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Loi de finances pour 2012
Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2012, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture (projet n° 203, rapport n° 204).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis 2010, la France avance sur le chemin du désendettement, un chemin qui passe d’abord et avant tout par un effort historique de maîtrise des dépenses publiques.
Vous avez pu le constater lors de l’examen du collectif budgétaire, nous avons d’ores et déjà pris un an d’avance sur l’objectif de réduction des dépenses de l’État que nous nous sommes fixé. Nous allons plus loin encore avec ce texte, qui prévoit 1,5 milliard d’euros d’économies supplémentaires au sein de l’État.
Nous avons beaucoup travaillé avec les députés pour répartir ces efforts et continuer à sécuriser notre trajectoire. Le résultat, c’est un déficit de l’État réduit de 3 milliards d’euros à l’issue de l’examen du projet de loi de finances par l’Assemblée nationale, le solde négatif s’établissant désormais à 78,8 milliards d’euros.
Ce budget atteste donc la détermination du Gouvernement et de sa majorité à poursuivre le redressement de nos finances publiques. En agissant ensemble en toute coresponsabilité, l’exécutif et l’Assemblée nationale ont démontré que la réduction des déficits était non seulement une nécessité absolue, mais aussi une priorité largement partagée.
C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement regrette que la Haute Assemblée soit restée à l’écart de cette mobilisation d’intérêt national. Ce budget aurait pu et aurait dû être l’occasion de nous rassembler face à la crise.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme Valérie Pécresse, ministre. L’examen de ce texte a bien au contraire mis en lumière l’ampleur des divergences qui séparent la majorité présidentielle de l’opposition, l’Assemblée nationale du Sénat.
Car ce sont bel et bien deux conceptions irréconciliables de la politique budgétaire qui se sont exprimées tout au long de nos débats. Vous avez choisi, mesdames, messieurs les sénateurs, de défaire plutôt que de faire,…
Mme Sylvie Goy-Chavent. Pas tous les sénateurs !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Pas tous, madame la ministre !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … en vous engageant sur une « autre voie », en réalité une impasse dont vous avez dévoilé la vraie nature, celle d’une hausse brutale et généralisée des impôts, d’un choc fiscal de 32 milliards d’euros…
M. Jean-Claude Lenoir. Il faut le dire !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … qui empêcherait tout rebond de la croissance et pèserait sur le pouvoir d’achat et l’emploi des Français.
Faire le choix d’une augmentation généralisée des impôts, avec pas moins de 42 taxes créées ou modifiées dans ce seul projet de loi de finances, qui s’ajoutent aux 17 taxes créées ou augmentées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, constitue, je le dis très clairement, un contresens radical, sur les plans tant budgétaire qu’économique.
Sur le plan économique, tout d’abord, si ces 42 taxes sont loin, très loin même de former un ensemble cohérent, elles ont un point commun : elles alourdissent comme jamais la charge fiscale pesant sur les entreprises,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … des entreprises qui devraient à elles seules acquitter 20 milliards d’euros d’impôts supplémentaires en l’espace d’une seule année.
En restreignant aussi fortement la déductibilité des intérêts d’emprunt, vous avez également augmenté l’impôt sur les sociétés de 50 %.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est vrai !
Mme Valérie Pécresse, ministre. L’effet immédiat d’une telle mesure serait de rendre plus difficile l’accès au crédit et de donner un coup de frein à l’investissement, ce même investissement qu’à gauche l’on dit vouloir favoriser grâce à une modulation, à la baisse ou à la hausse, de l’impôt sur les sociétés. Comprenne qui pourra !
La réalité, c’est que la seule modulation de l’impôt que vous connaissiez, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, c’est la modulation à la hausse, et pour toutes les entreprises, petites ou grandes !
Ne vous y trompez pas, ce choc fiscal, ce sont tous les Français qui en paieraient le prix. On n’augmente pas, comme vous l’avez fait, la fiscalité sur les entreprises sans toucher la croissance et détruire des emplois.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Bravo ! Une croissance négative de 0,2 % !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Que ce soit au travers des salaires ou des prix, les effets s’en feraient immédiatement sentir sur le pouvoir d’achat des Français, lequel serait également la première victime de votre mesure « anti-heures supplémentaires ». Car en remettant en cause la défiscalisation des heures supplémentaires, vous retireriez 450 euros par an aux 9 millions de Français qui travaillent plus pour gagner plus, bien souvent dans nos petites et moyennes entreprises ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Et tout cela, sans la moindre justification. Car, comme les 35 heures l’ont amplement démontré, le partage du travail, cela ne marche pas, pas plus en période de croissance qu’en période de crise.
La raison en est simple : ce n’est pas en partageant la pénurie que l’on créera de la richesse ! De la même façon, ce n’est pas en alourdissant les charges ou les impôts qui pèsent sur les entreprises que l’on créera des emplois…
L’examen du projet de loi de finances pour 2012 par le Sénat l’a démontré, tous ceux qui refusent de faire porter l’effort d’abord sur les dépenses, tous ceux qui refusent de réaliser des économies et de parler de réformes, tous ceux-là condamnent notre pays à une cure d’austérité fiscale sans précédent, dont notre croissance ne se remettrait pas !
Mesdames, messieurs les sénateurs, la réalité est celle-ci : dans l’un des pays les plus imposés au monde, la hausse généralisée des impôts n’a pas d’avenir.
Le choix que vous avez fait d’un choc fiscal est donc insoutenable, à court terme comme à long terme.
Il est illusoire, en effet, de penser que vous pourriez augmenter les impôts d’une trentaine de milliards d’euros année après année : la France ne le supporterait pas !
Un jour ou l’autre, d’ailleurs, que vous le vouliez ou non, vous devriez faire face à cette évidence : le redressement de nos finances publiques suppose de réaliser des économies sur les dépenses… Vous ne pourrez pas ignorer éternellement cette nécessité !
Cette année déjà, vous auriez pu agir, dans le respect de l’article 40 de la Constitution. Vous pouviez redéployer certains crédits au sein des missions, faire des choix, bref, affirmer une stratégie.
Au lieu de cela, vous avez préféré rejeter purement et simplement les crédits de deux missions sur trois – oui, deux sur trois ! Résultat ? Le budget que vous avez adopté n’accorde par le moindre euro à l’enseignement, à la recherche, à la justice, à la sécurité ou à l’écologie…
En un mot, c’est un budget factice, un peu baroque, même, une sorte d’exercice de style qui apparaît profondément décalé.
Il est décalé d’abord par rapport aux enjeux du moment, mais il l’est aussi parce qu’il augmente les dépenses au bénéfice des seules collectivités locales, alors qu’il ne donne même pas à l’État les moyens de remplir ses missions essentielles ! (M. François Patriat s’exclame.)
Un tel choix, ni le Gouvernement ni l’Assemblée nationale ne peuvent y souscrire. Aujourd’hui, en effet, aucun acteur public ne peut se dispenser de participer à l’effort que nous demandons à tous les Français. L’État fait des économies, la sécurité sociale aussi : les collectivités locales ne peuvent pas se tenir à l’écart, pas plus qu’elles ne peuvent s’exonérer de cet effort collectif !
C’est pourquoi, avec l’accord des députés, nous avions prévu de demander aux collectivités locales une contribution de 200 millions d’euros à l’effort supplémentaire de réduction des déficits. Cette contribution, modeste, était très exactement proportionnelle au poids que pèsent, dans le budget de l’État, les dotations aux collectivités locales. Elle représentait une baisse de seulement un millième de la dépense publique locale !
Or cet effort, pourtant mesuré, a été jugé insoutenable par le Sénat, qui l’a remis en cause, avant de créer 450 millions d’euros de dépenses supplémentaires au bénéfice exclusif des collectivités locales… Rien, vraiment rien ne peut justifier une inégalité aussi flagrante et aussi radicale dans le traitement des acteurs publics !
Dois-je vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’alors que l’État diminuait le nombre de ses fonctionnaires, les collectivités locales, de leur côté, ont continué de recruter plus de trente-sept mille agents par an ? Nous voyons le résultat : hors mesures de décentralisation, la masse salariale locale a augmenté de 4,3 % par an entre 2006 et 2010, au lieu de 0,9 % pour celle de l’État…
Je le dis très clairement, je suis prête à poser la question des normes, encore trop nombreuses, qui pèsent sur les collectivités locales comme autant de charges supplémentaires. Résoudre ce problème était tout l’objet de la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales, présentée par Éric Doligé. Malheureusement, elle ne figure plus à l’ordre du jour de votre assemblée !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est vous qui l’en avez retirée… Ne dites pas de mensonges !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Rétablissez-la donc, madame la rapporteure générale !
Nous pouvons aborder ces questions ; mais il faut aussi que, dans le même temps, les collectivités locales deviennent des acteurs à part entière de la lutte contre les déficits.
Le fait est qu’aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, il existe une seule stratégie crédible pour redresser nos finances publiques, et elle est très simple : priorité absolue aux économies sur les dépenses !
Les efforts, en effet, doivent peser d’abord sur l’État et les administrations, raison pour laquelle le projet de loi de finances pour 2012 entérine une baisse historique de 1,5 milliard d’euros des dépenses de l’État.
Ces économies ont été décidées et réparties par le Gouvernement en toute coresponsabilité avec l’Assemblée nationale ; celle-ci a fait preuve d’une détermination et d’un courage auxquels je veux rendre hommage.
Tous les acteurs publics prennent leur part des efforts d’économies : l’État, bien sûr, qui continue de réduire son train de vie, mais aussi les opérateurs de l’État, appelés à contribuer davantage encore à la réduction des déficits publics. C’est ainsi que, par souci de bonne gestion, nous avons remis de l’ordre dans les taxes affectées, dont le dynamisme était parfois sans commune mesure avec les besoins réels des opérateurs de l’État…
Pour poursuivre et renforcer cet effort, mesdames, messieurs les sénateurs, notre méthode porte un nom très simple et très beau, celui de réforme.
Oui, ce sont nos réformes qui nous ont permis, dès cette année, de faire baisser les dépenses de l’État – fait sans précédent depuis 1945. Et ce sont elles, encore et toujours, qui garantiront le respect de notre trajectoire de retour à l’équilibre, laquelle repose majoritairement sur la maîtrise des dépenses publiques.
C’est la raison pour laquelle nous allons poursuivre la réforme de l’État au moyen de la révision générale des politiques publiques, la RGPP.
M. François Marc. Demandez ce qu’on en pense dans l’Éducation nationale !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Cette fameuse RGPP aura rapporté 15 milliards d’euros d’économies en 2013. Et d’ores et déjà, nous avons demandé à l’Inspection générale des finances de trouver des pistes d’action pour la période 2013-2016.
De même, pour poursuivre la maîtrise des dépenses sociales et tenir dans la durée l’objectif national de progression annuelle de 2,5 % des dépenses d’assurance maladie, nous avons demandé aux deux inspections générales compétentes de nous aider à identifier de nouvelles sources d’économies.
Madame la rapporteure générale, la hausse des dépenses publiques n’a rien d’une fatalité ! Encore faut-il avoir le courage de lancer des réformes profondes, comme le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique d’État…
Car personne, mesdames, messieurs les sénateurs, non, personne ne peut prétendre recruter de nouveaux fonctionnaires tout en réduisant les déficits, ni remettre en cause la réforme des retraites tout en ramenant nos finances publiques à l’équilibre…
Prétendre le contraire, c’est mentir aux Français ! D’ailleurs ces derniers comprennent bien que l’on ne se désendette pas en augmentant les dépenses : c’est une vérité de bon sens qu’ils vivent au quotidien.
La priorité des priorités, pour l’État comme pour tous les ménages, doit donc être de réaliser des économies. Les recettes peuvent seulement jouer un rôle complémentaire, et encore à la condition de satisfaire à deux principes clairs : l’équité et la compétitivité.
L’équité, tout d’abord, est au cœur du projet de loi de finances pour 2012, qui instaure une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Celle-ci, je vous le rappelle, est assise à la fois sur les revenus du travail et sur ceux du patrimoine. Jusqu’au retour à l’équilibre des finances publiques, nous demanderons un effort supplémentaire aux Français les plus aisés. J’ajoute que ceux-ci paieront au total trois fois : sur les plus-values immobilières, sur les revenus du patrimoine et sur les revenus du travail.
L’équité préside également à notre effort de réduction des niches fiscales et sociales.
Comme l’OCDE vient de le souligner une nouvelle fois, la meilleure manière de renforcer aujourd’hui la justice fiscale est non pas de créer des tranches supplémentaires d’imposition sur le revenu comme vous le proposez, madame la rapporteure générale, mais de faire converger les taux réels et les taux faciaux d’imposition en réduisant les niches, comme le Gouvernement s’y est employé.
Nous avons en particulier instauré un plafonnement global des avantages fiscaux liés à l’impôt sur le revenu : nous le revoyons d’ailleurs encore à la baisse dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012.
La progressivité de notre système d’imposition, c’est bien l’actuel gouvernement qui l’a restaurée, en donnant un coup d’arrêt historique à ce que l’on appelait pudiquement « l’optimisation fiscale » !
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sous Lionel Jospin, mesdames, messieurs les sénateurs, un couple avec 1 million d’euros par an de ressources pouvait n’avoir rien à payer au titre de l’impôt sur le revenu, s’il choisissait les bonnes niches... Compte tenu du plafonnement global des niches, ce couple paiera au moins 340 000 euros d’impôt sur le revenu en 2012, contribution exceptionnelle comprise !
En redonnant de la progressivité à notre système fiscal, en alignant la taxation des revenus du capital sur celle des revenus du travail ou bien encore en mettant fin aux effets pervers de l’impôt de solidarité sur la fortune, le Gouvernement auquel j’appartiens a fait la réforme fiscale dont notre pays avait tant besoin.
Il suffit de comparer – mettons, au hasard, avec l’Allemagne… On s’aperçoit alors que, si les plus hauts revenus sont davantage taxés en France, les classes moyennes le sont moins : cela est juste et c’est ce que nous souhaitons.
Prétendre le contraire, c’est tout simplement avoir un quinquennat de retard ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
J’en viens au second maître mot de notre politique fiscale, la compétitivité.
M. Pierre-Yves Collombat. On voit les résultats sur notre commerce extérieur…
Mme Valérie Pécresse, ministre. C’est au nom de la compétitivité que, face à la crise, nous avons fait le choix de préserver tous les dispositifs fiscaux et sociaux qui soutiennent la croissance et l’emploi : je pense en particulier aux aides à l’emploi à domicile ou aux allégements de charges sur les bas salaires, qui ont permis d’amortir partiellement le choc des 35 heures.
La baisse du coût du travail est en effet la clé du renforcement de la compétitivité et de la création d’emplois dans notre pays. C’est la raison pour laquelle, avec l’accord de l’Assemblée nationale, nous avons allégé les charges pesant sur l’emploi dans l’agriculture : nous avons voulu permettre à ce secteur de mieux résister à une concurrence internationale particulièrement intense.
Pour la compétitivité comme pour l’équité, les mots sont bien insuffisants ; seuls les actes comptent. Or nos actes me semblent parler d’eux-mêmes : nous avons supprimé la taxe professionnelle, qui pénalisait l’investissement des entreprises, cet impôt que Mitterrand qualifiait d’imbécile… (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Le Président Mitterrand ! Je ne dis jamais, moi, « Sarkozy » !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous avons aussi rénové le crédit d’impôt recherche pour donner un coup d’accélérateur à l’innovation qui prépare les emplois de demain.
Enfin, que ce soit en matière d’impôt sur les sociétés ou de TVA, nous avançons désormais sur la voie de la convergence fiscale avec l’Allemagne.
M. Michel Vergoz. En somme, nous sommes au fond du trou, mais tout va bien !
Mme Valérie Pécresse, ministre. La convergence budgétaire et fiscale est en effet notre meilleure arme face à une crise qui nous impose de nous unir pour agir ensemble de manière coordonnée. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Converger signifie faire ce que font tous les pays de la zone euro, que leurs gouvernements soient de droite ou de gauche : commencer par maîtriser les dépenses publiques avant d’avoir recours, de manière réfléchie, cohérente et ciblée à la fiscalité. Tous les pays de la zone euro agissent ainsi !
M. Pierre-Yves Collombat. Ils vont dans le mur ! Nous coulerons tous ensemble et vous serez contente !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Dans ce contexte, si la France devait s’engager dans la voie divergente que le Sénat propose, elle se retrouverait isolée en Europe et sa crédibilité n’y survivrait pas !
M. Richard Yung. C’est vous qui êtes isolée !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, l’Assemblée nationale a fait le choix de rétablir le projet de loi de finances pour 2012 dans la version qu’elle avait adoptée en première lecture.
M. Pierre-Yves Collombat. Nous mourrons donc heureux !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Je dois dire que, aux yeux du Gouvernement, ce choix était le seul responsable, même si je reconnais que les débats au sein de la Haute Assemblée ont permis d’affiner et d’améliorer certaines dispositions du projet de loi de finances, par exemple en matière de péréquation entre les collectivités locales.
Mais, sur l’essentiel, notre désaccord est profond, sans doute trop profond pour être surmonté.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est pour cela qu’il y a des élections !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Le Gouvernement en prend acte et le regrette, car la France aurait été plus forte si nous avions pu avancer ensemble sur le chemin du désendettement.
Aujourd’hui, il n’y a qu’une seule stratégie crédible, celle qui inspire le projet de loi de finances pour 2012, en ce qu’elle protège une croissance encore vulnérable, répartit équitablement entre les Français les efforts nécessaires et réduit les déficits.
C’est ce projet de loi de finances, marqué du double sceau de la crédibilité et de la justice, que le Gouvernement a l’honneur de vous soumettre aujourd’hui une dernière fois ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. le président de la commission des finances et Mme Sylvie Goy-Chavent applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur le président, mes chers collègues, je constate que Mme la ministre, comme à son habitude, a adopté un ton de meeting électoral… Paroles ! Quant à moi, je m’en tiendrai aux actes, en m’attachant à mettre en évidence les ruptures qui existent entre les actes et le discours du Gouvernement.
Je tiens tout d’abord à rappeler que, depuis le débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, le 2 novembre 2011, nous aurons au total débattu pendant cent trente heures : nous avons donc eu le temps de confronter nos visions de la stratégie budgétaire, fiscale et économique que nous souhaitons pour la France et, je vous en donne acte, madame la ministre, elles sont très divergentes et certainement pas compatibles !
Aujourd’hui, mes chers collègues, il m’appartient en tant que rapporteure générale de vous présenter la position de la commission des finances après que la commission mixte paritaire, réunie le 12 décembre, n’est pas parvenue à trouver un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2012.
Ce résultat n’est pas surprenant, compte tenu des divergences profondes qui opposent la majorité sénatoriale et la majorité gouvernementale dans le domaine des finances publiques.
Ces divergences sont résumées dans le texte de la motion n° I-1 tendant à opposer la question préalable, que la commission des finances a décidé de soumettre au Sénat. Permettez-moi de vous en exposer maintenant les principales.
D’abord, la trajectoire pluriannuelle construite par le Gouvernement repose sur des hypothèses de croissance surestimées. La confirmation nous en a été apportée par les dernières données que l’INSEE et l’Observatoire français des conjonctures économiques ont publiées : notre acquis de croissance pour 2012 sera négatif, laissant présager de très mauvais résultats, alors qu’il s’agira d’une année charnière dans la trajectoire pluriannuelle d’évolution des finances publiques.
Or le Gouvernement persiste à maintenir des hypothèses de croissance surestimées et des hypothèses d’évolution des dépenses publiques fantaisistes, mettant ainsi en péril la crédibilité des engagements européens de notre pays.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est donc qu’il faut tailler davantage et tout de suite dans les dépenses, n’est-il pas vrai ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur le président de la commission des finances, je considère, comme je le répète depuis le débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, que, sur la durée d’une législature, nous devrions trouver des marges de manœuvre réparties à parts égales entre les recettes et les dépenses.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je n’en disconviens pas.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Relisez-moi donc : cela vous sera certainement utile pour nourrir vos interventions !
La politique fiscale du Gouvernement se caractérise par une succession de mauvais choix.
Après avoir fragilisé les recettes publiques en début de quinquennat avec la loi TEPA et la réforme de la taxe professionnelle – je rappelle que cette dernière a coûté 5 milliards d’euros de déficit à nos finances publiques –, le Gouvernement taxe maintenant à tout-va, par des mesures de rendement sans cohérence, tout en continuant d’affirmer à l’opinion qu’il s’oppose à toute hausse généralisée des prélèvements obligatoires – le projet de loi de finances pour 2012 comme le projet de loi de finances rectificative reflètent parfaitement ces choix…
En ce qui concerne les dépenses, le décalage entre le discours et les actes est encore plus prononcé, madame la ministre. Le Gouvernement se décrit comme le champion de la maîtrise des dépenses, mais procède à des ouvertures de crédits en fin d’année. Surtout, le Gouvernement annonce qu’il se passera de l’autorisation du Parlement pour procéder à de nouvelles mesures d’économie en cours de gestion. Il préfère détourner de sa fonction la réserve de précaution, dont on sait très bien, au demeurant, qu’elle ne suffirait pas à financer un nouveau plan de rigueur. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Car le Gouvernement nous cache la vérité, mais tout le monde sait très bien qu’un tel plan est dans les cartons.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous le souhaitez ? Vous le voulez ? Vous le voudriez ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Enfin, le Sénat doit s’inquiéter de la politique du Gouvernement visant à miner la relation entre l’État et ses territoires, dans une période où il faudrait au contraire susciter la confiance. C’est vrai surtout pour le soutien à la croissance et à l’économie, là où les collectivités locales jouent un rôle décisif.
Pour toutes ces raisons de fond, vous comprendrez, mes chers collègues, que la CMP ait échoué.
Cela étant, le Sénat aura apporté au texte définitif certaines dispositions utiles que je veux rappeler.
Dans le domaine de la fiscalité du patrimoine, nous avons permis deux avancées.
D’une part, nous avions proposé, à l’article 3 bis E, de déplafonner, en baissant le taux, les droits d’enregistrement en cas de cessions de parts de sociétés. Nous escomptions 930 millions d’euros de cette mesure. L’Assemblée nationale a repris à son compte l’idée du déplafonnement, mais a introduit un barème dégressif. Finalement, cette mesure devrait rapporter entre 150 et 200 millions d’euros.
D’autre part, nous avions proposé de maintenir à 1,1 % le taux du droit de partage, qui devait brutalement doubler et passer à 2,5 % au 1er janvier, afin de financer l’allègement massif de l’impôt sur la fortune. L’Assemblée nationale ne nous a pas suivis, mais elle a permis que les personnes en instance de divorce à la date de promulgation de la loi de finances rectificative de juillet se voient appliquer le taux de 1,1 %, quelle que soit la date effective de leur divorce.
Dans le domaine de la fiscalité des entreprises, deux points sont également à signaler.
D’une part, l’initiative du Sénat concernant le régime des jeunes entreprises innovantes a été reprise par les députés dans le collectif budgétaire, dans une version certes atténuée.
D’autre part, la proposition de notre collègue David Assouline et de la commission de la culture tendant à créer, à l’article 5 bis G, une taxe sur les cessions de titres d’un éditeur de services de communication audiovisuelle a aussi été reprise, mais dans une version profondément modifiée par le Gouvernement.
Plusieurs initiatives du Sénat en faveur de l’outre-mer figurent également dans le texte définitif.
Ainsi, comme le préconisait notre collègue Georges Patient à l’article 5 quinquies, le régime de suspension de TVA pour les installations et matériels utilisés pour l’exploration du plateau continental est supprimé ; celui de l’exemption des droits de douane est en revanche maintenu.
Les exonérations sociales du bonus exceptionnel de 1 500 euros, que M. Paul Vergès souhaitait, à l’article 26 bis, proroger de trois ans, seront bien prorogées, mais seulement pour un an.
L’initiative de Georges Patient et du groupe socialiste destinée à régler, à l’article 52 octies, la question des agriculteurs exerçant sans titre en Guyane est reprise.
L’article 52 quinquies, introduit sur l’initiative de Serge Larcher et qui vise à remédier au détournement de procédure effectué par certaines entreprises jouant des niveaux de taxation différents entre la Guyane et la Martinique, a été retenu.
Plusieurs points sont aussi à relever dans le domaine de la fiscalité immobilière et du logement.
À l’article 41, un compromis a pu être trouvé entre la position initiale et la position du Sénat, exprimée après l’adoption d’un amendement de M. Vincent Eblé : le rabot du dispositif « Censi-Bouvard » prévu en 2012 sera assoupli pour certains logements en maintenant l’avantage fiscal au taux de 2012 pour les engagements immobiliers intervenus avant le 31 décembre 2012.
L’article 41 quater, issu d’une initiative de Thierry Repentin, qui prolonge de deux ans l’application d’un droit fixe de 125 euros au titre de la taxe de publicité foncière en faveur des organismes d’habitations à loyer modéré, sociétés anonymes de crédit immobilier et de leurs unions pour leurs acquisitions de logements conventionnés, a été retenu par l’Assemblée nationale.
À l’article 46 bis, s’agissant du prêt à taux zéro plus, ou PTZ+, les députés n’ont pas souhaité relever le montant de l’enveloppe « générationnelle » à 1,2 milliard d’euros comme le souhaitait le Sénat, mais l’ont néanmoins portée de 800 à 840 millions d’euros. Ils ont en outre retenu la suggestion de notre collègue Thierry Repentin d’étendre le bénéfice du PTZ+ aux acquisitions de logements appartenant à un organisme d’HLM.
Enfin, il convient d’évoquer le débat sur les finances publiques, s’agissant notamment du dispositif de péréquation, sur lequel nos collègues François Marc et Pierre Jarlier avaient abondamment travaillé, à la suite de l’étude menée par le groupe de travail animé notamment par Charles Guené et Philippe Dallier sur le sujet.
Il me semble important de faire le point sur cette question, notamment pour ceux de nos collègues qui ne sont pas membres de la commission des finances.
L’Assemblée nationale a donné son accord au principe introduit par le Sénat d’un « indicateur de ressources élargi », qui résultait d’une proposition du groupe de travail de la commission des finances.
L’Assemblée nationale a retenu le principe d’un rapport annuel sur l’évolution des mécanismes de péréquation ; elle a en outre conservé certains des apports du Sénat quant à la définition du fonctionnement du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC, à partir des contributions de nos rapporteurs François Marc et Pierre Jarlier.
Les députés ont notamment supprimé les strates au profit du système de prélèvement logarithmique introduit par la commission des finances, qui gomme les effets de seuil ; ils ont également exclu les 150 premières communes éligibles à la DSU-cible de tout prélèvement et réduit de 50 % le prélèvement des 100 communes suivantes qui sont éligibles à cette dotation – rappelons que le Sénat avait adopté un amendement du groupe socialiste visant à exonérer toutes les communes éligibles à la DSU-cible et à la DSR-cible.
Les députés ont également repris la modification de la pondération des critères de reversement adoptée par le Sénat à la suite d’un amendement de Pierre Jarlier, en majorant à 60 % le critère du revenu par habitant – les critères de l’effort fiscal et du potentiel financier étant pondérés à 20 % chacun.
L’effort fiscal pris en compte dans les reversements a été déplafonné, alors que le Sénat avait proposé de relever le plafond de 0,9 à 1 par un amendement de la commission des finances.
L’Assemblée nationale a également conservé la disposition introduite par un amendement du président Philippe Marini, qui vise à exclure de tout reversement les collectivités dont l’effort fiscal est inférieur à 0,5.
La répartition des prélèvements et des reversements s’effectuera en fonction des potentiels et non des produits fiscaux, comme l’a voté le Sénat en adoptant un amendement de la commission des finances.
Enfin, la clause de revoyure que nous proposions est maintenue, même si la date de remise du rapport du Gouvernement est reportée du 1er septembre au 1er octobre 2012.
Les deux autres modifications adoptées par le Sénat ont été rejetées : le plafonnement des prélèvements au titre du FPIC et du Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, le FSRIF, a été abaissé de 15 % à 10 % du potentiel fiscal et le revenu par habitant ne sera pas pondéré par le coût du loyer dans chaque région.
Enfin, à l’initiative du Gouvernement, l’Assemblée nationale a proposé de nouvelles modifications au mécanisme du FPIC : son montant est réduit à 150 millions d’euros en 2012 et n’atteindra 2 % des recettes fiscales du bloc communal qu’en 2016.
Par ailleurs, le nombre d’ensembles intercommunaux éligibles aux reversements est porté de la moitié à 60 % du total du nombre total de ces ensembles.
Les établissements publics de coopération intercommunale, ou EPCI, pourront, à la majorité qualifiée, modifier les modalités de prélèvement et de reversement des montants du FPIC entre l’EPCI et les communes membres, en prenant en compte les écarts de revenu par habitant et les insuffisances de ressources de chaque commune.
Si j’ai énuméré les apports auxquels le Sénat tenait et qui, pour partie seulement, ont été repris par l’Assemblée nationale, c’est parce que, madame la ministre, je réfute, et la majorité sénatoriale avec moi, ce que vous dites à l’envi, à savoir que le travail de cette majorité aura été purement virtuel. Ce n’est pas vrai, raison pour laquelle j’ai tenu à procéder à cette énumération sans doute fastidieuse, mais qui servira à l’information de nos grands électeurs.
La navette a été utile, puisqu’elle a permis de faire évoluer l’Assemblée nationale sur certains points, dont je concède toutefois qu’ils sont trop rares.
Cependant, la commission des finances a jugé qu’une nouvelle navette ne serait pas de nature à faire évoluer les positions, même si le Sénat rétablissait son texte à l’occasion de cette nouvelle lecture.
Elle a donc choisi de proposer au Sénat d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable sur le dernier projet de loi de finances initiale présenté par la majorité sortante.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le début de nos débats, tant en commission qu’en séance, nous avons dressé le bilan de cette majorité sortante : le constat d’échec est patent ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)