M. Jean Boyer. Si j’interviens, alors que je n’avais pas pensé m’exprimer dans ce débat, c’est parce que j’ai travaillé dans une usine de textile qui a dû fermer ses portes en 1986 – c’est d’ailleurs pourquoi je suis devenu agriculteur – et je sais donc ce que c’est de perdre son travail. J’ai connu des familles en désarroi, victimes des premières avancées de la concurrence dans le secteur du textile !
Mes chers collègues, je n’ai pas de leçon à donner, mais je veux vous dire, avec beaucoup de simplicité, que je suis un peu contrarié que, ce matin ici, alors qu’il s’agit de sujets qui concernent l’avenir et à propos desquels nous devrions nous rassembler, nous commentions surtout le passé.
Madame Lienemann, pensez-vous qu’une entreprise licencie par plaisir ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Isabelle Debré. Et voilà !
M. Jean Boyer. Je le dis simplement, ayant vécu ces événements contrariants dans un passé lointain. Quand tout allait bien, quand les débouchés étaient nombreux, avant que les pays sous-développés ne soient devenus nos plus terribles concurrents – et le textile fut l’un des premiers secteurs touchés (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) –, nous étions contents et solidaires, nous portions les couleurs de l’entreprise, on ne cherchait pas à savoir qui était patron et qui était ouvrier, on travaillait pour l’intérêt du pays. Je peux vous le dire !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est ça ! Patrons et ouvriers travaillaient main dans la main…
M. Jean Boyer. Vous verrez que je ne changerai jamais d’avis, quel que soit le gouvernement. On n’a pas le droit d’être responsable et désespéré : on a le devoir d’être responsable et vrai !
Si le gouvernement actuel – et il en sera de même du suivant – ne fait pas tout, c’est qu’il ne le peut pas !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Que le Président de la République fasse un référendum sur les licenciements boursiers !
M. Jean Boyer. Il est tellement facile de critiquer, madame Lienemann – d’un côté comme de l’autre, d'ailleurs ! Je ne vous ai pas interrompue, madame la sénatrice. Je suis seulement un paysan de la Haute-Loire, mais j’ai le droit d’être écouté quand je m’exprime dans cet hémicycle ! (Mme Isabelle Debré applaudit.)
Nous ne devons pas regarder dans le rétroviseur, mais devant nous. Quel que soit le gouvernement en place au mois de juin, nous devrons essayer de travailler pour l’avenir et non consacrer notre temps à remettre le passé en cause. Aucun gouvernement n’aurait pu empêcher ce qui est arrivé.
M. Michel Le Scouarnec. Si ! On aurait pu mieux faire !
M. Jean Boyer. Je ne dis pas qu’aucune erreur, de chronologie par exemple, n’a été commise – il est facile de juger après coup –, mais notre intérêt à tous sera de travailler pour l’intérêt de la France ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Le Scouarnec. Il faut surtout réduire les inégalités en France !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est tout de même assez regrettable que, chaque fois que nous défendons une proposition de loi ou simplement un point de vue dont nous pensons qu’il est partagé par la grande majorité de nos concitoyens, des gardes non pas rouges, évidemment,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … des gardes présidentiels déplorent que la droite ne soit plus majoritaire au Sénat. C’est un fait, il faut vous y faire parce que vous allez devoir faire avec !
Hier, j’ai entendu les vociférations de Marie-Hélène Des Esgaulx quand nous avons défendu le droit de grève. Oui, nous défendons le droit de grève alors que vous ne le défendez pas ! Marie-Hélène Des Esgaulx peut vociférer si elle veut, mais ce n’est pas à son honneur, car beaucoup de gens défendent le droit de grève dans ce pays.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Aujourd'hui, au début de la séance, M. Xavier Bertrand, ministre d’un gouvernement en campagne, puisque le Président de la République est désormais en campagne,…
M. Jean Desessard. Depuis hier soir !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il l’était déjà depuis longtemps !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … a tenu un petit meeting, comme aiment le faire les ministres lorsqu’ils viennent au Sénat. Comme nous ne sommes pas très nombreux dans l’hémicycle, je ne sais pas si c’est très intéressant.
Que nous a dit M. Bertrand lors de ce petit meeting ? Ce que dit le Président de la République, et ce que dit encore mieux le MEDEF : Mme Parisot a déclaré voilà quelques mois qu’elle était heureuse de constater que Nicolas Sarkozy avait appliqué mot pour mot, au cours de son premier quinquennat, le programme « Besoin d’air » du MEDEF. Dont acte !
Aujourd'hui, le même M. Sarkozy, candidat à un second quinquennat, nous dit qu’il appliquera le nouveau programme du MEDEF, qui consiste à abaisser encore le coût du travail.
M. Jean Desessard. Ils l’ont dit ! C’est la logique !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela a été dit, ce n’est pas nous qui l’inventons ! Il suffit de lire vos classiques, c'est-à-dire les déclarations du patronat, de Nicolas Sarkozy et de ceux qui empochent des dividendes.
Nos concitoyens en ont assez du double langage ! Monsieur le sénateur de la Marne, vous êtes allé dans l’usine de Bosal pour dire aux salariés que vous défendez leurs emplois, mais le patron hollandais de cette entreprise, qui est tout à fait rentable puisqu’elle dégage des bénéfices et que son carnet de commandes est plein, a décidé de fermer l’usine. Il va la fermer !
M. René-Paul Savary. Votre proposition de loi n’empêchera pas les licenciements !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et où va-t-il délocaliser la production ? En Allemagne et en Hongrie !
M. René-Paul Savary. Votre proposition de loi n’empêchera rien !
Une sénatrice du groupe CRC. Si !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors n’allez pas vous balader dans l’usine de Bosal pour dire aux salariés que vous défendez leurs emplois, car vous ne défendez rien du tout ! (M. Alain Fouché s’exclame.) Je le sais, puisque j’ai rencontré ces salariés.
M. René-Paul Savary. Votre texte n’empêchera rien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ne croyez pas que vous pouvez dire dans vos départements que vous défendez l’emploi, alors que vous déclarez dans cet hémicycle qu’on ne peut rien faire…
M. René-Paul Savary. Ce n’est pas vrai !
M. Xavier Bertrand, ministre. Nous ne sommes pas socialistes, nous ne disons pas qu’on ne peut rien faire !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … et qu’il faut permettre aux patrons de distribuer plus d’argent aux actionnaires et moins aux salariés, et même de licencier ces derniers.
M. René-Paul Savary. C’est de la démagogie !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’écart entre les riches et les pauvres s’est aggravé durant ce quinquennat. Nous sommes revenus au temps de Zola : il y a un rapport de 1 à 400 entre les salaires les plus faibles et les salaires les plus élevés, alors que ce rapport était de 1 à 20 en 1970 ! Voilà la réalité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous critiquez notre proposition de loi ; c’est votre droit, et d'ailleurs nous n’en attendions pas moins de vous. Mais je vous assure que nos concitoyens ne peuvent pas comprendre qu’une entreprise qui distribue des dividendes licencie.
M. René-Paul Savary. Personne ne dit le contraire !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils ne peuvent pas le comprendre ! Votre vote sera regardé : faites bien attention !
M. Alain Fouché. Ne vous inquiétez pas !
Mme Isabelle Debré. Nous assumons !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous ne demandons pas l’étatisation des entreprises.
Mme Catherine Deroche. Pas encore !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avez-vous bien compris ? Nous demandons qu’une entreprise qui continue de distribuer des dividendes ne puisse pas licencier et, surtout, que, si elle licencie, elle rembourse les aides publiques directes ou indirectes qu’elle a reçues.
M. René-Paul Savary. Ça suffit !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est clair, net et honnête ! Tous nos concitoyens le comprennent, et tous sont d'accord sur ce point. Faites attention, car nos concitoyens vous regardent quand vous votez !
M. René-Paul Savary. Bien sûr !
M. Jean-Noël Cardoux. Et on leur dira !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Durant la campagne électorale, vous direz que vous êtes contre notre proposition de loi et vous expliquerez pourquoi, et nous verrons alors si vous êtes toujours aussi fiers de votre position ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je voudrais que l’on précise bien quelles sont les entreprises visées par cet article. Il ne s’agit en aucune façon de viser les chefs d’entreprise des PME, qui, la plupart du temps, paient les pots cassés des délocalisations décidées par l’actionnariat des grandes entreprises. (MM. Ronan Kerdraon et Michel Le Scouarnec opinent.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Exactement !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quel est cet actionnariat ? Le plus souvent, il n’est pas français. En quelques années, la part de l’actionnariat étranger dans l’économie française s’est considérablement accrue, notamment par des prises de participation de fonds de pension. C’est l’un des points de vulnérabilité de notre économie.
Si je ne suis pas une fanatique du modèle allemand, je constate néanmoins que, en Allemagne, le capital industriel appartient toujours, pour l’essentiel, à des ressortissants de ce pays. En France, à l’inverse, la privatisation massive des grandes entreprises a transféré un capital qui, historiquement – depuis Colbert –, était plutôt public vers un capital financier généralement étranger.
Je vous le dis : quand le rapport entre le capital et le travail est défavorable à ce dernier, et donc favorable au capital, la plupart des grandes entreprises de ce pays se gavent – pardonnez-moi cette expression un peu brutale – sur le travail des salariés français…
M. Ronan Kerdraon. Tout à fait !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … pour financer les retraites des Irlandais, notamment. Je n’ai rien contre eux, mais ce n’est pas à nous de payer !
Empêcher ces grandes entreprises, dont l’essentiel du capital est la plupart du temps étranger, de piller le pays puis de partir quand elles considèrent qu’elles peuvent faire encore plus de profit grâce au dumping social et environnemental, c’est non seulement une mesure sociale légitime, mais aussi une mesure d’intérêt national et public ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. Dans cet hémicycle, personne n’a le monopole de la défense des travailleurs. Nous sommes des élus de terrain, nous connaissons des entreprises en difficulté ; il n’est pas nécessaire d’être membre du Parti communiste pour les défendre ! (Murmures sur les travées du groupe CRC.)
L’idée de cette proposition de loi est intéressante, mais la notion de licenciement boursier est floue. Je suis d'accord avec Jean Desessard : c’est un avant-texte qui doit être corrigé.
Mme Annie David. Pas corrigé, complété !
M. Alain Fouché. La majorité des chefs d’entreprise ne sont pas animés par la volonté de licencier leurs employés. Ce que je reproche à cette proposition de loi, c’est qu’elle ne fait pas de distinction entre les grandes et les petites entreprises. Or il existe des petites entreprises qui ont des actionnaires, qui distribuent des dividendes,…
Mme Isabelle Debré. Eh oui !
M. Alain Fouché. … qui sont cotées sur le second marché.
La situation d’une PME ayant reçu des aides publiques mais devant s’adapter à une conjoncture économique défavorable ou à une diminution de ses commandes n’est pas comparable à la situation d’une multinationale qui, tout en recevant des aides importantes de l’État, met en place des plans sociaux dans le seul but d’accroître ses profits afin de distribuer des dividendes à ses actionnaires.
Nous sommes d'accord pour dire que des grandes entreprises profitent du système : celles qui licencient des salariés pour faire plaisir à leurs actionnaires. Bien sûr que cela existe ! Nous le voyons comme vous ; vous n’avez rien inventé ! Toutefois, il faut faire une distinction entre ces entreprises et les autres, et la proposition de loi demeure floue à ce sujet.
La proposition de loi n’établit pas davantage de distinction en fonction de la valeur des aides apportées par l’État. Par exemple, certaines aides aux petites entreprises concernent la formation ; or, si une entreprise qui en a reçu rencontre des difficultés, qui peuvent être passagères, elle doit licencier et ne peut donc tenir ses engagements.
La proposition de loi doit être précisée car elle est trop floue. Le dispositif est bien trop général et emporte trop de risques juridiques. Par conséquent, il serait très difficile à mettre en œuvre ; chacun le sait.
Par ailleurs, il s'agit d’un texte d’opportunité. J’ai entendu M. Laurent présenter, à la télévision, un programme extraordinaire pour les élections. Si vous gagnez les élections, nous verrons bien ! Mais je pense qu’il sera difficile de mettre en place un tel programme.
En somme, l’objectif de cette proposition de loi est louable, mais une réflexion plus large est nécessaire. C'est la raison pour laquelle je m’abstiendrai sur ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Contrairement à ce qu’a dit Marie-Noëlle Lienemann, cette proposition de loi vise – et plusieurs d’entre vous ont pointé les difficultés juridiques que cela soulève – toutes les sociétés qui versent des dividendes. Le dispositif n’est pas réservé aux entreprises du CAC 40 ; une PME ou une PMI qui verse des dividendes est intégralement concernée.
Mme Isabelle Debré. Eh oui !
M. Alain Fouché. Absolument !
Mme Isabelle Debré. Exact !
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous avez produit un effet d’affichage en citant quelques cas, mais votre proposition de loi vise toutes les sociétés françaises qui, d’une façon ou d’une autre, versent des dividendes. En outre, vous liez les dividendes versés l’année précédente aux licenciements de l’année en cours ou à venir… Il faut ne pas connaître l’entreprise pour ignorer que cela serait source de complexités sans pareilles !
Mme Isabelle Debré. Exactement !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est à l’inspection du travail de juger !
M. Xavier Bertrand, ministre. Comprenez-vous ce que cela représente ? Votre dispositif ne fonctionne tout simplement pas !
Tout à l'heure, j’ai axé mon intervention sur l’aspect politique, mais, si l’on aborde cette proposition de loi du point de vue juridique, il est clair que le mécanisme qu’elle prévoit ne « tourne » pas ! L’adoption de ce texte serait un désastre pour les entreprises françaises. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Fouché. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas le voter !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 104 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 332 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 167 |
Pour l’adoption | 163 |
Contre | 169 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Isabelle Debré. Ah !
Mme Éliane Assassi. Merci le RDSE !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela se paiera !
Article 2
Après l’article L. 1233–3 du même code, il est inséré un article L. 1233-3–1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1233–3–1. – L’établissement ou l’entreprise qui bénéficie d’aides publiques, sous quelque forme que ce soit, ne les conserve que s’il ne réalise pas de licenciement pour motif économique interdit par le troisième alinéa de l’article L. 1233–3. À défaut, il est tenu de rembourser la totalité des aides perçues aux autorités publiques qui les ont octroyées, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État. »
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Comme l'article 1er, cet article semble intéressant à première vue et les intentions qui le sous-tendent sont louables. Pourtant, en interdisant les licenciements boursiers et en condamnant les entreprises, il va à contre-courant.
Lors de nos travaux en commission, les masques sont tombés ! Cette volonté démagogique de mettre en cause ceux qui entreprennent est inacceptable et produirait l'effet inverse de celui qui est recherché.
Mme Éliane Assassi. Expliquez cela aux licenciés !
M. René-Paul Savary. C'est la raison pour laquelle nous voterons contre l'article 2.
Je rappelle que, lorsque des aides sont accordées par les collectivités locales, des conventions sont signées, qui prévoient des contreparties. Elles doivent être respectées. De tels dispositifs existent donc déjà ; ils sont d’ailleurs tout à fait nécessaires. En outre, il faut prendre en compte les aides directes qui sont accordées aux entreprises mais aussi les aides annexes, par exemple en matière d'aménagement.
Pour autant, ce n'est pas en adoptant ce texte que l'on empêchera les comportements contre-nature.
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur Savary, vous avez raison : en commission, les masques sont tombés ! Dois-je rappeler que vous étiez prêt à voter cet article ? D’ailleurs, l'article 1er ne vous paraissait pas non plus inapproprié. Vous avez évoqué la situation dont vient de parler Nicole Borvo Cohen-Seat. En commission, vous aviez rappelé la situation dramatique de l’une des entreprises de votre département confrontée à ce type de licenciements. Vous étiez donc prêt à nous suivre. Mais vous avez été vite rappelé à l'ordre, notamment par Mmes Procaccia et Debré, qui ont argué qu’il s’agissait d’une loi d'affichage.
M. René-Paul Savary. On le dira !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Ce texte a été examiné à l'Assemblée nationale en 2009. Comment prétendre alors que c’est une loi opportuniste ? C’est un peu fort ! Je ne suis pas intervenue tout à l'heure, parce que cela ne sert à rien d'en rajouter. Mais, là, trop c'est trop !
Cette loi n'est pas opportuniste, pas plus qu’elle n’est démagogique. Aujourd'hui, on voit bien qui choisit de rester aux côtés des salariés pour lutter contre les licenciements motivés par des raisons de stratégie financière.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On leur dira !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Oui, cette proposition de loi s'adresse à l'ensemble des entreprises. Monsieur Cardoux, nous savons bien que les entreprises dont vous parliez tout à l'heure, qu’il s’agisse de PME ou de PMI, versent des dividendes lorsqu’elles peuvent le faire et y renoncent lorsqu’elles rencontrent des difficultés économiques et que ce n'est pas possible.
C’est à dessein que la rédaction de l'article 2 est large. Il s’agit de contraindre l'ensemble des entreprises à respecter le droit du travail avant de privilégier le droit des financiers. Si, parmi les petites entreprises, certaines souhaitent se transformer en entreprise rentière, elles devront, comme les autres, sauvegarder d’abord l'emploi.
Alors, oui, aujourd'hui, les masques sont tombés. Je m’en réjouis. Nous savons désormais qui cherche à privilégier la finance, en acceptant le départ de l'industrie française vers d'autres pays plus rentables et bien moins soucieux de la protection des travailleurs et de l'environnement. À l'issue de ce vote, nous aurons pris position. Ceux qui ont voté cet article pourront se rendre dans leurs territoires et dire aux ouvriers et aux salariés qu'ils ont tout fait pour défendre l'emploi en France.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Mon intervention est dans le droit fil de celle de ma collègue Annie David.
Aux termes de cet article, une entreprise qui licencie ou délocalise alors qu'elle réalise des bénéfices doit rembourser les aides qu'elle a reçues de la collectivité. C’est bien le minimum !
M. Jean Desessard. Vous pourriez considérer que ce n’est pas suffisant, mais ce n'est pas le cas ! Mme David a raison : les masques tombent. Vous quittez le double langage et, de ce point de vue, c'est positif. Vous vous contentez de dire : on n'y peut rien ; il n'y a plus rien à faire ; il faut s'adapter ; la mondialisation est là ; les délocalisations, c'est normal ; réduire le coût du travail, c'est normal ; on verra bien ce qui se passera, etc.
Les entreprises fermeront ou en seront réduites à proposer des conditions de travail effrayantes, comme celles que l'on a pu connaître il y a une centaine d'années. Vous l'admettez. Vous considérez qu'il n’y a rien à faire. C’est ce que signifie votre refus de voter l’article 2.
Mme Annie David. Oui !
M. Jean Desessard. Si, de surcroît, on ne demande même plus aux entreprises, lorsqu’elles n’ont pas créé d’emploi, de rembourser les subventions qu’elles avaient perçues pour en créer, on va loin ! Une telle attitude est très surprenante.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
Mme Isabelle Debré. Sur le fond, évidemment, nous sommes parfaitement d’accord avec vous. Le problème n'est pas là.
Mme Annie David. Il est où, alors ?
Mme Isabelle Debré. Je le répète, nous approuvons la finalité de la proposition de loi, qui est de faire en sorte que les licenciements abusifs soient condamnés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tiens donc !
M. René-Paul Savary. Bien sûr ! On l’a dit !
Mme Isabelle Debré. Je l’ai dit tout à l’heure !
M. René-Paul Savary. Moi aussi !
Mme Éliane Assassi. Votez alors !
Mme Isabelle Debré. Aujourd'hui, de nombreux outils existent pour protéger les salariés, vous le savez.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pourquoi ça ne marche pas ?
Mme Isabelle Debré. J’en ai parlé, j’ai même cité des exemples de la jurisprudence qui prouvent que nous avons les moyens de sanctionner ces licenciements abusifs.
Encore une fois, croyez-vous vraiment que les chefs d'entreprise licencient par plaisir ? En connaissez-vous ? Pour ma part, je n'en ai jamais rencontré ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les fonds de pension n'ont pas d'âme !
Mme Isabelle Debré. Les masques tombent, dites-vous.
Mme Annie David. C’est M. Savary qui l’a dit !
Mme Isabelle Debré. Mais la question n'est pas là ! Le problème, c'est qu'aujourd'hui nous sommes devant une proposition de loi qui est inapplicable. S’agissant de l’article 2, sur le fond, je le répète, nous sommes d’accord, mais votre rédaction, madame la présidente de la commission des affaires des sociales, est totalement flou et est juridiquement impossible à mettre en œuvre. C’est sur ce constat que nous nous appuierons pour fonder notre position.
Il nous faudra rendre des comptes, selon vous. Mais on ne cesse de nous dire que nous légiférons pour un oui ou pour un non et que la loi est trop bavarde ; essayons au moins d’adopter des textes applicables sur le terrain ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. René-Paul Savary. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour explication de vote.
M. Ronan Kerdraon. Lors de mon arrivée au Sénat, il y a deux ans, j’avais été très surpris par la frénésie législative qui nous animait, sur des sujets parfois mineurs. À un fait divers devait répondre un projet ou une proposition de loi !
Aujourd’hui, nous avons l’occasion de légiférer à partir non pas d’un fait divers, mais de drames sociaux que les salariés vivent au quotidien, c’est-à-dire les licenciements pour motif boursier, avec leur cohorte de conséquences, notamment les délocalisations dans les pays émergents ou dans d’autres pays d’Europe.
Face à ces situations dramatiques, nous ne nous payons pas de mots ! Nous ne nous contentons pas de nous agiter et de gesticuler ! Nous agissons, nous proposons et nous votons !
Si les masques sont tombés, selon l’expression de notre collègue René-Paul Savary, cela a au moins le mérite de la clarté.
Nous avons dit, les uns et les autres, que deux logiques s’opposaient : celle qui place le salariat, les employés, les petites gens au cœur de l’action et celle qui profite des failles du système pour enrichir toujours plus les uns sur le dos des autres.
Certes, les tribunaux peuvent condamner certains abus, mais pas tous. Tout dépend de l’interprétation qui est faite de la loi.
Pour l’instant, il n’y a aucune véritable jurisprudence en la matière. Des jalons ont été posés par un certain nombre de juridictions, que je qualifierai de courageuses, mais elles ne sont pas majoritaires.
L’article 1er avait pour objet d’inscrire dans la loi une véritable interdiction de licenciement pour motif boursier. Que certains aient voté contre, je peux l’admettre, mais je comprends moins que d’autres se soient abstenus ou aient refusé de prendre part au vote.
En l’occurrence, la question à trancher est relativement simple ; elle aurait même pu faire l’objet d’un référendum : êtes-vous contre les licenciements boursiers ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Voilà une très bonne question !
M. Ronan Kerdraon. Je pense que les Français, à une très forte majorité, auraient fait part de leur refus de telles pratiques.
Lorsqu’on veut être le candidat du peuple, on doit se battre contre les « patrons voyous ».
Après avoir été « bling-bling », le candidat-président nous fait maintenant croire qu’il va rendre la parole au peuple : le grand écart ainsi proposé est catastrophique pour l’image de la France ! Heureusement, les débats que nous avons eus ici ont été d’une autre qualité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
M. Jean Desessard. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Boyer, pour explication de vote.
M. Jean Boyer. Mes chers collègues, si les aides publiques octroyées aux entreprises afin de soutenir leurs projets, notamment pour innover, ont été illégalement utilisées, alors, elles doivent être remboursées.
M. René-Paul Savary. Bien sûr !
M. Jean Boyer. Dans cet hémicycle, personne ne détient de monopole pour défendre telle ou telle catégorie sociale. Lorsqu’une entreprise va bien, tout le monde va bien. Mais, ayant été confronté à cette situation comme, je pense, tout le monde ici, je me demande bien comment l’entreprise en phase de dépôt de bilan accompagné de licenciements collectifs, à qui il ne reste bien souvent que ses quatre murs et des dettes, pourra rembourser les aides publiques.
Concrètement, il lui sera bien difficile de rendre un argent qu’elle n’a plus.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Les brevets et marques !