Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !
Mme Laurence Cohen. Nous avons la chance de pouvoir disposer d’un outil à la fois majeur et incontournable : le principe de précaution, qui revêt, depuis 2005, une valeur constitutionnelle, avec l’inscription de la Charte de l’environnement dans notre bloc de constitutionnalité.
En vertu de ce principe, les autorités publiques doivent agir, même si la réalisation du dommage est incertaine, y compris « en l’état des connaissances scientifiques ». Nous avons aujourd’hui l’opportunité de donner une portée réelle à ce principe de précaution, en faisant en sorte que, sans doute pour la première fois, le législateur s’en inspire avant même d’être confronté à une crise sanitaire.
Certains considèrent que, ce faisant, nous grossirions le risque. Je ne le crois pas et je suis persuadée qu’il s’agit, en réalité, d’éviter qu’un risque ne se réalise. Il faut nous placer en situation non pas d’observateurs du risque, mais d’acteurs actifs anticipant le risque. Ne perdons jamais de vue le temps « perdu » concernant l’amiante et n’oublions pas combien les conséquences ont été, et sont toujours, dramatiques !
À l’image de la théorie développée par le philosophe Hans Jonas dans son ouvrage « Le principe de responsabilité », il nous faut anticiper les risques et les conséquences des décisions prises et des actions menées sur les futures générations et, au-delà, sur les possibilités de réparation ou de dédommagement.
Il s’agit donc de rompre avec la logique du passé, « dans le doute abstiens-toi », pour faire du doute une raison d’agir. C’est ce qui nous motive au groupe CRC. Et c’est la raison pour laquelle nous voterons cette loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous le savez, la question du bisphénol A est un combat qui me tient à cœur. En effet, en tant que secrétaire d’État à l’écologie, j’avais eu, à l’époque, à m’opposer à la Direction générale de la santé, qui m’affirmait qu’il n’y avait aucun sujet sur le bisphénol A. Et c’est bien le prédécesseur de l’ANSES qui, par ses avis, avait permis de faire bouger les choses. Aujourd’hui, le dernier avis de l’ANSES nous le montre de nouveau, on ne peut plus se cacher derrière cette logique ou cet argument de l’ignorance.
Nous avons le devoir de nous poser de bonnes questions. Nous avons le devoir de reconnaître que si l’espérance de vie augmente globalement dans notre pays, l’espérance de vie sans handicap, elle, croît beaucoup moins vite.
Au sein de la commission des affaires sociales, nous constatons régulièrement que de grandes maladies ou épidémies de ce siècle – cancers, obésité, diabète, maladies neurodégénératives – ne s’expliquent pas par l’analyse sanitaire dite « classique ».
Or cette proposition de loi sur le bisphénol A est probablement l’occasion d’inscrire dans la loi des principes sanitaires nouveaux.
En réalité, le bisphénol A est un cas type qui n’est pas très compliqué et qui relève non du principe de précaution, mais du principe de prévention. Nous disposons, à ce sujet, de nombreuses études concordantes.
Nous savons que le bisphénol A est un œstrogène de synthèse. Pas étonnant qu’il ait des effets de perturbateur endocrinien. Nous savons que les fœtus et les bébés sont particulièrement vulnérables. Nous savons que 90 % de la population est touchée. En d’autres termes, l’aveuglement n’est pas de mise.
Aujourd’hui, les connaissances nous obligent à agir. Compte tenu des avis des experts, qu’ils soient de l’ANSES, de la Food and Drug Administration, la FDA, ou qu’ils se prononcent au nom d’autres organismes non publics, tous les avis convergent pour dire que la priorité absolue – je voudrais insister sur ce point – porte sur le fœtus, donc, la femme enceinte et allaitante, et les enfants.
Je le sais, les bébés passionnent généralement assez peu la gente masculine… (Protestations sur diverses travées.) Aussi, je voudrais ajouter, à votre attention, messieurs, qui êtes relativement nombreux aujourd’hui – c’est une chance ! – ces quelques mots de l’étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM : « On ne peut pas considérer que le BPA aux doses auxquelles la population générale est exposée soit sans danger pour le versant masculin de la reproduction. »
Messieurs, vous conviendrez donc que nous avons le devoir politique d’inscrire dans la loi le principe de non- exposition au bisphénol A du fœtus et des jeunes enfants. J’ai déposé un amendement pour inscrire dans la loi ce principe de santé publique. Je ne doute pas que vous le voterez. C’est, en effet, un principe simple, un principe général que le législateur pose à l’exécutif.
Le texte me semble également trop restrictif sur le champ des produits concernés.
Vous le savez, le lait maternel, par exemple, est largement autant contaminé que le lait auparavant contenu dans des biberons au bisphénol A. Plus encore, les études préparatoires sur la cohorte Elfe ont souligné l’importante présence de bisphénol A chez les mères et, donc, chez les bébés lors des accouchements médicalisés.
Tous les produits au contact des femmes enceintes ou allaitantes et des bébés doivent, par conséquent, exclure la présence de bisphénol A et même, plus globalement, de perturbateurs endocriniens. C’était, d’ailleurs, l’une des conclusions de notre mission d’information sur les dispositifs médicaux implantables, mission dont les conclusions ont été, je vous le rappelle, adoptées à l’unanimité, y compris par la commission des affaires sociales.
Je vous proposerai donc deux amendements en ce sens. Un premier amendement, relativement large, visant à exclure la présence de toute présence de perturbateurs endocriniens dans tous les dispositifs médicaux à destination des nourrissons, des prématurés, tout particulièrement. Un amendement de repli, qui se limitera au bisphénol A. J’ajoute que j’ai prévu un certain délai pour que cette disposition puisse entrer en vigueur.
Ce sont des amendements, je l’espère, consensuels. Madame la ministre, j’ai bien écouté votre intervention liminaire. Vous avez affirmé que, pour les bébés, nous devons appliquer de la manière la plus stricte le principe de précaution – je préfère, pour ma part, parler de principe de prévention. En l’occurrence, ce principe, nous avons l’occasion de l’appliquer.
En revanche, s’agissant du calendrier, il y a eu de multiples débats au sein de la commission. Certains ont agité le spectre des lobbies contre l’interdiction du bisphénol A, lobbies qui auraient obtenu le report d’un an de l’interdiction dans tous les contenants alimentaires. Il s’agit, en réalité, d’un faux débat. Il est logique d’avoir des garanties sur l’innocuité des produits de substitution, d’autant qu’en l’occurrence nous parlons d’impact à long terme de faibles doses de polluants.
Sur ce point, la proposition de loi telle qu’elle ressort des travaux de la commission me semble relativement équilibrée. Nous avons, d’ailleurs, déposé un amendement pour que, d’ici à janvier 2015, on apporte bien la preuve de l’innocuité des produits de substitution.
Je le répète, parce que je trouve qu’on se trompe parfois de débat, je trouverais injustifiable que nous soyons plus restrictifs pour les adultes que pour les enfants. Je suis, du reste, assez surprise d’avoir entendu, y compris en commission, que le problème économique n’est pas un sujet pour l’ensemble des contenants alimentaires mais que, en revanche, il pourrait y avoir un problème économique pour les dispositifs médicaux à destination des enfants, problème qui justifierait que cette disposition ne soit pas adoptée.
Mes chers collègues, nous avons aujourd’hui l’occasion de poser les bases d’une nouvelle politique sanitaire. Elle reposerait sur une nouvelle approche sanitaire, légèrement en rupture avec la toxicologie classique selon laquelle « seule la dose fait le poison », ce qui est le principe de la dose journalière acceptable.
Les expertises sur le BPA et sur les perturbateurs endocriniens – je vous renvoie au rapport de M. Barbier – montrent très clairement l’insuffisance de cette approche, qui ignore les effets à long terme, les effets fenêtre ou encore les effets cocktail des polluants.
Nous avons, avec cette loi, la possibilité de montrer que les grandes épidémies et les grandes maladies seront plus facilement prévenues que traitées.
Si j’avais plus de temps, je vous renverrais à la nécessité de pratiquer un exercice physique quotidien et de respecter un bon équilibre alimentaire, deux règles simples qui, conjuguées avec la réduction des expositions, sont la meilleure garantie pour une longue et bonne santé.
Malheureusement, ces dispositifs de santé publique, cette logique de prévention, cela fait des années qu’on en parle, dès les bancs de l’école ! Et cela fait des années qu’on avance très peu sur ce sujet ! C’est le parent pauvre de la plupart des débats écologiques, des débats sanitaires, y compris à la conférence environnementale. Au cours de cette dernière, la seule décision prise sur la santé environnementale a été de reprendre cette proposition de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sous l’apparence d’un texte parfois très technique, qui, manifestement, ne concerne pas tout le monde, nous avons la possibilité d’inscrire dans la loi des principes nouveaux de santé publique et de donner corps à quelques principes de base de santé environnementale. C’est la raison pour laquelle j’ai voté le texte de la commission. Mais je souhaite vivement qu’on puisse l’enrichir. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, utilisé depuis de nombreuses années, plus de cinquante ans, dans la fabrication des polycarbonates et des résines époxy, le bisphénol A est un perturbateur endocrinien avéré dans les expérimentations animales et très certainement aussi nocif chez l’homme, même si les études épidémiologiques sont encore balbutiantes.
C’est la raison pour laquelle, en 2010, plusieurs sénateurs du groupe RDSE avaient alerté le gouvernement de l’époque en déposant, au nom du principe de précaution, une proposition de loi visant à l’interdire dans les plastiques alimentaires, principale voie de contamination.
Il est vrai qu’à ce moment-là les différentes agences sanitaires estimaient que le bisphénol A n’était pas forcément dangereux pour l’homme et que les preuves étaient insuffisantes pour justifier une interdiction. Aussi, le Sénat avait préféré en limiter la portée. Nous avions donc choisi de suspendre uniquement la commercialisation des biberons produits à base de bisphénol A. Il s’agissait, malgré tout, d’une première étape très importante.
À la suite de l’examen de cette proposition de loi, notre commission des affaires sociales avait souhaité être éclairée sur les mesures législatives qu’il convenait éventuellement d’adopter sur la question des perturbateurs endocriniens et de la santé. Elle avait donc décidé de saisir l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. J’ai eu l’honneur d’être le rapporteur de la mission qui fut alors constituée.
Au cours des nombreuses auditions que j’ai pu mener, il m’est apparu que les dangers et les risques, pour l’environnement et la santé humaine, des perturbateurs endocriniens classés substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, CMR, étaient suffisamment nombreux et précis pour inciter à l’action. Aussi, j’avais alors notamment préconisé une démarche de prévention, en particulier par l’étiquetage de produits et l’interdiction des perturbateurs endocriniens dans les produits destinés aux femmes enceintes et aux jeunes enfants, cibles particulièrement vulnérables.
Plusieurs études ont confirmé le danger du bisphénol A. Je pense notamment à l’expertise collective de l’INSERM datant d’avril 2011 et concernant cinq grandes familles de substances chimiques, dans laquelle l’Institut s’inquiétait des effets reprotoxiques du BPA.
Je pense également aux deux rapports de l’ANSES datant de septembre 2011, qui ont permis de mettre en évidence « des effets sanitaires avérés chez l’animal et suspectés chez l’homme », et ce même à de faibles niveaux d’exposition. En effet, contrairement à l’approche toxicologique classique fondée sur la relation dose-effet, des doses très faibles, bien en dessous de la dose journalière admissible, la DJA, sont susceptibles d’avoir plus d’impacts que des doses élevées.
L’ANSES a donc recommandé la réduction des expositions au bisphénol A, notamment par sa substitution dans les matériaux au contact des denrées alimentaires, lesquels constituent la source principale d’exposition.
Aussi, je me réjouis que le Sénat ait inscrit cette proposition de loi à son ordre du jour, un an après son examen par l’Assemblée nationale. Pour autant, je refuse que ce texte ne soit qu’un effet d’annonce. Nous devons être réalistes, pragmatiques, voter des lois applicables. En l’occurrence, nous devons laisser le temps aux industriels de s’adapter, de trouver des substituts dont l’innocuité ne fera aucun doute. Ils y travaillent depuis quelques années déjà, mais les produits de remplacement ne sont toujours pas scientifiquement validés.
Soyons exigeants, mais aussi patients, d’autant que, très récemment, des chercheurs de l’lNSERM et du CNRS à Montpellier ont analysé les interactions existantes entre le BPA et les récepteurs des œstrogènes. Ces travaux pourraient permettre de créer de nouveaux composés avec les mêmes propriétés que le BPA, mais non toxiques.
La santé de nos concitoyens nous impose de ne pas légiférer dans la précipitation. C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement reportant l’interdiction au 1er juillet 2015.
Par ailleurs, et j’insiste sur ce point, notre action, pour être efficace, doit s’inscrire dans une perspective plus large, au niveau européen, ce qui n’est pas sans soulever quelques difficultés. Si l’on peut se réjouir que l’ANSES propose, dans le cadre du règlement REACH, de classer plus sévèrement le bisphénol A en tant que « toxique pour la reproduction », et que le Parlement européen s’apprête à voter en février prochain un rapport sur la « protection de la santé publique contre les perturbateurs endocriniens », on ne peut que s’inquiéter de la récente « passe d’armes » au sein des autorités européennes. Alors que la direction générale de l’environnement travaille déjà sur ce sujet, la direction générale de la santé et des consommateurs vient de confier le développement de la définition des perturbateurs endocriniens à l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, qui continue de nier la véracité des données scientifiques.
Madame la ministre, nous devons être particulièrement vigilants sur l’évolution de cette question au niveau européen. Je pense que vous pourriez intervenir en ce sens.
Enfin, s’agissant de la mise en place d’un pictogramme d’avertissement, nous avons été plusieurs en commission à dénoncer l’inefficacité de ceux qui figurent sur les bouteilles de produits alcoolisés. Pourquoi ne pas prévoir un message simple et visible, comme c’est déjà le cas pour les biberons et les produits cosmétiques en ce qui concerne la présence de parabènes ?
Aujourd’hui, la preuve de la nocivité du BPA est faite. Certes, je l’ai déjà dit, les travaux épidémiologiques, notamment en France, sont rares. Devons-nous pour autant attendre les résultats d’études plus poussées sur les êtres humains, comme la cohorte ELFE, dont les conclusions ne seront connues que dans vingt ou trente ans ? Je ne le crois pas. Je pense au contraire qu’il est de notre responsabilité de légiférer en fixant des échéances réalistes, dans la concertation avec les professionnels de la filière agroalimentaire. C’est un devoir pour tous envers nos concitoyens et les générations futures.
Selon moi, la question ne doit pas se limiter au seul BPA. Il faudra bien rapidement élargir le débat à tous les perturbateurs endocriniens avérés, dans le contexte général des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques.
M. Jean Desessard. Eh oui !
M. Gilbert Barbier. C’est le cas des phtalates, des parabènes, des retardateurs de flamme, dont la reprotoxicité est aussi largement avérée. En conséquence, dans l’immédiat, il me paraît urgent de contrôler plus étroitement les dispositifs médicaux, notamment dans le secteur de l’obstétrique et de la pédiatrie. C’est dans cet esprit que j’ai déposé un amendement sur les phtalates utilisés dans le matériel d’alimentation parentéral, phtalates déjà interdits pour les jouets et matériaux au contact des jeunes enfants. En agissant en ce sens, nous renforcerons la protection de nos concitoyens, notamment les femmes enceintes et les plus jeunes enfants, ce qui, selon moi, est la priorité. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le bisphénol A est à l’heure actuelle l’un des produits chimiques les plus produits au monde : plus de 3,8 millions de tonnes par an, pour un marché mondial de 6 milliards de dollars.
Parmi d’autres, le travail méticuleux entrepris par le Réseau Environnement Santé recense toutes les études sortant sur le sujet, soit un peu plus de 700 en tout. Les conclusions de 95 % d’entre elles sont concordantes : le bisphénol A a un effet délétère sur nos organismes, et ce à plusieurs niveaux.
Aujourd’hui, nous savons que le bisphénol A est un perturbateur endocrinien, qu’il est cancérigène et neurotoxique.
Des centaines d’études menées sur cette substance il ressort que le BPA a des effets sur nos organismes à différentes périodes de notre vie, comprenant notamment des changements comportementaux, une altération de la croissance, un avancement de la maturation sexuelle secondaire, des altérations du système nerveux, une prédisposition à l’obésité, des effets profonds sur le métabolisme du glucose pouvant favoriser le développement de diabète, des effets reproductifs tels qu’une baisse de la qualité du sperme et des lésions de l’ADN du sperme, une augmentation du risque de cancer et des effets neurotoxiques.
Surtout, ces effets sont héréditaires et transgénérationnels, même à des niveaux d’exposition très faibles, comparables aux concentrations de BPA retrouvées dans la plus grande part de la population humaine occidentale.
Certains de mes collègues ont comparé l’ampleur du désastre au scandale de l’amiante : les conséquences potentielles sont en fait même pires, si je puis dire, puisqu’il ne suffira pas d’interdire le bisphénol A et de l’éliminer physiquement de notre environnement pour que ses effets sur les populations disparaissent. Il faudra aussi attendre. Et attendre suffisamment pour que passent plusieurs générations.
Si l’on se concentre sur la période allant d’octobre 2011 à septembre 2012, on recense 143 études sur le bisphénol A et ses effets chez l’homme et/ou chez l’animal. Sur ces 143 études, seules 9 n’ont pas montré d’effet, dont 3 chez l’animal et 6 chez l’homme.
J’entends encore certains de mes collègues ou lobbies particulièrement mobilisés sur la question remettre en cause la fiabilité des études. J’en profite donc pour me permettre une petite parenthèse et appeler à un changement de paradigme concernant l’évaluation des risques et la santé publique.
La controverse scientifique autour du BPA telle que nous l’avons évoquée met d’abord en évidence des divergences de premier ordre sur les méthodes scientifiques d’évaluation dans le domaine sanitaire.
Lors de leur évaluation de la littérature scientifique sur le bisphénol A, les agences sanitaires, au nom des « bonnes pratiques de laboratoire », ne prennent souvent en compte que les études financées par l’industrie, excluant des centaines d’études indépendantes ne répondant pas à ces critères, bien qu’elles permettent parfois d’observer bien plus finement la réalité.
Par ailleurs, comme l’a souligné l’orateur précédent, les études montrant les effets à faibles doses du BPA, en écho à celles qui portent sur d’autres perturbateurs endocriniens, ont bouleversé le principe selon lequel « la dose fait le poison », certaines trouvant davantage d’effets pour les expositions à faibles doses que pour celles à fortes doses. Elles suggèrent que la période d’exposition est aussi à prendre en compte. De la controverse scientifique sur l’innocuité du BPA découle donc l’injonction à changer de paradigme d’évaluation des risques sanitaires.
Pour en revenir à la présente proposition de loi, le groupe écologiste, qui appelle de ses vœux une telle décision depuis des années, se réjouit, bien entendu, de l’arrivée du présent texte.
Le fait que les parlementaires aient aujourd’hui à se prononcer sur une telle décision souligne cependant les lacunes des systèmes français de sécurité sanitaire ; nous aurons l’occasion d’en reparler lundi après-midi lors de l’examen du texte de ma collègue Marie-Christine Blandin sur l’indépendance de l’expertise et la protection des lanceurs d’alerte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Quoi qu’il en soit, nous voterons, bien sûr, pour cette proposition de loi, et saluons l’initiative ainsi que le travail de notre collègue député Gérard Bapt et la qualité du rapport de Patricia Schillinger.
Toutefois, cela ne nous empêche pas de formuler quelques remarques, en plus des amendements relatifs aux matériels médicaux et aux perturbateurs endocriniens en général que je défendrai tout à l’heure.
À ceux de mes collègues qui s’inquiètent de l’échéance trop brève que constituerait le 1er janvier 2015 pour l’entrée en application de l’interdiction du bisphénol A, je souhaite répondre que la proposition de la rapporteur Patricia Schillinger de reculer d’un an la date contenue dans la proposition de loi issue des travaux de l’Assemblée nationale est selon nous, écologistes, une décision extrêmement coûteuse, qui prend d’ores et déjà en compte les difficultés du tissu industriel, en particulier les PME, à s’adapter au changement de norme, surtout en période de crise. Compte tenu des enjeux énormes en termes de santé publique que je vous ai décrits précédemment, sachez qu’il s’agit pour nous du maximum acceptable, et qu’il est hors de question que nous cédions un jour de plus.
Il existe de nombreuses alternatives fiables au BPA dans le plastique polycarbonate, tout comme au revêtement époxy des emballages métalliques, boîtes de conserve, canettes, etc. Il ne faut pas oublier non plus les autres options d’emballage, par exemple les briques cartonnées et les conditionnements sous verre.
À l’approche de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, ma dernière remarque sera d’ordre financier.
Madame la ministre, à la page 19 du dossier explicatif qui accompagne ce texte est mentionnée la volonté de faire face à la montée des pathologies chroniques « liées au vieillissement de notre société ».
Vous n’êtes pas sans savoir que les perturbateurs endocriniens, et le bisphénol A en particulier, ont également une lourde part de responsabilité dans cette épidémie de maladies chroniques, qui est l’une des principales causes de l’inflation de nos dépenses d’assurance maladie. Le diabète, par exemple, dont j’ai expliqué précédemment qu’il était favorisé par le bisphénol A, coûte près de 15 milliards d’euros par an à l’assurance maladie. Ce chiffre doit être mis en perspective avec les 13,9 milliards d’euros de déficit de la sécurité sociale prévus pour 2012.
Nous espérons, madame la ministre, mes chers collègues, que nos propositions saurons retenir votre attention, et que les délais de deuxième lecture et de publication des décrets de la présente proposition de loi tiendront compte de la gravité des enjeux et de l’urgence à agir. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Dériot. (Mme Chantal Jouanno applaudit.)
M. Gérard Dériot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la fin du mois de janvier 2010, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’AFSSA, rendait un avis mitigé sur les effets toxiques du bisphénol A. Le 23 juin 2010, l’Assemblée nationale adoptait conforme la proposition de loi de notre collègue Yvon Collin, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur.
Ce n’est donc pas l’Assemblée nationale, madame la ministre, mais bien le Sénat qui, le premier, a voté la suspension de la fabrication et de la commercialisation de biberons contenant du bisphénol A ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Gérard Dériot. Je rappelle ce fait non pas dans un esprit de compétition entre l’Assemblée nationale et le Sénat, mais afin de rétablir la vérité. Le vote de ce texte fut d’ailleurs un motif de satisfaction pour l’ensemble de nos collègues sénateurs.
Ce faisant, la France devenait l’un des deux seuls pays européens, avec le Danemark, à mettre en place cette interdiction.
Deux facteurs de risque identifiés par des études scientifiques nous avaient conduits à cette décision.
Premier facteur de risque, dont personne n’a reparlé ici mais qui est pourtant primordial, c’est le chauffage relativement intense des récipients contenant du bisphénol A qui libère ce composé, lequel vient alors éventuellement contaminer les produits alimentaires ou le lait pour enfant qui se trouvent dans ces récipients. C’est cela le problème majeur.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Gérard Dériot. Ce n’est pas, si je puis dire, parce que vous traversez un nuage de bisphénol que vous serez nécessairement contaminé, mais il est indispensable d’être vigilants. C’est bien ce qu’a souhaité le Sénat en 2010 et c’est aussi la raison pour laquelle j’avais insisté sur le fait que, trop souvent, les biberons chauffés au micro-ondes sont portés à des températures trop élevées puis donnés aux nourrissons, après refroidissement évidemment – on ne fait pas boire à un bébé un liquide presque à ébullition –, alors que le bisphénol A a donc été libéré et a contaminé l’aliment.
Or, – et c’est le deuxième facteur de risque – les nourrissons sont, avec les embryons, les plus sensibles à ce perturbateur endocrinien puisque leur système hormonal est encore immature.
Même si tous les doutes scientifiques n’étaient pas totalement levés, les suspicions étaient suffisamment fortes pour que l’Union européenne décide à son tour, au 1er juin 2011, l’interdiction de la commercialisation et de l’importation des biberons contenant du bisphénol A.
Je souhaite insister sur le fait que le bisphénol A est un perturbateur endocrinien, parmi, hélas ! beaucoup d’autres, dont un grand nombre ont, comme le rapport de notre collègue Gilbert Barbier l’a montré, des effets néfastes pour la santé.
On l’a dit, le BPA est utilisé, depuis plus de quarante ans, pour la fabrication industrielle de plastiques comme le polycarbonate. Il sert également à fabriquer des résines employées comme antioxydant dans les plastifiants et le PVC. Nous le retrouvons donc dans de nombreux objets quotidiennement utilisés.
Le polycarbonate, type de plastique rigide et transparent, est largement utilisé dans des objets au contact des aliments et des liquides.
Les résines époxydes, quant à elles, font l’objet de plusieurs types d’emploi. Elles sont utilisées en tant que revêtement de surfaces, notamment dans les canettes et les boîtes de conserve, ainsi que dans certaines canalisations d’eau, les conteneurs d’eau potable et les cuves à vin. Elles assurent également l’étanchéité de récipients en verre afin de garantir la salubrité de l’aliment.
À l’époque de l’interdiction des biberons fabriqués à partir de BPA, le débat sur l’élargissement de cette interdiction avait été ouvert. Aujourd’hui, nous passons à une autre étape avec la proposition de loi qui nous vient de l’Assemblée nationale et prévoit quatre mesures distinctes.
Ce texte a pour objet l’interdiction de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la commercialisation de tout conditionnement comportant du bisphénol A destiné à recevoir des produits alimentaires à compter du 1er janvier 2014.
Cette suspension prendrait effet à compter du 1er janvier 2013 pour les conditionnements destinés aux enfants de moins de trois ans.
Les conditionnements contenant du bisphénol A destinés à contenir des produits alimentaires devront comporter un avertissement sanitaire déconseillant leur usage aux femmes enceintes, aux femmes allaitantes et aux enfants de moins de trois ans dès la promulgation de la loi.
Un rapport d’étape devrait être élaboré par l’ANSES sur les substituts au BPA, leur innocuité et leur adaptation pour l’utilisation dans la fabrication des plastiques et résines à usage alimentaire, rapport qui serait communiqué par le Gouvernement au Parlement au plus tard le 31 octobre 2012.
La commission des affaires sociales, sur proposition de son rapporteur, Mme Patricia Schillinger, a décidé de repousser la date d’entrée en vigueur de l’interdiction du BPA dans les contenants alimentaires et de la porter au 1er janvier 2015.
Le problème de santé publique ayant été réglé pour l’essentiel par la suppression des biberons contenant du bisphénol, porteurs du plus gros risque, puisque, je le répète, généralement chauffés et s’adressant aux plus sensibles au bisphénol, il nous semble que ce délai est insuffisant pour permettre à la filière des emballages plastiques, à celle des emballages métalliques et, plus généralement, à tout le secteur de l’agroalimentaire – secteurs cruciaux – de s’adapter à ces nouvelles normes.
Je peux d’ores et déjà vous indiquer que la dangerosité des substituts au BPA est une préoccupation majeure pour notre groupe. L’ANSES a publié une note en juin 2012 présentant plusieurs de ces substituts. Pour aucun d’eux, nous n’avons eu la certitude de disposer de toutes les études permettant de s’assurer de leur innocuité totale.
Pour les résines, des substituts ont été identifiés. Les plus anciens et les plus connus sont le polyester, le vinyle, le polyacrylate ou encore l’acrylique. Comme vous le savez, à ce stade, aucune étude ne permet de garantir l’innocuité de ces matériaux au contact des aliments.
Or le problème est double : sans produit protecteur qui puisse être mis à l’intérieur des récipients destinés à des produits alimentaires, ces récipients risquent de se détériorer du fait, en particulier, de l’acidité de leur contenu et donc de devenir plus dangereux que le bisphénol lui-même, en causant, par exemple, des attaques directes de la muqueuse stomacale ou en n’empêchant pas les contaminations extérieures. Le bisphénol servait aussi, en effet, à éviter le contact avec l’extérieur.