M. Alain Richard. Absolument !
M. François Pillet. J’ajoute, cher collègue qui avez tenu ces propos sur la responsabilité du Sénat dans la situation actuelle, que, lors de ce débat, aucun sénateur – ni aucun député, je suppose – n’a soutenu que cette proposition de loi visait à nous prémunir contre l’inconstitutionnalité d’une disposition au sujet de laquelle nous n’avions alors aucun soupçon.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. François Pillet. Si, à l’époque, nous avions rejeté ce texte, c’est précisément parce que nous avions la conviction que son adoption aurait introduit en droit français une définition inconstitutionnelle, car subjective.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. François Pillet. Je tenais donc, cher collègue, à rectifier votre affirmation, qui était – pour employer un terme délicat – particulièrement audacieuse.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. J’apprécie la position exprimée par Mme la ministre dans le cadre de ce débat qui n’est pas évident. Nous avons eu beaucoup d’échanges sur la manière de comprendre le terme « environnement ». À l’instar de M. le rapporteur, je suis favorable au maintien de ce terme : il me semble qu’il décrit mieux ce qui se passe sur le lieu de travail, dans la mesure où il englobe les collègues, la hiérarchie et plus généralement l’atmosphère. On peut certes se gausser de l’emploi de ce terme, mais, lorsqu’il y a harcèlement sexuel, cela a certaines conséquences sur le lieu de travail. En outre, le mot « environnement » me paraît moins statique que le mot « situation ».
Par ailleurs, je me souviens très bien que le procureur de la République que nous avons auditionné trouvait ce terme tout à fait adéquat ; je n’ai pas eu l’impression qu’il y avait la moindre ambiguïté. Dès lors que des magistrats déclarent que le terme « environnement » est clair, et dans la mesure où il me semble mieux représenter la réalité à laquelle sont confrontées les victimes de harcèlement sexuel, je suis plutôt favorable à son maintien.
Mme la présidente. La parole est à M. François Pillet.
M. François Pillet. Je tiens à apporter une précision.
Je me souviens très bien que, en plus des juristes, un certain nombre de magistrats ont déclaré lors des auditions que l’emploi du mot « environnement » et plus encore des termes subjectifs qui le suivent pouvait rendre le texte inconstitutionnel ; c’était même la position de l’Union syndicale des magistrats.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Je tiens à rappeler que, lorsque le groupe de travail a auditionné le procureur de Paris, François Molins, celui-ci a déclaré que le terme « environnement » lui convenait tout à fait et que les magistrats étaient parfaitement capables de déterminer à quoi il correspondait.
M. François Pillet. C’est exact !
Mme Annie David. Les avis des magistrats sur ce sujet sont donc partagés.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. M’étant abondamment prononcé lors des réunions du groupe de travail contre l’emploi du terme « environnement » et ayant également entendu un certain nombre d’arguments, je n’ai pas pris part au vote sur cet amendement ce matin en commission.
Je tiens cependant à rappeler que, si nous avons effectivement entendu les avis de personnes éminentes, c’est notre avis, à nous sénateurs chargés de faire la loi, qui importe désormais. Or il me semble que la décision du Conseil constitutionnel nous invite à être le plus précis possible. C’est pourquoi, même si j’entends vraiment les arguments de notre rapporteur – nous en avons suffisamment parlé, chers collègues –, j’estime que le terme « environnement » présente l’inconvénient suivant : en dépit des considérations qui le précèdent dans le projet de loi, il sera tout de même difficile pour un magistrat de pénaliser quelqu’un au motif qu’il a créé un environnement. Cette notion a quelque chose d’évanescent.
À l’inverse, le terme « situation » renvoie à une réalité objective. Il est difficile pour les magistrats de prendre des décisions quand ils doivent s’appuyer sur des éléments qui ne peuvent être ni vérifiés ni démontrés. C’est la raison pour laquelle, même si je respecte tous les arguments qui ont été avancés, je pense que la position de la commission des lois consistant à soutenir l’amendement de M. Hyest présente de réels avantages.
Mme la présidente. Je suis saisie de neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 62 rectifié, présenté par MM. C. Bourquin, Mézard, Bertrand, Plancade, Requier et Vall, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Supprimer cet alinéa
II. – Alinéa 4
Supprimer les mots :
et au II
Cet amendement n’est pas soutenu.
L’amendement n° 63 rectifié bis, présenté par Mmes Jouanno et Duchêne, MM. Milon, Cardoux et Bourdin, Mmes Lamure et Bruguière, MM. Doligé, Duvernois et B. Fournier, Mmes Troendle, Deroche, Farreyrol et Kammermann, M. Fleming, Mme Sittler, MM. Bécot et Gilles, Mme Mélot, M. Grosdidier, Mme Keller et MM. Savary, P. André et Portelli, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Dans la mesure où cet amendement était un amendement de coordination avec l’amendement n° 36 rectifié ter, je le retire. Je tiens toutefois à réaffirmer mon souhait que nous revenions à une définition plus cohérente.
Madame la garde des sceaux, la définition que vous proposez me semble en retrait par rapport à la directive européenne. En effet, celle-ci n’indique pas que la répétition est inhérente au harcèlement, et ce pour une raison simple : si une personne se trouve dans un contexte dégradant, marqué par une répétition d‘actes n’ayant pas de connotation sexuelle mais ne l’en humiliant pas moins, et qu’elle est victime d’un seul acte supplémentaire, à connotation sexuelle celui-là, il s’agit bien de harcèlement sexuel. Or la définition que vous proposez ne permet pas de couvrir ce genre de situation.
C’est la raison pour laquelle, même si la directive n’est pas directement applicable en droit pénal français car il faut intégrer l’intention de l’auteur, je continue à souhaiter – je sais que je suis un peu entêtée, mais mes collègues s’y sont habitués – que nous parvenions à modifier le II de l’article 1er ; j’y reviendrai.
Mme la présidente. L’amendement n° 63 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 25, présenté par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David, Gonthier-Maurin et Beaufils, MM. Bocquet et Billout, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« II. — Est assimilé à un harcèlement sexuel tout propos, comportement ou tout autre acte à connotation sexuelle qui, même non répété, est d’une gravité telle qu’il porte atteinte à la dignité d’une personne en raison de son caractère dégradant ou humiliant, ou crée à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Cet amendement a pour objet de faire de l’élément matériel et moral de l’infraction retenue à l’alinéa 2 un élément commun à tous les types de harcèlement sexuel, qu’il s’agisse d’actes répétés ou d’un seul acte grave. Il reprend l’idée, formulée dans la proposition de loi que notre groupe a déposée, de réprimer les actes uniques dès lors que leur gravité est suffisamment caractérisée, mais sur la base d’un alinéa distinct de celui qui prévoit la répression des actes répétés.
Si, sur la forme, le texte actuel nous convient, puisqu’il comporte un alinéa pour chacun de ces deux types de harcèlement sexuel, en revanche, sur le fond, l’approche retenue ne nous satisfait pas du tout. En effet, la notion de chantage sexuel est comprise comme l’exercice de menaces ou de pressions graves dans le but d’obtenir des relations sexuelles, sans que soient pris en compte les actes graves qui ont un autre but que l’obtention de relations sexuelles. S’il peut conduire à nuancer notre réflexion, l’emploi du terme « apparent » ne change rien au fond du problème : c’est bien « le but réel ou apparent d’obtenir une relation de nature sexuelle » qui est visé, à l’exclusion des autres atteintes à la dignité de la victime.
Madame la garde des sceaux, vous avez expliqué que l’approche restrictive que vous avez retenue avait pour objectif de caractériser la gravité de l’acte unique. Si l’on suit ce raisonnement, l’acte unique ne serait donc grave que s’il a pour but la recherche de relations sexuelles. Or telle n’est pas notre position. En effet, peu importe si l’auteur a recherché des relations sexuelles ou voulu porter atteinte à la dignité de la victime. Pour mon groupe, ces éléments sont aussi graves l’un que l’autre.
Tel est l’objet de cet amendement que je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter.
Mme la présidente. L’amendement n° 26, présenté par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David, Gonthier-Maurin et Beaufils, MM. Bocquet et Billout, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« II.- Est assimilé à un harcèlement sexuel, le fait d’user d’ordre, de menace, de contrainte ou de tout autre forme de pression à connotation sexuelle qui, même non répété, est d’une gravité telle qu’il porte atteinte à la dignité d’une personne en raison de son caractère dégradant ou humiliant, ou crée à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Cet amendement peut s’apparenter à un amendement de repli. Si le précédent était adopté, il pourrait donc être retiré. Je souhaite néanmoins le défendre.
Il a pour objet de faire de l’élément moral de l’infraction retenue à l’alinéa 2 un élément commun au harcèlement, que celui-ci soit constitué par des actes répétés ou par un seul acte grave, le plus important étant de supprimer toute référence à la recherche de relations sexuelles, pour ne pas retomber dans les anciens travers de la jurisprudence aboutissant à de nombreuses relaxes, en raison de la difficulté, voire de l’impossibilité de fournir la preuve exigée que l’auteur était guidé par cette volonté et uniquement par cette volonté.
Je le répète, l’objectif poursuivi par l’auteur de l’acte n’est pas toujours l’obtention de relations sexuelles. Il peut aussi être motivé par la volonté d’humilier ou d’intimider la victime.
Mme la présidente. L’amendement n° 37 rectifié bis, présenté par Mmes Jouanno et Duchêne, MM. Cardoux, Milon et Beaumont, Mmes Bruguière et Lamure, MM. Doligé et Duvernois, Mmes Deroche et Troendle, M. B. Fournier, Mmes Farreyrol et Kammermann, MM. Bourdin, Fleming, Bécot, Gilles et Couderc, Mme Keller, M. Grosdidier, Mme Mélot et MM. Savary, Portelli et P. André, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« II. - Un seul de ces agissements suffit, s’il est d’une particulière gravité, dans le but réel ou apparent d’obtenir une relation de nature sexuelle.
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Il s’agit également d’un amendement de repli dont l’objet est de conserver une seule définition du harcèlement sexuel.
Aux agissements définis au paragraphe I de l’article 1er, nous ajoutons la condition de « particulière gravité », suivant en cela l’une des suggestions du groupe de travail présidé par M. Sueur. Nous conservons l’obligation de prouver l’intention de l’auteur, même si je n’aime pas beaucoup cela, ce qui permet de mieux s’inscrire dans une loi pénale.
Mme la présidente. L’amendement n° 18, présenté par Mmes Klès, Tasca et Meunier, MM. Sueur, Courteau et Kaltenbach, Mmes Campion, Printz, D. Michel, Bourzai et Cartron et MM. Antiste et Teulade, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
Est assimilé au harcèlement
par les mots :
Constitue un chantage
La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Si vous me le permettez, madame la présidente, je présenterai plutôt l’amendement n° 19. En effet, la discussion en commission ce matin m’a conduite à abandonner l’idée de l’amendement n° 18 au profit de l’amendement n° 19, que, cette fois-ci, je défendrai donc farouchement !
Mme la présidente. L’amendement n° 18 est retiré.
J’appelle donc en discussion l’amendement n° 19, présenté par Mmes Klès, Tasca et Meunier, MM. Sueur, Courteau et Kaltenbach, Mmes Campion, Printz, D. Michel, Bourzai et Cartron et MM. Antiste et Teulade, et ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
« II. — Constitue un chantage sexuel et est assimilé…
Veuillez poursuivre, madame Klès.
Mme Virginie Klès. Il ressort de la nature des débats que nous avons aujourd’hui qu’il est nécessaire de préciser ce qu’est cet acte unique, cet acte non répété, qui constitue quand même un harcèlement sexuel.
J’ai eu l’occasion de le dire au cours de la discussion générale, il me semble que, justement, le chantage sexuel qualifie parfaitement cet acte, tant par le comportement de l’auteur que par le ressenti de la victime autour de ces notions de harcèlement sexuel. Pour une victime, effectivement, le chantage sexuel peut n’avoir été exercé qu’une fois.
Cela étant, ce qui m’a été opposé ce matin sur le sujet, monsieur Hyest, reposait essentiellement sur le fait que le chantage existe déjà dans le code pénal. C’est vrai, mais, tel qu’il y est défini aujourd’hui, il ne prend absolument pas en compte l’aspect sexuel du chantage que je voudrais définir comme cet acte unique constituant du harcèlement sexuel.
Il existe bien dans le code pénal les notions d’agression et d’agression sexuelle. La définition que nous donnerions ici du chantage sexuel ne s’opposerait donc en rien à la définition générale du chantage figurant dans le code pénal. Au contraire, elle permettrait bien de préciser qu’il s’agit d’un acte de harcèlement sexuel par le comportement de l’auteur et le ressenti de la victime. En conséquence, je propose de nommer cet acte unique assimilé à du harcèlement sexuel « le chantage sexuel ».
Madame la présidente, je souhaite apporter à l’amendement n° 19 une petite modification de forme qui avait été proposée en commission ce matin, mais qui n’apparaît pas, afin de préciser : « Constitue un chantage sexuel, assimilé » au harcèlement sexuel, au lieu de « Constitue un chantage sexuel et est assimilé… ».
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 19 rectifié, présenté par Mmes Klès, Tasca et Meunier, MM. Sueur, Courteau et Kaltenbach, Mmes Campion, Printz, D. Michel, Bourzai et Cartron et MM. Antiste et Teulade, et ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
« II. — Constitue un chantage sexuel, assimilé…
L’amendement n° 50 rectifié bis, présenté par M. Reichardt, Mmes N. Goulet, Bruguière et Sittler, MM. Grignon et Grosdidier, Mmes Mélot et Troendle, M. Vial et Mme Keller, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
réel ou apparent
Cet amendement n’est pas soutenu.
L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme Dini, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
une relation de nature sexuelle, que celle-ci soit recherchée
par les mots :
un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché
La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. L’étude des décisions des juges du fond montre que l’expression de « relation de nature sexuelle » s’avère restrictive.
Depuis l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 18 janvier 1996, les juges sanctionnent tout acte de nature sexuelle, notamment les simples contacts physiques destinés à assouvir un fantasme d’ordre sexuel, voire à accentuer ou provoquer le désir sexuel.
Il convient de retenir dans la loi cette conception large qui a été adoptée par le juge pénal et qui englobe tout ce qui peut provoquer la satisfaction érotique du harceleur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. Dans le projet de loi initial, le paragraphe II faisait référence au paragraphe I, référence qui, selon nous, compliquait beaucoup les choses et pouvait notamment laisser supposer que la réalisation des conditions dépendait de celles prévues au paragraphe I. Or il nous a paru préférable de simplifier en faisant bien la distinction.
L’amendement n° 25 visant, me semble-t-il, à revenir sur le travail qui a été fait par notre commission, l’avis est donc défavorable.
Mon commentaire sera le même pour l’amendement n° 26.
L’amendement de repli n° 37 rectifié bis, pas plus que l’amendement initial, ne recueillera un meilleur avis de la commission.
La commission est également défavorable à l’amendement n° 19 rectifié, et donc à la notion de « chantage sexuel », alors que le rapporteur que je suis – je le précise de nouveau – y aurait été favorable.
Enfin, la commission est favorable à l’amendement n° 2 rectifié.
Cela étant, permettez-moi d’apporter une précision qui me semble tout à fait nécessaire.
L’amendement n° 62 rectifié, qui n’a pas été défendu, permettait de poser une question particulièrement grave : la formulation du paragraphe II n’ouvre-t-elle pas la porte à des requalifications en harcèlement sexuel des tentatives de viol ou d’agression sexuelle ? Ce n’est pourtant pas la même peine ! Cette question très grave apparaissant souvent en filigrane dans les différents propos, je vais m’efforcer de vous apporter un éclairage le plus précis possible.
De quoi parle-t-on ? Du viol, de l’agression sexuelle. Comment se définit le viol ? Par un acte de pénétration. Comment se définit l’agression sexuelle ? Par un acte d’attouchement sexuel.
Quelque peu perturbé par les observations que nous entendons à l’extérieur de cette maison, j’ai étudié la jurisprudence. Dans les deux cas, il est dit de façon constante qu’il ne peut y avoir de viol ou d’agression sexuelle sans un acte matériel sur la personne.
Juridiquement, la tentative est définie par des termes précis : c’est un commencement d’exécution. Par conséquent, pour le commencement d’exécution d’un viol ou d’une agression sexuelle, il faut bien qu’il y ait un acte matériel sur la personne !
Au vu de ces éléments, vous le voyez bien, dès l’instant où nous parlons de harcèlement sexuel, nous sommes dans un autre univers, puisque, par définition, il n’y aura pas d’attouchement, ni de contact physique. Par conséquent, il me semble qu’il n’y a pas lieu de craindre une confusion entre l’ensemble de ces délits ou même de ces tentatives de délits.
Toutefois, une vraie question se pose au-delà de la formulation de ce texte, c’est celle des requalifications, qui, dans la pratique judiciaire, sont, il est vrai, monnaie courante, et pas uniquement pour les infractions sexuelles. Par exemple, je n’ai pas vu beaucoup de cas de faux en écriture publique commis par un agent dépositaire de l’autorité publique devant la cour d’assises, alors que, pourtant, dans certaines conditions, cela constitue un crime ! Les autres professionnels que moi en voient rarement aussi en raison justement de ces requalifications.
En matière de viol, elles sont très fréquentes, parfois même après discussion avec l’avocat de la victime sur le choix entre une procédure criminelle avec comparution devant la cour d’assises dans deux ans ou une procédure correctionnelle devant le tribunal correctionnel dans les six mois. Évidemment, pour la victime, le choix peut parfois être celui d’une plus grande rapidité.
Cette question déborde donc largement à la fois notre texte et la formulation qui, à mon avis, ne renforce pas du tout cette crainte. Mais, madame la garde des sceaux, comme vous nous l’avez dit, un éclaircissement de la Chancellerie devrait être apporté à nos magistrats pour les sensibiliser, afin qu’ils ne banalisent pas ces infractions sexuelles et que celles-ci soient toutes sanctionnées par la peine prévue dans le code pénal.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Suite aux propos de M. le rapporteur, je confirme qu’il existe effectivement des situations – et pas seulement des environnements ! – dans lesquelles des échanges entre la victime et son avocat conduisent, sur une base de délais, à correctionnaliser ce qui relèverait d’un crime jugé devant la cour d’assises.
Comme je le disais cet après-midi, il convient donc de s’assurer que nous pourrons progressivement résorber les délais, afin que les victimes ne soient pas contraintes d’accepter l’atténuation du préjudice qu’elles ont subi, simplement pour ne pas avoir à attendre deux ou trois ans.
Les amendements qui nous sont présentés se classent en deux grandes catégories.
Avec les amendements qui visent à éliminer des éléments de caractérisation, on supprime l’intention, le but et, ce faisant, on va vers un risque d’insécurité juridique, donc d’imprécision, ce qui me paraît dangereux.
L’incrimination a été abrogée par le Conseil constitutionnel justement pour imprécision et non-respect du principe de légalité des délits et des peines. Par conséquent, nous nous exposons, me semble-t-il, aux mêmes déconvenues si nous laissons ces risques-là subsister. On ne peut pas considérer un seul acte, presque sans pression grave, sans but, sans finalité. Il y a d’autres infractions. S’il n’y a pas de connotation sexuelle, on est dans le harcèlement moral. C’est pourquoi le Gouvernement ne peut pas être favorable à de tels amendements.
J’entends bien votre argumentation, madame Klès, sur le chantage sexuel. Simplement, votre amendement soulève deux difficultés. La première, c’est que la notion de chantage existe déjà dans le code pénal. Elle concerne la recherche d’avantages matériels et financiers. Nous aurions donc dans le même code pénal le chantage et le chantage sexuel. Ce dernier, qui constitue une atteinte aux personnes, serait moins lourdement puni que le chantage, pour lequel la peine prévue est de cinq ans d’emprisonnement.
C’est tout le débat que nous avons eu cet après-midi ! (M. Jean-Jacques Hyest acquiesce.) Pour ma part, je ne souhaite pas contribuer au désordre actuel du code pénal, en prévoyant, de plus en plus souvent, que les atteintes aux biens soient plus sévèrement punies que les atteintes aux personnes. Je ne veux pas introduire un élément de cette nature dans le code pénal. Il nous faut au contraire rétablir, avec le législateur, l’échelle des peines du code pénal, qui doit correspondre davantage aux valeurs de la République, à notre conception des personnes, de leur intégrité physique et psychique, et placer sur un plan tout de même légèrement inférieur les peines prévues pour les atteintes aux biens.
Nous en sommes tous conscients, toute la difficulté de la discussion est là. Le sujet est d’ailleurs revenu à plusieurs reprises au cours de nos travaux : devons-nous introduire la notion de chantage ? Les commissions saisies ont retourné le problème dans tous les sens !
C’est vrai, un acte unique ressemble à du chantage. Pour ma part, cela a été ma première pensée, et j’ai demandé à vérifier sa définition et la sanction prévue dans le code pénal. Dans le vocabulaire courant, sans même recourir au vocabulaire juridique, chacun comprend ce que peut être un acte unique de chantage contre, par exemple, une relation de nature sexuelle. Disant cela, madame Cohen, je ne parle pas de faveurs sexuelles, notion qui ne figure ni dans le texte ni dans votre proposition de loi.
Un acte unique de chantage contre une relation de nature sexuelle s’apparente au chantage. Nous avons tous débattu de cette question. Nous le nommons acte unique, nous l’assimilons au harcèlement sexuel, mais nous ne pouvons pas découdre ainsi le texte !
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à tous les amendements, à l’exception de l’amendement n° 2 rectifié, qui vise à remplacer « une relation de nature sexuelle » par « un acte de nature sexuel ».
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.
M. Philippe Kaltenbach. Le groupe socialiste votera en faveur de l’amendement n° 2 rectifié présenté par Mme Dini, ainsi que de l’amendement n° 19 rectifié défendu par Mme Klès, pour les raisons évoquées par cette dernière, et malgré l’excellent argumentaire de Mme la garde des sceaux.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur l’amendement n° 26.
Mme Annie David. Je regrette que l’amendement n° 25 n’ait pas été adopté. Ainsi, le texte fera uniquement référence, pour cet acte unique, à la recherche d’un acte sexuel et ne prendra pas en compte l’atteinte portée à la dignité de la personne.
À mes yeux, il est tout aussi grave de porter atteinte à la dignité de la personne que de rechercher un acte sexuel, d’une part, parce que celui-ci n’est pas forcément obtenu et, d’autre part, parce que l’atteinte à la dignité est une blessure souvent profonde.
Il est dommage de se contenter de sanctionner l’acte visant à obtenir, avec ou sans succès, une relation sexuelle. Les deux notions ne sont pas contradictoires. Pourquoi laisser de côté la notion d’atteinte à la dignité de la personne ? Si l’acte unique est suffisamment grave pour avoir porté atteinte à la dignité d’une personne, une femme sera encore plus meurtrie qu’on pénalise uniquement la recherche d’une relation de nature sexuelle.
Mes chers collègues, je suis vraiment déçue que vous n’ayez pas suivi cette argumentation.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 37 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote sur l’amendement n° 19 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest. Cet amendement est, à mes yeux, tout à fait regrettable.
Je vous ai lu cet après-midi la définition du chantage dans le code pénal. Certes, on peut utiliser l’expression « chantage sexuel » dans la langue courante. Mais, dans la loi, la définition du chantage existe depuis l’origine du code pénal, même si les termes ont été quelque peu modifiés lors de sa refonte en 1992.
Franchement, on mélange tout ! Le chantage, chacun sait très bien ce que c’est : il s’agit d’obtenir quelque chose en menaçant de révéler une information de nature à porter atteinte à la considération d’une personne. Or, ici, ce n’est absolument pas le cas ! Soit dit par parenthèse, ce matin, en commission des lois, nous n’étions pas tous d’accord, et ce n’était pas une question d’appartenance politique : chacun a apporté sa contribution pour rédiger le meilleur texte possible.
Comme Mme la garde des sceaux l’a rappelé, le chantage est puni de cinq ans d’emprisonnement, tandis que, pour le chantage sexuel, la peine serait de deux ans. Allez comprendre ! Cela dit, le chantage peut nuire gravement à la réputation et à la vie des gens, ce qui n’est pas non plus négligeable.
Pour ma part, je suis délibérément hostile à ce mélange de termes qui n’ont rien à voir avec la réalité. Le chantage, c’est le chantage ! Pour ce qui est d’un acte assimilé au harcèlement sexuel, la définition donnée par la commission des lois me paraît parfaitement conforme.