M. le président. La parole est à M. Claude Dilain.
M. Claude Dilain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je saluerai la création de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, ainsi que le volontarisme de son président, David Assouline, qui s’est investi avec énergie dans cette nouvelle instance.
D'ailleurs, à ceux, s’il y en a, qui seraient sceptiques, je dirai que notre première audition a fait la démonstration de l’utilité de cette commission. En effet, nous avons reçu le secrétaire général du Gouvernement, qui joue évidemment un rôle fondamental dans l’application des lois. Or il nous a expliqué, pour ne pas dire avoué, que c’était la première fois qu’il était entendu par les sénateurs.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas vrai !
M. Claude Dilain. C’est lui qui l’a dit, monsieur Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est faux !
M. Claude Dilain. Dans une période où nombre de nos concitoyens s’éloignent et se méfient de la politique en général et des parlementaires en particulier, nous avons l’ardente obligation de nous assurer du bien-fondé et de la transparence du travail législatif, me semble-t-il.
Cette mission est fondamentale : comment pourrions-nous voter des lois sans nous soucier de leur application réglementaire, mais aussi – je vous rejoins sur ce point, monsieur le ministre – de leur évaluation sur le terrain, ce qui n’est pas du tout la même chose ?
En effet, tel est bien le problème : le rapport annuel sur l’application des lois présente des chiffres, plutôt encourageants d’ailleurs, mais il nous faut aller plus loin. Au-delà des décrets et des circulaires, nous devons évaluer les effets concrets ou inattendus de l’application des lois votées, pour en avoir une approche qualitative.
Je souhaiterais illustrer mon propos par un exemple, tiré de mon expérience de maire d’une commune de banlieue en Seine-Saint-Denis, celui de l’application de la loi DALO, c'est-à-dire relative au droit au logement opposable.
Vous le savez, mes chers collègues, cette loi est ambitieuse, parce qu’elle concerne l’accès au logement des personnes les plus défavorisées et qu’elle a pour objet de remplacer en la matière une obligation de moyens par une obligation de résultat.
Qu’en est-il de son application ? Pour en donner une idée, je citerai simplement le titre du dernier rapport annuel du comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement opposable, qui est tout à fait significatif : Monsieur le Président de la République, faisons enfin appliquer la loi DALO !
Quand on examine les décrets, il semble que tout va bien, puisque seuls ceux d’entre eux qui sont dépourvus d’intérêt n’ont pas encore été pris. Toutefois, l’application de la loi DALO a été bloquée, bien sûr, par l’insuffisance notoire de l’offre de logements sociaux,…
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Claude Dilain. … sur laquelle je reviendrai, mais aussi par un traitement très hétérogène sur le territoire. En effet, les commissions de médiation, censées pourtant apprécier les demandes de relogement au regard de critères objectifs, appliquent ce texte de façon très différente les unes des autres. Du reste, je veux bien admettre qu’il est plus difficile de mettre en œuvre une telle loi dans la petite couronne francilienne qu’en région.
Un autre élément, quelque peu inattendu, a bloqué l’application de cette loi : on a fait aux demandeurs des propositions de relogement inadaptées, ce qui a entraîné un taux de refus important, d’environ 20 %.
Mes chers collègues, voilà comment une loi peut ne pas être appliquée, même quand tous ses textes réglementaires ont été pris. Là encore, nous pourrions travailler en amont pour résoudre ce problème : des études d’impact plus nombreuses et mieux utilisées amélioreraient peut-être la situation.
J’en viens enfin au classement des ministères en fonction du taux d’application des lois. Une telle liste figure non pas dans le rapport, mais dans le petit fascicule que vous nous avez fait distribuer, monsieur le ministre. Du reste, il est normal d’examiner comment les textes sont pris par chaque ministère, puisqu’il s'agit d’une prérogative du pouvoir exécutif.
Or le ministère de la ville est, de loin, le plus mauvais élève en la matière ; vous comprendrez que je sois triste de le constater, monsieur le ministre. Certaines lois attendent leurs décrets d’application depuis sept ans !
Je ne sais pas si c’est là l’effet d’une absence de volonté politique. En tout cas, je forme le vœu que la commission pour le contrôle de l’application des lois saura jouer un rôle de veille et de suivi dans ce domaine essentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Marie-Christine Blandin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout le monde s’en est félicité, le taux de mise en application des lois apparaît en progression pour la session ordinaire 2010-2011, avec une hausse de 20 % du nombre des mesures réglementaires publiées par rapport à l’année précédente.
Toutefois, comme l’indique aussi le rapport annuel sur l’application des lois, cette appréciation mérite d’être relativisée. La nouvelle période de référence favorise mécaniquement le taux annoncé. Pourtant, sur les 33 textes nécessitant des mesures d’application, au 31 décembre 2011, seulement 8 lois, c’est-à-dire 24 % du total, étaient entièrement applicables, et 21, soit 64 % du total, ne l’étaient que partiellement.
Je note également que, à quelques mois d’une nouvelle législature, malgré la frénésie législative d’un Président de la République annonçant réforme après réforme, le Gouvernement a, en volume, une année de retard dans la mise en application des lois promulguées.
Les problèmes sont donc loin d’être réglés, malgré l’engagement du Gouvernement de prendre les mesures réglementaires dans un délai de six mois suivant la publication de chaque loi et la création, l’an dernier, d’un comité de suivi de l’application des lois.
En ce qui concerne les rapports du Gouvernement au Parlement prescrits par la loi, la situation est tout simplement affligeante : un rapport sur cinq parvient aux assemblées, ce qui me paraît peu respectueux du rôle et du travail des parlementaires.
Mes chers collègues, jusqu’à présent, s’agissant du contrôle de l’application des lois, nous nous sommes surtout préoccupés de savoir si les mesures réglementaires nécessaires à leur mise en œuvre étaient prises par le Gouvernement. Cette approche est sans nul doute indispensable, mais elle n’est évidemment pas suffisante. L’application des lois pose des questions de fond.
Je partage l’appréciation de notre collègue David Assouline : nous ne devons pas en rester à une conception purement quantitative. De ce point de vue, la création par le bureau du Sénat de la commission pour le contrôle de l’application des lois sera source, je le crois, de progrès. En outre, la décision, prise par cette instance, de créer des missions sur l’application de lois précises sera, à n’en pas douter, très utile. Je pense, notamment, à la loi sur le handicap, d’autant que notre assemblée s’apprête à examiner la proposition de loi de notre collègue Éric Doligé, qui prévoit de nouvelles dérogations en matière d’accessibilité.
M. Éric Doligé. Non, elle a été modifiée !
Mme Isabelle Pasquet. Nous examinerons bientôt ce texte. En tout cas, de telles dérogations nous éloigneraient un peu plus de l’objectif, fixé en 2005, pour 2015, ce qui n’est pas souhaitable.
Le Parlement doit pouvoir non seulement vérifier que le Gouvernement applique les lois, mais aussi apprécier la façon dont il procède concrètement, autrement dit mesurer l’effectivité des textes législatifs pour nos concitoyens. Cette dernière renvoie, par exemple, aux moyens financiers qui sont alloués à la loi, mais aussi à la volonté politique d’appliquer concrètement un texte.
Nous avons tous en tête la loi DALO, qui est applicable en droit, mais pas en fait. Toutefois, je pense aussi à la loi pénitentiaire, qui impliquait l’embauche de 1 000 conseillers d’insertion et de probation, un recrutement improbable faute de programmation financière. Et que dire de la situation de nos concitoyens, par hypothèse les plus modestes, qui sont éligibles aux tarifs sociaux pour le gaz et l’électricité mais qui se voient objecter l’absence de publication d’un décret promis il y a quatre mois par le ministre de l’économie ? Je ne mets pas en doute la bonne foi des membres du Gouvernement, mais avouez, mes chers collègues, que cette situation accroît le sentiment d’insécurité et d’abandon d’une population déjà fragilisée.
Un certain nombre de propositions sont évoquées dans le rapport afin d’améliorer la vitesse de publication des décrets. J’y souscris globalement. Toutefois, plus largement, je pense que la question de l’effectivité réelle des lois a beaucoup à voir avec les conditions dans lesquelles celles-ci sont présentées et adoptées.
Il faut souligner déjà la nécessité d’études d’impact complètes. Pour la réforme des collectivités locales, par exemple, des économies étaient annoncées grâce à la création du conseiller territorial, mais les coûts à prévoir pour les régions n’étaient pas évoqués.
Par ailleurs, s’il est une exigence essentielle, c’est celle de stabilité, de sécurité et de lisibilité de la loi. Or, précisément, notre législation est devenue sur bien des points peu lisible. D’année en année, de plus en plus nombreux sont les professionnels du droit qui s’en émeuvent.
Le 8 décembre dernier, lors de la Conférence nationale des procureurs de la République, une résolution votée à une large majorité dénonçait « une sécurité juridique et une cohérence qui font de plus en plus défaut à la matière pénale », une « avalanche des textes » parfois contradictoires, pesant sur la capacité des magistrats à appliquer la loi. J’ajoute que cette insécurité met également en cause le principe de l’égalité de nos concitoyens devant une loi qu’ils sont censés connaître.
Durant ces cinq dernières années, trop de textes, souvent en matière pénale en effet, ont été détournés de leur objet, avec des lois de circonstance ou d’affichage.
Il n’est pas acceptable de revenir encore et encore sur les mêmes dispositions, comme on le voit de manière incessante à propos de l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs ou de la lutte contre la récidive, et même à propos des retraites, puisque, en la matière, la réforme a déjà été réformée !
De même, nous devons refuser toute remise en cause de principes fondamentaux du droit, comme celui de l’individualité des peines avec les peines plancher.
Quant aux lois fourre-tout dites « de simplification du droit » ou « d’allégement des procédures », entre autres appellations, elles enflent à chaque lecture devant les assemblées et, en réalité, elles contribuent à l’inflation normative et complexifient le droit. Ces textes cachent, trop souvent sous la forme de propositions de loi et de mesures apparemment techniques, des dispositions de fond, comme l’article 40 de la dernière proposition de loi de M. Warsmann, qui rend caduque la protection apportée au salarié par les clauses de son contrat en matière de temps de travail.
Mes chers collègues, vous connaissez notre opposition à la multiplication des procédures accélérées. Certes, le nombre de ces dernières a diminué en 2010-2011. Il n’en reste pas moins que près d’une loi sur trois est adoptée selon cette procédure, qui dessaisit le Parlement et nuit à la qualité des textes législatifs.
Au travers du contrôle de l’application des lois, des questions importantes nous sont donc posées, qui doivent nous aider à réfléchir plus précisément aux textes que nous votons. Il ne fait nul doute qu’une telle réflexion aurait des conséquences positives sur les mesures d’application des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Marie-Christine Blandin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme il a été rappelé à plusieurs reprises, le contrôle de l’application des lois n’est pas au Sénat un exercice tout à fait nouveau.
En effet, les commissions permanentes de notre assemblée s’y livraient chaque année. Leurs conclusions étaient synthétisées dans un rapport dont le seul défaut était de porter sur une période qui s’arrêtait au 1er octobre, ce qui nous a parfois valu quelques polémiques avec des services gouvernementaux au sujet du taux de publication des décrets... C’était inévitable, puisque nous ne considérions pas la même période !
Désormais, le Gouvernement et le Sénat devraient pouvoir se référer à un même calendrier, puisque la période sur laquelle porte le rapport annuel de la commission pour le contrôle de l’application des lois s’arrête au 31 décembre, comme il est normal. Si le présent débat s’était tenu au mois de janvier, les périodes de référence auraient été identiques.
Mais vous n’avez pas pu vous empêcher, monsieur le ministre, de dresser le bilan au plus près de la date du débat… C’est ainsi que le comité de suivi de l’application des lois qui a été constitué auprès de vous nous a fourni des statistiques valables au 31 janvier ! Nous nous en réjouissons, mais nous aimerions bien que les périodes de référence correspondent… (M. le président de la commission sénatoriale sourit.)
M. Jean-Jacques Hyest. Le mois d’avril ne comptant que 30 jours, vous serez fort, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Mais il est très fort !
M. Jean-Jacques Hyest. Quoi qu’il en soit, tout le monde l’a souligné, un grand progrès a été accompli grâce à la nouvelle procédure de suivi de l’application des lois, à l’action du Secrétariat général du Gouvernement et à la coordination que vous avez mise en place entre les ministères.
C’est un fait que le taux d’application s’est amélioré par rapport aux législatures précédentes. Ce constat vaut aussi bien pour les lois adoptées selon la procédure de droit commun que pour celles qui ont été adoptées selon la procédure accélérée. À ce propos, madame Escoffier, je vous signale gentiment qu’entre 86,79 % et 87,63 %, la différence n’est pas très grande…
Mme Anne-Marie Escoffier. Je n’ai pas dit cela.
M. Jean-Jacques Hyest. Vous avez dit que le taux d’application était beaucoup moins important pour les lois adoptées selon la procédure accélérée que pour celles qui ont été adoptées selon la procédure normale.
Mme Anne-Marie Escoffier. Un peu moins important !
M. Jean-Jacques Hyest. J’avais compris l’inverse. Nous nous étions mal compris.
En réalité, les taux sont à peu près identiques, ce qui signifie que la nature de la procédure ne joue pas.
En ce qui concerne plus précisément la commission des lois, comme Jean-Pierre Sueur l’a rappelé tout à l’heure, les problèmes de mise en application sont récurrents.
Par exemple, dans le domaine de la législation funéraire, il nous a semblé que certains services avaient beaucoup de mal à admettre que le Parlement puisse légiférer… On nous disait même qu’il n’y avait pas besoin de loi !
Pour ma part, je suis préoccupé par la protection juridique des majeurs ; dans ce domaine, des dispositions réglementaires doivent encore être prises.
S’agissant du transfert aux départements des parcs de l’équipement – une question chère à notre collègue Jean-Pierre Vial, qui a pour ainsi dire sauvé la loi du 26 octobre 2009, d’abord mal engagée –, il faudra tout de même que l’on prenne les mesures réglementaires qui n’ont pas encore été prises.
N’oublions pas que, dans les matières pour lesquelles la commission des lois est compétente, en particulier dans l’ensemble des domaines du droit pénal, de la procédure pénale et du droit civil, il y a un bloc purement législatif, c’est-à-dire un ensemble de dispositions qui ne nécessitent aucune mesure d’application – si ce n’est, éventuellement, des circulaires.
À l’inverse, on se demande pourquoi nous votons des lois sur des matières purement réglementaires… C’est un problème dont je reparlerai tout à l’heure.
Monsieur le président Assouline, la création au sein de notre assemblée d’une commission non réglementaire dont les membres sont issus de toutes les commissions permanentes ne peut qu’améliorer le contrôle de l’application des lois, sans que soit oublié le rôle essentiel joué par toutes les commissions – la vôtre, mais aussi toutes les autres – pour l’évaluation des lois.
En effet, s’il importe de vérifier que les lois votées par le Parlement font l’objet d’une application matérielle, c’est-à-dire que les actes réglementaires nécessaires à leur mise en œuvre sont publiés, il faut aussi rappeler que le Parlement, aux termes de l’article 24 de la Constitution, « évalue les politiques publiques ».
L’« évaluation des politiques publiques » figure également à l’article 48 de la Constitution, le Sénat ayant tenu à faire préciser, à l’occasion de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, que la semaine de séance réservée par priorité au contrôle de l’action du Gouvernement devait l’être aussi à l’évaluation des politiques publiques – je me souviens d’ailleurs que cela n’avait pas été facile.
Il est vrai que beaucoup de lois ne correspondent plus forcément à la définition classique : certaines sont des lois de programmation, d’autres même sont purement déclaratives, au moins dans certaines de leurs parties – et je ne parle pas des lois mémorielles, dont il a déjà été beaucoup question cet après-midi.
Surtout, un mouvement est à l’œuvre qui ne semble pas pouvoir être arrêté : le Gouvernement et le Parlement ont mis entre parenthèses les articles 34 et 37 de la Constitution. En effet, dans les domaines où la loi devrait simplement déterminer les principes fondamentaux, on légifère dans les moindres détails ! En outre, les lois ont beau être de plus en plus bavardes – plusieurs l’ont dit –, elles n’en nécessitent pas moins de nombreux textes d’application… C’est un paradoxe !
Au début de la Ve République, par comparaison, les lois comportaient bien souvent une dizaine d’articles. Ensuite, le pouvoir réglementaire organisait leur application, notamment lorsque la loi se contentait de déterminer les principes fondamentaux.
On doit aussi constater que le principe de clarté et d’intelligibilité de la loi n’est pas respecté. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé à plusieurs surprises. En outre, il a censuré certaines dispositions dont la complexité n’était pas indispensable – tout le monde se rappelle ce qu’il est advenu d’une certaine taxe…
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a également prévu que les projets de loi, mais non pas les propositions de loi, devraient être accompagnés d’études d’impact, c’est-à-dire d’évaluations ex ante. Les effets de ce dispositif ne sont pas encore évidents et je crois qu’il existe encore une marge de progression. Pourquoi ne demanderait-on pas un jour au Conseil constitutionnel de vérifier qu’une étude d’impact est sérieuse ?
En outre, certains amendements peuvent bouleverser le projet de loi initial ou y introduire des dispositions qui le modifient substantiellement. Mais vous-même, monsieur le ministre, ainsi que surtout le Premier ministre, veillez à ce que le recours aux amendements parlementaires ne soit pas le moyen pour certains membres du Gouvernement, lorsqu’ils n’ont pas obtenu satisfaction dans les arbitrages, de faire adopter malgré tout certaines dispositions ; cette pratique, dont il me semble qu’elle a dû exister, n’existe plus bien entendu…
Il arrive même que les lois votées se révèlent totalement inapplicables ou quelque peu contradictoires avec d’autres dispositions législatives. L’emballement de la machine à faire des lois rend parfois obsolètes des lois ayant pourtant fait l’objet de longs débats. Sans parler des tentatives visant à modifier, sous prétexte de simplification – vous savez ce que je pense des lois multiformes de ce type… –, des pans entiers de législation dont on aurait intérêt à évaluer la pertinence dans toutes leurs composantes : bien souvent, dans ces cas-là, nous allons trop vite.
La grande ambition de l’amélioration de la qualité de la loi, que l’Assemblée nationale et le Sénat avaient tenté de mettre à l’ordre du jour il y a deux ans, a fait long feu, hélas ! Mais je constate avec plaisir que les instructions du Gouvernement, la fameuse circulaire dont on a parlé tout à l’heure, devraient permettre l’amélioration de la qualité de la loi. Je pense qu’il y a encore beaucoup d’efforts à faire dans ce domaine !
Peut-être les observations que je viens de formuler paraîtront-elles à certains éloignées de l’objet de notre débat. Cependant, tout en félicitant de nouveau le Gouvernement pour ses efforts dans le suivi de l’application des lois et tout en saluant le travail accompli par la commission pour le contrôle de l’application des lois et les autres commissions, je rappelle que le plus important est évidemment de procéder à l’évaluation de la législation au fil du temps.
D’ailleurs, aujourd’hui, on confond souvent les lois et les politiques publiques. Par exemple, pour ce qui concerne la loi pénitentiaire, presque toutes les mesures d’application ont été prises. Mais l’encellulement individuel est-il respecté partout ? Non. Et les services pénitentiaires d’insertion et de probation disposent-ils de tous les moyens nécessaires, bien qu’on ait beaucoup recruté ?
À la vérité, si l’on veut mettre en œuvre certaines orientations, il ne suffit pas d’adopter une loi supplémentaire ; il faut encore prévoir au fur et à mesure des moyens pour appliquer la loi.
On oublie parfois que nos commissions permanentes procèdent régulièrement à l’évaluation des lois. Elles élaborent des propositions de loi, souvent consensuelles, pour faire évoluer la législation.
Pour ce qui concerne la commission des lois, cela s’est produit, par exemple, dans les domaines de la législation funéraire, de la protection de l’identité (M. René Vandierendonck opine.) et de la législation sur les sondages. Au sujet de cette dernière initiative, d’ailleurs, je souhaite qu’on aille jusqu’au bout.
C’est également ainsi, permettez-moi de le rappeler, que nous avons créé la société européenne – une mesure indispensable, mais qui n’en finissait pas de traîner.
Enfin, la commission des lois peut être fière d’avoir réformé les prescriptions en matière civile.
À ce propos, j’ai été très ému d’apprendre le décès du professeur Pierre Catala, qui a consacré toute sa vie à la modernisation du code civil avec une énergie considérable. Monsieur le ministre, j’espère qu’en sa mémoire nous pourrons réformer la partie du code civil qui concerne les obligations : c’est la seule qui ne l’ait pas encore été, maintenant que nous avons modernisé les domaines des successions et des libéralités.
Je considère que le véritable travail de contrôle et d’évaluation doit relever d’une coopération accrue entre les commissions permanentes et la commission pour le contrôle de l’application des lois, mais aussi avec le Gouvernement. Vous avez prouvé, monsieur le ministre, que vous étiez tout à fait disposé à fournir à la commission pour le contrôle de l’application des lois les informations nécessaires à l’accomplissement de sa tâche.
Pour conclure sur une note amusante, mes chers collègues, permettez-moi de souligner le paradoxe qu’il peut y avoir, pour certains, comme le président Sueur, à demander l’application en urgence de lois qu’ils ont combattues avec vigueur… (M. le président de la commission sénatoriale sourit.)
Toutefois, réjouissons-nous que le Parlement français, comme beaucoup de Parlements européens, assume de mieux en mieux sa fonction de contrôle de l’action du Gouvernement. Faisons des lois moins nombreuses, mais contrôlons mieux leur application ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. le président de la commission des lois et M. Claude Dilain applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck.
M. René Vandierendonck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite à mon tour de la volonté de la nouvelle commission pour le contrôle de l’application des lois de ne pas se limiter à une approche quantitative, mais de rechercher toutes les distorsions dans l’application des lois, qu’elles soient consécutives à des retards ou à des incohérences résultant de circulaires ou de pratiques contradictoires.
M. Hyest a eu bien raison d’insister sur le principe de clarté et d’intelligibilité de la loi.
Dans le temps qui m’est imparti, je me bornerai à prendre quelques exemples dans le domaine de l’urbanisme, en particulier dans le champ de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle II ».
On a rappelé que 45 % seulement des mesures d’application de cette loi avaient été prises. Avant même d’avoir connu un début d’application, certaines de ses dispositions ont déjà été abrogées par la loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, ce qui est un comble !
L’existence de contradictions entre l’application de la loi et les objectifs poursuivis par le législateur montre l’importance du principe de clarté et d’intelligibilité de la loi.
Jeune sénateur, j’ai déjà assisté, dans cet hémicycle, à deux débats sur la protection du commerce de proximité… Mais savez-vous, mes chers collègues, qu’au sein des commissions départementales d’aménagement commercial aucun représentant des autorités qui élaborent et mettent en œuvre les schémas de cohérence territoriale, les SCOT, ne siège de droit, alors même que la loi Grenelle II a marqué un progrès considérable en reconnaissant pour la première fois à ces documents d’urbanisme une valeur prescriptive ? Il y a là une contradiction.
Dès lors, comment s’étonner, indépendamment du relèvement des seuils, que sur les 4,1 millions de mètres carrés autorisés en 2010 dans les centres commerciaux périurbains, 3,1 millions de mètres carrés l’aient été en toute quiétude ?
L’annonce récente par le Président de la République d’une majoration de 30 % de la constructibilité juridique de tous les terrains en France pendant trois ans illustre aussi l’urgence de s’intéresser à l’application des lois dans la longue durée.
À une époque de raréfaction de la ressource publique, je souhaite attirer particulièrement votre attention sur le droit de préemption urbain. En effet, une annonce comme celle dont je viens de parler conduit automatiquement à un renchérissement des prix immobiliers. (M. le président de la commission sénatoriale acquiesce.)
Dans la pratique, aujourd’hui, lorsqu’une collectivité territoriale veut préempter un terrain – le plus difficile étant lorsqu’il s’agit d’un terrain appartenant à Réseau ferré de France –, la spéculation l’emporte sur les dispositions relatives à la fixation de la valeur vénale des biens. Autrement dit, la collectivité est conduite à préempter non pas au prix qui correspond à la constructibilité du bien au moment considéré, mais à un prix qui dépend de la manière dont le vendeur anticipe la constructibilité future du bien, une fois le plan local d’urbanisme modifié. Il y a là une autre contradiction.
Je rencontrerai prochainement Benoist Apparu à Lille pour signer un important projet dans le cadre du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés. Que n’a-t-on entendu à propos de l’importance pour les quartiers anciens de la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, dite « loi MOLLE » ? Je constate que certains décrets d’application relatifs aux fonds locaux de requalification des quartiers anciens n’ont toujours pas été publiés.
Enfin, je rappelle que 50 % des friches industrielles et des sites et sols pollués se trouvent dans la région Nord – Pas-de-Calais. Or les textes d’application de la loi Grenelle II qui devaient préciser l’information mentionnée par les plans locaux d’urbanisme, les PLU, et les conditions d’opposabilité de ces derniers n’ont toujours pas été publiés, eux non plus.
Il était donc plus que temps de redonner de l’autorité à la chose légiférée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Marie-Christine Blandin et Françoise Laborde applaudissent également.)