compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Carle
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Boyer,
M. Gérard Le Cam.
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Procès-verbal
M. le président. Le procès-verbal de la séance du mercredi 3 octobre 2012 a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
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Candidatures à des organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des sénateurs appelés à siéger au sein de cinq organismes extraparlementaires, en remplacement de M. Thierry Repentin, nommé membre du Gouvernement.
La commission des affaires économiques a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Claude Dilain pour siéger au sein du Conseil national des villes, du conseil d’administration de l’Agence nationale de l’habitat, de la Commission nationale chargée de l’examen du respect des obligations de réalisation de logements sociaux, du Comité de liaison pour l’accessibilité des transports et du cadre bâti et, enfin, du Conseil national de l’habitat.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
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Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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Dépôt d’un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article L.O. 1114-4 du code général des collectivités territoriales, le rapport sur l’autonomie financière des collectivités territoriales pour 2010.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale et à la commission des finances. Il est disponible au bureau de la distribution.
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Démissions de membres de commissions et candidatures
M. le président. J’ai reçu avis de la démission de M. Richard Yung comme membre de la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne et de M. François Trucy comme membre de la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé.
J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne en remplacement de M. Richard Yung, démissionnaire, et que le groupe Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé en remplacement de M. François Trucy, démissionnaire.
Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.
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Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du vendredi 5 octobre 2012, les décisions du Conseil sur trois questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
- l’article 20 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris (n° 2012-277 QPC) ;
- le 3° de l’article 16 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 en tant qu’elles prévoient que les candidats à l’auditorat doivent « être de bonne moralité » (n° 2012-278 QPC) ;
- les articles 2 à 11 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe (n° 2012-279 QPC).
Acte est donné de ces communications.
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Bisphénol A
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A (proposition n° 27 [2011-2012], texte de la commission n° 9, rapport n° 8).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de pouvoir intervenir devant vous à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, déjà ancienne, puisqu’elle a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale voilà plusieurs mois. Cette discussion intervient dans un contexte particulier, sur lequel je souhaite attirer votre attention.
Le texte soumis à votre examen témoigne en effet d’une prise de conscience, dont nous devons, me semble-t-il, collectivement nous réjouir. En matière de santé publique, la protection de nos concitoyens doit, seule, dicter notre action et nous devons être intransigeants sur ce point. L’application du principe de précaution n’est pas une sanction, or elle est trop souvent présentée comme telle !
Pour le Gouvernement, les choses sont claires : dès lors que la santé de nos concitoyens est en jeu, la question des intérêts des industriels revêt une importance relative. Cette règle est intangible.
Nous savons désormais que la qualité de l’environnement est un déterminant fondamental de notre état de santé. L’impact sanitaire de certains produits fabriqués est devenu une préoccupation nationale et communautaire majeure. Nous ignorons la composition de nombreux objets qui nous entourent : il est donc parfaitement légitime de nous interroger sur leurs effets pour notre santé. Dans certains cas, leur caractère nocif est avéré. C’est pourquoi l’initiative REACH doit être soutenue et amplifiée : elle permet de développer une base étendue de connaissances sur les produits utilisés dans les pays de l’Union européenne.
Je profite de cette intervention pour rendre hommage à l’engagement précurseur en la matière d’un parlementaire, non pas sénateur mais député, je veux parler de Gérard Bapt. Sa croisade contre le bisphénol A a débuté en 2009. À cette date, il fait interdire dans sa commune de Saint-Jean, en Haute-Garonne, l’utilisation des biberons au bisphénol. En 2010, la mobilisation de l’opposition d’alors, à l’Assemblée nationale, nous a permis de franchir une première étape décisive, puisque l’interdiction de l’utilisation des biberons contenant du bisphénol A a été votée à l’unanimité par les deux assemblées. Aujourd’hui, il s’agit de franchir une étape supplémentaire.
Le bisphénol A fait l’objet d’une vigilance particulière à l’échelon international et national, de nombreuses études relatives à ses effets nocifs sur la santé ayant alerté les pouvoirs publics. En raison de la ressemblance de sa molécule avec celle des œstrogènes, on sait depuis longtemps que le bisphénol A est un perturbateur endocrinien. Les premières interrogations sur ses effets datent des années trente ! Pourtant, il a fallu attendre 2010 pour que l’ex-Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’AFSSA, reconnaisse la présence de « signaux d’alerte » dans les études scientifiques.
En 2011, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, accable un peu plus le bisphénol A : les risques encourus par l’homme seraient accrus durant certaines périodes de la vie. Seraient plus particulièrement concernées des populations dites « fragiles », telles que les nourrissons, les femmes enceintes ou les femmes allaitantes. Face à de telles incertitudes, qui ne portent donc plus uniquement sur les nouveau-nés, il serait irresponsable de ne pas appliquer strictement le principe de précaution.
Les données dont nous disposons nous permettent d’établir deux conclusions : tout d’abord, il a été démontré que le bisphénol A est toxique pour l’animal ; ensuite, nous savons que cette molécule est directement associée à certaines pathologies humaines, en particulier les maladies métaboliques ou cardiovasculaires – je pense aussi au développement des cas d’obésité, dont les enfants et les adolescents sont les premières victimes.
Puisqu’il s’agit de santé publique, il nous faut dire clairement que nous ne pouvons pas laisser faire, le risque ne devant pas être supporté par le consommateur. Le rôle des pouvoirs publics est d’encadrer, de réglementer, de contrôler et, le cas échéant, de sanctionner. La responsabilité du décideur public est d’autant plus déterminante que le bisphénol A entre dans la composition de nombreux objets dont nous faisons tous un usage quotidien.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, cette substance est notamment utilisée pour la fabrication d’un grand nombre de contenants alimentaires. Les dangers liés à cette utilisation sont importants, car le bisphénol A peut spontanément migrer vers les aliments.
C’est pourquoi, voilà exactement un an, des députés, dont je faisais d’ailleurs partie, ont cosigné la proposition de loi présentée par Gérard Bapt à l’Assemblée nationale. Le texte vise à suspendre « la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A ».
Cette démarche s’inscrit dans la continuité de la loi interdisant l’utilisation de cette molécule dans les biberons, puisqu’il s’agit bien de compléter les dispositifs de protection des consommateurs. Le législateur doit prendre toutes ses responsabilités en matière de « santé-environnement ». L’attentisme en la matière ne peut pas être envisagé ou accepté. Notre devoir est de protéger, au plus vite, les populations les plus vulnérables des effets néfastes du bisphénol A.
Les avancées réalisées sont le fruit d’un travail commun, conduit par les deux assemblées, visant à protéger les consommateurs. Le 12 octobre 2011, cette proposition de loi a été adoptée en première lecture, à l’Assemblée nationale, par un vote unanime des députés. La détermination de votre rapporteur, Patricia Schillinger, autant que son efficacité et sa célérité, nous ont permis d’examiner ce texte aujourd’hui et de le réactualiser.
La Conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012 a rappelé l’engagement du Gouvernement sur les questions de « santé-environnement ». Le Premier ministre a annoncé, lors de son discours de clôture, qu’il soutenait l’interdiction du bisphénol A dans l’ensemble des contenants alimentaires. Telle est la démarche dans laquelle je m’inscris aujourd’hui devant vous, au nom du Gouvernement, en défendant cette proposition de loi.
Dès le 1er janvier 2013, tous les contenants alimentaires produits avec du bisphénol A à destination des enfants de moins de trois ans seront interdits et, à partir du 1er janvier 2015, plus aucun contenant alimentaire fabriqué avec du bisphénol A ne sera autorisé. Je sais qu’un débat s’est engagé – nous le poursuivrons dans un instant – sur la date d’entrée en vigueur de ce texte, mais je voudrais attirer votre attention sur le fait que, en s’engageant dans cette direction, la France serait pionnière en la matière à l’échelon européen.
À mon sens, dès lors qu’il n’y a plus de doutes sur la nocivité de cette substance, qu’une première étape a été franchie avec l’interdiction de sa présence dans les biberons et que les industriels ont été informés de la perspective d’une interdiction plus générale, nous devons avancer, tout en donnant évidemment le temps aux industriels de s’adapter. Dans la mesure où du temps s’est écoulé depuis l’adoption en première lecture à l’Assemblée nationale, il me paraît normal que la date d’entrée en vigueur soit fixée au 1er janvier 2015.
Cette proposition de loi, si elle est adoptée – et je souhaite qu’elle le soit à l’unanimité ! – participe d’un processus plus large, qu’il nous faut poursuivre.
La Conférence environnementale a traduit notre volonté de faire vivre la démocratie environnementale : elle nous a notamment permis de fixer des objectifs et d’établir une méthode pour faire face aux risques sanitaires environnementaux.
Au cours de la table ronde sur la « santé-environnement », j’ai eu l’occasion d’évoquer les enjeux liés à l’apparition de nouveaux risques, dits « émergents ». Sources d’incertitudes, voire de controverses, les conséquences de l’utilisation de certains produits sur la santé peuvent être difficiles à appréhender et à caractériser, ce qui soulève des inquiétudes légitimes. Il nous faut promouvoir les recherches sur ces risques en adaptant les méthodologies disponibles. Ces études devant être menées à grande échelle, j’attends beaucoup d’une mobilisation communautaire et internationale.
À plusieurs reprises, j’ai rappelé ma volonté de faire de la prévention des risques sanitaires environnementaux un axe majeur de la politique de santé dans notre pays. Dans le domaine des perturbateurs endocriniens, l’action du Gouvernement reposera sur trois piliers.
Le premier est la coordination des actions de recherche, d’expertise, d’information du public et de réflexion sur l’encadrement réglementaire. Pour cela, un groupe de travail associant l’ensemble des parties prenantes sera mis en place très rapidement : il aura pour mission de me présenter, d’ici au mois de juin 2013, les grands axes d’une stratégie nationale.
Le deuxième pilier, c’est la définition de nos priorités, qui reposera sur les résultats des expertises dont nous disposons. Aujourd’hui, nous traitons de la question du bisphénol A. Néanmoins, d’autres perturbateurs endocriniens, comme les phtalates, doivent faire l’objet d’une attention particulière. Le crédit d’une étude se mesure à l’aune de son indépendance : pour chaque sujet, il faudra donc nous fonder sur une expertise plurielle et contradictoire, détachée des intérêts privés.
Enfin, le troisième pilier de ma politique concerne les produits qui pourraient se substituer à ces substances nocives, car il est absolument nécessaire, j’insiste sur ce point, que les produits de substitution fassent la preuve de leur innocuité. Il serait inenvisageable d’échanger un risque connu contre un danger mal compris, voire inconnu.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que responsables publics, l’un de nos premiers devoirs est évidemment de protéger nos concitoyens. Dans le champ sanitaire, ce devoir prend toute sa dimension. Les situations que nous avons connues dans le passé nous incitent à appliquer le principe de précaution lorsque surgissent trop d’incertitudes. Elles nous obligent, aussi, à prendre rapidement les décisions courageuses qui s’imposent, pour garantir un haut niveau de protection aux Français.
C’est dans cette perspective que s’inscrit la proposition de loi aujourd’hui défendue par Patricia Schillinger. Je vous appelle donc à adopter ce texte à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Maroc
M. le président. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de la Chambre des conseillers du Maroc (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la ministre se lèvent.), conduite par M. Abderrahim Atmoun, président du groupe d’amitié France-Maroc de la Chambre des conseillers. Elle est accompagnée par M. Christian Cambon, président du groupe d’amitié sénatorial France-Maroc, et des membres de son groupe.
Cette délégation s’intéresse tout particulièrement, pendant sa visite, aux questions de transports, notamment ferroviaires, dans le cadre du projet de TGV.
Alors que le Maroc est engagé dans un vaste mouvement de réformes, sur le plan politique, économique et social, nous formons le vœu que cette visite conforte l’excellence des relations entre nos deux pays, relations tout à la fois historiques et tournées vers l’avenir.
Nous souhaitons à la délégation marocaine la bienvenue au Sénat français ! (Applaudissements.)
9
Bisphénol A
Suite de la discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme la rapporteur.
Mme Patricia Schillinger, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, la France, comme l’ensemble des pays occidentaux, est confrontée à une augmentation inquiétante de certaines maladies ou épidémies, qu’il s’agisse des cancers, du diabète, de l’obésité ou encore de la dégradation de la fertilité. Or, ni le vieillissement de la population ni l’amélioration du dépistage ne suffisent à expliquer, à eux seuls, ces phénomènes.
Ce constat est relativement partagé, mais les causalités restent largement débattues au sein de la communauté scientifique. On peut tout de même affirmer que de multiples facteurs environnementaux jouent un rôle majeur dans cette évolution préoccupante. Parmi ces facteurs, il existe un relatif consensus pour mettre en cause les perturbateurs endocriniens, substances étrangères à l’organisme susceptibles de bouleverser le système hormonal, dont le rôle est essentiel pour la reproduction, le métabolisme ou le comportement.
Sur ce sujet, la science n’apporte pas encore de réponses précises admises sans discussion par l’ensemble des spécialistes, notamment sur les mécanismes à l’œuvre. Qui plus est, cette famille de substances est large et hétérogène, et ses effets et modalités d’action sont très divers. Se pose alors la question de savoir à partir de quel moment les données scientifiques doivent être suffisamment certaines pour qu’une décision de santé publique soit adoptée. Telle est précisément la question centrale du principe de précaution, que la France – je le rappelle – a inscrit dans sa Constitution.
L’un de ces perturbateurs, le bisphénol A, ou BPA, a fait l’objet de nombreuses études depuis plusieurs années ; celles-ci ont été synthétisées par l’INSERM et par l’ANSES en 2011. Les expertises de ces deux organismes permettent de faire l’état des lieux des données actuellement disponibles.
On peut en tirer les conclusions suivantes, à titre de prémisses pour préparer notre décision.
Tout d’abord, la toxicité du BPA est avérée pour l’écosystème et pour l’animal ; elle est suspectée chez l’être humain.
Ensuite, l’alimentation constitue la source principale d’exposition.
En outre, la période de la gestation est critique et constitue, comme celle du début de la vie, une phase de vulnérabilité particulière.
Enfin, le BPA ne répond pas à l’approche toxicologique classique, selon laquelle « la dose fait le poison ». Des effets nocifs sont, en effet, susceptibles de survenir à faible dose, en deçà des « doses journalières tolérables » définies par les réglementations, encore fondées sur le principe du lien entre la dose et l’effet. On peut également citer les effets « cocktail », en cas de mélange de plusieurs substances, les effets « fenêtre », selon la période de la vie, et les effets transgénérationnels du BPA, c’est-à-dire sa capacité à produire des effets sur la descendance.
C’est dans ce cadre que s’inscrit l’examen, par le Sénat, de la proposition de loi adoptée, il y a un an, par l’Assemblée nationale à la quasi-unanimité.
Après un riche débat, notre commission a approuvé la démarche progressive et ciblée de ce texte et je résumerai ainsi notre approche, qui s’inscrit en cohérence avec celle de l’Assemblée nationale.
Premièrement, il s’agit de suspendre, dès le 1er janvier prochain, la commercialisation des conditionnements alimentaires contenant du BPA destinés aux nourrissons et aux enfants jusqu’à l’âge de trois ans.
Deuxièmement, il convient d’étiqueter les conditionnements alimentaires comportant du BPA pour les déconseiller aux femmes enceintes et aux enfants de moins de trois ans. Notre commission a étendu cet avertissement sanitaire aux femmes allaitantes.
Troisièmement, il faudra, à terme, suspendre l’ensemble des conditionnements alimentaires comportant du BPA.
Sur ma proposition, la commission a ajouté une disposition afin d’habiliter les agents de la répression des fraudes à contrôler les produits et à constater les éventuelles infractions.
En commission, la fixation de la date appropriée pour cesser d’utiliser le BPA dans les conditionnements alimentaires a fait l’objet d’un débat qui se poursuivra naturellement en séance publique.
Avant de présenter mes propres arguments, je souhaiterais d’abord me réjouir du fait que, en débattant sur ce point de chronologie, nous acceptions ensemble le principe même de la fin programmée de l’utilisation du BPA dans les conditionnements alimentaires. Ce premier acquis essentiel n’était pas nécessairement évident au départ. Il faut, à mon sens, le souligner, car il constitue le message principal de cette proposition de loi, message à destination non seulement des consommateurs, mais aussi de l’ensemble de l’opinion européenne et internationale.
Nos collègues de l’Assemblée nationale avaient prévu un délai de deux années entre l’adoption présumée de la loi et l’entrée en vigueur de la mesure générale d’interdiction. J’ai proposé à la commission de conserver ce délai pour permettre aux chercheurs et aux industriels de s’adapter au bouleversement que constitue la fin du BPA dans le cadre d’un usage alimentaire. Ce composé est en effet largement employé dans ce secteur et nous ne devons pas faire d’erreur : il ne s’agirait pas de l’interdire pour le remplacer par un substitut mal adapté et trop vite expertisé.
Dans tous les débats actuels sur la qualité des expertises – je pense par exemple à celui sur les OGM –, nous constatons la nécessité de mener des analyses sur une période suffisamment longue d’exposition. Pour autant, les « signaux d’alerte » mentionnés par l’INSERM et par l’ANSES, dont j’ai largement fait mention dans mon rapport écrit, nous pressent ; ils sont trop précis et trop nombreux pour que nous affaiblissions notre message en reculant encore le terme de la substitution.
N’oublions pas que cette mesure se conjugue, d’une part, avec la suspension quasi immédiate du BPA dans les conditionnements alimentaires à destination des nourrissons et des enfants en bas âge et, d’autre part, avec la création d’un avertissement sanitaire. En outre, les industriels ont largement anticipé cette décision, notamment pour des raisons d’image de marque auprès des consommateurs, et ont entamé d’importantes recherches depuis plusieurs années.
Depuis une semaine, j’ai lu et entendu de nombreux commentaires sur la décision de la commission des affaires sociales de conserver ce délai de deux ans. Je souhaiterais simplement indiquer que, ce faisant, la France sera le premier pays au monde à adopter une mesure aussi générale. C’est pourquoi l’échéance du 1er janvier 2015 me semble représenter un équilibre à la fois raisonnable et volontariste.
M. François Patriat. Pas du tout !
Mme Patricia Schillinger, rapporteur. Madame la ministre, je souhaiterais vous interroger plus précisément au sujet de l’avertissement sanitaire prévu dans le texte. Pouvez-vous nous fournir des indications sur le calendrier d’adoption du décret d’application et sur le format de l’étiquetage ? Envisagez-vous plutôt une phrase d’alerte ou un pictogramme, à l’image de celui qui déconseille l’alcool aux femmes enceintes ? Dans les deux cas, le message doit être clair, précis et lisible.
Par ailleurs, on peut légitimement penser que la Commission européenne et certains États membres ne resteront pas inertes face à la position française. D’autres pays y seront au contraire sensibles : par exemple, le Danemark, la Suède et la Belgique ont déjà pris des mesures d’interdiction en faveur des nourrissons et des enfants en bas âge.
Selon moi, les dispositions que nous allons adopter entrent pleinement dans les mesures de sauvegarde qu’un État peut prendre selon les textes communautaires eux-mêmes. Il s’agit cependant d’en convaincre nos partenaires et il serait intéressant de les mobiliser et de les sensibiliser à cette question, notamment les députés européens.
Monsieur le président, mes chers collègues, nous allons aujourd’hui, je l’espère, approuver le retrait progressif des conditionnements alimentaires comportant du bisphénol A. Pour autant, nous devons également nous préoccuper des autres perturbateurs endocriniens et des usages autres qu’alimentaires. Nous en débattrons à l’occasion de la discussion des amendements, mais je souhaiterais insister sur le nécessaire effort de recherche ; lors de la Conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012, le Premier ministre en a fait une priorité du point de vue de la santé environnementale et je m’en réjouis. Il importe d’avancer rapidement et de manière coordonnée au niveau international sur ces questions.
M. Jean Desessard. Très bien !
Mme Patricia Schillinger, rapporteur. En conclusion, je souhaite reprendre à mon compte une phrase de la préface de l’expertise collective de l’INSERM, publiée en 2011, sur la reproduction et l’environnement : « Même si la complexité scientifique, le degré d’incertitude ou l’ignorance ne permettent pas de comprendre tous les mécanismes d’action, il ne faut pas attendre la preuve de la causalité et la compréhension de ces mécanismes pour protéger la santé des populations. »
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est dans cet esprit que j’ai abordé l’examen de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui. J’espère que nous pourrons tous nous retrouver sur l’application du principe de précaution qu’elle prévoit. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2010, alors que la Haute Assemblée examinait une proposition de loi déposée par le groupe RDSE sur le bisphénol A, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC avaient déjà proposé d’envisager son interdiction totale. La majorité de l’époque s’était montrée plus frileuse et avait préféré le principe d’une suspension de la commercialisation de produits contenant du bisphénol A, et ce pour les seuls biberons.
Rien d’étonnant donc que nous votions aujourd’hui en faveur de la présente proposition de loi, qui conduira, dès 2015, à l’interdiction totale de l’utilisation du bisphénol A dans la fabrication, la commercialisation et l’exportation de l’ensemble des contenants alimentaires.
Je suis persuadée que l’adoption de ce texte sera déterminante dans l’évolution de la législation européenne. Tel avait déjà été le cas en 2010, quand, après l’adoption de la loi n° 2010–729 du 30 juin 2010, qui a suspendu l’utilisation du bisphénol A dans les biberons, l’Union européenne a procédé à la même mesure d’interdiction pour les biberons à destination des enfants de moins de douze mois.
Je dois d’ailleurs avouer avoir été quelque peu surprise d’entendre, en commission, des sénatrices et sénateurs de l’opposition s’étonner que cette proposition de loi interdise à la fois la fabrication, l’importation et l’exportation de produits contenant du bisphénol A, alors que d’autres pays ne suivent pas cette voie.
Qu’aurait-il fallu faire ? Instaurer en France une législation protectrice pour nos concitoyens et accepter que les entreprises continuent à exposer d’autres personnes à un risque sanitaire contre lequel nous voulons prémunir la population ?
Devrions-nous continuer à faire primer l’exportation française face à des dangers sanitaires potentiels par ailleurs de plus en plus corroborés par les experts scientifiques ?
Ce discours, qui veut faire du libre commerce une valeur fondamentale de notre société, conduit, et nous a déjà conduits, à des catastrophes écologiques et sanitaires. Il n’est pas sans me rappeler les dispositions contenues dans l’Accord multilatéral sur l’investissement. Celui-ci avait pour vocation de permettre aux investisseurs internationaux d’attaquer en justice les pays qui, en élaborant des règlements trop stricts d’un point de vue social ou environnemental, feraient obstacle à la libéralisation du marché ou à l’investissement. Bien que de nature différente, l’observation de certains de nos collègues de l’UMP s’inspire d’une même logique, celle qui donne la primauté à l’économie sur l’humain et l’environnement. Nous ne pouvons naturellement pas y souscrire.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prend, d’ailleurs, le contre-pied de cette posture, comme l’a fait, il y a un an, l’Assemblée nationale, à la quasi-unanimité.
Nous avons donc une responsabilité particulière et nous devons nous positionner non pas en tant que scientifiques – ce que nous ne sommes pas –, mais en tant que législateurs.
Certains voudraient – nous avons, au demeurant, reçu beaucoup de courriers en ce sens – que nous n’adoptions pas ce texte, au motif que nous ne disposerions pas aujourd’hui de la certitude du caractère pathogène et dangereux du bisphénol A.
Force est de constater qu’aujourd’hui encore il n’y a, en la matière, aucun consensus scientifique. Certes, des études récentes, je pense notamment à celle qui a été rendue publique le 27 septembre dernier par l’ANSES, recensent de nombreux effets avérés chez les animaux : l’augmentation de la survenue de kystes ovariens, l’altération de la production spermatique, l’accélération de la maturation architecturale de la glande mammaire, pour ne citer que ces quelques exemples.
Et l’Agence de conclure « qu’il existe aujourd’hui des éléments scientifiques suffisants pour identifier comme objectif prioritaire la prévention des expositions des populations les plus sensibles que sont les nourrissons, les jeunes enfants ainsi que les femmes enceintes et allaitantes ». Or, cette étude est contestée. Il y a donc des scientifiques qui soulignent des risques avérés ou potentiels, quand d’autres considèrent, au contraire, que rien n’atteste de la dangerosité du bisphénol.
Face à cette situation, nous devons, en tant que parlementaires, nous extraire de ce débat scientifique qui peut durer encore longtemps. Pour mémoire, et sans vouloir faire de parallèle entre les deux sujets, je rappelle que le Canada, pays exportateur d’amiante, continue à nier, étude scientifique à l’appui, les dangers de l’amiante.