M. Éric Bocquet. Amère !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … ces guidelines se sont heurtées à la complexité de la notion de « cycle économique », puisqu’on ne sait qu’a posteriori quand un cycle a commencé et quand il s’est achevé et que le consensus sur les bornes du cycle économique est, par définition, difficile à atteindre. Ainsi, après bien des controverses – rappelons-nous que le chancelier de l’Échiquier, Gordon Brown, avait décalé de deux ans le début du cycle pour se donner des marges de manœuvre ! –, la règle a été abandonnée en 2009.
C’est là que nos partenaires d’outre-Rhin ont pris le relais, en se fondant sur une expérience plus ancienne qu’ils avaient eue dès les années soixante, en appliquant une « règle d’or » inscrite dans leur loi fondamentale prévoyant que le déficit public n’excède pas le montant de l’investissement public brut. Il était toutefois prévu dès cette époque que la règle ne s’appliquait pas en cas de perturbation de l’équilibre macroéconomique.
Cependant, faute de définition suffisamment précise et restrictive, la règle ne s’est pas appliquée en bas de cycle et, en haut de cycle, elle s’est révélée peu rigoureuse, puisqu’elle a permis une réelle aggravation du déficit structurel de l’Allemagne, « masquée » par la forte croissance. Ainsi, nous le savons, l’endettement de l’Allemagne fédérale est passé de 17,5 points de produit intérieur brut en 1970 à 68 points en 2006.
Ensuite, est arrivé le « Frein à la dette » dont nous nous inspirons avec l’actuelle méthodologie européenne.
Revenons-en au solde public structurel. Il se définit comme ce que serait le solde public si le produit intérieur brut était égal à son niveau potentiel, en supposant que l’élasticité des recettes publiques au produit intérieur brut soit égale à un. Ce solde public structurel se calcule donc mécaniquement à partir de l’estimation de l’écart de production, c’est-à-dire de l’écart du PIB constaté par rapport au PIB potentiel.
Dès lors que l’on centre le débat macroéconomique, puis législatif, sur la notion de « solde structurel », les enjeux de crédibilité se portent essentiellement sur la définition du produit intérieur brut potentiel.
M. le rapporteur général de la commission des finances a raison de souligner les deux difficultés auxquelles il faut apporter une réponse : en premier lieu, les écarts d’évaluation du solde structurel selon les résultats publiés par les différentes institutions – FMI, OCDE, Cour des comptes, Commission européenne, pour ne pas parler de notre propre Gouvernement ; en second lieu, le fait qu’une même institution puisse faire varier dans le temps son estimation au titre d’une année donnée, en fonction de l’analyse qu’elle fait du PIB potentiel.
Les choses sont donc bien complexes et c’est à ce point du raisonnement qu’apparaît la nécessité d’une harmonisation des méthodologies utilisées pour le calcul du PIB potentiel et des soldes structurels. Il n’est pas envisageable un seul instant de définir notre propre solde structurel de façon autonome, car la procédure que nous mettons en place n’aura de sens que si elle est mise au service de la crédibilité et de la pérennité de la zone euro.
Nous restons, à cet égard - – je vois l’œil de Jean-Pierre Chevènement s’assombrir (Sourires.) –, sous la surveillance de la Cour de justice de l’Union européenne qui, en application de l’article 8 du TSCG, sera compétente pour juger l’effectivité de la mise en œuvre des obligations qui nous incombent en application de l’article 3 du Traité.
Mes chers collègues, il faut bien reconnaître que le consensus sur les hypothèses, le recours à un « thermomètre » commun et incontestable, sont une nécessité, d’abord pour préserver le débat politique, pour qu’il porte bien sur l’essentiel, pour qu’il ne se perde pas en querelles stériles sur de supposées « manipulations » comptables du gouvernement en place, quels que soient au demeurant ce gouvernement et la majorité qui le soutient.
Le débat politique doit pouvoir se concentrer sur l’essentiel : le montant et la pertinence des mesures proposées et la capacité de l’exécutif à mettre en œuvre les mesures qu’il a annoncées et sur lesquelles il s’est engagé.
C’est bien sur ce fondement que repose la création du Haut Conseil des finances publiques, qui n’est ni une « fantaisie », ni une arme destinée à diminuer encore davantage les pouvoirs du Parlement.
Il est important, tout d’abord, de souligner ce que n’est pas, ce que ne doit pas être le Haut Conseil des finances publiques : un organe technique se substituant au Gouvernement ou au Parlement dans la prise de décisions éminemment politiques. Il ne l’est pas et il ne doit pas l’être.
En revanche, qu’attendons-nous de lui ?
En amont, nous attendons qu’il nous permette d’en finir avec les programmations délibérément trop optimistes, et ce grâce à la mise en place d’une procédure contradictoire rigoureuse contraignant le Gouvernement à motiver ses choix et le Haut Conseil à expliquer sa méthodologie.
En aval, nous en attendons qu’il vérifie le respect de la trajectoire annoncée par le Gouvernement.
Le débat est nécessaire, mes chers collègues, et nous l’aurons à l’occasion de la discussion en particulier de l’article 16 sur le mécanisme de correction des écarts, car il reste à expliciter ce que sera la base de comparaison utilisée par le Haut Conseil pour délivrer son appréciation sur le respect ou non des engagements de l’exécutif.
Le véritable engagement, l’acte fort de l’année budgétaire, se situe ainsi dorénavant au premier semestre, avec le programme de stabilité transmis à Bruxelles. L’emblème de cette prééminence est l’inscription, en loi de finances, de l’article liminaire, qui permettra de voter sur les perspectives de solde de l’ensemble des administrations publiques.
J’indique ici au passage que je partage le souci exprimé par nos collègues de la commission des affaires sociales d’assurer une vision complète et consolidée de l’ensemble du secteur public. Mais peut-être la bonne solution pour demain, ou après-demain, serait-elle, pour simplifier les choses, de fusionner purement et simplement les premières parties des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.
Monsieur le ministre, il nous importe que le Haut Conseil des finances publiques soit réellement indépendant et que les choix qu’il opère soient transparents. C’est pourquoi j’aurai l’honneur de défendre, avec le soutien de mon groupe, une série d’amendements qui mettent l’accent sur quatre points.
En premier lieu, il convient de pourchasser les « points de fuite », c'est-à-dire tous les éléments qui ne seraient pas traités de manière assez précise et risqueraient de vider le processus dont il est question de son sens. Dans cette optique, la saisine du Haut Conseil doit être rendue obligatoire – et ne pas demeurer facultative - pour les projets de loi de finances et de financement rectificative ainsi qu’en cas de modification de prévisions macroéconomiques en cours d’examen d’un projet de loi de programmation, de finances ou de financement de la sécurité sociale.
En deuxième lieu, il faut préciser de manière plus explicite les moyens dont disposera le Haut Conseil. Cette institution verrait, me semble-t-il, son indépendance mieux reconnue si ses crédits de fonctionnement apparaissaient en dotations de la mission « Pouvoirs publics » et non sous la forme d’une section dans le budget de la Cour des comptes.
En troisième lieu, cette indépendance serait encore mieux soulignée s’il était explicitement précisé que le Haut Conseil peut s’appuyer sur des compétences extérieures pour vérifier les éléments qui sont de sa compétence, par exemple pour se forger son opinion sur les estimations de recettes fiscales prévisionnelles.
En quatrième et dernier lieu, l’indépendance du Haut Conseil a une contrepartie, la transparence. De ce point de vue, il est, à mes yeux, très positif que l’Assemblée nationale ait prévu l’audition préalable à leur entrée en fonction des membres désignés par le Parlement ; la même règle devrait pouvoir s’appliquer à tous les membres du Haut Conseil, c'est-à-dire également à ceux qui sont pressentis par le premier président de la Cour des comptes.
Mes chers collègues, permettez-moi de le répéter en conclusion, il s’agit bien et bel ici d’un outil commun et d’intérêt général. Nous devons donc pouvoir le façonner ensemble.
Aussi, je ne vous le cache pas, monsieur le ministre, l’opposition sénatoriale déterminera son vote sur l’ensemble de ce projet de loi organique en fonction de la possibilité qui lui sera donnée de consacrer l’indépendance du Haut Conseil dans le respect et les limites de son rôle. Mais je ne saurais terminer sans, une nouvelle fois, souligner la bonne tenue de nos débats en commission et l’excellent travail d’approfondissement réalisé par les deux rapporteurs généraux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, je vous décernerai d’abord un bon point, encore que vous n’en ayez guère besoin, eu égard à tous les éloges dont vous avez été couvert : la prétendue « règle d’or » inscrite dans la Constitution allemande, qui l’intitule plus modestement « Frein à l’endettement », ne figurera pas dans la Constitution française.
Le TSCG, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, énonçait, dans sa rédaction, une préférence pour la constitutionnalisation des règles fixées par le traité, mais admettait aussi que « le plein respect et la stricte observance » puissent être « garantis de quelque autre façon. »
En nous proposant ce projet de loi organique, vous avez donc choisi, monsieur le ministre, une « autre façon » d’appliquer le TSCG.
J’aurais mauvaise grâce à critiquer cette non-constitutionnalisation : tant qu’à faire, une simple loi organique est moins contraignante que l’inscription dans la Constitution d’un « frein à l’endettement », comme y a procédé, en 2010, le Bundestag allemand,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Voilà !
M. Jean-Pierre Chevènement. … en limitant à 0,35 % du PIB le montant du déficit public à l’horizon de 2016.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je suis tout à fait d’accord !
M. Jean-Pierre Chevènement. Contrairement à nos collègues de l’UMP, je ne regrette pas l’inscription de la pseudo-règle d’or dans la Constitution. J’observe simplement que, là comme ailleurs, l’Allemagne a donné le « la » et a fini par imposer son modèle d’orthodoxie à la France et aux autres pays de la zone euro.
Sans doute, monsieur le ministre, faites-vous une distinction entre la substance et la forme, arguant du fait qu’il s’agit de règles de bonne gestion, qui valent par elles-mêmes. Vous nous assurez que la dette est l’ennemie de la gauche, et même de la France et de sa souveraineté, et qu’il eût fallu de toute façon revenir à l’équilibre budgétaire.
Votre présentation est habile et, en fin dialecticien, vous avez l’art de répondre à un autre argument que celui que je vous oppose. (M. le ministre rit.)
En effet, selon moi, ce n’est pas la dette qui « plombe » la zone euro. D’autres pays – la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Japon – sont beaucoup plus endettés que la moyenne des pays de la zone euro. En réalité, ce qui mine la monnaie unique, c’est la compétitivité divergente, et ce de façon croissante, entre les dix-sept pays qui ont cette monnaie en partage.
Ainsi, la France qui avait une balance commerciale équilibrée en 2001, a connu, en 2011, un déficit de plus de 70 milliards d’euros, tandis que, dans le même temps, l’Allemagne affichait un excédent de 158 milliards d’euros.
Ces divergences de compétitivité proviennent, pour l’essentiel, d’écarts dans le développement industriel, des écarts qui s’enracinent dans l’histoire longue.
Ainsi, l’Allemagne a creusé l’écart avec la France et la Grande-Bretagne dès la fin du XIXe siècle. Les causes en sont connues : cohésion sociale exceptionnelle favorisée par la cogestion syndicats-patronat ; valorisation systématique, par consensus national, du « site de production Allemagne » ; formation par alternance dans le cadre d’un système dual où la moitié des enfants sont orientés dès l’âge de onze ans ; mise en application de la science et de la technologie dans toutes les industries, y compris les industries courantes ; puissance du Mittelstand et des entreprises moyennes ; réinvestissement des profits, presque toujours substantiels, dans l’entreprise et dans l’innovation ; sous-traitance à bas prix dans les pays voisins de la Mitteleuropa et maîtrise de l’assemblage et de la chaîne de valeur ajoutée en Allemagne même.
Ces écarts sont cumulatifs dans une « zone monétaire non optimale », comme l’a bien montré Robert Mundell. Il se produit tout simplement en Europe ce qui s’était produit en Italie après l’unification italienne et la généralisation de la lire à la péninsule : polarisation des richesses au nord, « mezzogiornisation » au sud.
Les écarts de compétitivité au sein de la zone euro ont également été creusés par le « choc de compétitivité » mis en œuvre par le chancelier Schröder au début des années 2000 : réduction de l’État providence, déflation salariale, recours à la sous-traitance dans les pays proches disposant d’une main-d’œuvre bon marché, une politique poursuivie par Mme Merkel, avec une hausse de trois points de la TVA en 2007.
Au total, depuis 2000, la France a perdu quinze points de compétitivité par rapport à l’Allemagne.
Le TSCG et son document d’application, le projet de loi organique, sont-ils des réponses à cette situation ? Évidemment non ! Ce ne sont pas les outils appropriés pour combler ces écarts de compétitivité, lesquels sont à la racine de la crise. Au contraire, ils les creuseront davantage, en déprimant l’activité dans les pays déjà en difficulté.
Vous insistez, monsieur le ministre, sur le fait que le projet de loi organique ne se conçoit pas indépendamment du TSCG bien sûr, ni du « paquet européen » dans lequel il y a aussi le « six-pack », le « pacte pour l’euro plus », et bientôt le « two-pack ».
Vous nous présentez le projet de loi organique comme un pilotage à moyen terme des finances publiques à partir d’un « solde structurel » de 0,5 % du PIB. L’essentiel du pilotage se fera dans le respect d’une trajectoire auquel veillera un chien de garde dénommé « Haut Conseil des finances publiques », dont les avis s’imposeront au Gouvernement et au Parlement. M. le ministre délégué chargé du budget ne nous l’a pas caché en commission et vous nous l’avez confirmé tout à l'heure, monsieur le ministre, dans votre intervention liminaire. Le Gouvernement et le Parlement seront liés, sous peine d’encourir – vous l’avez vous-même indiqué – les foudres des marchés financiers.
Vous nous assurez que les prérogatives du Parlement seront sauvegardées, que celui-ci pourra corriger les écarts, en décidant soit des économies soit des hausses d’impôt. Mais vous savez combien cela déjà est difficile ; cela le deviendra donc plus encore.
En fait, la souveraineté budgétaire du Parlement se réduira à l’épaisseur du trait de la trajectoire censée nous conduire vers l’objectif à moyen terme de 0,5 % de « déficit structurel », un objectif qui se dérobera au fur et à mesure que la récession réduira les recettes fiscales. Le Parlement se trouvera donc enfermé dans un carcan de procédures qui conduiront à l’ingérence permanente de la Commission européenne dans l’élaboration du budget ; on l’a déjà vu avec la visite récente de Mme Reding.
L’organisation de simples débats sur les orientations proposées non seulement par le Gouvernement, mais aussi par les institutions européennes, ne saurait occulter la marginalisation de fait du Parlement.
En effet, a-t-on déjà vu un simple débat parlementaire sans vote corriger une trajectoire dont les règles de calcul ressemblent à une mécanique quasi céleste ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Chevènement. S’il existe un primum movens dans l’univers, comme le pensait Newton, qui, je le dis au passage, croyait en Dieu, bref s’il existe un pilote comme le laissent à penser vos propos, il est clair qu’il faut le chercher du côté de la Commission européenne. Le Parlement, lui, sera mis en pilotage automatique ! La « sophistication du cadre normatif », comme l’indique M. Marc, est une litote pour décrire l’étouffement du rôle du Parlement et l’avènement d’une Europe post-démocratique.
Dans la discussion du traité budgétaire, le Gouvernement nous a fait miroiter deux « souplesses » : la notion de « déficit structurel », dont il n’y a de définition claire ni en France ni en Europe, et « les circonstances exceptionnelles ». Cette seconde notion ne fait-elle pas redondance avec la première, qui vise à gommer les effets de la conjoncture ?
Monsieur le ministre, ne serait-il pas temps que l’Eurogroupe, auquel vous participez, s’avise des effets profondément déstabilisateurs d’une récession qui touche aujourd’hui toute la zone euro, à l’exception de l’Allemagne ? N’y aurait-il pas lieu, par exemple, de repousser d’un an à deux ans la réalisation de l’objectif à moyen terme ?
Monsieur le ministre, vous avez rejeté, dans une déclaration récente, l’idée d’un « choc de compétitivité », qui pourrait inverser le mouvement de désindustrialisation que la France subit depuis la fin des années soixante-dix. Évitons les querelles de mots ! Vous le savez très bien, le Président de la République l’a d’ailleurs confirmé en parlant de « pacte de compétitivité », il existe en France un problème de compétitivité.
À défaut d’une dévaluation, qui aurait ma préférence, mais que le choix de la monnaie unique interdit désormais, et à défaut d’une augmentation de la durée du travail telle que la propose M. Fillon, bien qu’il ne l’ait pas réalisée quand il était en situation de le faire, reste l’idée défendue par un économiste, M. Aghion, celle d’une « dévaluation fiscale ». Êtes-vous sûr que les effets de celle-ci sur la demande ne pourraient pas être limités et compensés par l’exportation ? C’est une question essentielle, à laquelle il faut pouvoir répondre avant de se prononcer sur le rapport Gallois.
C’est au début du quinquennat du nouveau Président de la République, dont nous souhaitons le succès, parce qu’il sera celui de la France, que je vous demande de faire un effort d’imagination et d’audace, car il faut rendre le « site de production France » compétitif.
M. Jean Arthuis. La TVA sociale !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement. Il faut redresser notre balance commerciale pour défendre efficacement la souveraineté de la France. Or le TSCG et la loi organique ne nous engagent pas dans la bonne direction.
C’est pourquoi je ne peux, à regret, que confirmer pour ce texte le vote négatif que j’ai émis sur le TSCG. Pour autant, les parlementaires du MRC voteront le projet de loi de finances pour 2013, car celui-ci s’inscrit dans la perspective d’un effort plus justement partagé et marque clairement deux priorités que nous approuvons : l’éducation et la sécurité.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Chevènement. Pour restaurer la compétitivité de l’économie française, les vrais choix sont ailleurs, et pas dans l’application du TSCG par la voie d’une loi organique. Monsieur le ministre, il faut faire vite, et ce dans l’intérêt de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi organique parachève la transposition d’une partie des mesures instaurées par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance en matière économique dont le Parlement français a autorisé la ratification au cours du mois écoulé. Le texte que nous examinons aujourd’hui relève donc d’une obligation légale.
Interrogé par le Président de la République, le Conseil constitutionnel a confirmé l’été dernier que ce texte pouvait prendre la forme d’une loi organique et ne nécessitait donc pas son inscription dans notre Constitution.
Le législateur dispose donc d’une plus grande souplesse dans la définition des modalités d’application des règles édictées par le TSCG et dans sa capacité à amender cette loi à l’avenir.
Pour ce motif, et aussi en raison de la réorientation amorcée des politiques de l’Union européenne, le groupe écologiste votera en faveur de ce projet de loi organique.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. André Gattolin. Toutefois, plusieurs aménagements nous paraissent devoir être apportés au projet de loi organique dans sa rédaction actuelle, afin d’en améliorer la valeur et la pertinence du point de vue de la bonne gouvernance de nos institutions et au regard des objectifs visés par notre pays dans le cadre du renforcement de la construction européenne.
Les amendements que nous avons déposés tendent en particulier à améliorer la nature et le fonctionnement du Haut Conseil des finances publiques, dont la création constitue l’une des principales innovations introduites par le texte.
Comme d’autres États signataires du TSCG ayant opté pour sa transposition au travers d’une loi organique, la France compte déjà plusieurs organismes compétents en matière de prévision et de finances publiques. Mais ces organismes, en dépit de leurs qualités, ne paraissent pas nécessairement en mesure de répondre aux nouvelles exigences fixées par le TSCG ; comme c’est malheureusement souvent le cas en France, ils ne disposent pas de statuts garantissant leur pleine indépendance à l’égard du pouvoir exécutif.
C’est sans doute la raison pour laquelle le Gouvernement a jugé nécessaire, pour mieux se conformer aux stipulations du TSCG, de mettre en place un Haut Conseil des finances publiques.
Il convient d’être particulièrement vigilant s’agissant du rôle et de la composition de ce nouvel organisme. Compte tenu de la densité des procédures budgétaires et de leur étalement dans le temps, son intervention auprès du Gouvernement sera quasiment permanente. Par ailleurs, il n’est pas exclu que ses compétences soient encore étendues à l’avenir, à mesure que la coopération budgétaire, économique et fiscale au sein de l’Union européenne se renforcera, comme il est probable.
Nous devons donc permettre à cette nouvelle instance d’éviter deux écueils : celui d’être un nouveau comité Théodule dont les avis ne seraient pas réellement suivis et celui d’être un comité de censure discrétionnaire, dont les avis ne le seraient que trop.
Pour permettre au Haut Conseil des finances publiques d’éclairer pleinement le Gouvernement et la représentation nationale, et non de simplement les contraindre, nous devons garantir non seulement sa compétence technique, mais aussi sa légitimité politique et intellectuelle, en veillant notamment à la diversité et au pluralisme de sa composition.
Dans cette perspective, trois améliorations au moins nous semblent possibles.
Premièrement, il convient à notre avis de permettre la publication des opinions minoritaires qui s’exprimeront au sein de cette instance. Les sujets que le Haut Conseil aura à traiter sont par nature complexes, et assumer publiquement cette complexité ne semble pas aberrant, quand bien même la décision finale de l’instance, et elle seule, fera autorité.
La Cour suprême des États-Unis procède de la sorte, comme du reste de nombreuses autres institutions. Notre Sénat fait de même dans le cadre, par exemple, de ses commissions d’enquête ; je ne crois pas que son autorité s’en trouve affaiblie.
Deuxièmement, concernant les membres du Haut Conseil désignés par le Parlement, si l’on veut que leur légitimité et leur indépendance soient réellement incontestables, il n’est à notre sens pas possible de se contenter d’une nomination par les présidents des chambres et ceux des commissions des finances. Leur désignation doit obéir à une logique plus collégiale et impliquer les commissions des finances dans leur ensemble, au travers d’un vote de leurs membres à la majorité qualifiée. Cela permettra de garantir un certain consensus et un indispensable pluralisme dans le choix des personnalités retenues.
En outre, parce que ces nominations relèvent d’assemblées parlementaires où l’égalité entre les hommes et les femmes devrait être l’un des objectifs principaux, nous proposons que les quatre membres qui seront désignés par le Parlement le soient de façon paritaire.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. André Gattolin. Nous ne pouvons malheureusement pas faire la même proposition pour les autres membres du Haut Conseil, car cela pourrait être perçu comme un empiètement sur l’indépendance de la Cour des comptes, mais peut-être cette institution saura-t-elle utilement s’inspirer, en la matière, de nos décisions.
Troisièmement, nous proposons de faire siéger, au sein du Haut Conseil, une autorité reconnue du monde universitaire, à savoir le président de l’Observatoire français des conjonctures économiques ou son représentant, à la place du directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE. Quelles que soient ses qualités et celles de son institution, celui-ci nous semble en effet dépendre trop fortement du pouvoir exécutif pour pouvoir participer sereinement aux travaux du Haut Conseil : il est nommé et révocable par décret pris en conseil des ministres, ce qui explique d’ailleurs certaines polémiques passées. De plus, l’INSEE et son personnel sont déjà très largement associés à l’élaboration des hypothèses sur lesquelles se fonde le Gouvernement pour bâtir son budget ; en l’occurrence, le directeur général de l’INSEE ferait donc figure de juge et partie…
En conclusion, s’il est sans doute difficile de trouver un débat plus technique et plus aride que celui qui porte sur nos finances publiques et sur les règles encadrant l’élaboration des lois de finances, il est tout aussi difficile d’en trouver un dont les enjeux politiques et sociaux soient importants au même degré.
En adoptant ce projet de loi organique et en faisant droit aux quelques propositions que je viens de présenter, nous pourrons trouver, me semble-t-il, le bon équilibre entre tous ces enjeux et placer le curseur au juste niveau entre technicité et débat citoyen. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a quelques jours, le groupe UMP a apporté son soutien à la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire.
En effet, comme l’ont alors expliqué nos collègues Philippe Marini et Jean Bizet, nous sommes convaincus qu’il est indispensable de respecter nos engagements européens, en l’occurrence ceux qui ont été pris par le Président Nicolas Sarkozy en décembre 2011.
Autrement dit, nous sommes convaincus qu’il est indispensable d’accepter de nous fixer des règles de politique économique, en coordination avec nos partenaires européens, si nous voulons que la zone euro soit une union monétaire cohérente et efficace, source de richesse et de solidarité.
Les grands principes inscrits dans le traité ayant été acceptés, nous abordons aujourd’hui la question de leur traduction concrète dans notre droit et dans notre procédure parlementaire.
Dans quelques jours, lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 et du projet de loi de finances pour 2013, nous devrons nous assurer que vos choix économiques, monsieur le ministre, garantiront que la France pourra respecter ses engagements.
Permettez-moi d’être d’ores et déjà très dubitative sur ce dernier point… Mais nous aurons l’occasion d’en débattre plus précisément et d’examiner, le moment venu, si les règles figurant aux articles 3 et 4 du traité s’appliquent bien aux lois de programmation des finances publiques comme aux lois de finances.
Le présent projet de loi organique vise donc à transcrire dans notre droit le traité européen. Je m’en tiendrai ici à ses trois dispositions principales : la fixation d’un objectif de moyen terme en matière de solde structurel, l’instauration d’une règle d’or, c’est-à-dire d’un mécanisme qui assure la réduction progressive des déficits en tenant compte des aléas de la conjoncture, et la création d’un Haut Conseil des finances publiques.
Je me féliciterai tout d’abord du retour à la raison d’une bonne partie de la gauche française, qui s’est longtemps opposée à toute disposition un tant soit peu contraignante visant à réduire nos déficits. Or de telles dispositions sont un préalable indispensable à la réduction de notre endettement, ainsi qu’un moyen de retrouver des marges de manœuvre budgétaires et de garantir l’indépendance nationale.
Tels étaient bien les objectifs de notre majorité, qui a lancé tout le travail préparatoire à l’élaboration de ces mesures, avec notamment la conférence sur les déficits publics, le rapport de M. Camdessus et différents projets de loi, en particulier un projet de réforme constitutionnelle.
Aujourd’hui, nous regrettons que, pour des raisons de cohésion au sein de votre majorité, vous n’ayez pas choisi la voie constitutionnelle. En effet, au-delà de la force du symbole, constitutionnaliser une règle économique d’équilibre budgétaire est presque devenu une nécessité au regard du principe de réalité lorsqu’aucune majorité, ni de gauche ni de droite, n’a réussi à voter un budget en équilibre depuis plus de trente ans, même en période de croissance.
Cette question dépasse donc largement les considérations partisanes. Que le Conseil constitutionnel ait jugé qu’il n’y avait pas d’abandon de souveraineté est une bonne chose, mais rien n’empêchait que l’on procède à une modification de notre Constitution. Elle n’est pas obligatoire, certes, mais elle aurait été bien plus qu’un symbole : un véritable engagement de responsabilité.
Oui, mes chers collègues, inscrire la règle d’or dans le marbre de la Constitution lui aurait donné une plus grande force et une plus grande portée juridique. Une loi organique n’aura pas la même solennité.
Mais soit : pas de loi constitutionnelle, une loi organique… L’essentiel n’est-il pas que vous ayez finalement accepté un cadre définissant une trajectoire de retour à l’équilibre des finances publiques ?
En effet, il est aujourd’hui clair que ni la croissance ni l’inflation ne suffiront à rééquilibrer nos comptes. L’enjeu est donc bien de parvenir à inscrire notre action de réduction des déficits dans la continuité. Il s’agit de se fixer des limites pour l’avenir : l’objectif est non pas de dépenser plus ou de dépenser sans compter, mais de choisir la dépense publique juste et efficace au regard du niveau des recettes.
En conséquence, une règle de moyen terme est pour la France une option raisonnable et conforme à ses engagements européens.
En revanche, nous devons avoir conscience que la notion de solde structurel, qui figure à l’article 3 du TSCG, est tout de même relativement compliquée.
Nous avons déjà débattu de cette notion en 2011. Le mode de calcul est complexe, car il repose sur des hypothèses théoriques qui ne permettent pas de corriger totalement les fluctuations conjoncturelles.
Même si la perfection mathématique est difficile à atteindre, il n’est pas impossible de calculer le solde structurel, dont tout l’intérêt réside précisément dans la prise en compte des variations économiques de court terme ; d’autres pays, notamment l’Allemagne, utilisent cette notion. Nous devons veiller à ce que les modalités de son calcul soient claires, non polémiques et compréhensibles par nos concitoyens.
Cela signifie que ces modalités doivent être homogènes avec ce que font nos partenaires européens. La Commission européenne doit garantir la compatibilité des méthodes, à défaut de leur uniformité. Nous espérons, monsieur le ministre, que c’est bien dans cette voie que vous engagerez notre pays.
À cet égard, je me permets de rappeler que mes collègues Philippe Marini et Jean Arthuis avaient proposé la création d’une autorité européenne des comptes publics.