M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’objet de cette proposition de loi est à l’évidence consensuel. Son objectif est de supprimer le bisphénol A des conditionnements alimentaires ; elle a déjà été longuement débattue par notre assemblée voilà deux mois. La question n’est pas de savoir si nous devons adopter ce texte, mais selon quelles modalités concrètes nous devons le faire.
Il est en effet avéré aujourd’hui par les études scientifiques et les agences sanitaires que le bisphénol A, très largement utilisé dans les produits de la vie courante, est toxique chez l’animal et très fortement suspecté de l’être chez l’homme. Il est également prouvé que l’alimentation constitue la source principale d’exposition.
Par ailleurs, contrairement aux critères classiques de la toxicologie, selon laquelle « seule la dose fait le poison », le BPA produit des effets à faibles doses.
Enfin, il est établi que les femmes enceintes ou allaitantes, les nourrissons et les jeunes enfants sont particulièrement vulnérables à la toxicité du BPA.
Cela doit nous conduire à être particulièrement vigilants et à prendre des mesures spécifiques pour protéger ces populations.
C’est ce qu’avait entrepris le Sénat en adoptant en 2010 la proposition de loi tendant à suspendre la commercialisation des biberons produits à base de bisphénol A.
C’est également ce que prévoit le présent texte en maintenant la date d’interdiction pour les conditionnements destinés aux nourrissons et enfants de moins de trois ans au premier jour du mois suivant sa promulgation. C’est une bonne chose, et cela ne pose en effet aucun problème aux industriels, lesquels ont déjà anticipé cette disposition : comme Mme le rapporteur l’a rappelé tout à l’heure, il n’existe quasiment plus de conditionnements alimentaires pour les nourrissons comportant du BPA.
La navette parlementaire a permis, en outre, de trouver un accord sur plusieurs points ayant fait l’objet de longs débats dans nos assemblées. Il faut saluer ces avancées.
Ainsi, s’agissant de la date d’entrée en application de la suspension pour l’ensemble de la population, l’Assemblée nationale a retenu le 1er janvier 2015. Cette date nous semble raisonnable pour donner la possibilité aux industriels de s’adapter et de proposer des substituts dont l’innocuité ne fera aucun doute.
En outre, la disposition introduite par l’Assemblée nationale prévoyant que, un an avant l’entrée en vigueur de l’interdiction, le Gouvernement remettra un rapport évaluant les substituts possibles au bisphénol A pour ses applications industrielles, au regard de leur éventuelle toxicité, permettra d’adapter la législation si cela s’avère nécessaire. Nous approuvons ces mesures réalistes qui rendront la loi applicable.
Concernant l’élargissement de la suspension aux dispositifs médicaux, l’Assemblée nationale est revenue sur la mesure adoptée à l’unanimité par le Sénat sur l’initiative de Chantal Jouanno, en limitant l’interdiction à un phtalate – le DEHP – dans les services de maternité, de néonatalogie et de pédiatrie.
Nous vous proposons de nouveau d’exclure la présence de tout perturbateur endocrinien ou de toute substance cancérogène, mutagène et reprotoxique dans tous les dispositifs médicaux, estimant que tous les produits au contact des femmes enceintes ou allaitantes et des bébés doivent exclure la présence de perturbateurs endocriniens. Nous y reviendrons au cours de la discussion des articles.
Au-delà de cette proposition, c’est bien l’ensemble des problématiques liées à la santé environnementale qui doivent être traitées et faire l’objet d’une volonté déterminée du Gouvernement. C’est le message que, sur l’initiative de Chantal Jouanno, déjà très à la pointe sur cette question lors de son passage au ministère de l’écologie, le groupe UDI-UC souhaite vous adresser en déposant à nouveau cet amendement, monsieur le ministre. En effet, on peut regretter que le Gouvernement ait pris peu d’engagements concrets sur ce sujet lors de la Conférence environnementale à laquelle j’ai participé, notamment lors de la table ronde dédiée à la « santé environnementale ».
Nous saluons l’annonce faite au début de la semaine par la ministre de l’écologie, d’objectifs de diminution de l’exposition des populations aux perturbateurs endocriniens et de lutte contre leurs impacts sanitaires et environnementaux. Nous devons en effet agir pour la réduction des risques liés à l’exposition aux perturbateurs endocriniens. On est encore très ignorant des effets « cocktail » et des effets à long terme de ces polluants.
Nous agissons au niveau national, ce qui est une bonne chose. Mais, nous le savons, il faut aussi agir sur ces questions à l’échelon européen, au niveau du droit communautaire, pour que ces décisions soient efficaces, comme l’a montré la directive européenne interdisant la commercialisation de biberons contenant du bisphenol A, adoptée dans la foulée de la loi du 30 juin 2010. N’oublions pas non plus dans ce contexte les enjeux liés aux phénomènes de distorsion de concurrence.
Comme l’avait noté notre collègue Muguette Dini en première lecture, des signes positifs au niveau européen peuvent être relevés. Ainsi, vont dans la bonne voie, d’une part, la demande de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l’ANSES, de classer, dans le cadre du règlement sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et les restrictions des substances chimiques, ou REACH, le bisphenol A comme toxique pour la reproduction, et, d’autre part, le vote, en février prochain, d’un rapport au Parlement européen sur « la protection de la santé publique contre les perturbateurs endocriniens ».
Cependant, nous savons que l’Autorité européenne de sécurité des aliments est en retrait sur ces sujets, et notamment sur les perturbateurs endocriniens dont elle met en doute les risques pour la santé humaine.
Madame la ministre, il vous faut convaincre la Commission européenne et vos collègues européens pour aller plus loin sur ces questions de santé environnementale, notamment dans le cadre de la révision prochaine de la stratégie communautaire relative aux perturbateurs endocriniens. La France doit rester à la pointe de ce combat.
En adoptant cette proposition de loi, le législateur national fait un pas important. Mais la question ne doit pas se limiter au seul BPA. Nous le voyons bien par les initiatives de nos collègues, il nous faudra traiter rapidement et plus largement de l’ensemble des perturbateurs endocriniens avérés et des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, les fameux phtalates et autres parabènes.
En votant cette proposition de loi, la France sera le premier pays au monde à mettre fin à l’utilisation du bisphénol A dans les conditionnements alimentaires. C’est un signal politique fort.
Nous saisissons également l’occasion pour aborder de nouveaux aspects de nos politiques sanitaires. Il nous faut poursuivre dans cette voie.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, au stade où nous sommes parvenus dans l’examen de la présente proposition de loi, il n’est me semble-t-il plus utile de justifier le bien-fondé de ce texte. Nous sommes tous ici convaincus que le laisser-faire n’a pas sa place en matière de santé publique : douter de l’innocuité d’une substance est suffisant pour agir.
Du reste, le groupe du RDSE – je me permets de le rappeler – a joué un rôle précurseur dans cette démarche en déposant, dès 2010, une proposition de loi visant à interdire, au nom du principe de précaution, le bisphénol A dans les plastiques alimentaires. À l’époque, même s’il n’existait pas de preuves tangibles des effets de cette substance sur l’homme, l’ex-Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’Afssa, avait reconnu dans des études scientifiques la présence de signaux d’alerte.
En séance publique, le Sénat avait limité la portée de ce texte, en suspendant uniquement la commercialisation des biberons produits à base de bisphénol A. Adoptée à l’unanimité des deux assemblées, la loi du 30 juin 2010 opérait un premier pas, faisant de la France une pionnière en Europe sur ce sujet : la Commission européenne a, de fait, étendu par la suite cette mesure à l’ensemble des États membres.
Depuis lors, plusieurs études ont confirmé les dangers du bisphénol A, en particulier pour les nourrissons, les jeunes enfants, les femmes enceintes ou allaitantes, et ce même à de faibles niveaux d’exposition. J’ai moi-même conduit une mission au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, l’OPECST, sur les perturbateurs endocriniens, mission dont les conclusions établissaient sans ambiguïté que les risques, pour l’environnement comme pour la santé humaine, de ces substances classées pour la plupart cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, ou CMR, étaient suffisamment nombreux et précis pour inciter à l’action.
C’est dire que je souscris tout à fait aux préoccupations des auteurs de la présente proposition de loi, qui souhaitent interdire tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A.
Je suis même allé plus loin, en proposant de proscrire l’utilisation, dans les unités de néonatologie et de maternité, des matériels de nutrition parentérale contenant trois phtalates classés comme CMR et déjà interdits pour les jouets et matériaux au contact des jeunes enfants. L’amendement que j’avais déposé à cette fin a été adopté par le Sénat. Je regrette que l’Assemblée nationale ait amputé cette interdiction d’une partie de son contenu. De fait, restreinte aux tubulures comportant du di(2-ethylhexyl) phtalate, cette mesure ne s’attaque plus en pratique aux contenants, notamment aux poches en plastique. J’espère cependant que ces dernières pourront un jour être interdites, sous cette composition.
Je rappelle tous ces faits car je ne voudrais pas qu’on se méprenne sur les motifs qui m’ont poussé à déposer, à l’article 1er, deux amendements que j’avais d’ailleurs déjà défendus en première lecture.
La présente proposition de loi suggère une démarche ciblée et progressive qui me paraît pertinente au regard du contexte scientifique.
Il s’agit tout d’abord de suspendre rapidement, c’est-à-dire dès la promulgation de ce texte, la commercialisation des conditionnements comportant du bisphénol A destinés à l’alimentation des nourrissons et des enfants en bas âge. Compte tenu de la vulnérabilité particulière de ces derniers à une telle exposition – elle a été identifiée via de nombreuses études –, il n’y a évidemment pas à tergiverser sur ce point.
Comme cela a d’ailleurs été déjà relevé, il semble que les industriels n’utilisent d’ores et déjà quasiment plus de bisphénol A dans les conditionnements alimentaires pour bébés.
Il s’agit ensuite d’intégrer un avertissement sanitaire déconseillant l’usage des conditionnements comprenant du bisphénol A aux femmes enceintes ou allaitantes, ainsi qu’aux enfants de moins de trois ans. J’avais moi-même préconisé cette mesure dans mon rapport ; je souhaite simplement que le message soit un peu plus clair et lisible que le pictogramme figurant sur les boissons alcoolisées, pictogramme dont nous sommes plusieurs, au sein de la commission, à avoir dénoncé l’inefficacité.
Enfin, il s’agit à terme, c’est-à-dire à compter du 1er janvier 2015, d’interdire tout conditionnement alimentaire comprenant du bisphénol A. Je suis évidemment favorable à cette mesure, sur le plan du principe. Toutefois, j’exprimerai une légère divergence concernant l’échéance retenue. Il faut accorder un délai suffisant aux industriels pour leur permettre de vérifier le plus sérieusement possible que les solutions de substitution sur lesquelles ils ont déjà engagé des recherches sont adaptées aux différents usages alimentaires et satisfont aux exigences de sécurité pour le consommateur.
J’entends ici ou là que le problème, déjà à l’étude dans certaines entreprises, serait résolu dans un an au plus. Ce serait en particulier le cas pour Nestlé. Toutefois, restons sérieux : les PME les plus modestes n’ont pas les mêmes moyens que cette grande firme. De plus, Nestlé ne met pas en boîtes du cassoulet de Castelnaudary et ne recourt donc pas aux résines époxy ! Or c’est précisément pour ces dernières, et non pour les polycarbonates, que subsistent le plus grand nombre de problèmes techniques.
Le remplacement des résines époxy contenant du bisphénol A par d’autres résines ne s’opère pas de la même manière pour tous les aliments, eu égard aux réactions variables du « couple contenant contenu » précédemment évoqué.
S’agissant par exemple des denrées acides, une oxydation peut survenir au bout de quelques mois. De nombreux tests sont donc nécessaires avant de valider, dans la durée, l’étanchéité des nouvelles résines et d’assurer la sécurité microbiologique des aliments. Ces vérifications par familles de produits, dont certains ne se récoltent qu’une fois l’an, sont indispensables.
Le Sénat, dans sa grande sagesse, avait adopté mon amendement tendant à instaurer un délai supplémentaire de six mois. L’Assemblée nationale, quant à elle, est revenue à la date du 1er janvier 2015.
Toutefois, madame le ministre, je ne peux m’empêcher de noter que, en commission, le rapporteur Gérard Bapt s’est dit dans un premier temps satisfait de la date du 1er juillet 2015, et qu’en séance publique plusieurs députés, notamment socialistes, vous ont appelée à émettre un avis de sagesse sur ce compromis.
J’ignore si je parviendrai à convaincre une fois de plus la Haute Assemblée de la pertinence de cette date. Toutefois, je le répète, restons à la fois exigeants et réalistes dans la concertation avec les professionnels de la filière agroalimentaire, pour la santé sanitaire de la population.
Pour conclure, j’insisterai sur le point suivant : notre action, pour être efficace, doit s’inscrire dans une perspective plus large, à l’échelle de l’Union européenne. Cet impératif a d’ailleurs été déjà mentionné. Nous devons être particulièrement vigilants quant à l’évolution de cette question au niveau européen. Je vous saurais donc gré, madame la ministre, de bien vouloir intervenir en ce sens pour convaincre nos collègues.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. La dangerosité du bisphénol A n’est plus, aujourd’hui, une simple hypothèse. Le travail méticuleux, entrepris notamment par le Réseau environnement santé, recense plus de 700 études sur le sujet, dont plus de 95 % sont concordantes et concluent à un effet délétère de ce perturbateur endocrinien sur nos organismes. (Mme la rapporteur acquiesce.)
Nous savons que le bisphénol A est un perturbateur endocrinien, qu’il est cancérigène et neurotoxique, qu’il altère la croissance, qu’il entraîne un avancement de la maturation sexuelle secondaire et des changements comportementaux, qu’il altère le système nerveux et peut causer un déclin cognitif, qu’il prédispose à l’obésité, qu’il a des effets profonds sur le métabolisme du glucose, pouvant favoriser le développement du diabète, y compris par des expositions à faibles doses, qu’il augmente le risque de cancer, qu’il entraîne des lésions de l’ADN du sperme et affecte partant la fertilité, et, surtout, que ses effets sont héréditaires et transgénérationnels, même à des niveaux d’exposition très faibles.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe écologiste se félicite du travail parlementaire constructif auquel a donné lieu la présente proposition de loi, déposée par Gérard Bapt en juin 2011.
Le texte qui nous arrive aujourd’hui de l’Assemblée nationale opère certes un retrait sur la question des dispositifs médicaux et sur celle des conditionnements concernés par l’interdiction du bisphénol, puisque seuls les emballages en contact direct avec les denrées alimentaires sont désormais visés. Néanmoins, il faut le reconnaître, cette proposition de loi comporte également des avancées notables.
Tout d’abord, les députés ont rétabli la date du 1er janvier 2015 pour la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement, contenant ou ustensile comportant du bisphénol.
Chers collègues, c’est l’échéance que nous avions été conduits à arrêter en commission, en première lecture. J’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer à cette tribune, cette décision nous avait beaucoup coûté, à nous, écologistes, qui souhaitions un délai moins long. Au reste, il me semble que cette date tient déjà largement compte des difficultés du tissu industriel à s’adapter au changement de normes. J’ai déjà précisé qu’il s’agissait du « maximum acceptable pour nous », et qu’il était « hors de question que nous cédions un jour de plus ». Sur ce plan, cette nouvelle version du présent texte nous satisfait donc réellement.
Ensuite, nos collègues de l’Assemblée nationale ont introduit une demande de rapport, que le Gouvernement sera tenu de remettre au Parlement avant le 1er juillet 2014, au sujet des substituts possibles au bisphénol A pour ses applications industrielles au regard de leur éventuelle toxicité. Cette disposition nous semble constituer un bon compromis, propice à rassurer ceux d’entre nous qui, ici même, avaient exprimé leur inquiétude lors des débats en première lecture.
Pour ma part, j’attends ce rapport sereinement. En effet, je sais que de nombreux substituts au bisphénol A existent déjà et sont fiables. Je songe notamment au plastique polycarbonate et, selon les applications, au verre et à l’acier inoxydable, au copolyester Tritan, au polypropylène et aux Grilamid, aux oléorésines, aux résines reformulées, aux films en polyéthylène téréphtalate ou films en PET, aux plastiques de haute performance, ou encore aux briques cartonnées Tetra Pak.
De surcroît, une modification de l’article 2 a introduit une interdiction sans délai des collerettes de tétines et de sucettes, ainsi que des anneaux de dentition comportant du bisphénol A.
En outre, à l’article 3, est établie une interdiction des biberons comportant du bisphénol A et utilisés au titre de dispositifs médicaux. Nous ne pouvons également que nous en réjouir.
Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste votera en faveur d’une adoption conforme du présent texte résultant des travaux de l’Assemblée nationale, solution que la commission des affaires sociales a d’ailleurs adoptée avant-hier soir, à l’unanimité des présents. Comme les précédents orateurs l’ont rappelé avant moi, nous nous félicitons de pouvoir montrer ainsi l’exemple en Europe et dans le monde.
Certes, il est frustrant de renoncer à apporter des précisions supplémentaires à cette proposition de loi, y compris sur la question des dispositifs médicaux ; disant cela, je songe notamment à l’amendement de notre collègue Chantal Jouanno, que nous-mêmes avions contribué à faire adopter en novembre dernier.
Toutefois, ce qui doit primer aujourd’hui, c’est notre volonté d’éviter la convocation d’une commission mixte paritaire. En effet, cette procédure retarderait encore l’entrée en vigueur du présent texte et repousserait en particulier la mise en œuvre des dispositions concernant les nourrissons et les enfants en bas âge, censée intervenir « à compter du premier jour du mois suivant la promulgation de la loi ».
Par ailleurs, ce compromis ne nous empêche pas de continuer à nous battre sur d’autres points, et notamment sur les perturbateurs endocriniens en général.
Sans doute avez-vous entendu parler de cette étude publiée le mercredi 5 décembre dernier dans la revue Human Reproduction à la suite des travaux conduits par l’épidémiologiste Matthieu Rolland, de l’Institut de veille sanitaire, l’InVS. Ces travaux montrent notamment que la concentration du sperme des Français en spermatozoïdes a chuté d’environ 32 % entre 1989 et 2005, et que ce résultat peut être lié « à des facteurs environnementaux, dont les perturbateurs endocriniens ».
Le débat sur la dangerosité des perturbateurs endocriniens, dont le bisphénol A n’est qu’un exemple, doit donc se poursuivre. La demande de rapport introduite à l’article 4, sur l’initiative de notre groupe, lors de la première lecture par le Sénat, s’inscrit dans cette perspective. De fait, cet article établit que « le Gouvernement présente au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport relatif aux perturbateurs endocriniens ». Ce document doit préciser les conséquences sanitaires et environnementales de la présence croissante de perturbateurs endocriniens dans l’alimentation, dans l’environnement direct, dans les dispositifs médicaux et dans l’organisme humain. Il s’agit d’examiner, en particulier, l’opportunité d’interdire un certain nombre de phtalates dans l’ensemble des dispositifs médicaux au regard des matériaux de substitution disponibles et de leur innocuité.
Nous serons particulièrement attentifs à ce que ce rapport puisse être élaboré dans de bonnes conditions, et dans les délais indiqués par le présent texte.
Madame la ministre, nous avons bien entendu vos propositions et vos engagements concernant la constitution d’un groupe de travail et de réflexion consacré à la mise en œuvre de ce cadre normatif et aux progrès de la recherche publique sur les points qui restent à préciser. Nous serons également vigilants sur ce sujet.
Mes chers collègues, je vous remercie par avance de permettre, au cours des mois et des années à venir, la poursuite de ce débat, absolument nécessaire et urgent, sur l’ensemble des perturbateurs endocriniens. J’espère que nos discussions futures seront aussi efficaces que celles que nous avons consacrées au bisphénol. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, je tiens en premier lieu à remercier Gérard Bapt de son heureuse initiative législative visant à suspendre l’usage du bisphénol A dans tout conditionnement à vocation alimentaire.
Il me semble que ce texte a désormais pris sa forme définitive et que la deuxième lecture ne devrait pas remettre en cause l’équilibre auquel nous sommes parvenus.
Pour l’essentiel, l’intention originelle de cette proposition de loi, telle qu’elle a été élaborée par l’Assemblée nationale et enrichie par le Sénat, a été maintenue. Le mot « suspension » souligne sans équivoque la volonté forte qui anime l’ensemble des parlementaires, quelles que soient leurs attaches partisanes, d’affirmer le principe de précaution en matière de santé publique.
En effet, le BPA est utilisé à grande échelle dans la fabrication de plastiques et de résines destinés, entre autres, au revêtement de la paroi intérieure des canettes de boisson et de la majorité des conserves. C’est l’un des constituants des plastiques rigides tels que le polycarbonate.
En 2010, un rapport du ministère de la santé canadien indiquait qu’on avait détecté des concentrations urinaires de bisphénol A chez 91 % des personnes âgées de 6 à 79 ans. Le BPA s’élimine rapidement, en quelques heures, et ne s’accumule pas dans les graisses. Si l’on en trouve des traces dans la quasi-totalité des échantillons urinaires, cela signifie qu’ici et là nous sommes tous exposés quotidiennement au BPA.
Or la liste des effets suspectés de cette substance est longue : malformations génitales chez les nouveau-nés garçons, apparition précoce de la puberté chez les jeunes filles, baisse de la qualité du sperme de l’homme – mais cela reste controversé, madame Archimbaud –, trouble des systèmes hépatique et reproducteur, déficit d’attention, hyperactivité, dépression, obésité, diabète, etc.
L’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures préventives et proportionnées visant à empêcher un risque sanitaire possible. Aussi, nous ne réglerons pas le problème des risques avérés de santé du BPA pour les publics à risque si nous ne protégeons pas l’ensemble de l’alimentation.
En première lecture, le Sénat avait précisé la rédaction du texte, s’agissant notamment de la date d’interdiction de la présence du BPA dans les produits alimentaires, en repoussant cette date de dix-huit mois. Il avait veillé, en outre, à ce que la procédure de retrait de cette substance ne soit pas irréversible.
L’Assemblée nationale n’a pas remis en cause la plupart de nos améliorations, et le texte qui nous est soumis en deuxième lecture ne soulève pas de difficulté insurmontable. La seule modification d’importance concerne la date d’interdiction de la présence du BPA dans les produits alimentaires, écourtée de six mois.
En effet, le choix du Sénat à ce propos, en octobre dernier, fut l’objet de critiques de toute part. Les associations demandaient le 1er janvier 2014 ; les entreprises réclamaient le 1er janvier 2016. Les députés ont décidé finalement de couper la poire en deux en ramenant la date d’interdiction au 1er janvier 2015. C’était la position initiale du groupe socialiste et de Mme la rapporteur en première lecture ; elle reste toujours d’actualité pour cette deuxième lecture.
Cet apport nous paraît constituer un compromis acceptable. Si nous mettons en avant l’obligation de santé publique, nous devons également prendre en considération la capacité de nos entreprises à affronter une période économique particulièrement malaisée. L’impératif de redresser notre économie n’est pas incompatible avec la volonté de protéger nos concitoyens.
Conscients des risques du bisphénol, les industriels n’ont pas attendu la discussion de ce texte pour travailler depuis quelques mois sur des produits alternatifs. La mouture actuelle – la date du 1er janvier 2015 – leur laisse du temps pour trouver les procédés innovants, les mettre en œuvre et vérifier l’innocuité des substances alternatives.
À cet égard, cette proposition de loi pourra même représenter une chance pour l’industrie française. En effet, partout en Europe, les pays commencent à appliquer des législations interdisant le BPA. J’ai pu lire, hier, un excellent article dans Le Monde sur le débat qui fait actuellement rage en Europe entre ceux qui préfèrent privilégier les entreprises et ceux qui se préoccupent aussi de prévention en matière de santé publique.
Si nos entreprises sont en avance pour la fabrication de ces substituts, ce sera un avantage économique majeur de pouvoir présenter des produits qui ne seront pas suspects d’avoir des effets nocifs. Sur les marchés extérieurs, en Allemagne, en Italie ou au Royaume-Uni, les consommateurs ne sont pas moins attentifs à leur état de santé que leurs homologues français.
Sur ce sujet, l’Assemblée nationale a écouté les avis de l’ensemble de la société civile, en adoptant deux mesures de compromis.
Premièrement, seuls les conditionnements entrant en contact direct avec les aliments seront concernés, alors que le texte sénatorial englobait également, jusqu’alors, les surfaces externes des emballages ou des récipients. Cette précision importante répond aux attentes industrielles – nombre d’entre nous ont été saisis de ce problème – et il est en cohérence avec le cadre scientifique aujourd’hui établi d’éviter la migration de BPA dans les aliments.
Deuxièmement, l’Assemblée nationale a décidé que le Gouvernement remettra avant le 1er juillet 2014 un rapport au Parlement pour évaluer les substituts possibles au BPA au regard de leur éventuelle toxicité. Ce rapport permettra, plus de six mois avant l’entrée en vigueur de la suspension, de faire un point d’étape et, le cas échéant, d’adapter notre législation, par exemple s’il n’existe pas de substitut acceptable pour certains produits alimentaires.
Enfin, à ce stade de la discussion parlementaire, il ne paraît pas raisonnable au groupe socialiste de rouvrir le débat sur des sujets portant sur les dispositifs médicaux.