M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Néri, rapporteur de la commission des affaires sociales. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les interventions de MM. Longuet et Legendre.
Je voudrais remercier M. Longuet d’avoir évoqué, pour la première fois dans ce débat, le contingent et les appelés. Depuis ce matin, je trouvais cruel, injuste et indigne que l’on puisse parler de la guerre d’Algérie sans jamais mentionner les 30 000 morts du contingent, les appelés blessés, ceux qui sont revenus dans leur famille traumatisés à vie… (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Thérèse Bruguière et M. François-Noël Buffet. M. Garrec en a parlé !
M. Jean-Louis Carrère. Prenez-donc exemple sur lui, il est beaucoup plus calme que vous !
M. Alain Néri, rapporteur. Personne n’a pris en compte, à droite de cet hémicycle, la douleur des mères qui voyaient partir leur fils en Algérie, après avoir vu partir leur mari dix ans auparavant !
Aujourd’hui, mes chers collègues, nous devons rendre hommage à cette troisième génération du feu qui a répondu à l’appel de la nation une première fois lors de sa mobilisation : tous les deux mois, un contingent entier partait pour une guerre dont, souvent, il ne partageait pas les objectifs.
M. Jean-Jacques Hyest. À l’appel d’un gouvernement socialiste !
M. Alain Néri, rapporteur. Cette même génération, vous semblez l’oublier aisément, indignement, a répondu une seconde fois à l’appel de la République, pour la défendre contre le putsch des généraux !
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
M. Alain Néri, rapporteur. C’est le contingent qui a sauvé la République !
Pour ces deux raisons, il me paraît indispensable que la nation rende hommage à tous ceux qui ont souffert, que ce soit avant ou après le 19 mars 1962.
M. Robert Tropeano. Très bien !
M. Alain Néri, rapporteur. Pour ce qui concerne le texte relatif à la commémoration le 11 novembre de tous les morts pour la France, monsieur Garrec, nous l’avons voté.
M. René Garrec. C’est très bien !
M. Alain Néri, rapporteur. Mais ce texte, je l’ai fait amender, parce que je ne voulais pas que le 11 novembre devienne un memorial day, éclipsant la célébration du 8 mai 1945 et de la capitulation nazie. Chaque conflit doit avoir une date spécifique de commémoration, car chaque conflit a son histoire.
Mme Catherine Procaccia. Chacun de ces jours doit aussi être férié ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Néri, rapporteur. Le devoir de mémoire s’impose à nous ! Il nous appartient d’apprendre aux jeunes générations, aux citoyens de demain, quels ont été les sacrifices de leurs prédécesseurs. Nous ne voulons pas d’un memorial day, cela ne correspond pas à notre culture ; nous voulons le 11 novembre, le 8 mai et le 19 mars !
M. René Garrec. Je n’ai jamais demandé un memorial day !
M. Alain Néri, rapporteur. Mes chers collègues, vous ne cessez de nous dire, depuis ce matin, que le 19 mars 1962 a marqué un déchirement.
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Alain Néri, rapporteur. Choisir le 5 décembre ne règle rien : c’est, vous l’avez dit et répété vous-mêmes, une date neutre, dépourvue de signification historique ! (M. Guy Fischer approuve.) Sur ce point au moins, il y a un consensus !
Ma petite-fille m’a interrogé sur le 11 novembre ; je lui ai répondu que c’était le jour de la commémoration de l’armistice de la Première Guerre mondiale, tandis que le 8 mai était celui de la célébration de la victoire sur la barbarie nazie et de la libération des camps de concentration. Mais quand elle m’a questionné sur le 5 décembre, je suis resté interloqué. Je lui ai finalement expliqué que le 5 décembre correspondait à un trou dans l’agenda de l’ancien Président de la République Jacques Chirac… Si je voulais faire du mauvais esprit, je dirais que le 1er avril aurait tout aussi bien pu faire l’affaire !
On ne peut donc retenir la date du 5 décembre pour rendre aux victimes de la guerre d’Algérie l’hommage que nous leur devons. Le 19 mars doit devenir un phare, diront peut-être les Bretons, ou un beffroi, diront les gens du Nord, autour duquel se rassembleront tous ceux qui ont souffert !
Afin de mettre tout le monde d’accord, je propose de sanctuariser le 19 mars comme date de rassemblement de tous ceux qui croient en la République et qui l’ont défendue ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Carle, Cléach, Couderc, Lecerf, Retailleau et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. René Garrec.
M. René Garrec. Monsieur le rapporteur, je ne crois pas avoir besoin de leçons d’histoire. Le contingent comptait aussi des officiers. J’ai été l’un d’entre eux. L’armée en formait 1 200 par an ; un assez grand nombre ont été tués. J’ai participé à une opération dans le Ravin bleu, en Kabylie : des six sous-lieutenants que nous étions le soir, je restai le seul survivant le lendemain matin. Cela laisse des souvenirs ! Quant à la guerre de 1940, mon frère et trois de mes oncles y ont péri.
Je n’ai donc aucune leçon de patriotisme ou d’histoire à recevoir de votre part, mais restons-en là sur ce sujet. Je voudrais maintenant m’exprimer au nom de M. Carle, premier signataire de cet amendement.
En premier lieu, force est de constater que cette question, qui divisait déjà il y a dix ans, divise encore aujourd’hui. C’est un fait incontestable : il y a encore des écorchures, des blessures qui ne sont pas cautérisées.
Ce texte aurait mérité sans doute, comme l’avait souhaité le Président Mitterrand, une large concertation, un véritable consensus. Un jour, les archives seront ouvertes à la consultation ; peut-être aurons-nous alors une vision plus claire des choses, mais, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Sans doute avez-vous préféré, pour reprendre des mots de M. Carle, la précipitation à la concertation.
En second lieu, il convient de rappeler que le Gouvernement a indiqué dans cet hémicycle, le 25 août dernier, qu’il ne voulait pas interférer dans ce débat et qu’il s’en remettrait à la sagesse de notre assemblée. Quinze jours plus tard, on inscrit le présent texte à un ordre du jour réservé. Cela ressemble tout de même à une intervention, en tout cas à un changement de position du Gouvernement…
En conclusion, je voudrais dire que ce débat mérite de la dignité, au rebours de l’exacerbation de tous les mauvais sentiments ou de la défense aveugle d’une position préétablie. Dans cet esprit, en accord avec notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam, nous retirons cet amendement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° 2 rectifié est retiré.
La parole est à M. Michel Berson, pour explication de vote sur l'article 1er.
M. Michel Berson. Les sénateurs du groupe socialiste voteront cet article, parce qu’ils savent combien sont attendus et nécessaires l’apaisement et la réconciliation. En effet, les blessures sont encore vives parmi ceux qui furent les acteurs et les victimes de la guerre d’Algérie.
Partager une mémoire, fût-elle douloureuse, pour être capables de construire ensemble un avenir commun : tel est le sens, tel est le rôle qui doit être dévolu à la célébration du 19 mars, jour du cessez-le-feu officiel en Algérie, que l’article 1er vise à reconnaître comme journée nationale du souvenir et de recueillement.
Au cours de notre débat, le nom de François Mitterrand a souvent été évoqué. Je voudrais maintenant faire référence au général de Gaulle.
M. Henri de Raincourt. Restons calmes…
M. Michel Berson. Fatigué que l’on ressasse qu’il était l’homme du 18 juin 1940, le général de Gaulle déclara à son interlocuteur, Jean Lacouture : « Eh quoi, rien depuis lors ? Et l’homme du 25 août 1944 ? Et celui du 8 janvier 1959 ? Et celui du 19 mars 1962, point final à vingt-six ans de guerres ininterrompues ? » J’y insiste : « point final d’une guerre », précisait-il.
Bien sûr, nous le savons, le choix d’une date de commémoration de la fin de la guerre suscite encore, cinquante ans après, bien des controverses. Face aux oppositions, la recherche du consensus paraît toujours un objectif difficile à atteindre, tant les histoires personnelles et collectives de ceux qui furent envoyés dans la tourmente des combats et de ceux qui avaient leurs racines et leur vie en terre algérienne semblent inconciliables.
Personne ne le conteste, la signature des accords d’Évian n’a pas mis un terme immédiat à la guerre d’Algérie. Des enlèvements et des tueries ont été à déplorer jusqu’en juillet 1962. Puis, à la longue liste des morts et des blessés qui furent dénombrés parmi les militaires français et les populations civiles, se sont ajoutées les souffrances du déracinement et de l’exil des rapatriés d’Algérie et des harkis.
Même si cinquante ans se sont écoulés depuis ce tragique épisode de notre histoire nationale, les blessures restent vives et les mémoires plurielles. C’est donc à nous qui avons la charge de la représentation nationale de tenter de tourner cette page douloureuse et de retisser les liens de fraternité entre tous ceux qui eurent à souffrir dans leur chair comme dans leur cœur des conditions dans lesquelles la décolonisation fut engagée en Algérie.
Rien ne serait pire que d’opposer l’espoir tant attendu d’une paix durable entre deux nations au sentiment d’abandon que ressentirent ceux qui redoutaient les conséquences d’un désengagement de la France.
Rien ne serait pire que de renvoyer dos à dos les soldats et les jeunes du contingent, qui ne firent qu’exécuter les ordres, et ces hommes et ces femmes qui pouvaient légitimement revendiquer à la fois la nationalité française et leur attachement à l’Algérie.
Rien ne serait pire que de privilégier une mémoire, celle du monde combattant, au détriment d’une autre, celle des Français d’Algérie.
Aussi la responsabilité qui incombe désormais à la représentation nationale est-elle de renouer les fils d’une histoire nationale, à laquelle nous nous rattachons tous, autour d’une date commémorative, au-delà des épreuves subies, des peines endurées et des appréciations différentes que nous pouvons avoir les uns et les autres sur cet aspect de notre histoire.
La reconnaissance officielle de la date historique du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats qui ont eu lieu en Tunisie et au Maroc s’inscrit dans une volonté de réconciliation. Cette reconnaissance porte un message de paix et d’espoir, qui permettra aux mémoires, hier désunies, de se retrouver, afin que chacun puisse affronter les défis d’aujourd’hui.
Mes chers collègues, tel est le sens de l’article 1er. Pour toutes ces raisons, les membres du groupe socialiste le voteront. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. À ce stade de la discussion, un constat s’impose : nous sommes en désaccord.
M. Henri de Raincourt. Jusque-là, c’est vrai !
M. Jean-Jacques Mirassou. Démonstration a été faite que rien ni personne ne pouvait mettre en cause la date du 19 mars comme étant celle du cessez-le-feu,…
M. Jean-Jacques Hyest. Bien sûr !
M. Jean-Jacques Mirassou. … même si elle ne consacre ni une victoire ni une défaite, et même si, par ailleurs, tout le monde reconnaît qu’ultérieurement ont eu lieu des exactions qui ont touché les deux camps.
Comme viennent de l’expliquer excellemment tant Michel Berson qu’Alain Néri, la troisième génération du feu a incontestablement besoin que lui soit dédiée une date mémorielle pour les raisons qui ont été évoquées tout au long de nos débats. Si tel n’était pas le cas, cela reviendrait à dévaluer la qualité de l’engagement de ces combattants, dont la plupart, comme c’est malheureusement le cas lors de chaque guerre, y ont laissé les meilleures années de leur vie, voire, pour certains, y ont perdu la vie.
En quoi réside exactement le contentieux qui existe entre la gauche et la droite ?
Pour notre part, avec lucidité, intelligence et sincérité, nous semble-t-il, nous sommes convaincus que la transmission apaisée de la mémoire passe par la reconnaissance de la date, incontestée, et incontestable selon nous, du 19 mars. Et nous faisons le pari que, une fois cette reconnaissance acquise et tournée une page de notre histoire, pourront alors être apaisés à la fois les esprits et les consciences.
Pour ce qui vous concerne, mes chers collègues de l’opposition, j’ai l’impression que vous persistez à essayer de faire en sorte que cette cicatrice, qui n’est pas encore refermée selon vous, soit entretenue le plus longtemps possible, pour des raisons que je n’arrive d’ailleurs pas à comprendre. Votre prise de position comporte probablement quelques arrière-pensées. Pour ce qui me concerne, je n’en ai pas.
Voilà pourquoi les membres du groupe socialiste, avec détermination et conviction, voteront l’article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Une date commémorative doit durer bien plus de cinquante ans ; elle doit marquer la vie d’une nation. Dans deux siècles, elle devra encore pouvoir être célébrée. Pour qu’elle ait cette portée forte, il faut donc se référer à un événement historique, un événement que l’on peut raconter de façon intelligible à ses enfants, comme vient de le dire M. Néri. L’armistice, c’est un événement historique. Le 5 décembre, c’est quoi ?
Mes chers collègues, au-delà de nos contingences de simples mortels, je vous demande de prendre en compte cet aspect : une date commémorative doit avoir une signification historique !
Par ailleurs, j’entends dire que le 19 mars ferait fi des victimes qui sont à déplorer après le cessez-le-feu. Non, pas du tout ! Et de toute façon, le choix de la date du 5 décembre ne règle pas la question des morts survenues jusqu’au mois de juillet !
Je le répète après M. le rapporteur, une commémoration prend en compte l’ensemble des victimes. Car, on le sait, au lendemain d’un cessez-le-feu, une guerre fait encore des victimes ! Mais ce n’est pas la date retenue qui les écarte de la commémoration, ce sont les discours politiques, même si, je reconnais que, en l’espèce, tel n’est pas le cas et qu’un consensus se dégage : il s’agit bien de commémorer les victimes du contingent et les victimes civiles de toute la guerre.
À ceux qui portent une grande attention aux « morts d’après » – je pense notamment aux harkis et aux civils qui ont disparu bien après le cessez-le-feu –, je veux leur dire que, moi aussi, je suis très attentif à ce sujet. Si je me suis battu pour que l’on reconnaisse ce qui a été fait aux Algériens, je me bats avec la même vigueur pour ces victimes, car la vérité l’exige.
Gardons à l’esprit la particularité de leur souffrance, à savoir le fait d’être postérieure aux accords d’Évian. Si l’on ne retient pas une date, ces personnes seront dépossédées de cette singularité : malgré le cessez-le-feu, elles ont été victimes, puis oubliées. Si le flou règne, ce seront des victimes comme toutes les autres de la guerre d’Algérie, ce qui ne serait pas rendre service au combat pour leur mémoire, combat qui doit continuer, car tout n’a pas été dit sur leur histoire. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en instituant des zones à urbaniser en priorité, le général de Gaulle a voulu faire face aux défis de l’urbanisation et de la réindustrialisation de la France. Toutes les grandes agglomérations ont alors dû accueillir tant les pieds-noirs que les harkis.
M. Henri de Raincourt. Les villages aussi ! Quarante familles ont été accueillies chez moi !
M. Guy Fischer. Aujourd’hui, par le biais de l’adoption de la proposition de loi et de la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir, il s’agit de saluer un moment important de la construction de l’union de la France.
D’une manière ou d’une autre, la plupart d’entre nous ont milité en faveur d’un cessez-le-feu en Algérie, en faveur de la fin d’un drame qui avait endeuillé ce pays comme le nôtre. Il faut garder ce point en mémoire.
Néanmoins, le débat qui vient d’avoir lieu a démontré notre incapacité à évoquer l’histoire de la décolonisation. Pourtant, le général de Gaulle lui-même avait affirmé la volonté de mettre fin dans la dignité à une histoire coloniale. De toute évidence, notre participation indirecte à ce désir d’indépendance, notamment de l’Algérie, s’imposait.
Mes chers collègues de l’opposition, quand on vous entend, quand on constate les clivages que ce sujet suscite encore en 2012, je serais tenté de me demander si la guerre d’Algérie est réellement terminée…
Je ne partage pas les propos tenus par M. Carle, lorsqu’il évoquait la loi du 23 février 2005. À l’époque, j’avais marqué mon opposition à l’article 4 de ce texte, qui vantait l’œuvre civilisatrice de la France, de l’époque coloniale française. Cela revenait à gommer la réalité, à mentir sur l’état dans lequel nous avons laissé l’Algérie. D’ailleurs, il saute aux yeux que nous ne nous comportons pas de la même manière envers le Maroc et la Tunisie, d’une part, et l’Algérie, d’autre part. Il ne s’agissait pas d’une œuvre civilisatrice, mais d’une situation à laquelle il fallait vraiment mettre un terme.
Je considère que l’adoption de cette proposition de loi mettrait un terme au débat et constituerait une marque de reconnaissance envers ceux qui ont participé à la guerre d’Algérie. La troisième génération du feu mérite une journée commémorative, et il serait normal que celle-ci soit fixée au 19 mars. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, pour explication de vote.
M. Jacky Le Menn. J’ai eu l’occasion d’intervenir devant la commission des affaires sociales pour raconter une part d’histoire : la mienne.
Le 9 octobre 1958 – j’étais alors tout jeune –, je suis parti rejoindre l’armée française dans ce qui était un département d’outre-mer. Très rapidement, nous nous sommes aperçus qu’il ne s’agissait pas d’une opération de maintien de l’ordre, comme on nous l’avait dit lors de notre incorporation, mais d’une guerre, avec ses horreurs de part et d’autre, que nous vivions très mal. Cette guerre m’a pris 1 095 jours de ma jeunesse.
Quand j’ai quitté l’Algérie, dégagé de mes obligations militaires, le 9 octobre 1961, je n’avais qu’un espoir : que les combats cessent. J’ai vu tomber tellement de camarades… J’ai vu aussi ceux qui tombaient en face… Je voulais que tout cela s’arrête.
Lorsque, un peu plus de cinq mois plus tard, j’ai eu le bonheur d’apprendre que des accords avaient été signés, ce n’est pas de l’humiliation que j’ai ressenti, mais c’est un grand soulagement et, au fond de moi, une grande joie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe socialiste et, l’autre, du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n°18 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 181 |
Contre | 156 |
Le Sénat a adopté.
Article 2
(Non modifié)
Cette journée, ni fériée ni chômée, est fixée au 19 mars, jour anniversaire du cessez-le-feu en Algérie.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Humbert, sur l’article.
M. Jean-François Humbert. Les questions de mémoire sont toujours délicates pour les parlementaires que nous sommes. En effet, les sujets mémoriels sont souvent abordés par le biais de considérations personnelles ou sous la pression de tel ou tel organisme. Certains sont partisans d’une date, d’autres défendent les revendications d’une association, d’autres encore s’activent pour faire reconnaître tel ou tel préjudice commis à l’époque.
Cependant, nous faisons tous le même triste et regrettable constat lors des rassemblements devant les monuments aux morts : peu nombreux sont ceux qui assistent à ces cérémonies, surtout parmi les jeunes citoyens. Bien sûr, cette désaffection progressive pour les commémorations s’explique d’abord par la disparition des derniers acteurs et des témoins directs des conflits mondiaux.
Le devoir de mémoire et la transmission de notre patrimoine historique et de nos valeurs n’ont pas de prix. C’est la garantie des fondements de notre socle républicain. Ces commémorations sont importantes pour notre République, car elles visent à rassembler nos concitoyens afin qu’ils puissent, ensemble, toutes générations confondues, rendre hommage à ceux qui ont sacrifié leur vie pour la défense des valeurs et des idéaux de la France.
Nous qui nous attristons de voir les monuments aux morts désertés, nous sommes en train de nous déchirer à propos d’une date. Il ne nous revient pas d’écrire l’histoire. Le rôle d’un élu n’est pas de jouer de telle ou telle interprétation de l’histoire. Le rôle d’un parlementaire est de participer à la transmission de l’histoire et d’assurer sa compréhension.
C’est aussi en tant que membre de la commission de la culture et de l’éducation que je m’adresse à vous. Pardonnez-moi, mais je serais plus enclin à souhaiter que nos jeunes sachent ce qu’a représenté la guerre d’Algérie pour tous les Français, peu importe leur statut de l’époque, peu importe la rive de la Méditerranée sur laquelle ils ont vécu. Je forme le vœu que ces jeunes apprennent ce que signifie une guerre, afin qu’ils comprennent la chance qu’ils ont de vivre dans un pays en paix, et en profitent ; je me permets d’y insister, car, en 1962, j’étais en classe de CM2. C’est à cette seule condition qu’ils pourront rendre hommage à ceux qui se sont battus pour eux tout au long de l’histoire de France. Je souhaite que nos jeunes connaissent l’histoire, sa réalité, ses affres, ses victoires, ses valeurs, et je souhaite qu’ils n’en aient pas honte. Pour cela, il importe qu’ils en connaissent toutes les dates et leurs symboles.
Quel message adressons-nous aujourd’hui à nos jeunes ? Que signifie l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc ? Nos jeunes ne vont-ils pas retenir qu’il est acceptable d’user des règlements intérieurs de nos assemblées pour faire adopter à tout prix une proposition de loi votée il y a dix ans et huit mois par une Assemblée nationale qui a connu deux renouvellements depuis ? Qu’il est judicieux pour l’apaisement des mémoires de voter une proposition de loi qui fait rejaillir des douleurs profondes ? Qu’il est républicain de raviver des clivages au sein du monde combattant ? Qu’il est respectueux d’agir sans une large concertation avec l’ensemble des associations ?
Pour rédiger votre rapport au nom de la commission des affaires sociales, vous n’avez auditionné que quelques responsables d’association. N’était-il pas nécessaire de rencontrer les associations représentatives de l’ensemble du monde combattant, réunies au sein du groupe des douze ?
M. Philippe Bas. Bien sûr !
M. Jean-François Humbert. Mes chers collègues, depuis l’adoption de cette proposition de loi par l’Assemblée nationale, deux autres textes ont été adoptés. Ils ont été élaborés et votés dans un esprit de consensus ; cela a été rappelé plusieurs fois aujourd’hui.
Monsieur Néri, je regrette que ce soit un point qui nous oppose. Vous imposez la date du 19 mars. Or celle du 5 décembre a été choisie en 2003 ; il existe également une journée nationale d’hommage aux harkis, ainsi que bien d’autres journées commémoratives.
Les lois que je viens d’évoquer permettent le recueillement de nos concitoyens, jeunes et moins jeunes, dans la sérénité et l’apaisement. C’est primordial à une époque où notre jeunesse souffre d’un manque de repères républicains et d’identité. En tant qu’élus, nous avons la responsabilité de créer les conditions d’un rassemblement autour de symboles républicains et d’événements fédérateurs. Nous ne sommes pas sur ces travées pour voter des textes qui divisent, surtout à un moment où la France est en proie au renforcement de communautarismes et de revendications qui tendent à favoriser les extrêmes.
Au risque de déplaire à certains de nos collègues, je citerai une nouvelle fois le Président Mitterrand : « […] s’il s’agit de décider qu’une date doit être officialisée pour célébrer le souvenir des victimes de la guerre d’Algérie, [….], cela, à mes yeux, ne peut pas être le 19 mars, parce qu’il y aura confusion dans la mémoire de notre peuple. [….] il convient de ne froisser […] la conscience de personne. » (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Roger Karoutchi. On applaudit Mitterrand maintenant !
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur l’article.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Les journées mémorielles du 8 mai et du 11 novembre marquent la fin effective de deux terribles conflits. Elles sont ancrées dans notre mémoire collective comme un véritable moment de soulagement et comme des dates fondatrices pour la paix et la reconstruction. Par contraste, le 19 mars correspond à un arrêt unilatéral des combats du côté français et à l’intensification des exactions du FLN contre la population civile et les militaires français.
Déplacer au 19 mars la commémoration des victimes de la guerre d’Algérie revient à considérer que ce conflit s’est achevé le 19 mars 1962.
M. Jacky Le Menn. Mais non !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est une injure faite à la mémoire des dizaines de milliers de victimes qui ont péri après cette date et pour lesquelles les accords d’Évian sont synonymes du début d’un massacre. Entre 1962 et 1964, plus de 500 soldats français ont été tués ; 80 % des victimes civiles de la guerre d’Algérie, tant harkis que pieds-noirs, ont péri après le 19 mars 1962.
Déplacer au 19 mars la commémoration des victimes de la guerre d’Algérie ouvre aussi la porte aux discriminations entre ceux qui ont combattu avant les accords d’Évian et ceux qui ont continué à servir la France après cette date. Des cartes d’ancien combattant ont d’ailleurs été accordées à des militaires en service en Algérie entre le 19 mars 1962 et le 2 juillet 1962. Vont-ils devoir les rendre, monsieur le ministre ?