M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le ministre, vous avez affiché, comme souvent, et vous avez raison, un objectif ambitieux en matière de mise en application des lois : parvenir à un taux de 100 % pour celles qui ont été promulguées entre le 1er octobre 2010 et le 13 juillet 2011.
Force est de constater que l’objectif est loin d’avoir été atteint. Je ne fais là, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois – j’ai plaisir à vous saluer dans vos nouvelles fonctions –, que reprendre un refrain déjà entendu cet après-midi.
Ce résultat n’est pas satisfaisant. S’agissant tout particulièrement des textes relevant de la commission des lois, nous avons pu constater, monsieur le ministre, en dépit de tous vos efforts et de l’attention que vous lui accordez, que notre commission a le plus faible taux de mise en application – 46 % – de toutes les commissions permanentes du Sénat. Vous comprendrez que nous attendions des améliorations à l’avenir.
Pour rester dans le concret, je citerai maintenant en exemple le cas de quatre lois différentes.
En premier lieu, j’évoquerai la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui, vous le savez bien, monsieur le ministre, n’est toujours pas mise en application. Or il s’agit d’un texte extrêmement important dans la mesure où il traite des conditions de vie des détenus dans les établissements pénitentiaires et des moyens à prévoir pour assurer leur réinsertion dans la société une fois sortis de prison. Voyez-vous, l’excellent service de la commission des lois a compté, depuis le 1er octobre 2010, seize questions écrites adressées au Gouvernement par des sénateurs soucieux de connaître la date de publication des textes d’application pour l’instant en attente.
À cet égard, monsieur le président Assouline, je me réjouis que nos deux commissions aient pris la décision, fort judicieuse, de travailler ensemble en vue de produire un rapport consacré à l’application de cette loi pénitentiaire, à laquelle nous attachons une extrême importance.
En deuxième lieu, j’aborderai la question de l’application de la loi de réforme des collectivités territoriales, non sans avoir quelque peu hésité. En effet, une partie de ceux qui siègent dans cet hémicycle et moi-même avions tellement souligné combien certains aspects de cette loi nous heurtaient et heurtaient aussi les élus locaux que, d’une certaine façon, je pourrais presque me satisfaire qu’elle soit si peu mise en application !
Néanmoins, monsieur le ministre, je me souviens du zèle que vous-même et vos collègues du Gouvernement avez mis en œuvre pour persuader le Parlement, le Sénat tout particulièrement, qu’il était important, voire essentiel, que cette loi fût votée dans les plus brefs délais.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Et elle le fut !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. À ce jour, un seul texte d’application de cette loi est publié ! Voilà qui est étrange puisque la publication des décrets était prévue pour le mois de juin 2011.
Cela peut d’ailleurs s’expliquer. Le Secrétariat général du Gouvernement et les services du Premier ministre, devinant les dégâts qu’allait causer la future loi lors des élections sénatoriales à venir, se sont sans doute dit que mieux valait, dans le fond, ne pas en ajouter en publiant les décrets !
Mme Isabelle Debré. Procès d’intention !
M. Louis Nègre. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Toujours est-il que la situation a quelque chose de paradoxal. Ainsi, ne sont pas publiés le décret devant déterminer les règles d’organisation et de fonctionnement du comité chargé d’évaluer les dispositions relatives à la clarification des compétences des collectivités territoriales – vaste sujet ! –, ainsi que le décret, prévu à l’article 76 de la loi, censé fixer les conditions dans lesquelles une collectivité territoriale peut participer financièrement à la réalisation d’une opération dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par une autre collectivité.
Cela étant, monsieur le ministre, il semble que les dispositions figurant dans la proposition de loi que le Sénat a votée récemment pour améliorer un tant soit peu le texte et répondre à quelques difficultés, dispositions reprises par M. Pélissard dans une autre proposition de loi, soient en bonne voie, grâce en particulier à vos soins vigilants.
M. Patrick Ollier, ministre. La proposition de loi est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Peut-être n’est-il donc pas opportun de se précipiter pour publier les quelques décrets qui risqueraient d’être caducs du fait, comme je l’espère, de l’adoption d’une nouvelle loi par le Sénat et l’Assemblée nationale.
En troisième lieu, je parlerai de la loi sur les violences faites aux femmes. Trois rapports étaient prévus, aucun n’est publié.
Je veux signaler que l’ordonnance de protection rendue par le juge aux affaires familiales, qui permet de prendre en urgence l’ensemble des mesures propres à protéger la victime, donne lieu à une application extrêmement hétérogène sur l’ensemble du territoire national, alors même que, malheureusement, les violences faites aux femmes y sont, elles, réparties de manière homogène.
En vérité, comme l’expliquait notre collègue Nicole Bonnefoy dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2012, dans un certain nombre de départements, mais pas dans d’autres, on s’est préoccupé d’expliquer la loi, d’inciter les acteurs, en particulier les juges aux affaires familiales, de tirer parti de cette ordonnance de protection. Il s’agit donc d’un problème d’application de la loi, plus que d’un défaut de publication d’un décret.
Enfin, en quatrième lieu, je m’intéresserai, mais je n’en dirai, faute de temps, que quelques mots, à la loi relative à la législation funéraire, adoptée, chacun s’en souvient, à l’unanimité par le Parlement en 2008.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je tiens d’ailleurs à saluer votre contribution en la matière, monsieur Hyest !
Dans cette loi figure une disposition sur les contrats obsèques, qui, bien que ne nécessitant aucun décret, n’est toujours pas appliquée, et ce depuis quatre ans. Les professionnels des compagnies d’assurance ne sont pas extrêmement motivés, car il s’agit de revaloriser, chaque année, les sommes versées par les souscripteurs. Si le législateur a cru bon de voter cette mesure, c’est qu’il voulait justement défendre les intérêts de ces derniers et, partant, ceux de nombre de nos concitoyens.
Le ministère des finances, avec qui nous avons beaucoup dialogué, nous a expliqué que ladite disposition posait un problème de conformité avec certaines directives européennes. Nous y avons beaucoup travaillé et ce travail a été fécond : j’ai déposé récemment, dans le cadre de l'examen du projet de loi de protection des consommateurs, un amendement, qui a pu être adopté, prévoyant une disposition totalement appropriée au regard des règles européennes et qui avait reçu l’accord du ministère des finances.
Le seul problème est de savoir ce qu’il va advenir de ce texte.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. J’espère que cette disposition, souverainement adoptée à l’unanimité par le Parlement, pourra être sauvée et appliquée. Il en va de même pour celle qui concerne la centralisation sur un fichier des différents contrats obsèques souscrits, même si celle-ci présente un caractère d’urgence beaucoup moins marqué.
En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout en vous priant, monsieur le président, de bien vouloir m’excuser pour avoir quelque peu dépassé mon temps de parole, je tiens à remercier la nouvelle commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et son président d’avoir organisé ce débat. Au travers des exemples concrets que je viens de citer, nous voyons bien qu’il a toute son utilité et qu’il nous permettra d’avancer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à défaut d’endiguer l’inflation normative dont souffre le droit français, il convient, pour le moins, de s’assurer de l’exécution des textes votés.
Au début de l’année 2008, le Premier ministre a appelé son gouvernement à veiller à la mise en application des lois, avec l’objectif de parvenir à prendre toutes les mesures réglementaires requises dans les six mois suivant leur publication. En mars dernier, l’exécutif a d’ailleurs mis en place une structure administrative adéquate, le Comité de suivi d’application des lois.
Comme on n’est jamais trop prudent, je salue l’initiative prise par le bureau du Sénat, qui a créé, en novembre dernier, une commission pour le contrôle de l’application des lois : venant renforcer l’action du Gouvernement, celle-ci s’inscrit pleinement dans la mission de contrôle de l’exécutif qui nous incombe, dans la droite ligne de la réforme constitutionnelle de 2008.
Le rapport annuel pour la session ordinaire 2010–2011, que cette commission a publié, est, à ce sujet, éloquent. Il contient une avalanche de chiffres et de statistiques sur les mesures législatives totalement, partiellement ou pas du tout mises en œuvre par voie réglementaire. On y apprend que, pour la dernière session ordinaire, « seulement » 48 lois ont été votées, appelant toutefois la mise en application de 540 mesures réglementaires.
Avant de juger de la bonne application des lois, je me pose une question toute simple : l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » a-t-il encore un sens ?
Faut-il saluer ou, au contraire, déplorer la quantité de mesures que nous, parlementaires, avons fait adopter en une session ordinaire ? Nos concitoyens, qui critiquent la sur-réglementation en France, n’auraient-ils pas raison ? La politique du chiffre et la surenchère de mesures ne sont-elles pas finalement des leurres ?
À mon sens, nous devrions nous concentrer sur la qualité et la nécessité de ces lois, avant de nous féliciter de notre surproduction législative, qui engendre des dommages collatéraux sur les conditions d’examen des textes et sur la qualité de leur application.
Pour entrer dans le vif du sujet de l’application même des mesures législatives, je souhaite mentionner deux sujets principaux.
D’une part, la commission, dans son rapport, se borne à une approche quantitative. Elle ne traite pas de la différence, du point de vue de l’urgence et de la portée, d’une mesure réglementaire par rapport à une autre.
L’étude n’est ni analytique ni qualitative. À l’évidence, la parution des décrets mettant en œuvre la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche ou la réforme des retraites a une portée sans commune mesure avec celle des décrets obligeant, en 2015, chaque habitation à disposer d’un détecteur de fumée.
Mais je ne doute pas que la commission sénatoriale créée à cet effet saura, dans ses prochains rapports, étayer son analyse et hiérarchiser les priorités de l’exécution des mesures législatives en fonction des contingences économiques et sociétales.
Comme nous débattrons des gaz de schiste tout à l’heure, je profite de cette intervention pour souligner que la mise en œuvre de la Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux est relativement urgente. Le retard constaté en la matière est dommageable quand on sait l’importance de la question énergétique dans le débat politique actuel et le coût économique de nos importations d’hydrocarbures.
Toutefois, l’étude qualitative de l’application des lois n’est pas l’apanage de la seule commission pour le contrôle de l’application des lois. Elle doit être le souci de toutes les commissions permanentes, commissions spéciales, commissions d’enquête, groupes d’études, et surtout et peut-être avant tout le souci de chaque sénateur quand il retourne dans son territoire.
Nous disposons d’ailleurs de plusieurs instruments de contrôle pour faire remonter les difficultés d’application concrète de ces 540 mesures que nous avons votées en un an et que le Gouvernement s’est engagé à exécuter.
D’autre part, je trouve extrêmement intéressant que le rapport mette l’accent sur le nombre insuffisant de rapports déposés par le Gouvernement au Parlement.
Au cours de cette législature, seuls 67 des 331 rapports dont le dépôt était prescrit par une mesure législative ont effectivement été déposés, soit seulement 20 %. Ainsi le Parlement attend-il depuis dix ans la transmission d’un rapport sur l’incidence d’insecticides sur les abeilles. Je cite cet exemple, monsieur le ministre, car il m’a paru particulièrement piquant ! (Sourires. – Mme Corinne Bouchoux applaudit.)
Avant de critiquer la mauvaise application de la loi par le Gouvernement, je m’interroge sur la formulation presque systématique d’une demande de rapport lors de l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi, souvent par voie d’amendement parlementaire. A-t-on bien mesuré l’efficience de ces rapports, commissions et comités de suivi que l’on institue dans la loi ?
Je comprends que l’obtention d’un rapport puisse constituer une consolation pour qui n’obtient pas du Gouvernement l’adoption d’une mesure structurelle,…
M. Jean-Jacques Hyest. Ça, c’est sûr !
M. Gérard Roche. … mais il me semble que notre philosophie de législateurs doit nous inciter à revenir à une conception plus pure de la loi, une loi qui prescrit ou interdit, et non une loi qui demande au Gouvernement un complément d’information.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Gérard Roche. C’est d’autant plus vrai que nous disposons en interne, en tant que sénateurs, d’une administration très compétente. Nous pouvons ainsi demander des rapports d’information et mener des investigations sur des sujets très divers. Nous disposons, en outre, d’une grande latitude pour questionner le Gouvernement sur l’application des lois, par le biais des débats, des questions orales, des questions cribles et des questions écrites.
Il faut donc nous interroger sur la pertinence de ces demandes quasiment systématiques de rapports au Gouvernement dans le cadre de la loi. Il me semble en effet que nous, parlementaires, sommes coresponsables de la carence des rapports gouvernementaux.
Permettez-moi de conclure en citant le président de la commission de l’économie, Daniel Raoul, qui m’a précédé à cette tribune : « En tout état de cause, voilà qui nous engage à éviter de multiplier, dans les textes, les demandes de rapports ! » (Applaudissements sur les travées de l'UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Claude Dilain applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec une petite pointe de satisfaction que le groupe RDSE participe à ce débat.
Vous n’ignorez pas, monsieur le ministre, que le groupe auquel j’ai la fierté d’appartenir avait pris l’initiative, le 11 janvier 2011, voilà un peu plus d’un an, d’un débat sur l’édiction des mesures réglementaires d’application des lois.
À la suite de ce débat, le groupe avait déposé et fait discuter une proposition de loi tendant à reconnaître une présomption d’intérêt à agir des parlementaires en matière de recours pour excès de pouvoir. Il s’agissait de permettre aux députés et aux sénateurs d’agir directement, ès qualités, devant le Conseil d’État, pour pallier l’inaction du pouvoir exécutif à édicter les mesures réglementaires d’application des lois et pour contester la ratification d’un traité ou d’une convention qui aurait dû être effectuée par la loi. Heurs et malheurs se conjuguant à cette date, malgré l’avis favorable du rapporteur, le texte n’a pas été adopté par le Sénat. Aujourd’hui, peut-être le serait-il, et même sûrement.
En tout état de cause, je relève notre bonne convergence de vues, monsieur le ministre, et votre détermination, avec la création de ce comité de suivi de l’application des lois, à actionner les administrations centrales. Vous nous avez démontré votre rôle actif d’aiguillon des services, dont on pourrait penser – honni soit qui mal y pense ! – qu’ils auraient quelque propension à laisser s’effilocher le temps de la production des textes d’application.
Il nous est certes arrivé de constater et d’analyser quelques causes de retard ou de carence : la volonté – faut-il dire « mauvaise » ? – politique du Gouvernement, contrariée par une loi votée par le Parlement sans son accord parfait ; des raisons techniques et de calendrier liées à la complexité des procédures de consultation, contreseing, voire de complexité même du texte de loi. Je vous rappelle, à titre d’anecdote « vécue », à quelle difficulté s’est heurté le Conseil d’État lui-même face à la notion de comparabilité inscrite dans la loi initiale relative à la fonction publique territoriale, notion qu’il avait acceptée au moment où il avait examiné le texte.
Je voudrais, en contrepoint, souligner aussi que les services administratifs placés auprès des ministres ont la capacité, lorsqu’ils sont bien « managés », de travailler les textes réglementaires très en amont. J’ai en tête plusieurs exemples qui figurent, bien entendu, dans les documents que le Gouvernement nous a remis.
Ces services ont d’ailleurs dû être très sensibles – à moins qu’ils n’aient été piqués au vif... – à la circulaire du Premier ministre du 7 juillet 2011 relative à la qualité du droit : « À la qualité de la règle de droit s’attachent des enjeux déterminants pour l’attractivité de notre système juridique et pour notre compétitivité économique ». C’est la forte introduction d’une circulaire qui détaille successivement le pilotage de l’activité normative par département ministériel, par programmation des textes prioritaires, en fonction des procédures de recueil des contreseings, et qui rappelle la discipline à suivre dans l’élaboration des projets de réglementation : respect du partage entre les domaines de la loi et du règlement, exigence d’évaluation préalable, consolidation des projets de textes législatifs et réglementaires, composition des dossiers de saisine du Conseil d’État et du Secrétariat général du Gouvernement, production d’une notice explicative à l’appui des décrets réglementaires. Tout est dit, et parfaitement dit, dans cette circulaire. Dès lors, vous ne serez pas étonné des remarques que je formulerai, et dont je vous ai d’ailleurs dit l’essentiel, monsieur le ministre.
Je ne reviendrai pas sur les analyses quantitatives qui ont été explicitées ici, comprenant des comparaisons entre les données de notre commission et celles du Gouvernement.
Ces données montrent au demeurant, comme je l’ai déjà dit, votre détermination à améliorer les scores de production des textes d’application des lois. Depuis un an, ces scores sont incontestablement améliorés et permettent de tirer un bilan positif de cette législature.
Vous me permettrez néanmoins de relever que les délais de publication des textes réglementaires ne vont pas dans le sens des recommandations du Premier ministre, puisque 42 % seulement des mesures à prendre le sont dans un délai inférieur à six mois.
Je m’étonne également que le taux d’application des lois votées en urgence soit moins bon, soit 86,79 %, que celui des lois votées selon la procédure de droit commun, soit 87,63 %. (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.) Il y a là un paradoxe.
Je relève encore, et mes collègues l’ont dit aussi, que seuls 67 des 311 rapports dont le dépôt était prescrit par une disposition législative ont été déposés, soit un taux de 22 %.
Ce constat me conduit à rappeler les termes mêmes de la circulaire précitée du 7 juillet 2011 : « En pratique, la programmation des décrets d’application des lois sera désormais engagée dès le stade de la mise au point de la rubrique de l’étude d’impact du projet de loi en dressant la liste prévisionnelle ». Et encore : « L’organisation de chaque département ministériel doit à cet effet être adaptée pour permettre, en relation étroite avec le Secrétariat général du Gouvernement, une programmation précoce des différentes étapes du cheminement des textes identifiés comme prioritaires et un suivi dynamique de ce cheminement. »
Monsieur le ministre, sur ces bases, et pour répondre aux impératifs de SOLON – il ne s’agit pas du philosophe ! (Sourires.), mais du système d’organisation en ligne des opérations normatives –, chaque administration est tenue d’établir et de fournir un planning de suivi de ses travaux, tableau de bord faisant apparaître : prioritairement, le calendrier utile de publication des textes ; l’état de la procédure dans son déroulement ; la date de publication du texte concerné. Cette démarche est intéressante : bien au-delà de la litanie des chiffres, on peut mesurer l’état d’avancement des textes prévus en fonction du calendrier escompté et réalisé, les points de blocage, s’il y en a, et les raisons de ces blocages. Le rapport du Gouvernement permettrait alors un tout autre éclairage, passant du seul quantitatif à un quantitatif éclairé, utile tant pour le Gouvernement lui-même que pour le Parlement.
Je comprends les raisons qui vous ont conduit à résister à cette proposition, mais je suis persuadée que, plus tard, dans un autre cadre, elle pourra être mise en œuvre, puisque rien ne s’y oppose techniquement. Elle permettrait de faire de ce bilan un outil utile qui viendrait nourrir l’évaluation de l’application des lois, dont vous nous avez rappelé, monsieur le ministre, qu’elle relevait de la compétence du Sénat.
Vous pouvez être assuré que le président Assouline et nous-mêmes prendrons cette compétence à bras-le-corps, car elle seule donne du sens à l’action du Parlement.
Le Gouvernement avec un « contrôle qualitatif éclairé », le Parlement avec une évaluation impartiale de l’application concrète des lois : quel meilleur augure pour notre travail en complémentarité ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Corinne Bouchoux et Muguette Dini applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Tout le monde est content ce soir : M. le ministre de ses statistiques, le Sénat de sa nouvelle commission et du fait que David Assouline en soit le président.
Je ne gaspillerai pas mon modeste temps de parole en faisant de l’autosatisfaction ou en décernant des bons points. Je préfère parler de ce qui nous dérange.
Tout d’abord, s’il est vrai que les chiffres sont bons, ils le sont depuis un an seulement ; on rattrape le retard. La cadence a été accélérée au cours de la dernière année, si les chiffres ont une importance !
Ensuite, s’agissant de la qualité de la loi, je citerai simplement l’exemple de la loi pénitentiaire, déjà évoqué par le président Sueur : on essaie actuellement de nous faire adopter in extremis une loi de programmation pour les cinq années à venir, alors que les textes adoptés en 2009 ne sont toujours pas appliqués ! Allez comprendre...
Hormis cet effet d’optique et tout à fait encourageant, dont nous pouvons nous réjouir, vous permettrez aux sénatrices et sénateurs écologistes de s’inquiéter plutôt de l’esprit de certaines lois que de la rapidité de leur mise en œuvre. Sur plusieurs points, il nous semble que l’affichage politique a primé sur l’amélioration du droit en vigueur, qui devrait pourtant constituer notre principale priorité.
On peut ainsi songer, par exemple, au discours sur la maîtrise de l’immigration, qui tend en permanence à présenter les immigrés comme un fléau, ou tout au moins comme un problème, sans jamais évoquer les apports réels et le rôle positif de l’immigration pour la France. Je ne reviendrai pas ici sur la petite phrase, très maladroite, de Claude Guéant, qui a embarrassé jusque dans son propre camp !
MM. Éric Doligé et Alain Dufaut. Mais non !
Mme Corinne Bouchoux. Quid, par ailleurs, des nombreuses lois adoptées relatives à la récidive ou à la procédure pénale, et qui, comme l’a rappelé le président Sueur, ne sont toujours pas appliquées. Je pense notamment à toutes les mesures préconisées par le sénateur Lecerf pour améliorer la qualité de vie des détenus. À cet égard, beaucoup reste à faire ! Nous aurions donc aimé que le chiffrage soit aussi bon dans ce domaine que dans d’autres.
Enfin, avant de conclure, je voudrais évoquer ce qui constitue un serpent de mer dont on parle bien souvent : les textes déposés, chaque année, par M. le député Jean-Luc Warsmann, et que d’aucuns peuvent trouver plaisants. Il convient toutefois de signaler que, sur les 43 mesures adoptées en mai 2011, seules 7 ont été appliquées. Quel est le sens de tous ces textes ?
En tant que membre de la commission des lois, je vous demande également de réfléchir à la qualité des lois, plutôt qu’à leur nombre. Comme cela a été dit, seulement 46 % des lois sont appliquées, et il ne s’agit pas forcément, selon nous, des plus favorables à nos concitoyens.
Qu’en est-il, en outre, de la suite des textes relatifs aux collectivités territoriales, auxquels Jean-Pierre Sueur a fait une allusion malicieuse ?
Pour conclure, j’aborderai un sujet qui nous tient particulièrement à cœur : l’écologie.
Qu’il s’agisse du problème des gaz de schiste, dont il sera question plus longuement ce soir, ou des Grenelle I et II, nous constatons que, pour le Gouvernement, « l’environnement, ça commence à bien faire », comme l’a dit quelqu’un dont je ne citerai pas le nom.
Comme nous accordons, au contraire, beaucoup d’importance à l’écologie, nous souhaiterions que votre culte du chiffre soit aussi performant dans le domaine de l’environnement que dans tous ceux précités. S’agissant ainsi du Grenelle de juillet 2010, pour lequel existait une urgence et qui faisait l’objet d’un large consensus, nous n’en sommes pour le moment qu’à 45 % d’application.
Enfin, un seul rapport sur les douze qui ont été demandés a été transmis par le Gouvernement, semble-t-il. À l’évidence, il reste du travail à accomplir !
En ce qui concerne la Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux, nous attendons encore et toujours un texte d’application et ses suites.
Pour le dire autrement, les sénateurs et sénatrices écologistes souhaiteraient qu’il soit fait un effort pour renforcer les droits des parlementaires dans un certain nombre de domaines. J’évoquerai simplement deux points.
Tout d'abord, selon nous, la procédure accélérée devrait redevenir tout à fait exceptionnelle – elle devrait être une façon très rare de faire de la politique –, pour nous laisser à tous le temps de la réflexion et d’un travail posé, dans des délais plus raisonnables.
Ensuite, même si nous ne méconnaissons pas, bien au contraire, les contraintes s’exerçant sur les finances publiques, il nous semble opportun de remettre à plat le dispositif de l’article 40 de la Constitution. Cette procédure a été utilisée plusieurs fois, dans des circonstances qui nous paraissent tout à fait discutables. Chaque fois que nous proposons une mesure, on invoque l’article 40 ! Nous ne pouvons donc qu’adopter des lois mémorielles, dont l’utilité a pourtant été débattue ici même récemment…
Pour l’exprimer différemment, nous aimerions qu’à la politique du chiffre succède une politique de la qualité, afin de permettre une meilleure application de la loi pour tous les citoyens et toutes les citoyennes, pour les prisonniers, pour les immigrés. Bref, nous voulons une loi qualitative et non quantitative. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur quelques travées du groupe socialiste.)