M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. Nous n’en avons pas pour autant donné de blanc-seing au Gouvernement pour son action, vous n’attendiez d’ailleurs pas cela de nous.

En effet, de nombreuses questions restent posées. Certaines ont été soulevées lors de notre dernier débat ; d’autres l’ont été à l’occasion de nos réunions de commissions ; mais la plupart attendent encore des réponses satisfaisantes.

M. Jean-Pierre Bel. La première série de questions concerne le diagnostic précis sur l’état des opérations militaires, un point que vous avez évoqué tout à l’heure, monsieur le Premier ministre. Force est de constater que nous ne disposons à ce sujet que d’éléments parcellaires. Nous souhaiterions être tenus davantage informés. Pouvez-vous nous en dire plus, en insistant notamment sur ce qui se passe au sol en Libye ?

Par ailleurs, cette opération a démontré, s’il en était besoin, les limites actuelles de l’équipement de nos forces, notamment pour ce qui est des ravitailleurs, des drones, voire de certaines munitions. Elle prouve aussi notre difficulté à nous projeter simultanément sur plusieurs théâtres d’opérations. Que pensez-vous de l’état de l’outil militaire et de sa capacité à honorer les importantes missions qui lui incombent en matière de défense nationale ?

La deuxième série de questions concerne le pilotage politique de l’opération.

En premier lieu, comment analyser le positionnement de la Ligue arabe ? Son implication est essentielle pour l’issue du dossier. Elle conditionne en particulier, vous le savez bien, la manière dont seront ressenties par les populations, sur le terrain, les opérations en cours. Que la Ligue arabe adhère à l’opération et joue pleinement le jeu, et il sera très difficile d’accuser la communauté internationale d’un quelconque interventionnisme. Que, au contraire, il y ait du flottement, et la volonté louable de porter assistance à un peuple en danger pourrait être dénoncée comme une méconnaissance déguisée de la souveraineté de la Libye, voire comme une ingérence indue dans les affaires de l’Orient.

La Ligue arabe avait elle-même demandé, le 12 mars dernier, une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye, ainsi que le rappelle d’ailleurs expressément la résolution 1973. Quelle est sa stratégie aujourd’hui ?

La même question, avec des implications similaires, doit naturellement être posée, comme vous l’avez fait, monsieur le Premier ministre, concernant l’Union africaine, qui semble chaque jour plus critique à l’égard des opérations en cours.

M. Jean-Pierre Bel. Concernant toujours le pilotage politique des opérations, se pose naturellement la question de la cohérence européenne et de la pertinence de notre positionnement dans l’OTAN.

L’Europe, nous le voyons chaque jour depuis le début des opérations, n’a pas réussi à parler d’une seule voix. Dès le vote de la résolution au Conseil de sécurité, nos amis allemands ont décidé de s’abstenir. Et, d’une manière générale, l’absence d’Europe diplomatique et d’Europe de la défense est apparue cruellement au cours des derniers mois.

Surtout, l’affaire libyenne démontre, si besoin en était, les limites de la réintégration au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN décidée par le Président de la République.

M. Didier Boulaud. Absolument !

M. Jean-Pierre Bel. En effet, pouvez-vous nous garantir, au vu des mois écoulés et de la situation présente, que notre pays est souverain dans ses choix militaires en Libye ? Sommes-nous assurés de prendre pleinement part, à chaque instant, aux décisions qui concernent l’engagement de nos moyens militaires et humains en Libye ?

En un mot comme en mille, disposons-nous d’une réelle marge de manœuvre stratégique dans le cadre du commandement actuel ?

M. Louis Mermaz. C’est une vraie question !

M. Jean-Pierre Bel. Une troisième série de questions se rapporte aux objectifs stratégiques de notre action.

Ici encore, la question est posée depuis le début : voulons nous renverser le pouvoir en place avec, pour objectif, un changement de régime ? L’objectif est-il d’installer un gouvernement issu, d’une manière ou d’une autre, du Conseil national de transition de Benghazi ? Ou bien une mise sous tutelle internationale de la Libye est-elle envisagée ?

Le mandat des troupes doit être affiché de manière claire, sans équivoque, et il doit être porté à la connaissance du Parlement à l’occasion du vote d’aujourd’hui pour nous permettre de nous exprimer de manière éclairée en disposant de l’ensemble des éléments.

Enfin, bien sûr, se pose la question des perspectives pour la Libye dans le contexte d’un monde arabe en profonde mutation. Notre conviction à cet égard est simple : l’action militaire est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante à elle seule pour apporter la paix et engager la Libye sur la voie des droits de l’homme et de la démocratie.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. L’objectif de la communauté internationale doit être, certes, la fin de la dictature, mais pour permettre aux Libyens eux-mêmes de construire la solution politique dont le pays et le peuple ont besoin.

La France doit rappeler les conditions indispensables au processus de transition démocratique : le départ de M. Kadhafi et la fin de son régime, l’arrêt de toute répression politique, le respect des droits de l’homme et des libertés, le respect de l’intégrité et de la souveraineté de la Libye ainsi que des droits des différentes composantes de la société libyenne.

Les pays de la région, la Ligue arabe et l’Union africaine ont joué un rôle déterminant dans le secours à la population libyenne, notamment en accueillant les réfugiés. Il est nécessaire qu’ils puissent continuer à jouer un rôle dans la phase de transition politique. La Tunisie et l’Égypte doivent être fortement aidées par la communauté internationale, sur le plan politique comme sur le plan humanitaire.

M. Jean-Pierre Bel. Enfin, l’Union européenne doit apporter des réponses concrètes et rapides à cette crise ouverte sur la rive sud de la Méditerranée, dans le cadre d’une politique de voisinage ambitieuse. Les destins des peuples vivant sur les deux rives de la Méditerranée sont liés, et il nous appartient de concrétiser ce lien par des mesures adéquates et des politiques adaptées.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. Mes chers collègues, notre position est sans ambiguïté, et j’espère l’avoir exprimée ainsi. Nous ne signons pas de chèque en blanc au Gouvernement sur la question libyenne. Au contraire, nous sommes déterminés à rester fidèles à la triple exigence qui a toujours été la nôtre dans ce dossier : l’exigence de responsabilité, l’exigence du contrôle démocratique sur les opérations en cours, l’exigence d’une vigilance active et critique sur l’ensemble des questions qui se posent.

Nous jugeons la poursuite de l’engagement en Libye nécessaire à ce stade, dans le cadre du mandat des Nations unies, tout en rappelant que, au-delà de l’intervention militaire, une feuille de route politique est indispensable pour l’avenir de ce pays et sa transition démocratique.

Je veux donc vous indiquer que notre groupe votera en faveur de la poursuite de l’intervention en Libye, tout en demandant avec force que des réponses claires soient apportées sans délai à l’ensemble des questions et interrogations que nous aurons soulevées au cours de ce débat.

Permettez-moi cependant de préciser avec autant de force que, si notre vote est aujourd'hui favorable, il ne fige pas pour autant notre position pour l’avenir. En effet, et c’est bien ce que l’on attend d’une opposition responsable, nous nous déterminerons lucidement, au regard de l’évolution de la situation sur le terrain dans les semaines et les mois qui viennent.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Jean-Pierre Bel. Quoi qu’il en soit, je vous demande, monsieur le Premier ministre, de vous engager aujourd’hui à revenir devant nous, à la rentrée, pour présenter un nouveau point de situation suivi d’un débat. Ce débat, nous le devons à la représentation nationale, parce que nous le devons aux Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet, pour le groupe RDSE.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 22 mars dernier, nous avons débattu ici même de l’engagement des forces françaises en Libye aux côtés de quinze autres pays mobilisés pour l’application de la résolution 1973 votée par le Conseil de sécurité des Nations unies quelques jours auparavant.

C’est sur le fondement du principe de la « responsabilité de protéger » que les pays coalisés se sont fixé pour objectif de garantir la sécurité du peuple libyen.

Comment ne pas souscrire à ce principe de protection des populations civiles ?

Attentifs aux aspirations démocratiques des Libyens et inquiets de la répression féroce exercée par le Guide contre son peuple, les radicaux de gauche se sont montrés favorables à l’engagement de militaires français dans cette région, sous réserve bien entendu que nos forces se cantonnent dans la stricte application de la résolution 1973.

Aujourd’hui, nous devons nous prononcer, conformément à la révision constitutionnelle, sur la prolongation de cette intervention, qui excédera bientôt quatre mois.

Tout naturellement, nous pensons en premier lieu, dans ce débat, à nos soldats engagés en Libye, comme à ceux qui sont engagés sur l’ensemble des territoires opérationnels.

Mes chers collègues, en visant les défenses antiaériennes et les centres de commandement de Kadhafi, les premières frappes aériennes ont permis de stopper les forces loyales arrivées aux portes de Benghazi – il était temps ! – pour en découdre avec les rebelles.

Les premières opérations, menées principalement par les Américains, les Français et les Britanniques, ont permis de protéger la population de la ville côtière du bain de sang annoncé, proclamé par le fils du Guide lui-même. Si l’on a pu à un moment redouter un enlisement, l’avancée significative des insurgés sur la route de Tripoli a, ces derniers jours, redonné espoir.

Nous devons donc, mes chers collègues, accompagner cette progression. Mais nous devons aussi, bien entendu, rester dans le cadre du mandat qui nous a été confié par les Nations unies. Rappelons-le après d’autres, il nous revient non pas de renverser directement le régime de Kadhafi, mais seulement d’aider le peuple libyen à devenir maître de son destin.

Quelle sera l’attitude des pays coalisés en cas de résistance à Tripoli, ce qui n’est pas à exclure, compte tenu de la fidélité historique de la capitale libyenne au Guide ? Outre notre obligation de retenue sur le plan opérationnel, qui nous interdit tout envoi de troupes au sol, nous devons aussi ménager certains acteurs qui, dans la région, s’impatientent. Je pense en particulier à la Ligue arabe et à l’Union africaine, qui doivent faire supporter à l’opinion publique des pays qu’ils représentent le spectacle d’avions occidentaux bombardant un pays arabe.

Ajoutons à tout cela que les dommages collatéraux ne pourraient que s’amplifier si le conflit devait encore durer longtemps.

Je pense surtout au drame humanitaire qui se joue à la frontière tuniso-libyenne.

Par ailleurs, la France s’était très tôt engagée auprès du Conseil national de transition à larguer des armes légères et des munitions dans les montagnes du Djebel Nefoussa. Cette initiative s’inscrit, nous le savons, hors du cadre de l’OTAN. C’est un point sur lequel vous devez, monsieur le ministre, vous expliquer. Est-il raisonnable de procéder à des largages d’armes qui pourraient alimenter un trafic au bénéfice des organisations terroristes, très présentes dans cette zone ?

M. Didier Boulaud. Exactement !

M. Jean-Michel Baylet. Enfin, la prolongation de l’intervention des forces françaises en Libye pose la question de la durée. Avons-nous les moyens d’intervenir très longtemps ? À en croire le chef d’état-major de la marine française, la réponse est négative, d’autant plus que le budget des opérations extérieures, s’il a été réévalué dans le cadre de la loi de finances pour 2011, n’est pas extensible à l’infini.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré ces quelques réserves, et compte tenu du caractère humanitaire de cette intervention, mais aussi parce que nous considérons qu’il est indispensable de soutenir nos troupes engagées dans des opérations extérieures, les radicaux de gauche voteront la prolongation demandée. (Applaudissements sur la plupart des travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud. Très bien !

(M. Bernard Frimat remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Gaudin, pour le groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Jean-Claude Gaudin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat de ce jour consacre le rôle du Parlement et renforce notre démocratie.

M. Jean-Claude Gaudin. En cette avant-veille de fête nationale, ce débat et le vote qui le suivra sont empreints de solennité. La gravité du sujet nous invite à une telle attitude : il s’agit d’autoriser la prolongation de l’intervention de nos forces armées en Libye.

Avant de poursuivre mon propos, c’est avec émotion, mais également avec conviction que je veux, en tant que président du groupe UMP et au nom de mes collègues, réaffirmer, comme l’ont fait tous les éminents orateurs qui m’ont précédé, l’indéfectible soutien de la représentation nationale à nos soldats.

M. Jean-Claude Gaudin. Que ceux-ci soient sur le territoire national ou sur des théâtres d’opération à des milliers de kilomètres, leur courage, leur bravoure et leur professionnalisme honorent la France. Mes pensées vont également à leur famille et à leurs proches, qui vivent parfois des moments très difficiles.

Ce soir, la Haute Assemblée est amenée, une fois de plus, à assumer pleinement son rôle en se prononçant sur la politique étrangère du Gouvernement. Aussi permettez-moi, mes chers collègues, de me féliciter de l’organisation de ce débat, qui consacre le plein exercice de la démocratie. À l’heure où les Libyens, avec l’aide de la coalition, luttent contre un tyran qui méprise les droits de l’homme, mesurons la chance que nous avons de vivre dans une République démocratique, au sein de laquelle les élus du peuple peuvent s’exprimer sans le payer de leur vie.

M. Charles Revet. C’est vrai !

M. Jean-Claude Gaudin. En notre qualité de parlementaires, nous devons nous prononcer sur l’autorisation de prolonger l’envoi de troupes à l’étranger, en vertu de la nouvelle rédaction de l’article 35 de la Constitution. C’est bien la preuve qu’un régime démocratique, tout bicentenaire qu’il soit, peut encore progresser.

Voter en faveur de l’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en Libye est nécessaire pour la France, et pour son rôle sur la scène internationale.

Mes chers collègues, je sais la passion et l’attachement profond de notre Haute Assemblée aux débats, en particulier à ceux qui portent sur les questions internationales. Ces débats sont dignes de notre institution.

M. Jean-Claude Gaudin. À cet égard, je tiens à rendre hommage au remarquable travail accompli par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et tout spécialement par son président, Josselin de Rohan ( Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP), dont la vision et les analyses en la matière n’ont d’égal que son attachement à une tradition diplomatique fondée sur des valeurs participant au rayonnement du Sénat et de notre pays ainsi qu’ au respect qui leur est porté.

Toutefois, mes chers collègues, il importe que, cet après-midi, nous ne nous trompions pas de débat. Il ne s’agit pas de nous substituer aux chefs d’état-major. Nous faisons confiance à notre ministre de la défense, Gérard Longuet, pour faire les meilleurs choix, sous l’autorité de M. le Premier ministre, afin que la France puisse assumer pleinement dans la coalition son rôle au sein de l’OTAN. M. Longuet a su, notamment au conseil des ministres européen de la défense, défendre la voix de la France. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.) Rappelons-nous, d'ailleurs, que cela n’aurait pas été possible sans la réintégration de notre pays au sein du commandement intégré de l’OTAN, une réintégration voulue par le Président de la République et votée par notre majorité le 17 mars 2009. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

L’heure n’est ni aux polémiques, ni aux discussions stratégiques. Il s’agit de donner « constitutionnellement » à notre diplomatie les moyens de poursuivre et d’honorer les engagements pris à New York le 17 mars dernier, lors du vote de la résolution 1973. (M. Robert del Picchia applaudit. – M. Didier Boulaud s’exclame.)

Mes chers collègues, en autorisant l’envoi de nos troupes en Libye, nous ne ferons ni plus ni moins que crédibiliser la diplomatie française, dont l’action et les initiatives sur ce dossier ont été saluées par la communauté internationale.

M. Bruno Sido. Parfaitement !

M. Jean-Claude Gaudin. Mes chers collègues, j’en profite pour témoigner, en votre nom, notre reconnaissance à Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, qui a œuvré quotidiennement pour que la France demeure un leader au sein de la coalition.

Convaincre nos alliés et les emmener sur le chemin de la guerre n’est pas une tâche aisée. Mais, face au jusqu’au-boutisme de Kadhafi et à son mépris des négociations diplomatiques, il s’agissait de la dernière solution pour amener le peuple libyen sur la voie de la liberté et de la démocratie et pour qu’il ne soit plus victime d’un « guide » autoproclamé dont la déraison n’a d’égal que la férocité.

Autoriser la prolongation de nos frappes aériennes, c’est faire preuve de cohérence par rapport à la politique engagée avec succès par le Président de la République et le Gouvernement auprès de nos alliés. Mes chers collègues, quelle image notre pays renverrait-il en effet dans les enceintes de l’ONU, s’il décidait, au bout de quatre mois d’initiatives aériennes, de faire volte-face ?

Il y va de la crédibilité de la France sur la scène internationale et du respect de la parole donnée, face à tout un continent en transition.

Souvenons-nous du Sommet de soutien au peuple libyen, tenu à Paris le 19 mars dernier, et de la cohésion qui s’y est fait jour entre États européens et États membres de la Ligue arabe : ce fut un moment fort et un tournant important dans l’histoire de nos nations.

Par un vote favorable, il s’agit pour la France de réaffirmer le bien-fondé de la résolution 1973, qui permet la sécurisation de l’espace aérien libyen.

En outre, les opérations aériennes engagées par les Français et les Britanniques sont un succès. Le général canadien Charles Bouchard, à la tête de l’opération « Protecteur unifié » menée par l’OTAN, a ainsi reconnu que les Français faisaient « un travail superbe ». Arrêter tout cela au bout de cent jours serait un aveu d’échec. Certes, nous vivons aujourd'hui dans un monde où règne l’impatience, mais que sont cent jours quand il s’agit de protéger un peuple et de l’accompagner sur la voie de la démocratie ?

Un vote favorable du Sénat sera un symbole d’espoir pour le peuple libyen. Lors du vote de la résolution 1973, la France n’a pas pris une simple position d’affichage ou donné une leçon de moralité sur la scène internationale. C’était la promesse faite chaque jour à tout un peuple que la communauté internationale ne le laisserait pas tomber dans les affres d’une répression sanguinaire.

Stopper notre intervention reviendrait à abandonner la Libye : ce serait tourner le dos au Conseil national de transition, à l’heure où il est reconnu par nos alliés.

Sans véritable cessez-le-feu, la fin de nos frappes aériennes mettrait un coup d’arrêt à l’émergence des structures nécessaires à la mise en place d’une pratique démocratique. En effet, le CNT est en passe de se doter d’un gouvernement et d’un organe législatif dissocié, prémices de l’exercice de la démocratie.

À l’heure où le groupe de contact prévoit, dans sa feuille de route, l’adoption d’une constitution, nous devons continuer d’aider les Libyens. Les responsables des soixante et une tribus ont su parler d’une seule et même voix et sont prêts à faire face à un destin national. Ne les décevons pas, et assumons !

C’est pour toutes ces raisons que le groupe UMP votera, monsieur le Premier ministre, l’autorisation de prolongation d’intervention de nos forces armées en Libye.

Mes chers collègues, il est clair que ces événements nous ont fait entrer dans une ère diplomatique nouvelle : les sénateurs du groupe UMP du Sénat l’ont bien compris et partagent ce sentiment.

Désormais, la France ne peut plus accepter la stabilité illusoire de régimes autoritaires ou dictatoriaux, mais elle doit favoriser l’implantation de la démocratie (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste. – Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG) et faire confiance à ces peuples : il leur revient, même si nous pouvons les y aider, de trouver eux-mêmes les remparts à élever contre les extrémismes, notamment.

Le Président de la République l’a solennellement affirmé : la France soutient l’espoir démocratique du printemps des peuples arabes autant qu’elle lutte contre le terrorisme et le fanatisme.

Mes chers collègues, nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à assumer aussi un mandat local. Je voudrais donc attirer votre attention, monsieur le Premier ministre, sur un dernier point. Dans nos villes et dans nos villages, nous avons accueilli, et ces jours-ci encore, les cercueils de jeunes soldats français tombés, en Afghanistan et ailleurs. Dans les yeux des familles, nous avons pu lire souvent l’incompréhension et, parfois, la réprobation.

Notre pays a lourdement payé sa présence au sol, en Afghanistan, dans la lutte contre le terrorisme. Alors, au moment où nous allons procéder au retrait progressif de nos soldats présents en Afghanistan, à la suite de la décision du Président de la République,...

M. Didier Boulaud. C’est une décision d’Obama !

M. Jean-Claude Gaudin. … que nous approuvons, il me semble qu’il serait inutile d’envoyer des troupes au sol en Libye.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons impérativement, tous ensemble, mieux expliquer à nos concitoyens les enjeux de notre présence dans ces régions, à Benghazi et à Tripoli, qui sont des portes de l’Afrique sur l’Europe. Les événements qui s’y déroulent ont des répercussions chez nous. La Méditerranée est aujourd’hui au cœur de l’Europe, il importe que nous en soyons bien conscients.

Monsieur le Premier ministre, nous vous faisons confiance, car nous savons les efforts que vous déployez. Partout où, dans le monde, se trouvent nos armées, partout où flotte le drapeau tricolore, c’est pour apporter la concorde, la fraternité, la générosité et la paix. C’est votre mission, c’est celle de la France, voilà pourquoi les sénateurs du groupe UMP vous apportent leur soutien ! (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, pour le groupe socialiste.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au début du mois de mars, alors que les chars de Kadhafi avançaient inexorablement vers Benghazi, insurgée depuis le 15 février, nous avons été nombreux à attendre avec impatience la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU et la première mise en œuvre du « devoir de protéger les civils », reconnu depuis 2005.

En effet, et je m’exprime ici en tant que voisine de la Libye, nous savons que, depuis quarante ans, Kadhafi ne recule devant aucun moyen pour terroriser toute opposition interne et déstabiliser les pays proches, Niger, Mali et Tunisie, à laquelle il promettait, à la fin du mois de janvier, de ramener Ben Ali dans ses fourgons !

L’émotion, nous l’avons ressentie, et nombreux sont ceux qui se sont réjouis du succès des premières frappes qui ont libéré Benghazi. Mais l’émotion, légitime et humaine, est parfois mauvaise conseillère en matière de politique, de diplomatie et d’art militaire. Quatre mois plus tard, nous devons reconnaître que la France s’est leurrée, et même aveuglée, sur certains points cruciaux : je veux parler du soutien international, de la réalité de l’insurrection, des capacités militaires des insurgés et de la puissance militaire de Kadhafi.

En ce qui concerne le soutien international, oui, la Ligue arabe et l’Union africaine ont donné leur accord à la mise en œuvre du mandat de l’ONU. Mais il me paraît très grave que, dès le 19 mars, premier jour des frappes aériennes, le chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, ait assuré que l’Union européenne resterait neutre ! Dans ces conditions, la coalition s’est trouvée quasi réduite à la France et à la Grande-Bretagne, les autres membres de l’OTAN refusant de s’engager ou faisant semblant. Le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN n’a pas renforcé le pilier européen de défense, c’est le moins que l’on puisse dire en analysant ces événements.

M. Didier Boulaud. Très bien !

M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. Très faux !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. En ce qui concerne la réalité de l’insurrection, la Libye, dont je me rappelle qu’elle a longtemps été désignée, en Tunisie, comme « la Tripolitaine et la Cyrénaïque », n’est unifiée que par la main de fer de Kadhafi. Aujourd’hui, reconnaissons-le, 35 % seulement de la population est réellement insurgée : les habitants de la Cyrénaïque, les tribus berbères du djebel Nefoussa et la ville de Misratah, outre quelques autres petites localités. Ailleurs, au Fezzan, la population n’a pas bougé ; en Tripolitaine, les grandes tribus n’ont pas fait défection. La majorité reste dans l’expectative : est-ce par peur ou par soutien ? Nul ne le sait.

Le troisième point sur lequel nous avons commis une erreur d’appréciation – je dis « nous », parce que nous avons fait route ensemble, jusqu’à un certain point – concerne les capacités militaires des insurgés. Le choix de ne protéger la population que par le moyen de frappes aériennes relevait d’une sage prudence, dictée par les expériences afghanes et irakiennes, mais elle participait aussi d’une illusion, fondée sur l’idée que les insurgés de Benghazi apprendraient vite à combattre pour mettre à profit, sur le terrain, la couverture aérienne que nous leur fournissions. Les insurgés ont fait des progrès, mais il faut reconnaître que les seules forces terrestres libyennes vraiment aguerries sont celles des djihadistes de Cyrénaïque, formés par les talibans en Irak et en Afghanistan…