PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports.
La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : Mme Annie David, MM. Claude Jeannerot et Georges Labazée, Mmes Patricia Schillinger, Marie-Thérèse Bruguière, Isabelle Debré et Catherine Procaccia ;
Suppléants : M. Gilbert Barbier, Mme Caroline Cayeux, MM. Jean Desessard et Jean-Léon Dupont, Mme Colette Giudicelli, M. Ronan Kerdraon et Mme Gisèle Printz.
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Candidature à un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein de la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires.
La commission des affaires sociales a fait connaître qu’elle propose la candidature de Mme Michelle Demessine pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
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Égalité salariale entre les hommes et les femmes
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi relative à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, présentée par Mme Claire-Lise Campion et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 230, texte de la commission n° 342, rapport n° 341, rapport d’information n° 334).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Claire-Lise Campion, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales.
Mme Claire-Lise Campion, auteur de la proposition de loi, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, madame la rapporteur de la délégation, mes chers collègues, le préambule de la Constitution de 1946 prévoit, certes, que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme » et le code du travail réaffirme, depuis 1972, le principe de l’égalité de rémunération. Pourtant, aujourd’hui encore, on observe un écart de rémunération de l’ordre de 25 à 27 % entre les femmes et les hommes. Qui plus est, cet écart considérable a cessé de se réduire depuis le milieu des années quatre-vingt-dix.
Les femmes, dans l’ensemble, exercent des métiers moins qualifiés que les hommes et connaissent aussi des interruptions de carrière plus fréquentes, liées notamment à la maternité, ce qui freine leur progression dans l’entreprise et réduit leurs primes d’ancienneté.
De plus, on constate une inégalité entre les femmes et les hommes en matière de temps de travail. En effet, le travail à temps partiel, le plus souvent subi, concerne les femmes dans 80 % des cas, et, en moyenne, les femmes effectuent moins d’heures supplémentaires et complémentaires que leurs collègues masculins.
La précarité, grandissante en période de crise, touche majoritairement les femmes, qui occupent 60 % des contrats à durée déterminée et voient se multiplier les contrats de moins de quinze heures de travail par semaine. Le phénomène des « travailleurs pauvres » touche fréquemment les femmes, plus particulièrement celles qui élèvent seules leurs enfants.
Ces disparités pendant la carrière professionnelle conduisent à des écarts de revenus considérables une fois le temps de la retraite arrivé.
Pourtant, les dispositions législatives en faveur de l’égalité n’ont pas manqué au cours des quarante dernières années : loi du 13 juillet 1983 portant modification du code du travail et du code pénal en ce qui concerne l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dite « loi Roudy » ; loi du 9 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dite « loi Génisson » ; loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations ; loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes et, plus récemment encore, la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites en son article 99.
À l’évidence, notre arsenal législatif est très complet, mais il manque une réelle volonté de le faire appliquer !
Les auditions auxquelles j’ai procédé en ma qualité de rapporteur l’ont confirmé : l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas une priorité pour les partenaires sociaux !
En effet, si l’on considère le bilan de la négociation collective pour l’année 2010, on constate que seules trente-sept branches professionnelles sur plus d’un millier ont signé un accord spécifique sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et qu’une centaine d’accords de branche abordent la thématique.
De surcroît, sur les trente-sept accords spécifiques dont je parle, dix-sept ont été étendus avec des réserves par le ministère du travail, parce qu’ils se contentaient d’établir un diagnostic en renvoyant aux entreprises le soin de définir les mesures de suppression des écarts. Certains accords, en effet, se bornent à rappeler les dispositions légales, sans aucune plus-value pour la résorption des inégalités entre les hommes et les femmes…
Au niveau des entreprises, le bilan de la négociation collective est également décevant : en 2010, un peu plus de deux mille accords ont abordé la question de l’égalité professionnelle, soit moins de 9 % du nombre total d’accords signés. Le plus souvent, l’égalité professionnelle est traitée en même temps que d’autres thèmes, dans le cadre des négociations annuelles obligatoires. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales acquiesce.)
L’examen des rapports de situation comparée fournit une autre illustration du manque d’investissement des entreprises sur les questions d’égalité.
En effet, depuis l’adoption de la loi du 13 juillet 1983, la loi Roudy, les entreprises qui comptent plus de trois cents salariés doivent élaborer un rapport annuel de situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes en leur sein.
Ces rapports sont très utiles pour établir un diagnostic sur les inégalités dans l’entreprise. Pourtant, les contrôles menés par l’inspection du travail montrent que l’obligation d’établir ce rapport de situation comparée n’est respectée que par 45 % des entreprises concernées…
Bien sûr, au sein de toutes les organisations syndicales comme au sein des organisations d’employeurs, des hommes et des femmes se mobilisent sur ces questions d’égalité. Et, désormais, personne ou presque ne se déclare opposé à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Mais il manque une impulsion pour que les partenaires sociaux s’emparent véritablement du sujet et mettent en œuvre une action concrète et déterminée en faveur de l’égalité. Ma conviction est que cette impulsion devrait venir du politique. Or, malheureusement, au cours des dernières années, le Gouvernement a singulièrement manqué d’ambition en la matière…
J’en veux pour preuve le décret du 7 juillet 2011 pris pour l’application de l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites. Cet article a prévu que le rapport de situation comparée devrait comporter, à partir du 1er janvier 2012, un plan d’action destiné à assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et comportant des objectifs ainsi que les mesures prévues pour les atteindre.
Les entreprises n’ayant ni plan d’action ni accord collectif sur l’égalité professionnelle s’exposent à une pénalité, dont le montant représente au maximum 1 % de leur masse salariale.
Au départ, l’introduction de cette pénalité avait été perçue comme une avancée. Malheureusement, à considérer le décret pris par le Gouvernement, on a la forte impression que tout a été fait pour qu’elle soit appliquée le plus rarement possible...
En effet, une entreprise qui n’est pas couverte par un accord ou par un plan d’action sur l’égalité professionnelle, d’abord mise en demeure par l’inspection du travail, dispose de six mois pour régulariser sa situation. C’est seulement à l’expiration de ce délai que la pénalité peut être appliquée, de surcroît sans effet rétroactif.
En outre, le montant de la pénalité peut être modulé par l’administration en fonction de la gravité des manquements constatés. La pénalité peut même être supprimée si l’entreprise invoque des difficultés économiques.
Au total, la pénalité introduite par la loi du 9 novembre 2010 constitue davantage une mesure d’affichage qu’une disposition réellement dissuasive. Nous sommes nombreux à avoir le sentiment que le Gouvernement nous a trompés en affaiblissant la portée d’une mesure qu’il a lui-même proposée il y a deux ans !
J’ajoute que les obligations prévues par la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites sont elles-mêmes en retrait par rapport aux objectifs fixés par la loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.
En effet, cette dernière loi avait prévu que les écarts de rémunération devraient être supprimés à la date du 31 décembre 2010. Comme il n’en a rien été, la loi portant réforme des retraites a purement et simplement fait disparaître cette date butoir et renvoyé à plus tard la réalisation de cet objectif !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Tour de passe-passe !
Mme Claire-Lise Campion, rapporteur de la commission des affaires sociales. Aujourd’hui, aucun délai n’est plus fixé pour la résorption des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes.
Pour donner une dernière illustration du peu d’intérêt que le Gouvernement porte à la question de l’égalité professionnelle, je rappelle que, dans la loi de finances pour 2012, la dotation du programme « Égalité entre les hommes et les femmes » a subi une très forte diminution, passant de 5,5 millions d’euros pour 2011 à 4,9 millions d’euros pour 2012.
En conséquence, le Gouvernement prévoit de financer seulement cent trente-trois contrats pour la mixité des emplois et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, contre cent soixante-cinq l’an dernier. Les subventions versées aux différents intervenants en matière d’emploi, notamment dans le tissu associatif, connaissent également une diminution très sensible.
Dans ce contexte, la proposition de loi déposée par le groupe socialiste que nous examinons cet après-midi prévoit deux mesures fortes destinées à relancer la négociation collective.
D’abord, dans le cadre de la négociation annuelle sur les salaires, les entreprises devront conclure un accord sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Faute d’un tel accord, elles perdront le bénéfice, d’une part, de l’exonération de cotisations sociales sur les bas salaires, d’autre part, de toutes les réductions d’impôt prévues par le code général des impôts.
Ensuite, les entreprises qui ne transmettraient pas le rapport de situation comparée à l’inspection du travail dans un délai de quinze jours après l’avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, seront soumises à une pénalité équivalente à 1 % de leur masse salariale.
Ces deux mesures me paraissent de nature à inciter les entreprises à engager, enfin, une politique déterminée de réduction des inégalités salariales entre les hommes et les femmes. La commission des affaires sociales, considérant que les obligations édictées par le code du travail sont restées trop souvent lettre morte faute de sanctions dissuasives, les a approuvées, tout en y apportant des améliorations de forme.
Comme je l’ai précédemment indiqué, la présente proposition de loi introduit une condition que devront remplir les entreprises pour continuer à bénéficier de l’allégement de cotisations sur les bas salaires. Compte tenu du coût de cette dernière mesure pour les finances publiques – environ 20 milliards d’euros –, il ne me paraît pas anormal que l’État fixe quelques contreparties à la charge des entreprises.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, cette proposition de loi porte essentiellement sur l’égalité salariale : elle vise à garantir que les hommes et les femmes perçoivent la même rémunération pour un même travail ou pour un travail de valeur égale. Ce texte ne suffira donc pas à rétablir la justice entre les genres et devra être complété, à l’avenir, par d’autres mesures, afin de répondre à l’ensemble des problèmes que rencontrent les femmes au cours de leur carrière. Accès à l’emploi et à la formation, promotion professionnelle, conditions de travail, articulation entre vie professionnelle et responsabilités familiales sont autant de thèmes sur lesquels il nous faudra avancer.
Le rapport que notre collègue Michelle Meunier a remis, au nom de la délégation aux droits des femmes, contient de nombreuses recommandations dont nous pourrions nous inspirer.
Je suis particulièrement sensible à la proposition de lancer un vaste plan interministériel de lutte contre les inégalités professionnelles piloté par un véritable ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Ce plan devra comporter des mesures très concrètes, par exemple, une campagne de sensibilisation aux discriminations dont sont victimes les femmes, un soutien à la négociation collective afin de faciliter la conclusion d’accords, ainsi qu’une réforme du congé parental.
Ce plan devra aussi s’attacher à déconstruire certains stéréotypes qui demeurent tenaces, y compris dans la sphère privée, où le partage des tâches est loin d’être équitable… Ces stéréotypes continuent de peser sur les choix d’orientation des jeunes filles et les cantonnent dans certains métiers, qui ne sont généralement pas les plus rémunérateurs et qui sont réputés exiger des qualités dites « féminines ».
Ces mêmes stéréotypes éloignent aussi les femmes des postes de responsabilité et d’encadrement : dans l’imaginaire collectif, le pouvoir est encore trop souvent associé à une figure masculine et les responsables masculins ont parfois tendance à reproduire ce schéma lorsqu’ils décident d’une promotion, par exemple.
Ces phénomènes expliquent une part importante de l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes. Ils continuent à faire sentir leurs effets y compris dans la sphère politique, où les partis ont, à mon avis, un devoir d’exemplarité qui devrait se manifester au moment où sont attribuées les investitures pour les élections législatives, notamment…
Je souhaite également que nous nous penchions sur le problème de l’inégalité entre les hommes et les femmes dans le domaine du travail à temps partiel. Je l’ai dit, 80 % des salariés qui exercent une activité à temps partiel sont des femmes qui, le plus souvent, n’ont pas choisi de travailler en horaires réduits. Dans certains secteurs – citons la grande distribution ou les services à la personne –, le travail à temps très partiel se développe ; souvent, il est associé à un morcellement qui provoque de grandes amplitudes horaires, ce qui crée de vraies difficultés pour les salariées qui ont des responsabilités familiales à assumer. Je pense notamment aux mères qui élèvent seules leurs enfants.
C’est la raison pour laquelle, au nom de la commission, je soutiendrai l’amendement déposé par les sénateurs de mon groupe qui vise à limiter le recours excessif au travail à temps partiel dans les entreprises.
Enfin, au cours de notre réflexion, nous ne devrons pas négliger la question de l’égalité professionnelle dans la fonction publique.
Les règles d’avancement et de rémunération des fonctionnaires sont apparemment neutres dès lors qu’elles répondent à des grilles indiciaires. Pourtant, les femmes ont tendance à bénéficier de promotions moins rapides, lorsque celles-ci sont faites au choix et non à l’ancienneté, notamment parce que l’on reproche aux mères de famille leur moindre disponibilité. Ce constat nous rappelle que l’égalité professionnelle restera inaccessible tant que nous n’aurons pas obtenu, au sein du couple, un meilleur partage des tâches domestiques et des responsabilités familiales.
En conclusion, je le répète une fois encore, l’égalité salariale ne deviendra une réalité que si apparaît une forte volonté politique en ce sens. La présente proposition de loi est la première traduction de ce volontarisme que nous appelons de nos vœux. Elle vise à envoyer un signal fort aux partenaires sociaux et à rouvrir le débat sur l’égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes.
Certes, elle devra être complétée par d’autres mesures, mais elle répond déjà, j’en suis persuadée, aux attentes de millions de nos concitoyennes et de nos concitoyens qui sont confrontés tous les jours à des inégalités et à des injustices dans le cadre de leur activité professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce jour nous permet d’évoquer l’égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes, qui est au cœur de l’émancipation des femmes.
Simone de Beauvoir insistait déjà en 1949, dans Le Deuxième Sexe, sur la place centrale occupée par le travail dans l’émancipation de la femme : « C’est le travail, écrivait-elle, qui peut seul lui garantir une liberté concrète. Dès qu’elle cesse d’être une parasite, le système fondé sur la dépendance s’écroule ». Encore faut-il que les revenus que la femme en tire lui permettent d’accéder à une véritable autonomie et ne se limitent pas à la seule fonction de « salaire d’appoint ».
Certes, en un demi-siècle, les femmes ont massivement investi le monde du travail, ce qui constitue, en soi, un progrès considérable. En 1962, seulement 42 % des femmes âgées de vingt-cinq à quarante-neuf ans travaillaient et nombre d’entre elles interrompaient leur activité au moment de la naissance des enfants. Aujourd’hui, c’est le taux d’activité des femmes en âge d’avoir des enfants qui a le plus progressé, pour s’établir à 84 %. Ce doublement ne s’est pas effectué au détriment de la natalité, la France se situant au deuxième rang de l’Union européenne en matière de fécondité.
Mais cette émancipation des femmes par le travail est un processus inachevé et les signes d’une stagnation, voire d’une dégradation de la situation se sont multipliés au cours des dix dernières années. Les nouvelles formes d’organisation du travail, plus flexibles, mais aussi source de plus de précarité, débouchent sur de nouvelles problématiques auxquelles nous devons nous montrer attentifs dans une perspective « genrée ». C’est pourquoi j’ai proposé à notre délégation aux droits des femmes de se donner cette année le thème de réflexion suivant : « Femmes et travail ».
Certes, les femmes représentent aujourd’hui près de la moitié de la population active française – exactement 47,7 % –, mais, par rapport à l’emploi masculin, l’emploi féminin présente trois handicaps.
Le premier handicap tient au temps de travail. En 2009, les femmes représentaient 82 % des salariés exerçant une activité à temps partiel, lequel est d’ailleurs plus souvent subi que choisi. La crise économique actuelle a aggravé cette situation. Cela se traduit par une forte augmentation du travail à temps partiel, une réduction du nombre d’heures travaillées, le développement des horaires flexibles, la multiplication des contrats pour une même personne, avec pour conséquence la montée de la précarité et de la pauvreté.
Or le travail ne peut plus être considéré comme un facteur d’émancipation des femmes dès lors qu’il ne leur permet plus de vivre décemment, dignement.
Le deuxième handicap tient à la segmentation de l’emploi féminin. Près de la moitié des emplois occupés par des femmes sont concentrés dans dix familles de métiers – évidemment pas les plus rémunérateurs – sur les quatre-vingt-six existantes.
Le troisième handicap relève d’une ségrégation verticale : c’est le fameux phénomène du « plafond de verre ».
La conjugaison de ces différents facteurs explique que les femmes gagnent, en moyenne, 27 % de moins que les hommes. Mais elle n’explique ce fait qu’en partie, car, selon les économistes qui ont cherché à pondérer le poids respectif de ces éléments, 6 % du différentiel resteraient inexpliqués et correspondraient à l’effet des discriminations.
Cette infériorité des parcours professionnels féminins pouvait trouver une explication voilà quelques années au regard du moindre niveau d’éducation des femmes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ! Le fait que la réussite scolaire et universitaire des filles n’ait pas eu raison de l’inégalité professionnelle et salariale témoigne de l’injustice dont sont victimes les femmes et plaide en faveur d’une politique volontariste.
De fait, l’organisation de la société reste profondément régie par un mode patriarcal.
La loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle ainsi que certaines des dispositions du projet de loi relatif à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique que l’Assemblée nationale vient de voter vont ouvrir des brèches dans le « plafond de verre ». Mais ces avancées ne doivent pas nous distraire des enjeux cruciaux des négociations relatives à l’égalité salariale.
Négocier au niveau des branches et des entreprises, établir un rapport de situation comparée, toutes ces obligations constituent des leviers, mais encore faut-il qu’elles soient respectées. Or, elles le sont trop peu, faute d’être assorties de sanctions. La loi portant réforme des retraites en a certes créé, mais les dispositions d’application prises par le Gouvernement en ont sérieusement amoindri la portée et font douter de la volonté de les faire appliquer.
Les sanctions fortes contenues dans la proposition de loi que nous examinons donneront, en revanche, un signal clair de la volonté de la représentation parlementaire de voir enfin effectivement appliqué un dispositif depuis longtemps consacré par la loi.
D’autres leviers doivent également être envisagés : la délégation aux droits des femmes formule sept recommandations, que vous présentera notre rapporteure, Michelle Meunier.
Il est important, particulièrement dans la crise économique que nous traversons, que nous agissions pour relancer la dynamique de l’égalité professionnelle, seule à même d’assurer aux femmes cette autonomie économique sans laquelle il n’est pas de véritable émancipation. Faire droit à l’égalité professionnelle et salariale des femmes constituerait bien, de surcroît, un levier de relance efficace de la croissance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur de la délégation aux droits des femmes.
Mme Michelle Meunier, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, effectivement, près de trente ans après la loi Roudy, dix ans après la loi Génisson, plus de cinq ans après la loi du 23 mars 2006, les femmes perçoivent aujourd'hui encore une rémunération inférieure de 25 à 27 % à celle de leurs homologues masculins.
Vous l’aurez compris, en matière d’égalité salariale et, plus largement, en matière d’égalité professionnelle, l’enjeu, à l’heure actuelle, est moins de produire de nouvelles lois que de faire appliquer celles qui existent !
La délégation aux droits des femmes, qui m’a désignée rapporteure de la proposition de loi que nous examinons, a toujours mis le sujet de l’égalité professionnelle au cœur de ses préoccupations.
En 2002, elle consacrait son rapport d’activité aux inégalités salariales entre les femmes et les hommes ; en 2004, elle procédait à une première évaluation et à un contrôle de l’application de la loi du 9 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et en dressait un bilan mitigé ; en 2008, elle dédiait son rapport annuel à l’orientation et à l’insertion professionnelle.
Dans la continuité de ces travaux, elle vient de rendre un rapport d’information sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi présentée par Claire-Lise Campion, Michèle André, Catherine Génisson, François Rebsamen et les membres du groupe socialiste et apparentés, que je félicite de nous avoir donné la possibilité d’ouvrir de nouveau ce débat.
Le constat dressé dans notre rapport s’inscrit dans la continuité de celui qui avait été établi en 2004 par notre délégation : l’égalité professionnelle, plus particulièrement salariale, ne fait pas partie des sujets prioritaires des entreprises, lesquelles se sont très peu emparées des dispositifs légaux qui s’imposent pourtant à elles.
Quelques chiffres suffiront à vous donner un aperçu de la faible application de la loi : en 2010, selon les données du ministère du travail, sur environ 400 entreprises de plus de 300 salariés, moins de la moitié avaient transmis un rapport de situation comparée à l’inspection du travail, alors que ce rapport est obligatoire depuis 1983 !
Cela signifie que nous ne disposons toujours pas à l’heure actuelle de statistiques fiables sur les conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes dans l’entreprise.
Quant à la négociation collective obligatoire, selon les mêmes sources, seulement 37 branches sur plus de 1 000 étaient parvenues à un accord spécifique et on évalue à 2 000 entreprises celles qui ont conclu un accord spécifique à l’égalité salariale et professionnelle en 2010.
Face à ce maigre bilan, certains parlementaires ont estimé que l’introduction de la menace d’une pénalité financière était devenue inévitable si l’on voulait réellement faire appliquer la loi.
C’est l’objet de l’article 99 de la loi portant réforme des retraites, qui prévoit une sanction équivalente à 1 % de la masse salariale, des rémunérations et gains bruts versés par l’entreprise, à l’encontre des entreprises d’au moins cinquante salariés qui n’auraient pas conclu d’accord d’égalité professionnelle ou, à défaut, qui n’auraient pas défini les objectifs et les mesures constituant un plan d’action pour obtenir l’égalité professionnelle.
Toutefois, comme l’a souligné l’auteure de la proposition de loi, le décret d’application du 7 juillet 2011 et la circulaire du 28 octobre 2011 ont largement réduit la portée de cette pénalité.
Non seulement les entreprises contrevenantes, si elles sont contrôlées, disposeront d’un délai de six mois pour transmettre un plan d’action, mais, surtout, la circulaire confie aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les DIRECCTE, le soin de moduler la sanction financière de 1 %, si bien que certaines entreprises contrevenantes pourront en être dispensées si elles justifient de difficultés économiques, ou même de leur bonne foi…
Enfin, le chef d’entreprise peut fournir un plan d’action unilatéral à défaut d’accord portant sur les salaires : nombre de syndicats dont nous avons rencontré les représentants y ont vu la remise en cause du dialogue social en matière d’égalité professionnelle.
Notre délégation ne peut se contenter de ce dispositif, applicable, je vous le rappelle, depuis le 1er janvier de cette année. Elle a donc accueilli avec une grande satisfaction le dépôt puis l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi aujourd’hui soumise à notre examen.
Les sanctions que le texte prévoit sont très lourdes et certains d’entre nous, même au sein de la délégation, se sont interrogés sur leur caractère réaliste.
Pourtant, dans une matière où l’on n’obtiendra pas d’avancées sans un changement des comportements, la délégation estime qu’il faut envoyer un signal fort aux acteurs de l’entreprise.
À titre liminaire, il me semble essentiel de rappeler l’esprit général qui a présidé à la formulation de nos recommandations.
D’une part, les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes sont l’aboutissement d’une accumulation d’inégalités de traitement et de pratiques discriminatoires qui font partie intégrante de la politique sociale des entreprises.
D’autre part, ces inégalités ont des conséquences graves pour les droits qui se rattachent à la rémunération, tels que les droits à l’assurance maladie, à l’assurance chômage ou à la retraite, et expliquent donc, en grande partie, le maintien des femmes dans la pauvreté.
Le traitement de cette question repose, par conséquent, sur une approche globale, que la délégation a adoptée pour formuler ses recommandations.
Tout d’abord, nous souhaitons que toutes les entreprises de plus de cinquante salariés remettent le rapport écrit qui donne la mesure réelle des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes en leur sein : trop peu d’entreprises rédigent un rapport de situation comparée, et, quand elles le font, le document n’est souvent qu’une paraphrase des dispositions légales ou un amoncellement de chiffres inexploitables...
La délégation demande donc au Gouvernement de lancer, dans le cadre d’un plan interministériel de lutte contre les inégalités professionnelles, une campagne d’information à destination des entreprises, des organisations syndicales, des chambres de commerce et d’industrie, des chambres de métiers et des chambres d’agriculture pour leur rappeler la réglementation applicable et leur faire connaître les supports méthodologiques disponibles.
Nous nous sommes intéressés ensuite aux modalités de négociation des conditions salariales, puisqu’il revient aux partenaires sociaux de proposer des mesures concrètes pour résorber les écarts de salaires.
Comment s’étonner que les organisations syndicales soient peu mobilisées, quand on sait que les femmes ne représentent que 22 % de leurs membres, ce chiffre tombant à 14,1 % au sein des organisations patronales ?
Les organisations syndicales ne sont pas opposées à ce que, par la loi, nous imposions une représentation plus équilibrée des femmes au sein des instances professionnelles chargées de veiller à la mise en œuvre du dispositif. (Mme le ministre fait un signe dubitatif.)
Notre délégation souhaite faire en sorte que les listes de candidature aux élections au comité d’entreprise et à la délégation du personnel permettent une représentation proportionnelle des femmes et des hommes, reflétant leur poids respectif au sein des effectifs. Elle est ouverte à une discussion pour trouver la meilleure méthode permettant de mettre en œuvre cette proposition.
La délégation a ensuite souhaité prendre en compte les inégalités salariales propres à la tranche d’âge des vingt-cinq – quarante ans, car pèse sur les femmes le « soupçon » de la maternité. À ce moment-là, les femmes sont particulièrement fragiles dans l’entreprise et sont moins armées pour faire face aux discriminations.
La délégation souhaite, d’une part, qu’un suivi obligatoire de la personne qui a interrompu son travail pour maternité soit mis en place. Un entretien avant la reprise d’activité lui permettrait d’être informée des changements qui ont eu lieu dans son service pendant son absence et ainsi de mieux préparer son retour.
La délégation envisage, d’autre part, les modalités de prise en charge du droit à la formation pendant le congé parental. Vous le savez, l’article L.1225-56 du code du travail prévoit le droit à une telle formation, mais aux frais de l’intéressé, ce qui en limite l’accès à celles et ceux qui peuvent se le permettre.
J’insiste sur ce point : on ne résoudra la question des inégalités salariales que de manière globale.
À l’instar du plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes, dont vous avez lancé le troisième volet le 13 avril dernier, madame la ministre, la délégation souhaite le lancement d’un plan interministériel de lutte contre les inégalités professionnelles.
Ce plan traduira une double ambition : maintenir une vigilance collective soutenue ; structurer un réseau territorial de soutien à la négociation collective de branche et d’entreprise qui s’appuiera sur les DIRECCTE ainsi que sur les réseaux des déléguées régionales aux droits des femmes, et qui associera tous les acteurs concernés, dont les collectivités territoriales et le réseau associatif présent sur les territoires.
Ce plan prévoira un calendrier précis, s’appuiera sur des référents désignés sur les territoires et des moyens suffisants, permettant de mettre en œuvre des actions précises et d’en contrôler les résultats effectifs dans le cadre d’un rapport annuel public.
La délégation est ouverte à la discussion avec votre ministère, madame la ministre, pour envisager le lancement de ce plan.
Par ailleurs, ce sont les administrations déconcentrées qui mettent en œuvre quotidiennement les dispositifs relatifs à l’égalité professionnelle et salariale. Nous regrettons qu’à l’heure actuelle le réseau déconcentré des DIRECCTE et les déléguées régionales aux droits des femmes auprès du secrétariat général pour les affaires régionales, le SGAR, ne concertent pas leurs actions.
Associer les déléguées régionales au sein du SGAR aux missions des DIRECCTE en leur confiant, par exemple, des programmes communs d’action pourrait s’inscrire dans le cadre des programmes régionaux stratégiques actuellement mis en place par le service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Pour conduire ce plan d’envergure nationale, il manque aujourd’hui un pilotage fort au niveau national.
La délégation a toujours appelé de ses vœux la création d’un ministère aux droits des femmes qui aurait la légitimité politique pour impulser et imposer une nouvelle politique publique d’envergure nationale. Nous reprenons donc ce souhait exprimé de longue date.
À défaut, l’installation d’un ou d’une déléguée interministérielle à l’égalité des femmes et des hommes rattachée aux services du Premier ministre permettrait d’identifier une personne dont l’autorité est reconnue comme référent de la politique publique en faveur de l’égalité professionnelle.
Enfin, la délégation estime qu’en qualité de parlementaires mais aussi en tant qu’élus locaux, nous devons nous montrer vigilants à l’égard des mauvaises pratiques des entreprises qui ignorent, délibérément ou non, leurs obligations légales en matière d’égalité professionnelle et salariale.
La Charte européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie locale prévoit, en particulier, l’intégration de la dimension du genre dans toutes les politiques et les activités des collectivités. Je vous invite à vous engager en ce sens, chers collègues, vous qui êtes nombreux à exercer des responsabilités dans la vie locale.
En conclusion, je vous propose de saisir l’opportunité qui nous est donnée avec l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat pour fixer des objectifs ambitieux aux partenaires sociaux.
Car, derrière la question spécifique de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, c’est celle plus large, d’un équilibre sociétal qui est posée.
Il s’agit de bâtir une société plus juste, plus équilibrée et davantage respectueuse des temps de vie professionnelle, personnelle et familiale dont doivent profiter les femmes, les hommes, mais également les enfants de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)