Mme Gisèle Printz. Ah !
M. Jean-Jacques Hyest. Cela étant, peut-être ferons-nous de même maintenant, afin de stabiliser le droit… (Sourires.) Mais veuillez me pardonner ce trait d’humour !
Donc, la décision du Conseil constitutionnel relative au harcèlement moral nous donne une indication. (Marques d’approbation sur certaines travées de l’UMP.)
Ne modifions pas le texte pour l’instant, puisque le Conseil constitutionnel l’a déclaré constitutionnel.
Quant à la censure de l’article 222-33 du code pénal, franchement, notre excellente collègue Mme Dini, qui n’est plus là,…
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Elle s’est absentée mais va revenir.
M. Jean-Jacques Hyest. … a lancé en direction du Conseil constitutionnel une véritable attaque. En dehors du fait que, personnellement, je n’aurais pas cité ce cas local, j’estime que la décision sur le harcèlement sexuel n’a rien à voir avec la celle qui est intervenue en matière de garde à vue et qui a imposé la présence de l’avocat : il fallait à l’évidence un certain délai pour mettre en place le dispositif. Mais quand un délit disparaît, comme en l’espèce, comment voulez-vous continuer à le faire vivre ?
Il est vrai que le Conseil constitutionnel ne donne pas d’explication dans sa décision, mais un certain nombre de commentaires ont, hélas ! été faits : si le délit n’existe plus, on ne peut pas poursuivre ; autrement, c’en est fait du principe de légalité des délits et des peines.
M. Christian Bourquin. C’est trop facile, monsieur Hyest ! Et les victimes ?
M. Jean-Jacques Hyest. C’est la règle !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous pouviez demander au Parlement de revoir la loi.
M. Jean-Jacques Hyest. Le fait qu’il y ait des victimes, monsieur Bourquin, ne permet pas pour autant de violer la règle de droit.
M. Henri de Raincourt. Voilà !
M. Jean-Jacques Hyest. Je salue d’ailleurs les efforts que vos services, madame la garde des sceaux, ont consentis : vous avez tout fait pour permettre, autant que possible, les poursuites sur le fondement d’autres incriminations.
S’agissant des victimes de harcèlement sexuel, bien entendu, toutes les situations qui ont été évoquées par les uns et les autres sont terribles. D’où l’urgence. Vous le voyez, mes chers collègues, la procédure accélérée se justifie de temps en temps - ce n’est pas la peine de revenir trente-six fois sur un dispositif ayant fait l’objet d’un accord – et, pour une fois, elle a été demandée.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est rare !
M. Jean-Jacques Hyest. À mes yeux, l’approche que l’on avait de la procédure accélérée, ou de la déclaration d’urgence naguère, était parfois discutable, car elle était devenue rituelle. Mais ici, je pense qu’elle est indispensable si nous voulons adopter ce texte avant la fin de la session extraordinaire.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Jean-Jacques Hyest. En lisant le projet de loi, on ne peut qu’être frappé par la bizarrerie de la forme du premier alinéa, surtout en le comparant à l’ensemble des articles du code pénal, notamment celui qui concerne le harcèlement moral. Pourquoi ne pas utiliser la même ?
Trois interrogations principales ont fait l’objet d’un consensus, d’autres – les amendements déposés par nos collègues en témoignent – ont suscité des positions divergentes.
Il s’agissait tout d’abord de rappeler le caractère intentionnel du délit.
Ensuite, parce que la question du caractère répétitif ou non des actes, propos ou comportements, caractéristique du harcèlement, ne permettait pas de couvrir le champ des menaces, ordres ou contraintes, actes parfois uniques mais d’une gravité potentielle réelle, on ne peut qu’approuver l’assimilation au harcèlement sexuel de ce délit.
Madame la garde des sceaux, cette disposition figurait déjà dans le projet de loi initial et a été largement confirmée par la commission des lois.
Il est sans doute plus réaliste de fixer une même échelle des peines pour cette double définition du délit, en laissant au juge le soin d’apprécier la gravité des comportements et leurs conséquences. J’ai entendu que vous aviez donné votre accord sur ce point.
Je n’évoquerai pas les adaptations nécessaires dans le code du travail et le statut de la fonction publique, mais je m’interroge toujours sur l’utilisation du terme « environnement », mis à toutes les sauces. La commission des lois a bien voulu reconnaître ce matin que le terme de « situation » correspondait mieux à la réalité et nous éviterait une imprécision juridique.
Enfin, nous avons intérêt – madame la garde des sceaux, vous avez largement développé cette question –…
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur Hyest, vous avez largement dépassé votre temps de parole !
M. Jean-Jacques Hyest. … à retenir les mêmes circonstances aggravantes que pour d’autres crimes et délits - sauf à détruire un peu plus l’équilibre de notre code pénal, déjà bien mis à mal - et à ne pas introduire des allusions au « genre » – gender en anglais – qui n’ont pas leur place dans ce débat. En effet, les victimes de harcèlement sexuel n’ont pas à faire l’objet de discrimination : elles sont toutes égales, et doivent être protégées également.
Je pourrais aussi évoquer les circonstances aggravantes, notamment en cas de minorité de la victime. Je ferai observer à ceux de nos collègues qui sont partisans du seuil de quinze ans pour protéger, entre autres, les apprentis, qu’il existe une autre circonstance aggravante, l’abus d’autorité, qui ouvre largement la possibilité de prononcer des peines aggravées.
Voilà, mes chers collègues, quelques observations qui ne remettent évidemment nullement en cause notre volonté commune d’aboutir vite, tout en respectant la règle de droit et en permettant une plus juste appréciation de la gravité des situations dans lesquelles se trouvent les victimes.
Bien entendu, notre groupe soutiendra le texte de la commission des lois, amendé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Roland Courteau. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le harcèlement sexuel, voilà un autre fléau trop longtemps sous-estimé, trop longtemps minimisé et, surtout, trop longtemps ignoré du code pénal.
Oui, un fléau qu’il est impératif de combattre, car il est l’un des plus préoccupants, au regard des atteintes à la dignité humaine et à l’intégrité psychique induites.
Le Sénat, qui fut, dans l’histoire de la République, à l’origine de la première loi visant à lutter contre les violences au sein des couples, est saisi en premier lieu sur cet autre fait de société gravissime, et c’est très bien ainsi.
Là encore, dans leur quasi-totalité, les victimes de harcèlement sexuel sont des femmes.
Je salue votre projet de loi, madame la garde des sceaux.
Je salue votre action, madame la ministre des droits des femmes.
Je crois que l’on doit également saluer la très grande réactivité du Sénat sur ce sujet – dépôt de sept propositions de loi, constitution d’un groupe de travail réunissant la délégation aux droits des femmes ainsi que les commissions des lois et des affaires sociales -, et saluer aussi le travail des trois rapporteurs, du président de la commission des lois, de la présidente de la commission des affaires sociales et de la présidente de la délégation.
Le texte du Gouvernement a ainsi été enrichi en retenant aussi, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, les pistes explorées par les propositions de loi. Il devrait donc déboucher sur un consensus, du moins je l’espère, et c’est bien là l’essentiel.
Nous avons, avec le texte qui nous est soumis, un dispositif complet permettant en effet de mieux combattre les manifestations du harcèlement sexuel, qu’il s’agisse d’actes répétés ou de chantage sexuel.
Oui, mes chers collègues, c’est un fléau, qu’il convient de combattre fermement, tant il est destructeur pour la personne qui en est victime.
Je note que le Gouvernement a décidé d’engager la procédure accélérée.
Je dirais volontiers, pour reprendre vos propos, monsieur le président de la commission des lois, qu’en temps ordinaire je suis également plutôt critique par rapport à l’utilisation de cette procédure. Mais, compte tenu de la situation et de l’urgence qu’il y a à agir, j’approuve la décision du Gouvernement, mesdames les ministres.
Je n’ajouterai rien, cela a été suffisamment exposé, à l’historique de la définition du harcèlement sexuel, progressivement allégée, progressivement simplifiée, et qui a conduit le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, à la déclarer contraire à la Constitution, dans sa décision du 4 mai 2012.
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage », pourrait-on dire. En tout cas, force est de constater que des efforts renouvelés – en 1992, en 1998 et en 2002 – ne conduisent pas toujours à la perfection recherchée.
M. Jean-Jacques Hyest. Et voilà !
M. Roland Courteau. Je ferai une remarque au passage, pour regretter que le Conseil constitutionnel, qui avait été saisi en 2002 de la loi de modernisation sociale, notamment des dispositions relatives au harcèlement moral, n’ait pas alors soulevé d’office la question de la conformité à la Constitution des modifications apportées à la définition du harcèlement sexuel.
Cela dit, qu’il me soit permis de revenir sur l’ampleur de ce phénomène, pourtant encore mal connu, comme c’est le cas, aussi, pour les violences à l’égard des femmes en général ou encore au sein des couples.
S’il est en effet difficile d’avoir une idée précise du nombre de victimes, les chiffres communiqués par l’Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis prouvent bien l’ampleur du fléau et permettent d’affirmer que le harcèlement sexuel est certainement plus répandu qu’on ne le dit ou que ne l’évalue l’étude d’impact.
Il me paraît donc absolument nécessaire de pouvoir disposer d’un observatoire national des violences envers les femmes. (Bravo ! sur les travées du groupe CRC.)
C’est en ce sens que j’étais également intervenu lors des discussions sur les propositions de loi qui furent à l’origine des lois du 4 avril 2006 et du 9 juillet 2010 sur les violences à l’égard des femmes, en demandant une telle création, que nous n’avions pu obtenir.
La seule avancée sur ce point que nous ayons pu réaliser – mais était-ce une avancée ? – figure à l’article 29 de la loi du 9 juillet 2010. Cet article dispose qu’un rapport remis par le Gouvernement sur la création d’un observatoire national des violences faites aux femmes sera présenté au Parlement avant le 31 décembre 2010. Et que lit-on dans ce rapport qui, faut-il le souligner, a été publié avec plus d’un an de retard ? Il est proposé, non pas de créer une structure dédiée, comme nous le souhaitions, mais de s’appuyer sur l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, ce qui ne répond en aucune façon à nos préoccupations.
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis. Tout à fait !
Mme Virginie Klès. En effet !
M. Roland Courteau. Je me réjouis donc que vous-même, madame la ministre des droits des femmes, lors d’une audition ici même, vous soyez déclarée ouverte à la création d’un observatoire national des violences faites aux femmes.
J’apprécie également votre intention de lancer une campagne de sensibilisation à l’automne sur ce sujet, afin que plus facilement se déchire le voile du silence et que plus facilement se libère la parole des victimes.
Dans ce domaine précis, qui est aussi celui des violences à l’égard des femmes, plus on informera, plus on sensibilisera, plus on alertera et plus vite on fera reculer ce fléau.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en 2010, j’avais défendu et fait adopter des amendements, instituant, pour l’un, une journée nationale de sensibilisation aux violences faites aux femmes, fixée au 25 novembre de chaque année, et préconisant, pour l’autre, la mise en œuvre d’une information dans les écoles, les collèges et les lycées sur l’égalité entre les garçons et les filles, sur le respect, sur la lutte contre les préjugés sexistes et les violences à l’égard des femmes.
Cela nous paraissait essentiel dès lors que l’on constate que les garçons et les filles sont, dès leur plus jeune âge, enfermés dans des représentations très stéréotypées de leur place et de leur rôle dans la société. (M. Jacky Le Menn applaudit.)
La prévention est indispensable, et cela dès le plus jeune âge, si l’on veut éradiquer ce fléau des violences, notamment à l’égard des femmes. Romain Rolland le disait avec force : « Tout commence sur les bancs de l’école ». Il avait raison !
Il suffirait, mes chers collègues, d’appliquer cette disposition qui figure dans la loi de 2010, ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent, aucune instruction en ce sens n’ayant été donnée aux chefs d’établissements scolaires.
Cela dit, l’urgence commandait de combler dans les plus brefs délais le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel. C’est d’ailleurs parce que j’estimais que ce vide juridique ne devait pas perdurer davantage que j’ai pris l’initiative de déposer, comme certains de mes collègues, une proposition de loi dès le 15 mai.
Qu’il me soit permis de préciser que la décision du Conseil constitutionnel est bienvenue. En revanche, son application immédiate a des conséquences très douloureuses pour les victimes de faits de harcèlement sexuel. En effet, cette décision impose l’annulation de toutes les procédures judiciaires en cours et interdit d’engager de nouvelles poursuites sur le fondement du texte abrogé.
On mesure donc le désarroi et le sentiment d’injustice que ressentent toutes les victimes qui avaient eu le courage de prendre la décision, souvent difficile, de porter plainte pour harcèlement sexuel, et qui s’étaient engagées dans un long et inévitablement pénible parcours judiciaire dans l’espoir que justice leur soit rendue.
Quoi qu’il en soit, et pour reprendre l’expression du professeur Detraz, en abrogeant, avec effet immédiat, l’article 222-33 du code pénal, c’est un remède de cheval qui a été administré par le Conseil constitutionnel au texte jugé malade.
Je partage tout à fait l’analyse de Mme Dini, mais aussi de Stéphane Detraz que je viens de citer, notamment quand celui-ci affirme que de telles conséquences ne s’imposaient pourtant pas au Conseil constitutionnel, qui avait la possibilité de reporter dans le temps la prise d’effet de l’abrogation de la loi.
M. Christian Bourquin. En effet !
M. Roland Courteau. En effet, souligne-t-il, le fait « qu’une incrimination soit déclarée insuffisamment intelligible ne signifie pas que, dans chaque affaire, il ne soit pas certain que les faits poursuivis entrent dans ses prévisions ».
Il poursuit : « Le Conseil constitutionnel pouvait faire survivre l’article 222-33 du code pénal pendant quelque temps sans compromettre l’exigence d’intelligibilité, le juge pénal pouvant, dans l’intervalle, neutraliser le texte d’incrimination en opérant un contrôle de conventionalité ou, au contraire, l’appliquer, selon que les faits dont il était saisi entraient, sans hésitation, dans le “ noyau dur ” du délit, ou au contraire correspondaient à ses marges incertaines ».
Je ferai remarquer qu’en fait, et dès lors qu’il revient au Conseil constitutionnel de fixer la date et l’ampleur des effets de l’abrogation, une telle faculté peut avoir pour effet bénéfique de laisser subsister quelque temps la règle pénale créée par le législateur plutôt que de la faire disparaître.
Ces remarques étant faites et les choses étant ce qu’elles sont, l’urgence, je le répète, commande de réagir sans tarder face au vide juridique existant afin de réprimer des comportements inadmissibles. En effet, pour se reconstruire, les victimes ont besoin que soit reconnue la culpabilité de leur agresseur, surtout dans le domaine qui nous mobilise aujourd’hui.
On n’insistera jamais assez sur les ravages du harcèlement sexuel chez les victimes : les atteintes à la dignité, la perte de confiance en soi, la perte d’estime de soi. Certaines victimes vont jusqu’à évoquer des épisodes dépressifs à répétition, des troubles anxieux généralisés, des troubles de la personnalité, des maladies liées aux stress, entre autres. Oui, il y a bien dégradation des conditions de vie et de santé de la victime.
Pour conclure, je souhaite vous livrer le témoignage d’une femme qui a été victime durant de nombreux mois d’un harcèlement sexuel et qui m’écrivait ceci : « Aujourd’hui, je dis merci à mes amis. J’ai enfin décidé de me libérer et j’ai décidé de porter plainte ».
Elle ajoute : « Je ne pensais pas que ce que j’ai vécu aurait autant de répercussions sur ma vie personnelle et professionnelle. Aujourd’hui, je suis suivie par un psychiatre. Aujourd’hui, je suis en dépression et j’ai perdu mon travail. Aujourd’hui, j’ai tellement de souffrances en moi ! Alors, aujourd’hui, avec vos collègues sénateurs, aidez les femmes qui vivent de telles situations. Prenez les bonnes décisions ».
M. Christian Bourquin. Bravo !
M. Roland Courteau. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, à mon sens, on ne saurait mieux dire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l’UCR et de l’UMP.)
M. Jacky Le Menn. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, les orateurs précédents l’ont déjà souligné, dans sa décision du 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel a considéré que la disposition du code pénal définissant le délit de harcèlement sexuel était contraire au principe de légalité des délits et des peines. Il a ainsi estimé que les éléments constitutifs de cette infraction n’étaient pas suffisamment précis pour exclure l’arbitraire conformément à ce principe.
En préambule, permettez-moi de souligner que, pour la première fois de son histoire, le Conseil constitutionnel s’est arrogé le droit de se substituer au législateur en abrogeant lui-même la loi.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes. Absolument !
Mme Éliane Assassi. Cette situation me conforte, ainsi que mes collègues du groupe CRC, dans l’idée qu’il est urgent de réformer à la fois le mode de nomination et les pouvoirs de cet organe.
Il est vrai que cet article méritait de faire l’objet d’un réexamen, ce que plusieurs associations de défense des droits des femmes réclamaient déjà. Toutefois, nous condamnons le choix qui a été fait d’une abrogation immédiate de l’article 222-33 du code pénal et déplorons très fortement les conséquences de cette décision.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes. Tout à fait !
Mme Éliane Assassi. En effet, ce constat a également été dressé par certains des orateurs précédents, du fait de cette décision, le délit de harcèlement sexuel a purement et simplement disparu du code pénal, créant un vide juridique et faisant tomber toutes les affaires de harcèlement sexuel actuellement pendantes devant les juridictions pénales.
Cette situation, nous le savons, a été douloureusement ressentie par les victimes de ces agissements – des femmes, dans la très grande majorité des cas – qui avaient eu le courage de les dénoncer.
Ces personnes étaient, pour beaucoup, en procédure depuis de nombreuses années. Elles se trouvent aujourd’hui contraintes de reprendre tout leur combat depuis le début, quand elles peuvent encore le faire. C’est un nouveau préjudice moral et financier.
Des solutions doivent, partant, être trouvées pour ces victimes.
Il était donc urgent qu’une nouvelle définition du délit de harcèlement sexuel soit adoptée et que les dispositions du code du travail, du code de procédure pénale et de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires soient adaptées en conséquence.
Au-delà des divergences politiques, le groupe de travail constitué au Sénat et coprésidé par la présidente de la délégation aux droits des femmes, par le président de la commission des lois et la présidente de la commission des affaires sociales, entendait – je tiens à le souligner, par un travail collectif rigoureux et studieux – répondre à la nécessité de parer à cette urgence.
Parallèlement, plusieurs propositions de loi ont été déposées, dont celle du groupe CRC. Le nouveau gouvernement s’est ensuite saisi du sujet pour présenter un projet de loi tenant compte de certaines recommandations du groupe de travail mais aussi de certaines des sept propositions de loi.
En déposant une proposition de loi dès le 25 mai, le groupe CRC avait pour but de proposer la définition du harcèlement sexuel la plus protectrice possible pour les victimes, dans la limite des exigences constitutionnelles, afin de ne pas encourir une nouvelle censure.
Nous disposons, certes, d’une définition européenne donnée par les directives du 23 septembre 2002 et du 5 juillet 2006, mais la reprise, mot pour mot, de cette définition ne va pas totalement de soi. En effet, le Sénat a fait valoir à deux reprises, pour certains de ces éléments, que cette définition, d’une part, paraissait difficilement compatible avec les principes qui fondent notre droit pénal ; d’autre part, qu’elle procède d’une approche différente de celle du droit interne en ce qu’elle assimile le harcèlement à une discrimination. Elle nous a néanmoins servi de base pour élaborer notre proposition de définition.
Nos interrogations ont porté sur l’élément matériel de l’infraction, sur l’élément intentionnel, sur la question de la peine et sur celle de la charge de la preuve.
Les éléments de réponse apportés nous ont permis d’aboutir à cette définition : « Constitue un harcèlement sexuel tout comportement à connotation sexuelle qui porte atteinte à la dignité d’une personne, ou crée un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant, répété ou revêtant un caractère manifeste de gravité ».
Tout d’abord, concernant l’élément matériel de l’infraction, notre souci a été de ne pas nous livrer à une énumération des formes du harcèlement sexuel. De fait, une telle liste présenterait, au total, un caractère restrictif, puisqu’elle conduirait à considérer que « les actes harcelants » qui n’y figurent pas sont autorisés. De plus, on peut craindre que l’imagination des agresseurs ne la déborde rapidement. (Mme la ministre des droits des femmes acquiesce.)
Ensuite, si le sens commun, guidé par la définition usuelle du verbe « harceler », conduit à considérer qu’un acte unique ne peut constituer un harcèlement, à l’évidence – sur ce point, les associations ont joué un rôle éclairant – un acte d’un certain degré de gravité relève bien du harcèlement sexuel, l’impact, tant physique que psychologique, d’un acte unique sur la victime pouvant se prolonger dans le temps.
On songe, par exemple, à une menace de représailles, si la victime ne cède pas à la sollicitation sexuelle qui lui a été adressée : ne s’épuisant pas dans le laps de temps où elle s’est exprimée, elle présente en fait un caractère permanent, faisant peser sur son destinataire une pression continue.
D’ailleurs, lors des débats parlementaires qui avaient précédé le vote de la loi du 2 novembre 1992, il avait été souligné que la jurisprudence « devrait saisir que le terme de “harcèlement sexuel” a un effet d’affiche mais que le texte permet que le délit soit constitué même en cas d’acte unique ».
Le ministre de l’époque avait ajouté : « La position du Gouvernement est claire : tel qu’il est défini, le harcèlement sexuel [...] peut se traduire par plusieurs actes, mais éventuellement par un seul acte d’une particulière gravité ». Cette déclaration faisait alors écho aux exigences de la Commission européenne qui précisait, dans l’une de ses recommandations, « qu’un seul incident de harcèlement peut constituer à lui seul le harcèlement sexuel, s’il est suffisamment grave. »
Toutefois, si, lors des débats de 1992, il avait été admis qu’un seul acte grave pouvait constituer un harcèlement, la jurisprudence n’était pas aussi claire quant à l’exigence de répétition. Ainsi, certaines décisions rejettent explicitement l’idée qu’un acte isolé puisse, à lui seul, caractériser un harcèlement sexuel au sens de l’article 222-33. Nombre de décisions d’appel font référence à la pluralité des actes accomplis ou à leur caractère habituel. Il nous a donc semblé utile de préciser l’obligation de réprimer un acte unique grave.
Concernant maintenant l’élément moral de l’infraction, il nous a semblé nécessaire, en premier lieu, de distinguer harcèlement sexuel et discrimination.
Pourquoi ? Dans les pays anglo-saxons, notamment aux États-Unis, les actes de « harcèlement sexuel » ont toujours été appréhendés sous l’angle de la « discrimination sexuelle ». Cette approche du harcèlement comme forme de discrimination fondée sur le sexe, a eu des échos en Europe et s’est traduite dans le texte de la directive.
Au fondement de la logique communautaire figure une idée forte : le harcèlement sexuel fait obstacle à la bonne intégration des femmes sur le marché du travail, et le combat contre ce phénomène participe donc de la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes. Or il ne s’agit pas simplement de cela !
L’approche adoptée par le législateur français pour établir la définition proposée aujourd’hui diffère par rapport aux précédentes. En effet, après hésitation, ce dernier a abandonné le projet de consacrer le « harcèlement » comme une simple « variété de discrimination » – passez-moi l’expression – en soutenant l’idée selon laquelle une personne peut être harcelée non seulement en raison de son sexe, mais aussi en raison de son aspect physique, de ses qualités morales ou intellectuelles, etc.
De plus, envisager le « harcèlement sexuel » sous l’angle de la discrimination aboutit à une impasse quand le harceleur s’attaque aussi bien à la gent masculine qu’à la gent féminine. Il faut donc dépasser le rapprochement opéré entre le « harcèlement sexuel » et « l’égalité entre les hommes et les femmes », même si ce sont les femmes qui restent les plus exposées.
Reste que, si le droit français ne semble pas placer sur le même plan les notions de harcèlement sexuel et de discrimination, il n’en institue pas moins le harcèlement sexuel comme motif de discrimination. L’intégration de la notion de harcèlement sexuel dans le code du travail s’est en effet accompagnée de la création d’un nouveau motif discriminatoire dès 1992. L’actuel projet de loi prévoit, quant à lui, par son article 2, d’intégrer ce motif discriminatoire dans le code pénal.
Pour éviter toute confusion, il faut encore distinguer clairement « harcèlement sexuel » et « harcèlement sexiste », ce dernier terme qualifiant des agissements sous-tendus par la mentalité éminemment sexiste de son ou de ses auteurs.
L’expression « harcèlement sexiste » est employée pour désigner des agissements dont la caractéristique est de porter atteinte à la dignité de la victime et qui trouvent leur raison dans le sexe de cette dernière. C’est donc ici le genre plutôt que la sexualité qui constitue l’objet du harcèlement. Dans cette hypothèse, on peut avancer que le harcèlement sexiste n’est qu’une forme de harcèlement moral. Et l’on se trouve même en présence de ce que l’on peut qualifier de « harcèlement moral discriminatoire ».
Cette approche a pour inconvénient de contribuer à effacer, à gommer le « caractère sexué » des agissements condamnés. Il pourrait donc être intéressant d’envisager, à l’avenir, la création d’un article spécifique pour ce type de harcèlement, malheureusement toujours très répandu.
Concernant l’élément moral, la loi française, à la différence du droit communautaire, fixait un but précis, à savoir « l’obtention de faveurs sexuelles ».
Cette approche a conduit à ne pas qualifier de « harcèlement sexuel » des actes ou des pratiques à connotation sexuelle qui instaurent ou créent un climat de travail malsain ou attentatoire à la dignité de la personne, des agissements qui, bien qu’ils puissent mettre mal à l’aise, ne sont pas sous-tendus par une intention sexuelle. Pourtant, la finalité apparaît, pour celles ou ceux qui ont subi un acte ou une pratique de cette nature comme une tentative de mainmise, de subordination, d’humiliation, d’exclusion. Il est donc, à notre sens, absolument nécessaire de réprimer « les harcèlements d’ambiance » ou, ce qui fait débat, « d’environnement hostile », ce que nous avons retenu en supprimant toute référence à l’obtention de faveurs sexuelles.
Le débat en séance public permettra, je l’espère, d’améliorer encore le texte proposé par la commission des lois, car plusieurs points posent encore problème.
D’abord, la question essentielle de « l’acte unique » de harcèlement.
Le projet assimile au « harcèlement sexuel », même en l’absence de répétition, « le fait d’user d’ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave » à l’égard d’une personne, « dans le but réel ou apparent d’obtenir une relation de nature sexuelle ».
Cette définition appelle plusieurs remarques.
Elle est très proche de la définition de l’agression sexuelle visée à l’article 222-22 du code pénal aux termes de laquelle « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Le risque existe donc de voir les agressions sexuelles requalifiées en harcèlement.
Ce risque de requalification était déjà inhérent à la précédente version de l’article 222-33 ; il continuera d’exister et pourra même être aggravé. Il faut donc l’éviter.
La notion de « chantage sexuel » est au cœur de cette définition de l’acte unique « grave » de harcèlement. À cet égard, je souhaite attirer votre attention sur une réelle difficulté de cohérence pénale.
En effet, en droit, « le chantage », tel que visé à l’article 312-10 du code pénal, relève d’une infraction contre les biens. Il est par ailleurs puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Or il serait créé un délit de « chantage sexuel », relevant des atteintes aux personnes et non plus des atteintes aux biens, qui ne serait puni, lui, que de deux ans, voire trois ans d’emprisonnement.
Cette question, vous le voyez, pose vraiment problème et doit faire l’objet d’un débat approfondi. C’est le sens des amendements que nous avons déposés sur cette définition.
Enfin, j’en viens aux derniers points de divergence sur les circonstances aggravantes, qui feront aussi l’objet de débats.
Le premier point de divergence porte sur la question de la vulnérabilité. Nous défendons l’introduction de la notion de « vulnérabilité économique ou sociale », mais nous ne resterons pas sourds aux éventuelles propositions qui pourront être formulées au cours des débats, notamment par le Gouvernement.
Le second a trait à la question de la minorité. Nous prônons de ne pas la limiter à la majorité sexuelle. Sur ce sujet, le critère pertinent doit être seulement celui de la vulnérabilité d’un mineur face à un adulte harceleur. De plus, comme ce texte vise à déconnecter le harcèlement de la recherche d’une relation sexuelle, le critère de majorité sexuelle nous semble tout à fait inopportun.
Si notre priorité est et reste l’adoption d’un texte, celui-ci doit être – Brigitte Gonthier-Maurin l’a dit tout à l’heure – le plus juste et le plus efficace possible, conforme aux réalités subies au quotidien par les victimes. C’est le sens des amendements que nous avons déposés bien évidemment avec l’objectif d’y parvenir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)