Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, je partage le constat dressé par mes collègues quant à l’urgence de statuer sur des comportements intolérables dans le fonctionnement d’une société comme la nôtre.
Je pense, en premier lieu, à l’ensemble des victimes qui n’ont jamais osé déposer plainte contre leur harceleur. Je pense à toutes celles qui ont franchi ce pas difficile et dont la procédure, faute de preuves suffisantes souvent, n’a pu aboutir à une condamnation des auteurs des faits. Je pense aussi à celles dont la procédure était en cours lorsque, en mai dernier, le Conseil constitutionnel a décidé d’abroger purement et simplement cette loi, sans prévoir de délai. Je pense également aux victimes actuelles, qui n’ont plus de possibilités de déposer plainte.
Mais je pense aussi aux auteurs, qui sont renforcés dans leur toute-puissance et risquent de récidiver, faute d’avoir eu l’occasion de prendre conscience des conséquences de leurs actes.
Car il ne s’agit pas ici de réprimer des rapports de séduction entre deux personnes consentantes. Non, il ne s’agit pas de cela. Le harcèlement sexuel, quel que soit le lieu où il est pratiqué, vise à utiliser la victime comme un objet sexuel à des fins de satisfaction personnelle.
Le harcèlement sexuel est sournois, indicible et donc difficilement mesurable ; il n’en est pas moins important. Les associations évoquent le chiffre de centaines de victimes chaque jour. C’est dire si le nombre de plaintes annuelles est minime par rapport aux situations vécues par les victimes.
Les violences de ce type, on le sait, ont des répercussions sociales importantes en termes de difficultés psychologiques, de santé, de pertes d’emploi. Elles ont également un coût financier évident.
Il est donc nécessaire de combattre ces pratiques de « chasseur », de « prédateur », pour faire accéder notre société au véritable statut de démocratie où l’égalité entre les femmes et les hommes sera complète.
Ce qui caractérise les violences envers les femmes est à la fois leur continuum dans le temps et entre les différentes sphères de la vie des femmes : vie personnelle, vie familiale, vie sociale et vie professionnelle. C’est pour cela qu’il n’y a pas des violences plus ou moins graves ; la loi doit pouvoir les sanctionner toutes, de manière graduée, mesurée, en recherchant des réponses pénales adaptées, le législateur ayant conscience d’agir ainsi pour prévenir et empêcher des passages à l’acte plus graves.
Mais les violences subies par les femmes présentent aussi comme caractéristique commune la difficulté pour les victimes d’apporter des preuves tangibles, car ces violences se déroulent le plus souvent hors du regard d’autrui, démontrant ainsi, s’il en était besoin, que l’auteur des faits, en prenant cette précaution, a pleinement conscience de transgresser la loi.
Je souhaite ici insister sur plusieurs points.
Tout d’abord, les harceleurs, sauf quelques exceptions, sont des hommes et leurs victimes, des femmes. Cette habitude, que d’aucuns trouvent tout à fait normale, révèle l’état de nos rapports sociaux de sexe. Ces rapports sociaux inégalitaires se déclinent dans toutes les sphères de notre vie : inégalités professionnelles et salariales, rôles différents face aux tâches domestiques et dans l’éducation des enfants, violences envers les femmes, monoparentalité... De surcroît, ces comportements habituels, intégrés par les femmes elles-mêmes comme « normaux », compliquent la transformation des rôles assignés aux unes et aux autres.
Toutefois, nous le savons, les comportements ont évolué en la matière au cours des dernières décennies sous le double mouvement de la loi et de l’implication des femmes dans la vie économique et politique. Cette évolution des mentalités doit nous inciter à aller toujours plus en avant pour placer les femmes en parfaite égalité de droits et être ainsi en accord avec cette belle citation de Stendhal que vous avez faite en début de séance, madame la ministre.
Leur état d’infériorité sociale place les femmes en situation de vulnérabilité. Cela a été abordé plusieurs fois et je suis favorable, pour ma part, à la reconnaissance de la précarité économique comme circonstance aggravante du harcèlement sexuel. Particulièrement dans le milieu du travail, le risque de perdre son emploi fournit l’occasion d’un chantage explicite ou implicite lorsque le harcèlement est le fait d’un supérieur hiérarchique ou d’un collègue. Il nous faut donc reconnaître cette vulnérabilité afin de faire savoir aux femmes exposées qu’elles peuvent se défendre et aux auteurs que leur comportement sera sanctionné. Il faut ainsi les contraindre au respect.
Une campagne de communication devrait pouvoir accompagner favorablement la promulgation de la présente loi auprès des employeurs, des syndicats, des associations d’aide aux victimes, des maisons des avocats, pour ne citer que ces exemples.
Par ailleurs, il est nécessaire, me semble-t-il, de compléter la loi sur les discriminations et de modifier l’article 225-1 du code pénal en ajoutant aux discriminations la notion d’identité sexuelle. En effet, notre société est fortement normée en matière de sexualité. Le modèle dominant reste celui du couple hétérosexuel. Toute personne qui, de manière évidente, s’en éloigne s’expose à la critique, aux railleries, voire à des agissements agressifs répréhensibles.
Les personnes transsexuelles ou transgenres nous ont fait part de la fréquence importante des harcèlements et des agressions qu’elles subissent, notamment dans la période dite de « transformation », qui peut durer plusieurs années. Il est nécessaire, me semble-t-il, de compléter la loi sur les discriminations et d’y ajouter une reconnaissance de la « transphobie ».
Seule une évolution des comportements fera véritablement rempart contre la bêtise et la méchanceté. Aussi, il me paraît important, comme certains l’ont souligné ici, d’éduquer les jeunes à la question large des sexualités lors de leur scolarité et de développer des campagnes de sensibilisation tout public pour mieux lutter ainsi contre les discriminations.
Enfin, une loi, c’est bien, mais une loi appliquée, c’est mieux !
C’est la raison pour laquelle je souhaite un rapport annuel sur l’application de la loi et sur le croisement avec les autres violences subies par les femmes françaises, de métropole et d’outre-mer. Je propose que ce rapport fasse l’objet d’une communication grand public à l’occasion du 25 novembre, date devenue, au fil des ans, le rendez-vous annuel qui permet de faire le point sur les violences envers les femmes et qui a été inscrite comme tel dans la loi de 2010 sur les violences conjugales. Car observer, rendre compte, c’est déjà agir.
La coordination des acteurs départementaux pourrait, par exemple, être privilégiée pour que les réponses s’élaborent au plus près des victimes, sous la conduite méthodologique générale du ministère des droits des femmes. Cette démarche pragmatique nous conduira à faire les croisements nécessaires entre les différentes formes de violences subies par les femmes.
En effet, pour lutter contre les violences faites aux femmes, les violences faites aux filles, il faut pouvoir mesurer régulièrement l’ampleur du phénomène, la nature et l’effet des réponses apportées et les axes de prévention à privilégier pour modifier durablement les comportements.
Volonté, ténacité, solidarité, telles sont les qualités requises pour faire parvenir les femmes à plus de dignité. Nul doute que notre Haute Assemblée, à l’occasion de la discussion de ce projet de loi, inscrira fortement sa volonté à l’égard de nos concitoyennes, qui comptent sur nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bourquin.
M. Christian Bourquin. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le 4 mai dernier, les dispositions de notre code pénal relatives au harcèlement sexuel, dans leur rédaction issue de la loi du 17 janvier 2002, ont été déclarées non conformes par le Conseil constitutionnel. Leur abrogation étant immédiate, nous nous devons de légiférer dans l’urgence, dès lors que les victimes sont aujourd’hui laissées sans protection. C’est bien là la condamnation que nous émettons depuis cette tribune envers ceux qui ont pris cette décision ce que je m’associe à vous, madame Dini, pour regretter.
Nous nous devons aussi de faire en sorte que le délit de harcèlement sexuel, qui existe dans notre droit depuis 1994, puisse trouver une définition répondant aux exigences constitutionnelles d’intelligibilité et de clarté.
Cette définition gagnerait aussi à être suffisamment large pour répondre à l’esprit, sinon à la lettre, des directives européennes du 23 septembre 2002 et du 5 juillet 2006, de telle sorte que la justice puisse passer lorsque des faits relevant du harcèlement sexuel se produisent. Nous le savons, en matière de harcèlement sexuel, les poursuites pénales étaient jusqu’à présent aussi rares que leur issue était incertaine. Des chiffres viennent d’ailleurs d’être communiqués à cette tribune.
Le texte que nous examinons, mes chers collègues, enrichi notamment par les contributions de plusieurs d’entre vous, vise à satisfaire ces exigences. Il doit permettre la poursuite de faits relevant spécifiquement de ce qui caractérise le harcèlement, c’est-à-dire d’actes qui, du fait même de leur accumulation, portent atteinte à la dignité de celles et de ceux qui en sont l’objet. Il innove aussi en ouvrant la possibilité de poursuivre des faits, même uniques, accomplis dans des circonstances bien particulières, sans que les infractions plus graves soient abandonnées.
Mes chers collègues, nous ne légiférons pas ici pour adoucir les peines encourues par les auteurs d’atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne !
Notre objectif ne doit pas se limiter à mieux définir pour seulement mieux réprimer. Notre ambition est plus forte : modifier enfin des comportements qui, trop longtemps, ont été minimisés, au prétexte qu’ils relèveraient d’une gauloiserie bien nationale.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Christian Bourquin. Certains vont même jusqu’à dire qu’ils structureraient les relations entre les hommes et les femmes, notamment sur le lieu de travail. Les mêmes arguments sont encore avancés pour défendre les pratiques de bizutage les plus humiliantes !
L’on sait parfaitement que le harcèlement sexuel est un phénomène de mieux en mieux étudié par les sciences sociales. Il est désormais intégré dans le champ de l’expertise en psychopathologie du travail. On connaît l’enquête pionnière – elle a été évoquée dans cet hémicycle – menée en Seine-Saint-Denis sur les violences sexuelles faites aux femmes au travail ou encore celle, plus récente, relative à la situation et à l’intégration des femmes dans une unité combattante de l’armée...
Ces études sont éclairantes, même si l’on peut regretter qu’elles restent trop limitées. Je forme le vœu qu’elles soient développées, parallèlement à la prévention des risques psychosociaux au travail. Mais il faut aller au-delà, puisque le harcèlement est un comportement qui se manifeste partout.
Mes chers collègues, au-delà de ces considérations, permettez-moi d’évoquer mon expérience. Au sein du conseil régional du Languedoc-Roussillon, une délégation aux droits des femmes a été créée dès 2004, sous la présidence de mon prédécesseur. L’objectif était alors de « créer un 8 mars permanent » en mettant l’accent sur la formation professionnelle et la lutte contre les violences faites aux femmes. Dans le même ordre d’idées, la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale a été signée. Ce sont là deux actes symboliques que j’ai souhaité à mon tour prolonger par de nouvelles réalisations opérationnelles. C’est la raison pour laquelle je travaille actuellement à la mise en place d’un observatoire régional des violences faites aux femmes, destiné à collecter des données tant quantitatives que qualitatives – il verra très bientôt le jour.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Christian Bourquin. Nous projetons aussi de montrer l’exemple à l’échelle de notre institution en obtenant la certification « égalité professionnelle hommes-femmes » décernée aux collectivités. Bien entendu, nous sommes vigilants pour que les femmes soient en première ligne dans les postes de direction. Ce n’est qu’un début, mais c’est absolument nécessaire.
Et pourquoi, madame la ministre, ne pas généraliser ce type d’initiatives, qui visent à promouvoir l’égalité en traitant de front les phénomènes que tous les féministes, c’est-à-dire les femmes et les hommes de progrès, veulent combattre ?
Avant de conclure, madame la garde des sceaux, j’aimerais évoquer un aspect du projet de loi.
Le texte issu des travaux de la commission opère une distinction entre deux formes de harcèlement sexuel. Si la nouvelle définition du harcèlement stricto sensu me semble relever d’une atteinte à la dignité de la personne, celle du harcèlement « assimilé » remplit pleinement les conditions caractérisant une agression sexuelle inscrites dans notre code pénal, qu’il s’agisse des moyens employés ou de la finalité poursuivie.
C’est précisément la confusion possible entre le nouveau délit « assimilé au harcèlement sexuel » et celui d’agression sexuelle qui m’inquiète. La question du chantage sexuel aurait mérité en elle-même un débat dans cet hémicycle. Le sujet est éminemment sensible et comporte de vrais enjeux pour les victimes. Nous l’avons tous affirmé : les victimes sont la priorité de nos travaux. Il ne faudrait pas, en éludant ce débat, ouvrir une brèche dans l’arsenal protecteur des victimes. Le risque n’est-il pas de voir des faits relevant de l’agression sexuelle sous-qualifiés en harcèlement ?
Je sais bien, madame la ministre de la justice, que les procureurs garderont la possibilité de retenir l’une ou l’autre qualification, et qu’ils n’hésiteront sans doute pas à citer les deux chefs de poursuite.
Je tiens aussi, madame la garde des sceaux, à saluer votre engagement de respecter le principe de séparation des pouvoirs, dans le prolongement des déclarations du Président de la République François Hollande, et du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Aucun ordre individuel ne devrait donc venir perturber les procédures. Aujourd’hui, soit, mais qu’en sera-t-il à l’avenir ? Je m’éloigne quelques instants du sujet pour vous dire, madame la garde des sceaux, que j’ai eu à subir un ordre individuel… J’en ai donc la lamentable expérience.
Aussi, je crois qu’il est de la responsabilité du législateur de rester vigilant. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement de suppression de la disposition du projet de loi créant le délit « assimilé » au harcèlement sexuel. J’ai en effet été convaincu par les arguments de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, laquelle estime que le risque de voir des actes relevant de la tentative d’agression sexuelle sous-qualifiés est bien plus grave que celui d’attendre encore pour voir le délit de chantage sexuel inscrit dans notre droit.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, mesdames les ministres, cette difficulté que je me devais de soulever ne conditionne en aucune façon le soutien que j’apporte à ce texte. Je voterai donc ce projet de loi, tout comme mon groupe, le RDSE. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’Union centriste, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons tous été étonnés, et même choqués, par la décision du Conseil constitutionnel, non tant d’ailleurs par l’abrogation de la loi que par le choix délibéré de ne pas accorder de délai pour rebâtir rapidement un nouveau texte.
Les juristes ont justifié cette décision par la nature pénale de la loi. Pour autant, derrière le caractère quelque peu contraignant des règles de droit, il y a des victimes, des femmes, parfois des hommes, et des victimes qui n’ont plus de recours, des victimes qui ont pris de gros risques, des victimes qui, au final, se retrouveront bafouées dans leur dignité et obligées d’assumer le coût d’une procédure avortée.
Je ne peux aussi m’empêcher de penser que cette décision témoigne du peu de considération accordée à la question du harcèlement sexuel et des violences faites aux femmes en général. Les chiffres ont été rappelés, et ils sont tristement éloquents. D’après l’enquête européenne, 40 % des femmes environ s’estimaient, à un moment ou à un autre, victimes de harcèlement sexuel. Or, aujourd’hui, seules 1 000 procédures environ sont engagées chaque année, dont 80 aboutissent à une condamnation – des chiffres beaucoup plus précis ont été communiqués tout à l’heure.
Nous connaissons les raisons de cette situation.
Premièrement, il était très difficile pour la victime d’apporter la preuve du harcèlement sexuel, notamment parce qu’il lui fallait prouver l’intention de l’auteur d’obtenir une relation de nature sexuelle.
Deuxièmement, il est extrêmement difficile de franchir le pas, comme nous l’avons souligné d’ailleurs dans tous nos débats sur la question générale des violences faites aux femmes. Le harcèlement aboutit en effet à ce que la victime elle-même porte le poids d’une certaine culpabilité. Franchir le pas, prendre le risque de perdre son travail ou d’être mise de côté, c’est extrêmement difficile.
Troisièmement, nous nous trompons parfois d’approche à force d’assimiler le harcèlement sexuel à une version un peu dégradée de l’agression sexuelle. Certes, dans le harcèlement sexuel, conformément à la directive européenne, il faut qu’il y ait un acte à connotation sexuelle comme moteur, comme source du harcèlement. Toutefois, le but de l’auteur généralement est non pas d’obtenir une relation de nature sexuelle, quelle qu’elle soit, mais de détruire la personne, de l’humilier jusqu’à aboutir à sa destruction psychologique.
Le harcèlement sexuel n’est donc pas une version dégradée de l’agression sexuelle ; c’est proprement et simplement une atteinte à la dignité, et même une tentative de destruction de la personne humaine. Si nous partons de ce principe, nous pouvons effectivement réécrire le texte.
Face à cette violence silencieuse, je veux vraiment dire que les sénatrices et les sénateurs, tous bords confondus, ont eu le souci de la dignité politique.
Je veux remercier le président du groupe de travail, Jean-Pierre Sueur, ainsi que Mme Demontès, Mme Gonthier-Maurin, M. Anziani et tous les sénateurs qui ont eu à cœur de prendre à bras-le-corps ce sujet. Sept propositions de loi ont été déposées, et il n’existe pas de divergences de fond entre les différents groupes politiques. Il peut certes y avoir des clivages, mais ils transcendent les groupes et concernent des points particuliers du texte.
Nous avons tous refusé de politiser ce débat. Nous avons tous refusé de récupérer ce texte à notre profit et de faire de la communication à l’occasion de sa discussion.
Permettez-moi toutefois de regretter, une nouvelle fois, la méthode choisie par le Gouvernement – vous n’êtes pas directement en cause, madame la ministre, car vous n’étiez pas nécessairement favorable à cette voie. Il aurait en effet été nettement préférable de s’appuyer sur le travail sénatorial très profond, très précis et consensuel qui avait été mené, et de reprendre la proposition de loi à laquelle avait abouti le groupe de travail.
Vous ne pouviez pas arguer de l’urgence, car, si vous aviez repris le texte de la proposition de loi, nous n’aurions pas eu à réécrire le projet de loi et à examiner aujourd’hui une soixantaine d’amendements.
Vous ne pouviez pas non plus arguer de la concertation, puisque celle-ci avait déjà eu lieu au sein du Sénat.
J’ai été membre d’un gouvernement avant vous, et je sais le souci d’affichage qui peut parfois motiver certaines décisions, mais, dans cet hémicycle, sur toutes les travées, nous ne souhaitons pas que ce débat soit politisé, car le harcèlement ne relève pas d’un jeu politique.
Le résultat est un texte qui, sur certains points, se situe en retrait par rapport à celui qui a été discuté au sein du groupe de travail. Je pense notamment à un point tout particulier, qui sera largement débattu dans cet hémicycle : l’exigence, dans l’article 1er, d’un acte répété. Elle ne correspond pas à la directive européenne, qui ne fait pas de distinction entre acte répété ou acte unique. D’ailleurs, les Espagnols ont, dans leur loi pénale, repris la définition européenne.
Certains se sont émus – sans exprimer leur préoccupation de manière officielle – que l’on puisse condamner à une peine de prison une personne ayant mis la main aux fesses. Combien de fois avons-nous entendu de tels propos, qui nous ont parfois fait bondir ! C’est une question de bon sens : combien de femmes seraient prêtes à engager une procédure coûteuse et à risquer de perdre leur travail pour une main aux fesses ? Combien de juges seraient disposés à condamner à la prison l’auteur d’un tel acte ?
Prenons également garde, avec le II du texte présenté par l’article 1er pour l’article 222-33 du code pénal, que je juge extrêmement dangereux, à ne pas tomber dans une autre dérive. En effet, ce paragraphe assimile un acte unique accompagné d’ordres, de menaces ou de contraintes dans le but d’obtenir une relation de nature sexuelle à un harcèlement sexuel, alors qu’un tel acte est extrêmement proche d’une agression sexuelle. Le risque est fort de voir des agressions sexuelles requalifiées en harcèlements sexuels, d’autant qu’il faudra prouver l’intention de l’auteur. Or c’est précisément ce qui posait problème dans la précédente loi. Des agressions sexuelles pourraient ainsi rester impunies.
Madame la garde des sceaux, vous avez indiqué que vous aviez vous aussi des doutes quant à la pertinence de la rédaction de ce projet de loi. Si le harcèlement est l’expression d’une régression du corps social, le droit est en soi une expression de la culture. À cet égard, il nous appartient de faire sauter certains verrous culturels.
Ces deux points essentiels ayant été soulignés, je proposerai trois améliorations, qui ont d’ailleurs déjà été présentées par plusieurs de mes collègues.
Tout d’abord, il convient de prendre en compte la vulnérabilité économique des victimes en tant que circonstance aggravante. Je pense ici tout particulièrement aux femmes qui élèvent seules leurs enfants, sachant qu’un tiers des familles monoparentales sont pauvres. Ces femmes, plus encore que d’autres, doivent être protégées.
Ensuite, je suis réservée sur l’inscription parmi les circonstances aggravantes de la minorité de 15 ans, âge de la majorité sexuelle, parce que je ne veux pas de continuum entre agression sexuelle et harcèlement sexuel : tout ce qui permettrait de les assimiler est à mes yeux dangereux.
Enfin, cela a été évoqué tout à l'heure, il faut ouvrir le débat sur les transsexuels. Ces personnes doivent être visées dans les cas de discrimination. Je présenterai un amendement en ce sens.
Vous l’aurez compris, madame la garde des sceaux, je suis choquée par la méthode et je ne vous concèderai rien sur le sujet. D’ailleurs, je ne doute pas que certains collègues, siégeant sur d’autres travées, le soient aussi, mais ils sont tenus par un devoir de solidarité avec le Gouvernement, situation que nous avons nous aussi connue par le passé…
Notre groupe a fait le choix d’une opposition « constructive » sur ce texte. Il est hors de question pour nous d’ouvrir un front sur un tel sujet, aussi voterons-nous le projet de loi. Nous aurons l’occasion, dans les jours qui viennent, d’avoir des débats beaucoup plus politiques !
M. Christian Bourquin. Courage !
Mme Chantal Jouanno. Cela étant, madame la ministre des droits des femmes, je continuerai à vous entretenir de la mise en œuvre des recommandations visant à lutter contre l’hypersexualisation des enfants. En effet, les modèles culturels imprègnent l’enfant dès son plus jeune âge, or nous observons malheureusement, depuis la fin des années quatre-vingt-dix, une véritable régression dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le délit de harcèlement sexuel a été introduit dans notre droit par deux lois adoptées en 1992.
Afin d’apporter une meilleure protection aux victimes, la définition de ce délit a fait l’objet de plusieurs extensions successives. L’extension introduite par la loi du 17 janvier 2002 a conduit à la suppression des principaux éléments constitutifs du délit de harcèlement sexuel. Dès lors, fragilisée, la définition du harcèlement sexuel était à la merci d’une censure du Conseil constitutionnel.
Cette censure est malheureusement intervenue le 4 mai dernier, au motif que la rédaction de l’article 222-33 du code pénal était imprécise. Cette abrogation a conduit à l’abandon de toutes les procédures qui n’étaient pas définitivement jugées à cette date.
Ce véritable déni de justice n’ayant pas manqué de susciter un vif émoi au sein de l’opinion publique, il était primordial d’apporter une réponse rapide à cette censure.
La Haute Assemblée a su une nouvelle fois démontrer sa capacité d’initiative. Plusieurs parlementaires ont souhaité lancer le débat sans tarder. Après avoir consulté plusieurs associations de lutte contre les violences faites aux femmes, j’ai moi-même déposé, le 11 mai dernier, une proposition de loi tendant à qualifier le délit de harcèlement sexuel, en m’appuyant fortement sur la directive européenne. Au total, ce sont sept propositions de loi qui ont été déposées sur le bureau du Sénat.
Contrairement à ce qu’a affirmé à l’instant Mme Jouanno, Mme la garde des sceaux et Mme la ministre des droits des femmes ont rapidement témoigné un grand intérêt pour les travaux du Sénat, ce dont je les remercie.
De concert, comme l’a souhaité M. le Premier ministre, le Gouvernement et le Sénat se sont employés à élaborer une réponse adaptée ; je me félicite de cette étroite collaboration. Il ne s’agit pas de tirer la couverture à soi ou d’obtenir je ne sais quel effet d’affichage : l’objectif est d’être efficaces, en travaillant main dans la main. C’est dans cet esprit que débute le quinquennat de François Hollande, le présent projet de loi illustrant la volonté commune du Gouvernement et de la majorité parlementaire d’œuvrer ainsi.
Au cours des cinq dernières années, le Parlement avait trop souvent été ignoré. Son rôle a été négligé, en dépit d’une réforme constitutionnelle censée le renforcer.
Sur ce dossier, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif font de nouveau montre de leur complémentarité et du respect mutuel qu’ils doivent se témoigner.
Je suis très heureux de constater que le projet de loi présenté aujourd'hui par Mme Taubira, au nom du Gouvernement, est le fruit de ce travail commun. Moins de soixante-dix jours après la décision du Conseil constitutionnel, ce texte vient combler un vide juridique inacceptable.
À cet égard, je tiens à saluer la rapidité et la rigueur avec lesquelles le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, la présidente de la commission des affaires sociales, Annie David, et la présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Brigitte Gonthier-Maurin, ont mis sur pied le groupe de travail sur le harcèlement sexuel. Une cinquantaine de personnes ont été auditionnées. Leurs témoignages et leur expertise ont permis de mettre en exergue les écueils que nous devions éviter.
En effet, il fallait tout à la fois fournir une définition du harcèlement sexuel assez précise pour ne pas contrevenir aux exigences du principe de légalité des délits et des peines et offrir aux victimes une protection suffisamment large pour prendre en compte toute la réalité actuelle du phénomène du harcèlement sexuel. Ce nouvel arsenal législatif doit permettre à la justice de lutter plus efficacement contre ces agissements.
Si nous avons su nous mobiliser sur toutes les travées pour offrir une meilleure protection aux victimes, je déplore la situation difficile dans laquelle se trouvent, du fait de la non-rétroactivité de la loi, les personnes qui ont vu annuler le 4 mai dernier les procédures qu’elles avaient engagées.
À cet égard, je tiens à remercier Mme la garde des sceaux d’avoir demandé aux parquets, par le biais d’une circulaire, de requalifier les faits ayant donné lieu à ces procédures en violences volontaires, en harcèlement moral ou en agression sexuelle. Toutefois, nous savons que, malheureusement, cette circulaire ne répondra pas à toutes les situations difficiles créées par la décision du Conseil constitutionnel.
Ce vide juridique soudain, qui a laissé beaucoup de victimes dépourvues face à leurs agresseurs présumés, n’a pas manqué de surprendre nos concitoyens. La décision du Conseil constitutionnel a été critiquée, en particulier à cette tribune par notre collègue Muguette Dini. On peut estimer que le Conseil constitutionnel aurait dû laisser un délai avant l’abrogation de la loi, mais les avis des plus éminents juristes divergent sur ce point.
En tout état de cause, il serait bon que le législateur se remette aussi en question : comment a-t-il pu laisser planer durant dix ans un tel risque de censure sur la définition pénale du harcèlement sexuel, sans intervenir ? Pourquoi un tel attentisme jusqu’à l’issue prévisible, à savoir l’abrogation de la loi ?
Sans vouloir entrer dans une polémique politicienne, je note que ce n’était pas l’actuelle majorité qui était aux affaires entre 2002 et 2012, ni au Gouvernement, ni à l'Assemblée nationale, ni au Sénat. Une situation profondément scandaleuse aurait pu être évitée si le précédent gouvernement avait saisi l’occasion qui lui avait été donnée en 2010 de modifier la définition du harcèlement sexuel, rendue imprécise par l’extension introduite par la loi de 2002.
Je pense ici à la proposition de loi de 2009 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, dont l’article 19 prévoyait que « tout agissement à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant constitue un agissement de harcèlement sexuel ».
Cet article avait été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, mais, lors de l’examen du texte en commission au Sénat, le rapporteur, membre du groupe UMP, avait déposé un amendement visant à supprimer cette nouvelle proposition de définition du harcèlement sexuel, amendement d’ailleurs fortement soutenu par Mme Morano, alors secrétaire d’État chargée de la famille et de la solidarité, et adopté par la Haute Assemblée le 24 juin 2010.
Sans cette lourde erreur d’appréciation, la censure du Conseil constitutionnel ne serait certainement pas intervenue, et nous n’en serions pas à débattre du présent projet de loi dans l’urgence.
Aujourd'hui, nous étudions une nouvelle définition du harcèlement sexuel, qui doit permettre d’offrir une meilleure protection aux victimes et, plus largement, de modifier l’approche par notre société, dans son ensemble, de ce délit.
En effet, ce qui touche aussi les victimes, c’est sûrement le manque de prise en compte et de reconnaissance de leurs souffrances. Il faut donc faire évoluer les mentalités.
Cela a été rappelé par de nombreux orateurs, chaque année, environ quatre-vingts affaires de harcèlement sexuel donnent lieu à une condamnation. Même si l’extrême faiblesse de ce chiffre s’explique par l’ancienne définition pénale de ce délit, qui a pu conduire le juge à en faire un simple levier pour déqualifier certaines violences sexuelles, on constate que la réalité du phénomène du harcèlement sexuel est très sous-évaluée en France.
L’enquête réalisée en 2000 sur les violences faites aux femmes, allant au-delà de la stricte définition pénale du harcèlement sexuel, a révélé que ce phénomène avait une ampleur bien plus significative que ce que pouvait laisser supposer le nombre de condamnations prononcées annuellement.
Au demeurant, je profite de cette occasion pour demander une actualisation de cette enquête. Il me semble indispensable de créer un observatoire national des violences faites aux femmes.
Longtemps, la notion de harcèlement sexuel n’a pas été prise au sérieux. Elle continue parfois, malheureusement, à être un objet de moquerie : pour certains, le harcèlement sexuel ne serait en fait qu’une forme de séduction appuyée, voire d’humour déplacé. Ce sujet a parfois été abordé avec une grande légèreté, hélas ! qui a conduit à une banalisation des faits.
Toujours selon l’enquête précitée, 2 % des femmes ont déclaré avoir subi un harcèlement sexuel au cours des douze derniers mois, ce qui représente plus de 200 000 femmes. Ce chiffre témoigne de l’ampleur du phénomène.
Cette enquête nous a aussi permis de constater que le harcèlement sexuel était encore moins rapporté par les femmes que les autres formes d’agression sexuelle, ce qui rend très difficile d’appréhender son étendue. Ce silence est notamment dû au fait que la société n’a pas encore abordé avec le sérieux qui s’impose ce phénomène, pourtant source de profonds traumatismes.
En élaborant ce nouveau projet de loi et en menant un travail approfondi qui a permis à tous les acteurs concernés de s’exprimer, le Gouvernement et le Sénat ont voulu démontrer que la France entend prendre pleinement conscience de l’étendue du harcèlement sexuel et des conséquences de celui-ci pour les victimes.
En matière de prévention, il faut, cela a été dit, miser sur l’éducation, mais également mettre l’accent sur le rôle que peut jouer la médecine du travail. Ce point est souligné dans l’excellent rapport de Mme Gonthier-Maurin.
En effet, il est important que les souffrances psychologiques au travail puissent désormais être mieux détectées et prises en compte. Pendant longtemps, la médecine du travail s’est essentiellement intéressée aux seules affections physiques liées à l’exercice d’une profession. Cependant, on voit aujourd’hui les ravages que causent les souffrances psychiques provoquées par le harcèlement moral ou sexuel au travail. C’est pourquoi il est essentiel d’envisager de davantage sensibiliser les médecins du travail au fléau du harcèlement sexuel.
Avec ce nouvel arsenal législatif, c’est la société dans son ensemble qui doit maintenant se mobiliser. J’espère que nos travaux auront permis d’attirer l’attention des Français sur un phénomène qui mérite toute notre vigilance. Une telle prise de conscience serait sans doute le seul effet bénéfique découlant de la décision du Conseil constitutionnel.
Le projet de loi qui est soumis aujourd’hui à notre assemblée est un texte complet, qui répond aux attentes des victimes. Il était nécessaire d’aller vite pour établir une nouvelle définition du harcèlement sexuel. Il fallait traiter la question de l’acte unique et alourdir les peines. Toutes ces dimensions ont bien été prises en compte dans le texte du Gouvernement, que le groupe socialiste votera avec enthousiasme.
En ce qui concerne les amendements étudiés ce matin en commission des lois, je rappelle que le groupe socialiste est favorable au maintien du terme « environnement », préférable au mot « situation », ainsi qu’à l’intégration de la notion de chantage sexuel, assimilé à du harcèlement, et de l’idée de vulnérabilité due à la situation économique et sociale des victimes.
Enfin, il faut bien sûr prendre en compte l’orientation sexuelle des victimes en tant que circonstance aggravante, comme c’est le cas pour le viol ou l’agression sexuelle. Concernant les transsexuels, M. le rapporteur l’a expliqué ce matin en commission, cela permettra de leur assurer une protection renforcée.
En conclusion, c’est avec fierté que le groupe socialiste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)