M. Robert del Picchia. Bravo !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Si j’ai eu l’occasion de m’expliquer déjà à plusieurs reprises sur l’affaire libyenne devant vous, c’est avant tout grâce à lui. Compte tenu des circonstances, je me permettrai même de déroger au protocole, pour te dire, cher Josselin, un grand bravo et un grand merci pour tout ce que tu as fait dans cette maison et dans l’action publique ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Je m’efforcerai maintenant de répondre à l'ensemble des intervenants.
Je remercie naturellement tous ceux qui apportent leur soutien au Gouvernement en se déclarant prêts à voter la reconduction de notre intervention militaire. Le message que je souhaite envoyer se résume simplement : il n’y a pas de blocage ou d’enlisement en Libye, des progrès très significatifs ont été réalisés depuis quatre mois, et la situation que nous connaissons aujourd'hui n’a rien à voir avec celle qui prévalait alors.
Cette vérité vaut, d’abord, sur le plan militaire, mais je laisse à Gérard Longuet le soin de vous apporter des réponses sur ce point. Je me contenterai de souligner que, sur notre stratégie en Libye, qui a été définie par le Président de la République, nous parlons, contrairement à ce que j’ai cru entendre tout à l’heure, d’une seule et même voix. Il n’y a aucune divergence entre le Président de la République, le Gouvernement, le ministre de la défense et moi.
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Je mets quiconque au défi de pouvoir mettre en exergue la moindre différence d’appréciation entre nous.
La situation a également progressé sur le plan politique, notamment sur deux points.
Il n’y avait pas, voilà quatre mois, de consensus autour du Conseil national de transition. Nous avons été les premiers à reconnaître sa légitimité, non pas, monsieur Chevènement – je vous rassure ! –, du fait de je ne sais quelle « inspiration philosophique », mais au terme d’une analyse politique qui nous a conduits à considérer le CNT comme un interlocuteur incontournable.
Les principaux responsables, que nous avons reçus, nous ont impressionnés non seulement par leur approche de la situation, mais aussi par leur attachement aux valeurs démocratiques que nous partageons.
L’exemple de la France a été suivi, puisque, aujourd'hui, le Conseil national de transition est reconnu par plus d’une trentaine de pays et d’organisations, et non des moindres : l'ensemble des membres du groupe de contact, d’abord, lesquels ont convié, dès le départ, le CNT à leurs travaux et l’associeront, bien sûr, à leur prochaine réunion prévue le 15 juillet prochain à Istanbul ; l’Union africaine, aussi, qui a entamé des discussions avec le CNT ; les Nations unies, sans oublier la Turquie, l’un des derniers grands pays à avoir reconnu le CNT.
Le Conseil national de transition, dont la crédibilité politique a ainsi été affirmée, s’est ensuite organisé, car il est vrai qu’il s’agissait, au début, d’un groupe de révolutionnaires sans réelles structures. Nous l’avons aidé, sur le plan civil comme sur le plan militaire.
Il s’est alors implanté sur l'ensemble du territoire libyen, et il n’est pas exact de prétendre qu’il ne représente que Benghazi. Le CNT a en effet des correspondants dans d’autres villes de Libye, mais ceux-ci sont parfois tenus à une certaine discrétion, leur identité n’étant révélée que tardivement pour des raisons que vous comprendrez facilement, en particulier à Tripoli.
Au cours des nombreux débats que nous avons eus avec eux, ces représentants ont affiché leur attachement à un certain nombre de pratiques démocratiques. Dans la « Charte pour la Libye nouvelle » qu’ils ont publiée, le modèle auquel il est fait référence est celui, non d’un d’État islamiste, mais d’un État démocratique.
Pour conforter le Conseil national de transition, il nous faut encore avancer, notamment sur la question du financement. Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, les dirigeants du CNT ont besoin d’argent, et je dois dire que, de ce point de vue, nous avons mis beaucoup de temps à répondre à leurs attentes. Cet argent, c’est de l’argent libyen : il existe, il provient du gel des avoirs détenus dans les comptes d’un certain nombre de banques. Toutefois, nous nous sommes rendu compte qu’il était extrêmement difficile de « dégeler » ces fonds. J’espère pouvoir annoncer, vendredi prochain, que la France est enfin en mesure de verser 290 millions de dollars, conformément à ce que nous avions annoncé à Abou Dhabi. D’autres pays vont faire un effort similaire.
Je n’irai pas plus loin sur le Conseil national de transition. Il s’agit, je le répète, d’un partenaire incontournable, même si ce n’est pas le seul.
J’en viens au second point que j’entends développer : la situation au cours des quatre derniers mois a également beaucoup évolué en ce qui concerne l’attitude que nous devons adopter vis-à-vis de Kadhafi.
Au départ, il n’y avait pas consensus pour demander son abandon du pouvoir, et il est parfaitement exact qu’une telle requête ne figure ni dans la résolution 1970 ni dans la résolution 1973.
Cependant, un changement s’est très rapidement produit compte tenu de l’attitude du dirigeant libyen et de la répression sauvage qu’il a exercée sur sa population.
N’oublions pas, tout de même, que ce sont d’abord et avant tout les bombardements de ses troupes sur les populations civiles, en particulier à Misratah, qui ont fait le plus grand nombre de victimes en Libye. Certes, l’intervention de la coalition ne peut se faire sans occasionner des dégâts collatéraux, toujours très regrettables – tout mort est un mort de trop –, mais ceux-ci restent extrêmement limités.
Par conséquent, même si elle n’était pas inscrite formellement dans les résolutions, l’idée que Kadhafi ne pouvait pas rester au pouvoir s’est imposée extrêmement vite. Je le dis à Jean-Pierre Chevènement, l’objectif, aujourd'hui, c’est effectivement d’obtenir son départ.
Ce n’est pas seulement l’objectif de la France. Les pays du G8, y compris la Russie, ont très clairement affiché leurs intentions voilà maintenant plus d’un mois à Deauville, de même que le Conseil européen, à l’unanimité des vingt-sept États membres, lors de sa dernière réunion, à la fin du mois de juin.
M. Jean-Pierre Chevènement. Mais pas le Conseil de sécurité !
Mme Michelle Demessine. Eh oui !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Dans ce domaine, nous ne sommes pas absolument liés par la position du Conseil de sécurité des Nations unies.
M. Alain Gournac. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Chevènement. Cela méritait d’être précisé !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Rien ne nous interdit d’avoir, sur l’évolution du régime libyen, une vision qui n’est pas forcément la même. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Alain Juppé, ministre d'État. S’il nous faut un mandat légal des Nations unies pour recourir à la violence, pour mettre la force au service du droit, il n’est en aucune façon nécessaire d’obtenir une résolution du Conseil de sécurité pour exprimer notre point de vue sur ce que doit être le gouvernement de la Libye de demain.
Je rappelle que la Ligue arabe a pris exactement la même position que le G8 ou le Conseil européen, comme la Turquie récemment. Le sommet de Malabo de l’Union africaine a marqué une évolution très significative parmi ses États membres, qui, aujourd'hui, même s’ils ne le proclament pas officiellement, sont très nombreux à considérer qu’il ne peut y avoir de solution stable en Libye sans le départ de Kadhafi.
Monsieur Chevènement, il n’y a peut-être pas de résolution du Conseil de sécurité à ce sujet, mais, dès lors que l'ensemble des pays arabes et européens, des puissances du G8 et une grande partie de l’Union africaine demandent le départ de Kadhafi, cela mérite que l’on y réfléchisse. C’est en tout cas, je le répète, l’un de nos objectifs.
M. Jean-Pierre Chevènement. Mais la légalité internationale, c’est le Conseil de sécurité qui la définit !
M. Alain Juppé, ministre d'État. J’ai d’ailleurs été quelque peu surpris d’entendre certains nous exhorter à nous occuper de la partie diplomatique de la question : nous ne faisons que cela !
M. Charles Revet. Évidemment !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Nous n’avons pas engagé une opération militaire dans le seul but de gagner une guerre sur le terrain. Une intervention armée était absolument indispensable ; si nous ne l’avions pas décidée, il y aurait eu un bain de sang à Benghazi. Et c’est à l’honneur de la France que d’avoir évité pareil drame. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Yves Pozzo di Borgo, Gilbert Barbier et Jean-Marie Bockel applaudissent également.)
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Cela étant, l’intervention militaire, si je puis dire, n’est qu’un moyen, et non une fin. La fin, c’est la recherche d’une solution politique, et nous y travaillons d’arrache-pied.
Là encore, je crois pouvoir dire que nous avons beaucoup progressé au cours des dernières semaines.
De nombreuses médiations sont en cours, notamment avec la Russie. J’ai rencontré, voilà quelques jours, Sergueï Lavrov à Moscou et j’ai longuement discuté avec lui. Si le début de notre entretien a été « franc », comme on dit dans le langage diplomatique, car nous sommes en désaccord sur la partie militaire de l’intervention, la poursuite du dialogue nous a permis de constater une totale convergence de vues sur la sortie politique de cette crise, à laquelle réfléchissent une multitude d’acteurs, les Russes, donc, mais aussi l’Union africaine, pour ne citer qu’elle.
En définitive, quels sont, aujourd’hui, les paramètres d’une solution politique, sur lesquels un consensus est en train de se dégager ?
Il s’agit, tout d’abord, du départ de Kadhafi et son abandon du pouvoir. Quant à savoir s’il devra quitter ou non physiquement la Libye, nous laisserons aux Libyens eux-mêmes le soin de régler la question.
Mais le principe est posé : il faut que Kadhafi annonce très clairement qu’il renonce à toute responsabilité politique et militaire. Comment certains osent-ils soutenir qu’il n’est actuellement qu’un « guide suprême » sans aucune fonction officielle ? Il suffit de voir ce qui se passe à la télévision pour comprendre qu’en réalité il reste le patron et le chef des armées !
Son départ du pouvoir est donc le premier point sur lequel il y a un consensus international fort.
Concomitamment, il faut un cessez-le-feu, mais un vrai. Se contenter de demander le gel des positions sur le terrain risquerait d’aboutir à une sorte de partition de la Libye entre l’Ouest et l’Est. Or il n’y aura pas de cessez-le-feu sans retrait des forces de Kadhafi des casernes à l’extérieur des villes agressées. Il reviendra à la communauté internationale, sous l’égide des Nations unies, de contrôler l’effectivité de ce cessez-le-feu.
Il conviendra, ensuite, de favoriser la constitution d’un gouvernement provisoire – différentes solutions sont actuellement à l’étude –, appelé à engager un dialogue national, ou plutôt, puisque le vocabulaire d’aujourd'hui s’est enrichi de nouveaux anglicismes, un dialogue « inclusif ». Peu importe, finalement, la manière dont on s’exprime, l’essentiel est que ce dialogue soit largement ouvert à plusieurs participants. Je pense au Conseil national de transition, naturellement, mais aussi aux autorités traditionnelles, car, pour beaucoup, les chefs de tribu conservent encore un poids considérable dans la société libyenne. Je n’oublie pas, bien évidemment, tous ceux qui, à Tripoli, d’abord, n’ont pas de sang sur les mains et, ensuite, ont compris que Kadhafi n’avait pas d’avenir. Il est bien évident que ces responsables doivent être associés au processus politique. Nous travaillons en permanence pour y parvenir.
J’étais à Addis-Abeba, il y a trois jours, au siège de l’Union africaine, qui a un rôle déterminant à jouer dans ce domaine. Je me suis longuement entretenu à ce sujet avec le commissaire chargé de la paix et de la sécurité au sein de l’Union africaine, M. Ramtane Lamamra, ainsi qu’avec le Premier ministre éthiopien, M. Meles Zenawi, dont l’influence en termes de médiation est très importante au sein de l’Union africaine.
Le jour suivant, à Nouakchott, j’ai rencontré le Président de la Mauritanie, M. Ould Abdel Aziz ; nous sommes tombés d’accord pour accentuer la pression de nos pays en vue de hâter ce processus.
Je le répète, la question n’est plus de savoir si Kadhafi doit partir ; il s’agit de savoir quand et comment !
Je ne pécherai pas par optimisme en vous soumettant, d’ores et déjà, un calendrier. Je pense cependant que nous pouvons parvenir à ce résultat, à condition, bien sûr, de ne pas envoyer de contre-signaux, et de ne pas déclarer que nous allons abandonner la pression militaire. Il faut agir sur les deux plans à la fois. Nous parlerons de toutes ces questions à Istanbul, lors de la réunion du groupe de contact, le 15 juillet prochain.
J’ai suggéré qu’après cette date une nouvelle réunion du groupe de contact se tienne en Afrique. Pourquoi pas à Addis-Abeba, au siège de l’Union africaine ? Ce serait l’occasion d’impliquer fortement cette organisation dans le processus.
Je souhaitais développer ces deux points, car ils permettent de répondre à plusieurs des questions que vous avez bien voulu me poser, mesdames, messieurs les sénateurs.
J’ajouterai deux éléments, avant d’aborder les réponses plus précises, ou plus ponctuelles.
Tout d’abord, l’aide humanitaire constitue bien évidemment, dans ce contexte, un enjeu important, et l’Union européenne joue un rôle capital. Ainsi, le bureau d’aide humanitaire de la Commission européenne, l’ECHO, a déjà versé 70 millions d’euros à la Libye.
L’aide bilatérale de la France, à la fois financière et médicale, est également très importante, et a contribué au traitement du problème des réfugiés à la frontière de la Tunisie et de la Libye au moment du déclenchement des événements.
L’Union européenne a aussi mis sur pied une opération militaire d’accompagnement de l’aide humanitaire, EUFOR. Il a cependant été convenu que cette aide ne serait déclenchée qu’à la demande des Nations unies, qui n’ont pas, jusqu’à présent, formulé cette demande.
J’ajoute par ailleurs, au chapitre des considérations générales, que nous travaillons également sur ce que l’on appelle, en langage diplomatique, « le jour d’après », c’est-à-dire le moment qui succédera à l’abandon du pouvoir par Kadhafi et à la mise en place du cessez-le-feu.
Des inquiétudes ont été exprimées, ici ou là, sur la capacité du Conseil national de transition ou du gouvernement provisoire à assurer la sécurité et l’ordre dans la Libye nouvelle. Nous ne partageons pas ce scepticisme.
Le CNT contrôle déjà un certain nombre de régions qui ne connaissent pas une situation d’anarchie. Par ailleurs, l’ONU et les principales puissances européennes préparent aussi l’avènement de cette future Libye.
Une force de stabilisation internationale qui, de notre point de vue, devrait être une force de l’ONU, sera très vraisemblablement dépêchée sur place. La France a déjà envoyé plusieurs missions en vue de commencer à préparer, en collaboration avec le CNT, le fonctionnement du gouvernement provisoire.
Je vais à présent répondre aux questions des différents orateurs.
Mme Demessine récuse le droit d’ingérence ? C’est son droit ! Toutefois, madame la sénatrice, à votre place, je me sentirais très seul sur la scène internationale, car ce principe a été voté à l’unanimité par les États membres de l’Organisation des Nations unies en 2005. (M. Bruno Sido s’esclaffe.) Il fait donc désormais partie du droit international.
M. Jean-Pierre Chevènement. Vous voulez parler du devoir de protection, sans doute.
M. Alain Juppé, ministre d’État. En effet ! Je vous prie de bien vouloir excuser ce lapsus… Je voulais parler du devoir de protection, également appelé responsability to protect.
On peut, bien sûr, ne pas approuver ce principe ; il n’en reste pas moins, je le répète, qu’il s’impose à tous.
Je ne peux vous laisser dire, en revanche, madame la sénatrice, que nous bombardons les populations libyennes. La coalition ne bombarde pas les populations ! Les seules forces qui le font sont celles de Kadhafi.
Jamais, depuis le début des opérations, les avions français, britanniques ou de l’OTAN, n’ont bombardé les populations civiles. Il y a eu, apparemment, un dérapage, une erreur, qui a été à l’origine de la mort de neuf personnes. Une enquête est en cours. Sans vouloir établir une comptabilité macabre, ce chiffre est à mettre en relation avec les dizaines, voire les centaines de morts causées, notamment à Misratah, par les bombardements des forces de Kadhafi.
M. Pozzo di Borgo a déploré l’absence d’une Europe de la défense. C’est la raison pour laquelle Gérard Longuet et moi-même ne ménageons pas nos efforts pour convaincre la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne, Mme Ashton, de répondre à l’appel que nous lui avons lancé, dans la « lettre de Weimar, » en vue de progresser dans la construction d’une politique de sécurité et de défense commune.
On ne peut pas dire, néanmoins, que l’Europe a été inexistante ou incapable de s’unir. J’en veux pour exemple la situation syrienne, qui fait l’objet de nombreuses interrogations.
En ce qui concerne la Syrie, l’Europe a défini une position commune. Elle a même été la première, avant que le Conseil de sécurité de l’ONU ne parvienne à se mettre d’accord – ce n’est toujours pas le cas ! –, à décider des sanctions à l’encontre des principaux responsables du régime syrien.
L’Europe est donc tout à fait capable de jouer son rôle.
Je crois avoir répondu, dans mon propos liminaire, aux principales questions posées par le président Bel sur l’avancement des opérations militaires. Gérard Longuet reviendra sur ce sujet.
Quoi qu’il en soit, je crois que nos objectifs stratégiques et notre volonté de promouvoir une solution politique sont tout à fait clairs.
Vous avez souhaité que nous fassions, à la rentrée, un nouveau point sur la situation. J’en ai parlé avec le Premier ministre avant qu’il ne quitte cet hémicycle ; nous organiserons naturellement ce débat quand vous le souhaiterez au sein de la Haute Assemblée, et nous ferons de même à l’Assemblée nationale.
Je remercie M. Jean-Claude Gaudin, qui a fait une très belle démonstration de la nécessité et de la justesse de notre intervention en Libye. Je partage également son point de vue sur la situation en Afghanistan ; les récentes décisions annoncées par le Président de la République vont dans le sens qu’il souhaite.
J’ai beaucoup admiré la démonstration de Mme Cerisier-ben Guiga qui, après avoir affirmé que la France s’était profondément leurrée, nous a expliqué qu’il était absolument urgent et nécessaire qu’elle continue de faire ce qu’elle fait. (Rires sur les travées de l’UMP.)
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Cette contradiction existe !
M. Alain Juppé, ministre d’État. J’en suis ravi, et je vous confirme que nous allons effectivement persévérer dans cette voie. Je me réjouis que vous nous apportiez votre soutien, madame la sénatrice.
Je sais gré à M. Chevènement, qui a rappelé le déroulement des opérations, d’avoir dit très clairement que les populations ont été protégées. Ce constat justifie à lui seul notre intervention.
Vous nous avez incités, monsieur le sénateur, à préparer le départ de Kadhafi. Vous avez même dit que ce départ serait le bienvenu. Je constate donc que nous convergeons, en dépit de vos premières hésitations.
Soyez assuré que nous mettons toute notre énergie à faire aboutir les négociations le plus rapidement possible et à créer les conditions d’un cessez-le-feu que nous souhaitons de tout cœur.
Je tiens également à remercier M. Bockel de son analyse et de son soutien.
Je crois comprendre que la majorité sénatoriale élargie, ainsi qu’une grande partie de l’opposition, apportera son soutien au Gouvernement. Au-delà de la satisfaction que nous en retirons, je considère, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il s’agit d’une bonne décision pour tous ceux qui défendent notre politique étrangère sur le terrain, et pour l’image de la France dans le monde. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense et des anciens combattants.
M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, mon intervention sera brève, car le ministre d’État a fort bien présenté, avec autorité et talent, cette construction permettant de rassembler des nations solidaires, en vue de régler la situation libyenne.
Si la résolution 1973 avait d’abord et avant tout pour objet de protéger des populations civiles, un accord se fait actuellement pour constater que l’unité et la paix libyennes passent par l’abandon par le colonel Kadhafi de ses responsabilités politiques.
S’agissant des questions purement militaires, vous m’avez demandé, mesdames, messieurs les sénateurs, si nous n’avions pas sous-estimé la résistance des troupes de Kadhafi et surestimé les capacités des opposants et de ceux qui, en Libye, aspirent à la liberté.
Le problème ne se pose pas en ces termes.
Il existe depuis quarante ans, en Libye, une réalité kadhafiste. L’armée du colonel Kadhafi était considérablement équipée. Nous avons totalement neutralisé son aviation, sa marine, et sans doute les deux tiers de ses forces terrestres de type traditionnel, c’est-à-dire les blindés lourds et les pièces d’artillerie lourde.
Cela étant, nous avons, en face de nous, un adversaire qui dispose de moyens matériels considérables, et qui a constitué autour de lui, en quarante ans, un réseau de solidarités très fortes reposant sur des bases très diverses : liens tribaux sans doute, politiques peut-être, financiers à coup sûr. Outre ces liens solidement établis, le pouvoir dispose d’une unité de commandement sur la base géographique qu’il contrôle, car il n’a pas dispersé ses troupes : la majeure partie des forces sont concentrées à Tripoli, ce qui permet au colonel Kadhafi de « tenir »et d’encadrer la population locale.
Le miracle libyen, c’est qu’en Cyrénaïque les populations civiles aient été capables d’organiser progressivement une véritable force, qui est en mesure aujourd’hui de tenir le front à Brega.
Le miracle, c’est qu’à Misratah ces populations aient pu desserrer l’étau qui les enserrait, notamment celui constitué par les troupes les plus professionnelles du pays, comme la 32 e brigade, dirigée par l’un des propres fils de Kadhafi.
Le miracle, enfin, c’est que des populations montagnardes de tradition berbère aient su s’organiser de façon autonome dans un espace qu’elles maîtrisent désormais totalement. Cela leur permet de contrôler l’approvisionnement de la seule raffinerie de produits pétroliers de Libye, située à l’ouest de Tripoli, ainsi que le carrefour routier reliant Sebha, dans le sud du pays, le Fezzan, c’est-à-dire le désert libyen, et le secteur de Tripoli. Sur le plan stratégique, ce n’est pas négligeable.
Comme c’est le cas sur le terrain diplomatique, la situation militaire évolue. Vous reconnaîtrez cependant que le contexte initial était très favorable à Kadhafi, qui avait construit l’État tout entier autour de son armée, si proche de lui qu’on pourrait la qualifier, selon la formule consacrée, de « garde prétorienne ».
J’en viens à la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN.
S’il est vrai que l’Union européenne est insuffisamment présente sur le plan militaire et diplomatique, en revanche, tous les États européens se retrouvent au sein de l’OTAN.
La réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, décidée par le Président de la République, porte aujourd’hui ses fruits, puisqu’elle nous permet de participer activement à la coalition, et même de former, avec le soutien la Grande-Bretagne, l’élément directeur de cette coalition.
J’indique à M. Pozzo di Borgo, avec toute la sympathie naturelle que j’ai pour lui, qu’il ne doit pas considérer que les États-Unis sont seuls à la tête de l’OTAN.
Il est intéressant de constater qu’en l’occurrence, s’agissant de la chaîne de commandement de l’OTAN, les États-Unis ont assez rapidement décidé, pour des raisons qui leur sont propres, de ne pas contribuer à l’effort de frappe, tout en apportant un soutien logistique. Pourtant, le système a tout de même continué à fonctionner, avec le soutien de la Grande-Bretagne et de la France, naturellement, mais aussi de pays plus modestes qui se sont très fortement impliqués, comme la Belgique et le Danemark. La Norvège qui, je le rappelle, ne fait pas partie de l’Union européenne, avait aussi, jusqu’à récemment, manifesté son engagement.
Je peux témoigner de la réalité de la coopération des chefs d’état-major de l’OTAN. Ces responsables militaires, qui sont de grands professionnels, savent travailler ensemble. La réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN est pour eux un formidable ballon d’oxygène, car ils ont le sentiment que les Britanniques ne sont plus seuls, à l’intérieur de l’Organisation, à vouloir prendre des responsabilités sur le terrain militaire. Désormais, ce sont les Français et les Britanniques qui donnent le ton.
Quant aux Allemands, ils sont profondément divisés. Loin de moi l’idée de faire de la politique étrangère en cet instant ; mais force est de reconnaître que la coalition au pouvoir en Allemagne passe par une entente des libéraux et de la CDU-CSU. Or les libéraux allemands sont traditionnellement profondément pacifiques, voire pacifistes.
Je ne crois pas que la position du ministre des affaires étrangères allemand, qui est un libéral, sur la situation en Libye, reflète le sentiment de la majorité de la coalition parlementaire ; celle-ci existe néanmoins.
C’est pourquoi, cher Josselin de Rohan, nous devons rendre hommage au général de Gaulle d’avoir su nous doter d’institutions qui permettent à notre pays, en matière de politique étrangère et de politique de défense, de faire preuve de solidarité. Le libéral que je suis salue cette construction ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Gérard Longuet, ministre. Jean-Pierre Bel a posé des questions parfaitement légitimes. Nous n’avons pas de troupes au sol. Les seuls Français en poste au sol assurent la sécurité de nos représentants à Benghazi, ce qui rend d’ailleurs – je n’entrerai pas dans ces détails ! – les opérations beaucoup plus complexes et difficiles.
Il est évident que nous avons besoin de nouveaux ravitailleurs – cet équipement est prévu dans la loi de programmation militaire –, ainsi que de drones de moyenne altitude et de longue endurance, les fameux drones MALE de nouvelle génération. Pour l’heure, ce manque n’est pas un inconvénient dans la mesure où, sur le terrain, nous mutualisons les moyens, mais il représenterait en effet une faiblesse si nous avions à conduire, monsieur Pozzo di Borgo, une opération sans l’appui des États-Unis. Il pourra être surmonté notamment grâce à l’accord de novembre 2010 entre la Grande-Bretagne et la France. En ce qui concerne les munitions, nous n’avions pas de stocks suffisants, de sorte qu’il faut les compléter.
Les parachutages qu’a évoqués M. Baylet ont été effectués à titre exceptionnel, à la demande du Conseil national de transition. L’objectif est d’aider le Djebel Nefoussa, qui s’était libéré par lui-même, à résister à une éventuelle contre-offensive des forces de Kadhafi.
Je remercie M. Jean-Claude Gaudin, dont le talent nous est bien connu, de son intervention. Il peut rassurer ses interlocuteurs : à aucun moment la coalition n’a envisagé d’envoyer des troupes au sol.
J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt Mme Cerisier-ben Guiga. J’observe que sa connaissance de la Libye la conduit à la solution que nous préconisons : le départ de Kadhafi. Certes, la situation libyenne est complexe, mais il y a un moment où il faut savoir prendre ses responsabilités ! Le Gouvernement français l’a fait en suscitant un vote des Nations unies, puis en construisant des alliances diplomatiques qui ont débouché sur un consensus, entre les pays concernés, sur la nécessité du départ du pouvoir du colonel Kadhafi.
Je remercie M. Jean-Marie Bockel de son soutien et je salue son esprit de responsabilité.
En conclusion, comme vous l’avez tous souligné, nous pouvons être fiers du professionnalisme et de l’engagement de nos soldats, ainsi que, pourquoi ne pas le dire, de la qualité du matériel que nous déployons. Nous Français avons la culture de l’autodénigrement et manifestons parfois une propension excessive à dénoncer les faiblesses de certains équipements. Or le porte-avions Charles-de-Gaulle fonctionne parfaitement. Quant à l’aéronavale, elle remplit ses missions, et lorsqu’il faudra, le cas échéant, au cours de l’automne, soulager ses équipages, soyez certains que l’armée de l’air sera en mesure de prendre la relève. Enfin, les hélicoptères assurent 90 % des frappes, ce qui permet d’éviter les dommages collatéraux. L’efficacité des moyens déployés, soutenus par le navire de commandement et de projection Mistral, démontre que les choix effectués au travers de la loi de programmation militaire sont adaptés aux théâtres sur lesquels la France intervient. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.)