M. Yves Rome. Nous n’avons pas dit cela !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Je voudrais citer l’exemple de la région Auvergne. Je fais souvent référence à ce territoire, auquel je suis très attaché, d’une part, parce que j’y compte quelques amis…
M. Pierre Charon. Brice ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Michel Baylet. Et M. Mézard !
M. Jacques Mézard. Moi ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. D’autre part, par atavisme familial, parce que ma belle-famille est originaire de cette magnifique région. (Ah ! et sourires.)
M. Christian Bourquin. On s’en moque !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Puisqu’on a systématiquement tendance à m’associer aux Hauts-de-Seine – cela a encore été le cas tout à l’heure –, il ne m’a pas paru inutile d’observer ce qui se passe dans une région rurale confrontée à des difficultés.
M. Raymond Vall. Il ne se passe pas grand-chose !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. En Auvergne, donc, les déploiements des opérateurs privés ont permis une baisse de 20 % de l’investissement public.
M. Yves Rome. On verra !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Savez-vous qui le dit ? C’est non pas le Gouvernement, mais le conseil régional d’Auvergne. Qui le préside ? Ni l’UMP ni le Nouveau Centre !
Mme Laurence Rossignol. Vous ne présidez qu’une seule région !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Pareillement, le département de Seine-et-Marne a chiffré le surcoût d’un déploiement public sur les zones rentables : 80 millions d’euros d’argent public supplémentaires ! Encore une fois, c’est non pas le Gouvernement qui le dit, mais la collectivité territoriale.
Cela renchérit le coût du réseau d’initiative publique de 25 % et pourrait, en outre, remettre en cause l’équilibre économique du projet public. Or j’imagine que pas un seul d’entre vous ne voudrait en prendre le risque, simplement parce que les opérateurs privés risqueraient de ne pas se raccorder à ce réseau.
M. Jean-Jacques Mirassou. Il fait les questions et les réponses !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Dissuader l’investissement privé revient à confronter l’État et les collectivités à ce que l’on appelle le « mur d’investissement » de la fibre optique.
M. Bruno Retailleau. Eh oui !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. M. Retailleau connaît bien ces sujets, tout comme Hervé Maurey.
Je vous pose la question suivante : comment financerez-vous 24 milliards d’euros d’investissement public ?
M. Yves Rome. Vous aurez la réponse !
M. Gérard Le Cam. Par les niches fiscales !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Puisque des échéances importantes approchent, j’aimerais que vous nous disiez comment vous comptez faire. Vous savez parfaitement, les uns et les autres, que cette proposition est totalement incompatible avec l’état actuel de nos finances publiques. Faire croire le contraire aux Français, c’est les prendre pour des gogos, et nos compatriotes ne sont pas prêts à croire n’importe quoi. (Rires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Christian Bourquin. Il n’y en a plus beaucoup qui vous croient !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Pour conclure, je veux souligner que le Gouvernement partage les intentions des auteurs de cette proposition de loi et approuve un certain nombre de ses dispositions, qui représentent des avancées, notamment en termes de volontarisme. Et je sais, monsieur le rapporteur, combien vous êtes volontariste en la matière.
Néanmoins, ce texte soulève un certain nombre de difficultés sur le plan technique. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement considère que son adoption risquerait de bloquer véritablement le déploiement du très haut débit dans notre pays, en contradiction avec l’objectif que visent ses auteurs. Et je sais à quel point ce combat est cher à M. le rapporteur et à Philippe Leroy.
Le Gouvernement vous propose au contraire de poursuivre dans la démarche qu’il a déjà engagée visant à permettre à tous les Français d’accéder au très haut débit. C’est le choix du progrès que nous vous demandons de faire !
Je le répète, même si nous partageons les intentions des auteurs de cette proposition de loi et approuvons plusieurs de ses dispositions, nous ne pouvons nous y montrer favorables dans son ensemble, certains de ses articles présentant un risque sérieux de nature à entraver le déploiement du numérique dans notre pays, notamment eu égard aux investisseurs privés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Rappel au règlement
Mme Laurence Rossignol. Mon rappel au règlement se fonde sur les articles 36 et 40 de notre règlement.
D’abord, monsieur le secrétaire d'État, il serait souhaitable que vous vous conformiez davantage au déroulement des débats en évitant d’interpeller constamment les sénateurs siégeant à la gauche de cet hémicycle et de répondre, de manière tout à fait malvenue, à des interventions qui n’ont pas encore eu lieu.
Faut-il vous rappeler que, avant vous, seuls se sont exprimés MM. Philippe Leroy, coauteur de la proposition de loi, et Hervé Maurey, rapporteur, par ailleurs tous deux membres de la majorité gouvernementale ?
Ensuite, reprocher à certains d’entre nous de méconnaître leurs dossiers, c’est méprisant et d’autant plus déplacé qu’ils ne sont pas encore intervenus !
Enfin, monsieur le secrétaire d'État, cette proposition de loi a donné lieu à un travail approfondi en commission, auquel ont pris part l’ensemble des sénateurs. Aussi, nous déplorons votre volonté de mêler les discussions autour de l’élection présidentielle à nos débats, comme l’attestent vos diverses références au candidat François Hollande, qui n’est pas membre de cette assemblée et ne s’est pas prononcé sur cette proposition de loi. Aujourd’hui, nous débattons d’une proposition de loi et non de la campagne présidentielle ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, vous donnez des leçons au Gouvernement…
M. Claude Bérit-Débat. Au secrétaire d’État !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Il se trouve que je représente le Gouvernement, monsieur le sénateur. Personne d’autre, dans cet hémicycle, que je sache, n’assume cette charge.
Je disais donc que vous donniez des leçons au Gouvernement, madame la sénatrice, mais permettez-moi de vous dire que, sur ce sujet qui devrait pourtant être consensuel, je me suis efforcé d’expliquer pourquoi nous approuvions certaines dispositions de cette proposition de loi et pourquoi nous estimions que d’autres éléments comportaient des risques, et ce en dépit des vociférations – c’est bien le mot qui convient (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) d’une partie de cet hémicycle –…
M. Christian Bourquin. Vous êtes un provocateur !
Mme Laurence Rossignol. Vous n’avez jamais été parlementaire !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Si, je l’ai été, mais je n’ai jamais vociféré comme vous l’avez fait aujourd’hui – vous pourrez le vérifier –, parce que je considère que ce genre de comportement tire malheureusement le débat public vers le bas. Je le répète, j’ai été interrompu en permanence par des vociférations.
M. Christian Bourquin. Arrêtez donc !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. En voici une de plus ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) D’ailleurs, monsieur le sénateur, vous êtes un spécialiste en la matière ! (M. Christian Bourquin s’exclame.)
M. le président. Monsieur Bourquin, vous n’avez pas la parole ! Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'État.
M. Christian Bourquin. Il nous provoque !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Parce qu’il est important d’éclairer nos compatriotes, j’ai simplement essayé d’expliquer que, sur ce sujet, il existe deux visions de la société :...
M. Gérard Le Cam. Eh oui !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. ... soit faire intervenir la puissance publique, avec l’argent des Français et non pas avec l’argent des collectivités locales, comme je l’ai entendu, ou celui de l’État, comme je l’entends parfois ; soit considérer que la collectivité publique n’intervient que si les investisseurs privés font défaut, et défendre un régime de concurrence, ce qui est exactement l’inverse de ce que vous défendez.
Au milieu des vociférations et du brouhaha, j’ai entendu, à plusieurs reprises, quelques réflexions parfaitement compréhensibles provenant de la gauche de l’hémicycle. À partir du moment où vous m’avez interrogé, il était normal que je vous réponde.
Il est sain, dans un débat démocratique, que le Gouvernement réponde aux interpellations des sénateurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le secrétaire d'État, je vous ai connu, à d’autres moments, bien plus constructif. Si je puis me permettre de vous donner un conseil, vous devriez changer de ton et d’attitude. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mes chers collègues de la majorité présidentielle, M. le secrétaire d’État m’ayant cité tout à l’heure, je ne fais que lui répondre !
Nous traitons ici d’un problème touchant à l’aménagement du territoire. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, vous devriez vous rappeler ce à quoi vous a conduits, le 25 septembre dernier, votre refus d’écouter les collectivités locales. Or, je le rappelle, elles se sont toutes prononcées en faveur du présent texte. Vous ne pouvez tout de même pas avoir raison contre tout le monde ! (M. Pierre Hérisson s’exclame.)
Cette proposition de loi, qui a fait l’objet d’un travail transversal remarquable, a été adoptée à l’unanimité par la commission de l’économie. Compte tenu des objectifs et des enjeux qu’elle contient en termes d’aménagement du territoire, vous devriez l’appréhender avec plus de considération. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Monsieur le secrétaire d'État, finissez-en avec les provocations concernant le logement ou l’élection présidentielle : vous êtes hors sujet ! Revenez-en à l’aménagement du territoire et vous nous trouverez constructifs à vos côtés. (Bravo ! et nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les auteurs de la présente proposition de loi, nos collègues Philippe Leroy et Hervé Maurey, pointent, très clairement à nos yeux, les enjeux liés à l’accès au numérique dans nos territoires. Nous voilà donc au cœur du sujet !
Ils posent en substance plusieurs questions. Quelle valeur contraignante et quelle consistance donner aux documents programmatiques d’aménagement numérique ? Qui doit financer cet effort ?
M. Pierre Hérisson. C’est la vraie question !
Mme Sylvie Goy-Chavent. La bonne question !
Mme Mireille Schurch. Comment coordonner initiatives publiques et privées, et selon quels critères ? Enfin, quels doivent être les droits de nos concitoyens ?
Ces questions méritent une réponse ; en ce sens, le débat que nous allons avoir est utile et nécessaire.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Qui paie ?
Mme Mireille Schurch. Malgré la satisfaction affichée par le Gouvernement, la France a pris un retard préjudiciable sur ces questions – retard qui inquiète les collectivités – et elle risque aujourd’hui de rater le virage du numérique à cause d’une ambition trop faible.
Pourtant, nous le voyons bien, la question de l’accès au numérique pour tous et dans tous les territoires correspond bien aux défis du xxie siècle en termes de création d’infrastructures de réseau, comme ce fut le cas dans le passé pour les réseaux de téléphone, d’électricité, d’eau ou de chemins de fer.
Ainsi, aujourd’hui, l’accès à ces technologies est déterminant dans tous les domaines de la vie quotidienne de nos concitoyens, que ce soit la santé, l’éducation, les achats, les documents administratifs, mais aussi l’industrie, l’agriculture, le tourisme et la culture.
Par ailleurs, l’économie numérique est un puissant facteur de croissance et pourrait également constituer un outil privilégié d’une politique ambitieuse de réindustrialisation.
Dans le même ordre d’idée, la manière dont nous aurons pensé ce développement numérique nous permettra de lutter contre d’autres fractures, sociales et territoriales.
C’est pourquoi nous considérons que le programme national très haut débit, adopté en 2010, manque d’ambition en fixant l’échéance de couverture totale du territoire à l’horizon de 2025. Il procède également, à notre sens, d’une mauvaise architecture puisque, dans les zones non rentables, il fait reposer l’effort exclusivement sur les collectivités alors que, dans les zones rentables, il laisse les opérateurs privés se partager les bénéfices, par la multiplication des réseaux et des offres.
Nous sommes bien là dans le schéma libéral qui socialise les pertes et privatise les profits. Les collectivités ne sont en effet amenées à intervenir que pour suppléer la carence du privé, et ce alors même que le souci partagé de bonne gestion des deniers publics devrait nous rendre plus vigilants. Nous considérons qu’il est anormal de faire peser sur les collectivités le risque d’investissement dans un secteur où les technologies sont en évolution permanente.
En outre, le dispositif institué est particulièrement favorable aux investisseurs privés, qui bénéficient des infrastructures par la mutualisation, ou de l’intervention publique dans les zones non rentables. Pour les grands opérateurs, c’est donc un investissement sans risque, avec un retour sur investissement garanti !
L’Autorité de la concurrence et l’ARCEP considèrent même que le cadre d’intervention défini par le programme national très haut débit est contraire à la concurrence, dans la mesure où il favorise trop nettement l’intervention privée.
Le Gouvernement a donc mis en place un mécanisme qui, loin de préserver l’intérêt général et les droits de nos concitoyens, garantit simplement la profitabilité pour les opérateurs privés.
M. Gérard Le Cam. Très bien !
Mme Mireille Schurch. Ces derniers ne sont astreints à aucune obligation d’intervention et doivent simplement déclarer leurs intentions d’investissement, sans être tenus de les réaliser.
C’est pourquoi nous approuvons le mécanisme de sanctions prévu par la présente proposition de loi, en son article 12, pour les engagements qui ne sont pas respectés dans le cadre des schémas d’aménagement numérique des territoires.
Nous contestons également l’absence de péréquation entre les différentes zones définies par le programme. De fait, la péréquation est inexistante, puisque les collectivités en zone peu dense devront financer leurs propres réseaux, avec l’aide éventuelle du Fonds d’aménagement numérique des territoires – espérons qu’il soit alimenté par des fonds... – et ce, alors même que les collectivités situées en zone dense n’auront pas d’investissements à financer.
Si le Gouvernement considère que la péréquation est remplie par une répartition des marchés entre les collectivités et les opérateurs privés, et que les engagements pris par les opérateurs de couvrir 57 % de la population d’ici à 2020 sont suffisants, notons tout de même qu’il restera dans ce cadre près de 23 milliards d'euros à la charge du financement public.
Dès lors, la péréquation horizontale proposée est une farce. Elle est bien éloignée de l’ambition républicaine de lutte contre les disparités territoriales, inscrite dans notre histoire et dans notre droit.
Eh oui, mes chers collègues, si nous sommes tous d’accord sur les enjeux du passage au numérique, nous nous heurtons au final sur la question du financement et sur celle de savoir à qui il revient de payer.
M. Gérard Le Cam. Très bien !
Mme Mireille Schurch. Ainsi, le Fonds d’aménagement numérique du territoire, institué par la loi de 2009, n’a jamais été créé, le financement du très haut débit reposant uniquement sur l’enveloppe ponctuelle octroyée par l’État dans le cadre des emprunts d’avenir, à hauteur de 900 millions d'euros.
Les auteurs de la proposition de loi ont donc eu raison de soulever à nouveau, comme ils le font dans les articles 15 et 16, la question du financement. Pour autant, nous ne sommes pas en accord avec les pistes de financement préconisées dans la proposition de loi, et d’ailleurs supprimées par la commission. Ces pistes faisaient reposer l’effort essentiellement sur les usagers des télécommunications, voire de consoles vidéo.
Les milliards d’euros de profits du secteur des télécoms démontrent pourtant qu’une autre répartition des richesses favorable à l’investissement productif permettrait le financement propre des infrastructures de réseaux sans mettre à contribution ni la collectivité ni les usagers.
Tout cela nous amène à considérer que la privatisation de France Télécom, en 1997, fut une redoutable erreur qui a conduit l’entreprise à se doter d’une stratégie reposant uniquement sur la rentabilité et non sur des missions de service public propres à satisfaire à l’intérêt général.
Le changement de stratégie s’est fait très simplement, comme en témoigne la hauteur des bénéfices réalisés par l’entreprise – 28 milliards d'euros pour les cinq dernières années –, à mettre en corrélation, bien sûr, avec une politique sociale désastreuse que nous déplorons.
À ce titre, il est significatif de constater que France Télécom a su trouver intérêt au dégroupage, lequel représente un gain annuel de 800 millions d'euros par an, qui ne sont pas réinjectés dans le financement des solutions d’avenir.
Nous comprenons donc bien que l’opérateur historique n’ait aucun intérêt, en l’état, à déployer la fibre optique au regard de la rente du réseau en fil de cuivre. Mais pour quelle utilité sociale avons-nous permis tout ce gâchis ?
Pour toutes ces raisons, nous proposerons un financement reposant sur les opérateurs de télécommunications, et dont le coût ne pourra pas être répercuté sur les usagers. Reconnaissez, mes chers collègues, que leurs bénéfices leur permettront largement de financer cet effort ! Il est en effet intolérable que la logique concurrentielle et les stratégies financières des entreprises aboutissent aujourd’hui à ce que tous les opérateurs se renvoient la balle, refusant de financer le développement de la fibre optique sous prétexte que leurs concurrents risqueraient d’en profiter.
Nous prônons donc, et depuis longtemps, la pertinence d’un opérateur unique ayant la capacité, grâce à des ressources soumises à péréquation, de procéder à un aménagement progressif de l’ensemble du territoire, plutôt que l’application de règles complexes et la présence de multiples acteurs ne permettant pas d’avoir une réelle vue globale du secteur numérique, qui revêt pourtant un intérêt général national.
Nous proposons donc de rétablir un monopole public sur les infrastructures de réseaux pour assurer un équipement complet du territoire. C’est nécessaire si l’on veut éviter les gâchis dus à la concurrence, notamment dans les zones rentables où se superposent pléthores de réseaux, comme cela s’est produit dans les Hauts-de-Seine.
Par ailleurs, nous souhaitons en lieu et place d’un droit au numérique opposable, auquel nous prédisons la même destinée que celle du droit au logement opposable, le DALO, la redéfinition du champ et des missions de service public imposables aux opérateurs en termes de déploiement du réseau, mais également de tarification. Une disposition déclaratoire, telle que celle qui est rédigée à l’article 8, ne permettra pas de transformer en acte cet engagement du haut débit pour tous. Il faut par la loi nous en donner les moyens, et c’est ce que nous vous proposerons.
Plus précisément, sur le corps même de cette proposition de loi, outre les dispositions que nous avons déjà mentionnées, nous sommes en accord avec les principes d’obligation à la contractualisation et de planification de la couverture du territoire par la fibre optique dans le cadre de schémas précis.
Toutefois, sur le fond, nous estimons que ce texte ne règle pas le problème essentiel de la structuration du marché des télécommunications et du financement de la fibre optique. Comme le reconnaît l’un de ses auteurs, il s’agit non pas de casser le modèle qui prévaut aujourd’hui, mais bien de l’améliorer, ce qui nous semble difficile en l’état et dans le cadre d’un marché libéralisé des télécommunications. C’est tout simplement, à notre avis, de logiciel qu’il faut changer, et pour cette raison, nous nous abstiendrons sur ce texte, malgré l’excellent travail de la commission de l’économie et de son rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet. (Mme Anne-Marie Escoffier applaudit.)
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, « mettre en valeur le rôle de l’électricité dans la vie nationale et dégager notamment le rôle social de premier plan joué par la lumière électrique », tels sont les termes de la commande passée par la Compagnie parisienne de distribution d’électricité au peintre Raoul Dufy pour sa fameuse fresque La Fée Électricité.
L’électrification complète de notre territoire national ne s’est pas faite en un jour. Elle a nécessité un investissement financier important et, surtout, une volonté politique sans faille. Ce sont ces deux éléments essentiels, monsieur le secrétaire d'État, qui manquent cruellement aujourd’hui à la politique du Gouvernement en matière tant de développement des nouvelles technologies d’information et de communication que d’aménagement équilibré du territoire.
En effet, la révolution numérique est similaire à celle qui a été provoquée par l’arrivée de l’électricité quant à l’aménagement du territoire. Le déploiement du haut débit, et de surcroît, bien sûr, du très haut débit, constitue un enjeu prioritaire pour nos départements qui ne peuvent, sans ces outils, être attractifs ni pour les particuliers ni pour les entreprises.
Pourtant, l’amélioration de la vie quotidienne des usagers et la portée sociale des technologies numériques ne sauraient être contestées. Elles offrent notamment des possibilités de télétravail, de démarches administratives à distance, mais aussi de télémédecine particulièrement appréciées par nos concitoyens ruraux qui vivent dans des zones enclavées et qui voient la dégradation quotidienne des services publics et la fermeture de trop nombreuses entreprises.
De même, l’aménagement numérique du territoire représente un enjeu primordial pour le développement économique et la compétitivité de nos entreprises qui ne peuvent pas supporter, nous le savons, le handicap que constitue l’absence d’accès aux haut et très haut débits dans des conditions financières acceptables.
Vingt-deuxième sur vingt-six pays européens, force est de constater que la France n’a pas réussi à prendre à la corde le virage numérique. Comme l’a souligné avec pertinence M. le rapporteur, le retard pris dans le déploiement du très haut débit, lié sans doute à une insuffisance de moyens, mais aussi, disons-le, à un manque d’ambition, crée une nouvelle fracture numérique entre zones urbaines denses et zones rurales peu denses.
M. Claude Bérit-Débat. Eh oui !
M. Jean-Michel Baylet. Mes chers collègues, à l’évidence, la solution retenue ab initio, fondée sur l’initiative privée, a montré ses limites, en dépit des propos tenus voilà quelques instants à cette tribune.
En effet, les opérateurs privés disposent de tout pouvoir quant au déploiement et se concentrent naturellement sur les zones les plus rentables. Reléguées au second plan, cantonnées malheureusement, monsieur le secrétaire d'État – et vous l’avez confirmé tout à l'heure –, à un rôle de substitution, les collectivités territoriales doivent prendre à leur charge l’installation du très haut débit dans les zones les moins denses, et donc les plus coûteuses.
Très attachés à l’égalité de nos concitoyens sur l’ensemble du territoire national et à la défense du milieu rural, les radicaux de gauche regrettent qu’une réelle péréquation n’ait pas été établie, et, surtout, que l’État n’ait pas retenu un modèle de déploiement du très haut débit plus pertinent, tel que le recours à un opérateur unique mutualisé, qui aurait d’ailleurs pu être public.
Mme Mireille Schurch. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le secrétaire d’État, vous savez comme moi que l’enclavement géographique va trop souvent de pair avec le marasme économique. Vous demandez aux collectivités, que vous venez d'ailleurs de clouer au pilori à l’instant,…
M. Jean-Michel Baylet. … de remplir une fois encore – vous venez de le confirmer, nous en prenons acte – l’une des missions que l’État a abandonnées. (Eh oui ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.) Je vous invite à plus de respect pour lesdites collectivités, qui régulièrement sont obligées de pallier les carences de l’État et du Gouvernement en se substituant à eux.
M. Christian Bourquin. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Mais l’argent des Français, c’est celui de l’État et des collectivités !
M. Jean-Michel Baylet. Les collectivités, jusqu’à nouvel ordre, donnent un meilleur exemple de gestion des finances que ne le fait l’État ! (Bravo ! sur plusieurs travées du RDSE et du groupe socialiste. – Protestations sur certaines travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Caffet. Exact !
M. Jean-Michel Baylet. Elles ont des budgets équilibrés et ne cumulent pas les déficits, elles !
M. Jean-Michel Baylet. Tirant les conséquences inquiétantes de la situation numérique de la France, les auteurs de ce texte nous proposent de nombreuses solutions à même de combler notre retard. Je me félicite particulièrement de la création d’un droit opposable « au haut débit » ou encore de la possibilité offerte aux collectivités de voir leurs « projets intégrés » faire l’objet d’un financement public national.
Pour conclure, je tiens à saluer la mise en place d’une dose de péréquation dans l’octroi des subventions du Fonds d’aménagement numérique des territoires, le FANT, fondée sur les capacités financières des collectivités et sur le degré de ruralité des zones couvertes.
Pour toutes ces raisons et en l’état actuel du texte issu des travaux de la commission de l’économie, commission que je tiens à féliciter, les sénateurs radicaux de gauche apporteront leur soutien à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)