M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. D’où tenez-vous cette information ?
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. … et les montagnards du djebel Nefoussa. Il faudra tenir compte des idéologues de Darnah, adeptes de la charia, lors des négociations à venir : la situation sera à haut risque pour nous !
Le dernier point délicat a trait à la puissance militaire de Kadhafi. Tous les fabricants d’armes de la planète, à commencer par ceux de notre pays, ont rempli les arsenaux que nos frappes aériennes s’efforcent maintenant d’anéantir, mais Kadhafi a des réserves d’armes et des troupes aguerries pour les utiliser.
M. François Marc. Très juste !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Nous avons réellement sous-estimé ses forces politiques et militaires, et la guerre éclair s’est transformée en guerre d’usure.
Que faire, maintenant ? Sur ce point, j’affirmerai mon désaccord avec mes collègues et amis du groupe CRC-SPG. Déserter et laisser les insurgés seuls face à la garde prétorienne, face aux mercenaires et aux tribus fidèles à Kadhafi serait condamner à une répression violente, dont nous avons préservé Benghazi au mois de mars, une population plus nombreuse encore ; ce serait relancer une vague d’exode vers l’Égypte et la Tunisie ; ce serait tuer tout espoir de réussite pour les révolutions tunisienne et égyptienne en cours ; ce serait placer, à terme, tout le Sahel sous la coupe de Kadhafi.
« La géographie, cela sert d’abord à faire la guerre », disait Yves Lacoste. Sur ce théâtre géopolitique, la carte est très lisible.
Regardons vers l’ouest et vers l’est : la Libye, située entre la Tunisie et l’Égypte, ne doit pas retrouver sa capacité de déstabiliser ses deux voisins, ce qu’elle a souvent fait dans le passé. Dans ces deux pays, le processus de reconstruction institutionnel, social et économique sera long, difficile, il devra affronter de graves menaces intérieures. Que ne s’y ajoutent pas la menace extérieure ni des réfugiés par centaines de milliers !
Regardons vers le sud : depuis quarante ans, Kadhafi mène des politiques de déstabilisation, tantôt au Tchad, tantôt au Niger ; le Mali est atteint, le Burkina Faso aussi. Cette déstabilisation est politique et culturelle : elle tend à délégitimer l’islam africain au profit d’un catéchisme islamiste fort éloigné de la sunna ; elle met en péril des gouvernements, tels que ceux du Mali ou du Niger, qui s’orientent vers l’État de droit.
Enfin, regardons de notre côté, vers le nord, car ces pays du sud de la Méditerranée sont nos proches voisins : nous sommes liés par l’histoire, même quand elle a été conflictuelle ; nous sommes liés par la curiosité réciproque, les échanges humains, en dépit du mur derrière lequel l’Union européenne se barricade ; nous sommes liés par la langue et la culture. La jeunesse du sud de la Méditerranée constitue la réserve démographique d’une Europe vieillissante. Ces migrants illégaux que le Gouvernement traite aujourd’hui comme des délinquants seront notre avenir dans vingt ans, et encore plus celui de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, en pleine débâcle démographique. (Murmures désapprobateurs sur les travées de l’UMP.)
Alors, quelle sortie de crise ? L’objectif de la guerre, protéger les populations civiles, ne peut être atteint si Kadhafi reste au pouvoir, il n’y a pas d’illusions à se faire. Nous voudrions que, sur ce point, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, la France parle d’une seule voix. Cet objectif peut-il être atteint ? Beaucoup ne dépend pas de nous, beaucoup dépend des défections dans le camp de Kadhafi, beaucoup dépend du renforcement militaire de l’insurrection et de la poursuite de frappes efficaces, sans atteintes à la population civile.
La participation de la France, qui réalise, à elle seule, le tiers des frappes au sol, doit donc, de notre point de vue, se poursuivre, car cesser cet appui à l’insurrection serait offrir à Kadhafi et à ses fils encore quarante ans de dictature. Cette intervention demande un effort énorme à nos soldats, engagés sur le théâtre d’opérations sans périodes suffisantes de repos. Toutefois, elle n’a de sens que si des négociations, directes et indirectes, offrent à toutes les parties en présence la capacité de se parler : il n’y a pas que le CNT, d’un côté, et Kadhafi, de l’autre, la situation est bien plus complexe et plus difficile.
Nous sommes intervenus dans une guerre civile entre Libyens, en faveur de la partie que le Gouvernement a estimé être le partenaire politique et économique le plus fiable, mais ayons conscience que la poursuite de la participation de la France recèle le danger d’« attiser » la guerre civile en confortant finalement le CNT dans une attitude jusqu’au-boutiste. Or il faut à tout prix s’attacher à garantir aux Libyens la continuité de leur vie nationale : la France doit peser pour que la Cyrénaïque ne fasse pas sécession et l’après-Kadhafi supposera un fort appui aux différentes composantes du peuple libyen, pour garantir la sécurité publique et trouver de nouvelles structures étatiques propices à la réconciliation nationale.
Le temps presse, la prolongation de l’intervention armée n’a de sens et de chance de succès que dans la mesure où, sous cette pression, les démarches diplomatiques en cours aboutissent. C’est pourquoi un débat d’évaluation s’impose, à nos yeux, et dans un délai restreint.
Monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je le répéterai après le président de notre groupe, notre vote favorable à la prolongation de l’intervention des forces françaises s’inscrit dans la ligne de notre soutien initial à la résolution 1973, mais il n’est pas un blanc-seing donné à votre politique à venir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour le groupe RDSE.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre d’État, vous avez déclaré au Sénat, le 22 mars dernier : « Nous ne voulons pas nous engager dans une action de longue durée. L’opération aérienne sera limitée dans le temps. »
M. Jean-Pierre Chevènement. L’opinion publique a d’abord approuvé cette action destinée à protéger des populations agressées par les armes de leurs propres dirigeants.
Il ne s’agissait pas d’ingérence humanitaire. Non ! L’ingérence, c’est-à-dire l’action unilatérale déclenchée par un groupe de pays, à leur discrétion, en fonction de valeurs qu’ils affichent, qui leur sont propres, prétendument universelles, a en effet été bannie, rejetée expressément par les Nations unies dans une succession de textes que la France a régulièrement votés.
Je précise que le talentueux ministre français qui s’est, en son temps, proclamé le champion de ce qu’il appelait le « droit » ou le « devoir d’ingérence » a, par deux fois, dans un bref communiqué commun signé avec la Chine, au printemps 2009, réaffirmé le respect par notre pays du principe de « non-ingérence »…(Sourires.)
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. En effet, on peut se poser la question !
M. Jean-Pierre Chevènement. Vous avez, je crois, fort bien compris de qui je parlais !
Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, ce qui s’est passé en mars 2011 – je le fais observer au passage à Mme Michelle Demessine –, c’est la mise en œuvre d’un principe consacré par les Nations unies, par le droit international, celui de la « responsabilité de protéger ». Ce principe, tel qu’il a été consacré par l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2005, lors de son sommet du soixante-cinquième anniversaire, est plus précis et codifié.
Lorsqu’il existe, venant d’un gouvernement, des menaces particulièrement graves de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, d’épurations ethniques ou de génocides, tout doit être fait, par des moyens pacifiques, pour convaincre les autorités coupables de renoncer, mais, en cas d’échec, le recours à la force est permis, à la suite non pas d’un choix unilatéral d’un pays quelconque, mais d’une décision collective unanime ou prise à la majorité du Conseil de sécurité. Il faut donc l’accord de ce dernier, contrairement à ce qui s’est passé lors de l’action de l’OTAN contre le Kosovo, en 1999.
C’est cette voie difficile du recours au Conseil de sécurité qui a été choisie au printemps. Il y a eu alors cinq abstentions.
Le but de l’opération est la protection de la population ; ce n’est pas le changement de régime ! Je le fais observer à tous nos collègues qui s’apprêtent à voter pour l’autorisation de la poursuite des opérations. L’expérience a prouvé qu’il était possible de faire reculer des gouvernements – rappelons-nous de Milosevic en 1999, et même en 1995 – sans provoquer leur élimination dans l’immédiat.
M. Jean-Pierre Chevènement. Mais vous avez changé les buts de guerre !
Quatre mois se sont écoulés depuis l’engagement des opérations et s’est vérifié l’adage, que je vous avais cité le 22 mars dernier : « On sait comment on commence une guerre. On sait rarement comment on la termine. »
Le courage et le professionnalisme de nos soldats méritent pleinement d’être salués, et plusieurs orateurs l’ont fait avant moi. Mais être solidaire de nos soldats n’implique pas la solidarité du Parlement avec le Gouvernement, auquel les militaires obéissent par nécessité.
Mme Michelle Demessine. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Chevènement. Les parlementaires, pour ce qui les concerne, n’ont de comptes à rendre qu’au peuple français.
Or, je le répète, vous avez fait évoluer les buts de guerre.
M. le Premier ministre avait déclaré, le 22 mars, dans notre enceinte : « Nous appliquons toute la résolution 1973 et rien que la résolution 1973 ! »
En fait, nous sommes passés de cette déclaration à une autre, datant du 15 avril, de M. le Président de la République, cette fois, selon laquelle l’objectif serait l’élimination du colonel Kadhafi. Il est vrai que cette déclaration a été faite conjointement avec MM. Obama et Cameron.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas une raison !
M. Jean-Pierre Chevènement. Mais ce n’est pas ce que vous aviez déclaré au début, monsieur le ministre d’État !
Le 22 mars, vous vous exprimiez ainsi : « Il est possible à tout moment au régime de Kadhafi d’arrêter l’intervention militaire organisée sous mandat des Nations unies : il lui suffit d’accepter la résolution 1973, c’est-à-dire de respecter un cessez-le-feu, de retirer ses troupes des positions qu’elles occupent, de laisser les Libyens s’exprimer librement. Dans la minute où le régime de Kadhafi respectera les obligations résultant de la résolution 1973, les opérations militaires cesseront. »
M. Jean-Pierre Chevènement. Quelle est aujourd’hui la situation ?
Des populations ont effectivement été protégées. Chacun s’en réjouit. Mais les combats se poursuivent !
Malgré toutes les précautions prises, les opérations de bombardement menées par l’OTAN, en dépit de nos réserves initiales, entraînent inéluctablement des pertes civiles. Ce résultat est évidemment contraire au principe rappelé dans son préambule par la résolution 1973, selon lequel « il incombe au premier chef aux parties à tout conflit armé de prendre toutes les mesures nécessaires voulues pour assurer la protection des civils. »
Je me permets d’insister sur l’expression « aux parties à tout conflit armé », car elle désigne donc tous les intervenants, qu’ils soient Libyens ou faisant partie des forces de l’OTAN.
En exigeant le départ de Kadhafi, en le faisant inculper par la Cour pénale internationale, en parachutant des armes aux rebelles, vous avez bien changé la nature de l’intervention. Nous sommes passés de la « responsabilité de protéger » les civils à l’ingérence, si tant est que les mots aient un sens.
M. Bruno Sido. Je suis déçu. J’attendais mieux de vous, monsieur Chevènement !
M. Jean-Pierre Chevènement. L’objectif d’un changement de régime n’est pas dans la résolution 1973, mais il s’inscrit, depuis le début du printemps arabe, dans l’air du temps, tel que le comprennent beaucoup de dirigeants occidentaux.
Force est, cependant, de rappeler que l’évolution vers la démocratie ne peut se faire de la même manière dans tous les pays. Ce qui est concevable pour de vieilles nations, comme la Tunisie et l’Égypte, ne l’est pas partout.
La révolution démocratique s’opère beaucoup plus difficilement, malheureusement, là où les divisions d’opinion se superposent à des fractures tribales ou confessionnelles, comme au Yémen, à Bahreïn, en Syrie, au Liban ou en Libye.
En chacun de ces pays, la guerre civile menace et l’intervention militaire extérieure ne peut qu’exacerber certaines tensions ou aller, en raison du nombre de victimes qu’elle peut occasionner, à l’encontre du but recherché, qui est de protéger tous les civils, sans exception.
La France, je le rappelle, est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle dispose, à ce titre, d’une influence importante.
On peut bien sût interpréter à loisir la résolution 1973, dont les termes sont sans doute trop généraux. Mais est-ce l’intérêt de la France ? La souveraineté nationale a été une conquête de la Révolution de 1789. Elle reste la base de l’ordre international. Ce n’est pas pour rien que l’on parle d’« Organisation » des Nations unies !
La Libye est un État fragile, aux prégnances tribales encore fortes – je ne m’étendrai pas sur ce point. Toute guerre est déstabilisatrice, à plus forte raison si elle se prolonge. La dissémination des armes, notamment dans le Sahel, ne peut que favoriser les activités terroristes. On a ainsi découvert des missiles SAM-7 au Niger…
Par ailleurs, l’afflux des réfugiés, le retour des migrants installés en Libye, fragilisent les États voisins. On évalue à 470 000 le nombre de réfugiés qui s’entassent à la frontière tuniso-libyenne. À proportion des populations, c’est comme si la France devait accueillir 3 millions de réfugiés sur son sol !
Qu’a fait la France, face à ce drame humain ? Elle a proposé de revoir les accords de Schengen… Plus de 1 000 réfugiés au moins ont péri noyés au large de l’île de Lampedusa, dans l’indifférence générale.
On attend de la France une attitude moins myope, dirais-je, et en tout cas plus généreuse. Partout, le désordre et l’anomie menacent. Ils ne sont dans l’intérêt de personne, et surtout pas du nôtre.
Nous devons donc faire respecter, partout, la souveraineté des nations, sous réserve de cette notion de « responsabilité de protéger » qu’une interprétation extensive de la résolution 1973 ne pourrait qu’affaiblir.
Quand donc le Conseil de sécurité acceptera-t-il d’y recourir sans que l’un de ses membres permanents y fasse obstacle par l’usage de son droit de veto ?
La France doit rester le soldat du droit !
M. Bernard Vera. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Il était nécessaire de donner un coup d’arrêt à Benghazi et devant Misratah, mais ne faudrait-il pas maintenant favoriser les négociations entre les deux parties, plutôt que de nourrir une guerre civile par des parachutages d’armes ?
En réalité, vous vous êtes donné un objectif dont la résolution 1973, qui proscrit l’utilisation des forces au sol, ne vous donnait pas les moyens militaires, car l’arme aérienne ne peut pas tout.
On peut le regretter, mais tout montre que vous avez surestimé la capacité d’influence du Conseil national de transition et sous-estimé la capacité de résistance du régime du colonel Kadhafi. Celui-ci n’est certainement pas sympathique, mais le régime syrien l’est-il davantage ?
D’ores et déjà, et contrairement à ce qu’a indiqué M. le Premier ministre, vous vous engagez dans la voie d’un droit international à plusieurs vitesses.
Je sais très bien que vous n’interviendrez pas en Syrie, pour plusieurs raisons que M. le ministre de la défense a rappelées. « Nous sommes au taquet de nos engagements », a-t-il ainsi déclaré. Les États-Unis n’ont nulle envie d’ouvrir de nouveaux fronts. Le président Obama n’a jamais envisagé qu’un soutien limité et la Chambre des représentants, où les Républicains sont majoritaires, vient de demander la fin de tout engagement américain en Libye même.
J’avais relevé, le 22 mars dernier, un « léger parfum d’aventurisme » dans votre politique, après l’intervention d’un pseudo-philosophe, théoricien de longue date du droit d’ingérence, qui a, semble-t-il, pesé dans les choix du Président de la République.
M. Didier Boulaud. Nostradamus aussi ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Mais peut-être la décision d’intervenir en Libye servait-elle aussi de rattrapage pour faire oublier un certain « retard à l’allumage » en Tunisie !
Il est maintenant temps de trouver une solution politique, fédérale par exemple, sous réserve que soient préservées l’intégrité et l’unité du pays. C’est aux Libyens d’en décider. Chaque peuple doit trouver son propre chemin vers la démocratie. Il faudrait convaincre les responsables du Conseil national de transition, qui seront reçus demain par le Conseil de l’OTAN, que cette organisation ne peut se substituer au peuple libyen.
Bien évidemment, le départ du colonel Kadhafi serait bienvenu, pourvu, bien sûr, que ne lui succède pas aussitôt un régime de vengeance, d’exactions ou d’instabilité, comme la situation au Kosovo n’est pas loin d’en offrir le triste exemple. Le « groupe de contact » devrait œuvrer en faveur d’un redoublement des efforts diplomatiques, afin de trouver une voie négociée.
L’affaire du Kosovo s’est conclue – je le rappelle – non par la victoire écrasante des forces de l’OTAN, mais par un accord, favorisé par l’entremise de la Russie.
Dans le cas de la Libye, plusieurs médiations sont en cours, notamment du côté de la Ligue arabe, mais également du premier ministre tunisien ou de l’Union africaine, qui a désigné un envoyé spécial pour apporter une solution durable et pacifique à la crise. Il semble même que des contacts directs aient été pris entre le Conseil national de transition et le régime de Tripoli : il ne faudrait pas que l’Union européenne et le gouvernement français les dissuadent.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, quels sont les développements et les possibles conclusions des contacts qui ont été pris ? (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)
Pouvons-nous, en tout cas, ignorer les efforts faits et nous en tenir à la seule option militaire ? Devons-nous, au contraire, les encourager ?
Soyons logiques avec nous-mêmes ! Nous parlons beaucoup des cinq pays candidats à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Or ce sont justement eux qui se sont abstenus !
Écoutons-les ! Demandons-leur ce qu’ils proposent, s’ils font quelque chose pour convaincre le gouvernement libyen de changer, de s’effacer pacifiquement. Nous verrons alors si nous devons tirer la conclusion qu’ils ne se soucient pas vraiment de ce principe, pourtant universellement réclamé, de la « responsabilité de protéger ».
Il est temps d’arriver à la conclusion de cette opération. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
Pour ce qui me concerne, je ne peux l’approuver, car nous avons franchi les bornes de la « responsabilité de protéger ». Nous sommes dans l’ingérence, même si l’on peut ratiociner à l’infini sur l’interprétation de la résolution 1973.
Néanmoins, je ne veux pas émettre un vote qui pourrait être interprété comme un désaveu de ceux qui luttent pour la démocratie dans le monde arabe et pour la liberté de leur peuple. J’exprimerai donc mes très fortes réserves par une abstention, qui se veut aussi un appel au Gouvernement pour qu’il trouve rapidement à ce conflit une solution politique conforme à l’intérêt de la France. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe RDSE.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce que l’enthousiasme de la population pour la révolution, si intense fût-il, n’a pas suffi à triompher de la supériorité militaire et du jusqu’au-boutisme de Kadhafi, il était urgent que la communauté internationale se mobilise. Elle l’a fait au titre du principe de la « responsabilité de protéger ».
À cet égard, je voudrais d’abord saluer non seulement la détermination du gouvernement français, mais aussi le volontarisme du premier ministre britannique : ces deux attitudes ont permis de dépasser les tergiversations des uns et des autres, et ce ne fut pas facile.
Le débat d’aujourd'hui en est l’illustration, la décision à prendre est forcément complexe, il faut peser le pour et le contre. Même si tout se passe bien, on sait à quel point la suite des événements sera difficile.
Je veux à cet égard souligner combien j’ai trouvé à la fois passionnante et pertinente l’analyse qu’a faite, tout à l’heure, notre collègue Monique Cerisier-ben Guiga : parce qu’elle connaît bien la situation, elle a su en montrer toute la complexité et faire comprendre toute la difficulté qu’il y a, à un moment donné, à décider ; cela ne l’a pas empêchée de s’engager dans une démarche de soutien.
Je salue cette capacité à assumer ses responsabilités dont fait montre la France, car c’est grâce à une telle attitude que l’on parvient, par la suite, à entraîner dans son sillage les pays qui, nous l’avons constaté, peuvent hésiter.
Nous avons, bien sûr, été confrontés à la position fragile de la Ligue arabe, aux réserves exprimées par les Allemands, les Russes, les Chinois. Les discussions ont été nombreuses. Des orateurs de diverses sensibilités politiques l’ont fait remarquer, mais je veux le dire à mon tour : sans tous ces efforts diplomatiques, les forces loyalistes, stationnées à l’époque aux portes de Benghazi, auraient déclenché le « bain de sang » promis par le clan Kadhafi.
En cette fin de débat, mes chers collègues, je rappellerai très brièvement les trois éléments qui m’amènent à voter, comme beaucoup d’entre nous, la prolongation de notre intervention en Libye.
Premièrement, tant que le conflit dure, c’est que l’objectif de la résolution 1973, à savoir la protection de la population civile, n’est pas encore totalement atteint. Nous avons pris la responsabilité d’aider les Libyens à se soustraire à un régime autoritaire. Ce n’est pas pour les abandonner aujourd'hui, alors que les rebelles progressent sur le terrain.
Deuxièmement, et ce n’est pas le moindre argument pour plaider en faveur de la continuité de l’intervention des forces françaises, après des semaines d’incertitudes, qui ont laissé craindre un enlisement, nous observons de nouveau une avancée des rebelles vers Tripoli. La politique de frappes aériennes conduite par l’OTAN, conjuguée au courage des insurgés, a fini par payer en faisant sauter plusieurs verrous stratégiques. À ce stade, la sécurisation de la Cyrénaïque et l’avancée en Tripolitaine pourraient permettre, nous l’espérons tous, de fédérer l'ensemble de ceux qui, aujourd'hui, luttent sur le terrain.
Troisièmement, enfin, sur le front diplomatique, la légitimité de la rébellion libyenne n’a cessé de croître.
La Chine, qui s’était abstenue, a reconnu, le 22 juin dernier, le Conseil national de transition comme un « interlocuteur important ».
L’Allemagne, après avoir privilégié une posture que de nombreux intervenants ont rappelée, a récemment répondu favorablement à la demande de l’OTAN s’agissant de la fourniture de matériels militaires.
Mes chers collègues, l’isolement croissant de Kadhafi sur la scène internationale démontre toute la pertinence de cette opération.
Par conséquent, pour ne pas répéter ce qui a été fort bien dit par les uns et les autres, et pour que nous puissions rester attentifs jusqu’au terme de ce débat intéressant et fort utile, je conclurai en insistant sur l’importance de voter la prolongation de l’intervention des forces françaises en Libye, car notre action, combinée à celle de nos alliées, pourrait être décisive dans les prochaines semaines. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre aux différents intervenants, je me tourne d’abord vers M. Ralite pour lui assurer que nous allons de nouveau insister, comme nous le faisons depuis longtemps, il le sait bien, d’ailleurs, auprès des autorités autrichiennes et serbes pour que le général Divjak puisse recouvrer une liberté totale.
M. Guy Fischer. Merci, monsieur le ministre.
M. Alain Juppé, ministre d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer à mon tour le courage et la compétence de nos militaires partout où ils sont engagés en opérations extérieures, notamment en Afghanistan ou en Libye.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Alain Juppé, ministre d'État. J’associe à cet hommage nos diplomates : Bernard Bajolet et ses collaborateurs, à Kaboul, Antoine Sivan et sa petite équipe, à Benghazi, ainsi que notre ambassadeur en Syrie, à qui j’apporte tout notre soutien.
M. Jean-Claude Gaudin. Bravo !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Le Conseil de sécurité des Nations unies vient d’ailleurs d’adopter une déclaration de presse pour protester contre les attaques inacceptables perpétrées sur l’ambassade de France à Damas. (Applaudissements sur les travées de l’UMP ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste, du RDSE et du groupe socialiste.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai été particulièrement attentif à l’intervention du président Josselin de Rohan, qui a parfaitement expliqué la logique de notre intervention en Libye. Je veux lui dire en cet instant combien j’ai été heureux de travailler avec lui, et combien son action à la présidence de la commission des affaires étrangères du Sénat a été positive. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. Jean-Marie Bockel et Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudissent également.)