M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Il me semble possible, au terme de cet échange que j’ai écouté avec intérêt, de convaincre mes collègues Hyest et Mercier du bien-fondé de notre position. L’article 421-1 fait mention « des extorsions », au pluriel, et « des destructions », ce qui signifie qu’il y est fait référence à des séries homogènes d’incriminations. Dans le cas contraire, le code parlerait de « l’extorsion ».

L’expression « les extorsions » recouvre en effet les deux sections mentionnées précédemment par le rapporteur : celle qui est relative à l’extorsion, un délit qui a sa propre définition, et celle qui est relative au chantage.

Alors que l’on pouvait effectivement hésiter sur ce point au début de la discussion, il me semble que, au vu des échanges d’arguments auxquels celle-ci a donné lieu – et qui seront publiés très bientôt au Journal officiel, constituant ainsi les travaux préparatoires à la loi –, on est en droit de considérer que le dispositif actuel du code pénal répond aux exigences de la décision-cadre européenne.

Mme Gisèle Printz et M. Jean-Jacques Mirassou. Bravo !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 rectifié bis et 11 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par MM. Hyest et Frassa, Mlle Joissains, Mme Troendle et MM. Pillet, Bas, Reichardt, Vial, Béchu, Buffet, Cointat, Courtois, Lefèvre et Lecerf, est ainsi libellé :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 421-2-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Constitue également un acte de terrorisme le fait de préparer de manière caractérisée par un ou plusieurs faits matériels un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents. »

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Cet amendement vise également à transposer une disposition de la décision-cadre européenne du 28 novembre 2008. Il s’agit de faire en sorte que le recruteur puisse être réprimé que son entreprise de recrutement ait été ou non couronnée de succès.

Cette précision me paraît indispensable pour mettre nos textes en harmonie avec la décision-cadre. Mais on va peut-être me prouver que c’est déjà dans le code...

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. J’en suis désolé pour Jean-Jacques Hyest, mais j’émettrai une fois encore un avis défavorable.

M. Michel Mercier. Quelle surprise !

M. Jacques Mézard, rapporteur. Je vous l’accorde, ce n’est pas une surprise.

Vous connaissez bien la législation, monsieur l’ancien garde des sceaux. Vous serez donc certainement convaincu par mes propos, que je vous ai d’ailleurs déjà tenus ce matin.

M. Michel Mercier. Parlez plutôt du futur, ce sera plus intéressant !

M. Jacques Mézard, rapporteur. Cet amendement tend à instituer une nouvelle incrimination, inspirée du délit d’association de malfaiteurs, mais appliquée à une personne agissant de manière totalement isolée.

L’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste a déjà permis une prévention efficace des actes de terrorisme.

Faut-il aller plus loin ? Il convient de rappeler qu’aucun des acteurs de la lutte contre le terrorisme ne l’a demandé lors des auditions préparatoires à l’examen de ce projet de loi. Si l’association de malfaiteurs, qui est malgré tout la base de notre système pénal de lutte contre le terrorisme, peut être constituée assez facilement, elle exige cependant, a minima, une entente ou la participation à un groupement, même si celui-ci n’est formé que de deux personnes.

Une telle exigence ne serait même plus nécessaire dans le délit proposé ici puisque vous visez, monsieur Hyest, un acte solitaire.

Cet amendement ne peut être accepté car, en l’état, cette nouvelle infraction nous paraît insuffisamment encadrée.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

Actuellement, rien n’interdit de procéder à une surveillance administrative d’une personne isolée. S’il existe des éléments matériels pouvant attester la préparation d’un acte terroriste, une information judiciaire peut alors être ouverte. Le droit en vigueur suffit donc à couvrir la préparation d’un éventuel acte de terrorisme.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié bis.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 1 rectifié bis est présenté par MM. Hyest et Frassa, Mlle Joissains, Mme Troendle et MM. Pillet, Bas, Reichardt, Vial, Béchu, Buffet, Cointat, Courtois, Lefèvre et Lecerf.

L’amendement n° 12 rectifié est présenté par M. Mercier et les membres du groupe de l’Union Centriste et Républicaine.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 421-2-3 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. 421-2-4. - Le fait d’adresser à une personne des offres ou des promesses, de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, de la menacer ou d’exercer sur elle des pressions, afin qu’elle participe à un groupement ou une entente prévu à l’article 421-2-1 ou qu’elle commette un des actes de terrorisme mentionnés aux articles 421-1 et 421-2, est puni, même lorsqu’il n’a pas été suivi d’effet, de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. »

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié bis.

M. Jean-Jacques Hyest. Le nouvel article 421-2-4 du code pénal réprime « l’instigateur » d’actes de terrorisme, de manière très similaire à ce que prévoient les dispositions de l’article 221-5-1 de ce même code, qui répriment l’instigation à commettre un assassinat. Dans un tel cas, en effet, la personne n’ayant pas encore été « recrutée », il n’y a pas encore, et il n’y aura peut-être jamais, d’association de malfaiteurs.

Cet amendement permet ainsi de réprimer de façon spécifique l’instigation en matière de terrorisme, comme l’exige la décision-cadre du 28 novembre 2008.

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour présenter l’amendement n° 12 rectifié.

M. Michel Mercier. Comme l’ont fort bien dit Mme la garde des sceaux et M. le rapporteur, la législation française permet d’ores et déjà, en application de l’infraction d’association de malfaiteurs à visée terroriste, d’appréhender tous les actes commis en amont d’une infraction terroriste, tels que la participation à la préparation d’actes de terrorisme, les faits de recrutement et d’entraînement pour le terrorisme.

Cependant, la législation actuelle ne couvre pas le cas de l’individu qui cherche à recruter d’autres personnes pour une association de malfaiteurs à des fins terroristes, mais qui n’y parvient pas. L’infraction pénale n’est pas constituée dans ce cas.

L’amendement proposé permet donc une mise en conformité avec la décision-cadre européenne, en réprimant le recruteur indépendamment de la réussite ou non du recrutement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. Ces deux amendements sont intéressants. Ils permettent en effet de réprimer l’instigation en matière de terrorisme. Il semble toutefois que cette infraction puisse être poursuivie sur la base du délit d’association de malfaiteurs à but terroriste. Reste néanmoins le cas de l’instigation non suivie d’effet : on peut se demander s’il n’y a pas là un vide juridique.

La commission a souhaité connaître l’avis du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous partageons l’analyse de la commission, sans toutefois nous référer nécessairement, monsieur Hyest, monsieur Mercier, à la décision-cadre de 2008.

La question est de savoir si le droit en vigueur couvre bien cette situation très particulière que constitue la tentative de recrutement d’une personne par une autre personne.

La décision-cadre que vous évoquez vise des groupes. Une transposition de ce texte ne répondrait donc pas à votre préoccupation.

L’introduction de cette disposition dans le code pénal ne risque-t-elle pas d’affaiblir le recours à la qualification d’association de malfaiteurs ? Faute d’avis tranché sur cette question, le Gouvernement a décidé de s’en remettre à la sagesse du Sénat.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié bis et 12 rectifié.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Hyest et Frassa, Mlle Joissains, Mme Troendle et MM. Pillet, Bas, Reichardt, Vial, Béchu, Buffet, Cointat, Courtois et Lecerf, est ainsi libellé :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 421-2-3 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. 421-2-5 – Le fait, publiquement, par quelque moyen que ce soit, de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

« Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne.

« Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. »

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Nous sommes, je l’ai déjà dit, dans un débat récurrent : doit-on sortir du cadre de la loi sur la liberté de la presse de 1881 les faits de provocation directe aux actes de terrorisme et d’apologie de ces actes ou faut-il, au contraire, demeurer dans le cadre de cette loi et y intégrer des dispositions adaptées, en matière tant de prescription que de contrainte, notamment en ce qui concerne la détention provisoire ?

Pour ma part, je propose ici de les extraire du champ de la loi de 1881 et de créer des délits spécifiques, mais peut-être les amendements de repli que nous allons examiner ultérieurement permettront-ils de trouver une solution plus « partagée ».

M. le président. L'amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Mercier et les membres du groupe de l'Union Centriste et Républicaine, est ainsi libellé :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 421-2-3 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. 421-2-5 - Le fait, publiquement, par quelque moyen que ce soit, de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

« Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. »

La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Cet amendement a le même but que celui de M. Hyest : il s’agit de permettre la poursuite réelle de la provocation directe à des actes de terrorisme ou l’apologie de ces actes.

Actuellement, c’est en application de la loi de 1881 que peuvent être poursuivis et punis de tels faits. Je rappelle que cette loi, qui fait partie des grands textes fondamentaux qui ont permis de bâtir notre État libéral et républicain, est une loi de liberté – la liberté de la presse – et qu’elle ne permet d’agir que dans des conditions restrictives.

Pour parvenir à notre but commun, je choisis pour ma part une autre voie que celle qui a été retenue par M. Hyest dans un autre amendement et, peut-être, par M. le rapporteur. Je préfère voir « sortir » de la loi de 1881 la poursuite de la provocation à des actes de terrorisme et de leur apologie pour la faire « entrer » dans le droit commun, sous réserve de quelques limitations que je proposerai d’introduire par un amendement ultérieur, l’amendement n° 14 rectifié, si le Sénat décide d’adopter celui que je défends maintenant.

Très honnêtement, je ne crois pas que toucher à la loi de 1881 serait la plus sage des solutions, raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous en propose une autre.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. Dans les deux cas, l’avis est défavorable.

Si M. Mercier, nous le verrons tout à l'heure, utilisant une méthode habile, propose d’emprunter un chemin différent de celui sur lequel M. Hyest est prêt à se replier, ainsi qu’il nous l’a annoncé, ici, l’un et l’autre poursuivent un même but : la sortie du cadre de la loi de 1881, ce qui pose un problème de fond.

Ces deux amendements tendent en effet à intégrer dans le code pénal le délit de provocation ou d’apologie d’actes de terrorisme, faits qui, à l’heure actuelle, figurent dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et sont passibles, en application de l’article 24 de cette loi, de cinq ans d’emprisonnement.

Il est vrai que le délit se voit appliquer le régime particulier du droit de la presse, notamment, et c’est important, en matière de prescription, c'est-à-dire une prescription abrégée, de trois mois.

Certes, les dispositions de la loi de 1881 ne paraissent pas toutes adaptées à la répression de cette infraction, mais il nous semble toutefois préférable de rester dans le cadre de cette loi. Pourquoi ?

D’une part, celle-ci présente les garanties procédurales nécessaires à la liberté d’expression, et c’est bien parce qu’il s’agit d’une vraie question de principe que le débat n’est pas secondaire.

D’autre part, elle permet des aménagements, comme elle le fait déjà pour d’autres délits qu’elle mentionne, sur deux aspects : le délai de prescription, qui, en l’espèce, pourrait être allongé et passer, comme le prévoit l’amendement n° 4 rectifié bis de M. Hyest, de trois mois à un an ; la possibilité d’un placement en détention provisoire, qui fait l’objet de mon sous-amendement n° 26 à cet amendement n° 4 rectifié bis.

En tout état de cause, la question de principe qui est posée est celle de savoir si l’on reste dans le cadre de la loi de 1881. C’est cette option qui a la préférence de la commission, d’où son avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’avis que vient d’exposer M. le rapporteur.

Nous l’avons dit, notre arsenal pour lutter contre le terrorisme est un arsenal de droit, mais qui déroge au droit commun. C’est un dispositif qui assure l’équilibre entre les impératifs de l’ordre public et le nécessaire respect de nos principes constitutionnels comme de nos engagements internationaux. Simplement, comme il déroge au droit commun, il comporte des dispositions particulières.

La loi de 1881 est relative à la liberté d’expression. Dans la répression des actes de terrorisme, il y a la répression de l’expression, celle de la préparation et celle de l’action. L’expression n’est pas traitée dans notre droit de la même façon que la préparation ou l’action ; elle relève, de manière générale – je ne parle pas là que de l’apologie du terrorisme –, de la loi de 1881 et le Gouvernement n’est pas favorable à ce que les dispositions de cette loi qui sanctionnent l’apologie soient transvasées dans le code pénal.

J’ai donné instruction aux parquets généraux, comme vous l’auriez, je n’en doute pas, naguère fait vous-même, monsieur Mercier, pour que l’apologie des actes de terrorisme soit, autant que possible, liée à l’association de malfaiteurs.

Cela permet d’abord de suspendre le délai de prescription. Ensuite, si, au cours de l’enquête, il apparaît que le délit d’association de malfaiteurs n’est pas retenu, le délai de prescription n’est pas épuisé et il est possible de sanctionner l’auteur de l’apologie.

Je rappelle d’ailleurs que, dans son arrêt du 14 février 2012, la Cour de cassation a précisé que l’article 52 de la loi de 1881 permettait, non pas la détention provisoire, mais la garde à vue.

Le Gouvernement, qui tient à conserver la distinction entre l’expression, la préparation et l’action, souhaite maintenir les dispositions relatives à l’expression, sous réserve de l’allongement – nous en discuterons tout à l’heure – du délai de prescription, lorsqu’il s’agit de terrorisme, dans la loi de 1881 ainsi consolidée.

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.

M. Michel Mercier. Deux voies, en effet, peuvent être utilisées. Vous avez choisi, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, de rester dans le cadre de la loi de 1881.

D’abord, je ne suis guère convaincu par vos propos. Personnellement, j’estime que la loi de 1881 doit être préservée. Or vous dites rester dans son cadre, mais, en vérité, vous vous apprêtez à lui « tordre le cou » ! Vous commencez à le serrer un peu en allongeant le délai de prescription de droit commun prévu par cette loi, car il n’est vraiment pas possible de s’y tenir en matière de terrorisme, puis vous prévoyez le recours à la détention provisoire…(Mme le garde des sceaux fait un signe de dénégation.)

C’est tout de même l’objet du sous-amendement n° 26 de M. le rapporteur, madame le garde des sceaux ! Si vous ne voulez pas de ce sous-amendement, il faut le dire maintenant pour que l’on sache clairement à quoi s’en tenir !

Ensuite, rester dans le cadre de la loi de 1881 peut se justifier – on peut toujours tout justifier ! –, mais je crains alors que la justice ne perde un des éléments essentiels de l’efficacité de son action antiterroriste : je veux parler de la concentration de toutes les actions antiterroristes au sein du tribunal de grande instance et du parquet de Paris. Dans les litiges en matière de presse, il peut y avoir autant de tribunaux saisis qu’il existe de tribunaux de grande instance ! Dès lors, l’action contre le terrorisme va être éparpillée et perdre en efficacité.

C’est aussi une des raisons qui m’ont conduit à faire cette proposition, mais, après tout, si vous l’estimez inutile, c’est votre choix et c’est vous qui êtes en responsabilité…

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.

M. Alain Anziani. Je soutiens totalement la position de Mme le garde des sceaux, et cela en vertu d’une idée simple, dont nous constatons depuis le début de ce débat qu’elle fait consensus : nous ne devons pas accepter une législation d’exception ; en revanche, nous acceptons qu’il y ait des dispositions exceptionnelles. Tout notre droit en matière de terrorisme est fondé sur cette idée.

Quel est, par exemple, le pivot de la répression du terrorisme ? C’est l’association de malfaiteurs, revue et corrigée, spécialisée avec, justement, l’association de malfaiteurs à visées terroristes. On reste dans le droit commun, mais adapté au terrorisme : on ne crée pas une nouvelle infraction, mais on adapte le droit commun parce que l’on se méfie d’une législation d’exception.

Depuis plus d’un siècle maintenant, nous disposons, avec la loi sur la liberté de la presse de 1881, d’un outil qui a fait ses preuves. Certes, cette loi impose des contraintes de procédure particulières, mais, au fond, celles-ci garantissent aussi un encadrement précis.

Cette loi prévoit déjà, contrairement à ce qui a été dit – relisez le texte ! –, la détention provisoire, qui n’aura donc pas à être « inventée », et permet également, comme vient de l’indiquer Mme le garde des sceaux en rappelant un récent arrêt de la Cour de cassation, la garde à vue. (M. Jean-Jacques Hyest proteste.)

Cette loi existe, il suffit de l’adapter. Nous poursuivrons ainsi les mêmes objectifs que vous, mais en restant dans le cadre de la législation de droit commun.

M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand, pour explication de vote.

M. Alain Bertrand. Dans la lutte contre le terrorisme, il faut privilégier l’efficacité et j’approuve la proposition de M. Hyest, car il faut que l’on rejoigne les règles de droit commun en matière pénale.

La liberté de la presse est, bien entendu, une liberté sacrée, qui doit être protégée, que nous devons même couver des yeux, mais, s’agissant de terrorisme, en particulier dans la période actuelle, je préférerais que l’on privilégie l’efficacité.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous discutons d’un sujet très complexe.

J’estime que nous devons respecter la loi de 1881 sur la liberté de la presse s’agissant des publications restées dans sa sphère.

J’ai eu l’occasion de rappeler en commission qu’on pouvait trouver dans toutes les librairies un livre qui, incontestablement, fait l’éloge d’une personne qui a tué un grand nombre d’êtres humains et a été condamnée pour terrorisme. Ce livre a donné lieu à une pétition signée par de nombreux auteurs de la maison Gallimard.

Que convient-il de faire par rapport au droit à publier, à écrire, à imprimer ? C’est une vraie question et je n’y répondrai pas de manière simple. Faut-il interdire, emprisonner, demander des comptes à l’éditeur, à l’auteur, etc. ? Voilà un sujet que l’on ne peut pas traiter à la légère.

Au demeurant, si l’on considère l’ensemble de la littérature, on trouvera nombre de textes qui soulèvent cette question. Bien sûr, on peut arguer que ce n’est pas l’auteur mais le personnage qui proclame ceci ou cela ! On peut en discuter… On trouve, en tout cas, des exemples d’œuvres odieuses, exécrables qui ont été imprimées et qui ont donné lieu à sanction. Quoi qu'il en soit, il y a là matière à jugement, et il me paraît sage que ce jugement – je ne préjuge pas : ce n’est pas notre rôle – s’exerce dans le cadre du droit de la presse.

C’est pourquoi, à mon tour, je me permets de soutenir la position qui est celle à la fois de Mme la garde des sceaux et de notre rapporteur.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous nous sommes tout à l'heure demandé – manifestement, nous continuons à le faire, et c’est d'ailleurs ce qui fait la valeur ajoutée du débat parlementaire – s’il était nécessaire de mettre en place de nouveaux outils législatifs, si certaines dispositions ne relevaient pas plutôt du règlement et si, sur le plan opérationnel, une meilleure articulation était possible.

En l’occurrence, une meilleure articulation doit être mise en œuvre – et j’ai donné des consignes en ce sens – entre la section antiterroriste et la section presse du parquet de Paris. Il faut en effet – c’est le problème que vous avez à raison évoqué dans votre dernière intervention, monsieur Mercier –mieux coordonner les choses.

Donc, sur le plan législatif, nous prenons toutes les précautions nécessaires pour ne pas fragiliser ce qui est la colonne vertébrale de notre arsenal législatif en matière de lutte contre le terrorisme, à savoir le délit d’association de malfaiteurs ; pour le reste, nous sommes attentifs aux points sur lesquels nous pouvons agir.

Une meilleure coordination des services est également nécessaire au-delà de ces deux sections du parquet de Paris, à l’instar de ce nous avons déjà commencé à faire entre la DACG, la DCRI et la DGPN.

Nous avons aussi à rendre nos services plus performants à la fois par une augmentation des moyens, par une répartition différente des effectifs et par l’évaluation – en y associant les services eux-mêmes – des méthodes mises en œuvre.

Il nous paraît également important, au regard de l’histoire du droit français, de maintenir les dispositions particulières de la loi de 1881, en apportant les ajustements rendus nécessaires par la situation à laquelle nous sommes confrontés.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié bis.

(L'amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 13 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 6 rectifié, présenté par M. Hyest, Mlle Joissains, Mme Troendle et MM. Pillet, Bas, Reichardt, Vial, Béchu, Buffet, Cointat, Courtois, Lefèvre et Lecerf, est ainsi libellé :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 421-2-3 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé : 

« Art. … – Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait de consulter de façon habituelle un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, soit provoquant directement à des actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ces messages comportent des images montrant la commission d’actes de terrorisme consistant en des atteintes volontaires à la vie. »

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Comme je l’ai déjà souligné dans la discussion générale, il s’agit là d’un débat nécessaire.

Cet amendement vise à créer un nouveau délit de consultation, sans aucun motif légitime, de sites Internet « terroristes », à l’instar de ce qui est déjà prévu par l’article 227-23 du code pénal en matière de consultation habituelle de sites pédopornographiques.

Seule sera sanctionnée la consultation habituelle de sites provoquant aux actes de terrorisme ou faisant l’apologie de ces actes lorsque ces sites comportent des images montrant la commission d’actes de terrorisme consistant en des atteintes volontaires à la vie.

M. le président. Le sous-amendement n° 9, présenté par M. Frassa, est ainsi libellé :

Amendement n° 6, alinéa 4

Après le mot :

habituelle

insérer les mots :

, hors travaux de recherches universitaires déclarées,

Ce sous-amendement n'est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 6 rectifié ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. Après mûre réflexion et après avoir entendu les arguments des uns et des autres, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. Hyest soulève une vraie question, que j’ai régulièrement posée aux personnes que nous avons auditionnées. J’ai ainsi demandé aux responsables de nos services d’enquête et aux magistrats s’il était utile, s’il serait efficace de prévoir la création d’un nouveau délit de consultation habituelle de sites incitant à commettre des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. Globalement, ces auditions m’ont amené à considérer qu’ils doutaient de la pertinence d’une telle innovation. Peut-être, en fonction de l’évolution de la situation, la question se posera-t-elle à nouveau dans l’avenir.

Pour l’heure, des doutes subsistent quant à l’efficacité de la création de cette infraction. On nous renvoie à l’infraction de consultation habituelle de sites pédopornographiques qui, elle, existe. Il serait utile d’avoir un retour d’expérience sur les conditions de mise en œuvre du délit de consultation des sites à caractère pédopornographique, sur les effets de cette incrimination. Il ne semble pas que le bilan soit très positif ni, en tout cas, que cette incrimination ait montré une réelle utilité.

Une autre question importante, que nous avons tous évoquée lors de la discussion générale, a trait à l’équilibre entre l’impératif de sécurité, qui est évident en matière de terrorisme, et le respect de la liberté individuelle que, jusqu’ici, notre arsenal législatif de lutte contre le terrorisme s’est efforcé de préserver. Or, en adoptant cet amendement, nous irions à mon avis trop loin.