Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen tiendra, dans quelques jours, une réunion extraordinaire consacrée au cadre financier de l’Union européenne pour 2014-2020, et donc en particulier à l’avenir de la politique de cohésion. Il s’agit là d’un rendez-vous majeur, qui revient tous les sept ans.
Il n’est pas certain – c’est même peu probable – que cette réunion débouche sur un compromis. D’ailleurs, même si compromis il y a, il faudra tenir compte ensuite de la position du Parlement européen, dont l’accord est désormais nécessaire aux termes du traité, cette codécision sur le budget européen étant une bonne chose. En tout état de cause, cette réunion du Conseil européen sera une étape cruciale pour le compromis final.
Notre débat vient donc à point nommé, la politique de cohésion étant un enjeu essentiel pour les régions ultrapériphériques en général et les RUP françaises en particulier. C’est également vrai, bien sûr, pour toutes les régions françaises, surtout celles qui sont susceptibles d’entrer dans la nouvelle catégorie des « régions de transition », proposée par le commissaire européen Johannes Hahn. Je m’écarte un instant du sujet pour me réjouir de constater que le Gouvernement soutient cette proposition, contrairement, il faut le dire, au précédent.
Ce débat est donc particulièrement essentiel pour les RUP françaises qui, seules, relèvent de l’objectif « convergence » et peuvent, à ce titre, bénéficier d’un cofinancement au taux le plus élevé.
C’est un combat difficile, extrêmement difficile même, que le Gouvernement devra mener. Le mot « combat » n’est pas exagéré, tant ces négociations s’annoncent dures, notamment, comme l’a souligné mon collègue Serge Larcher, pour ce qui concerne l’allocation spécifique, que l’on veut faire passer de 35 euros par habitant à 20 euros. Car telle est la base de négociation d’où il vous faudra partir : vous devrez vraiment vous battre pour réussir à maintenir l’allocation spécifique à son montant actuel !
En revanche, j’y insiste, monsieur le ministre, l’équilibre de la position française telle qu’elle s’énonce aujourd’hui est rassurant.
La France conserve une position claire et ferme sur la politique agricole commune, la PAC, mais elle n’est pas prête à sacrifier, en contrepartie, la politique de cohésion, comme ce fut le cas auparavant. Sans vouloir entrer dans une polémique politicienne – les faits sont là, qui peuvent être vérifiés –, le précédent gouvernement avait la PAC comme priorité, la politique de cohésion devenant une simple variable d’ajustement.
Or la politique de cohésion joue un rôle considérable dans nos territoires ; on peut même se demander ce qui resterait, sans les fonds européens, de la politique d’aménagement du territoire. Par ailleurs, le fait que les RUP françaises en bénéficient pleinement est une autre raison essentielle de notre attachement à cette politique.
À cet égard, permettez-moi de le signaler, c’est la première fois qu’un débat de cette nature a lieu ici même en séance publique, en pleine discussion du budget européen. Lorsque j’avais suivi cette question il y a sept ans, nous nous étions beaucoup moins battus. Mais aujourd'hui, après une prise de conscience, nécessité fait loi !
Après les explications données par nos collègues Roland du Luart, Georges Patient et Serge Larcher, je ne reviendrai pas sur les deux propositions de résolution européenne aujourd’hui soumises au Sénat. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous sommes, me semble-t-il, tous unis sur les objectifs à respecter : préserver les moyens de la politique de cohésion pour les RUP, s’attaquer résolument à la question de l’octroi de mer, sur laquelle je tiens, à mon tour, à insister, et entamer – enfin ! – un dialogue, réel et concret, avec la Commission européenne.
Voilà huit ans, concernant l’octroi de mer, la France a obtenu un délai de dix ans pour se mettre en conformité avec les règles européennes. Nous sommes aujourd’hui à vingt mois de l’échéance. J’y reviendrai ultérieurement, mais, à l’instar de mon collègue Georges Patient, je préférais la rédaction initiale de la proposition de résolution proposée par la commission des affaires européennes ; elle me paraissait plus nette et plus concrète.
Au demeurant, il faut aussi savoir adapter les règles européennes à la spécificité des régions ultrapériphériques, non seulement pour la gestion des fonds européens, que je viens d’évoquer, mais aussi pour la mise en œuvre des normes.
J’étais en Guyane la semaine dernière et, avec mon collègue Georges Patient, nous avons pu constater à quel point l’application mécanique des normes européennes aboutissait à des conséquences absurdes.
Ainsi, il est injustifiable que la Guyane, en raison des normes européennes, ait quasiment cessé de produire du riz – 600 hectares cultivés aujourd'hui, contre 5 000 hectares il y a quelques années ! –, et qu’elle importe désormais son riz du Surinam, pays voisin qui ne respecte pas ces normes ! Avec un minimum de pragmatisme, nous n’en serions pas arrivés là. En l’espèce, nous avons tous les inconvénients et aucun avantage.
Si les exigences propres aux RUP françaises ne sont pas mieux prises en compte à Bruxelles, c’est parce que beaucoup d’Européens ne mesurent pas l’atout que ces régions représentent pour toute l’Union européenne, et pas uniquement pour la France, et ne savent pas à quel point elles sont importantes pour notre avenir. Cela est vrai, malheureusement, même à des échelons de décision élevés.
Monsieur le ministre, j’ai été choqué par la fermeture de la délégation de l’Union européenne au Surinam, pays frontalier de la France, donc de l’Union.
L’Union entretient de très nombreuses délégations à travers le monde, et leur utilité peut parfois soulever des interrogations. Il est donc assez étonnant que, lorsqu’il s’est agi de fermer une de ces délégations, on ait choisi celle d’un pays frontalier de l’Union européenne, qui plus est destiné à développer avec la Guyane une coopération territoriale dans le cadre de la politique de cohésion !
Vous aurez sans doute l’occasion, monsieur le ministre, d’évoquer cette question avec le ministre des affaires étrangères de ce pays, avec lequel nous nous sommes nous-mêmes entretenus lors de notre visite, et que vous devez, me semble-t-il, rencontrer à Cayenne le mois prochain.
On dit parfois qu’il n’est pas facile de plaider la cause des RUP, parce que seuls trois États membres sont concernés. Cela montre que nous ne raisonnons pas encore assez en Européens. Les RUP françaises sont une chance non seulement pour la France, mais aussi pour toute l’Union européenne, et c’est à nous de faire en sorte que ce point de vue soit davantage partagé en Europe. Nous ne l’avons sans doute pas suffisamment fait jusqu’à présent, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire, et notre débat d’aujourd’hui en sera, je l’espère, une illustration.
Pour conclure, je veux me réjouir de la coopération qui s’est instaurée entre la délégation sénatoriale pour l’outre-mer, créée sur l’initiative du président du Sénat, Jean-Pierre Bel, au lendemain de son élection – l'Assemblée nationale en a également créé une récemment –, la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes.
Président de la commission des affaires européennes après avoir été pendant de nombreuses années membre de la délégation pour l’Union européenne, je constate que c’est la première fois que la commission des affaires européennes compte parmi ses membres des parlementaires d’outre-mer. Je salue ainsi Karine Claireaux, de Saint-Pierre-et-Miquelon, et Georges Patient, de Guyane, qui est aussi vice-président de notre commission.
J’espère que cette coopération favorisera l’adoption à l’unanimité des deux propositions de résolution, et je souhaite – mais je n’en doute pas, monsieur le ministre – que le Sénat et le Gouvernement soient sur la même longueur d’onde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma participation au débat de cet après-midi confirme, s’il en était besoin, l’intérêt sincère que portent tous les élus de l’Hexagone aux collectivités ultramarines. D’ailleurs, à considérer toutes les discussions les concernant auxquels j’ai pris part ici dans la période récente et aujourd’hui encore - réforme des ports d’outre-mer, régulation économique outre-mer, stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques - je sens que les Lotois vont finir par se demander si je n’ai pas élu domicile outre-mer ! (Sourires.)
Le débat de cet après-midi sur la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques permet en tout cas de rappeler à nos compatriotes de métropole que chacune de ces régions, si éloignée soit-elle du continent européen, fait partie intégrante de la France et de l’Europe et contribue largement à leur dynamisme, à leur prospérité et à leur rayonnement.
Ce débat m’offre aussi l’occasion de saluer à cette tribune la mémoire d’un ancien président du Sénat : Gaston Monnerville. Né en Guyane de parents martiniquais, il fut, avant d’être sénateur du Lot pendant près de trente ans, député puis sénateur radical de Guyane.
C’est donc dans la continuité de cette histoire mêlée entre le Lot et l’outre-mer que j’inscris ma démarche.
Mes chers collègues, les deux propositions de résolution européenne soumises aujourd’hui à notre examen constituent une initiative bienvenue et un soutien précieux à l’action menée par le Gouvernement au niveau européen.
Cette initiative est bienvenue, car la crise économique et financière que connaît l’Union européenne est ressentie de façon particulièrement violente dans les régions ultrapériphériques.
Ces régions paient assurément un lourd tribut, puisque le chômage y progresse davantage qu’ailleurs, notamment parmi les jeunes de moins de vingt-cinq ans, qui sont touchés à plus de 60 %. Les entreprises y sont plus fragiles, certains secteurs économiques sont complètement atones et les équipements collectifs de base connaissent des retards massifs de mise aux normes. Enfin, comme chacun le sait, le PIB par habitant dans les régions ultrapériphériques est largement inférieur à la moyenne nationale.
Ce diagnostic n’est certes pas nouveau ; mais la crise a mis un peu plus en évidence les faiblesses structurelles des économies des régions ultrapériphériques ainsi que leur dépendance vis-à-vis de l’extérieur.
Le précédent gouvernement s’en est trop souvent tenu à une position quelque peu distanciée à l’égard des outre-mer, invoquant un nécessaire développement endogène ce qui, en réalité, ne servait qu’à masquer le désengagement de l’État.
La nouvelle majorité a ouvert des perspectives de changement qu’il faut saluer : je pense en particulier au projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer, que nous venons d’adopter pour lutter contre la vie chère.
Je pense aussi à l’action menée par le Gouvernement pour que les réalités des régions ultrapériphériques soient prises en compte dans la réforme en cours de la politique commune de la pêche.
Cette action a commencé à porter ses fruits puisque, lors du Conseil des ministres de l’Union européenne du 24 octobre dernier, le régime de compensation des coûts additionnels supportés par les pêcheurs et les aquaculteurs ultramarins en raison de leur éloignement a été étendu à l’ensemble des territoires ultrapériphériques, ce qui représente une avancée majeure.
Ces premiers résultats sont encourageants, mais les régions ultrapériphériques espèrent d’autres avancées.
Le marché unique est pour elles une fiction autant que la discontinuité territoriale est une réalité !
Après l’espoir suscité il y a un an par le rapport Solbes sur les régions ultrapériphériques européennes dans le marché unique, qui recommandait l’utilisation systématique du fameux article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les lendemains ont vite déchanté.
En effet, la communication de la Commission européenne intitulée Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive et ses propositions en matière de politique de cohésion sont très loin de répondre aux attentes concrètes de ces territoires.
Il y a bien le discours sur les atouts que représente l’outre-mer ; il y a aussi – fait nouveau – la reconnaissance explicite de leur diversité. Mais, au bout du compte, la Commission européenne n’évoque que très peu les nécessaires politiques de rattrapage et reste hostile à l’instauration d’instruments d’aide spécifiques.
Monsieur le ministre, dans les négociations des prochains mois, il va falloir faire preuve de persuasion pour inverser une telle tendance et obtenir un peu de souplesse !
Notre pays a la chance d’être présent à proximité de pays dits « émergents » : il y a là une occasion à ne pas manquer de développer le commerce avec le Brésil à partir de la Guyane, avec le bassin caribéen à partir des Antilles, avec l’Inde et l’Afrique du Sud à partir de La Réunion et de Mayotte, et avec la Chine à partir de nos îles pacifiques.
Tout doit donc être mis en œuvre pour développer les échanges au sein de ces zones géographiques. Pour cela, il faut, en premier lieu, desserrer l’étau des normes qui enserre les économies ultramarines : édictées à des milliers de kilomètres, ces normes ne prennent pas du tout en compte les spécificités de ces territoires.
Cet aveuglement contribue au renchérissement des produits et à ce que l’on appelle aujourd’hui « la vie chère ». Que ce soit pour la composition des carburants ou la construction, les normes conduisent à des aberrations. Mes chers collègues, imaginez que la Guyane, qui est adossée à la plus grande forêt du monde, la forêt amazonienne, est obligée d’importer du bois de hêtre pour fumer le poisson !
La même « logique » est à l’œuvre pour les accords commerciaux, bilatéraux ou multilatéraux, qui placent les cultures traditionnelles des régions ultrapériphériques devant le fait accompli d’une concurrence locale accrue.
En effet, au cours des deux dernières années, l’Union européenne a conclu plusieurs accords commerciaux portant sur des productions traditionnelles de l’outre-mer : la banane, le rhum et le sucre. Ces accords ont été conclus avec des pays dont les coûts de production sont très inférieurs à ceux des régions ultrapériphériques !
Les producteurs ultramarins n’ayant évidemment pas la capacité de résister à une concurrence accrue de produits à bas prix sur le marché européen, chacun peut aisément concevoir les effets potentiellement dévastateurs de ces accords sur l’agriculture des régions ultrapériphériques.
Les élus d’outre-mer n’ont cessé, au Parlement français comme à Bruxelles, de tirer la sonnette d’alarme et de réclamer une compensation.
Par ailleurs, cette politique commerciale n’est pas toujours très cohérente avec les politiques structurantes de l’Union européenne en matière sociale, sanitaire et environnementale.
On ne peut pas, d’un côté, défendre une agriculture durable et responsable en considérant que cet objectif s’applique aussi aux régions ultrapériphériques et, de l’autre, engager des négociations commerciales qui mettent à bas les fondements mêmes de cette politique.
Songez, mes chers collègues, que lorsqu’une banane antillaise subit entre deux et six traitements sanitaires, une banane colombienne en subit soixante, soit plus de dix fois plus !
Monsieur le ministre, dans cette période décisive de négociations, les régions ultrapériphériques comptent sur vous pour défendre leurs spécificités. Les deux propositions de résolution européenne sont destinées à appuyer votre action au niveau européen.
Pour améliorer l’intégration des régions ultrapériphériques dans le marché unique sans sacrifier leur ouverture sur leur environnement régional, la France et l’Union européenne doivent faire chacune un pas en avant.
Les territoires d’outre-mer doivent, bien sûr, saisir les nouvelles chances qui se présentent dans les services, le commerce électronique, les transports, les énergies renouvelables et la recherche pour avancer sur la voie d’une croissance plus endogène et diversifiée.
L’Union européenne, quant à elle, doit renouveler son pacte d’intégration en donnant corps à l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en réinventant des politiques sectorielles sur le modèle du programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, et en intégrant les contraintes des régions ultrapériphériques dans les politiques commerciales européennes.
Mes chers collègues, comme vous l’avez compris, les membres du groupe du RDSE apportent un soutien sans réserve aux deux propositions de résolution européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les auteurs des propositions de résolution européenne, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de saluer la présence dans nos tribunes d’une délégation de ma commune, Saint-Nolff, venue du Morbihan pour recevoir ce soir le prix de la capitale française de la biodiversité pour 2012 ; je salue en particulier Sarah et Benoît, qui représentent notre conseil municipal des enfants.
Nous débattons donc cet après-midi des régions ultrapériphériques, les RUP… Je trouve que les technocrates de Bruxelles devraient mettre un petit peu plus de poésie dans leurs expressions, qui blessent parfois notre langue !
Le Parlement européen est en pleine phase législative pour lancer une nouvelle stratégie en faveur du développement des régions ultrapériphériques.
Cette stratégie vise à prendre en compte le changement climatique, à favoriser le développement local, à défendre une agriculture locale durable, à préserver la qualité des produits, à prendre en compte l’incidence des accords commerciaux de l’Union européenne, à promouvoir la participation des élus locaux au processus décisionnel et à prendre en compte les difficultés sociales croissantes des populations ultrapériphériques, notamment celles des jeunes.
Vous le voyez, les enjeux sont nombreux, et les défis, aussi.
Le rapport d’initiative adopté par le Parlement européen le 18 avril 2012 sur le rôle de la politique de cohésion dans les régions ultrapériphériques de l’Union européenne dans le contexte de la stratégie « Europe 2020 » et le document publié le 20 juin dernier par la Commission européenne présentent déjà les axes de la stratégie de l’Union européenne pour les régions ultrapériphériques.
Les députés européens Verts ont d’ores et déjà envoyé à la Commission européenne un message clair sur l’outre-mer.
Dans sa proposition de règlement FEDER pour les années 2014 à 2020, soit la future période de programmation, la Commission européenne propose des coupes budgétaires significatives dans l’enveloppe additionnelle dédiée aux régions ultrapériphériques : cette enveloppe baisserait de 46 %, ce qui reviendrait à ramener le montant de l’aide de 35 à 20 euros par habitant !
Cette proposition est inacceptable, et nos députés européens ont demandé le maintien du budget.
En outre, ils ont demandé que l’on mesure les effets des accords internationaux en matière de commerce et de pêche sur ces territoires et sur la production locale.
Nous sommes cependant forcés de constater que nos propositions en matière d’environnement sont accueillies avec frilosité. Il serait pourtant nécessaire d’inclure un critère lié au changement climatique pour chaque projet financé par la politique de cohésion.
Les régions ultrapériphériques doivent faire face à des crises combinées terribles : une crise sociale, une crise économique, mais aussi une crise environnementale.
Pour relever les défis nombreux dont j’ai parlé, les régions ultrapériphériques ont besoin d’un soutien fort et durable de l’Union européenne, un soutien qui doit accompagner un développement exemplairement soutenable.
Chers collègues des outre-mer, parmi les défis que vos territoires vont devoir relever, trois me semblent primordiaux : les transports, l’agriculture et la lutte contre l’utilisation excessive des pesticides ainsi que le maintien et le développement d’une pêche artisanale, durable et innovante.
Je reprends tour à tour ces trois défis.
Les déplacements dans les régions ultrapériphériques sont principalement caractérisés par la trop grande importance accordée à la voiture au détriment des transports collectifs, dont il est clair que les réseaux sont tout à fait insuffisants.
Compte tenu de l’augmentation du prix du carburant, ce problème a une incidence directe sur le budget des ménages et, de ce fait, sur la qualité de vie des habitants.
Dans ce contexte, les aides européennes doivent contribuer à la mise en place d’un réseau fiable de transports interurbains.
S’agissant de l’agriculture et des pollutions liées à l’utilisation des pesticides, on ressent les conséquences néfastes sur la santé et sur l’environnement du chlordécone, utilisé dans les bananeraies et heureusement interdit aux Antilles aujourd’hui, mais aussi celles d’autres produits phytosanitaires.
Mes chers collègues, vous vous en souvenez sans doute, j’étais intervenu avec force pour réclamer la fin des épandages aériens, parce que des méthodes alternatives existent.
Dans ce domaine aussi, l’Union européenne a un rôle capital à jouer. Les régions ultrapériphériques, eu égard à la qualité de leur patrimoine naturel, de leurs sols et de leurs forêts, ainsi qu’à la richesse de leur biodiversité, peuvent permettre le développement d’une agriculture innovante fondée sur l’agro-écologie.
Enfin, chers collègues ultramarins, comment pourrions-nous traiter de la stratégie de l’Union européenne pour les régions ultrapériphériques sans parler de la pêche, qui constitue un enjeu économique et social vital pour vos territoires ?
Je vous rappelle que les outre-mer représentent 96 % du domaine océanique français, le deuxième plus important au monde, et qu’ils comptent plus de 2 500 navires de pêche quand la métropole en compte moins de 5 000. Les territoires ultramarins abritent 35 % de la flotte artisanale française et plus de 20 % des effectifs de marins pêcheurs.
Nous le réaffirmons, seules les pratiques durables sont capables de protéger les ressources halieutiques, et ce sont donc elles que l’Union européenne doit soutenir en priorité.
En effet, on ne peut pas dissocier les questions écologiques, économiques et sociales : sans gestion durable des ressources halieutiques, il n’y aura pas de garantie économique à long terme, ni de garantie sociale du point de vue de l’emploi.
C’est d’autant plus vrai que les territoires ultramarins sont particulièrement fragiles : pour l’essentiel insulaires, ils sont davantage exposés aux effets du changement climatique, aux risques naturels et aux conséquences des activités humaines.
Si donc nous rejoignons nos collègues ultramarins pour constater les spécificités et les contraintes particulières de leurs territoires, si nous partageons un certain nombre de leurs critiques contre des politiques européennes souvent mal adaptées aux spécificités locales, nous déplorons aussi que les défis écologiques auxquels ces territoires doivent dès à présent faire face ne soient pas suffisamment pris en considération.
Seule une vision de long terme permettra d’apporter une réponse globale à la hauteur des défis des outre-mer.
Chers collègues ultramarins, nous avons à cœur la vitalité de vos territoires ; elle doit résulter de stratégies de développement local innovantes et endogènes, qui reposent sur une agriculture et une pêche durables et sur le développement d’industries nouvelles.
Ce que certains qualifient de retard de développement est aussi une chance aujourd’hui : c’est l’occasion d’engager les bonnes réformes et de faire des choix de développement innovants, soutenables et, comme il a été dit tout à l’heure, intelligents.
La recherche de la compétitivité et de la croissance sans prise en compte des défis environnementaux ne peut être qu’incantatoire.
Quant aux solutions à apporter à vos territoires, chers collègues, elles ne résident pas dans l’obtention de dérogations toujours plus importantes aux normes européennes. Des dérogations, toujours plus de dérogations et seulement des dérogations ? Non, chers collègues, s’il faut prendre en compte les spécificités, il faut aussi considérer l’unicité !
Si nous ne partageons donc pas toujours avec certains de nos collègues la vision du développement que nous souhaitons pour ces territoires, nous comprenons cet appel à une mise en cohérence des politiques européennes afin que les régions ultrapériphériques n’en constituent plus la variable d’ajustement. Par conséquent, chers collègues ultramarins, nous voterons avec force sinon vos deux révolutions – le lapsus serait facile (Sourires.) – du moins vos deux résolutions ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le fond des deux propositions de résolution qui sont examinées aujourd’hui. Nous avons entendu nos collègues les présenter dans le détail, avec le brio et le sérieux que nous leur connaissons.
Nous ne pouvons qu’adhérer aux raisons qui en ont motivé et le dépôt et la discussion en séance publique. La problématique traitée par les deux propositions de résolution est majeure, non seulement pour l’outre-mer français, cela a été dit, mais également pour l’ensemble des outre-mer de l’Union européenne.
Au nom du groupe UMP, je me félicite qu’un tel débat puisse avoir lieu. Les questions abordées sont d’une grande importance et d’une urgente actualité. Il était essentiel qu’elles soient envisagées de manière solennelle, comme nous le faisons maintenant.
Pourquoi ces propositions de résolution ? Il s’agit d’abord d’un constat : les réalités locales de l’outre-mer ne sont pas assez prises en compte par les autorités et les politiques de l’Union européenne. Les deux propositions de résolution constituent un rappel de ce constat de désintérêt et sont des initiatives que nous tenons à saluer.
La première résolution, proposée par nos collègues Roland du Luart, Georges Patient et Serge Larcher, concerne la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l’horizon 2020. Elle est l’aboutissement des travaux menés par la délégation sénatoriale à l’outre-mer, dont je salue l’engagement.
Il s’agit d’abord et avant tout de sensibiliser le Gouvernement à la nature des enjeux et de lui apporter notre soutien et notre appui vigilants dans les futures négociations que, monsieur le ministre, vous aurez à conduire sur le cadre financier pluriannuel de l’Union.
À ce titre, permettez-nous d’espérer que votre collègue ministre chargé des affaires européennes tiendra sa promesse de se rendre dans les régions ultrapériphériques et de réunir prochainement les parlementaires.
Ce dossier doit être pris à bras-le-corps, si je peux me permettre l’expression, car le contexte budgétaire européen est tendu, nous le savons tous. Aussi un appui de cet ordre ne sera-t-il pas superflu.
Il s’agit ensuite d’un avertissement donné par notre Haute Assemblée à la Commission européenne. Sa dernière communication de juin 2012 est totalement décevante, tardive et en décalage par rapport à la réalité dégradée de la situation économique et sociale de ces régions. La Commission fixe sur un ton incantatoire des objectifs trop ambitieux et ne prend absolument pas en compte ni la problématique des régions ultrapériphériques, ni leurs attentes ; cela a été réaffirmé plusieurs fois.
En matière de fonds structurels, on note un décalage permanent entre les objectifs stratégiques retenus par la Commission et les réalités du terrain qui imposent un rattrapage structurel et un soutien des secteurs traditionnels plutôt que leur destruction.
Il n’est pas possible que les crédits dont bénéficient ces régions soient diminués de façon substantielle, comme l’envisage la Commission européenne. Ces crédits sont essentiels à ces régions, au vu de leur situation spécifique et des handicaps qui sont les leurs. Il ne peut en être autrement. Mais c’est l’objet de la deuxième résolution et nous y reviendrons.
Nous l’avons dit et répété : les régions ultrapériphériques doivent faire l’objet d’un soutien plus marqué, plus durable et plus volontariste de la part de l’Union européenne. C’est notre conviction et c’est l’objet de ces deux initiatives, qui sont parfaitement complémentaires.
Il y a urgence à affirmer notre position. Nous sommes à la veille du Conseil européen des 22 et 23 novembre, qui sera consacré à l’élaboration du prochain cadre financier pluriannuel fixant le montant des dépenses engagées par l’Union pour la période 2014-2020. Cette négociation est donc essentielle pour l’avenir de l’Union. Toutefois, vous le savez tous, elle s’annonce particulièrement difficile.
Les contraintes budgétaires de chaque État membre sont une première difficulté ; mais, et c’est une seconde difficulté, il faut savoir que cette négociation sera la première à se dérouler à vingt-sept États membres. Elle requiert l’unanimité du Conseil et l’approbation du Parlement européen : telle est la procédure du traité de Lisbonne. Par conséquent, c’est un moment décisif. Aussi est-il essentiel, à notre avis, que le Sénat mette en avant des priorités politiques. Je pense, bien entendu, à la PAC ou à l’efficacité des dépenses européennes.
Mais la cohésion sociale et régionale est également un sujet majeur pour des raisons d’équité et de justice. C’est d’ailleurs la position traditionnelle du Sénat depuis des années. Dans ce cadre, les régions ultrapériphériques occupent une place éminente, car, j’y insiste, elles sont une chance pour l’Europe.