M. Claude Dilain. Cela n’a rien à voir !
M. Hervé Marseille. « Quelle est notre légitimité à nous, législateur, pour dire ce qu’est l’histoire ? » s’interroge-t-il ici-même, résumant ensuite son propos en disant avec « Robert Badinter que le Parlement n’est pas un tribunal et avec Pierre Nora qu’il ne revient pas au législateur de faire l’histoire ».
Dès lors, mes chers collègues, si vous adoptez ce texte, ne dites plus, par exemple, à la communauté arménienne, qui attend un texte de reconnaissance,…
M. Roland Courteau. Cela n’a rien à voir !
Un sénateur du groupe socialiste. Le génocide est reconnu !
M. Jean-Jacques Mirassou. Tout ce qui est excessif est dérisoire !
M. Hervé Marseille. … que cette reconnaissance n’est pas du domaine de la loi.
Deuxième contradiction, monsieur le rapporteur : au cours de l’année 2004, vous l’avez rappelé, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, dont vous étiez membre, comme François Hollande et Jean-Marc Ayrault, déposait une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur les responsabilités dans le massacre de nombreuses victimes civiles, rapatriés et harkis, après la date officielle du cessez-le-feu de la guerre en Algérie.
M. Alain Néri, rapporteur. Absolument !
M. Hervé Marseille. À cette occasion, vous souhaitiez que soient notamment identifiées les responsabilités dans les massacres de la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962, ou encore de la journée du 5 juillet 1962 à Oran. Autrement dit, monsieur le rapporteur, vous n’ignorez pas ces événements, mais vous voulez aujourd’hui, en faisant du 19 mars la date de commémoration, rayer d’un trait de plume les conséquences des massacres intervenus. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Néri, rapporteur. Pas du tout !
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. C’est le contraire !
M. Hervé Marseille. Par ailleurs, la commission en refusant votre proposition vous rappelait que l’encouragement du travail historique devait être préféré à la création d’une commission d’enquête.
Enfin, troisième contradiction : nous avons étendu, en début d’année, l’application de l’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse aux formations supplétives des forces armées. Le droit en vigueur, en particulier l’article 5 de la loi de 2005, ne trouvait pas d’application pour des raisons purement juridiques.
Dès lors, nous avons réparé cette injustice en permettant aux harkis d’être protégés contre des injures et des diffamations. Nous avons élargi ce dispositif protecteur applicable aux harkis, mais, aujourd’hui, nous examinons un texte qui tend à les humilier…
M. René Garrec. Exactement !
M. Hervé Marseille. … en fixant une date de commémoration de la fin du conflit algérien préalable aux massacres qu’ils ont subis, en particulier le 5 juillet 1962 à Oran.
M. Marcel-Pierre Cléach. Très bien !
M. Hervé Marseille. Alors même que les accords d’Évian prévoyaient un cessez-le-feu dès le 19 mars 1962, vous l’avez rappelé, les exactions ont perduré. Faire de cette date une journée de commémoration reviendrait en quelque sorte à nier l’existence des drames qui ont suivi et qui ont fait de très nombreuses victimes. Le 19 mars 1962, la France a abandonné les harkis.
Au début de l’année 2012, le Parlement français a souhaité compléter son dispositif protecteur à l’égard des Français rapatriés.
Je me permets de rappeler mon intervention en séance à cette occasion : « Nous savons tous à quel point il peut être délicat pour une nation de regarder son passé sans fard. Pendant trop longtemps, la question de la reconnaissance de l’engagement des harkis a été éludée ou retardée, laissant dans l’incompréhension ceux-là mêmes qui ont fait le choix de la France lors de l’un des épisodes les plus douloureux de notre histoire récente. […]
« Cette injustice a été lentement réparée par un processus législatif qui se sera déroulé pendant près de dix ans, entre la loi du 11 juin 1994, qui a été la première à exprimer la reconnaissance de la France aux harkis, et celle de 2005, qui a cherché à protéger les rapatriés et leurs descendants contre les invectives charriées par un passé encore mal cicatrisé. »
Mes chers collègues, ne faisons pas machine arrière, n’oublions pas les tragédies qui se sont déroulées après la mi-mars 1962. Les commémorations doivent nous rassembler, elles ne doivent pas nous diviser !
Il serait ainsi grand temps de reprendre l’intégralité des propositions formulées à l’automne 2008 par l’historien André Kaspi. Le rapport qu’il avait remis au Président de la République prévoyait purement et simplement de retenir trois dates pour les commémorations : le 8 mai, le 14 juillet et le 11 novembre.
M. Marcel-Pierre Cléach. Très bien !
M. Hervé Marseille. Ces trois dates résonnent dans la conscience de tous les citoyens français.
Seule la date du 11 novembre a fait l’objet d’un approfondissement en ce sens à destination du souvenir de tous les morts pour la France. Faisons donc du 8 mai, par exemple, la célébration de la paix et la commémoration des victimes militaires et civiles de toutes les guerres passées.
Autre piste à suivre, notre collègue Yves Pozzo Di Borgo a appelé, lors de l’examen de la proposition de résolution tendant à la reconnaissance de la répression d’une manifestation à Paris le 17 octobre 1961 présentée par nos collègues communistes, au lancement d’une vaste concertation au sujet des commémorations relatives à la blessure algérienne, notamment en association avec l’Algérie.
Dès lors, mes chers collègues, à l’évidence, le 19 mars est non pas une date qui rassemble mais qui divise. En faire une date de commémoration officielle cristallisera cette division.
M. Pierre Charon. Eh oui !
M. Hervé Marseille. Sur ces sujets, il faut de la sérénité et ce texte ne va pas dans ce sens.
Jusqu’à présent, il y avait ceux qui commémoraient le 5 décembre et ceux qui commémoraient le 19 mars.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Très peu !
M. Hervé Marseille. Ils continueront à le faire. La seule différence, c’est que le préfet sera le 19 mars devant les monuments et il n’y sera plus le 5 décembre.
C’est pour cela, mes chers collègues, que je ne voterai pas ce texte comme les membres de l’UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Guy Fischer. Cela changera !
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, longtemps considérée comme la « guerre sans nom », la guerre d’Algérie ne doit pas rester la guerre sans fin. Nous avons suffisamment de recul pour reconnaître que ce conflit d’une grande violence physique, psychologique et symbolique s’est déroulé entre 1954 et 1962, même si personne n’ignore les drames, les attentats et autres règlements de compte qui ont suivi le cessez-le-feu issu des accords d’Évian.
Sans plus tarder – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur –, il faut apporter une réponse à ceux qui ont répondu à l’âge de vingt ans à l’appel de la nation avec abnégation et courage.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Robert Tropeano. Je fus de ceux-là pendant vingt-huit mois.
Oui, il est temps de créer les conditions d’un rassemblement serein et unitaire pour les 2 millions de jeunes soldats envoyés de l’autre côté de la Méditerranée et, bien sûr, pour toutes les victimes civiles assassinées, avant et après le 19 mars 1962, pour tous ceux qui de la « Toussaint sanglante » au massacre d’Oran ont payé de leur vie l’indépendance algérienne ou tout simplement pour servir la France.
Il ne s’agit pas de refaire l’histoire, il s’agit de la regarder en face.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Robert Tropeano. Aussi, sans hésiter, prenons toutes nos responsabilités pour installer un devoir de mémoire à la hauteur des sacrifices endurés par beaucoup de nos concitoyens. Trop souvent, sur cette question, les tergiversations l’ont emporté malgré l’action déterminée des anciens de la guerre d’Algérie, en particulier des anciens combattants d’Afrique du Nord.
J’ai toujours été de ce combat contre l’oubli. J’ai toujours soutenu sans faille toutes les démarches qui visent à rétablir la vérité historique et à rendre hommage à toutes les victimes – je dis bien à toutes les victimes.
Je regrette sincèrement que la représentation nationale ne puisse s’unir et se retrouver sur la date du 19 mars 1962, qui marque l’arrêt officiel des hostilités et qui n’occulte en aucun cas les événements tragiques postérieurs à celle-ci.
Cette date a du sens, ce qui est indispensable pour donner vie à une journée du souvenir et du recueillement que nous souhaitons tous.
Je regrette aussi que, après tant d’années, le processus soit toujours aussi long quand il s’agit d’œuvrer en faveur d’une lecture objective de la guerre d’Algérie.
En effet, comme vous le savez, mes chers collègues, il a fallu attendre trente-sept ans pour que les opérations effectuées en Afrique du Nord soient qualifiées selon leur vraie nature.
M. Yvon Collin. Trop longtemps !
M. Robert Tropeano. La loi du 18 octobre 1999 a remplacé une formulation relevant clairement du déni par celle, plus juste, de guerre d’Algérie.
M. Roland Courteau. C’était un gouvernement de gauche !
M. Robert Tropeano. Antérieurement, la loi du 9 décembre 1974, qui attribuait la qualité de combattant aux personnes ayant participé à ce conflit, avait également été adoptée à l’issue d’une course d’obstacles subtilement mise en œuvre, à l’époque, par les gouvernements successifs.
À cet égard, le débat du 17 octobre 1974 au Sénat est éclairant. Le rapporteur de la loi du 9 décembre, Lucien Grand, membre de la Gauche démocratique, s’exprimait ainsi : « Vous trouverez, mes chers collègues, dans mon rapport, la narration fidèle des longues vicissitudes de ce projet de loi, nos espérances déçues à plusieurs reprises au fil des ans pour des motifs divers mais toujours renouvelés. Aujourd’hui, il nous est permis de discuter un projet de loi qui répond aux espoirs que nous entretenons depuis douze ans. »
Reprenant les termes de cet ancien sénateur, je dirai qu’il nous est enfin permis aujourd'hui de discuter une proposition de loi qui répond aux espoirs levés, de nouveau, voilà dix ans.
En effet, en 2002, sur l’initiative de plusieurs familles politiques parmi lesquelles les radicaux de gauche, l’Assemblée nationale avait déjà adopté une proposition de loi visant à reconnaître le 19 mars comme journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie.
Depuis, dix années se sont écoulées. Le texte est resté volontairement englué dans les limbes d’une navette parlementaire suspendue par le temps, ce qui reflète bien, hélas ! à quel point est difficile la réconciliation nationale sur la question de la guerre d’Algérie.
En effet, mes chers collègues, les plaies de cette tragédie sont encore très vives. On peut le comprendre au regard des milliers de civils et militaires victimes de ce terrible déchirement entre l’Algérie et la France.
La guerre d’Algérie est passionnelle à cause de la cécité politique sur le système colonial et sur l’inévitable processus de décolonisation.
La guerre d’Algérie est forte de culpabilité en raison de la torture assumée par certains officiers comme moyen de lutte obligé contre le « terrorisme ».
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Robert Tropeano. La guerre d’Algérie est pleine de honte à cause des harkis abandonnés au massacre punitif des lendemains de guerre.
M. Roland Courteau. Hélas !
M. Robert Tropeano. Enfin, la guerre d’Algérie est empreinte de douleurs parce qu’elle a forcé à l’exode des milliers de rapatriés pour qui l’Algérie était aussi leur terre et parce que les plus hautes autorités leur avaient fait une promesse : « L’Algérie, c’est la France. »
Dans son dernier livre, l’historien Benjamin Stora rappelle que « la mémoire des uns n’est pas celle des autres ». Il est vrai que l’histoire ne semble pas la même selon que l’on ait été soldat, rapatrié ou harki. Mais la somme de tous ces souvenirs individuels rassemblés par un dénominateur commun, la douleur et l’incompréhension, doit naturellement conduire à partager un même moment de recueillement.
C’est ainsi que je vois les choses. Pour ma part, et celle de la majorité des membres du RDSE, le choix du 19 mars est la date symbolique la plus significative. M. le rapporteur nous a livré les bons arguments, que je ne vais pas tous rappeler. J’insisterai seulement sur la nécessité de choisir une date qui réponde à la même logique que celles qui ont été décidées pour raviver le souvenir de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. C’est une question de clarté pour les générations futures. C’est une question de sens à donner pour cette journée de mémoire.
Ni défaite, ni victoire, le cessez-le-feu du 19 mars 1962 doit être compris d’abord et avant tout comme la promesse d’une paix retrouvée des deux côtés de la Méditerranée.
J’espère que le Sénat, par son vote, contribuera à consolider une mémoire collective cohérente et apaisée, comme il l’a fait avant-hier grâce à l’adoption de la proposition de loi tendant à la reconnaissance de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinquante ans, cela fait cinquante ans que la guerre d’Algérie est officiellement terminée. Un demi-siècle ! Et c’est bien connu, souvent la mémoire s’efface à mesure que les années passent. Ne pas oublier, c’est là, me semble-t-il, tout l’enjeu de notre débat d’aujourd’hui.
Les membres du groupe écologiste ont estimé qu’il fallait prendre le temps de débattre sereinement de cette proposition de loi, et non pas voter dans l’urgence. À cet égard, je tiens à saluer le remarquable travail du rapporteur Alain Néri qui, animé de sa passion et de ses convictions personnelles sur le sujet, a eu la volonté d’écouter l’ensemble des groupes et d’engager la discussion, ce qui honore la Haute Assemblée.
Discuter a été une sage décision, car chacun a eu le temps de s’interroger sur ce sujet complexe et de murir sa propre réflexion. Nous touchons là à un domaine délicat, celui du souvenir, qui appartient à chacun, avec son vécu, son ressenti, son parcours personnel, son histoire et sa culture.
La mémoire est inévitablement plurielle et hétérogène, selon les rôles et les points de vue des uns et des autres. C’est pourquoi je distingue la mémoire de l’Histoire.
Tandis que la mémoire relève souvent de la passion, l’histoire appartient davantage à la raison. L’histoire, c’est le résultat d’une recherche méthodique et savante, qui a une vocation pédagogique, notamment éduquer à la citoyenneté.
Il existe des faits historiques, des dates objectives, comme celle du 19 mars 1962, ce jour où, grâce aux accords d’Évian, la France et le gouvernement provisoire de la République algérienne ont décidé le cessez-le-feu. Le 8 avril 1962, une très grande majorité des Français, 90,7 % d’entre eux, ont d’ailleurs ratifié ces accords. Certes, ce ne fut pas la fin des combats, ni des souffrances, mais c’est un symbole fort, ancré dans la réalité historique. Bien sûr, les harkis, les Français et les Algériens n’ont pas du tout vécu cette date de la même manière, mais ils ont tous été concernés par cette décision.
C’est donc au nom de ce passé commun que le 19 mars 1962 fait sens. C’est une pierre de plus que l’on apporte à l’édifice de la réconciliation.
Cette date, malgré la discussion qui l’entoure, est l’objet d’un consensus assez large. L’institutionnaliser permettrait de dépasser les clivages pour aller vers la commémoration collective des souffrances des victimes d’une tragédie dont tout le monde a pâti.
Nous devons ce vote aux victimes, trop nombreuses. Bien qu’aucun bilan chiffré ne puisse être complètement vérifié, avant le cessez-le-feu, on ne dénombrait pas moins de 24 267 militaires français tués, sans compter les 65 000 blessés ; 2 788 tués, 7 541 blessés et 875 disparus parmi les civils français ; entre 30 000 et 150 000 harkis tués ou disparus – à considérer l’écart des chiffres, la vérité historique est complexe à déterminer – ; au moins 141 000 soldats de l’armée de libération nationale algérienne tués ; entre 300 000 et 400 000 algériens décédés.
Ce bilan, dramatiquement lourd, est encore très certainement sous-estimé.
Le Parlement a reconnu la part de responsabilité de la France dans ce qu’il a lui-même requalifié de « guerre ». Avec cette proposition de loi, nous ne faisons que parachever, et c’est bien utile, cette reconnaissance officielle, afin que l’on n’oublie pas, même si les années passent, les victimes des combats d’Afrique du Nord.
Cela dit, gardons-nous bien, mes chers collègues, de jouer un rôle qui n’est pas le nôtre. Nous sommes des législateurs, pas des historiens ni des juges. Nous n’avons pas la légitimité de dire quelle est la vérité, qui sont les bons ou les mauvais, s’il y en avait. En tant que représentants nationaux, nous avons le devoir d’agir dans l’intérêt commun et d’être responsables.
À chacun de se recueillir et de se remémorer les événements selon son vécu. À chaque historien de poursuivre la recherche vers la vérité historique.
Pour les élus que nous sommes, il s’agit humblement, modestement de reconnaître officiellement une journée du souvenir, qui sera de nature à permette un travail pédagogique. Car c’est aussi dans la connaissance de son passé que l’on prépare un meilleur avenir.
Un sénateur du groupe UMP. Tout à fait !
M. Jean-Vincent Placé. Pour conclure, je souhaiterais simplement rappeler qu’il n’y a pas de vérité absolue dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres. Il n’existe pas de date parfaite, il n’en existera jamais. À mesure que l’on se crispe sur un jour, on oublie l’essentiel : être ensemble pour commémorer les victimes et les erreurs à ne plus commettre, un objectif sincère et profond qui a motivé mon vote.
Tout en respectant l’avis des uns et des autres, qui ont engagé ici un débat extrêmement digne, je voterai, comme la quasi-unanimité du groupe écologiste, en faveur de la proposition de loi présentée aujourd’hui, m’inscrivant d’ailleurs dans la continuité du vote de mes camarades écologistes de l’Assemblée nationale, dont Noël Mamère et Marie-Hélène Aubert, qui, en 2001, étaient cosignataires, avec Bernard Charles, le président du groupe parlementaire Radical, Citoyen et Vert, (Mme Françoise Laborde opine.)…
M. Yvon Collin. Tout à fait !
M. Jean-Vincent Placé. … de la proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Marcel-Pierre Cléach.
M. Marcel-Pierre Cléach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes – curieusement ! – appelés à nous prononcer aujourd’hui,…
Un sénateur du groupe socialiste. Pourquoi « curieusement » ?
M. Marcel-Pierre Cléach. … à la demande du groupe socialiste, sur une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 22 janvier 2002, c'est-à-dire il y a plus de dix ans.
Le procédé est étrange. Il ne doit pas y avoir beaucoup de précédents ! D’ailleurs, on peut s’interroger sur la pertinence de cette opération, qui ne tient pas compte de l’évolution des esprits et des textes en dix ans.
M. Roland Courteau. C’est la cohérence !
M. Marcel-Pierre Cléach. On peut aussi se demander, sur le plan de l’éthique parlementaire, s’il est vraiment correct de procéder ainsi.
La demande de reconnaissance de la date du 19 mars comme « journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc » ravive un vieux débat, qui divise depuis toujours, hélas ! le monde des anciens combattants…
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Marcel-Pierre Cléach. … et qui concerne bien entendu, au premier chef, la communauté de nos compatriotes rapatriés d’Afrique du Nord.
Vous avez déclaré, monsieur le rapporteur, que « le 19 mars doit apaiser et rassembler en permettant de se souvenir de tous les morts, avant et après cette date, comme on le fait le 11 novembre et le 8 mai pour les deux guerres mondiales ».
Voilà un procédé oratoire étonnant : vous dites vouloir rassembler, mais vous proposez des dispositions qui aboutissent au contraire.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Exactement !
M. Marcel-Pierre Cléach. Pourtant, vous savez que le monde combattant reste particulièrement divisé sur cette question. Vous avez dû recevoir, comme moi, d’innombrables protestations contre votre initiative, dont celle du comité d’entente des associations patriotiques, qui regroupe quarante associations d’anciens combattants, avec 1,2 million de membres, et celles des associations de rapatriés, de harkis et de disparus.
Le mouvement d’indignation que soulève l’initiative du groupe socialiste du Sénat démontre bien que, loin de rassembler, celle-ci ranime les divisions, les souvenirs, les passions opposées.
M. Charles Revet. Exactement !
M. Marcel-Pierre Cléach. Croyez-vous que c’était le moment ?
N’aviez-vous pas remarqué que les oppositions s’estompaient peu à peu ?
N’aviez-vous pas également remarqué que les associations d’anciens combattants, sauf une, s’étaient ralliées au projet de la loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, texte que j’ai eu l’honneur de rapporter au Sénat ?
N’aviez-vous pas non plus remarqué qu’un statu quo de raison s’était instauré entre ceux qui voulaient commémorer le 19 mars et ceux qui avaient adopté la date du 5 décembre ?
M. Jean-Jacques Mirassou. Ils sont plus nombreux d’un côté que de l’autre !
M. Marcel-Pierre Cléach. Je regrette que les auteurs de la présente proposition de loi n’aient pas eu la sagesse de l’un d’entre eux, alors secrétaire d’État dans le gouvernement de Lionel Jospin, qui, sur la date problématique du 19 mars, déclarait ici même, à la tribune du Sénat, le 1er décembre 2001 : « En réalité, le domaine est plus qu’historique : il touche au plus profond de nous-mêmes, de notre histoire, de l’histoire de la France, de l’histoire des Françaises et des Français, et c’est bien pour cela que sénateurs et députés sont maintenant chargés de dire leur mot.
« Des textes ont été déposés, sur lesquels il faut réfléchir et ouvrir un vrai débat. Mais, sur un sujet comme celui-ci, on ne peut décider, par une simple majorité politique ou politicienne : que signifierait une décision prise à 51 % des votants ? » M. Jacques Floch poursuivait en ces termes : « Les uns et les autres, nous savons avancer les arguments nécessaires et nous savons qu’il y a des moments historiques ; mais ces derniers sont-ils suffisamment forts pour nous imposer une date ? »
Tirant les conclusions d’un désaccord insurmontable, M. Floch ne persista pas dans son intention première de présenter ce projet de loi au Sénat.
Déjà en 1981, vingt-neuf associations sur trente et une, consultées par le ministre alors chargé du dossier, s’étaient opposées au choix du 19 mars comme date d’une quelconque commémoration. Ce fut aussi la position de Valéry Giscard d’Estaing, de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, mais aussi, chers collègues de la majorité, de François Mitterrand,…
M. Charles Revet. Eh oui ! Souvenez-vous !
M. Marcel-Pierre Cléach. … qui déclarait, lors d’une conférence de presse donnée à l’Élysée le 24 septembre 1981 : « S’il s’agit de marquer le recueillement et d’honorer les victimes de la guerre d’Algérie, je dis que cela ne peut pas être le 19 mars »,…
M. Charles Revet. Exactement !
M. Marcel-Pierre Cléach. … ajoutant : « si une date doit être officialisée pour célébrer le souvenir des victimes de la guerre d’Algérie [....] cela ne peut être le 19 mars, car il y aura confusion dans la mémoire de notre peuple […],…
MM. François Pillet et Pierre Charon. Très bien !
M. Marcel-Pierre Cléach. … ce n’est pas l’acte diplomatique rendu nécessaire à l’époque qui peut s’identifier à ce qui pourrait apparaître comme un grand moment de notre histoire, d’autant plus que la guerre a continué, que d’autres victimes ont été comptées et qu’au surplus il convient de ne froisser la conscience de personne. »
Voilà de sages paroles – il m’arrive rarement de citer le président Mitterrand –,…
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est bien vrai !
M. Roland Courteau. C’est rarissime !
M. Marcel-Pierre Cléach. … mais qui ont été oubliées…
M. Charles Revet. Ils ont la mémoire courte !
M. Marcel-Pierre Cléach. … et qu’un élu de l’opposition a plaisir à vous rappeler !
Tous les présidents de la Ve République, de Charles de Gaulle à Nicolas Sarkozy, y compris François Mitterrand, se sont opposés, soit officiellement, soit en se taisant, à la commémoration officielle du 19 mars.
M. François Rebsamen. Le jour est venu !
M. Marcel-Pierre Cléach. Vous l’avez compris, cela ne vous aura pas échappé, bien qu’étant moi-même ancien combattant d’Algérie je suis très opposé au texte en discussion, et ce pour des raisons de fond, de forme et d’opportunité.
La première raison, de fond, la plus importante à mes yeux, tient au fait que votre initiative, chers collègues de la majorité, « ressuscite » des divisions qui avaient tendance à s’estomper au sein du monde combattant et ravive les plaies de tous ceux qui ont tout perdu en Algérie et de ceux qui ont perdu des enfants,…
M. Charles Revet. Exactement !
M. Marcel-Pierre Cléach. … des parents, des amis après le 19 mars.
Vous l’avez reconnu, le 19 mars n’a pas ipso facto entraîné la paix en Algérie.
En effet, les hostilités ne se sont pas arrêtées le 19 mars 1962. À partir de cette date, et tout au long de l’année 1962, malgré les stipulations des accords d’Évian garantissant le respect des anciens combattants d’origine algérienne ayant servi sous le drapeau français, près de 150 000 d’entre eux furent exécutés dans des conditions atroces. Il n’y avait pas, d’un côté, les mauvais et, de l’autre, les anges !
M. François Rebsamen. C’est vrai !
M. Marcel-Pierre Cléach. Et s’ils ne furent que 60 000 à être exécutés après l’armistice, comme le prétendent d’autres sources, ils furent 60 000 de trop, alors que nous respections, nous, les accords engageant notre pays.