Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas surréaliste ! Ce sont de véritables questions !
Mme Corinne Bouchoux. Cette mesure n’a profité qu’à ceux qui ont déjà un emploi. Je vous demande, mes chers collègues, d’avoir une pensée pour ceux qui ne travaillent pas…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Dans une République normale, on n’oppose pas les personnes les unes aux autres !
Mme Corinne Bouchoux. … et pour qui ce débat est complètement ésotérique.
Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste votera contre les amendements de suppression et soutiendra la position du Gouvernement, même si nos arguments sont parfois quelque peu différents. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Béchu, pour explication de vote.
M. Christophe Béchu. Je n’avais pas prévu d’intervenir dans le débat, mais les propos de notre collègue Alain Néri m’ont donné envie de joindre ma voix au concert des déclarations.
J’ai apprécié l’intervention de notre collègue Corinne Bouchoux, qui a le mérite de la sincérité, et je ne le dis pas parce qu’elle est élue d’un territoire qui gagne à être connu, le Maine-et-Loire. Au moins, elle assume un positionnement idéologique et ne se réfugie pas derrière des arguments économiques ou de justice. Elle argue du fait qu’il faut sortir de la logique ultra-productiviste et ultra-consumériste, qui conduit à la décroissance, y compris dans le domaine des heures travaillées. Même si l’on n’est pas d’accord avec elle, il y a là une forme de cohérence.
Malgré tout, je lui adresserai un reproche, car qui aime bien châtie bien ! (Sourires.)
Chacun cite l’Allemagne quand cela l’arrange. Il aurait été intéressant, à l’article 1er, de se pencher sur la TVA anti-délocalisation mise en place en Allemagne, car elle peut aussi expliquer en partie les succès que connaît ce pays. Mais je m’aperçois qu’on utilise cet argument pour défendre une éventuelle future diminution du temps de travail.
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
M. Christophe Béchu. Certes, ce n’est pas le sujet qui nous occupe ce soir, mais je profite de l’occasion qui m’est donnée pour l’évoquer dans la mesure où certains de nos collègues ont fait cette incursion.
J’aimerais comprendre une chose. Il y a quelques semaines, vous avez augmenté de 20 euros le pouvoir d’achat des Français en donnant un coup de pouce au SMIC, une mesure qui a été rappelée tout à l'heure par un sénateur socialiste. Vingt euros, ce n’est pas grand-chose, disiez-vous, mais c’est déjà significatif pour ceux qui vont les toucher.
Or, ce soir, vous proposez de supprimer 40 euros mensuels de pouvoir d’achat à un tiers des salariés de ce pays, en soulignant, en substance, que cela ne représente rien et que la perte n’aura pas d’impact.
Un sénateur de l’UMP. Très bien !
M. Christophe Béchu. Je vous demande de faire preuve de cohérence et de courage politique.
Vous avez le droit de défendre cette mesure, qui pénalisera 9 millions de nos concitoyens, en assumant le fait que vous le faites pour des raisons politiques.
Vous avez le droit de nous dire qu’il s’agit d’un engagement du Président de la République et que les promesses électorales sont faites pour être tenues.
Vous avez le droit de nous expliquer que vous n’aimez pas le travail et qu’il n’est pas illogique, dès lors, de faire en sorte que les gens travaillent moins.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Mais non !
M. Yves Daudigny, rapporteur pour avis. Caricature !
M. Christophe Béchu. Vous avez même le droit de nous dire que vous êtes, pour des raisons idéologiques, profondément malthusiens au sens économique du terme.
Mais vous n’avez pas le droit de nous faire le coup de la justice ou du redressement économique qui serait rendu possible par ces mesures.
Mme Annie David. Un travail pour tous !
M. Christophe Béchu. De qui parlons-nous ? Quel est le bénéficiaire moyen de ces mesures dans la fonction publique ? Les agents de catégorie B et C, les infirmières, les sages-femmes, les secrétaires médicales dans la fonction publique hospitalière.
M. Christian Cambon. Bravo !
M. Christophe Béchu. Dans le secteur privé, il s’agit d’un salarié qui gagne en moyenne 1 600 euros mensuels.
M. David Assouline. Vous vous répétez !
M. Christophe Béchu. Telle est la réalité ! Assumez-la ! Vous prenez cette mesure pour des raisons politiques et idéologiques, mais certainement pas au nom de la justice ou de l’économie ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. –M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Ce débat est intéressant. Il y a toujours eu des heures supplémentaires et il y en aura encore, ce qui est parfaitement normal.
Le problème est qu’elles soient défiscalisées dans une période de décroissance, alors que notre pays compte 5 millions de demandeurs d’emploi.
Dans certaines entreprises, des intérimaires, qui espéraient être embauchés, sont parfois congédiés, tandis que des salariés font, dans le même temps, plus d’heures supplémentaires. Il faut penser à l’ensemble de nos concitoyens, à l’intérêt général.
D’ailleurs, si la politique de défiscalisation des heures supplémentaires avait fonctionné, on aurait enregistré une reprise de la consommation et de l’activité. Or elle a produit 450 000 demandeurs d’emplois de plus !
M. Jean-Pierre Raffarin. Mais non ! Regardez les autres pays !
M. Martial Bourquin. Mais si !
En cas de surchauffe, il faut pouvoir effectuer des heures supplémentaires et prévoir, éventuellement, pourquoi pas, une défiscalisation. De même en situation de plein emploi ou en cas de difficulté à honorer les commandes. Mais cela n’est pas possible dans un pays où des dizaines de milliers d’emplois ont été supprimés pendant plusieurs années.
Tout à l'heure, vous avez dit que nous ne connaissons pas le monde de l’entreprise. Au contraire, je le connais personnellement !
Dans une entreprise, les personnes travaillent les unes à côté des autres. Ne croyez-vous pas qu’une personne qui fait des heures supplémentaires ne pense pas à celle qui termine sa mission d’intérim ou qui est licenciée pour motif économique ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.)
Mme Catherine Procaccia. Culpabilisation !
M. Martial Bourquin. Il faut de l’efficacité économique. Or cela passe par une guerre sans merci contre le chômage.
Il n’est tout simplement pas possible qu’un pays comme le nôtre totalise 5 millions de demandeurs d’emploi ! Vous vous êtes habitués à cette situation, mais le Gouvernement et la majorité ont décidé de tout faire pour diminuer le chômage.
M. Jean-Claude Gaudin. On verra !
M. Martial Bourquin. Par ailleurs, il n’y a aucune surprise. Avons-nous caché notre intention de prendre cette mesure ? Non, bien au contraire : le Président de la République avait prévenu lors de la campagne que, s’il était élu, il supprimerait la défiscalisation des heures supplémentaires ; de même, lors des élections législatives, l’ensemble des candidats de la majorité s’étaient prononcés en faveur de cette suppression. Il n’y a donc aucune surprise !
Je comprends que vous soyez attachés à ce qui est l’un des symboles du sarkozysme.
M. Rémy Pointereau. Non, c’est un symbole pour le PS !
M. Martial Bourquin. C’est pour cela que vous vous accrochez autant ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Cette politique a été un échec du point de vue de la production. Le plan social de PSA a été détaillé aujourd'hui ; ne pensez-vous pas, chers collègues, que c’est vous qui avez créé ce genre de situation ? (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Elle est bien bonne !
M. Jean-Claude Gaudin. Vous ne pourrez pas le dire longtemps !
M. Martial Bourquin. N’êtes-vous pas conscients, chers collègues, que l’Allemagne s’en sort mieux que nous alors que son coût du travail dans le domaine manufacturier est 20 % à 30 % supérieur au nôtre ?
M. Jean-Claude Lenoir. L’Allemagne n’a pas les 35 heures !
Un sénateur de l’UMP. L’Allemagne a instauré la TVA sociale !
M. Martial Bourquin. La France n’a pas eu de politique industrielle ces cinq – et même ces dix – dernières années ! Le gouvernement actuel essaie d’en mettre une en place. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. Mais oui… On va voir !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est le redressement contre-productif !
M. Martial Bourquin. Il lui faut des moyens, et la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires lui permettra de conduire des politiques qui doperont la production et la consommation non pas seulement pour quelques Français mais pour l’ensemble de la population. C’est une question d’éthique :…
Un sénateur de l’UMP. Oh !
M. Martial Bourquin. … on ne choisit pas une partie des Français contre les autres !
Il s'agit aussi d’efficacité économique. Les heures supplémentaires doivent servir à répondre à un excès de production et non à licencier, à supprimer des dizaines de milliers d’emplois. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Vous l’avez fait, mais nous ne le ferons pas ! Bien au contraire, nous allons combattre le chômage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Rémy Pointereau. On verra !
M. Jean-Claude Lenoir. Soyez prudents !
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour explication de vote.
Mme Fabienne Keller. À mon tour, je vais essayer d’apporter quelques éléments factuels, en relevant, monsieur le ministre, une imprécision de raisonnement que vous répétez avec ténacité depuis le début de ce débat. Vous soutenez que l’exonération des charges sociales sur les heures supplémentaires ne sert à rien. La preuve, ajoutez-vous, c’est que le chômage a augmenté tandis que le nombre d’heures supplémentaires et le revenu par unité de consommation n’ont pas progressé.
C’est une erreur économique, monsieur le ministre. Ce que nous devons nous demander c’est si, durant le dernier quinquennat, le contexte économique a changé.
M. Jean-Pierre Caffet. Oui, et c’est une raison de plus pour supprimer la défiscalisation des heures supplémentaires !
Mme Fabienne Keller. Nous devons nous demander quelle aurait été la situation en l’absence de dispositifs de soutien du pouvoir d'achat et de l’activité tels que l’exonération des charges sociales sur les heures supplémentaires.
Le chômage a augmenté, faites-vous remarquer. Mais c’est normal, puisque les économies française et, au-delà, européenne ont ralenti au cours des cinq dernières années, tandis que d’autres économies progressaient. À un rythme de 7 % à 9 % de croissance par an, le Brésil, la Chine et d’autres pays émergents ont enregistré cinquante points de croissance sur la période.
M. Alain Néri. Vous pouvez nous rappeler qui était au pouvoir à l’époque ?
Mme Fabienne Keller. Ce sont autant de possibilités d’exporter leurs produits et donc de mettre notre industrie en difficulté.
Le nombre d’heures supplémentaires n’a pas augmenté pendant le quinquennat, soulignez-vous également. Mais c’est plutôt bon signe, car cela prouve que les chefs d’entreprise n’exagèrent pas.
M. Alain Fauconnier. Ah !
Mme Fabienne Keller. Surtout, cela confirme – et ceux qui se sont intéressés à la situation concrète des entreprises l’avaient rapidement détecté – que les heures supplémentaires augmentent quand l’activité des entreprises augmente. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Eh oui, c’est comme ça,…
M. David Assouline. Comment faisaient-ils avant ? Vous avez inventé l’eau chaude !
Mme Fabienne Keller. … vous n’avez qu’à regarder les chiffres sur cinq ans ! J’ai personnellement examiné le cas de plusieurs dizaines d’entreprises, et j’ai constaté cette corrélation positive ; l’économiste nous le confirmera peut-être. Cela signifie que la stagnation du nombre d’heures supplémentaires en dépit de l’aide gouvernementale indique que les entreprises rencontrent davantage de difficultés.
J’ajoute, monsieur le ministre, que je pourrais opposer le même raisonnement à votre argument relatif au revenu par unité de consommation. La stagnation de ce revenu montre seulement que la situation moyenne des entreprises françaises s’est dégradée entre 2007 et 2012 : la crise est passée par là… Le monde a changé, et il continue de changer ; je vous invite à en prendre conscience, chers collègues ! (M. Michel Le Scouarnec s’exclame.)
Je souhaite également évoquer le secteur des transports, dont ont déjà parlé mes collègues Hervé Marseille et Rémy Pointereau. Les charges salariales représentent 40 % du coût du transport. J’habite à Strasbourg ; cette ville a la chance d’être directement exposée à la concurrence allemande, dont les coûts par trajet sont moins élevés, et de se trouver sur le trajet entre les ports hollandais et belges, d’une part, et la Suisse qui est le nord de l’Italie, d'autre part, elle bénéficie donc à plein régime de la concurrence du cabotage, chaque transporteur ayant le droit de faire trois transports de cabotage à l’intérieur du pays dans le cadre d’un transport international.
Un conducteur français parcourant de grandes distances est payé de 1 800 à 2 000 euros par mois, tandis que, pour la même prestation, un conducteur venant de Pologne ou d’un autre pays d’Europe centrale ou orientale n’est payé que 800 euros, soit moins de la moitié.
Mme Annie David. C’est cela que vous voulez pour notre pays ? Des salaires de 800 euros par mois ?
Mme Fabienne Keller. Par conséquent, l’augmentation de charges qui découlera de votre renoncement à l’exonération des heures supplémentaires mettra les salariés français en difficulté et leur fera perdre du pouvoir d'achat.
Que se passera-t-il à la fin de l’année ? Les entreprises concernées ont signé des accords conventionnels. De septembre à décembre, les salariés perdront du pouvoir d'achat. Ils réclameront donc l’ouverture de négociations salariales…
Mme Annie David. Oh là là !
Mme Fabienne Keller. … et les chefs d’entreprise, qui souhaitent évidemment conserver leurs bons conducteurs et leurs chefs d’équipe, devront céder. Mécaniquement, les entreprises perdront de nouveaux marchés, de sorte que les salariés feront encore moins d’heures…
M. David Assouline. Ce n’est pas vrai !
Mme Fabienne Keller. Voilà la réalité du monde de l’entreprise, que j’ai exposée un peu longuement. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Nous sommes dans un monde ouvert, madame Beaufils. Même si vous souhaitez vivre dans une cocotte-minute isolée du reste du monde, ce n’est pas comme ça que ça marche ! Nous sommes dans un monde concurrentiel (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.), un monde dans lequel vous-même, en tant qu’élue locale, lancez régulièrement des appels à concurrence.
Je ne peux laisser dire que, du côté droit de l’hémicycle, nous ne faisons pas tout pour soutenir l’emploi.
M. Jean-Marc Todeschini. Votre temps de parole est écoulé !
Mme Fabienne Keller. Nous soutenons l’emploi en soutenant les chefs d’entreprise. Ni vous ni nous ne créons les emplois : ce sont les patrons qui les créent quand ils ont une visibilité suffisante sur les perspectives d’évolution du marché et de développement de leur activité.
La suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires va dans le même sens que la fiscalisation de l’intéressement et la suppression de la baisse des cotisations patronales familiales prévues à l’article 1er du présent projet de loi de finances rectificative. Toutes ces mesures mettent les entreprises en difficulté et menacent l’emploi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour explication de vote.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Quand j’examine cet article 2, je ne vois aucun objectif véritable d’assainissement de nos finances publiques. Il ne s’agit pas de consolidation budgétaire et, dans un contexte de croissance économique presque inexistante, alors que le plus difficile est devant nous, cela me paraît extrêmement grave.
La responsabilité totale de l’impact de ce collectif budgétaire sur notre situation économique vous incombe. Vos mesures auront des conséquences non pas seulement au niveau macroéconomique, mais également – cela a déjà été excellemment dit – pour les classes moyennes et les personnes les plus faibles. Il y aura des conséquences pour des gens comme vous et moi, et c’est très grave ! Nous avons une lourde responsabilité dans cet hémicycle.
Je constate d'ailleurs que les choses ne vont pas de soi dans vos propres rangs :…
M. Jean-Marc Pastor. Ah !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … j’ai l’impression que le doute s’est installé depuis cet après-midi. (Rires sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mme Annie David. Dans vos rangs peut-être !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. J’en veux pour preuve l’absence de mobilisation de vos troupes, qui vous a contraint à demander un scrutin public il y a quelques instants pour faire adopter vos mesures. (Exclamations et marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Marc Todeschini. Rappelez-vous le nombre de scrutins publics que vous demandiez !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le moins que l’on puisse dire, c’est que vous ne faites pas d’heures supplémentaires ! Vous ne croyez pas vous-mêmes à ce que vous proposez… Je pense que ceux d’entre vous qui sont absents ce soir ont compris que l’adoption de cet article 2 marquera de manière indélébile le bilan de M. Hollande et de votre majorité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Jean-Marc Todeschini et Claude Bérit-Débat s’exclament.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Permettez-moi de revenir un instant sur les enjeux budgétaires, car – je le rappelle – nous examinons un projet de loi de finances rectificative.
Même si – vous le savez – je conteste la mesure prévue à l’article 2, je comprends néanmoins que le ministre du budget s’efforce de trouver quelques milliards d'euros… Quoique je ne sois pas nécessairement d'accord avec l’affectation qu’il envisage de leur donner, il me paraît utile de souligner que l’incidence de ladite mesure sera de 1 milliard d’euros en 2012, de 3,6 milliards d'euros en 2013 et de 4,4 milliards d'euros en 2014.
Mme Odette Herviaux et M. Jean-Pierre Caffet. Ce n’est pas rien !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On ne peut pas reprocher à un ministre du budget de chercher à contribuer à l’équilibre et au financement de la politique du Gouvernement en ayant recours à de telles marges de manœuvre.
Ce qui me choque profondément dans cette mesure, c’est sa brutalité, c’est le fait qu’elle s’applique de manière indifférenciée, et presque d’un moment à l’autre, à toutes les branches de l’économie. Or nous savons que les situations des différentes branches ne sont identiques ni en termes de qualification professionnelle ni en termes de rythme d’activité, ni non plus en termes de part des heures supplémentaires dans le total du temps travaillé. Il aurait donc été tout à fait compréhensible, monsieur le ministre, que le Gouvernement demande aux partenaires sociaux – branche par branche – de regarder la situation et de prendre éventuellement des engagements réciproques.
Comme Fabienne Keller, j’ai cité le cas du transport routier. Nous savons que, s'agissant du transport de marchandises, et en particulier du transport longue distance, il est compréhensible que l’on raisonne plus en termes d’heures supplémentaires que de recrutements, ou du moins que la proportion à respecter diffère de celle que l’on observe dans d’autres branches d’activité.
M. Aymeri de Montesquiou. C’est vrai !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Par ailleurs, il existe une masse budgétaire absolument considérable dont nous n’avons pas encore parlé, mais dont nous parlerons peut-être lors de futurs débats : les allégements généraux de charges sociales représentent 23 milliards d'euros. Je voudrais rappeler que, il n’y a pas si longtemps, sur l’initiative de la Cour des comptes – sa préoccupation à cet égard remonte au dernier rapport rédigé sous la présidence de Philippe Séguin –, nous avons réduit le coût de ces allégements généraux de 1,2 ou 1,3 milliard d'euros – cela n’est pas complètement négligeable – sans aucun impact décelable sur l’emploi.
Monsieur le ministre, eût-il été concevable, abstraction faite de l’impératif catégorique de mettre en œuvre un engagement mentionné dans un programme politique, d’examiner si la limite de 1,6 SMIC ne pouvait pas être un peu abaissée,…
M. Serge Dassault. C’est vrai !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … de manière à économiser 2 milliards d'euros sur les 23 milliards que j’ai évoqués ?
M. Serge Dassault. Très bien !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Eût-il été concevable de regarder si l’exonération de charges sociales sur les heures supplémentaires ne méritait pas d’être relativisée, modulée par branche de l’économie, reprofilée en quelque sorte ? Eût-il été complètement impossible de trouver par cette méthode, certes plus complexe mais qui permet une participation des partenaires sociaux voire un dialogue social, les 3,5 ou 4 milliards d'euros dont nous avons besoin ?
Ce que je me permets de critiquer dans cette mesure, c’est surtout son caractère aveugle et brutal. Certes, toute expression politique comporte des excès, chacun voulant défendre sa thèse jusqu’au bout. Monsieur le ministre, parmi les exemples que nous avons donnés, tant au centre qu’à droite de l’hémicycle, beaucoup de situations vécues, réelles, méritent l’intérêt. Pourtant, nous avons eu le sentiment que tout cela était balayé d’un revers de main par l’impératif catégorique issu d’un pur engagement politique. Voilà ce que nous critiquons, monsieur le ministre.
Malgré tous les arguments – et ceux qui proviennent de ce côté-ci sont intéressants et même recevables – et la profondeur de ce débat, il est franchement préférable de supprimer l’article 2. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour explication de vote. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Ce débat est démocratique et très républicain. Il est tout à fait légitime que la nouvelle majorité souhaite tenir ses promesses. Nous comprenons cette position et pensons d’ailleurs que la grande force des démocraties réside précisément dans l’organisation d’alternances paisibles. En comparaison des régimes autoritaires qui existent aujourd'hui sur l’ensemble de la planète et de leurs performances économiques, on peut se dire que, même si notre qualité n’est pas toujours la performance, nous avons au moins la capacité d’organiser des alternances non violentes et l’objectif de la politique est bien de gérer de façon pacifique la vie de la société !
Il est donc très important qu’un président avec sa majorité tienne ses promesses et il est quelque peu dérisoire de penser que nous l’empêcherons d’atteindre ses objectifs.
Ce qui compte vraiment, ce sont les résultats de votre politique. Or certains anticipent un peu avec fierté, mais aussi parfois avec arrogance. L’arrogance est toujours présente les lendemains de victoire, mais il faut être prudent. Par expérience, je dirai qu’il faut être attentif aux résultats. Soyez donc attentifs aux résultats de la politique que vous menez.
Dans ce débat, il est intéressant de constater qu’il existe deux grands clivages qu’il faut bien identifier.
Le premier concerne la gravité de la crise. Nous n’avons pas la même conscience de la crise.
Mme Annie David. On ne la voit pas de la même manière, ça c’est sûr !
M. Jean-Pierre Raffarin. La nouvelle majorité donne aujourd'hui le sentiment qu’on a le temps. Cette session parlementaire consacrée aux impôts, demain les réformes. Nous n’aurons pas de session extraordinaire en septembre. Finalement, on prend le temps, comme si le monde était calme et serein, comme si l’Allemagne n’était pas menacée de perdre sa notation.
Pourtant, la situation est extrêmement grave. Les pays émergents connaissent un fort ralentissement de leur économie. Ne croyez pas que cela va les rendre plus attentifs à nos préoccupations ; ils vont aller encore davantage chercher la croissance sur d’autres marchés. Non seulement la situation est extrêmement grave, mais elle ne se limite pas à la France. Le ralentissement de la croissance est mondial. Les pays émergents vont se montrer encore plus agressifs qu’avant pour satisfaire leurs propres besoins !
Nous trouvons franchement que vous prenez un peu votre temps, le temps de voir, d’observer, de créer des commissions... Vous n’êtes pas dans le rythme de la crise ; c’est en tout cas notre position. Je comprends que vous ayez la vôtre. Nous verrons bien qui aura raison à la rentrée et par la suite.
Le second clivage porte sur le travail. Vous donnez parfois le sentiment de penser que c’est le Gouvernement qui crée l’emploi. Non, c’est le travail et, plus vous avez de travail, plus vous avez d’emplois ! Voilà pourquoi il faut tout faire pour créer du travail, donc de l’emploi.
Laisser penser que c’est une main venue d’en haut, l’État, qui va créer de l’emploi est une folie à laquelle plus aucun pays ne croit aujourd'hui. De notre point de vue, vous faites une erreur d’analyse en pensant qu’il faut remettre en cause cette dynamique de l’emploi parce qu’il y a eu une augmentation du chômage. Cette augmentation est due à la crise profonde et extrêmement grave. Je comprends que vous ayez une autre position, mais, très franchement, nous en sommes convaincus, les heures supplémentaires ne sont pas du travail que l’on prend aux autres ; c’est de la compétitivité !
M. Gallois, qui est quelqu’un de sérieux, d’expérimenté, qui a dirigé Airbus et EADS, que le Président de la République a nommé pour s’occuper des investissements d’avenir, a dit qu’on ne sauvera pas notre industrie sans un choc de compétitivité.
Mme Annie David. La compétitivité, ce n’est pas les salaires !
M. Jean-Pierre Raffarin. Alors si l’on ne comprend pas qu’il faut faire cette démarche-là ! La compétitivité passe notamment par les heures supplémentaires.
On en discute parce que, sur le plan de la justice, vous portez atteinte à un certain nombre de gens qui ont besoin de cet argent et, sur le plan de la compétitivité, nous n’en sortirons que par l’augmentation de la quantité nationale de travail. Ne croyez pas que l’augmentation du chômage sous le quinquennat précédent signifie l’échec de cette politique. Nous sommes évidemment les premiers à déplorer cette augmentation du chômage et à regretter cette situation.
Franchement, mesurez les pressions internationales qui pèsent sur notre économie ! C’est par la mobilisation des entreprises, par la capacité de travailler davantage qu’on créera plus d’emplois. C’est la vraie conviction que nous avons.
Vous, vous croyez au partage du travail. Vous l’avez montré systématiquement avec les 35 heures, avec la réforme des retraites et sur un grand nombre d’autres sujets. Vous croyez que le travail se partage ; nous, nous ne le croyons pas. Au contraire, il faut augmenter la quantité globale de travail pour avoir du travail pour tous. Nous avons là un vrai désaccord. Assumons-le !
Aujourd'hui, vous êtes nouvellement élus, vous avez des responsabilités. Nous mesurons le devoir qui est le vôtre de tenir vos promesses, mais sachez que nous serons au rendez-vous de la vérité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UCR.)