M. Roland du Luart. Très bien !
M. Jacques Gautier. Or nous sommes inquiets, car il semble que l’Union européenne – et à travers elle la Commission européenne – ne souhaite pas prendre en compte les spécificités et la diversité des régions d’outre-mer.
Il est donc important que le Sénat marque sa volonté de voir concrètement mis en œuvre l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, afin que soient pris en compte dans le droit communautaire les handicaps et les contraintes spécifiques des régions ultrapériphériques. C’est le devoir de la Commission européenne d’appliquer le traité en vigueur.
Au Sénat, nous sommes déterminés à voir ce fondement juridique être pleinement utilisé par les autorités européennes. Il y va de la reconnaissance concrète de la diversité des régions ultrapériphériques et de la prise en compte de leur spécificité et de leurs atouts.
Il est aussi absolument nécessaire de faciliter l’intégration des régions ultrapériphériques dans leur environnement géographique : c’est la contrepartie de leur éloignement du continent européen.
Dans cette optique, il faut, comme l’a fait notre collègue Roland du Luart, insister sur la politique commerciale de l’Union européenne, qui est actuellement une véritable menace pour l’économie des régions ultrapériphériques et pour leur intégration régionale. Il s’agit d’une problématique essentielle pour l’avenir des régions ultrapériphériques. Une mise en cohérence des politiques de l’Union est absolument nécessaire. Plusieurs collègues ont eu raison de rappeler les absurdités que nous vivons à cet égard.
Ces deux sujets majeurs sont les deux grands axes de la première résolution. Aussi est-il important que celle-ci soit adoptée par la plus large majorité de notre assemblée.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Jacques Gautier. Il y va de la crédibilité du message que nous voulons délivrer, non seulement au Gouvernement et à la Commission européenne, mais aussi à nos amis ultramarins.
La proposition de résolution de la commission des affaires européennes du Sénat, présentée par Georges Patient, concerne le financement des régions ultrapériphériques françaises. Je l’ai dit, ces deux propositions de résolution sont complémentaires.
Deux sujets préoccupent particulièrement les régions ultrapériphériques françaises : l’avenir des fonds structurels européens et celui du régime de l’octroi de mer au-delà du fameux 1er juillet 2014.
Les constats formulés dans cette proposition de résolution sont les suivants : pas de prise en compte suffisante des spécificités des régions ultrapériphériques par l’Union européenne ; importance des fonds structurels européens dans le développement des départements d’outre-mer et nécessité absolue de maintenir l’octroi de mer, qui représente une ressource majeure pour ces DOM.
S’agissant de la politique de cohésion, je l’ai déjà dit, le cadre financier pluriannuel 2014-2020 doit prendre en compte l’atout que constituent pour l’Union européenne les régions ultrapériphériques, et le niveau de l’allocation spécifique doit être maintenu. Il faut que les fonds européens financent les besoins réels des régions ultrapériphériques, notamment en matière d’infrastructures.
Par ailleurs, l’octroi de mer est une ressource majeure de l’outre-mer. Le 1er juillet 2014 est une échéance décisive pour l’octroi de mer et donc pour le financement des collectivités locales des départements d’outre-mer français, lesquels, nous le savons tous, sont déjà en grande difficulté financière. Il nous faut, aux yeux de la Commission européenne, justifier la pertinence de cette imposition au regard de certains objectifs, notamment sociaux. Cela signifie-t-il que l’Europe veut la mort de ce système ? Je n’ose l’imaginer. Mais une incertitude existe, et il faut la lever.
Les Canaries ont trouvé une solution grâce à une forte mobilisation. Cela veut donc dire que l’échéance du 1er juillet 2014 est fondamentale et que la balle est aujourd’hui dans le camp du Gouvernement. Monsieur le ministre, vous devez vous mobiliser, et vous savez que vous pouvez compter sur l’entier et l’unanime soutien du Sénat.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe votera à l’unanimité ces deux textes, ce qui devrait leur donner encore plus de poids. Nous sommes certains que ces initiatives ne resteront pas sans effet et que, tous ensemble, nous pourrons défendre ainsi les régions ultrapériphériques. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui, mieux que Paul Vergès, qui fut pendant longtemps député européen et président de région, pouvait s’exprimer sur la problématique des régions ultrapériphériques ? Notre collègue ne pouvant être physiquement parmi nous aujourd’hui, j’ai le plaisir de prononcer cette allocution en son nom et au nom de notre groupe.
Évacuons d’entrée l’ambiguïté née de l’acceptation de la notion de « région ultrapériphérique », et rappelons que les ultramarins ne sont ultrapériphériques qu’aux yeux des autres. En effet, les peuples des outre-mer ne sauraient se trouver à la périphérie, que dis-je ? à l’ultrapériphérie d’eux-mêmes. Mes chers collègues, le centre se trouve là où nous vivons, là où nous projetons notre avenir.
Cette précision étant apportée, je veux saluer la qualité du travail accompli par mes collègues Georges Patient, Serge Larcher et Roland du Luart, ainsi que par la délégation sénatoriale à l’outre-mer.
Ce débat devant la Haute Assemblée arrive à point nommé, puisque c’est en ce moment que se rediscutent, devant les autorités européennes, les réformes essentielles pour l’avenir de nos régions, telles que la politique agricole commune, la politique commune de la pêche, la politique de cohésion, le POSEI ou l’octroi de mer.
Ce sont toutes les relations entre l’Union européenne et les régions ultrapériphériques jusqu’à 2020 qui se jouent aujourd’hui. Compte tenu de leurs effets pour nos territoires, ces rendez-vous ne peuvent être manqués et la mobilisation de tous est requise : le Gouvernement, bien sûr, les parlementaires européens, les régions, mais aussi les parlements nationaux. Sur ce plan, par vos rapports et le travail accompli par la délégation sénatoriale à l’outre-mer, le Sénat français n’a pas failli à sa mission.
À l’occasion de ce débat, nous devons non seulement réaffirmer des lignes de force sur la conception que nous avons des relations entre les régions ultrapériphériques et l’Union européenne, mais aussi exprimer une position politique à la veille du Conseil européen des 22 et 23 novembre prochain.
Nul besoin d’insister – chacun le sait ici – sur l’importance des décisions qui seront prises concernant le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union. Nul besoin d’insister non plus sur les conséquences des décisions qui en sortiront pour les dotations allouées aux régions à travers le financement de la politique de cohésion ainsi que pour le financement d’une série de politiques, telles que la PAC.
Nous le savons, ces discussions sont tendues et les compromis qui seront trouvés, car il ne peut en être autrement, sont très attendus. Mais, à l’heure actuelle, sur la base des propositions du président de l’Union européenne, M. Van Rompuy, et du président de la Commission européenne, M. Barroso, nous ne pouvons qu’être inquiets !
L’un comme l’autre proposent une baisse significative du budget global de l’Union européenne ! L’un comme l’autre militent en faveur de coupes claires dans le budget de la politique agricole commune ! L’un comme l’autre, avec des variantes, diminuent le budget de la politique de cohésion, si essentielle pour les régions les moins développées et pour les régions ultrapériphériques en particulier.
Depuis le Sénat aujourd’hui, il nous faut lancer un appel pour que la France ne transige pas et tienne bon sur les deux objectifs qu’elle s’est fixés, à savoir le maintien du budget de la politique agricole commune et celui de la cohésion.
À l’occasion de ce débat aujourd’hui, nous devons affirmer avec force que, dans la recherche des compromis devant le Conseil, aucun arbitrage fait ne devra être préjudiciable aux régions ultrapériphériques. Cela doit, en toutes circonstances, demeurer l’une des priorités du Gouvernement pendant ce Conseil européen. Il ne serait pas acceptable qu’à la faveur d’un acquis d’un côté soit concédé un sacrifice de l’autre.
Tout devra être fait pour sanctuariser les crédits alloués aux régions les plus en retard de développement, et ce d’autant plus que, alors que le budget ne progresse pas, voire risque de diminuer considérablement, une nouvelle catégorie de régions « intermédiaires » est créée.
Quel sera l’impact sur les dotations destinées aux régions relevant de l’objectif 1, rebaptisé « convergence », c'est-à-dire aux RUP françaises ? Il y a là matière à exprimer une inquiétude.
Globalement, sur la politique de cohésion, qui concerne au premier chef les RUP, les propositions de la présidence du Conseil et de la Commission européenne ont soulevé l’indignation de nombreux parlementaires européens, qui y voient un affaiblissement sans précédent de la politique régionale. Nous devons bien voir de quoi il retourne. De l’aveu même du commissaire Johannes Hahn, pour la politique de cohésion, c’est un changement radical de philosophie qui s’opère aujourd’hui.
Pour la Commission, la cohésion doit cesser d’être une grande politique de solidarité, pour devenir un simple instrument en faveur de l’investissement. Cette évolution, inacceptable, doit être refusée par la France. Jusqu’à la dernière seconde de la négociation, nous devrons nous placer du côté des « amis de la cohésion », pour empêcher un tel affaiblissement de la politique régionale, dont les conséquences risquent d’être désastreuses pour nos régions ultrapériphériques.
Mais des coups sont déjà portés à la politique régionale. J’en veux pour preuve les règles sur la conditionnalité macroéconomique et la procédure sur les déficits excessifs, selon lesquelles une région se trouve privée de fonds structurels si l’État membre ne respecte pas les fameux critères si controversés de 3 % de déficit public et de 0,5 % de déficit structurel. Car qui peut affirmer aujourd’hui que, demain, l’Espagne, le Portugal ou la France seront en mesure de respecter ces critères, qui font d’ailleurs débat ?
J’en veux aussi pour preuve la consternante proposition de la Commission européenne de diminuer de plus de 40 % la dotation spécifique destinée aux RUP pour y compenser les surcoûts. Cette initiative, que la France doit refuser, nous éclaire sur le double langage de la Commission : d’un côté, la Commission affirme dans sa communication son engagement « en faveur des régions ultrapériphériques » et, de l’autre, elle vide de sa substance ce qui constituait l’une des grandes avancées au regard de sa précédente communication.
Il en va malheureusement souvent ainsi avec la Commission européenne, et les propositions de résolution européenne du Sénat mettent bien en exergue, et ce à juste titre, de telles contradictions.
Ainsi, s’agissant des accords commerciaux avec les pays tiers, les déclarations de la Commission européenne sur la prise en compte des intérêts de nos productions ne résistent pas à la cruelle réalité qui veut que nos intérêts soient toujours sacrifiés sur l’autel des grands marchandages mondiaux !
L’exemple de la banane est éclairant. Idem pour le critère des 150 kilomètres : un jour, le Président Barroso se montre ouvert à sa suppression et, un autre jour, le Commissaire Hahn exprime son hostilité à toute évolution.
Que dire également de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui doit être à la fois notre bouclier et notre fer de lance pour la conquête de nouvelles avancées dans la prise en compte de nos spécificités ?
À ce jour, cet article 349 n’a pas été retenu comme base juridique du programme POSEI par la Commission européenne, qui refuse également son inscription dans la politique commune de la pêche et le FEAMP, le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche. Là encore, il existe un décalage, et nous devons le dénoncer.
Les proclamations de la Commission européenne dans sa communication ne pourront trouver leur plein effet que s’il nous est possible de donner à cet article un nouveau souffle, une nouvelle force. Autrement, nous serons condamnés, jusqu’à la prochaine communication, à ne nous nourrir que de vœux pieux !
Il y a urgence, à cet égard, à procéder à l’évaluation de toutes les communications de la Commission européenne en faveur des RUP. Sur l’octroi de mer, cela a été souligné dans le rapport, la Commission attend que la France justifie l’efficience du dispositif au regard des objectifs fixés en termes de développement et d’emploi. C’est une question complexe, révélatrice de nombreuses contradictions, qui doit être appréhendée dans l’intégralité des aspects qu’elle recouvre, sans a priori et sans tabous.
À l’approche de la réforme de l’octroi de mer, il appartient au Gouvernement de faire connaître sa position aux instances européennes comme aux conseils régionaux.
Nous voterons donc pour ces deux propositions de résolution européenne, d’une part, en ce qu’elles réaffirment des principes essentiels pour les relations entre les RUP et l’Union européenne sur lesquelles nous ne pouvons transiger parce qu’elles portent des propositions innovantes, d’autre part, en ce qu’elles devraient, en principe, aider le Gouvernement français dans ses négociations avec ses partenaires européens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du dernier forum européen des régions ultrapériphériques qui s’est déroulé le 2 juillet dernier, le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a déclaré, concernant les RUP, que « chacune de ces régions, aussi éloignée soit-elle du continent européen, fait bien évidemment partie intégrante de l’Union européenne et contribue largement au dynamisme, à la prospérité, et au rayonnement de notre Union. »
Ces bonnes intentions résument très bien la communication de la Commission européenne qui a suscité la réaction du Sénat et le dépôt des deux propositions de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui. Comme cela a été dit lors de précédents débats, et comme les auteurs des propositions de résolution européenne l’ont rappelé avant moi, nous avons souvent l’impression d’entendre un discours plus incantatoire qu’efficace lorsque la Commission européenne évoque les régions ultrapériphériques.
Je veux saluer ici l’ensemble du travail de la délégation à l’outre-mer et de la commission des affaires européennes, qui permet au Sénat tout entier d’utiliser à plein son pouvoir d’influence sur le Gouvernement et les institutions européennes.
En premier lieu, il convient de souligner que les régions ultrapériphériques représentent pour l’Europe un véritable gisement. Avec leurs 4,3 millions d’habitants, elles occupent une immense partie du territoire maritime européen, le hissant ainsi au premier rang mondial. À cela il faut ajouter 80 % de la biodiversité européenne, une économie non délocalisable avec des produits agricoles uniques, des destinations touristiques paradisiaques et des sites industriels de pointe, par exemple dans l’aérospatiale.
Pour autant, il ne faut pas oublier que ces régions doivent faire face à des contraintes liées à leur localisation, leur géographie, leur éloignement. Nous devons en tenir compte. La France l’a compris depuis longtemps. Grâce à ses élus, elle mène une politique spécifique envers ses outre-mer. Il est temps que l’Union européenne en ait également pleinement conscience. Juridiquement, la prise en compte de cette spécificité relève de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; dans les faits, on ne peut que regretter la faible utilisation d’un article peu invoqué.
Or les territoires ultramarins doivent surmonter des difficultés intrinsèques, notamment en termes de développement économique. Ainsi, la politique européenne doit permettre de réduire les écarts avec les territoires continentaux. On peut citer notamment les problèmes liés au prix des transports des personnes et des marchandises, qui renchérissent grandement le coût de la vie et diminuent la compétitivité de ces territoires.
Il est donc impératif que les institutions européennes adaptent les règlements européens aux régions ultrapériphériques. Inversement, contraindre les régions ultrapériphériques à adopter des règlements européens inappropriés à leurs situations accroît bien évidemment leurs difficultés. Nous avons évoqué cette question, je vous le rappelle, mes chers collègues, lors du débat sur la politique commune de la pêche.
Nous devons donc continuer à défendre des programmes spécifiques sectoriels en faveur de certaines filières, telles que les technologies de l’information et de la communication, les transports ou les énergies renouvelables. Dans ce dernier domaine, La Réunion – je salue à cet égard mon collègue élu de ce département, ici présent –, est en pointe. Les expériences qui y sont menées pourront ensuite servir à toute l’Europe.
Nous voulons que ces régions soient des territoires d’exemplarité et d’avenir, des régions où des projets expérimentaux pilotes puissent naître et se développer.
Je pense, par exemple, à la question énergétique et aux technologies fondées sur l’énergie thermique des mers, l’ETM, qui permet d’utiliser la différence de température entre les eaux tièdes de surface et les eaux froides profondes pour produire de l’électricité. La présence d’une source abondante d’eau froide offre également la possibilité d’accroître les rendements de toutes les machineries thermiques traditionnelles de type machines frigorifiques.
Lors des différentes auditions menées par la délégation à l’outre-mer sous la présidence de Serge Larcher, nous avons vu que la Martinique et La Réunion étaient à la pointe sur ce sujet. Il faut aider les RUP à développer ces innovations.
Les institutions européennes ont l’obligation de prendre en compte les spécificités des RUP. L’Union européenne veut créer un partenariat clair avec ces régions, qui s’articulerait autour de cinq grands piliers : améliorer l’accessibilité, accroître la compétitivité, renforcer l’intégration régionale, soutenir la dimension sociale du développement et l’adaptation au changement climatique, qui frappe tout particulièrement ces territoires.
Avec ces deux propositions de résolution européenne, le Sénat demande à la Commission européenne de démontrer par des actions concrètes qu’elle met en œuvre le discours qu’elle tient depuis 2004. Les politiques européennes, notamment la politique de cohésion, doivent non seulement prendre en compte les contraintes effectives et la diversité des régions, mais aussi assurer une meilleure cohérence de l’ensemble de leur mise en œuvre.
La proposition de résolution européenne du Sénat du 3 mai 2011 sur l’agriculture des départements d’outre-mer et celle du 3 juillet 2012 sur les réalités de la pêche dans les RUP, que j’ai eu le plaisir de rapporter pour la commission des affaires européennes, ont déjà pointé l’incohérence de la politique commerciale. Sa mise en cohérence doit passer par l’évaluation systématique et préalable des effets des accords commerciaux conclus par l’Union européenne.
Le positionnement du Sénat doit permettre au Gouvernement de défendre des problématiques françaises. Je pense notamment à Mayotte et à l’octroi de mer. La France a un devoir particulier vis-à-vis des RUP, car c’est elle qui en compte le plus, et c’est elle qui en a sans doute la meilleure expertise.
La France se doit donc d’être attentive et exemplaire.
Oui, la France devra être attentive, lorsque Mayotte, dont je salue ici le sénateur, deviendra elle-même une région ultrapériphérique.
Département à part entière depuis le 31 mars 2011, Mayotte a souhaité devenir une RUP à compter du 1er janvier 2014. Le gouvernement français doit être attentif à ce que ce département soit bien pris en compte par les institutions européennes. De plus, il doit veiller à ce que les aides qui lui seront accordées ne viennent pas en déduction du budget déjà consacré aux cinq autres RUP françaises. L’effet serait alors vraiment négatif pour chacune et chacun.
Mais la France doit également être exemplaire. Il s’agit là d’une des dernières recommandations de Georges Patient concernant l’octroi de mer. Avant le 1er juillet 2014, la France doit proposer à la Commission européenne un régime fiscal dérogatoire pour les départements d’outre-mer concernés. Nous sommes dans une période de transition depuis 2004. Je soutiens les propos tenus il y a un instant par le président de la commission des affaires européennes, Simon Sutour : nous devons mener des réflexions claires sur l’avenir de l’octroi de mer.
Le Sénat, par ces propositions de résolution européenne, demande au Gouvernement de dialoguer sans délai avec la Commission européenne. Je pense que ce dialogue doit aussi se faire avec les élus locaux des départements concernés, ainsi qu’avec les parlementaires engagés sur ce sujet, notamment ceux de notre délégation à l’outre-mer, présidée par notre collègue Serge Larcher, qui fait un travail remarquable. Les débats qui nous animent sont passionnants. J’espère que nous serons entendus jusqu’à Bruxelles.
Pour toutes les raisons que je viens de développer, et pour son attachement profond aux régions ultrapériphériques, le groupe UDI-UC votera en faveur de ces propositions de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP, du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 12 juillet dernier, le Conseil européen a adopté une décision par laquelle Mayotte deviendra, au 1er janvier 2014, la neuvième région ultrapériphérique de l’Union européenne. Cette décision, qui aurait pu être actée lors de la séance plénière du 29 juin dernier, a connu un léger contretemps, en raison d’un problème procédural soulevé par le Parlement britannique.
Le délai entre la décision du Conseil européen, qui marque l’entrée de ce territoire de l’océan Indien dans le processus de « rupéisation » et l’entrée effective dans le statut s’explique par la nécessité pour Mayotte de se mettre au niveau communautaire en adoptant textes et réglementations en vigueur.
Si Mayotte doit effectivement et impérativement être en mesure de faire face à l’ensemble de ses obligations communautaires, je salue toutefois l’initiative de MM. Serge Larcher, Roland du Luart et Georges Patient qui ont introduit, dans leur proposition de résolution relative à la stratégie européenne pour les RUP à l’horizon 2020, une mention visant à tenir compte des spécificités de ce tout jeune département.
En effet, il me semble que certaines dérogations, notamment en matière de droit d’asile et de statut des étrangers, doivent être maintenues eu égard aux problèmes d’immigration clandestine sans précédent auxquels l’île est confrontée.
Je tiens à exprimer ma très grande satisfaction, car Mayotte, qui connaît de profondes difficultés, pourra enfin accéder aux financements européens et faire, je l’espère, des progrès rapides et considérables en matière d’infrastructures, d’équipements collectifs et de développement économique et social.
Le montant estimé des subventions européennes que pourrait recevoir Mayotte sur la période 2014–2020 varie d’une source à l’autre. À combien s’élèveront-elles exactement ?
Il est également souhaitable que l’enveloppe budgétaire consacrée à mon département ne vienne pas en diminution de celle qui est prévue pour les autres RUP françaises. Je suis tout à fait d’accord avec vous, mon cher collègue.
J’attire enfin l’attention sur la nécessité de mettre en place un véritable accompagnement technique de gestion de ces fonds qui ne se réduirait pas à la simple constitution de dossiers, mais qui s’inscrirait dans une démarche plus générale, fondée sur l’élaboration d’un plan de développement à long terme.
Les rapporteurs de la mission sénatoriale, Jean-Pierre Sueur, Félix Desplan et Christian Cointat, lors de leur déplacement à Mayotte, en mars dernier, avaient déploré qu’aucune politique de sensibilisation ne soit encore prévue à destination des élus locaux et des fonctionnaires mahorais concernant le périmètre d’action des RUP.
La Commission européenne a récemment débloqué 2 millions d’euros pour financer cette assistance technique, mais 17 % seulement de cette enveloppe a pour l’heure été utilisée.
J’insiste sur ce point, la mise en place d’une formation efficace est indispensable : d’abord, parce que la gestion des fonds européens et les procédures administratives européennes requièrent des connaissances spécifiques ; ensuite, parce qu’en quittant le régime des pays et territoires d’outre-mer Mayotte ne pourra conserver les importantes ressources qu’elle tire aujourd’hui des droits de douane. Le nouveau département d’outre-mer devrait, pour y remédier, mettre en place une fiscalité locale conforme au droit commun au 1er janvier 2014, ce qui, comme chacun sait, est illusoire en l’état actuel des choses.
Si le Gouvernement faisait le choix de repousser cette date, quelles seraient les ressources des collectivités mahoraises ? Mais si le Gouvernement tenait coûte que coûte cet engagement, la mise en place de cette fiscalité locale risquerait d’être injuste et inégale : le revenu moyen d’un Mahorais est de moins de 1 000 euros par mois, mes chers collègues…
Et l’on se demande bien comment une telle fiscalité pourrait être instaurée, puisque le chantier du cadastre n’est toujours pas bouclé. Je regrette, d’ailleurs, que le projet de loi de finances pour 2013 n’ait pas prévu les crédits pour résoudre ce problème...
C’est la raison pour laquelle je souhaite vivement que l’amendement déposé par Serge Larcher concernant la pérennisation de l’octroi de mer et son extension à Mayotte, soit adopté…
M. Serge Larcher, rapporteur. C’est fait !
M. Thani Mohamed Soilihi. … et, plus encore, que la Commission européenne reconnaisse l’utilité de ce dispositif.
La « rupéisation » de Mayotte est une avancée considérable dans l’évolution statutaire de ce département. Il serait vraiment regrettable de ne pas pouvoir faire une utilisation optimale de ces fonds, pour Mayotte évidemment, mais aussi pour les autres RUP, qui s’en trouveraient pénalisées. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Cornano.
M. Jacques Cornano. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’identité socio-économique des régions ultrapériphériques se décline sous le signe de la mixité, entre une appartenance à l’Union européenne et un ancrage dans des régions éloignées soumises aux aléas de la mondialisation.
L’Union européenne a reconnu les spécificités de ces régions et il nous est permis de penser, au regard de sa communication du 20 juin dernier, que la Commission européenne a la volonté de prendre les mesures permettant à nos régions de s’inscrire de manière constructive dans l’économie mondiale.
Toutefois, il faut aller plus loin. Il est vrai que nous pouvons regretter la tardiveté de cette communication ainsi que son manque d’ambition pour nos régions. La Commission n’y fait même pas mention d’une possibilité d’évaluation de sa propre politique au regard des deux dernières communications.
Je salue donc l’initiative sénatoriale. Il est en effet plus que jamais nécessaire de rechercher une mise en cohérence des différentes politiques communautaires à l’égard des RUP et d’étudier toutes les possibilités d’adaptation à nos territoires éloignés que nous offrent les textes européens, qui demeurent sous-exploités.
Ces dernières années, la politique commerciale, menée en parallèle d’autres politiques sectorielles de l’Union européenne, a pu constituer une menace pour l’économie des RUP et mettre en péril leur intégration régionale. Ce fut le cas, par exemple, avec les accords de libre-échange entre l’Union européenne et l’Amérique latine en 2010, qui portaient sur la banane, le sucre, le rhum et d’autres produits agricoles tropicaux exportés vers l’Union européenne, au détriment de nos exportations, réalisées par des producteurs soumis aux normes françaises ou européennes.
Par ailleurs, mon collègue Georges Patient soulève les bonnes questions en ce qui concerne l’octroi de mer. Nous ne pouvons pas laisser arriver l’échéance de 2014 sans pleinement jouer notre rôle dans les négociations avec la Commission européenne ; qu’il s’agisse de pérenniser cette taxe ou d’envisager une solution alternative, une issue devra être trouvée et la solution devra parfaitement prendre la mesure des très importants problèmes financiers que rencontrent nos collectivités.
Quoi qu’il en soit, un maintien de l’octroi de mer appellera une réflexion d’ensemble sur le dispositif.
Je ne suis pas défavorable à l’idée formulée par la Cour des comptes l’an dernier visant à affecter les recettes d’octroi de mer davantage au financement de l’investissement public des collectivités et moins à leur fonctionnement ; mais, dans ce cas, d’autres ressources devront être recherchées pour abonder les caisses des collectivités en faveur de leur fonctionnement, et ce ne sera pas chose simple.
Pour conclure, je dirai que les départements français d’outre-mer entrent dans une nouvelle étape de leur évolution économique, sociale et culturelle avec la construction européenne et qu’il nous reste à espérer que leur appartenance politique et économique à l’Union européenne constituera un accélérateur pour leur développement, et non un frein. (Applaudissements.)