Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, je souhaite, à cet instant, rappeler la définition du harcèlement sexuel que les membres du groupe CRC ont retenue dans la proposition de loi qu’ils ont déposée le 25 mai dernier.
Nous avons tenté d’établir une définition du harcèlement sexuel qui protège le plus possible les victimes, tout en satisfaisant aux exigences constitutionnelles. C’est la recherche de cet équilibre difficile qui a guidé notre réflexion.
Notre préoccupation a donc été, tout d’abord, de ne pas procéder à une énumération des moyens du harcèlement sexuel : Éliane Assassi l’a souligné, une liste limitative serait trop restrictive et conduirait à considérer comme autorisés les actes et comportements n’y figurant pas.
Si la définition du verbe « harceler » est sous-tendue par la notion de répétition, les nombreux échanges que nous avons pu avoir avec différentes associations de défense des droits des femmes, ainsi qu’avec les associations représentant les lesbiennes, les gays, les bisexuels et les transgenres, nous ont convaincus, s’il en était besoin, qu’un seul acte unique grave peut constituer un harcèlement sexuel. Toute la difficulté a été de qualifier ce caractère de gravité tout en respectant les principes constitutionnels de clarté et de précision de la loi.
Je voudrais également revenir sur l’élément moral, intentionnel, de l’infraction.
Il nous est apparu que l’obtention de « faveurs sexuelles », élément intentionnel retenu dans les définitions données en 1992, en 1998 et en 2002, n’était pas une notion satisfaisante. En effet, elle exclut les agissements, pourtant à connotation sexuelle, à seule fin d’humilier, d’exercer une emprise, de porter atteinte à la dignité, qui relèvent du harcèlement sexuel.
De plus, il est difficile, pour les victimes, de prouver l’obtention de « faveurs sexuelles ». De ce fait, l’action qu’elles ont intentée débouche souvent sur la relaxe de la personne incriminée.
Enfin, d’un point de vue sémantique, l’expression « faveurs sexuelles », outre son caractère désuet, peut prêter à confusion, dans la mesure où le terme « faveurs » a une connotation positive et n’implique pas forcément un désaccord : il peut même laisser supposer un consentement.
C’est pourquoi nous proposons, dans notre définition du harcèlement sexuel, de retenir comme élément intentionnel, à la fois pour des actes répétés et pour un acte unique grave, l’atteinte à la dignité ou la création d’un « environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
Les amendements de repli que nous avons déposés portent sur l’alinéa 3 de l’article 1er. Nous pensons que la notion de « chantage sexuel » ne recouvre pas l’ensemble des actes uniques graves pouvant constituer un harcèlement sexuel, s’agissant notamment des personnes transgenres, pour lesquelles une humiliation, une atteinte à la dignité relèvent de cette incrimination.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l'article.
Mme Éliane Assassi. Je voudrais profiter de ce débat pour évoquer la situation des personnes dites « trans », c’est-à-dire transsexuelles ou transgenres.
Il me paraît quelque peu surprenant qu’un projet de loi affichant parmi ses finalités la lutte contre les discriminations se trouve être discriminatoire par omission.
Si la prise en compte de ces personnes dans le texte que nous examinons pouvait apparaître à certains, au premier regard, dépourvue d’intérêt au motif que le harcèlement sexuel s’étend à leurs yeux à toute situation de harcèlement à connotation sexuelle, tant le débat démocratique que les réalités de la vie nous imposent de nous pencher sur leur situation, car elles sont des cibles privilégiées du harcèlement sexuel.
Les transsexuels inspirent à beaucoup des fantasmes, dans le très mauvais sens du terme, ce qui suscite des comportements néfastes, voire prédateurs, liés à une incompréhension ou à une haine de la différence. En effet, quoi de plus différent qu’une personne « trans » ?
La transsexualité existe depuis l’aube des temps, dans toutes les cultures. Nul ne sait aujourd’hui en expliquer l’origine. L’unique nouveauté apportée par la modernité est la possibilité médicale d’opérer une transformation physique, seul choix ouvert aux personnes concernées pour sortir de leur souffrance et pouvoir faire abstraction du genre qui leur a été assigné à la naissance, sur la base de constatations visuelles.
Au-delà de cette particularité et des étiquettes trompeuses, il s’agit avant tout de personnes, de citoyens et de citoyennes à part entière, qui essaient, en dépit de grandes difficultés, de mener une vie normale, de travailler, d’étudier, de rester auprès de leurs enfants. Ils essaient, tant bien que mal, de remplir les mêmes obligations que tous leurs concitoyens et doivent, par conséquent, pouvoir bénéficier de la même protection et des mêmes droits.
Notre rôle de parlementaires est de protéger l’ensemble de nos concitoyens, et surtout les plus vulnérables d’entre eux. Or les transsexuels sont bien des personnes vulnérables, notamment lors de leur transition.
Force est de constater que le taux de harcèlement sexuel au sein de cette population est extrêmement élevé : la moitié des adultes « trans » ont été victimes de harcèlement, y compris sexuel. Chez les jeunes, cette proportion atteint 80 %. De plus, 6 % des adultes et jusqu’à 12 % des mineurs ont subi des agressions sexuelles. Le harcèlement sexuel vise le plus souvent à les humilier.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que le harcèlement marque souvent le début d’un engrenage de grande marginalisation et d’exclusion sociale. Les personnes « trans » harcelées au travail perdent trois fois plus souvent leur emploi que les autres, et elles deviennent alors des SDF dans 40 % des cas.
Les mineurs ayant subi des actes de harcèlement sont trop souvent déscolarisés, la moitié d’entre eux se retrouvant à la rue. En effet, l’avenir de ces jeunes, dépourvus de qualification, sans expérience, vulnérables, pour une grande partie d’entre eux rejetés par leur famille, est assez prévisible…
Le harcèlement sexuel met directement en jeu la vie des personnes « trans » : au sein de cette population, le fait d’avoir été harcelé induit une augmentation de 74 % de la probabilité de commettre une tentative de suicide. La perte du travail, la déscolarisation, les agressions sexuelles entraînent également une hausse significative du taux de tentatives de suicide. Ainsi, pour les « trans » ayant été victimes d’une agression sexuelle alors qu’ils étaient mineurs, ce taux est environ deux fois plus élevé que celui que l’on constate parmi les autres transsexuels.
Fermer les yeux sur un tel état de choses n’est plus possible ! Quand ces personnes souffrent, leur entourage souffre aussi, affectivement et financièrement. En France, de 5 000 à 10 000 enfants sont issus de parents « trans », de 3 000 à 5 000 personnes sont conjoints ou ex-conjoints de « trans ». En incluant les parents, les frères et sœurs, les collègues, les amis, c’est tout un tissu social comportant entre 50 000 et 75 000 personnes qui est fragilisé par la vulnérabilité exacerbée des personnes « trans ».
Permettez-moi de citer à mon tour l’article 3 de la directive 2006/54/CE : « La Cour de justice a considéré que le champ d’application du principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes ne saurait être réduit aux seules discriminations fondées sur l’appartenance à l’un ou l’autre sexe. Eu égard à son objet et à la nature des droits qu’il tend à sauvegarder, ce principe s’applique également aux discriminations qui trouvent leur origine dans le changement de sexe d’une personne. »
Nous avons donc l’obligation, me semble-t-il, par respect pour la dignité et la vie de l’ensemble de nos concitoyens, par respect pour nos valeurs, par respect pour nos obligations internationales, de remédier à la situation présente des personnes « trans ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Printz, sur l'article.
Mme Gisèle Printz. Madame la présidente, mesdames les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, ce projet de loi particulièrement bienvenu permettra de combler un vide juridique découlant de la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai dernier.
Comme mes collègues, je me félicite à la fois de la célérité du travail du Gouvernement et du contenu du présent texte, qui vise à instaurer une définition de l’incrimination de harcèlement sexuel et une échelle des sanctions clarifiée et opérationnelle.
Pour autant, le vote, absolument indispensable, de ce texte n’épuisera pas le sujet. Je souhaite, mesdames les ministres, attirer votre attention sur trois points qui, à mon sens, devront faire l’objet du travail de fond à mener en vue d’éradiquer le harcèlement sexuel : l’information et la prévention, le suivi des victimes, celui des personnes condamnées.
Au préalable, je voudrais saluer le travail de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Dans son rapport, elle rappelle en particulier que l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des travailleurs et protéger leur santé physique et mentale.
À côté de la nécessaire sanction, la prévention et l’information ont un rôle primordial à jouer.
Conformément à la loi du 2 novembre 1992, le code du travail contient des dispositions applicables en la matière aux entreprises et aux établissements comptant au moins vingt salariés. Ces mesures portent sur les actions d’information et de sensibilisation, sur les procédures internes et sur le rôle du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Je préconise que le point soit fait avec les partenaires sociaux sur leur application.
Des dispositifs équivalents doivent également être développés dans l’ensemble du monde professionnel, en particulier dans les différentes fonctions publiques. Il conviendrait donc qu’une disposition législative prévoie expressément l’obligation, pour l’État et les collectivités, de prendre les mesures nécessaires à la prévention du harcèlement sexuel dans le secteur public. De même, la formation initiale et continue dans les différentes fonctions publiques devrait davantage prendre en compte ces questions, de façon que le personnel d’encadrement soit mieux à même de prévenir et de détecter les situations de harcèlement sexuel.
Les actions de prévention doivent être renforcées par le biais de campagnes d’information dans les médias. Une attention toute particulière devrait être portée au milieu scolaire et universitaire. Ce sont les mentalités qu’il faut faire évoluer, ce qui passe par une action éducative dès le plus jeune âge, le discours devant naturellement être adapté aux publics visés. Cette dimension de l’apprentissage du respect de l’autre, des notions clés du vivre-ensemble dans la cité et dans la vie professionnelle devrait être prise en considération dans les programmes d’éducation civique, qui relèvent de la compétence de l’éducation nationale. L’université jouant un rôle tout particulier dans la formation des cadres du pays, plus particulièrement dans celle de nos enseignants, la prévention du harcèlement sexuel doit y avoir toute sa place.
À mes yeux, le soutien aux victimes doit être une priorité absolue. Ces dernières ont eu le courage non seulement de dire « non », mais aussi de faire respecter leurs droits et de refuser la loi du silence.
Des dispositifs de soutien aux victimes existent déjà, à l’instar de celui que les hôpitaux de Paris viennent de mettre en place, avec un numéro vert et une cellule de prise en charge psychologique. La généralisation progressive de tels dispositifs, sur l’ensemble du territoire, constituerait un message fort adressé aux victimes, qui n’auraient plus le sentiment de se trouver isolées et de subir, en quelque sorte, une double peine.
Enfin, il faut poser la question du suivi des harceleurs.
Le harcèlement sexuel est aujourd'hui hors du champ du suivi socio-judiciaire. Le suivi de l’auteur de tels faits ne peut donc être décidé par une juridiction.
Il ne s’agit ni de stigmatiser, ni de nier la valeur d’exemplarité des peines et sanctions prévues à l’article 1er du présent projet de loi. Je souligne seulement que la grande majorité des peines d’emprisonnement prononcées sous le régime des précédents textes étaient assorties d’un sursis, souvent total. Je n’entends pas présager que les tribunaux adopteront une approche identique pour l’application du texte que nous allons adopter, mais faut-il pour autant exclure la possibilité, pour les juridictions, de mettre en œuvre un suivi socio-judiciaire en cas de récidive ?
Mesdames les ministres, tout en apportant un soutien enthousiaste à ce projet de loi, j’ai souhaité vous soumettre ces quelques réflexions sur les moyens de mieux prévenir et combattre le harcèlement sexuel, qui constitue aujourd'hui un fléau, une discrimination inadmissible à l’encontre des femmes.
Mme la présidente. L'amendement n° 44, présenté par Mme Klès, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 1
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
Après la section 3 bis du chapitre II du titre II du livre II du code pénal, il est inséré une section 3 ter A ainsi rédigée :
« Section 3 ter A : Du harcèlement sexuel
II. - En conséquence, au début de l'alinéa 2
Remplacer la référence :
« Art. 222-33
par la référence :
« Art. 222-33-2-2
La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Cet amendement vise simplement à créer dans le code pénal une section relative au harcèlement sexuel et à la placer après la section consacrée au harcèlement moral, le harcèlement sexuel constituant une forme de harcèlement moral. D’ailleurs, à l’heure actuelle, le harcèlement sexuel n’existant plus dans la loi, on requalifie, autant qu’il est possible, les faits qui en relèvent en faits de harcèlement moral.
L’adoption de cet amendement, très simple sur le principe, induira un lourd travail de coordination et de toilettage. Cela étant, je ne doute pas que mes collègues parlementaires sauront le mener à bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. L’avis est défavorable.
Mme Klès propose de créer dans le code pénal une nouvelle section consacrée au harcèlement sexuel et de la placer après celle qui est relative au harcèlement moral. L’idée est intellectuellement séduisante, mais un tel déplacement pourrait entraîner des effets pervers en termes de coordination. Il nous semble donc que procéder à cette modification par voie d’amendement, sans avoir mené d’abord une étude beaucoup plus exhaustive de la question, comporterait plus de dangers que d’avantages.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Il est également défavorable.
Madame Klès, j’entends bien vos observations et, comme l’a dit le rapporteur, il y a une cohérence dans votre proposition, mais, au-delà des dangers que celle-ci présente en termes de coordination, sa mise en œuvre conduirait à un classement différent : en traitant dans des sections de même niveau du harcèlement sexuel et du harcèlement moral, vous extrayez le harcèlement sexuel de l’ensemble des infractions sexuelles.
Le harcèlement moral fait l’objet d’une section qui suit, dans le code pénal, la section consacrée aux agressions sexuelles, au sein de laquelle le paragraphe relatif au harcèlement sexuel vient après les paragraphes consacrés au viol et aux autres agressions sexuelles. Si nous suivions votre proposition, nous éloignerions plus encore les dispositions relatives au harcèlement sexuel des dispositions relatives au viol.
Le Gouvernement vous invite donc à retirer votre amendement.
Je répète cependant que je comprends parfaitement votre vœu d’un affichage plus clair, d’une singularisation d’un délit qui, tous les orateurs l’ont souligné cet après-midi, est cause de souffrances et de graves conséquences sur le plan professionnel.
Mme la présidente. Madame Klès, l'amendement n° 44 est-il maintenu ?
Mme Virginie Klès. J’accepte de le retirer, madame la présidente. Néanmoins, je persisterai à travailler sur le sujet et ferai d’autres propositions.
Mme la présidente. L'amendement n° 44 est retiré.
L'amendement n° 36 rectifié ter, présenté par Mmes Jouanno et Duchêne, MM. Milon et Cardoux, Mmes Deroche et Farreyrol, M. Bourdin, Mmes Lamure et Bruguière, MM. Doligé, Duvernois et B. Fournier, Mmes Troendle et Kammermann, M. Fleming, Mme Sittler, MM. Bécot, Gilles et Grosdidier et Mmes Mélot et Keller, et MM. Savary, Portelli et P. André, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
, de façon répétée,
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Il convient de supprimer la répétition des agissements visés à l’alinéa 2 comme critère de harcèlement sexuel. Cela serait conforme à l’esprit de la définition retenue dans la directive européenne, qui a été reprise dans le code pénal espagnol.
Cette position a été recommandée par des associations et par certains magistrats, qui estiment indispensable de prévoir qu’un acte unique puisse constituer un harcèlement sexuel.
En outre, suivre notre proposition permettrait d’éviter que ne figurent dans le texte deux définitions du harcèlement sexuel, situation dont j’ai souligné les dangers lors de la discussion générale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. Le groupe de travail, après de longues heures de concertation, a considéré qu’il fallait retenir une architecture à deux niveaux : celui du harcèlement par répétition et celui du harcèlement par acte unique. Afin de respecter la logique de cette démarche, que je ne vais pas retracer ici, la commission a émis ce matin un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement est lui aussi défavorable à cet amendement.
La réitération, madame la sénatrice, est le propre du harcèlement. La particularité du présent texte tient précisément à ce qu’il prévoit qu’un acte unique puisse, sous certaines conditions, suffire à constituer le délit de harcèlement sexuel. Vous avez d’ailleurs contesté ce point, en arguant du risque que des agressions sexuelles soient requalifiées en simples faits de harcèlement sexuel.
Je rappelle que la jurisprudence concernant le délit de menace indique très clairement que la répétition peut se produire dans un laps de temps très court, bien inférieur à une journée.
Si nous éliminons complètement le critère de la répétition, un seul propos pourra constituer un harcèlement sexuel. Ainsi que je l’ai expliqué cet après-midi, nous avons tenu à définir deux critères d’objectivation du caractère de gravité justifiant qu’un acte unique soit qualifié de harcèlement sexuel : la pression grave et l’intention d’établir une relation de nature sexuelle.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 36 rectifié ter.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 10 rectifié, présenté par M. Hyest, Mme Jouanno et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
, comportements ou tous autres actes
par les mots :
ou agissements
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest. … car, je tiens à le répéter, nous sommes tout à fait d’accord avec les conclusions de la commission des lois.
Voici le premier d’entre eux : outre qu’il répond à un souci de simplification, il nous est apparu que le terme « agissements » recouvrait beaucoup mieux les faits visés.
D’ailleurs, on voit bien qu’il y a eu hésitation sur ce point de rédaction, puisque, tandis que le texte du Gouvernement visait des « gestes, propos ou tous autres actes », la commission a choisi de faire référence à des « propos, comportements ou tous autres actes à connotation sexuelle ».
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement, considérant qu’il apporte de la précision à la définition du délit de harcèlement. La rédaction proposée satisfait davantage aux exigences constitutionnelles sans compromettre la possibilité, pour la victime, d’apporter une preuve.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous entendons bien les arguments présentés par M. Hyest et l’avis favorable de la commission. Le Gouvernement est disposé à donner lui aussi un avis favorable.
J’attire cependant l’attention de la Haute Assemblée sur le fait que remplacer les mots « comportements ou tous autres actes » par le mot « agissements » me semble restrictif.
Mme Laurence Cohen. À moi aussi !
M. Jean-Jacques Hyest. Non !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En effet, le terme « agissements » ne recouvre pas nécessairement les comportements. Cet amendement tend donc à réduire le champ d’application de l’incrimination.
M. le président. L'amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Hyest, Mme Jouanno et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
un environnement intimidant, hostile ou offensant
par les mots :
une situation intimidante, hostile ou offensante
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. De mon point de vue, conforté par une de ces recherches linguistiques chères au président Sueur, le mot « environnement » ne convient absolument pas dans le cas précis. S’il figure dans la directive, c’est par influence de son acception anglo-saxonne, mais on ne le trouve nulle part dans notre droit pénal. En revanche, le mot « situation » me paraît tout à fait adéquat.
Tel est l’objet du second amendement déposé par le groupe UMP ; pour le reste, nous suivrons la commission.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. Je vais devoir faire le grand écart ! (Sourires.)
En tant que rapporteur, j’ai l’obligation de préciser que la commission, ce matin, a émis un avis favorable sur cet amendement et se prononce donc pour la substitution du terme « situation » au terme « environnement ».
On me permettra cependant de considérer, à titre personnel, que la notion d’« environnement » a du sens dans un tel contexte. Elle est d’ailleurs déjà employée en droit français et figure dans cinq des sept propositions de loi.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Vaut-il mieux parler d’« environnement » ou de « situation » ? Au cours des nombreuses discussions que nous avons eues sur ce sujet, d’autres termes encore ont été proposés : « contexte », « climat »,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. « Ambiance » !
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis. « Atmosphère » ! (Sourires.)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. … et j’en passe.
Il faut le reconnaître, il n’existe pas d’arguments purement juridiques justifiant que l’on privilégie un terme plutôt qu’un autre. Je sais les réserves qu’inspire à certains d’entre vous le mot « environnement », considéré en effet comme anglo-saxon ou étranger au droit français, ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait vrai.
Les échanges qui ont eu lieu au sein du groupe de travail du Sénat et les auditions complémentaires qui ont été réalisées par le rapporteur ont toutefois mis en évidence l’intérêt que pouvait offrir cette notion d’« environnement » pour l’appréhension des phénomènes de harcèlement.
Il nous avait donc semblé que ce terme pouvait être adéquat. Je tiens d’ailleurs à souligner que le Conseil d’État lui-même l’avait accepté dans son avis sur le projet de loi. J’ajoute que le terme « environnement » figure dans les directives européennes définissant la notion de harcèlement sexuel, et qu’il y a un intérêt symbolique à s’y rattacher puisque – Alain Anziani l’a rappelé à l’instant – cinq des sept propositions de loi déposées sur le sujet l’avaient employé.
En réalité, que l’on parle d’« environnement » ou de « situation », ce qui importe, c’est de savoir si les conditions de travail et de vie, voire d’hébergement – répétons-le, le harcèlement sexuel n’est pas limité au monde professionnel –, sont devenues intimidantes, hostiles ou offensantes à l’égard de la victime ; ces notions figurent déjà dans le code pénal, et c’est à leur aune que le juge examinera la situation.
Toutefois, si le mot « situation » vous semble plus précis, je n’ai pas de raison particulière de m’opposer à ce changement de terme ; je m’en remets donc à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je souhaite apporter mon soutien à l’argumentation de M. Hyest et nuancer les observations personnelles formulées par notre rapporteur.
Le terme « environnement » figure naturellement dans de nombreux textes juridiques français, mais on ne le rencontre dans aucun texte de droit pénal. Or, ne l’oublions pas, nous sommes là aujourd’hui parce que le Conseil constitutionnel a estimé que, au regard des impératifs posés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le texte caractérisant le harcèlement sexuel était dépourvu du minimum de précision nécessaire à une véritable définition par la loi de cette infraction. Dès lors qu’il s’agit de faire un erratum, ce qui n’est pas fréquent en matière de droit pénal, il vaut mieux être précautionneux.
Je comprends parfaitement, madame la ministre – vous vous êtes exprimée avec beaucoup de clarté –, la place du terme « environnement » dans une espèce de constellation sémantique visant à caractériser un état de fait entourant une personne. Cependant, il me semble que, en droit français, le terme « situation » répond parfaitement à cet objectif. Qui plus est, la notion de « création d’une situation » est une notion juridique que les juges identifient très aisément.
Je remercie le Gouvernement de s’en être remis à la sagesse du Sénat, et, dans la mesure où notre but est que la définition de l’infraction et de l’ensemble de ses données contextuelles soit la plus précise possible, je crois que notre assemblée doit choisir la formule la plus rigoureuse, c’est-à-dire celle que prévoit l’amendement de M. Hyest.
Mme la présidente. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.
M. François Pillet. Je ne veux pas ajouter aux explications très convaincantes de nos collègues Hyest et Richard sur ce point de vocabulaire. Cependant, il est certain que le mot « situation » permet de décrire des faits de manière plus objective que le mot « environnement », qui se rapproche de notions subjectives comme l’« atmosphère » ou le « climat ».
S’agissant de la directive européenne qui a été évoquée plusieurs fois, je souhaite répondre à des propos quelque peu audacieux prononcés lors de la discussion générale au sujet de la responsabilité du Sénat dans la situation actuelle.
Lorsque j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur de l’excellente proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, déposée par Roland Courteau, nous avons étudié la possibilité d’intégrer dans notre droit pénal la disposition figurant dans ladite directive. Or celle-ci n’a pas de caractère pénal, elle ne s’impose pas au gouvernement français en matière pénale et, qui pis est, elle est rédigée dans un français approximativement traduit de l’anglais, comme le soulignera excellemment Esther Benbassa tout à l’heure. Par conséquent, cette directive ne pouvait pas être intégrée en l’état dans le droit pénal français.