M. Ronan Kerdraon. Et les chômeurs ?
Mme Chantal Jouanno. Pourquoi, à travers ce PLFSS, vouloir pénaliser les salariés ?
M. Roland Courteau. Ces exonérations limitent les créations d’emploi !
Mme Chantal Jouanno. En revanche, je pense que nous devons tous nous retrouver sur l’accélération de la lutte contre les comportements à risque, extrêmement néfastes pour la santé publique. Dans la ligne de ce qui a été fait sur la taxation des cigarettes et des boissons sucrées, l’augmentation de la taxe sur les alcools est très positive.
Même si, en formulant cette proposition, je rends public un conflit d’intérêt familial (Sourires.), je serais très favorable à une taxation dès le premier degré d’alcool, qui, naturellement, soit non pas proportionnelle, mais progressive. Néanmoins, j’imagine sans peine que cette idée n’aura qu’un succès assez relatif…
Madame la secrétaire d'État, j’évoque les mesures de prévention car la santé publique, depuis toujours, est le parent pauvre de notre système de santé, qui a été très marqué par la logique de Pasteur. Comme Xavier Bertrand, j’en appelle à une grande loi sur la santé publique.
Mes chers collègues, nous aurons de riches débats sur les dépassements d’honoraires, qui constituent un véritable problème en milieu urbain, tout particulièrement à Paris. M. le rapporteur général est opposé au secteur optionnel ; j’espère que nos débats nous éclaireront sur l’intérêt de ce nouveau secteur.
Nous aurons également des débats sur la convergence tarifaire, qui ne peut se faire sans réflexion sur la qualité des soins.
Nous aurons enfin des débats sur l’hôpital en général. Le Gouvernement porte un plan très ambitieux, « Hôpital 2012 », qui représente un investissement de 10 milliards d’euros.
Permettez-moi, madame la secrétaire d'État, de vous faire part une nouvelle fois d’une préoccupation : la situation de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l’AP-HP. Pour l’avoir fréquentée, j’ai apprécié la gentillesse du personnel, mais j’ai été frappée par l’état de dégradation matérielle extrêmement préoccupant de l’AP-HP.
M. Ronan Kerdraon. C’est bien de s’en apercevoir.
Mme Chantal Jouanno. Au cours de ce débat, nous aurons tous la tentation de ne pas vouloir déplaire, d’esquiver les questions difficiles. Je sais que les décisions sur la réorganisation des soins sont difficiles et que les décisions sur la taxation des comportements à risque ne sont pas populaires. Toutefois, même s’il est facile de nous dire qu’au nom de la santé aucune contrainte financière n’est légitime, nous avons le devoir d’assumer ces décisions.
J’ai entendu tout à l’heure des mots volontairement cassants, tels que « inique », « irresponsable », « injuste », « irréaliste »… Quel dommage ! Nous devons débattre et argumenter, mais pas avec ces mots-là.
M. Ronan Kerdraon. Nous n’avons pas de leçons à recevoir.
Mme Chantal Jouanno. Face à la gravité de la situation, il faut au contraire, aujourd’hui comme demain lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, chercher des points d’accord et d’union nationale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, avant d’analyser le PLFSS qui nous est proposé, je voudrais rappeler quelques chiffres simples. En 2011, les dépenses de sécurité sociale devraient s’élever à 442,1 milliards d’euros ; celles de l’État, à 362,5 milliards d’euros.
Le budget annuel de la sécurité sociale est donc supérieur de presque 80 milliards d’euros à celui de l’État. Qu’en est-il des déficits prévus pour la même année ? Pour la sécurité sociale, le manque s’établit à 18,2 milliards d’euros, soit 4,11 % du budget ; pour l’État, il est de 95,5 milliards d’euros, soit 26,3 % du budget.
Au regard de ces chiffres, on comprend bien que c’est principalement sur le budget de l’État que les efforts doivent porter pour ramener le déficit des administrations publiques à 3 % du PIB en 2013 et diminuer ainsi le taux de prélèvements obligatoires.
Mon propos ne vise pas à exonérer les comptes de la sécurité sociale des efforts nécessaires pour atteindre l’équilibre. Il tend seulement à montrer que ces efforts doivent être exercés dans tous les domaines.
Bien entendu, cela ne veut pas dire non plus que les déficits sociaux ne soient pas préoccupants ; s’agissant du système assurantiel, ils n’auraient jamais dû être tolérés.
Inquiétants, ces déficits le sont moins par leurs montants que par leur évolution tendancielle et leur dépendance à la conjoncture.
C’est avec le recul de croissance de 2009 que l’on a découvert que le risque pouvait être conjoncturel. Le ralentissement de l’activité a eu de lourdes conséquences sur la masse salariale. Or, cela a été dit, c’est de cette dernière que provient l’essentiel des ressources de la sécurité sociale, ce qui explique l’explosion du déficit du régime général en 2010.
Aujourd’hui, il nous faut tenter de réparer les dégâts causés par la crise.
Par rapport à la situation de 2010, le PLFSS pour 2012 consacre un redressement sensible des comptes sociaux. Le déficit du régime général passerait de 23,9 milliards d’euros en 2010 à 13,9 milliards d’euros en 2012. L’amélioration est donc significative.
Elle est le fait des branches les plus importantes, à savoir la branche maladie et la branche vieillesse. Le déficit de cette dernière est en régression grâce à la montée en charge de la réforme des retraites adoptée en 2010. Nous soutenons la décision prise en conseil des ministres ce jour d’accélérer la mise en œuvre de cette réforme, en réduisant la période de transition au terme de laquelle doit être porté à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite.
Pour ce qui est de l’assurance maladie, nous ne pouvons que saluer le respect de l’ONDAM pour la deuxième année consécutive. Cette évolution crédibilise l’objectif d’un retour à l’équilibre de la branche en 2015.
Même la branche AT-MP, évidemment plus modeste, a renoué avec une trajectoire vertueuse, grâce à l’augmentation de la cotisation des entreprises. Nous nous en réjouissons.
Pour autant, j’en appelle encore une fois à relativiser ces chiffres.
Malgré tous nos efforts, nous ne sommes même pas parvenus à ramener le déficit social à son niveau de 2006. C’est dire si nous sommes encore loin d’avoir enrayé le seul déficit de crise, car le déficit conjoncturel est venu ajouter ses effets et masquer un déficit structurel qui continue de progresser.
La trajectoire de redressement est fragile, puisque totalement dépendante de la conjoncture. D’ailleurs, dès 2012, le contexte macroéconomique pèsera sur les comptes sociaux. L’hypothèse de croissance du PIB a été revue à 1,75 % alors que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 avait retenu un taux de 2,5 %. En conséquence, la croissance de la masse salariale devrait être de 3,7 %, au lieu des 4,5 % initialement envisagés. Sachant que chaque point de masse salariale représente 2 milliards d’euros de recettes pour la sécurité sociale, on ne peut qu’en tirer des conclusions alarmantes. En outre, le projet de budget que nous examinons aujourd’hui ne tient pas compte de l’annonce par le Président de la République d’une prévision de croissance du PIB de 1 % seulement en 2012.
Ce constat doit nous conduire à nous interroger très sérieusement sur le financement de la protection sociale. Tant que nous n’aurons pas le courage de poser cette question et d’y répondre de manière pertinente, toutes les réformes que nous mènerons ne pourront avoir qu’un effet limité.
La conviction du groupe Union centriste et républicaine est que le mode actuel de financement de la sécurité sociale est dépassé. Il est hérité d’une époque où régnait le plein emploi et où les pensions de retraite étaient versées pendant une durée plus courte.
Aujourd’hui, deux des quatre branches, les branches santé et famille, assurent une prestation universelle tout en continuant d’être financées sur un mode assurantiel. Non seulement cela met les comptes sociaux à la merci du premier retournement de conjoncture venu, mais, en plus, ce mode de financement pèse sur l’emploi et la compétitivité de notre pays.
Dans ces conditions, il apparaît évident que la logique d’un financement majoritairement assis sur le travail n’est plus tenable. Il faudra bien envisager un jour – et le plus tôt sera le mieux – de financer la santé et la branche famille par l’impôt et non par les salaires, l’assurance vieillesse et la branche AT-MP étant financées très logiquement par le travail.
Les sénateurs centristes sont, dans leur ensemble, plus que jamais convaincus de la nécessité de mettre en place la TVA sociale. Cette fiscalisation devra alors compenser à l’euro près les charges sociales pesant sur les entreprises.
Il me faut aborder, à ce stade de mon intervention, le très grave problème de la dette sociale accumulée, problème que le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale aggrave un peu plus.
La loi organique du 13 novembre 2010 relative à la gestion de la dette sociale a procédé au transfert de l’ACOSS vers la CADES d’une somme de 130 milliards d’euros de dette sociale accumulée. Il s’agit d’un quasi-doublement de la dette gérée par la caisse d’amortissement depuis sa création en 1996.
L’article 20 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 en rajoute : il transfère à la CADES les déficits comptables de la branche retraite du régime des non-salariés agricoles au titre des exercices 2009 et 2010.
Depuis toujours, cette branche est structurellement déficitaire. Mais, jusqu’à présent, le solde était assuré par l’État. En transférant ce déficit à la CADES, le PLFSS entérine une normalisation de ce régime par rapport à tous les autres régimes obligatoires de base. Il le fait à un prix difficilement acceptable, puisque ce transfert ne peut s’analyser que comme une nouvelle charge structurelle imposée aux générations futures.
C’est pourquoi nous défendrons deux amendements très symboliques : le premier tend à aligner sur le taux de droit commun le taux de la CSG assise sur les pensions de retraite pour les retraités payant l’impôt sur le revenu ; le second vise à lutter contre l’emballement de la dette sociale en relevant de 0,25 % le taux de la CRDS, afin que la durée de vie de la CADES puisse enfin être revue à la baisse.
Les emplois stratégiques, tels ceux qui relèvent du champ des services à la personne fragile, doivent aussi être soutenus et encouragés. C’est dans cet esprit que nous vous soumettrons de nouveau un amendement que j’avais déposé sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif.
Cet amendement tend principalement à faire rentrer les particuliers employeurs dans le droit commun en leur permettant de bénéficier des exonérations de cotisations dites « Fillon » sur les bas salaires, applicables à l’ensemble des autres employeurs.
Permettez-moi maintenant de dire quelques mots sur la branche santé et sur la branche AT-MP, sachant que, pour achever de présenter notre position branche par branche, mes collègues Gérard Roche, Jean-Marie Vanlerenberghe et Jean-Léonce Dupont interviendront au cours de l’examen des articles, respectivement sur les branches santé, vieillesse et famille.
Je formulerai cependant trois réflexions sur la branche santé.
J’ai parlé précédemment de réformes structurelles du financement de la sécurité sociale ; je vais maintenant évoquer une réforme structurelle touchant aux dépenses d’assurance maladie, celle de la prise en charge des affections de longue durée, les ALD.
Les ALD engendrent à elles seules plus de 60 % des dépenses de santé. Au titre de ce dispositif, 8 millions de personnes sont aujourd’hui prises en charge par l’assurance maladie à 100 %. En moyenne, les dépenses de remboursement annuelles pour un patient en ALD se situent entre 7 000 euros et 12 000 euros, contre moins de 2 000 euros pour un assuré ne relevant pas du dispositif des ALD.
Une réforme du système des ALD s’impose afin d’aboutir à la mise en place d’un dispositif plus efficace, sans pour autant réduire le niveau de protection garanti. Cet enjeu est d’autant plus important que, d’ici à 2015, 12 millions d’assurés pourraient être pris en charge au titre de ce dispositif et engendrer 70 % des dépenses d’assurance maladie.
Cette réforme est évoquée depuis plusieurs années par des autorités aussi diverses, autorisées et compétentes que la Caisse nationale d’assurance maladie, la Haute Autorité de santé, le Haut Conseil de la santé publique ou la Cour des comptes.
Dès 2007, la Haute Autorité de santé a publié un rapport qui jugeait le système des ALD inadapté et elle a plaidé pour une réforme d’ensemble rapide. Là encore, nous ne pouvons plus différer cet incontournable débat.
J’aimerais évoquer ensuite la question des mutuelles, lesquelles affichent aujourd’hui leur mécontentement.
M. Roland Courteau. C’est peu dire !
Mme Muguette Dini. L’origine de ce dernier se trouve dans la dernière loi de finances rectificative, qui a doublé le taux de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance, la TSCA, applicable aux contrats d’assurance maladie dits « solidaires et responsables ».
Les mutuelles arguent que, compte tenu de leurs résultats nets comptables, elles seront contraintes de répercuter ces mesures sur les cotisations.
Cet argument est contesté par le Gouvernement, qui assure, preuves chiffrées à l’appui, que les organismes d’assurance complémentaire, quels que soient leurs statuts, ont des réserves suffisantes pour prendre en charge ces mesures.
Nous sommes tout disposés à entendre les arguments des mutuelles. Mais, jusqu’à présent, elles n’ont pas fourni à la commission des affaires sociales des éléments chiffrés et détaillés à l’appui de leur position. Nous ne pouvons que regretter que le secteur des organismes complémentaires ne soit pas plus transparent et capable de fournir des informations détaillées au Parlement. Ce constat, la Cour des comptes l’avait, hélas, déjà dressé dans un rapport rendu public en juin 2008.
Faute d’une plus grande transparence des organismes complémentaires, il sera difficile d’avancer en confiance sur ces sujets. On peut se demander, à ce propos, ce qu’est devenu l’esprit mutualiste, en vertu duquel le revenu tiré des cotisations devait être réparti entre tous en fonction des besoins. On ne comprend pas bien pourquoi certaines mutuelles n’envisagent pas de répercuter l’augmentation de la TSCA, cependant que d’autres comptent le faire partiellement ou totalement. Y aurait-il des mutuelles mieux gérées que d’autres ?
Ma dernière réflexion relative à la santé portera sur le médicament.
Nous ne pouvons que saluer l’effort entrepris par le Gouvernement pour rationaliser et sécuriser le système du médicament. Cet effort s’est notamment traduit par l’élaboration du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, que le Sénat a adopté en première lecture le 20 octobre dernier. C’est dans la même optique que vous annoncez, madame la secrétaire d’État, une baisse des prix pour près de deux cents médicaments.
Je terminerai en évoquant la branche AT–MP.
Comme le souligne le rapport de notre collègue Jean-Pierre Godefroy, l’un des grands enjeux actuels, pour la branche, est de prendre sa part dans la compensation de la pénibilité.
La réforme des retraites de 2010 a mis en place un dispositif de compensation que nous jugions alors minimal. Notre intuition est aujourd’hui confirmée par deux éléments.
D’une part, le nombre des personnes effectivement concernées pourrait être très inférieur aux chiffres initialement annoncés par le Gouvernement.
M. Jean-Pierre Godefroy. Tout à fait !
Mme Muguette Dini. D’autre part, et c’est encore plus préoccupant – mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe reviendra sur cette question –, le cadre réglementaire qui se dessine pourrait encore restreindre le champ du dispositif.
Dans ces conditions, comme nous le disions déjà en 2010, il nous faudra revenir sur la question de la pénibilité et mettre en place un dispositif double d’aménagement des conditions de travail et de retraite anticipée fondé sur des critères médicaux objectifs.
En conclusion, le groupe Union centriste et républicaine sait reconnaître les progrès contenus dans le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale, ainsi que les jalons encourageants qu’il pose pour l’avenir, mais il appelle de ses vœux une fiscalisation rapide du financement des deux branches principales de la sécurité sociale.
C’est au vu des réponses qui seront apportées par le Gouvernement sur nos amendements que notre groupe prendra sa décision au moment de voter sur l’ensemble de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et sur certaines travées de l’UMP. – M. Jean Desessard applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le temps de dresser le bilan de la politique du Gouvernement est venu.
Nous commençons aujourd’hui l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale de la mandature. Nous allons donc à la fois discuter des dernières propositions de ce gouvernement en matière de protection sociale et mettre en perspective le bilan de sa politique.
Pour ce faire, un rapide retour en arrière nous permettra de considérer les ambitions d’hier, voire les promesses,…
M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales pour le secteur médicosocial. Et elles ont été nombreuses !
Mme Claire-Lise Campion. … au regard de la réalité des faits. Chacun se souvient que, PLFSS après PLFSS, le Gouvernement annonçait que nous allions renouer avec la situation qui prévalait en 2002, à savoir l’équilibre de nos comptes sociaux.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Claire-Lise Campion. Cet objectif devait même être atteint dès 2008 ; il a été repoussé à 2010, puis à 2012. Nous y sommes, et l’équilibre est toujours introuvable…
Certes, la crise affecte nécessairement nos comptes sociaux. Ce fut le cas en 2008, c’est encore le cas avec la crise actuelle, d’une tout autre ampleur. Mécaniquement, et à périmètre constant, le volume des recettes se contracte, c’est un fait.
Mais il en est un autre, souligné par la Cour des comptes, qui tient en deux chiffres : le déficit actuel est pour 40 % conjoncturel et pour 60 % structurel. Je paraphraserai donc notre ancien collègue Dominique Leclerc, qui écrivait, en 2009, dans son rapport : « Pour autant, la crise ne doit pas servir d’alibi pour masquer la réalité […]. »
Madame la secrétaire d’État, affirmer que « les déficits permanents appartiennent au passé, qu’en 2012 [le Gouvernement] ramènera le déficit public à 4,5 % de notre richesse nationale, puis à 3 % en 2013 et 2 % en 2014, et ce quelles que soient les évolutions de la conjoncture économique », ne vaut certainement pas engagement.
En revanche, nous pouvons être d’accord avec vous sur un point : vous avez « une responsabilité historique ». Mais cette dernière est établie depuis bien longtemps. Où en est-on exactement ? En d’autres termes, que laisserez-vous en héritage et quelles perspectives s’offrent à notre pays ?
M. Roland Courteau. Bonne question !
Mme Claire-Lise Campion. Pour répondre à cette question, je centrerai mon propos sur les grands équilibres et sur l’assurance maladie.
Les grands équilibres et leur évolution constituent l’illustration arithmétique de votre politique, de votre héritage, et donc de celui de tous nos concitoyens. Cela est parfaitement retracé dans les articles 1er à 4 du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Sans entrer dans les détails, je constate que le déficit du régime général, qui s’était stabilisé autour de 11 milliards d’euros entre 2004 et 2008, a depuis doublé.
Aujourd’hui, le total des déficits cumulés atteint près de 120 milliards d’euros. À cet égard, notre commission estime à juste titre que cette situation « constitue une menace avérée pour la survie même du système de protection sociale ». En effet, le socle d’endettement annuel de 20 milliards d’euros est insoutenable. Cette stratification suscite mécaniquement une hausse de l’endettement social. Elle contraint à la mobilisation croissante de sommes importantes, lesquelles font défaut pour assurer l’équilibre des comptes actuels. L’effet démultiplicateur est encore accentué par l’usage que vous avez fait de la Caisse d’amortissement de la dette sociale, qui, depuis sa création, a porté 199,9 milliards d’euros de dette. À ce jour, elle a pour mission de porter 272,3 milliards d’euros, soit dix fois plus qu’à son origine. En cette fin d’année, elle doit amortir plus de 140 milliards d’euros.
Mais ce n’est pas tout ! La dette sociale est aussi composée des déficits cumulés que la CADES ne reprend pas. Ils figurent au bilan de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS. Sous le poids des déficits croissants, et faute de réorientation politique, vous avez été contraints de porter le plafond d’emprunt de cette agence à 21 milliards d’euros, somme qui, à défaut de reprise des déficits des branches maladie et famille, devrait atteindre 29 milliards d’euros dès 2013.
Enfin, j’ajoute que, dans le contexte actuel, une réelle incertitude existe quant à l’évolution à venir des taux d’intérêt. Or, cette évolution conditionne une part non négligeable de notre endettement, qu’elle risque d’alourdir encore un peu plus.
Le Président de la République a déclaré récemment qu’il ne laisserait pas notre endettement peser sur les générations futures. C’est pourtant ce que vous avez fait pendant cette mandature !
En ce qui concerne la branche maladie, je souhaite faire un constat préalable, emblématique de votre bilan.
Nous considérons tous que l’égalité d’accès aux soins est un objectif fondateur de toute politique publique guidée par des considérations d’équité sociale et de santé publique. Depuis 1992, le taux de renoncement à des soins pour des raisons financières est mesuré par l’Institut de recherche et documentation en économie de santé, l’IRDES, dans son rapport sur la santé et la protection sociale. Les comptes nationaux de la santé en 2010 en ont repris les résultats et observent que « le taux de renoncement à des soins pour des raisons financières en population générale augmente entre 1998 et 2000. Il chute ensuite fortement de 2000 à 2002. Depuis, il semble en augmentation et est quasiment revenu en 2008 à son niveau de 2000. »
Quatre ans ont passé depuis, et 23 % de nos concitoyens renoncent à se soigner, ou en diffère le moment, pour des raisons budgétaires.
M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales pour le secteur médico-social. Triste réalité !
Mme Claire-Lise Campion. La situation est d’autant plus grave que les personnes concernées cumulent les vulnérabilités sociales.
Considérer la branche maladie à travers ce prisme me semble pertinent à plus d’un titre. Cela met en évidence le fait que votre politique de déremboursement massif et continu, d’augmentation du ticket modérateur, d’instauration de franchises ou du forfait de 30 euros pour les bénéficiaires de l’aide médicale de l’État, l’AME, conjuguée aux réductions drastiques de prise en charge, a contracté l’accès aux soins, fait exploser les inégalités et précarisé nombre de nos concitoyens.
M. Roland Courteau. Autre triste réalité !
Mme Claire-Lise Campion. Il suffit de se rendre dans un centre d’accueil de soins et d’orientation ou dans les locaux d’une association humanitaire pour s’en rendre compte. Désormais, ce sont des travailleurs pauvres, des retraités pauvres qui font appel à ces structures, lesquelles suppléent l’État dans ses missions ! Comment en irait-il différemment quand le tableau alarmant dressé par l’INSEE pour 2009 fait apparaître que notre pays comptait cette année-là 8,2 millions de « pauvres », contre 7,8 millions l’année précédente, d’autant que nous avons tous bien conscience que la situation a encore empiré depuis ?
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Claire-Lise Campion. Vous ne protégez pas nos concitoyens comme le commande la Constitution.
Mme la ministre a qualifié ce budget de « budget du rétablissement en marche ». Devons-nous comprendre que les neufs budgets précédents n’avaient pas cette ambition ?
M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales pour le secteur médico-social. Bonne question !
Mme Claire-Lise Campion. Affirmer que ce PLFSS se situe dans le prolongement de la politique que vous menez depuis dix ans est une lapalissade. Comme l’écrit le rapporteur général de la commission des affaires sociales, ce PLFSS « n’engage pas de modifications profondes du système de santé ». En effet, l’ONDAM pour les soins de ville et pour les établissements de santé, fixé à 2,7 %, reste incertain.
Par ailleurs, le relèvement du plafond de ressources pour le bénéfice de la complémentaire santé constitue une reconnaissance officielle des difficultés croissantes rencontrées par la population pour accéder aux soins. Pour autant, ce relèvement est loin de correspondre à celui du seuil de pauvreté.
L’inégale répartition territoriale des médecins est un frein en matière d’égalité d’accès aux soins. Chaque année, le Gouvernement nous annonce que des solutions à ce problème récurrent vont être proposées. Mais, jusqu’à présent, rien – ou si peu – n’a été fait.
M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales pour le secteur médico-social. Comme d’habitude !
Mme Claire-Lise Campion. À l’instar de la convention médicale, signée le 26 juillet, vous demeurez en retrait sur cette question. Et que dire de la création forcée d’un secteur optionnel en guise de réponse à la problématique des dépassements d’honoraires et de leur doublement en vingt ans ?
M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales pour le secteur médico-social. Parlons-en !
Mme Claire-Lise Campion. Plutôt que d’adopter une approche nécessairement globale centrée sur les généralistes relevant du secteur 1, vous allez favoriser des spécialistes relevant du secteur 2, sans mettre sous contrainte ceux qui pratiquent des dépassements d’honoraires excessifs. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Par là même, vous conforterez aussi le déficit existant.
M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales pour le secteur médico-social. C’est évident !
M. Roland Courteau. Et voilà !
Mme Claire-Lise Campion. Comment ne pas évoquer la taxation à 7 % des contrats de mutuelle complémentaire santé « responsables » ? Parce que le tarif est un facteur déterminant dans le choix de nos compatriotes d’y souscrire ou non, votre décision va fragiliser encore l’accès aux soins.
La commission propose de maintenir le niveau de taxation à 3,5 % et de supprimer les franchises sur les médicaments. En effet, cette fiscalisation comportementale n’a eu d’incidence que sur la consommation de ceux de nos concitoyens qui vivent dans la plus grande précarité, ce qui est tout à fait injuste. Cette logique est aussi à l’œuvre lorsque vous entendez abaisser le niveau des indemnités journalières pour maladie afin d’économiser 220 millions d’euros.