M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En effet ! Nous devrions d’ailleurs y revenir !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est aussi dans cette perspective qu’il est fondamental que le Haut Conseil des finances publiques soit indépendant et que ses membres nommés soient des experts en économie n’appartenant pas nécessairement à la haute administration.
Sur le principe, nous sommes d’autant moins opposés à la création de ce Haut Conseil que, lors de la conférence sur les déficits publics organisée en 2010, nous avions envisagé d’instituer un conseil consultatif des finances publiques chargé de formuler des avis en amont et de renforcer le rôle de la Cour des comptes, notamment par la mise en place d’une procédure d’alerte.
Aujourd’hui, au travers du présent texte, la France met son droit et ses procédures de décision en matière de finances publiques en conformité avec ses engagements européens ; c’est un premier pas nécessaire, mais demain, il faudra donner avec rigueur et détermination une traduction à ces engagements dans notre économie.
Monsieur le ministre, le taux de croissance de 0,8 % que vous prévoyez pour 2013 est un objectif sûrement plus volontariste que réaliste, mais je reconnais qu’un gouvernement se doit d’avoir une vision optimiste de l’avenir, faute de quoi il dessert le pays.
S’agissant des objectifs, nous sommes sur des longueurs d’onde très proches. Pour autant, les membres du groupe UMP sont très réservés sur les moyens que vous vous proposez d’employer pour les atteindre. Cela est très grave, car une telle situation est de nature à jeter le doute sur la capacité de la France à respecter ses engagements. (M. le rapporteur général de la commission des finances le conteste.)
À ce stade, je soulèverai quatre questions.
Premièrement, que signifie une règle d’or sans réformes structurelles de notre économie ?
En six mois, non seulement vous n’avez proposé aucune mesure structurelle, mais vous êtes revenus sur la réforme des retraites, le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, la fameuse révision générale des politiques publiques… En réalité, vous avez stoppé le processus de maîtrise de la dépense ; cela représente plus de 20 milliards d’euros en cinq ans. Les augmentations d’impôts et de prélèvements ont clairement votre préférence !
Deuxièmement, que signifie une règle d’or sans mesures en faveur de la compétitivité de nos entreprises ?
La question de la compétitivité appelle une réponse urgente au nom de l’intérêt national. La clé de la réduction du chômage et de la dette ne se trouve que dans le rétablissement d’un appareil productif compétitif. Sans compétitivité, les hausses d’impôts seront inefficaces, car la chute de l’activité sera plus rapide que le relèvement des taux. Les recettes des entreprises vont chuter et nous assisterons probablement, l’an prochain, à un effondrement des recettes de l’État. En augmentant les impôts comme vous le faites, vous finirez par aggraver les déficits publics. Il est incroyable que vous agissiez comme s’il n’existait aucune relation entre compétitivité, croissance, stratégie industrielle et fiscalité.
Troisièmement, que signifie l’instauration d’une règle d’or quand la réduction du déficit passe par des hausses d’impôts qui risquent d’être insupportables pour notre économie ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Surtout la hausse des impôts sur les entreprises !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Or, nous le savons, les consolidations des finances publiques fondées sur la baisse des dépenses publiques sont moins préjudiciables à la croissance, comme le prouvent les expériences du Canada et de la Suède dans les années quatre-vingt-dix.
À la question de savoir quelle politique a les effets les plus récessifs, entre la baisse des dépenses publiques ou l’augmentation des impôts, la réponse de l’opposition est catégorique : les augmentations d’impôts sont bien les plus nuisibles à la croissance. En termes de production et d’emploi, la baisse des dépenses publiques est beaucoup plus efficace que la hausse des impôts pour réduire le déficit public. Cela permet de soutenir la consommation par la réduction du taux d’épargne des ménages et d’obtenir une hausse de l’investissement des entreprises. Faut-il rappeler que les dépenses publiques représentent 56 % du PIB et que nous battons tous les records en Europe sur ce plan ?
Quatrièmement, que signifie notre engagement européen de respecter un solde de déficit structurel, quand le Gouvernement fait fi des recommandations tant des autorités européennes que de la Cour des comptes ?
La Cour des comptes, par la voix de son Premier président, M. Migaud, dont personne ne peut contester l’autorité et la compétence, a été très claire : la réduction du déficit doit résulter pour une moitié d’une baisse des dépenses, pour l’autre d’une hausse des recettes. Vous ne l’avez pas écoutée : vous prétendez que vous réaliserez l’effort de réduction des dépenses sur cinq ans, mais comment voulez-vous être crédibles si vous ne commencez pas dès cette année ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est vous qui avez mal écouté !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En outre, les déclarations de M. Bartolone, président de l’Assemblée nationale, de Mme Guigou et de M. Désir sur la pertinence de l’objectif de ramener le déficit public à 3 % du PIB nous inquiètent : que prépare vraiment le Gouvernement ? Surtout, que compte-t-il faire à l’égard de ses partenaires européens ?
Nous aurons l’occasion de revenir bientôt sur ces sujets, lors de la discussion des prochains textes que vous nous présenterez, notamment le projet de loi de finances pour 2013, mais je voudrais être sûre qu’après avoir foulé aux pieds votre promesse de campagne de renégocier le traité européen,…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Les promesses n’engagent que ceux qui ont le tort de les écouter !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … vous ne teniez pas un engagement européen seulement parce que vous ne pouvez pas faire autrement, seulement parce que vous ne pouvez pas y échapper, en réalité. Je crains que vous ne teniez cet engagement sans y croire. Nous verrons bien lors de la discussion du projet de budget pour 2013. Quand un gouvernement, de toute évidence, ne croit pas à la stratégie qu’il se trouve obligé de mettre en œuvre, il ne peut pas réussir ! Comment peut-on demander aux Français de faire des efforts en 2013 et de les poursuivre les années suivantes alors que, dans le même temps, le président de l’Assemblée nationale et d’autres hauts responsables de la majorité nous expliquent que ces efforts sont absurdes ?
En conclusion, le groupe UMP pourra apporter son soutien au texte présenté aujourd’hui, car il souscrit aux objectifs qui le sous-tendent, mais à la condition que le Gouvernement accepte les amendements présentés par notre collègue Philippe Marini, président de la commission des finances.
Aujourd’hui, au-delà du débat, que j’ai trouvé passionnant, sur la nature juridique du texte à adopter – loi constitutionnelle, pour laquelle j’ai très largement exprimé ma préférence, ou loi organique –, ce qui compte pour notre pays, c’est la détermination et l’action, l’efficacité et la crédibilité. Monsieur le ministre, le chemin est long, et il va falloir nous convaincre ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean Arthuis applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur l’Europe, l’avenir de notre pays et la compétitivité est au cœur des échanges. Le patronat s’invite largement dans ce débat en n’ayant de cesse de revendiquer une réduction du coût du travail.
Le Président de la République, au-delà de sa déclaration relative à l’objectif d’assurer une convergence européenne en matière d’impôt sur les sociétés et de revoir l’assiette de celui-ci, estime qu’il faut engager une réforme structurelle de la protection sociale. Cette volonté de faire progressivement basculer plusieurs dizaines de milliards d’euros des cotisations sociales vers l’impôt est le principal élément que l’on a retenu de son discours de jeudi dernier. Voilà donc la ligne directrice des « réformes » devant affecter notre système de prélèvements obligatoires dans les cinq années à venir.
Le projet de loi organique dont nous débattons aujourd’hui est organiquement lié au traité budgétaire européen et à son appendice, le pacte pour l’emploi et la croissance. La question qui nous est posée est bel et bien la suivante : quel système fiscal, quel mode de financement de notre protection sociale devons-nous adopter pour les années à venir ? Qu’il s’agisse des finances de l’État, de celles de la sécurité sociale, des finances locales ou du budget de toute entité publique, quels dispositifs répondront de la manière la plus pertinente aux exigences de justice dans le prélèvement, d’efficacité dans la dépense, de qualité dans la réponse apportée aux besoins ?
Le Gouvernement, sur la foi du rapport Gallois, et le Président de la République semblent donc avoir choisi de consacrer une attention particulière à l’allégement de ce que l’on appelle le « coût du travail », visant directement en cela les revenus mutualisés entre l’ensemble des actifs et des inactifs que constituent les cotisations sociales et les prestations qui y sont adossées.
Nous le savons tous, l’objectif général de la loi organique, outre de garantir le respect de nos engagements européens, est de parvenir à l’équilibre dit « structurel » des comptes publics, les collectivités locales et la sécurité sociale étant appelées, à moyen terme, à compenser ce qui pourrait rester du déficit de l’État.
Examinons d’entrée la question qui fâche, celle du fameux « coût du travail », qui n’est jamais, si l’on en croit Adam Smith, que le salaire versé par l’entrepreneur à celui dont le travail permet la production de biens et de services.
Les comptes de la nation pour 2012 font apparaître que les prélèvements sociaux opérés sur les entreprises – ce que la comptabilité nationale appelle les « sociétés et quasi-sociétés non financières » –, à partir de la valeur ajoutée créée par le travail, se sont élevés à 145 milliards d’euros. En revanche, les mêmes entités économiques ont versé 309 milliards d’euros en intérêts, dividendes et autres coûts financiers. Nous aurions pu nous attendre à ce que ces 309 milliards d’euros fassent l’objet de toutes les attentions. Eh bien non, ce sont les cotisations sociales qui sont mises en avant !
Ce que l’on appelle « coût du travail » figure sans doute comme une charge, en termes comptables, au compte de résultat de n’importe quelle entreprise soumise à la comptabilité des sociétés commerciales, mais cette charge est constituée de deux éléments principaux.
Le premier de ces éléments est la rémunération nette perçue par le salarié pour la force de travail qu’il a utilisée en vue de produire des biens ou d’assurer des prestations de services dans l’entreprise qui l’emploie : une rémunération nette, inférieure à la valeur du bien produit ou du service rendu et génératrice, « naturellement », d’une plus-value. C’est ainsi qu’Adam Smith, dont l’héritage est revendiqué par maints défenseurs de la libre entreprise, indique que « le travail d’un ouvrier de manufacture ajoute en général, à la valeur de la matière sur laquelle il travaille, la valeur de sa subsistance et du profit du maître ».
Aussi ce débat sur le coût du travail, mené au nom de la fameuse compétitivité, n’est-il rien d’autre que la répétition infinie du débat sur l’utilisation de la « plus-value ».
Réduire le coût du travail, en France comme en Europe, n’est-ce pas remettre en cause quelques-uns des acquis fondamentaux issus de la Libération, de la victoire sur le nazisme et le fascisme ? N’est-ce pas mettre en question la sécurité sociale, qui a porté, sur la durée, une bonne partie de la croissance de notre pays en élevant de manière remarquable le niveau de santé publique ?
Ce débat sur le coût du travail est aussi ancien que le développement de l’économie marchande. Permettez-moi de citer encore une fois Adam Smith : « Les commerçants anglais se plaignent fréquemment du niveau élevé des salaires dans leur pays. Ils expliquent que ce niveau élevé est la cause de la difficulté de vendre leurs marchandises à des prix aussi compétitifs que les autres nations. […] Dans beaucoup de cas, les bénéfices élevés du capital peuvent contribuer beaucoup plus à la hausse du prix des marchandises que les salaires exorbitants. » Il me semble que cet aspect de sa pensée est oublié quand certains analysent la question du « coût du travail » !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il faudrait nous lire tout Adam Smith !
Mme Marie-France Beaufils. Bien sûr ! Mais il faudrait aussi que vous lisiez tout ce que d’autres auteurs d’une sensibilité différente ont écrit sur ce sujet…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On ne lit jamais assez !
Mme Marie-France Beaufils. Le second élément du coût du travail, ce sont les cotisations sociales et, de manière générique, l’ensemble des cotisations dont l’assiette, ou la valeur de référence, est le salaire brut de chaque salarié.
Ces cotisations sociales ont un double caractère : elles constituent un droit ouvert, pour celui dont le salaire sert de base de calcul, à disposer d’une couverture maladie, à bénéficier de prestations familiales, à recevoir un revenu de remplacement en cas de chômage et à jouir d’une pension de retraite lorsqu’il aura interrompu son activité professionnelle, et un droit agissant, parallèlement, pour tous ceux qui sont alors malades, retraités, sans emploi. Ce sont des droits ouverts et liquidables, à tout moment ou presque, à raison de la situation de chacun.
C’est dire que les dépenses de protection sociale – et vous verrez que nous ne sortons pas du débat sur ce projet de loi organique – sont un élément constitutif du revenu des ménages particulièrement essentiel et que toute réduction du niveau et de la qualité de couverture de ces dépenses conduit, en fait, à une réduction du pouvoir d’achat de ces ménages et de leur capacité d’épargne et d’investissement.
Indexer les retraites sur les prix, en provoquant un quasi-gel du pouvoir d’achat des retraités depuis vingt ans, c’est priver les salariés et leurs familles du juste prix de leur travail !
La raison d’être de notre système de protection sociale, et surtout son caractère mutualisateur, peuvent être ainsi mis en cause ; le présent projet de loi organique ne semble pas devoir sortir de cette logique.
En effet, la protection sociale y est envisagée non pas comme un ensemble de droits attaché à un ensemble de ressources, mais comme un solde comptable qu’il conviendra d’ajuster au fur et à mesure de la réalisation de l’objectif à moyen terme et de la trajectoire de nos finances publiques, tels que définis par le TSCG, et dont nous verrons la traduction concrète lors de l’élaboration de la loi ordinaire.
À un objectif comptable, nous allons donc ajouter une mutation profonde, déconnectant de plus en plus le financement de la sécurité sociale et des autres protections sociales de leur lieu naturel de financement, c’est-à-dire l’entreprise, pour le reporter sur l’impôt. On ne sait pas encore si ce déplacement concernera la TVA, la CSG ou un panier plus large encore d’impôts, mais le fait est que l’objectif est tracé : accroître le taux de marge des entreprises en réduisant les cotisations sociales et en délocalisant de l’entreprise le financement de la sécurité sociale !
Les comptes publics sont profondément dégradés par les multiples adaptations de notre système de prélèvements sociaux et fiscaux aux seules attentes des entreprises. Des dizaines de milliards d’euros, tous les ans, sont consacrés par le budget à l’allégement des cotisations sociales des entreprises. Certaines entreprises, en n’embauchant que des salariés payés au niveau du SMIC, ne versent à la sécurité sociale que la part dite « ouvrière » des cotisations sociales ! De grands groupes de la distribution et/ou de la restauration, absolument pas exposés à la concurrence internationale, champions de France du travail précaire et du temps partiel imposé, y sont particulièrement intéressés, sans que l’emploi, les salaires ou la formation s’en portent mieux pour autant, pas plus d’ailleurs que les créances des fournisseurs de ces groupes, partenaires plus ou moins contraints de relations commerciales déséquilibrées.
Les politiques d’allégement du coût du travail se sont tellement développées, depuis une vingtaine d’années, que l’on en oublierait presque que la France compte désormais 5 millions de chômeurs à temps complet ou à temps partiel, que 3 millions de salariés sont employés à temps partiel imposé, surtout des femmes, et que près de 7 millions de salariés perçoivent la prime pour l’emploi, ce qui, de notre point de vue, constitue sans doute le principal élément structurel de nos déficits publics. Et il reste encore quelques personnes pour dire que notre droit du travail est « rigide » et agit comme un frein à l’embauche !
Un autre élément structurel est le déclin organisé des recettes publiques.
Certains oublient un peu vite que la baisse des recettes fiscales de l’État, au nom d’une incitation globale à favoriser l’épargne longue et les investissements productifs, est tout de même le principal vecteur de l’accumulation des déficits.
De 1982 à 2009, les recettes fiscales de l’État sont passées de 22,5 % du PIB à seulement 15,9 %, ce qui constitue tout de même une moins-value équivalant à rien de moins que 130 milliards d’euros en valeur 2009…
Tels sont les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Mon collègue Éric Bocquet reviendra plus en détail sur le texte. Pour ma part, j’insisterai sur quelques points.
La création du Haut Conseil des finances publiques va désormais priver les citoyens et leurs représentants d’une grande part de leur capacité de contrôle de l’action publique ; c’est en tout cas notre analyse. Le fondement de ce projet de loi organique est d’attacher durablement notre pays à l’étroite conception budgétaire qui régit aujourd’hui les destinées de l’Union européenne.
Contre toute logique, alors même que ni la Grèce, ni l’Espagne, ni le Portugal ne pourront cette année tenir les objectifs de réduction des déficits publics qui leur ont été assignés, alors même que, dans un nombre croissant de pays, les tenants de l’ordre des choses connaissent de sérieuses mésaventures électorales, comme en Espagne, en Grèce ou en Belgique, alors même que la menace de tentations populistes, isolationnistes, parfois xénophobes, se fait plus pressante, on nous demande de voter une loi organique dont la finalité est de contraindre les Français à accepter les sacrifices nécessaires au respect des critères européens. La justification économique, sociale, politique de ces critères reste d’ailleurs à donner, ceux-ci s’appuyant sur des choix scientifiques et éthiques parfaitement discutables.
Quel pays a vu sa situation s’améliorer durablement en remettant en cause les garanties des salariés au regard du droit du travail, en développant la flexibilité et la précarité ?
J’en viens à une autre question, celle de la réduction des dépenses publiques. Les mécanismes et mesures de correction des trajectoires de finances publiques sont des obligations posées par ce projet de loi organique. L’article 8 du projet de loi de programmation « ordinaire » dont nous débattrons la semaine prochaine prévoit en effet que « les collectivités territoriales contribuent à l’effort de redressement des finances publiques selon des modalités à l’élaboration desquelles elles sont associées ». On appréciera le sens de la litote dont font ici preuve les concepteurs du projet de loi…
Supportant de 70 % à 75 % de l’investissement public, les collectivités territoriales ne contribuent-elles pas déjà à l’équilibre des finances publiques, en favorisant l’activité productive par leurs dépenses d’équipements ? Ces équipements sont-ils sans effet sur l’activité économique, à commencer par la viabilisation des zones d’activité, la mise à disposition d’infrastructures, de réseaux, d’équipements ? Comment ce qui nous a toujours semblé être un facteur positif, y compris au moment où a éclaté la crise financière, serait-il désormais considéré comme un élément négatif ?
Les pays qui ont le plus été frappés par les derniers développements de la crise économique durable que l’Europe connaît depuis quarante ans, comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal, sont aussi ceux où la part des dépenses publiques était la plus faible.
Ainsi, l’Espagne n’a atteint le taux de 45 % de dépenses publiques que depuis que la chute du PIB du pays, en valeur et en volume, a contracté les données.
La même remarque vaut pour l’Irlande, championne de la faiblesse des dépenses publiques en 2000, avec un taux de 31,2 % du PIB, qui a atteint le taux de 66,1 % du PIB en 2010 parce qu’il a fallu renflouer les banques du pays, au bord de la faillite !
Il faut donc parfois se méfier de ce que l’on entend dire quant à la nécessité de réduire les dépenses publiques ! La loi organique, outre sa conception étroite entièrement tournée vers l’austérité et le maintien de la rentabilité du capital, fait référence à une notion tout de même assez douteuse : le « solde structurel ».
Le débat en commission des finances a montré, pour le moins, qu’un accord sur la définition de ce solde structurel, considéré comme le solde budgétaire, déduction faite des mesures de caractère conjoncturel, était suffisamment éloigné pour que la question fût tranchée une bonne fois pour toutes…
Le problème, c’est que la définition à géométrie variable du solde structurel met en question la clef de voûte de l’ensemble du projet de loi organique. Si nous ne sommes pas d’accord sur l’objectif à atteindre, au moins sur sa valeur algébrique, comment voulez-vous mettre en œuvre la loi organique ? À moins – mais nous n’osons y croire – que tout cela ne soit finalement qu’un ensemble de principes dont nous pourrions nous abstraire en tant que de besoin.
En tout cas, les finances publiques sont affaire trop sérieuse pour qu’on leur impose un tel carcan législatif. En cohérence avec notre opposition au TSCG, nous ne pouvons évidemment que voter contre un projet de loi qui en constitue le prolongement s’agissant du travail du Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. Éric Bocquet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord remercier le rapporteur général de la commission des finances, le rapporteur général de la commission des affaires sociales et le président de la commission des finances de nous avoir éclairés sur le contenu de ce projet de loi organique. Naturellement, tout dépend du regard que l’on porte sur ce dernier : il peut apparaître comme un carcan ; il peut aussi apparaître comme un exercice de rhétorique parlementaire…
Ce projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques répond à deux impératifs : d’une part, nous conformer aux engagements résultant du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire ; d’autre part, nous permettre de prendre toutes dispositions nécessaires pour sortir enfin de notre triple addiction au déficit, à la dépense publique et au surendettement.
C’est parce que le traité, au-delà de son apparence de rigueur, ouvre la porte à des débats académiques, au risque de les voir devenir parfois ubuesques, du fait de la référence au solde budgétaire structurel, à l’effort structurel ou bien au produit intérieur brut potentiel, que le Gouvernement aurait dû choisir une démarche rigoureuse.
En fait, et je le regrette, le texte qui nous est soumis opte pour la commodité, la facilité, bref, oserais-je dire, pour le minimum syndical. Nous avons besoin de règles simples, robustes, car les concepts retenus par le traité vont nous égarer en ouvrant des discussions confuses, dogmatiques, probablement incompréhensibles et sans fin.
La commission présidée par Michel Camdessus en 2010 avait écarté cette référence « structurelle » pour des raisons de pédagogie. Quel serait, en effet, le produit intérieur brut si le plein-emploi était assuré, si les 3 millions de chômeurs retrouvaient un emploi ? Vous imaginez, mes chers collègues, quelles discussions enflammées nous allons devoir affronter.
Avant de parler de solde structurel et de PIB potentiel, il serait sans doute judicieux de mettre en œuvre des réformes structurelles, précisément : je pense à l’abrogation des 35 heures, à l’allégement des charges sociales, qu’il faudrait sans doute financer par un surcroît de TVA, sans encourir le risque d’une inflation des prix dès lors qu’il s’agit de produits élaborés sur notre territoire national. J’ose espérer que la gouvernance de l’Eurogroupe définira les concepts et les modalités d’évaluation de l’effort structurel, du solde structurel et du produit intérieur brut potentiel.
Ce que je crois être une faiblesse du traité appelait de notre part une régulation claire. Le Gouvernement, malheureusement, fait le choix du clair-obscur et s’expose à trois critiques.
Première critique : alors que de nombreux pays de l’Union européenne ont eu le courage de dissiper l’ambiguïté en s’en remettant à des institutions indépendantes pour établir les prévisions macroéconomiques, nous restons dans un système d’auto-prévision pour arrêter la projection pluriannuelle des finances publiques et les projets de loi de finances.
Nous savons trop bien que tout gouvernement chargé de cette évaluation est suspect de pratiquer le volontarisme politique, c’est-à-dire l’excès d’optimisme. Il est en effet plus aisé d’arbitrer le niveau des dépenses publiques lorsque les hypothèses de croissance sont élevées et qu’elles accréditent un niveau substantiel de ressources. Face à nos vicissitudes, je croyais que nous allions enfin nous conformer aux exemples que nous donnent plusieurs pays européens – je pense aux Pays-Bas, à la Grande-Bretagne –, en prenant appui sur des instituts ou des autorités indépendants.
C’est une recommandation que formule de longue date notre commission des finances. De droite ou de gauche, les gouvernements ont toujours voulu garder la main sur les hypothèses macroéconomiques. Faut-il rappeler la constance et l’ampleur des écarts constatés pour justifier une réforme radicale ? Nous attendions une rupture avec cette pratique contestable ; il n’en est malheureusement rien. Les prévisions vont rester sous le contrôle du Gouvernement. Il est vrai que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Je remercie Mme Des Esgaulx d’avoir rappelé que Philippe Marini et moi-même avions proposé qu’une autorité indépendante européenne établisse les hypothèses macroéconomiques.
Ma deuxième critique a trait à la composition du Haut Conseil des finances publiques. Certes, pour donner crédit à ses projections, à ses programmations pluriannuelles, le Gouvernement se propose de créer un « organisme indépendant, placé auprès de la Cour des comptes, présidé par le Premier président de la Cour des comptes », chargé d’émettre des avis sur les prévisions gouvernementales et sur les programmations des finances publiques. Les membres de cet organisme indépendant sont si indépendants « qu’ils ne sont pas rémunérés ». Pour ma part, je considère que c’est là un étrange arbitrage. Au surplus, il peut y avoir un conflit d’intérêts, puisque quatre magistrats de la Cour des comptes sont appelés à siéger au sein de cette instance, qui sera en outre présidée par son Premier président. Ces magistrats, qui ont réalisé des progrès considérables dans les diligences qu’ils accomplissent pour parvenir à certifier la sincérité des comptes publics, ont acquis une compétence en matière d’appréciation de l’exécution budgétaire. Or il s’agit ici d’exprimer une opinion sur des prévisions, ce qui est un exercice tout à fait différent. Pour ma part, je considère qu’il existe une sorte de conflit entre ces deux missions.
Je pense qu’il faudra par ailleurs que les magistrats de la Cour des comptes puissent aller jusqu’au bout de leur tâche et que nous instituions la certification de la sincérité des comptes des collectivités territoriales. M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales a eu raison de rappeler les problèmes de calendrier que pose l’expression de cette opinion. Il faudra, au surplus, que nous puissions consolider les comptes publics dans des délais suffisamment rapprochés de la fin de l’exercice budgétaire pour pouvoir en tirer des enseignements dans la perspective du débat d’orientation budgétaire et de l’élaboration des lois de finances à venir.
En tout état de cause, je le répète, il faudra aller jusqu’au bout. Pour ma part, je regrette que l’on n’ait pas institué un organisme indépendant, auquel on eût confié la responsabilité d’établir ces prévisions, et je crains un mélange des genres s’agissant des magistrats de la Cour des comptes appelés à siéger au sein du Haut Conseil des finances publiques.
Autre critique, les membres du groupe de l’UDI-UC estiment que les prescriptions prévues à l’article 3 du traité, relatives à l’introduction d’un mécanisme de correction automatique des écarts significatifs, sont ignorées dans le projet de loi organique. Il s’agit là d’une omission majeure, qui tend à détourner le texte de l’objectif visé. Le Gouvernement prend le risque qu’on le suspecte de rester dans le flou et l’approximation, peut-être pour prolonger son déni de la réalité. Or l’ampleur de la crise ne nous autorise plus à tergiverser. Je crains fort que votre dispositif, messieurs les ministres, ne finisse au rayon des lois relevant davantage de la gesticulation que du souci de l’efficacité.
Dans ces conditions, pour sortir de l’ambiguïté, il est vital que le Parlement assume pleinement ses prérogatives et se dote de moyens d’expertise en vue de forger sa propre opinion sur les hypothèses de croissance et leur lien avec l’évolution des prélèvements obligatoires. Il importe de sortir au plus vite de ce qui s’apparente à une alchimie aux allures de mystère, donnant à penser que le « doigt mouillé » sert d’instrument de mesure.
Récapitulons : le dispositif est imprécis, dénué de sanctions concrètes, et donc d’application très flexible ; c’est un toilettage des procédures de programmation actuellement en vigueur.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous présenterai, au cours de l’examen des articles, plusieurs amendements visant à donner plus de rigueur et de corps à ce projet de loi organique.
Il s’agira, dans un premier temps, d’éviter les abus manifestes de la part du Gouvernement, qui priveraient le TSCG et le présent projet de loi organique de toute portée, en « cassant le thermomètre ». Deux amendements, à l’article 9 et à l’article 16, ont pour objet de faire en sorte que la trajectoire du PIB potentiel utilisée par le Haut Conseil pour évaluer le solde structurel soit celle du rapport annexé à la loi de programmation des finances publiques, en renforçant la portée des avis défavorables du Haut Conseil.
Je proposerai également une série d’amendements tendant à inscrire dans le projet de loi organique que le refus du Haut Conseil d’avaliser les prévisions macroéconomiques entraînera l’insincérité de l’ensemble des textes financiers.
Je voudrais mettre à profit l’examen de ce projet de loi organique pour corriger une modification que nous avons apportée en 2005 à la loi organique de 2001 relative aux lois de finances, concernant les engagements « hors bilan ». Je veux parler du recours aux contrats de partenariat public-privé et aux baux emphytéotiques administratifs : ces modes de financement innovants constituent une facilité, utilisée pour éviter d’avoir à constater la dette effective.
J’espère, messieurs les ministres, que l’amendement correspondant retiendra votre attention et que, dans l’article d’équilibre relatif au plafond d’endettement, il sera également fait mention du plafond d’engagements au titre de ces dettes implicites liées à des partenariats public-privé ou à des baux emphytéotiques administratifs.
Nous souhaitons que ce texte contribue à renforcer la confiance, qu’il soit un instrument de meilleure coordination pour la gouvernance de la zone euro, ainsi qu’un instrument de pilotage de nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)