un département à un autre, varier de 6 000 à 50 000 habitants, pour des territoires qui ont parfois les mêmes particularités géographiques.

À titre d’exemple, les départements du Nord et du Pas-de-Calais ont respectivement soixante-dix-neuf et soixante-dix-sept conseillers généraux, soit quasiment le même nombre, alors que le Nord compte 2,6 millions d’habitants, contre 1,5 million pour le Pas-de-Calais.

Ces deux départements voisins partagent pourtant des territoires ayant une physionomie et une histoire communes, par exemple des bassins miniers et industriels ou des zones de campagne extrêmement étendues constituées de petites et très petites communes.

Le sud du département du Nord constitue un territoire rural de tradition ouvrière forte, où sont nécessaires une relation de proximité entre élus et habitants et, surtout, des réponses ciblées, aujourd’hui essentiellement apportées par les politiques publiques de solidarité et d’aménagement du territoire mises en œuvre par le département.

Selon les nouvelles modalités de découpage, ce territoire d’environ 500 000 habitants, qui représente presque la moitié de la superficie départementale et regroupe près de la moitié des communes du Nord, ne compterait plus que sept cantons, contre quarante et un actuellement.

Si la nécessité d’un rééquilibrage au profit des zones urbaines est une évidence, il reste que les citoyens des zones rurales, qui souffrent déjà d’une inégalité pour l’accès aux services publics et en termes de mobilité et de moyens de déplacement, seront encore plus éloignés qu’aujourd’hui de leurs élus départementaux. (C’est vrai !  sur les travées de l'UMP.)

Il s’agira, pour ces élus, de couvrir des distances devenues considérables, en empruntant des voies de communication parfois loin d’être optimales. Alors qu’il suffira d’un court trajet en métro pour traverser certains cantons dont le territoire recouvre une partie de celui d’une métropole, il faudra plus d’une heure pour en parcourir d’autres d’une superficie énorme, constitués d’une cinquantaine de communes ou plus.

La proximité participe de la prise en compte, dans un souci d’équité, au-delà du seul critère démographique, de ces réalités territoriales et humaines. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)

C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, nous comptons sur votre soutien aux amendements visant à ajouter l’exception démographique à l’exception géographique et à prendre en compte les questions liées à la densité de population, au nombre de communes et à l’amplitude géographique, critère auquel je sais M. le rapporteur particulièrement attaché. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées de l’UMP.)

M. Michel Delebarre, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. André Vallini.

M. André Vallini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme des élections cantonales permettra de remédier au problème de la sous-représentation des femmes dans les assemblées départementales. Les conseils généraux rattraperont d’un coup l’immense retard qu’ils ont pris au regard de l’exigence de parité.

Il existe un autre problème de sous-représentation au sein des assemblées départementales, concernant les zones urbaines ; cette réforme permettra également d’y remédier.

Pour autant, il serait dommage de passer d’un excès à l’autre et d’aboutir ainsi à une sous-représentation des zones rurales.

Je prendrai l’exemple que je connais le moins mal, celui du département de l’Isère. Après la réforme, il comptera vingt-neuf cantons au lieu de cinquante-huit actuellement, la moyenne démographique s’établissant à 42 000 et la population cantonale devant donc varier entre 33 000 et 50 000 habitants.

Ce seuil minimal de 33 000 habitants risque de poser des problèmes dans plusieurs secteurs du département, où la densité de population est très inférieure à la moyenne. Ils seront particulièrement aigus dans les montagnes du sud de l’Isère, où des barrières géographiques très marquées accentueront la difficulté du découpage.

Cette difficulté sera encore aggravée dans des départements comme les Alpes-Maritimes ou l’Isère où la présence de grandes métropoles tirera vers le haut la moyenne démographique, ce qui implique que certains cantons ne pourront atteindre le seuil minimal de population sans être étendus de façon démesurée.

Si la remise en cause de la règle des plus ou moins 20 % semble difficilement concevable au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, on pourrait envisager de limiter la taille géographique des cantons selon des critères de densité de population ou de nombre de communes. Le groupe socialiste y travaille, notamment mon collègue et voisin de la Drôme Didier Guillaume, et devrait, en liaison avec M. le rapporteur, déposer des amendements à cette fin. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous leur réserverez un accueil attentif et bienveillant.

Il serait en tout cas dommage de ne pas trouver de solution à ce problème, car les conseils généraux sont, à l’instar du Sénat bien sûr, des assemblées où les territoires de montagne savent qu’ils peuvent encore être entendus et défendus.

Face à la montée en puissance légitime, nécessaire, des agglomérations et des régions, il est important que les assemblées départementales demeurent les assemblées de la France des territoires, de tous les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. René Beaumont applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.

Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention visera d’abord à exprimer ma très grande satisfaction devant la perspective d’une évolution, que l’on peut qualifier d’historique, vers le respect – enfin ! – de l’objectif de parité inscrit, je le rappelle, dans notre Constitution, ensuite à partager avec vous ma préoccupation concernant la situation des départements ruraux au regard du futur redécoupage cantonal.

La réforme qui nous est proposée tend à moderniser les élections cantonales, par le biais de la définition d’un nouveau mode de scrutin pour les conseillers généraux, qui s’appelleront désormais « conseillers départementaux ». Introduire cette nouvelle dénomination me semble important et utile. Il faut en effet faire progresser l’idée que les conseillers départementaux auront non seulement à défendre les intérêts du territoire qui les a élus, mais aussi à participer à la définition et à la mise en œuvre des politiques départementales dans leur ensemble.

Le Gouvernement propose donc que, lors du prochain renouvellement, les conseillers départementaux soient élus au scrutin majoritaire binominal : les candidats se présenteront devant le suffrage universel en binômes, qui devront être composés d’un homme et d’une femme. À cet instant, je remercie vivement Yves Daudigny, André Vallini et Roland Courteau de leurs brillants plaidoyers en faveur de la parité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois, applaudit également.)

L’un des objectifs politiques qui sous-tendent ce choix du scrutin majoritaire binominal est de faire progresser la parité politique dans les assemblées départementales, tout en maintenant la proximité nécessaire à l’exercice des fonctions d’élu départemental.

Je salue cette volonté, car il y avait urgence : en effet, c’est au sein des assemblées départementales que la proportion de femmes est la plus faible, puisqu’elles représentent au total moins de 14 % de l’effectif actuel des conseillers généraux. Je me félicite donc que, pour l’élection des futurs conseillers départementaux, la formule des binômes de candidats permette d’assurer enfin la parité.

Permettez-moi de rappeler ici que ce nouveau mode de scrutin s’inspire d’une recommandation qu’avait adoptée à l’unanimité, en juin 2010, la délégation au droit des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, à la suite de la présentation du rapport pour avis de notre collègue Michèle André, que je tiens à saluer ici, sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales. J’insiste sur cette unanimité, car l’ensemble des groupes politiques du Sénat étant représentés au sein de la délégation, cela signifie qu’ils ont tous approuvé la recommandation. La délégation a ainsi œuvré efficacement en faveur de la parité, en soutenant une proposition accueillie à l’époque avec le plus grand scepticisme. Je me réjouis de la retrouver aujourd’hui dans le projet de loi qui nous est soumis, alors qu’elle ne figurait pas dans le texte instaurant le conseiller territorial.

Dans le prolongement de ces dispositions qui assureront l’élection d’un homme et d’une femme dans chaque canton, il est également prévu d’instituer un scrutin à la proportionnelle et paritaire pour les élections municipales dans les communes de plus de 1 000 habitants, ainsi que pour l’élection des délégués communautaires. Le texte permettra aussi d’assurer la parité dans les exécutifs départementaux : il y aura autant d’hommes que de femmes au sein du bureau et de la commission permanente. Il y a là une logique d’ensemble et une cohérence qu’il faut saluer. J’encourage les femmes élues à ne pas se laisser cantonner aux responsabilités qui leur sont traditionnellement réservées.

Certes, au départ, on comptera encore trop peu de présidentes de conseil régional ou départemental, de femmes maires ou présidentes de communauté de communes, mais la voie sera largement ouverte à toutes celles qui souhaitent s’investir et participer à la démocratie locale.

Mes chers collègues, en entendant hier soir M. Sido s’interroger à très haute voix sur le passage « d’un seul coup » de 14 % à 50 % de la proportion de femmes dans les assemblées départementales, je me suis dit que nous avions encore beaucoup de pain sur la planche et qu’il restait des bastions à conquérir !

Certains proposent comme alternative possible à ce mode de scrutin inédit un scrutin proportionnel, qui permettrait de refléter au mieux les sensibilités politiques s’exprimant au sein du département, tout en assurant la parité, comme c’est le cas avec la « proportionnelle corrigée » en vigueur pour les élections régionales.

Certes, un tel mode de scrutin aurait pu être retenu pour l’élection des conseillers départementaux. Il présente cependant l’inconvénient majeur de ne pas répondre de la même façon aux attentes des populations en matière de proximité. En outre – c’est un point sur lequel je compte revenir –, son application risquerait d’entraîner une sous-représentation des territoires ruraux dans le cas où les listes seraient principalement constituées de candidats issus des zones urbaines, par définition les plus peuplées, et donc les plus intéressantes sur un plan électoral.

À cet égard, si le redécoupage cantonal s’impose du fait des évolutions démographiques intervenues depuis le découpage initial, qui ont entraîné l’apparition d’écarts très significatifs en termes de représentation de la population, il convient néanmoins de garantir une représentation appropriée des territoires ruraux et de montagne au sein du conseil départemental, en particulier dans les départements comprenant à la fois des territoires très urbanisés et des zones très rurales.

Il est important que les territoires ruraux et de montagne continuent d’être représentés par un nombre suffisant d’élus issus de leur sein. Je rappelle que quarante-huit départements – près de un sur deux – ont un territoire en partie montagneux. Il ne s’agit donc pas d’une question mineure ! Ces élus sont en effet des relais de proximité indispensables entre le département et le canton.

C’est pourquoi je crains que retenir le seul critère démographique, en appliquant la règle des plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne départementale, comme le prévoit actuellement le projet de loi, ne constitue un frein à la représentation des espaces faiblement peuplés, qui cumulent les handicaps en matière de relief, de climat, de superficie et de densité de population.

M. Bruno Sido. Très juste !

Mme Bernadette Bourzai. Je souhaite vivement que nos débats permettent de prendre en considération la diversité de nos territoires. Je soutiendrai les amendements allant en ce sens, car je ne peux envisager que quatre ou cinq cantons du plateau de Millevaches soient fondus en un seul. Il faudrait alors une heure et demie pour traverser celui-ci, et encore par beau temps, sachant que ce plateau est souvent enneigé !

M. Bruno Sido. Que fait le conseil général ? Il doit déneiger, voyons !

Mme Bernadette Bourzai. Le conseil général le fait, monsieur Sido !

En conclusion, je pense que la réforme qui nous est proposée contribuera au renouveau de la démocratie locale. Je me félicite des nombreuses avancées présentées par le texte, que je soutiens, tout en espérant que l’on assouplira un peu les modalités du redécoupage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.

M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je bornerai mon propos à des considérations d’ordre général sur les élections municipales et intercommunales, en le centrant plus particulièrement sur le cas des communes rurales. Je me réserve bien sûr d’intervenir de nouveau lors de l’examen des articles, mais je tiens d’ores et déjà à dire que le dispositif présenté, visant à atteindre plusieurs objectifs, en termes de représentation territoriale, d’équilibre démographique et de parité, difficiles à concilier, n’est pas sans susciter des interrogations.

Les élections locales sont des moments importants pour l’expression démocratique de nos concitoyens et, au vu de la participation aux scrutins municipaux, il faut bien reconnaître que, en milieu rural, cet exercice démocratique est vécu sans doute plus intensément que dans les grandes agglomérations.

La commune, peut-être plus qu’ailleurs, y est reconnue comme une entité, en tant que lieu de vie de citoyens ayant des intérêts communs. Ce fort sentiment d’identité est encore plus exacerbé au moment où la mise en place des communautés de communes peut donner à nos concitoyens, intégrés de ce fait dans un ensemble plus vaste, une impression d’anonymat.

Cela étant dit, se pose la question de savoir quel est le mode d’élection qui se rapproche le plus du souhait des élus et, surtout, des citoyens : que le conseil municipal soit le plus représentatif possible.

Le scrutin proportionnel permet, en principe, de garantir la représentation des minorités, de satisfaire au principe posé par l’article 1er de la Constitution, aux termes duquel « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Il permet également d’appliquer le plus largement possible le suffrage universel direct pour l’élection des délégués communautaires.

Que l’on me permette de rappeler que le système électoral mis en place en 1982 par Gaston Defferre, ministre de l’intérieur et de la décentralisation du gouvernement de Pierre Mauroy, avait été violemment critiqué par l’opposition de l’époque.

M. Michel Delebarre, rapporteur. Eh oui !

M. Claude Domeizel. Or, aujourd’hui, plus personne ne le conteste dans les communes de plus de 3 500 habitants, bien au contraire !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Eh oui !

M. Claude Domeizel. L’idée forte du Président de la République et du Gouvernement est d’élargir le champ d’application du scrutin proportionnel. Mais jusqu’où peut-on aller ? Certains sont partisans du statu quo – à la rigueur, ils accepteraient que le seuil de population soit fixé à 2 500 ou 2 000 habitants –, tandis que ceux qui veulent garantir la parité coûte que coûte vont jusqu’à proposer d’étendre l’application de la proportionnelle aux élections municipales à toutes les communes.

La palette est donc large, mais regardons-y de plus près.

Moins la commune est peuplée, plus l’électeur a envie de constituer sa liste. Cette attitude, compréhensible, est motivée par de louables et spontanées considérations affectives, tenant à la proximité ou à la volonté de mettre en valeur des personnes jugées compétentes. C’est là, reconnaissons-le, un mode d’expression démocratique direct, aussi juste et respectable que d’autres, mais nous en connaissons les travers. Sans parler des frustrations et de l’amertume ressenties au moment de la publication des résultats, ce mode d’élection n’est pas satisfaisant en termes de parité. Nous le savons, les listes présentées sont généralement constituées avec un souci de parité, mais la pratique du panachage aboutit souvent à des résultats décevants : l’équilibre entre femmes et hommes n’est pas respecté, principalement au détriment des femmes. Ajoutons que le panachage peut également déboucher sur l’élection d’un conseil municipal hétéroclite, au sein duquel il sera difficile de constituer une majorité solide.

M. Bruno Sido. Vous n’êtes pas pour la démocratie, alors ?

M. Claude Domeizel. Après des hésitations, je me rallie au seuil de 1 000 habitants prévu dans le projet de loi. Ce choix rejoint la solution acceptée tant par les associations d’élus que par plusieurs des maires que j’ai rencontrés ou qui se sont exprimés lors des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le président du Sénat.

D’ailleurs, pourrait-on raisonnablement abaisser encore davantage ce seuil ? Hormis la question de la parité, le système de répartition des sièges entre les listes, qui attribue une prime à la liste arrivée en tête, fait que, en dessous de 1 000 habitants, compte tenu du nombre de sièges à pourvoir, une liste minoritaire, bien qu’obtenant un résultat honorable, aurait une représentation dérisoire, voire nulle.

J’évoquerai maintenant l’élection des délégués communautaires.

Le système de fléchage prévu pour les communes de plus de 1 000 habitants me paraît répondre aux attentes de nos concitoyens, lesquels souhaitent élire directement ces délégués.

De plus, grâce à l’adoption d’un amendement par la commission des lois, il est prévu d’afficher les deux listes sur le même bulletin. Ce sera plus compréhensible pour les électeurs.

En ce qui concerne les communes de moins de 1 000 habitants, j’avais eu l’intention de déposer un amendement tendant à prévoir que les délégués communautaires soient élus par le conseil municipal immédiatement après l’élection du maire et des adjoints, afin de leur donner plus de légitimité. J’y ai renoncé à la lecture du texte de l’article 20 tel qu’issu des travaux de la commission, qui prévoit que, si le maire renonce à cette fonction, le délégué communautaire sera désigné par le conseil municipal.

Avons-nous trouvé le bon mode d’élection ? Certainement pas, car cela s’apparente à la quadrature du cercle. Mais reconnaissons les efforts et l’ingéniosité déployés par le Gouvernement, le ministre de l’intérieur, la commission des lois, et particulièrement son rapporteur, Michel Delebarre, pour tenter d’instaurer un système équilibré et, surtout, compréhensible par nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

 
 
 

5

Nomination d’un membre d’une commission sénatoriale

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Marie-Hélène Des Esgaulx membre de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, en remplacement de M. François Trucy, démissionnaire.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

6

 
 
 

Élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modification du calendrier électoral

Suite de la discussion d'un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral (projet n° 166 rectifié, texte de la commission n° 252, rapport n° 250) et du projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux (projet n° 165 rectifié, texte de la commission n° 251, rapport n° 250).

Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Pierre Camani.

 
 
 

M. Pierre Camani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les grandes lois de décentralisation des années quatre-vingt ont jeté les bases de notre démocratie locale, en conférant à la fois l’autonomie et une dimension politique et administrative à nos collectivités territoriales.

Les deux textes dont nous débattons aujourd’hui s’inscrivent dans cette lignée de réformes novatrices. Je m’attarderai particulièrement, dans mon propos, sur le cas du département, que la mise en œuvre de ces projets de loi modernisera incontestablement, en donnant à son assemblée une configuration entièrement nouvelle.

En opposition totale avec la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, qui contribuait à affaiblir les départements, en particulier par la création du conseiller territorial, la proposition qui nous est soumise inscrit les départements dans la modernité, en confortant leur dimension de collectivités de proximité.

Le département est, par nature et par les compétences qui lui sont dévolues, l’échelon des politiques de proximité, des politiques de solidarité sociale et territoriale. Cette dimension est réaffirmée par les textes que M. le ministre de l’intérieur nous a présentés : il nous est proposé de supprimer le conseiller territorial, d’instaurer un mode de scrutin novateur, permettant de conjuguer la proximité du scrutin majoritaire avec la nécessaire féminisation de l’assemblée départementale.

Le scrutin majoritaire permet de satisfaire à l’exigence de proximité entre citoyens et élus départementaux. Ce lien fort entre élu et territoire, spécifique au département, nous devons le maintenir.

Toutefois, cette exigence de proximité doit être conciliée avec le respect du principe de parité inscrit dans la Constitution, ardemment demandé par l’immense majorité de nos concitoyens.

Cela a déjà été dit, les assemblées départementales comptent au total seulement 13 % de femmes. Sur cent un départements, seuls cinq sont présidés par une femme. Les progrès, dans ce domaine, sont dérisoires d’une élection à l’autre. Ainsi, lors des élections cantonales de 2011, la proportion de femmes élues a augmenté de 0,7 % par rapport à 2008, alors que le nombre de candidates était plus important que cette année-là.

Lors du débat sur l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux, il y a treize ans de cela, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’intérieur, déclarait dans cette même enceinte : « La sous-représentation des femmes est un défi lancé à l’universalisme républicain. » Ce défi, nous tentons de le relever aujourd’hui en proposant ce mode de scrutin pour les élections départementales. Oui, bien sûr, comme vous tous, mes chers collègues, je souhaiterais que les évolutions interviennent d’elles-mêmes et que les femmes soient naturellement représentées à hauteur de leur importance dans le corps électoral. Cependant, pour amener ce rééquilibrage, le recours à la loi me paraît nécessaire.

L’instauration des candidatures en binômes, tant décriée par l’opposition, est une chance pour développer de nouvelles formes de coopération entre élus. Il n’est pas interdit d’innover, au contraire ! D’ailleurs, les conseillers régionaux défendent un même territoire et travaillent très bien ensemble. Avec ce nouveau système, nous gagnerons en efficacité et en audience auprès de nos concitoyens.

Mesure symbolique, le changement de dénomination des conseillers généraux permettra au citoyen d’établir un lien direct entre le conseiller départemental et les politiques départementales. La substitution d’un renouvellement intégral au renouvellement triennal contribuera aussi à cette meilleure lisibilité et permettra une plus grande efficacité des politiques publiques.

Le nouveau mode d’élection nécessitera un redécoupage des cantons. Nous sommes tous d’accord pour constater que, à l’heure actuelle, il existe d’énormes écarts de population entre cantons d’un même département. Je prendrai l’exemple d’un département que je connais bien, le Lot-et-Garonne : l’écart est aujourd’hui de un à dix entre le canton le plus peuplé et le canton le moins peuplé. La carte cantonale actuelle n’est pas satisfaisante au regard du principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage. Il est temps de mettre un terme à cette inégalité de représentation héritée de l’histoire.

En proposant de diviser par deux le nombre des cantons, le Gouvernement n’accorde pas une prime sans précédent à la représentation des agglomérations, au détriment des territoires ruraux, comme l’affirme l’opposition avec une mauvaise foi teintée d’amnésie. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Sido. Oh là là !

Mme Nathalie Goulet. Est-ce bien nécessaire ?

M. Pierre Camani. Ceux qui se font aujourd’hui les chantres de la ruralité ont accepté hier que les 6 000 conseillers régionaux et généraux soient remplacés par 3 000 conseillers territoriaux siégeant à la fois à l’assemblée départementale et au conseil régional.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous allez les regretter !

M. Pierre Camani. Dans mon département, le nombre de cantons, et donc d’élus, aurait été réduit de quarante à vingt-sept, au détriment de la proximité !

Or la proximité, nous le répétons tous, est une exigence de nos concitoyens.

M. Claude Haut. Exactement !

M. Pierre Camani. Le présent texte réaffirme donc le rôle essentiel du conseiller départemental en tant que lien entre son territoire et l’action publique menée à l’échelle du département.

Le renouvellement de la représentation politique est un autre souhait de nos concitoyens. Je me félicite de ce qu’ils puissent en trouver un écho dans le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui.

Surtout, ce texte ouvre la voie au renouveau territorial que les élus locaux appellent de leurs vœux, un renouveau territorial fondé sur la confiance en l’intelligence de nos territoires, qui devrait trouver une forme concrète dans l’acte III de la décentralisation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mon éminent collègue Jean-Jacques Hyest l’a souligné hier soir, ce texte est une remise en cause profonde de la réforme que notre majorité a défendue il y a deux ans…

M. Claude Haut. C’est vrai !

Mme Catherine Troendle. … et qui tendait à favoriser l’intercommunalité, à départementaliser la vie politique et à régionaliser les politiques publiques.

Certes, vous avez conservé la première de ces idées –nous en avons déjà discuté à l’occasion de l’examen de différents textes –, mais vous avez choisi d’abandonner tout simplement les deux autres. Ce choix que vous avez fait, nous ne pouvons le partager.

Vous reprenez aujourd’hui à votre compte un point important du texte issu des travaux de notre majorité, l’élection des délégués communautaires au suffrage universel direct, qui constitue, pour nous, une mesure phare de la réforme territoriale de 2010. Elle permettra de renforcer la légitimité des intercommunalités aux yeux de nos concitoyens. En effet, ces derniers participeront ainsi directement à la désignation de ceux des conseillers municipaux qui seront également délégués communautaires ; nous ne pouvons que nous en réjouir.

Il s’agit là d’un progrès considérable, auquel nous tenons, car il garantit la légitimité des conseils municipaux, des maires, et donc des communes, tout en renforçant le caractère démocratique du fonctionnement des EPCI, qui lèvent l’impôt mais, paradoxalement, ne sont pas, pour l’heure, concernés par le suffrage universel.

Le système du fléchage permet de répondre à cette exigence. Nous avions fait le même choix il y a deux ans, aux côtés du gouvernement de l’époque, alors que d’autres possibilités étaient alors également envisageables, mais nous ne souhaitions pas porter atteinte à la légitimité du maire, ce qui aurait été le cas si l’on avait retenu la désignation des conseillers communautaires par un scrutin autonome.

Avec le mode d’élection retenu, les citoyens vont s’approprier les débats communautaires. L’intercommunalité ne sera plus une structure éloignée, presque désincarnée, pour l’électeur.

Vous l’avez compris, ce sujet est fondamental. Pour mémoire, au 1er janvier 2012, on dénombrait 2 581 EPCI, rassemblant 59,3 millions d’habitants et 35 303 communes.

Un autre sujet tout aussi important est celui des petites communes.

La question du seuil de population déterminant l’application du scrutin de liste divise, nous le savons, les maires de France : certains pensent que ce mode de scrutin doit concerner toutes les communes, d’autres estiment qu’il ne faut pas changer le système actuel.

Le scrutin de liste, qui s’applique actuellement aux communes de plus de 3 500 habitants, a des avantages : il permet de dégager une majorité cohérente et d’assurer la parité.

Un élément, toutefois, doit être pris en considération : plus on abaisse le seuil, plus il sera difficile de constituer au moins deux listes, voire une seule, car l’élaboration d’une liste complète et paritaire est complexe. Dans les petites communes, le risque est de faire perdre à nos concitoyens leur intérêt pour le scrutin municipal, qui est aujourd’hui leur scrutin préféré.

Néanmoins, j’en conviens, un seuil plus bas permettrait de diversifier la composition des conseils municipaux. Nous proposons donc de fixer le seuil à 2 000 habitants,…

M. Gérard César. Très bien !

Mme Catherine Troendle. … chiffre lisible pour les maires, puisqu’il s’agit du plafond de population retenu par l’INSEE pour définir les communes rurales.

L’égalité d’accès des hommes et des femmes aux fonctions électives est un objectif partagé par l’ensemble des partis politiques. Dans ce domaine, notre retard reste considérable par rapport à de nombreuses démocraties, malgré l’inscription dans la Constitution du principe de l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

Le juge constitutionnel a cependant rappelé que le principe n’avait « pas pour objet, et ne saurait avoir pour effet de priver le législateur de la faculté qu’il tient de l’article 34 de la Constitution de fixer le régime électoral des assemblées ». Aussi considère-t-il que le législateur doit conserver toute latitude dans le choix du mode de scrutin.

Cependant, mes chers collègues, nous étions loin d’imaginer que l’actuelle majorité allait nous proposer un mode de scrutin on ne peut plus baroque, inédit en droit électoral français ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Guillaume. Formidable !

M. Jean-Jacques Mirassou. Une innovation !

Mme Catherine Troendle. Il rend les deux élus – le binôme de conseillers départementaux – solidaires devant le scrutin, avec toutes les conséquences associées à cette solidarité, mais, une fois élus, les deux conseillers deviendront indépendants l’un de l’autre. Cela n’existe nulle part ailleurs dans le monde !

Que de questionnements, que d’incertitudes ! Quel sera leur mode de fonctionnement sur le terrain, sachant qu’ils seront forcément en concurrence sur un même territoire…

Mme Nathalie Goulet. Cela existe déjà !

M. Claude Haut. C’est déjà le cas pour les sénateurs !

Mme Catherine Troendle. Ce territoire, parlons-en : il s’agira d’un canton surdimensionné, ce qui entraînera la rupture du lien de proximité entre l’élu et ses électeurs, tout particulièrement dans les zones faiblement peuplées.

Le redécoupage proposé, fondé sur une logique purement démographique, portera inéluctablement un coup dur à la cohérence territoriale et conduira à sacrifier la ruralité.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il n’y aura plus de représentation du monde rural !

Mme Catherine Troendle. C’est tout simplement inacceptable !

M. André Reichardt. Absolument !

Mme Catherine Troendle. Compte tenu de l’importance de ces enjeux, nous serons extrêmement déterminés et combatifs tout au long de ces débats ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que notre débat permettra d’enrichir les textes qui vous sont soumis.

Je souhaite remercier de nouveau M. le rapporteur pour la qualité du travail qu’il a effectué, en lien avec le président de la commission des lois, M. Jean-Pierre Sueur.

Avant de répondre sur les différents points qui ont été évoqués au cours de cette discussion générale, je voudrais souligner la qualité des propos tenus par les hommes et les femmes d’expérience, les représentants des territoires que vous êtes, mesdames, messieurs les sénateurs, même quand ces propos n’allaient pas dans le sens du projet que j’ai eu l’honneur de présenter au nom du Gouvernement. Je veux remercier tout particulièrement M. Kaltenbach de l’appréciation positive qu’il a portée, au nom du groupe socialiste, sur le projet de loi.

Je voudrais, en préambule, revenir sur la préparation de ce texte, important pour nos institutions, comme l’ont rappelé nombre d’orateurs.

Jamais ce projet de loi n’aurait pu voir le jour sans un dialogue approfondi avec les représentants des collectivités territoriales et des formations politiques. Il m’apparaît important de souligner quelle a été la place de la concertation dans sa préparation. Je réfute très nettement toute accusation de précipitation et je tiens à rappeler, à cet égard, que j’ai rencontré les dirigeants des formations politiques représentées par un groupe parlementaire. Plusieurs d’entre vous ont d’ailleurs participé à ces rencontres, organisées place Beauvau. J’ai un souvenir précis des propos qui ont été tenus à cette occasion.

Il est vrai que, à cette période, le dialogue était plus difficile avec l’UMP, pour des raisons internes à cette formation. (Protestations sur les travées de l'UMP.) Nous avions toutefois échangé rapidement avec le président Gaudin et Jean-François Copé,…

M. Bruno Sido. Rapidement !

M. Manuel Valls, ministre. … ne fût-ce que pour marquer des désaccords. Eux-mêmes ont parlé avec le Président de la République.

J’ai également rencontré les représentants de plusieurs associations d’élus : l’Association des maires de France, l’AMF, l’Assemblée des départements de France, l’ADF, et l’Assemblée des communautés de France, l’AdCF. Au cours de ces entretiens, j’ai pu constater un réel soutien aux principales dispositions que contient ce texte.

Monsieur Mézard, vous avez évoqué un « silence assourdissant de l’ADF ». Je me permets de vous renvoyer au texte qu’elle a adopté le 9 janvier 2013 et publié, par lequel le bureau de l’ADF reconnaît au mode de scrutin binominal à deux tours une « totale efficacité concernant l’égalité des femmes et des hommes, sans pour autant rompre le lien indispensable entre les élus et leurs territoires ». Je rappelle également les déclarations du président de l’Assemblée des communautés de France, qui s’est félicité de la confirmation du principe de l’élection directe des conseillers intercommunaux, dans le cadre du scrutin municipal.

Le présent projet de loi a aussi été rédigé à la lumière de ces échanges, souvent très riches.

Je souhaiterais maintenant revenir sur les principaux points de la réforme qui ont été évoqués.

Tout d’abord, en ce qui concerne le scrutin binominal majoritaire prévu par le projet de loi, sur lequel se sont notamment exprimés MM. Hyest, Mézard et Adnot, je rappelle que ce mode de scrutin, incontestablement novateur, avait été proposé dès 2010, comme le rappelait Mme Bourzai, par Michèle André, alors présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, dans son rapport au titre si éloquent : « Il faut sauver la parité. »

Ce mode de scrutin répond très clairement à deux exigences majeures : le renforcement de la parité et la préservation de la proximité, à laquelle le Gouvernement est également attaché. C’est la condition d’un renforcement de la légitimité des conseillers départementaux, rétablis par ce gouvernement après la suppression des conseillers territoriaux. Ce seront toujours des élus de terrain appréciés des électeurs, et suffisamment représentatifs pour être en prise avec les enjeux contemporains.

La création du conseiller territorial mettait en difficulté à la fois la région et le département. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

M. Manuel Valls, ministre. Ce fait était reconnu par des élus de droite comme de gauche ! Elle rompait le lien direct avec les électeurs, étant donné la complexité du dispositif, et ne permettait pas d’assurer la parité.

Dès lors, quand on est pour la parité, pour le département, pour la proximité, on doit se féliciter de la capacité d’invention du Sénat et du Gouvernement sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Certains d’entre vous prônent le maintien du scrutin majoritaire uninominal. Le Gouvernement ne peut se satisfaire de ce statu quo trop défavorable à la parité, comme l’a souligné Mme Gonthier-Maurin dans son rapport.

Vous venez d’affirmer, madame Troendle, qu’il était inacceptable, même scandaleux, que les conseils généraux ne comptent en moyenne que 13,5 % de femmes et qu’il faut donc aller plus loin. Or nous constatons que, en l’absence de règles précises, comme il en existe pour le scrutin de liste que nous vous proposons d’instaurer, la cause des femmes n’avance pas. S’agissant des élections législatives, bien que des pénalités financières très importantes soient prévues, on observe que la parité progresse d’un côté, mais pas de l’autre… (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) Pour faire avancer la parité, le scrutin binominal est plus efficace !

La dimension binominale du mode de scrutin proposé par le Gouvernement permettra d’atteindre dès 2015 la parité dans les conseils départementaux. Quel chemin parcouru depuis la loi du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ! Avec le présent projet de loi, c’est la parité, objectif à valeur constitutionnelle, qui pourra être atteinte dans la quasi-totalité des assemblées locales.

Notre pays est ainsi fait que, dans bien des domaines de la société, nous avons souvent besoin de la loi et de la règle pour faire avancer un certain nombre de causes. C’est de cette manière que la parité pourra s’imposer partout.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Pas dans le mariage…

M. Manuel Valls, ministre. Vous avez été nombreux à souligner la nécessité de la proximité entre élus départementaux et électeurs. C’est parce que cette proximité est indispensable que le Gouvernement a proposé un mode de scrutin qui préserve un lien fort entre les électeurs et leurs élus : un scrutin majoritaire par canton, le nombre des cantons devant rester légèrement supérieur à la moitié de ce qu’il est actuellement.

Monsieur Mézard, vous avez soulevé la question de la constitutionnalité du scrutin binominal majoritaire sur deux points. Je souhaite vous apporter les éléments de réflexion suivants.

D’abord, la représentativité peut bien entendu être partagée de manière binominale, au titre de la représentation d’un même territoire. Dans le cas contraire, les listes prévues dans le cadre de l’élection des conseils régionaux ne seraient pas constitutionnelles. Quant au principe de l’individualisation de l’égalité de représentation que vous évoquez, il n’y a pas été fait référence au Conseil d’État, où le rapporteur s’est penché de manière exhaustive sur les principes constitutionnels au respect desquels devrait veiller le Gouvernement lors de la rédaction de son projet de loi.

J’entends bien, également, les inquiétudes exprimées par plusieurs orateurs sur le redécoupage cantonal, et leur souhait qu’il soit réalisé par la voie législative. Mais l’article 34 de la Constitution, cité à plusieurs reprises, prévoit que la loi fixe les règles concernant le régime électoral des assemblées locales. C’est bien le sens de l’article 23 du présent projet de loi, que de fixer les règles, c’est-à-dire les dispositions de portée générale, concernant le redécoupage cantonal. Sur la base de ces règles, l’article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales prévoit, dans sa version actuellement en vigueur, que « les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d’État après consultation du conseil général ». Ces dispositions sont en conformité avec la volonté du pouvoir constituant, qui ne prévoit pas que les limites des cantons soient définies par la loi.

Toujours dans un souci de dialogue, je souhaiterais évoquer avec vous notre volonté commune que le redécoupage des cantons soit fait de façon équilibrée, en tenant compte de la démographie, mais aussi des territoires. C’est un vrai débat, qui n’est pas facile à aborder. La prise en compte de la démographie est indispensable, parce que c’est la règle qui découle de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 8 janvier 2009, ce dernier a validé la conformité à la Constitution de la règle de l’écart de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne qu’avait prévue le législateur pour le redécoupage des circonscriptions législatives.

Dans l’avis spécialement demandé par le Gouvernement au Conseil d’État, la haute juridiction administrative a confirmé la prise en compte de cette règle de l’écart de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne des cantons dans un département.

Dans la mesure où le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État apprécieront les critères du redécoupage, puis leur mise en œuvre par le Gouvernement, il n’est pas possible, pour celui-ci, de ne pas se conformer à ces exigences dans le présent projet de loi. Des exceptions, selon des critères géographiques ou pour des motifs d’intérêt général – j’ai entendu des interventions très pertinentes, par exemple sur les cantons ruraux ou de montagne, et je sais que le rapporteur est particulièrement sensible à ce sujet –, pourront cependant être prévues, au cas par cas : nous avons tenu à le préciser à l’article 23 du projet de loi, et ce sera bien l’approche retenue dans le cadre du redécoupage cantonal, pour tenir compte des territoires et de leurs spécificités lorsque cela sera pertinent.

M. Adnot a indiqué que le redécoupage cantonal est nécessaire ; nous devrons le réaliser selon les critères les plus clairs. Si nous avions gardé le mode de scrutin actuel, qui ne permet pas d’assurer la parité et qui est ancien, il aurait fallu procéder à un redécoupage exactement selon les mêmes principes.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. Manuel Valls, ministre. Les mêmes problèmes se seraient posés.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. Manuel Valls, ministre. Ceux qui critiquent notre dispositif ne font pas de propositions alternatives,…

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Si !

M. Manuel Valls, ministre. … en tout cas aucune qui respecte les règles démographiques et la parité. Je ne vois pas aujourd'hui, dans ce débat, de proposition autre qui permette à la fois de préserver la force du département, d’assurer la parité et de conserver la proximité !

M. Manuel Valls, ministre. Madame Bataille, vous avez évoqué ces questions, et souhaité que le Gouvernement avance dans la voie des exceptions démographiques et géographiques.

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. Manuel Valls, ministre. Au-delà de la règle des plus ou moins 20 %, nous devons travailler sur ces exceptions, si elles sont objectivement établies par la géographie. Naturellement, les élus, à n’importe quel échelon, représentent des citoyens avant de représenter des hectares, mais il faut néanmoins considérer l’étendue des cantons, le nombre de communes, la topographie. Il va falloir intégrer ces éléments dans la loi, pour permettre que le redécoupage, qui sera opéré en prenant l’avis des conseils généraux et dont le Conseil d’État sera saisi département par département, en tienne compte, à côté de la règle des plus ou moins 20 %. Le Gouvernement est particulièrement sensible et ouvert à cette question. Ceux qui sont favorables au dispositif que nous préconisons doivent savoir que nous allons intégrer les critères que vous avez évoqués, madame Bataille.

À cet égard, j’ai d’ailleurs particulièrement apprécié le talent de M. Nègre, notamment lorsqu’il a tenté de mettre en lumière de prétendues velléités « ruralicides » du Gouvernement. Je demande au maire de Cagnes-sur-Mer de transmettre nos salutations amicales à Éric Ciotti, élu du canton de Saint-Martin-Vésubie, qui comprend 1 473 habitants, alors que la population d’autres cantons des Alpes-Maritimes dépasse les 40 000 habitants. Cette situation et sa compétence exceptionnelle lui assurent une parfaite maîtrise du développement d’un département de plus de 1 million d’habitants… (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Un tel exemple ne peut manquer de vous convaincre tous qu’un changement rapide est nécessaire, pour que la légitimité d’aucun élu ne puisse être discutée ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. Bruno Sido. Ce n’est pas gentil !

M. Manuel Valls, ministre. Vous avez raison, il ne peut pas me répondre !

Ce devoir d’objectivité suppose un véritable dialogue préalable ; c’est le sens de la discussion qui se tient ici. À cet égard, je tiens à préciser au sénateur Mézard que ce n’est pas le Gouvernement qui a soulevé l’irrecevabilité au titre de l’article 40 de la Constitution de certains amendements ayant trait aux effectifs des conseils départementaux.

Le Gouvernement est à l’écoute des propositions formulées au sein du Sénat quant à la définition du seuil de population à partir duquel le scrutin de liste doit s’appliquer lors des élections municipales. Le projet de loi, je m’en suis expliqué hier, le fixe à 1 000 habitants ; c’est un point d’ancrage entre les différents projets évoqués qui est ainsi proposé.

MM. Adnot et Zocchetto ont évoqué la nécessité de relever quelque peu ce seuil par rapport au projet du Gouvernement, pour le porter à 1 500 habitants. Mme Assassi a au contraire préconisé de le ramener à 500 habitants. C’est aussi le souhait de M. Placé, qui nous manque ce soir. (Sourires.)

M. Jean Bizet. Cruellement !

M. Manuel Valls, ministre. Certes !

Ce sont deux options possibles. En revanche, le Gouvernement ne sera pas favorable à la fixation d’un seuil trop élevé, qui ne permettrait pas d’atteindre l’un des objectifs de la réforme, à savoir la progression de la parité au sein des conseils municipaux.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Encore la parité ! C’est une obsession, chez vous !

M. Manuel Valls, ministre. Vous avez raison, madame, la parité est une obsession pour nous.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Sauf dans le mariage !

M. Manuel Valls, ministre. J’attendais cette remarque, de votre part !

Je note, monsieur Hyest, que vous aviez soutenu la proposition du gouvernement précédent, qui prévoyait également un seuil à 500 habitants. Or, aujourd’hui, vous estimez que retenir un seuil de 2 000 habitants serait « pertinent ». Permettez-moi de relever une certaine contradiction entre ces deux positions ! Cela étant, j’ai dit hier que le Gouvernement était ouvert sur cette question. Au-delà du principe, il faut étudier quelle est la solution la plus pertinente.

Ce projet de loi marque également une étape en matière de démocratisation de l’intercommunalité. Le Gouvernement souhaite permettre cette étape nouvelle dans l’approfondissement de la démocratie pour les intercommunalités. Peut-être l’intercommunalité sera-t-elle d’ailleurs plus tard amenée à évoluer davantage encore, bien évidemment, par le biais d’un mûrissement, de l’achèvement de la carte intercommunale, de la pratique. En tout état de cause, il faudra toujours veiller à préserver la commune, qui tient une place toute particulière dans notre pays.

Je voudrais ainsi apaiser les craintes de Mme Assassi : ce n’est pas une étape vers la disparition des communes. Il n’est nullement question de remettre en cause l’échelon communal, qui reste essentiel dans notre organisation territoriale. Là aussi, l’objectif est de rendre les intercommunalités plus lisibles pour nos concitoyens, étant donné l’importance des compétences qu’elles assument aujourd'hui et l’ampleur des budgets qu’elles gèrent.

Ces réformes rendront nécessaires des adaptations, dont votre commission des lois a déjà eu l’occasion de débattre. Dans les communes pour lesquelles s’appliquera le scrutin de liste, le dépôt de listes complètes devra être obligatoire.

À la lumière de ces enjeux, votre assemblée saura définir le seuil le plus pertinent pour relever le défi de la parité, tout en garantissant le meilleur exercice de la démocratie au sein de nos quelque 36 000 communes.

Je voudrais enfin revenir sur les modifications proposées du calendrier électoral. Je rappelle que la précédente majorité avait modifié ce calendrier pour mettre en place le conseiller territorial. Il est donc naturel, dès l’instant où l’on abroge les dispositions relatives au conseiller territorial, de revenir sur le calendrier électoral qui avait été prévu spécifiquement pour la mise en œuvre de ce dispositif.

Je souligne que c’est la précédente majorité qui a raccourci le mandat des conseillers régionaux et celui des conseillers généraux, par la loi du 16 février 2010 : de deux ans pour les conseillers régionaux et de trois ans pour les conseillers généraux. Les échéances normales étaient 2016 pour les élections régionales et 2017 pour la série cantonale.

En l’augmentant d’un an, nous vous proposons ainsi de rapprocher la durée des mandats des conseillers régionaux et généraux élus en 2010 et en 2011 de la durée classique de ces mandats. Reporter les élections cantonales et régionales, plutôt que les élections municipales, permet aussi de conserver la durée normale du mandat des conseillers municipaux élus en 2008. Nous n’avons pas souhaité modifier l’ordre des élections locales d’ici au prochain renouvellement de votre assemblée.

Parce qu’elle réduit la fréquence à laquelle nos concitoyens sont appelés à se prononcer, la concomitance des élections locales stimule, je le crois, la participation électorale. Les faits ont démontré que le couplage des élections régionales et des élections cantonales permet une plus forte mobilisation du corps électoral.

Monsieur Hyest, vous préconisez une autre forme de concomitance, en proposant d’organiser simultanément les élections régionales et les élections européennes. Pourquoi pas ? Je m’interroge cependant sur la cohérence d’un tel choix : quel lien établissez-vous entre les deux scrutins ? L’un est essentiellement local, l’autre est très politisé, nous le savons. Par ailleurs, les élections européennes comportent un seul tour, les élections municipales deux. L’intérêt des électeurs pour les scrutins régionaux et départementaux, lorsqu’ils sont organisés simultanément, ne tient pas au hasard : il reflète leur intérêt pour l’action de ces deux échelons locaux et pour leur articulation dans les meilleures conditions.

Vous avez, monsieur Hyest, formulé d’autres propositions, sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir au cours du débat et que le Gouvernement étudiera avec beaucoup d’intérêt.

Monsieur Alain Richard, vous nous avez une fois encore montré votre exceptionnelle connaissance des collectivités locales (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.), en théorie comme en pratique. Je rappelle à ceux qui l’ignoreraient que vous étiez le rapporteur de la loi historique du 2 mars 1982. Votre créativité juridique a encore été fort utile à nos travaux. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion des amendements.

Je remercie vivement M. Jean Boyer des mots particulièrement républicains qu’il a eus à mon égard. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Je veux lui dire très sincèrement combien le Gouvernement entend préserver un équilibre entre l’exigence démocratique et la préservation des territoires ruraux.

Monsieur Collombat, nous nous connaissons depuis bien longtemps ; j’ai cru déceler quelques contradictions dans vos propos. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Je vous ai connu comme un grand réformateur, mais vous n’êtes ni pour la proportionnelle, ni pour le scrutin binominal. Je n’imagine pas que vous puissiez être, vous, un partisan du statu quo, que vous ne vouliez pas, vous, prendre en compte la parité et l’équilibre des territoires. Si l’on ne veut pas de la proportionnelle, si l’on ne veut pas du statu quo, si l’on veut la parité, il faut avancer en soutenant une proposition innovante qui, je le répète une nouvelle fois, émane d’abord de votre assemblée.

Je remercie Ronan Dantec de son soutien et de celui de son groupe au projet de loi. Je crois qu’Yves Daudigny a pertinemment et précisément démontré comment le binôme peut fonctionner sans difficulté, comment deux élus peuvent faire bloc pour défendre leur canton et se répartir les responsabilités. Je note à cet égard que, dans toutes les régions de France, les conseillers régionaux, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, savent facilement se répartir les responsabilités dans les conseils d’administration des lycées et des établissements publics.

M. Alain Fouché. Cela n’a rien à voir !

M. Manuel Valls, ministre. Je vous rappelle d’ailleurs que, lors de la création du conseiller territorial, vous aviez même imaginé que le suppléant puisse assumer un certain nombre de responsabilités. Enfin, soyons sérieux !

M. Alain Fouché. Vous ne l’êtes pas !

M. Manuel Valls, ministre. Deux candidats du même camp politique qui forment un binôme…

M. Bruno Sido. Pas forcément du même camp !

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le sénateur, j’attends de voir une candidature commune UMP-PS… Cela étant, tout est possible !

Deux candidats issus du même territoire qui forment un binôme, disais-je, qui s’entendent, qui travaillent ensemble pendant la campagne œuvreront également ensemble après leur élection. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx proteste.)

Madame la sénatrice, vous parlez beaucoup de mariage, de PACS ; je vous invite à laisser de côté ce sujet pour revenir au débat sur les cantonales. Ceux qui seront élus travailleront ensemble, parce qu’ensemble ils auront fait campagne, défendu un projet et reçu mandat des électeurs pour le mettre en œuvre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Manuel Valls, ministre. J’ai failli m’étonner que M. Philippe Bas manifeste une extrême exigence quant aux règles du redécoupage cantonal : elles sont exactement les mêmes que celles que le gouvernement précédent avait prévu d’utiliser pour le découpage des cantons d’élection des conseillers territoriaux ! J’ai vraiment trouvé surprenante sa suspicion à l’égard du Conseil d’État, qu’il connaît pourtant bien…

À cet égard, monsieur Pointereau, comment pouvez-vous parler de « tripatouillage », alors que le Gouvernement, après avoir demandé au Conseil d’État un avis sur les règles du redécoupage, a intégré ses recommandations dans le projet de loi et lui soumettra autant de décrets qu’il y a de départements concernés ?

M. Didier Guillaume. C’est cela, la transparence !

M. Manuel Valls, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’UMP, au vu du travail de la commission présidée par M. Guéna sur le découpage des circonscriptions législatives, je vous suggère de réviser votre argumentaire concernant un prétendu tripatouillage ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Au-delà des piques lancées de part et d’autre, je réaffirme que le Gouvernement est à l’écoute du Sénat. S’il a déposé en premier lieu le présent texte, qui concerne l’avenir des territoires,…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est bien ce qui nous inquiète !

M. Manuel Valls, ministre. … sur le bureau de la Haute Assemblée, c’est par respect pour elle. Nous partageons la même volonté : celle de préserver le département, qui est au cœur de la République, cette proximité que vous avez tous évoquée, mesdames, messieurs les sénateurs, tout en modernisant le canton à travers le renforcement de la parité, dans le respect des évolutions démographiques.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Bel alibi, la parité !

M. Manuel Valls, ministre. Fort de ces convictions et des propositions que je vous ai présentées, le Gouvernement restera, dans la bonne humeur, à votre écoute tout au long du débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...

La discussion générale commune est close.

Nous passons à la discussion des motions.

Nous allons examiner successivement les deux motions portant sur le projet de loi, puis la motion portant sur le projet de loi organique.

Exception d’irrecevabilité sur le projet de loi

 
 
 
 
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral
Demande de renvoi à la commission (début)

M. le président. Je suis saisi, par M. Hyest et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n° 49.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral (n° 252, 2012-2013).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Hugues Portelli, pour la motion.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe UMP, j’ai l’honneur d’opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral.

L’irrecevabilité constitutionnelle concerne trois dispositions essentielles du projet de loi soumis à notre examen.

La première de ces dispositions est relative au nouveau mode d’élection des conseillers départementaux. Celui-ci est caractérisé par l’invention des candidatures en binômes, justifiée par la volonté d’imposer la parité. Cette invention ne correspond à aucun des deux types de scrutins existant en France et dans les grands États démocratiques, à savoir le scrutin uninominal et le scrutin de liste.

M. Bruno Sido. C’est vrai !

M. Hugues Portelli. Sa mise en application aura pour première conséquence de créer un mode de représentation complètement baroque. Le couple de candidats sera paritaire jusque dans ses suppléants. Pourtant, en cas de démission d’un suppléant devenu titulaire, le siège restera vacant jusqu’à la fin du mandat, qui dure six ans. Les deux élus seront solidaires, y compris financièrement, durant la campagne, mais indépendants après. Ils pourront même faire des choix politiques divergents, le candidat à deux têtes devenant alors schizophrène,…

M. Albéric de Montgolfier. C’est bizarre !

M. Hugues Portelli. … ce qui pose la question de la sincérité d’un tel scrutin et, par conséquent, de sa constitutionnalité.

Si le Gouvernement tient à la parité, dont je rappelle que, dans la Constitution, il s’agit d’un objectif et non d’une obligation de résultat, rien ne l’empêchait de proposer de retenir le seul scrutin qui permette de la garantir, à savoir le scrutin de liste, proportionnel ou majoritaire fléché par canton.

M. Didier Guillaume. Vous n’êtes pas d’accord !

M. Hugues Portelli. Mais le Gouvernement a préféré proposer un système dont je ne connais qu’une application, au Chili, pour les élections législatives, sachant que, en l’espèce, il s’agit de permettre à l’électeur de choisir, en dehors de toute règle de parité, l’un des deux candidats proposés par une coalition de partis. Ce dispositif a été mis en place au lendemain de la chute du dictateur Pinochet. Les socialistes ayant fait alliance avec les démocrates-chrétiens, dans chaque circonscription étaient présentées des listes comportant deux noms, l’électeur choisissant un seul candidat.

Autre conséquence de l’instauration de la règle du binôme, le projet de loi réduit le nombre de cantons par département, celui-ci étant divisé par deux aux termes de l’article 3.

Cette réduction se fera automatiquement au détriment des territoires ruraux, dont les cantons couvriront une superficie démesurée et un nombre élevé de communes.

M. Jacques Legendre. Évidemment !

M. Hugues Portelli. Selon les calculs effectués, elle pourra même aboutir à la création de cantons de 60 000 habitants. L’urbanisation de la représentation départementale se trouvera donc généralisée.

N’oublions pas que le canton est une circonscription électorale et administrative de proximité. Or tel ne sera plus le cas ! Quelle sera la différence entre les « maxi-cantons » et les grandes intercommunalités créées à la suite de la réforme territoriale, en dehors du mode de représentation ?

Par ailleurs, je le rappelle, aux termes de l’article 24 de la Constitution, le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Il est l’émanation des collectivités par le vote des représentants de celles-ci. Or, en affaiblissant la représentation des territoires ruraux au sein du conseil départemental, le projet de loi affecte également leur représentation au sein du Sénat et porte atteinte à l’article 24 de la Constitution.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et ça, c’est grave !

M. Hugues Portelli. Pour ces différents motifs, le projet de loi nous paraît contraire à plusieurs impératifs d’intérêt général reconnus par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

La deuxième disposition visée par notre motion a trait au report des élections cantonales et régionales.

La durée du mandat des conseillers généraux et régionaux, et donc la date des nouvelles élections, avaient été fixées avant l’adoption de la loi créant les conseillers territoriaux.

M. Georges Labazée. Non, pas du tout !

M. Hugues Portelli. Si !

Le choix des candidats et le vote des électeurs ont été conditionnés par cette particularité d’un mandat court pour un corps d’élus en voie d’extinction. Cela est d’ailleurs souligné dans les commentaires des Cahiers du Conseil constitutionnel sur la décision rendue par ce dernier le 17 février 2010. Le fait que l’on prolonge la durée du mandat de ces élus de 25 % à 33 % n’a jamais été validé par le Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, le report de l’élection des conseillers départementaux à 2015 entraînera la désignation d’une partie des sénateurs par un collège électoral composé en partie de conseillers généraux en fin de mandat. Or, dans les commentaires des Cahiers du Conseil constitutionnel sur la décision du 15 décembre 2005 portant sur la loi modifiant les dates des renouvellements du Sénat, il est précisé que ladite loi « assure durablement que les sénateurs ne seront pas élus par des grands électeurs en fin de mandat. Ils le seront soit par des élus locaux en début de mandat (en 2008, 2014, 2020), soit par des élus locaux à mi-mandat (2011, 2017, 2023). Au regard du principe constitutionnel selon lequel le Sénat représente les collectivités territoriales, il est préférable […] de rapprocher à l’avenir l’élection des sénateurs de la désignation par les citoyens de la majeure partie du collège électoral sénatorial. »

Jusqu’à présent, que ce soit en 1998, en 2001, en 2004, en 2008 ou en 2011, le renouvellement du Sénat a toujours fait suite au renouvellement des conseils généraux. L’élection de tous les nouveaux conseillers départementaux en 2015 est susceptible d’entraîner une rupture dans la concordance avec les dates évoquées et une mauvaise représentation, au regard de ce critère, d’une partie des territoires. Cela est d’autant plus grave que le Gouvernement a l’intention, déjà traduite dans un avant-projet de loi, d’attribuer aux conseillers généraux et régionaux un droit de vote multiple pour les élections sénatoriales, ce qui aboutirait à fausser le scrutin. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)

Enfin, le report des élections locales doit être motivé par un impératif d’intérêt général. Or la date retenue jusqu’alors avait été validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 février 2010, lorsque celui-ci a validé la durée des mandats, la tenue concomitante de ces deux élections ayant été justifiée par la volonté de limiter l’abstention, ce que le Conseil constitutionnel a considéré comme un but d’intérêt général. L’étalement proposé aujourd’hui n’est justifié par aucun argument sérieux, sinon par le trop grand nombre d’élections, alors que leur regroupement permettrait justement de combattre l’abstention.

De notre point de vue, le report des élections départementales et régionales est donc contraire à la Constitution.

La troisième disposition visée par notre motion concerne les élections municipales à Paris.

Depuis la loi du 31 décembre 1982, les communes de Paris, de Lyon et de Marseille sont régies par des dispositions adoptées parallèlement pour ce qui concerne les élections municipales, puisque ces trois grandes communes sont les seules à être divisées en arrondissements. Cette spécificité avait d’ailleurs été consacrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 28 décembre 1982.

Bizarrement, le projet de loi qui nous est soumis ne concerne que Paris : il tend à modifier le nombre des conseillers élus par arrondissement. Bien entendu, ce sont trois arrondissements de droite qui voient leur représentation amoindrie, au profit de celle de trois arrondissements de gauche… Mais qu’en est-il de Lyon et de Marseille ? Aucune mesure ne vise ces villes ! Il s’agit là d’une atteinte caractérisée au principe de l’égalité devant la loi, principe constitutionnel constamment confirmé par le Conseil constitutionnel.

Mes chers collègues, pour ces trois motifs, nous vous invitons à déclarer le présent projet de loi irrecevable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, contre la motion.

M. Didier Guillaume. Les auteurs de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité soutiennent que le projet de loi que nous examinons contient des dispositions contraires aux principes édictés par la Constitution.

Je vais tenter d’apaiser leurs inquiétudes et de démontrer pour quelles raisons ce texte représente un progrès pour la démocratie locale.

J’entends dire que le report des élections cantonales et régionales serait de nature à altérer la sincérité du prochain scrutin sénatorial, ce qui constituerait une atteinte aux principes constitutionnels.

Il est vrai que, avec ce report, certains conseillers généraux voteront au mois de septembre 2014, lors des élections sénatoriales, sans que leur mandat ait été renouvelé depuis 2008. Ils auront ainsi participé à deux élections sénatoriales durant leur mandat, en 2008 et en 2014. Pour autant, il ne me semble pas que cela altère la sincérité du scrutin sénatorial, car les conseillers municipaux de nos 36 000 communes, qui constituent une part essentielle du collège électoral sénatorial, auront été entièrement renouvelés au mois de mars 2014, comme l’a indiqué M. le ministre. Sur 75 000 grands électeurs, environ 3 000 conseillers généraux, soit un peu plus de 3 % du corps électoral sénatorial, voteront deux fois durant leur mandat : je ne pense pas que ce soit de nature à altérer le résultat du scrutin… (Protestations sur les travées de l'UMP.)

De plus, selon deux constitutionnalistes de renom, le report d’une élection motivé par l’allégement du calendrier électoral ne peut pas être invoqué pour soulever l’inconstitutionnalité d’une autre élection. Cet avis est de nature à rassurer, en amont, nos collègues de l’opposition.

M. Didier Guillaume. Il faut suivre les avis du Conseil constitutionnel, mon cher collègue !

En réalité, ce report est parfaitement légitime. Sans lui, l’année 2014 aurait été particulièrement chargée en échéances électorales, avec la tenue de cinq élections représentant neuf tours de scrutin. En 2007, cet argument de la surcharge électorale avait d'ailleurs été jugé positivement par le Président Sarkozy et son gouvernement, puisque le mandat des conseillers municipaux et des conseillers généraux avait été prolongé jusqu’en 2008. C’est exactement le même argument qui avait été employé.

MM. Jean-Jacques Hyest et Bruno Retailleau. Non, c’est faux !

M. Didier Guillaume. J’ajoute que, en 1994, le mandat des conseillers généraux avait été prolongé d’un an.

M. Jean-Jacques Hyest. Pas pour ça !

M. Didier Guillaume. Combien de fois avons-nous entendu dire que nos concitoyens se désintéressaient de la politique et que les élections cantonales et a fortiori régionales ne les intéressaient guère, qu’elles favorisaient l’abstention ? Pour mobiliser nos concitoyens lors de ces élections, il est indispensable de modifier le calendrier électoral. Nous n’allons pas convoquer les Français cinq fois aux urnes en 2014, au risque de les démobiliser encore davantage.

Je vous rappelle que la jurisprudence du Conseil constitutionnel reconnaît et autorise la possibilité de modifier la durée des mandats électifs, à une double condition : il faut que cette modification soit justifiée par des motifs d’intérêt général et qu’elle ait un caractère exceptionnel et transitoire. La modification du calendrier électoral que nous proposons remplit cette double condition et ne pose donc pas de problème constitutionnel.

Par ailleurs, la création d’un nouveau type de scrutin pour les élections cantonales semble vous alarmer, chers collègues de l’opposition. Je vous rassure : la mise en place du scrutin binominal paritaire répond aux dispositions de l’article 34 de la Constitution, qui précise que le législateur est compétent pour fixer le régime des assemblées locales.

Par ailleurs, depuis l’adoption de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, la parité politique est devenue un objectif à valeur constitutionnelle, dont le Conseil constitutionnel s’est montré le gardien vigilant. L’objectif de parité est inscrit à l’article 1er de notre Constitution depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »

Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault ne se contente pas de défendre la parité, il la réalise concrètement. Il est le premier gouvernement de l’Histoire à avoir la volonté politique de répondre intégralement à cette exigence. Bientôt, au sein de nos assemblées départementales, il se trouvera autant de femmes que d’hommes. C’est un progrès aussi bien électoral que sociétal, et il nous faut l’accompagner. En instaurant le scrutin binominal paritaire, ce projet de loi répond à l’exigence de parité définie par la Constitution et marque un progrès par rapport à des pratiques politiques dont nous sommes, chacun d’entre nous, responsables. Comment pouvons-nous nous satisfaire que, en 2013, seulement 13 % des conseillers généraux soient des femmes ?

Je me permets également de citer le troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution : « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences. » Il me semble donc que les dispositions visant à modifier le mode de scrutin des conseillers généraux ne soulèvent aucun problème de constitutionnalité.

Force est de constater que, depuis plusieurs mois, les collectivités territoriales sont au cœur des travaux de la Haute Assemblée. Je fais évidemment référence au succès rencontré par l’organisation des états généraux de la démocratie territoriale, voulus par le président du Sénat. Ces états généraux ont permis de redonner enfin la parole aux élus locaux et de libérer la parole des territoires. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Nous en avons tiré les conséquences !

M. Bruno Sido. Grande réussite…

M. Didier Guillaume. Il est évident que nous partageons tous, sur chacune de ces travées, un même intérêt pour la question territoriale, même si nous défendons parfois des visions opposées.

Nous avons discuté et adopté la proposition de loi déposée par notre collègue Éric Doligé, qui visait à simplifier les normes s’imposant aux collectivités territoriales ; c’était un choix politique. Les 28 et 29 janvier prochain, nous examinerons deux propositions de loi déposées conjointement par nos collègues Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, et Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. La première vise à créer une Haute Autorité chargée du contrôle et de la régulation des normes applicables aux collectivités locales ; la seconde concerne plus spécifiquement le statut des élus locaux. Dans la foulée sera examiné le projet de loi de décentralisation, cet acte III que nous appelons de nos vœux.

En proposant ces différents textes, le Sénat est à l’écoute des représentants des territoires. Notre institution est fidèle à sa tradition et reste plus que jamais la maison des collectivités territoriales.

C’est dans ces circonstances que nous examinons ce projet de loi. Le texte que nous propose le Gouvernement est un texte de raison, un texte ambitieux qui ne fait pas de l’immobilisme une règle immuable.

Mme Nathalie Goulet. C’est joli !

M. Didier Guillaume. C’est un texte qui prend en compte les réalités territoriales. Les territoires ont connu bien des évolutions ces dernières années. Je crois qu’il était temps d’adapter les modalités d’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires à ces nouvelles réalités géographiques et démographiques.

Le texte prévoit d’abaisser le seuil de population à partir duquel s’applique le scrutin de liste proportionnel. Cet abaissement du seuil va bien évidemment dans le bon sens : il permettra de mettre fin, dans de nombreuses communes, à l’archaïsme du panachage et favorisera ainsi la mise en place d’équipes municipales cohérentes, qui se seront présentées collectivement aux suffrages des électeurs. Le panachage a un certain charme, c’est vrai, mais je crois qu’il n’est plus adapté à nos réalités territoriales. Il n’est pas sain pour notre démocratie que, dans des communes, les électeurs écartent certains candidats en raison de contentieux familiaux ou personnels.

M. Didier Guillaume. Je ne crois pas que ce seuil de 1 000 habitants soit figé – M. le ministre l’a indiqué –, et il nous appartiendra de fixer le juste seuil.

M. Didier Guillaume. Une autre réalité territoriale est prise en compte par ce projet de loi : les différences démographiques entre cantons. Je crois qu’un redécoupage était nécessaire et légitime. Les trois cinquièmes des cantons n’ont connu aucune modification de leurs contours depuis 1801, c’est-à-dire depuis l’époque napoléonienne. Là aussi, les temps ont changé. Comme le rappelle l’exposé des motifs, « le rapport entre le canton le plus peuplé et le canton le moins peuplé peut atteindre un pour quarante-sept ». Une adaptation à nos réalités territoriales s’imposait. Certes, il est légitime de continuer à prendre en compte nos diversités territoriales et géographiques, car le monde rural a besoin d’élus de proximité,…

M. Christophe Béchu. C’est vrai !

M. Didier Guillaume. … mais il était plus que temps de procéder à ce redécoupage demandé par le Conseil constitutionnel.

Les cantons sont des circonscriptions auxquelles les Français sont attachés, surtout dans les territoires ruraux, et il ne faut pas priver les électeurs de leur lien avec leurs élus. C’est pourquoi le Gouvernement a choisi de maintenir un fort degré de proximité entre l’élu et son territoire. Le conseiller général demeure le maillon essentiel entre les forces vives du territoire. Les maires et l’ensemble des associations s’appuient sur lui, car il joue un rôle de relais avec le département. Il ne faut pas éloigner la démocratie représentative du fait démocratique.

Ce texte ne reproduit pas l’erreur commise par le gouvernement précédent lorsqu’il avait créé le conseiller territorial. En fusionnant les conseillers généraux et les conseillers régionaux, on allait créer un être hybride sans spécificité. On allait créer de grands territoires désincarnés et sans cohérence. On allait supprimer un élu territorial sur deux. Est-ce que le nombre d’élus est le problème de notre démocratie ? Non ! Nous qui sommes sénateurs, nous savons très bien que ce n’est pas le cas.

J’ai lu avec attention, sur le site internet du groupe UMP, sa ligne de conduite pour 2013. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Je cite : « Nous ne laisserons pas la gauche détruire les bases de notre pacte républicain et nos institutions. »

M. Didier Guillaume. Cela tombe très bien, parce que c’est tout le contraire que nous voulons faire. Ce projet de loi vise à conforter notre pacte républicain et à promouvoir nos institutions en les modernisant. Nous pouvons donc être d'accord, mes chers collègues !

En introduisant la parité dans les assemblées départementales, comme nous l’avons fait pour toutes les élections, nous mettons fin à une discrimination qui n’a plus lieu d’être de nos jours. Le scrutin binominal est innovant, il peut surprendre, mais, jusqu’à preuve du contraire, aucune autre formule alliant la parité et la proximité n’a été proposée.

En introduisant l’équité dans le tracé des nouveaux contours de cantons qui étaient demeurés inchangés depuis deux siècles, nous nous mettons en conformité avec les exigences posées par le Conseil constitutionnel. Chacun s’accorde à reconnaître que c’était une nécessité. Je crois d'ailleurs que le Conseil constitutionnel l’avait demandé au précédent gouvernement. Il faudra bien sûr tenir compte des spécificités géographiques et démographiques, ainsi que du nombre de communes, qui est une spécificité française. Il s'agit de maintenir l’indispensable proximité entre les citoyens et leurs élus.

En introduisant la clarté dans l’élection des délégués communautaires, nous modernisons notre système et nous rapprochons l’échelon intercommunal de nos administrés. Il était plus que temps ! En abaissant le seuil à partir duquel s’applique le scrutin de liste, comme le demandaient beaucoup d’élus de tous bords et les associations d’élus, nous mettons davantage de cohérence dans les élections municipales. En reportant d’un an les élections cantonales et régionales, nous rendons un fier service aux plus petites communes, qui étaient dans l’incapacité d’organiser cinq élections et neuf tours de scrutin dans la même année, et nous clarifions la situation politique.

En réalité, cette motion de procédure, dont j’ai essayé de démontrer qu’elle n’était pas fondée, permet simplement à l’opposition de manifester son désaccord avec le Gouvernement. Il est légitime qu’elle le fasse, mais ce projet de loi possède deux qualités majeures, que nous pourrions tous reconnaître : il répond aux exigences définies par la Constitution et il constitue un progrès pour la démocratie territoriale. Ce sont ces principes qui doivent nous guider.

Pour l’ensemble de ces raisons, qui se fondent sur la Constitution qui s’impose à chacun de nous, à tous les républicains, nous voterons contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Delebarre, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. La commission des lois n’a pas retenu la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, pas plus d’ailleurs que les autres motions qui ont été déposées.

Cependant, je me dis que c’est une bonne chose que cette motion ait été présentée. Je donne acte à M. Portelli d’avoir essayé de soulever plusieurs points qui, selon lui, posent un problème de constitutionnalité. Ses arguments sont intéressants, mais aucun n’emporte l’adhésion. J’ai donc apprécié les éléments que M. Guillaume a présentés en écho, à décharge.

Certes, le projet de loi modifie les choses. Il n’est pas choquant que, dans le cadre d’un tel texte, certains aient souhaité aller le plus loin possible. Retenons simplement qu’il s’agit d’un vrai texte de rénovation de nos pratiques au niveau départemental. Gardons cette idée à l’esprit tout au long de notre débat. Nous examinons un projet de loi qui entraînera une évolution profonde de la manière dont les choses se passent dans nos départements. Je crois qu’il s’agit d’une évolution très positive de nos pratiques, en particulier en matière de parité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Portelli, vous avez avancé un certain nombre d’arguments qui méritent une réponse.

Ainsi, vous avez affirmé que le projet de loi pourrait constituer une manœuvre en vue des élections sénatoriales de septembre 2014.

M. Hugues Portelli. Bien sûr !

M. Manuel Valls, ministre. Sans qu’il soit besoin de rappeler, comme Didier Guillaume l’a fait avec brio, la part mineure que représentent aujourd'hui les conseillers généraux et les conseillers régionaux au sein du collège sénatorial – respectivement 2,6 % et 1,21 % –, je souhaiterais vous citer la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux modifications des durées de mandat. En effet, le Conseil s’est déjà prononcé sur ce sujet à plusieurs reprises. Notre débat est certes de nature politique, mais il fait référence à la loi fondamentale.

Dans sa décision n° 90-280 DC du 6 décembre 1990, le Conseil constitutionnel a admis la prolongation d’un mandat local en cours, car celle-ci s’inscrivait dans le cadre d’une réforme visant à permettre la concomitance du renouvellement intégral des conseils généraux et des conseils régionaux. Or, comme je l’ai déjà souligné, tel est bien notre objectif. Le Conseil constitutionnel avait conclu, d'une part, que les choix du législateur s’inscrivaient « dans le cadre d’une réforme dont la finalité n’[était] contraire à aucun principe non plus qu’à aucune règle de valeur constitutionnelle », et, d'autre part, que les modifications apportées à la durée des mandats en cours revêtaient « un caractère exceptionnel et transitoire » et que, de ce fait, elles n’étaient « contraires ni au droit de suffrage garanti par l’article 3 de la Constitution ni au principe de la libre administration des collectivités territoriales ».

Par la suite, saisi de la loi du 16 février 2010, qui modifiait également la durée des mandats des conseillers généraux et régionaux – chacun son tour ! –, le Conseil constitutionnel a considéré que « la concomitance des scrutins peut également trouver une justification dans l’objectif de favoriser une plus forte participation du corps électoral à chacune de ces consultations ». Or tel est bien notre objectif. Le projet de loi qui vous est soumis répond donc pleinement à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

D’une part, je le répète, en prolongeant d’une durée limitée à un an le mandat des conseillers généraux élus en 2008 et des conseillers généraux élus en 2011, le Gouvernement ne porte pas atteinte au droit de suffrage. De même, en allongeant de trois à quatre ans le mandat des conseillers généraux élus en 2011 et de quatre à cinq ans celui des conseillers régionaux élus en 2010, le texte est proche de la durée normale de ces deux mandats.

D’autre part, en proposant de reporter ces deux élections pour assurer que la participation électorale ne soit pas découragée par la multiplication des scrutins en 2014 et que les assemblées locales représentent le plus fidèlement possible les suffrages des Français, le Gouvernement se conforme de façon indiscutable à la jurisprudence constitutionnelle.

Monsieur Portelli, pour vous répondre très précisément, je tiens à dire que le Gouvernement n’ira pas dans la voie du vote plural et de la pondération de voix, ainsi que cela a été proposé par la commission consultative présidée par M. Lionel Jospin pour réformer le mode d’élection des sénateurs. Je veux être très clair sur ce point à la suite de votre interpellation. Il ne peut donc pas être un argument dans le débat qui nous réunit.

Vous affirmez aussi, à l’instar de plusieurs de vos collègues lors de la discussion générale, que le scrutin binominal majoritaire serait contraire à la Constitution, au motif que la représentation des électeurs ne peut pas être partagée entre deux élus. Il est important d’y revenir, car vous semblez oublier que nombre d’élections se déroulent au scrutin de liste et que, dans ce cadre, plusieurs élus sont issus de la même circonscription électorale. Tel est notamment le cas des conseillers régionaux élus au sein d’une section départementale. Vous semblez également ignorer que plusieurs conseillers municipaux peuvent représenter, au sein du conseil municipal, la même commune associée.

La représentation par deux élus d’un même territoire, prévue par le scrutin binominal, n’est donc pas unique en droit électoral français. En tout état de cause, elle n’est en rien inconstitutionnelle.

En outre, je rappelle que le mode de scrutin proposé ne remet pas en cause le principe du vote individuel des deux élus du canton au sein de l’assemblée départementale. Vous l’avez d’ailleurs, d’une certaine manière, vous-même rappelé à plusieurs reprises.

J’y insiste, le Gouvernement a entendu fixer dans le présent projet de loi les critères que le pouvoir réglementaire devra respecter pour le redécoupage électoral. Ceux-ci reprennent la jurisprudence du Conseil constitutionnel et celle du Conseil d’État et garantissent la délimitation de cantons respectant au mieux l’égalité devant le suffrage.

La loi détermine également les effectifs des conseils départementaux, comme pour tous les types d’élection. Il en est ainsi de l’article L. 337 du code électoral pour les conseils régionaux et de l’article L. 125 du même code pour les députés.

À cet égard, il faut savoir que le Conseil d’État, auquel le Gouvernement a demandé son avis sur les conditions d’un remodelage, n’a jamais mis en avant une telle obligation juridique. Nous avons donc fait un pas en avant en inscrivant dans le texte qui vous est proposé des éléments qui, jusqu’alors, relevaient uniquement du pouvoir réglementaire.

Enfin, je voudrais rappeler que le canton n’est pas la seule circonscription électorale qui fasse l’objet d’une définition par le pouvoir règlementaire. Les limites des communes sont en effet modifiées par arrêté préfectoral.

Vous avez aussi évoqué le cas de Paris et du statut PLM. La loi a déjà modifié la situation de Marseille indépendamment de celle des deux autres villes en 1987, sur l’initiative de M. Jean-Claude Gaudin. Il y a donc un précédent. Le projet gouvernemental tient compte des évolutions démographiques propres à la ville de Paris depuis 1982. Le tableau des conseillers de Paris n’avait pas été modifié depuis cette date, alors même que la population parisienne a considérablement évolué en trente ans.

La méthode de répartition des effectifs des conseillers de Paris et des conseillers d’arrondissement est rigoureusement la même que celle qui avait été utilisée en 1982, laquelle avait été validée par le Conseil constitutionnel. Si M. Gaudin a des propositions à faire concernant le scrutin applicable à Marseille, le Gouvernement, tout à fait respectueux du premier édile de cette ville, est prêt à en discuter, mais vous ne pouvez pas utiliser cet argument, puisque le statut d’une des trois villes a déjà été modifié indépendamment des deux autres.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme Didier Guillaume, je voudrais vous rappeler que le Gouvernement, par ce texte, poursuit plusieurs objectifs constitutionnels.

Le premier est la parité, inscrit à l’article 1er de la Constitution, lequel dispose que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». En consacrant un tel objectif et en instituant une obligation pour les partis politiques de contribuer à sa mise en œuvre, la révision constitutionnelle de 1999 a permis l’élaboration d’un édifice législatif qui favorise la parité. Nous nous inscrivons parfaitement dans ce cadre. Si nous ne l’avions pas respecté, votre motion de procédure aurait été tout à fait recevable, mais il se trouve que le Gouvernement, par ce projet de loi, propose de parachever cette œuvre législative, afin que la parité soit une réalité dans la plupart des assemblées élues, comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler.

Le deuxième principe constitutionnel que vise le texte est le respect du principe d’égalité devant le suffrage. La réforme du mode de scrutin départemental conduira à revoir profondément le contour des circonscriptions électorales départementales. Je me permets de rappeler ici quelques exemples nous confirmant qu’il est nécessaire de réviser la carte cantonale actuelle : dans certains départements, beaucoup d’entre vous l’ont rappelé, et sur toutes les travées, le rapport entre le canton le plus peuplé et le canton le moins peuplé peut atteindre un pour quarante-sept ; dans près de la moitié des départements, ce ratio est supérieur à un pour dix ; dans dix-huit départements, il est supérieur à un pour vingt.

Malgré les changements démographiques intervenus depuis la création des cantons en 1790, la carte cantonale est restée figée, ignorant ainsi les grands mouvements de population qui ont marqué la France ces deux derniers siècles. De tels écarts, même si nous devons être très attentifs à ce qui a été dit sur la représentation d’un certain nombre de territoires, ne sont plus acceptables au regard du principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage.

Le scrutin binominal majoritaire permettra donc à chaque département de se doter des circonscriptions électorales respectant l’égalité devant le suffrage, sans ignorer la spécificité d’un certain nombre de territoires. À cet égard, nous pouvons nous appuyer sur la jurisprudence constitutionnelle et administrative, que le Gouvernement propose de codifier.

Monsieur Portelli, la parité et le respect de la démographie sont autant de principes constitutionnels que vous auriez pu rappeler.

Le troisième principe visé par le texte est l’expression du pluralisme des opinions, inscrit à l’article 4 de la Constitution. Je veux bien évidemment parler de ce que nous proposons pour la démocratie communale et intercommunale.

Pour terminer, je reviens sur cette tradition républicaine, que certains d’entre vous ont évoquée en commission ou lors de la discussion générale, selon laquelle les modes de scrutin ne doivent pas être modifiés moins d’un an avant une élection.

M. Albéric de Montgolfier. C’est une tradition !

M. Manuel Valls, ministre. Vous avez raison, mais, sur ce point, je voudrais rappeler les termes très clairs de la décision du Conseil constitutionnel, datée du 20 juillet 1988 : « Il n’existe pas de principe fondamental reconnu par les lois de la République interdisant la modification des règles électorales dans l’année précédant un scrutin ».

Le conseil a jugé que ce principe ne résultait d’aucune disposition législative antérieure à la Constitution de 1946 et rappelé que diverses lois, dans le passé, avaient au contraire modifié les règles électorales dans l’année précédant le scrutin. Il en a conclu que la prohibition de telles modifications ne saurait être regardée comme constituant un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Au fond, en engageant la discussion dès la fin de l’année dernière devant la commission et en débattant aujourd’hui de ce projet de loi, en ce début d’année 2013, nous respectons tant les principes constitutionnels que la tradition.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en répondant point par point à M. Portelli, je crois avoir fait la démonstration, à l’instar de M. Guillaume, que ce texte est conforme à notre loi fondamentale. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix la motion n° 49, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 77 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Majorité absolue des suffrages exprimés 172
Pour l’adoption 162
Contre 180

Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Demande de renvoi à la commission du projet de loi

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral
Demande de renvoi à la commission (interruption de la discussion)

M. le président. Je suis saisi, par MM. Hyest, Retailleau et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, d’une motion n° 1 rectifiée.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, le projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral. (n° 252, 2012-2013).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. Bruno Retailleau, pour la motion.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je soutiens cette motion au nom de mon groupe pour trois bonnes raisons.

La première tient aux mauvaises conditions dans lesquelles le texte a été examiné. Je serai rapide sur ce point, puisque divers orateurs, à gauche, à droite et au centre, les ont déjà soulignées. Je tiens cependant à rappeler que le projet de loi aura des conséquences importantes sur le calendrier ou le mode de scrutin de l’ensemble de nos élections territoriales : élections municipales et communautaires, départementales et régionales.

Ce texte, qui est donc majeur, a été inscrit à notre ordre du jour par la conférence des présidents lors de sa réunion du 19 décembre dernier ; le même jour, notre excellente commission des lois se réunissait pour l’examiner. Vous me direz, on a vu pire... C’est vrai, monsieur le ministre, voyez ce qui s’est passé avec votre collègue Mme Duflot, dans le cas du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public. Mais ce n’est pas parce que les délais d’examen sont cette fois-ci un peu meilleurs qu’il faut s’en satisfaire !

M. Jean Bizet. Eh oui !

M. Bruno Retailleau. Le respect de notre assemblée, comme de l’Assemblée nationale, exigerait de nous accorder des délais de réflexion un peu plus longs pour nous permettre d’examiner les textes en profondeur.

La deuxième raison d’adopter cette motion est inspirée par un souci de cohérence.

Hier soir, notre collègue François Zocchetto vous reprochait d’avoir mis la charrue devant les bœufs. En effet, un mode de scrutin n’est pas une fin en soi, vous en conviendrez. C’est une modalité qui doit servir la mission assignée à la collectivité pour laquelle le scrutin est prévu.

Je m’explique : nous sommes nombreux sur l’ensemble de ces travées à considérer que le département offre une garantie à la ruralité, parce qu’il permet d’articuler, grâce à sa taille, l’échelle de la proximité – avec l’efficacité qu’on lui reconnaît dans le cadre des politiques sociales – et la projection dans l’avenir, pour les questions de désenclavement par exemple.

Tout le problème est là, car il existe un lien entre le mode de scrutin et les compétences d’une collectivité. On ne peut pas dire à la fois que l’une des forces du département est la défense de la ruralité et adopter un mode de scrutin dont la conséquence sera un redécoupage qui écrasera la représentation de cette ruralité. Au-delà des clivages partisans, plusieurs orateurs l’ont déjà dit, mais je le répète avec force : pour des raisons qui ne sont pas uniquement juridiques, vous avez fait le choix de la règle arithmétique scrupuleuse, de la règle démographique, plutôt que de prendre en compte la territorialité, la proximité, ce qui fait les bassins de vie.

Reconnaissez qu’il y a parfois, en France, une conjonction entre des périmètres administratifs et des périmètres affectifs qui correspondent à des identités. Or, pour remédier à une discrimination et faire progresser la parité, vous créez une autre discrimination, territoriale cette fois. J’ai entendu notre excellent collègue Mézard invoquer l’idée de la fracture territoriale, que nous connaissons tous dans nos départements et à laquelle nous devons prêter attention. Un objectif, fût-il extrêmement louable, comme la parité, ne saurait être atteint au détriment d’autres objectifs tels que la représentation territoriale – pour des élections territoriales, c’est bien le moins ! – ou même la pluralité. En effet, lorsqu’un groupe politique gagnera un canton, il gagnera deux voix ; il y a donc deux poids, deux mesures !

De même, vous avez choisi un mode de scrutin majoritaire. Mais à quoi sert-il de choisir un tel mode de scrutin censé maintenir le lien entre l’élu et ses électeurs si, dans le même temps, en redécoupant la circonscription électorale, vous éloignez l’électeur de l’élu ? Il y a là une contradiction que vous devrez nous expliquer.

Mais je vois une objection encore plus grave à ce projet de loi. Pourquoi consacrer autant de temps à son examen quand on a le sentiment – c’est un président de conseil général qui vous le dit – que ce gouvernement, comme ceux qui l’ont précédé – je l’ai suffisamment dit ici, mes collègues de droite s’en souviennent –, programme la fin des départements.

Vous avez raison, monsieur le ministre, l’Assemblée des départements de France n’est pas restée silencieuse. Nous avons reçu la semaine dernière une lettre très courageuse de son président, Claudy Lebreton, qui tire le signal d’alarme et se fait le relais de « la colère des départements ruraux ».

M. Bruno Retailleau. Selon lui, le compte n’y est pas, et tous les présidents de conseil général présents dans cet hémicycle vous le diront également. Il suffit de se rappeler les débats de la fin de l’année dernière sur la péréquation…

Aujourd’hui, tous les départements, notamment les départements ruraux, sont menacés d’asphyxie et de mort lente. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Jean-Pierre Michel. Cela n’a rien à voir avec l’élection !

M. Bruno Retailleau. Alors, à quoi bon passer du temps à discuter du mode de scrutin, si l’on ne se pose pas deux questions préalables : quel est le devenir de la collectivité territoriale concernée et en quoi ce mode de scrutin contribuera-t-il au bon fonctionnement de cette collectivité ?

Permettez-moi de vous dire que le choix que vous faites va brouiller les cartes. Le mode de scrutin que vous avez retenu a été qualifié d’« original », de « curieux » ou de « pittoresque » ; je tiens à ajouter mon épithète et je le qualifierai de « fantaisiste ». En tout cas, c’est un bel hommage à la créativité et au génie français, monsieur le ministre, je vous le concède ! On nous a parlé tout à l’heure de zizanie : en effet, nous aurons deux candidats solidaires pour l’élection, deux candidats solidaires pour le contentieux, mais ensuite deux candidats solitaires dans l’exercice de leur mandat.

Monsieur le ministre, vous vous êtes trompé lorsque vous nous avez dit que le scrutin de liste, aux élections régionales, revenait au même que le nouveau scrutin que vous proposez. En effet, lorsque l’on vote au scrutin de liste, on choisit l’assemblée délibérante et c’est ce qui assure la cohérence du choix et la pureté de la représentativité des élus.

En fait, votre choix est un entre-deux : ce mode de scrutin n’est ni vraiment majoritaire ni franchement proportionnel.

M. Jean Bizet. C’est vrai !

M. Bruno Retailleau. Cet entre-deux va bien avec l’air du temps et le positionnement de ce gouvernement sur bien des points.

Je ne sais pas si ce mode de scrutin est constitutionnel ou non, mais je sais qu’en divisant la notion de représentativité, vous l’altérez ; peut-être même la dénaturez-vous. Sur le plan constitutionnel, j’ai entendu les arguments que vous opposiez à l’auteur de la motion précédente, mais le passé récent nous incite à penser que les constitutionnalistes qui conseillent le Gouvernement peuvent parfois se tromper, car il ne s’agit pas d’une science exacte.

J’en viens à la troisième raison d’adopter cette motion : la cohérence. Je crains en effet que derrière ce souci de cohérence ne se cache un problème politique. Il se peut que nous ayons affaire à une forme de manœuvre électorale…

Monsieur le ministre, vous avez exprimé le vœu que ce débat se passe dans la bonne humeur. Je m’associe à ce vœu et je voudrais vous le prouver. Quand je vous regarde, j’ai envie de vous donner le bon Dieu sans confession, comme on dit chez nous. (Sourires.)

M. Manuel Valls, ministre. Venant de vous…

M. Michel Delebarre, rapporteur. C’est risqué !

M. Bruno Retailleau. Mais quand je lis votre texte, je me dis que le diable se cache parfois dans les détails.

Lorsque l’on met en perspective ce texte avec l’expérience d’autres élections, législatives, européennes, sénatoriales, on peut émettre des doutes. Sur quels éléments se fondent ces doutes, si j’essaie de les objectiver ?

Premier indice, le mécanisme du report de calendrier a pour conséquence le gel d’une partie plus ou moins significative du corps électoral pour les sénatoriales, soit 4 % en moyenne. Toutefois, pour certains départements, comme la Corse, près de 10 % du corps électoral sera concerné, et cette proportion est tout à fait importante.

Si l’on appliquait ces règles aux résultats des dernières élections sénatoriales dans la série n° 2, ce gel qui paraît marginal aurait pu changer les résultats dans onze départements. Dans trois départements, ces résultats auraient été complètement inversés.

Cet indice est d’autant plus troublant que l’un de nos collègues, Jean-Vincent Placé – il est absent ce soir, mais il est toujours présent parmi nous ! (Sourires.) –, indiquait dans un journal paraissant le dimanche qu’il ne fallait pas se tracasser parce que la gauche conserverait la majorité au Sénat, grâce à une petite modification du mode de scrutin ; il ne parlait peut-être pas du vote plural, mais du passage à la représentation proportionnelle des départements qui élisent aujourd’hui trois sénateurs. Quand on additionne ces deux éléments, on ne peut être que troublé.

Le deuxième indice – c’est le pompon !–, c’est l’abaissement du seuil permettant aux candidats de se maintenir au deuxième tour. Personne ne doute ici que le chiffre 10, chiffre rond, n’ait une portée magique. Mais lorsque l’on se risque à faire des projections, comme Louis Nègre l’a fait hier, sur la base des résultats des dernières élections cantonales de 2011, on obtient 259 triangulaires, dont 121 en présence du Front national – vous me direz si nous nous sommes trompés dans nos calculs, mais c’est un fait !

Pourquoi donc abaisser ce seuil ? Quel est l’objectif d’intérêt général que poursuit le Gouvernement en faisant cette proposition qui me rappelle une phrase de François Furet. Dans un article publié quelques mois avant sa mort, intitulé L’énigme française, ce dernier évoquait « l’avantage sans prix d’avoir un allié objectif sous la forme d’un adversaire radical ».

M. Jacques Mézard. Oh ! (Sourires sur certaines travées du RDSE.)

M. Bruno Retailleau. L’avantage est sans prix, certes, mais il ne faudrait pas en abuser.

Je vois un autre indice, enfin, dans le redécoupage des cantons. Personne dans cette assemblée ne doute qu’il faille réduire les écarts. En revanche, nous contestons le fait que le Gouvernement s’octroie un pouvoir absolument discrétionnaire pour réaliser ce découpage à sa main, en tout cas pour avoir la liberté totale de remodeler radicalement la France des cantons.

Cette liberté vous est donnée par deux dispositifs.

Tout d’abord, ce mode de scrutin un peu imaginatif vous permettra d’écraser, de réduire le nombre de cantons en les divisant par deux, et donc d’avoir le coup de crayon ou de ciseaux beaucoup plus libre que s’il avait fallu seulement procéder à des réajustements démographiques en fonction des frontières de cantons existantes. Encore une fois, le tunnel des 20 % peut être élargi. Je pense donc que vous vous référez de façon excessive à cette règle du Conseil constitutionnel, à cette contrainte, s’agissant d’une assemblée territoriale dont l’objectif est aussi, contrairement à l’Assemblée nationale, de représenter des territoires.

Ensuite, un deuxième dispositif me gêne beaucoup plus : vous souhaitez vous affranchir des limites des circonscriptions existantes. Une telle disposition pourrait être contestable d’un point de vue constitutionnel.

Les deux derniers remodelages des circonscriptions législatives ont eu soin – la loi le précisait – de respecter dans leur intégrité les limites des cantons.

M. Philippe Kaltenbach. Ce n’est pas vrai !

M. Bruno Retailleau. Le Conseil constitutionnel pourrait juger que ce nouveau redécoupage doit respecter les redécoupages précédents, d’autant plus que ces redécoupages étaient encadrés par une loi, alors que le nouveau redécoupage sera défini par un décret, fût-ce un décret en Conseil d’État. Il me semble donc que vous prenez une très grande liberté en vous octroyant le droit de franchir, de bousculer les frontières des circonscriptions législatives, et ce point pourrait constituer une faiblesse de votre texte.

En tout cas, je souhaite que vous nous fassiez mentir en acceptant les propositions que nous ne manquerons pas de vous présenter par le biais de nos amendements. Si le Gouvernement acceptait l’un de ces amendements, il pourrait montrer sa bonne foi et lever ainsi les doutes sur les manœuvres électorales que j’essayais de décrypter. Ainsi, l’intervention d’une commission ad hoc, composée de personnalités indépendantes et qui interviendrait en plus du Conseil d’État – idée somme toute normale dans une démocratie adulte –, permettrait que vos futurs coups de ciseaux soient moins impartiaux que ce que nous craignons à la lecture de l’ensemble de votre texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, contre la motion.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, autant on a pu, même sans la partager, apprécier l’argumentation de M. Portelli, qui a défendu la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, autant je pense que je pourrais m’arrêter là tant les propos de M. Retailleau étaient complètement en dehors du sujet. (Protestations sur les travées de l'UMP.) D’ailleurs, mon cher collègue, comment pouvez-vous apprécier le travail de la commission des lois, alors que vous n’en faites pas partie ? Certes, vous pouvez lire les comptes rendus de ses réunions, mais, enfin, c’est quand même insuffisant ! Je vais donc vous donner quelques précisions.

Si votre groupe vous a désigné pour défendre cette motion, c’est bien parce qu’il n’y croit pas. (Protestations sur les mêmes travées.) Car s’il y croyait, il ne manque pas, au sein de la commission des lois, d’éminents membres de l’UMP pour dire ici ce qui s’est vraiment passé en commission des lois. Alors, disons-le !

M. Rémy Pointereau. Ce n’est pas vous qui allez désigner nos orateurs !

M. Jean-Pierre Michel. M. Delebarre, notre rapporteur, a été nommé, c’est vrai, le 5 décembre.

M. Bruno Sido. Comment ? Par qui ?

M. Jean-Pierre Michel. Le 19 décembre, la commission des lois s’est réunie pendant quatre heures pour entendre le rapporteur, les commissaires et examiner les amendements du rapporteur. Ce dernier a auditionné un certain nombre d’organisations dont la liste figure dans le rapport. Encore faudrait-il que vous l’ayez lu, monsieur Retailleau, ce dont je doute !

Le rapporteur a également reçu des contributions écrites d’un certain nombre d’autres organisations.

La commission des lois s’est également réunie, ce matin, de dix heures à douze heures quarante-cinq, pour examiner cent cinquante amendements. Elle s’est à nouveau réunie ce soir, de dix-neuf heures trente à vingt et une heures trente, pour examiner encore une centaine d’amendements. Sachez qu’elle se réunira demain soir de dix-neuf heures trente à vingt et une heures trente pour examiner les derniers amendements.

M. Rémy Pointereau. Quelle vie !

M. Jean-Pierre Michel. Je remarque d’ailleurs, ce que vous semblez ignorer, monsieur Retailleau, que, parmi ces amendements, plusieurs étaient identiques ou de conséquence. Sur ceux qui posaient vraiment problème, une vraie discussion a eu lieu, et je ne pense pas que M. Hyest me contredira sur ce point.

Rien dans votre intervention ne prouve que notre travail a été insuffisant et qu’il faudrait retourner en commission. Je remarque du reste que, dans votre intervention d’un quart d’heure, qui est le temps imparti, vous avez évacué cette question en trois minutes exactement, pas plus, pour nous présenter ensuite ce qui aurait pu être l’objet d’une question préalable. On se demande d’ailleurs pourquoi votre groupe n’a pas présenté une telle motion.

Monsieur Sido, vous qui êtes paraît-il le chef de file du groupe UMP en la matière,…

M. Bruno Sido. Vous me faites trop d’honneur !

M. Jean-Pierre Michel. … vous auriez pu, en défendant une question préalable, développer aussi bien et peut-être mieux que M. Retailleau les arguments qu’il a exposés et que nous avions déjà entendus pendant trois heures lors la discussion générale. Vous nous auriez redit que le département doit subsister, parce qu’il est l’expression de la ruralité. Car il paraît que nous voulons supprimer les départements… J’avais cru comprendre que la déshérence et la fin des départements se trouvaient non dans ce texte, mais dans celui que vous avez fait voter par votre majorité et qui instituait le conseiller territorial !

M. le ministre ayant répondu très longuement au début de cette soirée à tous ces arguments, je pensais que la question était réglée. Mais elle ne l’était pas !

Ensuite, pendant exactement sept minutes,…

M. Rémy Pointereau. Quelle précision !

M. Jean-Pierre Michel. … vous vous êtes livré, monsieur Retailleau, à des considérations totalement politiciennes, il faut le dire, vous, d’ailleurs, dont le département a pour logo l’emblème des Vendéens qui ont combattu la République. Bel exemple, bel exemple… (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Sido. C’est scandaleux ! Rappel au règlement, monsieur le président !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Il fait une analyse clinique !

M. Rémy Pointereau. Prenez exemple sur la Vendée, monsieur Michel ! C’est un département de référence !

M. Jean-Pierre Michel. Oui, il s’agissait de propos purement politiciens ! Mais si M. Retailleau veut m’interrompre, je le lui permets.

M. le président. C’est à moi d’en décider, monsieur Michel !

M. Bruno Sido. Il a le droit de répondre !

M. le président. Monsieur Retailleau, souhaitez-vous répondre à M. Michel ?

M. Bruno Retailleau. Oui, je vous remercie, monsieur le président.

Ce débat nous conduit à évoquer des sujets qui nous tiennent à cœur, nous qui sommes parlementaires et qui exerçons des responsabilités locales.

Oui, j’ai défendu une motion de renvoi à la commission. Quand vous étiez dans l’opposition, monsieur Michel, combien de demandes de renvoi à la commission n’avez-vous présentées pour combattre les textes de loi ! Eh bien, ce soir, c’est à mon tour, de la façon la plus claire possible et avec mes convictions, de développer mes arguments.

Monsieur Michel, je ne vous laisserai pas dire que les Vendéens étaient contre la République.

M. Bruno Retailleau. Vous avez commis une erreur historique ! Les Vendéens se sont soulevés contre une république terroriste. Lisez leurs cahiers de doléances ! Tous les documents en témoignent : les Vendéens ont soutenu les idéaux de 1789.

J’ai cité François Furet, mais j’aurais pu évoquer de nombreux autres historiens. Cette dérive de la Terreur a tué des dizaines de milliers de personnes dans des conditions affreuses.

Mme Cécile Cukierman. Et les rois ? Combien de personnes ont-ils tuées ?

M. Bruno Retailleau. Ce n’était donc pas une lutte contre la République.

Je m’honore d’être l’élu de l’un des départements qui, lors de la guerre de 1914-1918, a donné le plus de son sang pour la République.

M. Bruno Retailleau. Je peux vous assurer que nous sommes fiers d’être Vendéens mais, surtout, d’être Français, d’être républicains et d’avoir pour emblème le drapeau bleu, blanc et rouge qui est la synthèse de toute notre histoire.

C’est mon patrimoine, c’est notre patrimoine. Ne le piétinez pas au cours d’une discussion qui mérite autre chose que ce type d’invective. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur Retailleau, en traversant la Vendée plusieurs fois, j’ai été choqué par ce logo qui est l’emblème des Vendéens. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Sur la Révolution et sur la République, je partage non votre conception mais celle de Clemenceau, cher à notre ministre de l’intérieur. La Révolution ne se découpe pas en tranches de saucisson, on la prend en bloc ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC. –  Vives exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme Cécile Cukierman. Voilà les fondamentaux !

M. Jean-Pierre Michel. Il n’y a pas de république terroriste. Il y a la République, point final ! Et il y a ceux qui l’ont combattue et qui étaient les Vendéens ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Monsieur Retailleau, je comprends bien que votre groupe, qui avait beaucoup trop de candidats pour s’exprimer dans la discussion générale, a trouvé utile de demander au président de conseil général que vous êtes de défendre, pendant un quart d’heure, la demande de renvoi à la commission. (Protestations sur les travées de l'UMP.) Or vous n’avez absolument rien prouvé à l’appui du sujet qui était le vôtre.

Je pense donc, mes chers collègues, que vous vous opposerez à cette motion. (Sur l’invitation de M. Rémy Pointereau, M. Bruno Retailleau et de nombreux sénateurs du groupe UMP quittent l’hémicycle.)

D’ailleurs, je vois que vous vous y opposez en quittant l’hémicycle, car vous êtes gêné par les propos de votre collègue !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Delebarre, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’étais, comme vous, transporté par la justesse d’analyse de notre ami Jean-Pierre Michel. Cela nous éloignait un peu de notre texte et, en même temps que je l’écoutais, je me demandais de quoi nous devions parler.

Le renvoi à la commission ? Tous ceux qui ont suivi les travaux de la commission des lois savent que c’est M. Béchu qui n’a cessé tout au long de nos discussions d’y revenir, ne manquant pas de l’évoquer tous les cinq amendements.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je l’attends, ce renvoi !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Moi, je m’attendais à ce que ce soit lui qui défende cette demande de renvoi à la commission.

M. Michel Delebarre, rapporteur. Certes, mais j’aurais bien aimé que cela se produise immédiatement, car le stock de demandes de renvoi à la commission est tel qu’il nous aurait permis de savoir ce que nous aurions pu nous dire.

M. Retailleau, très pris par son sujet, très concentré, a tenu des propos fort intéressants, mais qui n’avaient rien à voir avec un renvoi à la commission. Pourtant, l’idée de nous retrouver à nouveau pendant une dizaine d’heures en commission nous semblait assez plaisante. (Sourires.) Comme M. Hyest le sait, nous aimons débattre. Or on a sacrifié ce plaisir légitime à un moment d’histoire de France à interprétation variable, si j’ai bien compris. C’est la raison pour laquelle je ne vois pas ce que la commission des lois a à faire de ce non-renvoi à la commission. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Je regrette que M. Retailleau soit parti, même si je n’entrerai évidemment pas dans ce débat passionnant sur l’histoire.

Je crois très honnêtement que les conditions d’examen de ces projets de loi sont satisfaisantes : notre loi fondamentale a été respectée, la procédure accélérée n’a pas été engagée, le Gouvernement a saisi la Haute Assemblée en premier de textes directement liés à l’avenir des territoires.

Après l’abrogation du conseiller territorial, chacun veut avancer. Aucun d’entre vous n’a été pris par surprise. Ce choix avait été celui du Sénat lui-même, à travers la proposition de loi présentée par Mme Borvo Cohen-Seat et votée par la majorité de gauche. Le candidat François Hollande l’avait également proposé au cours de la campagne présidentielle.

Qu’il y ait débat et opposition, c’est normal, mais chacun me paraît disposer désormais de tous les éléments nécessaires à la compréhension du texte présenté par le Gouvernement. Ainsi, l’étude d’impact qui accompagne désormais chaque projet de loi se veut la plus complète possible. Celle qui a été fournie compte près de cinquante pages et répond à cet objectif de lisibilité de la loi. L’excellent rapport de Michel Delebarre a également permis, j’en suis convaincu, de lever les dernières interrogations. Je rappelle en outre que j’ai moi-même mené toute une série de consultations pour éclairer, bien avant la fin de l’année passée, l’ensemble des formations politiques représentées au Parlement.

Nous avons voulu créer, dites-vous, un dispositif original et inventif. Je prends ces mots pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des compliments. Je rappelle cependant que cet effort d’imagination accompli par le Gouvernement a été facilité par le travail de Mme Michèle André.

Nous avons agi progressivement, car il fallait chercher à préserver le département, à instaurer la parité et à conserver ce lien de proximité. Nous ne pouvions pas dénier cette proximité en choisissant le scrutin proportionnel pour la liste départementale. Aussi, le système proposé par votre collègue ne m’a pas convaincu, car il aurait été incompréhensible pour les électeurs. Sur cette base-là, je crois que notre proposition est innovante et correspond à ce qu’il fallait faire.

J’ai déjà eu l’occasion de répondre aux différents arguments concernant le binôme et son efficacité lors de la campagne électorale, au moment de son élection ou par la suite. Je suis convaincu, pour ma part, qu’à l’issue de cette campagne, grâce au projet qu’ils porteront, les deux candidats recevront le mandat des électeurs.

Je tiens également à dire à votre excellent collègue qu’il fait une confusion s’agissant du scrutin législatif, qui obéit à des règles constitutionnelles, notamment celle relative à la mise en place d’une commission. J’ai rappelé le travail tout à fait impartial mené par M. Guéna, avec le soutien de M. Marleix. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Comme quoi, une commission indépendante peut toujours rendre des conclusions impartiales ... Je me souviens aussi de la cinquantaine d’exceptions qu’il y avait eues alors au principe de l’unité des cantons. L’exception avait donc une place importante dans la proposition qui nous avait été faite à l’époque.

Pour ce qui concerne la règle des 10 %, j’entends bien les mises en cause à propos de ce changement. Sur ces questions, je suis tout à fait ouvert. Souvent, le scrutin cantonal est localement moins politisé qu’on ne le dit, ce que confirment d’ailleurs les résultats.

M. Bruno Sido. C’est vrai !

M. Manuel Valls, ministre. La question du Front national, qui concerne ceux qui s’en approchent parfois dangereusement, se règle aussi dans le débat public et politique.

M. Hyest reviendra au cours du débat sur ces questions que l’on peut évidemment se poser et sur lesquelles, comme je l’ai dit, je reste ouvert à la discussion.

Je tiens cependant à rappeler que, de 1969 à 2010, la règle, c’était 10 %.

M. Manuel Valls, ministre. On peut sans doute revenir sur le changement qui a été opéré en 2010 pour des raisons qui n’étaient sans doute pas politiques. (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste.) À partir du moment où nous abrogeons le conseiller territorial, nous avons pensé, humblement, compte tenu de votre attachement au canton et à ce rapport de proximité, que nous pouvions revenir, au-delà des modifications que nous proposons, aux 10 %.

M. Manuel Valls, ministre. Nous verrons au cours du débat s’il nous faut évoluer ensemble sur cette question. En revanche, je vous le dis très clairement, je n’admets pas l’accusation qui nous est faite de vouloir manipuler le scrutin en fonction du Front national. De ce point de vue, sur le fond, la majorité et le Gouvernement n’ont aucune leçon à recevoir ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, je demande une suspension de séance pour réunir le groupe UMP.

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures trente, est reprise à vingt-trois heures quarante-huit.)

Demande de renvoi à la commission (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral
Demande de renvoi à la commission (suite)

M. le président. La séance est reprise.

Demande de censure contre un sénateur

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. Je souhaite m’adresser à M. Jean-Pierre Michel. En tant que membre de la commission des lois, je pense être autorisée à prendre la parole…

Monsieur Michel, vous avez coutume de vous livrer à la provocation. Rappelons-nous des propos que vous avez tenus en commission des lois au sujet du droit local en Alsace voilà quelques semaines.

Je regrette beaucoup que vos collègues aient largement applaudi après vos provocations dirigées contre les Vendéens. Nous vous demandons d’ailleurs de retirer ce que vous avez dit et de vous excuser. Si vous refusez, je me verrai contrainte de demander l’application de l’article 94 du règlement du Sénat.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Je ne pensais pas avoir choqué mes collègues à ce point. Je n’ai en aucun cas mis en cause les Vendéens : les Français qui habitent le département de la Vendée sont des Français comme les autres. J’ai simplement dit, madame Troendle, que j’étais choqué du fait que les élus de ce département aient choisi comme logo l’emblème des Vendéens qui avaient combattu la République. C’est tout ! C’est un fait historique, point final !

M. le président. Madame Troendle, maintenez-vous votre demande ?

Mme Catherine Troendle. Oui, monsieur le président.

M. le président. Dans ces conditions, je suspends la séance pour dix minutes.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures cinquante, est reprise à minuit.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Il n’est que temps de mettre fin à cet incident regrettable.

Je ne suis pas membre de la commission des lois, mais je suis sénateur. Or, en tant que parlementaires, mes chers collègues, nous devons maîtriser tous les textes que nous examinons. Le poids de notre voix n’est pas pondéré par notre appartenance à telle ou telle commission. En outre, lorsqu’un groupe désigne l’un de ses membres pour intervenir à la tribune, un autre groupe ne saurait lui contester cette légitimité. Est-ce clair ?

Cela étant, dans le logo de la Vendée figure effectivement une croix stylisée. Faut-il abattre la croix de Lorraine à Colombey-les-Deux-Églises, débaptiser l’Hôtel-Dieu ?

Je suis fier, monsieur Michel, que l’emblème de la Vendée flotte aujourd’hui sur toutes les mers du monde et fasse vibrer le cœur de nombreux passionnés, quelles que soient leur origine, leur couleur de peau et leur religion.

La Vendée, c’est un territoire ouvert sur les mers du monde, un territoire qui aime aller de l’avant. Tous nos succès ont été acquis, non parce que nous sommes nés avec une cuillère en argent dans la bouche, mais par nos conquêtes, notre travail. Voilà la Vendée que nous aimons !

La Vendée est le reflet de cette double tradition qui tisse la trame française.

La Vendée, c’est aussi Clemenceau, qui disait : « C’est au caractère vendéen que je dois le meilleur de mes qualités ». Il a d’ailleurs rendu un hommage vibrant aux Vendéens de 1793. Je vous invite à la très belle exposition organisée par le conseil général de la Vendée sur Clemenceau et les impressionnistes – il était ami avec Claude Monet – où vous y verrez Les Nymphéas, des œuvres de Rodin et de Manet.

La Vendée, c’est le Clemenceau de l’Union sacrée de 14-18, le « Père la Victoire » ; c’est aussi Jean de Lattre de Tassigny, fruit d’un autre héritage, la tradition blanche, qui a signé à Berlin l’acte de capitulation face au maréchal Keitel. Deux enfants de Vendée, deux enfants de France, nés dans le même village, Mouilleron-en-Pareds. Je suis fier de ce qu’ont fait mes aïeux, et jamais je ne rabaisserai cet étendard.

L’histoire de France, nous en sommes les héritiers, et j’entends que, ici comme ailleurs, mais surtout au sein de la Haute Assemblée, nous puissions en être fiers.

Chose curieuse, avant Noël, j’ai adressé une demande à M. Jean-Pierre Bel pour organiser la projection au Sénat d’un très beau film que nous avons coproduit avec France Télévisions sur Georges Clemenceau. J’espère vous y voir pour que vous puissiez admirer ce tempérament forgé en Vendée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. –  M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume. Dans le cadre de ce débat sur l’évolution de nos institutions départementales, nous avons surtout besoin de nous occuper de l’essentiel.

M. Didier Guillaume. Lorsque Jean-Pierre Michel a fait un aparté sur la Vendée, il n’a voulu ni choquer ni agresser. Peut-être ses propos étaient-ils maladroits.

En tout état de cause, nous avons besoin de sérénité.

M. Retailleau vient de nous donner une belle leçon d’histoire en parlant de la Vendée, de la République, de Clemenceau. Je pense désormais que l’incident est clos.

M. Jean-Pierre Michel retire ce qu’il a dit. Je souhaite donc que Mme Troendle renonce à sa demande. Reprenons sereinement le cours de nos discussions, d’autant qu’en évoquant les collectivités territoriales nous parlons également de la République.

M. le président. Madame Troendle, acceptez-vous la proposition de M. Guillaume ?

Mme Catherine Troendle. Oui, monsieur le président.

M. le président. Nous allons donc pouvoir continuer le débat en toute sérénité.

Demande de renvoi à la commission du projet de loi (suite)

Demande de renvoi à la commission (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral
Demande de renvoi à la commission (interruption de la discussion)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifiée, tendant au renvoi à la commission.

J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public, émanant l’une du groupe UMP, l’autre du groupe socialiste.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 78 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 346
Majorité absolue des suffrages exprimés 174
Pour l’adoption 165
Contre 181

Le Sénat n'a pas adopté.

Demande de renvoi à la commission du projet de loi organique

Demande de renvoi à la commission (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral
Discussion générale
 
Dossier législatif : projet de loi organique relatif à l'élection des conseillers municipaux, des conseillers intercommunaux et des conseillers départementaux
Demande de renvoi à la commission (interruption de la discussion)

M. le président. Je suis saisi, par MM. Hyest, Béchu et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, d'une motion n° 1 rectifiée.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, le projet de loi organique relatif à l'élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux. (n° 251, 2012-2013).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. Christophe Béchu, pour la motion.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Voilà la vraie motion tendant au renvoi à la commission !

M. Christophe Béchu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis un peu jaloux du temps de parole qui a été attribué à Bruno Retailleau pour évoquer les belles spécificités de son département. Mais j’oserai vous rappeler, vous me le pardonnerez, qu’il y a eu plus de morts en Anjou qu’en Vendée pendant les guerres de Vendée…

M. Michel Delebarre, rapporteur. Rappel au règlement ! (Sourires.)

M. Christophe Béchu. Beaucoup plus sérieusement, mes chers collègues, de multiples raisons plaident pour le renvoi de ce texte à la commission.

Hier soir, M. le ministre nous a donné un cap, cet après-midi une boussole et ce soir une carte.

Le cap, c’était à la fin de son discours quand il nous a indiqué qu’il s’agissait d’un tournant pour notre démocratie et que nous devions prendre le temps de bien le négocier. Quelle belle invitation à prendre le temps nécessaire pour examiner le texte en commission !

La boussole, c’était en répondant à Hugues Portelli quand il nous a expliqué qu’il n’y avait aucune difficulté à adopter ce texte moins d’un an avant un scrutin. Sa démonstration à ce sujet était assez convaincante, ce qui montre que nous n’aurions aucune difficulté pour organiser, d’un point de vue juridique, ce renvoi à la commission.

La carte, c’est quand il a parlé de bonne humeur.

À cet égard, permettez-moi de vous raconter une scène qui s’est déroulée dans le hall d’un hôtel de New York. Une jeune femme aux formes avantageuses s’approche d’un buffet où se tient Albert Einstein. Elle s’adresse à lui en ces termes : « Monsieur Einstein, imaginez que nous ayons des enfants ensemble et qu’ils aient votre intelligence et ma beauté. » Einstein lui répond : « Mademoiselle, imaginez un instant qu’ils aient votre intelligence et ma beauté. » Eh bien, le scrutin binominal, c’est cela ! (Rires sur les travées de l'UMP.)

Si j’osais, je dirais que vous avez tenté de concilier les avantages de deux systèmes : le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel. Cependant, à l’arrivée, c’est plutôt les inconvénients de ces deux systèmes que nous sommes en train de découvrir.

Mes chers collègues, ces inconvénients, pour un certain nombre d’entre eux, sont résorbables ou peuvent en tout cas être diminués, mais cela suppose de prendre le temps de le faire. Or, en dépit de nos débats en commission, le temps nous a manqué et il nous reste encore plus d’une centaine d’amendements à examiner.

De multiples questions ont émergé, et même si certaines peuvent sembler farfelues, elles ont néanmoins fait l’objet de nombreux amendements. Que se passerait-il, par exemple, si l’un des candidats élus décidait de changer de sexe ? Cette atteinte à la parité mériterait-elle de bouleverser le système ?

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. La commission a réglé le problème !

M. Christophe Béchu. Nous avons également eu des échanges sur la question de l’élection du conseiller départemental et sur les moyens de concilier la difficulté du regroupement tout en préservant un mode de distinction qui permette de régler le problème de la solidarité avant l’élection et de la solitude après.

Je ne suis absolument pas convaincu, mais le temps nous a manqué, qu’un dispositif prévoyant des sections non sexuées, mais qui permettraient de délimiter, à l’intérieur d’un canton binominal, des territoires sur lesquels serait engagée la responsabilité particulière de chacun, ne permettrait pas de concilier le respect d’une parité stricte et la possibilité d’individualiser le territoire de représentation.

Peut-être pourrions-nous également trouver une réponse à un point sur lequel tous les membres de la commission s’accordent à considérer qu’il y a une difficulté : la vacance de sièges. À l’heure actuelle, nous n’avons toujours pas trouvé la moindre solution satisfaisante à ce sujet.

Il existe beaucoup d’autres difficultés, dont certaines concernent la partie qui pourrait être la plus consensuelle du texte et qui n’est sans doute pas la plus aboutie à la minute où nous parlons.

Pour ce qui est de la question des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, il y a deux dispositifs sur lesquels s’est dégagé un large consensus : l’abaissement du seuil et le fléchage. Mais, au-delà de ce consensus, il convient de fixer ce seuil et de définir précisément le procédé utilisé pour le fléchage.

Entre dix-neuf heures trente et vingt et une heures trente, nous avons assisté à une leçon extrêmement intéressante sur la façon de concilier, en matière de fléchage, le principe du respect de la parité et la possibilité que les candidats ne se suivent pas à l’intérieur d’une liste. Mais le meilleur système auquel nous parvenons est celui dans lequel, dans tous les cas de figure, la tête de liste devra siéger dans l’intercommunalité. Serait institutionnalisé, en quelque sorte, un cumul forcé des mandats entre commune et intercommunalité.

Avec une règle que je résume en quelques instants mais qui illustre à elle seule la complexité de nos travaux, le premier quart des candidats communautaires devront être placés en tête de liste et la totalité de ceux qui auront vocation à être fléchés devront se trouver dans les trois premiers cinquièmes de la liste communautaire.

M. Michel Delebarre, rapporteur. C’est exactement cela !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Vous avez tout compris !

M. Christophe Béchu. Monsieur le président de la commission des lois, il ne me semble pas que vous ayez interrompu les orateurs précédents. Vous tentez de me faire perdre mes moyens, ce qui n’est pas loyal vis-à-vis du bizut que je suis à cette tribune.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Au contraire, je vous encourage !

M. Christophe Béchu. De nombreuses autres difficultés existent. On a notamment fait en sorte d’imposer le principe de la déclaration obligatoire de candidature en sous-préfecture pour les communes de moins de 1 000 habitants.

M. Jean-Claude Requier. Et c’est très bien !

M. Christophe Béchu. Cette mesure soulève nombre de questions, pour le premier comme pour le second tour, concernant les méthodes et les procédures à mettre en œuvre. Au reste, ne serait-il pas souhaitable de se diriger vers un vote électronique, pour améliorer le bilan carbone des candidats des petites communes et satisfaire ainsi l’ensemble des groupes ? Sur tous ces sujets, beaucoup d’interrogations demeurent.

Monsieur le ministre, il y a quelques instants, vous vous êtes emporté au sujet d’une autre question. En tout cas, vous avez tenu à manifester une fermeté républicaine que je ne vous conteste pas. En effet, vous avez démenti avec force qu’il y ait la moindre volonté, de la part du Gouvernement, d’instrumentaliser le seuil des 10 % ou des 12,5 %.

M. Albéric de Montgolfier. Restons à 12,5 % !

M. Christophe Béchu. Le trouble qui a été le nôtre en constatant la volonté de modifier les règles n’aurait pas existé sans cette tentative de votre part, dont on ne comprend pas les raisons.

À dire vrai, l’abaissement de ce seuil ne fait progresser ni la parité ni la diversité. Par conséquent, sauf à rattacher cette disposition à un souci de rester fidèle à une tradition historique séculaire, on peine à comprendre ce qui la motive réellement.

Par une sorte de renversement, et à l’issue d’un long débat, la commission est parvenue à une position consistant à proposer au Sénat de renoncer à tout type de triangulaire. De fait, elle a, aujourd’hui même, adopté un amendement en vertu duquel ne sont qualifiés pour le second tour que les deux candidats arrivés en tête au premier tour.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est intéressant !

M. Christophe Béchu. C’est vous dire si, dans les débats qui vont suivre, un certain nombre de sujets seront particulièrement complexes. Un grand nombre de points méritent donc d’être approfondis au sein de notre commission.

Je terminerai mon propos par la question la plus complexe, et qui, à mes yeux, devrait le mieux vous convaincre de nous donner davantage de temps en commission : celle du tunnel.

Nul ne conteste la nécessité de refondre les cantons. Quelle que soit la méthode que vous utiliserez, nous ne doutons pas que les écarts subsistant à l’arrivée seront plus faibles que ceux qui existent aujourd’hui.

Toutefois, entre les écarts de un à quarante-sept que l’on observe à l’heure actuelle et la marge de plus ou moins 20 % que vous proposez, nous avons le sentiment qu’il existe des espaces de discussion, pour éviter de massacrer la représentation géographique de la ruralité.

J’en veux pour preuve les écarts existant au niveau des circonscriptions législatives. Le rapport entre la plus petite circonscription législative de France et la plus grande est de 1 à 2,36. La plus petite compte 63 000 habitants, la plus grande en compte 143 000. Si nous appliquions un tunnel de 40 % à la hausse comme à la baisse, nous observerions un écart de 1 à 2,33 entre le plus petit et le plus important des regroupements de cantons qui seraient soumis à nos suffrages. Cela ouvrirait des latitudes en termes de redécoupage sur l’ensemble du territoire.

Cette méthode pourrait, peut-être paradoxalement, étendre la marge de manœuvre du Gouvernement pour découper, et partant accroître notre inquiétude quant à la manière dont il procédera. Toutefois, parallèlement, elle pourrait éviter de dessiner des territoires si vastes qu’ils nous placeraient dans l’incapacité de travailler de manière efficace.

Je pourrais m’étendre davantage, mais je vais m’efforcer de conclure.

Monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, vous avez fait preuve de beaucoup de modestie dans la manière dont vous avez présenté le texte que vous nous soumettez. Nous vous avons entendu prononcer des mots très forts pour attaquer le conseiller territorial : « monstruosité juridique », « système jamais vu », etc.

Lorsque je dis que vous avez fait preuve de modestie, cela signifie que vous êtes en train de construire une usine à gaz bien plus complexe que le système que nous avions nous-mêmes imaginé à une époque !

M. Claude Haut. Ça, c’est impossible !

M. Christophe Béchu. Vous devez comprendre que, parce que nous n’allons pas aussi vite que vous, il nous faut du temps pour mieux comprendre toutes les implications des textes et des modifications de mode de scrutin que vous nous proposez. Nous ne pouvons pas, dans le même temps, souhaiter vivre dans une démocratie apaisée, avec des règles du jeu claires pour tout le monde, et maintenir tant de zones d’ombre dans le dispositif que nous sommes sur le point de présenter. Il en va non seulement de la sérénité de nos discussions au Sénat, mais aussi de celle des débats partout en France, dans les 36 000 communes de ce pays et dans l’ensemble des 101 départements qui seront concernés, à l’issue de l’examen de ce texte, par la mise en application de ces nouvelles dispositions.

Bref, souvenons-nous d’Einstein et tentons modestement de faire preuve d’un tant soit peu d’imagination et d’intelligence collective ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck, contre la motion.

M. René Vandierendonck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer en la personne de Christophe Béchu l’un des membres de la commission des lois… (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Sido. Il a le laissez-passer !

M. Albéric de Montgolfier. Et il est du Maine-et-Loire !

M. René Vandierendonck. … les plus assidus et les plus curieux des mécanismes susceptibles d’être modifiés par ce nouveau mode de scrutin.

Je tiens simplement à replacer les faits en perspective, en formulant deux remarques.

Premièrement – chacun en convient, mais il faut tout de même le rappeler –, je tiens à saluer la transparence du fonctionnement de la commission des lois. Il suffit de voir le nombre de débats qui s’y déroulent. Son président peut en témoigner et même s’il adore les motions tendant au renvoi à la commission – je vous l’assure ! – et il en a plus qu’à profusion, car, chaque fois qu’il en demande, il obtient satisfaction ! (Sourires.)

Deuxièmement, les interventions de nos collègues de l’opposition se terminent toujours par une forme d’exorcisme : on parle de tripatouillages, de droits du Parlement qui seraient bafoués, de la représentation massacrée, de la véritable usine à gaz que représenterait le dispositif, etc. Or je l’indique avec tact et ménagement, chers collègues qui allez tous faire campagne dans vos départements respectifs : le premier mérite de ce texte, c’est précisément de sauver le département. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

M. Bruno Sido. Bien sûr, une fois de plus !

M. Albéric de Montgolfier. Il n’avait pas besoin de cela !

M. René Vandierendonck. Revenez un peu aux intentions des gouvernements précédents.

C’est tout de même le Premier ministre Fillon qui avait déclaré que la mise en place du conseiller territorial allait permettre, dans un premier temps, une meilleure coordination des politiques de ces deux collectivités que sont le département et la région, puis, dans un second temps, la fusion de ces deux échelons !

C’est tout de même M. Balladur, qui, dans le cadre de la commission qui a porté son nom, affirmait que la création du conseiller territorial, avait pour but de permettre « l’évaporation des départements dans les régions. » Mme Assassi a cité ces propos avec bien plus d’éloquence que moi.

Si je me réjouis de voir mes collègues brandir aujourd’hui la défense du département, je leur rappelle que ce niveau de collectivités n’a jamais été tant menacé qu’à cette époque. Il faut le dire avec force !

M. Bruno Sido. Allons ! Allons !

M. Éric Doligé. Ce qu’il ne faut pas entendre !

M. René Vandierendonck. De surcroît, la clause de compétence générale était passée aux oubliettes et les recettes des départements étaient elles-mêmes largement amputées.

Bref, n’allez pas trop loin sur le terrain de la défense de la ruralité. Dieu sait si je ne conteste pas ce principe. Néanmoins, le Conseil constitutionnel a bien rappelé que la parité avait une valeur constitutionnelle !

M. Albéric de Montgolfier. C’est un objectif, nuance !

M. René Vandierendonck. La preuve en est, elle est inscrite dans la Constitution.

La défense de la ruralité peut, en tant que telle, être érigée en préoccupation d’intérêt général, mais elle ne peut pas être mise en balance avec la parité. Je le souligne également avec force.

De même, certains répètent : « Qu’est-ce que vous nous réservez comme type de découpage ? » Pour ma part, je salue l’ouverture d’esprit dont fait preuve le ministre, et je lui sais gré de venir discuter aujourd’hui des conditions de cette refonte de la carte cantonale. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)

Chers collègues de l’opposition, vous le constaterez en étudiant la jurisprudence existant en la matière et les conditions du découpage qui se prépare aujourd’hui. Je ne citerai qu’un exemple parmi d’autres : le Conseil constitutionnel l’a répété à maintes reprises, la mise en œuvre de l’écart maximal de 20 % par rapport à la population moyenne des circonscriptions doit être réservée à des cas exceptionnels et dûment justifiés.

M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas la question !

M. René Vandierendonck. Il ne pourra y être recouru que de manière limitée et en se fondant, au cas par cas, sur des impératifs d’intérêt général.

Ainsi, à mes yeux, la méthode que le Gouvernement propose, qu’il n’a pas occultée et qu’il a présentée à la commission des lois, est la bonne.

Sur les autres sujets, j’invite M. Béchu à faire confiance à la logique de dialogue.

Vous l’avez bien constaté, au sein même du groupe socialiste, nous n’hésitons pas, au su et au vu de tous, à faire part de nos interrogations. Je songe par exemple aux questions de seuil pour le recours au scrutin dans le cadre de la désignation des représentants des EPCI. Pour ma part, comme Didier Guillaume, je suis de ceux qui considèrent que nous pouvions faire un pas supplémentaire. Cela ne m’empêche pas de saluer le fonctionnement de la commission des lois, ainsi que la patience, le pragmatisme et même l’affection dont fait preuve son rapporteur, à qui je tiens à rendre hommage.

Monsieur le ministre, nous sommes aujourd’hui à la veille d’une réforme extrêmement importante qui, je le crois, va changer les pratiques de la démocratie locale. J’approuve sans réserve ce que vous avez dit, et je vous soutiens dans la mise en œuvre très concrète du principe de parité qui me paraît constituer à elle seule une innovation considérable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Delebarre, rapporteur. René Vandierendonck a toujours tellement d’élégance, tant de discrétion et une telle justesse dans l’analyse et dans le propos… Il ne changera jamais ! Il a dit tout ce qu’il fallait dire. (Rires.)

M. Michel Delebarre, rapporteur. Monsieur le président, je me permets de protester au sujet de cette motion tendant au renvoi en commission : M. Christophe Béchu devrait être interdit de parole. Nous qui siégeons à la commission des lois avec lui, nous connaissons M. Christophe Béchu : il est l’homme qui vous fait aimer le retour en commission ! (Sourires.)

C’est toujours comme ça : il y met une conviction telle que nous y retournerions sans cesse ! Toutefois, une fois que nous sommes revenus à la commission, que pouvons-nous dire de plus, si ce n’est que nous sommes contents d’être ensemble ?

M. Albéric de Montgolfier. Alors retournez-y, puisque c’est si bon ! (Nouveaux sourires.)

M. Michel Delebarre, rapporteur. Le problème, c’est que nous y avons déjà passé des heures, monsieur Béchu. Et même si nous n’y retournons pas tout de suite, je suis sûr que nous nous y retrouverons bientôt, car nous y prenons malgré tout une forme de plaisir… (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

Monsieur Béchu, je souhaite donc vous remercier de votre intervention. Je n’irai pas jusqu’à accepter le renvoi de ce texte à la commission, mais j’y songerai à la prochaine occasion !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le président, bien des arguments ont déjà été présentés, et le talent de M. Béchu doit précisément nous amener à poursuivre le débat ici, en séance.

Nous avons posé un certain nombre de principes, qui viennent d’être rappelés avec brio. Nous considérons que le département est essentiel à l’organisation de la République. Cela vaut d’ailleurs à l’échelle des collectivités territoriales comme à celle de l’État.

Monsieur Vandierendonck, je crois que vous avez raison d’affirmer que le dispositif que nous vous proposons sauve le département, qui était mis en cause, dans la confusion, par la création du conseiller territorial. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, vous ne partagez pas cette idée, et c’est tout à fait votre droit. Toutefois, dès lors que le conseiller territorial a été abrogé, il faut évidemment mettre en place un autre dispositif.

Il reste cependant des points à débattre, comme ce que vous appelez le « tunnel des 20 % » ou le fléchage des candidats aux conseils communautaires. Bien des propos ont été tenus sur ces questions, des propositions ont été avancées, des amendements ont été déposés. Le Gouvernement est prêt à en discuter de manière ouverte, ici, dans l’hémicycle du Sénat, qui est sans aucun doute l’assemblée idoine pour débattre de ces questions. Nous y sommes prêts, donc ne nous privons pas de cette possibilité !

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifiée, tendant au renvoi à la commission.

J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe UMP et, l'autre, du groupe socialiste.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 79 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 345
Majorité absolue des suffrages exprimés 173
Pour l’adoption 164
Contre 181

Le Sénat n'a pas adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Demande de renvoi à la commission (début)
Dossier législatif : projet de loi organique relatif à l'élection des conseillers municipaux, des conseillers intercommunaux et des conseillers départementaux
Discussion générale

7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 17 janvier 2013 :

À neuf heures trente :

1. Suite du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral (n° 166 rectifié, 2012-2013) et du projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux (n° 165 rectifié, 2012-2013) ;

Rapport de M. Michel Delebarre, fait au nom de la commission des lois (n° 250, 2012 2013) ;

Textes de la commission (nos 252 et 251, 2012-2013).

À quinze heures :

2. Questions cribles thématiques sur les énergies renouvelables.

À seize heures et le soir :

3. Suite de l’ordre du jour du matin.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 17 janvier 2013, à zéro heure trente-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART