M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes face à un projet de loi qui privilégie le sécuritaire au détriment du sanitaire.
Ce qui nous divise profondément dans le traitement de ce sujet, madame la secrétaire d’État, c’est notre conception, notre approche de la folie. Faut-il avoir peur des fous ? Faut-il punir ou guérir ? Et comment guérir ? Par la parole ou par la seringue ?
Votre projet de loi, madame la secrétaire d’État, s’inspire d’une vieille représentation populaire, celle du fou dangereux, du fou errant, et ne s’intéresse pas à la souffrance psychique de milliers de Français.
Ce texte ne s’appuie en rien sur la réalité clinique du soin en psychiatrie. (M. Paul Blanc s’exclame.)
Votre souci n’est pas que la loi soit appliquée – sinon vous auriez prévu davantage de moyens –, encore moins d’améliorer la situation de ceux qui auront à en subir les effets. Non, ce projet de loi ne sert qu’à afficher la force de l’État-gendarme.
M. Paul Blanc. N’importe quoi !
M. Jean Desessard. Une fois de plus, la loi dénigre un corps professionnel : après les policiers, les enseignants, les chercheurs, les magistrats, ce sont, aujourd'hui, les personnels hospitaliers.
Était-ce si compliqué de s’appuyer sur les avis des psychiatres quand on prétend réformer la psychiatrie ?
Au lieu de cela, le chef de l’État et le Gouvernement se sont emparés du sensationnel – un fait divers dramatique – pour mieux entretenir une logique sécuritaire et répressive des politiques publiques.
Dans ce projet de loi, on se préoccupe peu des conditions d’accueil des malades, de la formation pour les professionnels, et encore moins des budgets pour l’ensemble de la psychiatrie. Un véritable projet de loi sur l’organisation de la santé mentale défendrait le secteur. Ce n’est pas le cas ici.
En filigrane, on retrouve votre refus de la prise en considération des problèmes sociaux des patients, l’obligation de soins désignée comme la seule réponse efficace et le médicament comme seul soin fiable.
L’idée de ce texte, c’est de garantir non la sûreté des malades mais celle des non-malades.
Vers quelle dérive allons-nous si la question du trouble à l’ordre public prédomine sur la préoccupation de la qualité des soins ? Si au lieu d’examiner la situation des 82 % de malades qui choisissent l’hospitalisation libre, on préfère se concentrer sur la minorité qui est hospitalisée sous contrainte ?
Selon vous, il est préférable d’enfermer un malade, même s’il n’est pas dangereux, plutôt que de courir un risque à l’extérieur. Étant donné le manque de moyens, on ne peut pas enfermer tout le monde à l’hôpital psychiatrique ; donc, on va enfermer les gens chez eux !
Vous allez tenter d’imposer un contrôle social généralisé de la normalité des comportements, sans même vous poser la question de l’applicabilité d’un tel objectif.
Ce projet de loi tend à introduire la rupture du lien entre le soignant, le soigné et son entourage, en mettant en place une défiance généralisée, sans s’appuyer sur la compétence des équipes soignantes.
Un véritable dialogue doit aboutir à des décisions de soin prises avec le patient et non contre sa volonté. Vous vous en remettez au pouvoir de la chimie, des injections, au détriment de la thérapie par la parole. (MM. Paul Blanc et Alain Milon protestent.)
Ce texte va produire l’inverse de l’effet escompté.
Alors, qu’aurions-nous souhaité, nous qui attendons depuis presque quinze ans la modernisation de la loi de 1990 ?
Premièrement, un bilan de cette loi aurait permis un recul critique, un progrès. Nous aurions également souhaité que les vingt-deux mesures d’urgence réclamées par les états généraux de la psychiatrie de 2003 soient prises en compte.
Les écologistes, avec d’autres, souhaitent ouvrir les hôpitaux à la cité, en mettant en place des structures ouvertes, plus diverses et qui communiquent avec l’extérieur, en améliorant l’offre d’hôpitaux de jour, de structures alternatives comme les appartements thérapeutiques, en autorisant davantage de sorties d’essai.
Il faut aussi rendre l’hôpital plus attractif pour les jeunes diplômés et améliorer la formation, car le besoin de personnel soignant est cruel.
Enfin, il faut impérativement favoriser l’hospitalisation libre. La contrainte ne doit pas être systématisée.
En 2009, le Gouvernement a alloué 70 millions d’euros aux hôpitaux psychiatriques. Ils ont servi à mettre plus de barreaux aux fenêtres et de caméras de surveillance… Pire, interdiction a été donnée aux directeurs d’hôpitaux d’utiliser ces moyens pour d’autres objectifs, alors que, depuis dix ans, 50 000 lits ont été supprimés !
Vous l’aurez compris, nous ne sommes pas de ceux qui veulent faire des économies de moyens et n’apporter que le médicament et la contention comme réponses aux patients.
À l’heure actuelle, les hôpitaux fonctionnent à flux tendus. Faute de place, certaines personnes qui voudraient être hospitalisées librement passent par des hospitalisations à la demande de tiers. Le directeur d’établissement est alors contraint de faire sortir un patient, qui peut encore avoir besoin de soins, pour en laisser entrer un autre. C’est insupportable !
Alors, avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, « nous disons que tout cela est insupportable », car la logique de l’enfermement tire tout le monde vers le bas.
Les sénatrices et sénateurs d’Europe Écologie-Les Verts sont indignés par ce texte !
Madame la secrétaire d’État, à vous embourber dans le tout sécuritaire, à persévérer dans le fantasme du risque zéro, vous ne réglerez rien, sauf à attiser la peur du malade et à rendre encore plus difficile le travail des équipes médicales et des magistrats.
Vous l’aurez compris, nous sommes opposés à ce texte. En guise de conclusion, je vous rappelle que la liberté aussi est thérapeutique ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Paul Blanc. C’est affligeant !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. En écoutant les intervenants des différents groupes, je suis moi aussi affligée. Après le témoignage poignant de l’un de vos collègues, la lecture caricaturale que vous faites de ce texte n’est pas à la hauteur !
Nous prévoyons une alternative à l’enfermement, nous sommes particulièrement attentifs aux patients afin de les remettre en liberté et non plus uniquement les enfermer, afin de leur proposer une prise en charge moderne en ambulatoire, de rester dans leur environnement, auprès de leur famille, et vous taxez ce projet de loi de sécuritaire et liberticide !
Nous évoquons de nouvelles modalités d’accueil thérapeutique, notamment dans la rue où j’ai pu constater qu’il était possible, avec des équipes mobiles, de prendre en charge des personnes désocialisées, et vous nous parlez de piqûres et d’injections !
Votre lecture du projet de loi est complètement biaisée. Ce texte a pour objet, dans l’intérêt des malades, de proposer une nouvelle forme de soins. Pourquoi la prise en charge ambulatoire, qui est possible pour le cancer, le diabète, le VIH, les maladies infectieuses et autres, serait-elle interdite en psychiatrie, alors que c’est une forme moderne répondant aux attentes des usagers et des familles ?
Cette lecture caricaturale du texte m’afflige. Vous êtes vraiment très loin de ses objectifs, en tout cas de la volonté du Gouvernement de moderniser la loi du 27 juin 1990 pour l’adapter aux nouveaux besoins et aux nouvelles formes de prise en charge des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Fischer, Mmes Pasquet, David et Hoarau, M. Autain et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, d'une motion n°83.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (n° 361, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, chers collègues, le règlement veut que la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité soit défendue après la clôture de la discussion générale. Cette règle, je le répète, me semble un peu bizarre. Peut-être faudra-t-il, un jour, la modifier. Cela étant dit, madame la secrétaire d'État, votre réponse n’était guère convaincante et ma défense de la motion d’irrecevabilité ne s’en trouvera pas gênée.
Pourquoi cette motion d’irrecevabilité ?
Tout d’abord, il faut savoir dire « non » à une politique dont la déclinaison sécuritaire dans tous les domaines est inquiétante et cache la dégradation tout aussi inquiétante des politiques publiques, en l’occurrence en matière de santé et particulièrement de santé mentale.
Ce projet de loi – le législateur est habitué à cette pratique – était annoncé par le discours du Président de la République à Antony, le 2 décembre 2008, qui peut se résumer ainsi : à la suite d’un épouvantable fait divers, le Président de la République « se faisait fort » d’empêcher que cela ne se reproduise, en généralisant la contrainte et l’enfermement.
Mme Christiane Demontès. Absolument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le rapporteur pour avis de la commission des lois prend soin de dire qu’il faut éviter tout amalgame entre troubles psychiatriques, délinquance et dangerosité, et de rappeler que c’était le cas dans le projet initial de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, sur lequel la majorité avait été obligée de « surseoir ».
D’ailleurs, notre rapporteur étaye son propos en précisant que les individus souffrant de troubles mentaux sont très rarement impliqués dans des actes de violence à l’égard de tiers – dans 3 % des actes de violence grave, me semble-t-il –, sont plus souvent victimes qu’auteurs des violences, soit sept à dix-sept fois plus que l’ensemble de la population, et sont souvent aussi, hélas ! auteurs de violences sur eux-mêmes, qu’il s’agisse de mutilations ou de suicides.
Pourtant, le texte qui nous est proposé est centré sur le faible nombre de patients susceptibles de présenter un danger pour autrui, non pas pour s’intéresser spécifiquement à eux, mais pour édicter des mesures concernant l’ensemble des personnes atteintes de troubles psychiques, soit plusieurs centaines de milliers.
Or pour l’ensemble des malades et de leurs familles, pour la société et, en l’occurrence, pour le législateur, la question qui se pose est celle de la dégradation de la psychiatrie, des moyens de l’hôpital public et de l’abandon de la psychiatrie de secteur.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, cité par notre collègue, a récemment critiqué avec sévérité l’état des lieux actuel de l’hospitalisation psychiatrique et les effets du parti pris uniquement sécuritaire des pouvoirs publics, à savoir « le grand retour de l’enfermement pour tous les malades », par peur : peur des professionnels, les psychiatres, et peur des préfets, rappelés à leur responsabilité directe par une circulaire de 2010.
Il faut dire stop !
Les psychiatres, au-delà de leurs divergences – elles existent –, les personnels, tous ceux qui sont concernés – les malades, les familles, les associations – demandent une grande loi de santé mentale digne de notre époque.
Permettez-moi de rappeler les propos que tenait Lucien Bonnafé en 1985, propos toujours ô combien actuels : « Je pense que la loi qui se substituerait à la loi de 1838 devrait concerner l’organisation d’une médecine publique préventive et curative, ouverte à tous, mais particulièrement adaptée aux besoins des catégories de personnes que leur âge, leur maladie ou leur dépendance ne mettent pas toujours en mesure de prendre elles-mêmes l’initiative d’actions préventives ou de soins que leur état exige : malades mentaux, vieillards, enfants et adolescents, sujets soumis à la dépendance d’une drogue. »
Ce projet, rêvé, mais qui n’a jamais été mis en œuvre, est à la fois d’une grande actualité et tellement précurseur. Lucien Bonnafé précisait ainsi à l’article 1er du projet de loi qu’il imaginait : « L’autorité judiciaire ainsi saisie ayant tout pouvoir d’exercer les contrôles qu’elle estime utiles et d’imposer l’arrêt des traitements imposés et de la limitation des libertés, sous réserve d’entendre le malade lui-même, le médecin et, plus largement, ceux qui participent aux soins et aux contraintes, et l’entourage. »
Ce que vous nous proposez aujourd’hui est aux antipodes de ce qu’imaginait Lucien Bonnafé.
Aussi, après le refus général de légiférer à contresens sur la santé mentale, permettez-moi de dire, madame la secrétaire d’État, que le texte du Gouvernement continue de poser de sérieux problèmes de libertés. Je dis « continue », parce que le Gouvernement a dû modifier son projet de loi initial pour tenir compte, contraint et forcé, de la décision rendue par le Conseil Constitutionnel en novembre 2010 imposant l’intervention du juge des libertés et de la détention. Il a dû réviser, par lettre rectificative, le contenu du texte.
Or, si le Gouvernement tient compte de l’impératif posé par les juges constitutionnels d’une révision législative avant le 1er août 2011, il ignore le constat formulé en filigrane par le Conseil constitutionnel, à savoir que les soins psychiatriques pratiqués sous contrainte sont d’abord et avant tout des mesures privatives de liberté. Or votre texte, madame la secrétaire d’État, renforce considérablement tous les aspects des soins sous contrainte !
Comme le dit la Commission nationale consultative des droits de l’homme : « L’hospitalisation complète sans consentement devient l’une des phases ou modalités d’un parcours de soins sans consentement impliquant des obligations ou contraintes qui peuvent s’exercer en établissement, mais aussi hors des murs, au domicile ou dans d’autres lieux de vie, comme par exemple dans une habitation protégée ou dans une maison de retraite. »
Le malade passe par une sorte de garde à vue psychiatrique de soixante-douze heures, au terme de laquelle soit il demeure en hospitalisation contrainte, soit il est placé en soins ambulatoires sans consentement.
Dans le même temps, le projet de loi renforce l’hospitalisation sans consentement puisqu’il ajoute à l’hospitalisation contrainte et à l’hospitalisation à la demande d’un tiers, l’hospitalisation en l’absence de tiers, en cas de « péril imminent ».
On voit bien le sens de cette réforme : il s’agit de renoncer à une politique de secteur – la preuve en est que les moyens des secteurs ont disparu – et de renforcer le contrôle social par la contrainte, avec à la clé de nombreux problèmes, par exemple en ce qui concerne les soins ambulatoires sous contrainte, que vous semblez considérer, madame la secrétaire d’État, comme étant la panacée.
Vous tentez de gagner la confiance des familles, dont on comprend les souffrances, en leur affirmant que des protocoles rigoureux seront mis en œuvre. En réalité, il n’en est rien, comme l’atteste l’article 2 de ce projet de loi : en effet, bien qu’il y soit question d’un suivi thérapeutique, aucun n’en est organisé. Nous connaissons d’avance le seul protocole qui sera suivi : le non-respect du parcours de soins imposé aux patients, c’est-à-dire principalement le traitement médicamenteux, entraînera de facto l’intervention d’une équipe. Il s’agira non pas d’une équipe médicale ayant pour mission de tenter de rétablir la relation indispensable entre le patient et le soignant, mais d’une équipe médicale d’urgence, accompagnée, le cas échéant, des forces de l’ordre. Sa mission sera, au choix, d’injecter de force le traitement au patient ou de le conduire vers un nouvel établissement, où il sera de nouveau privé de sa liberté.
Ce dispositif n’est pas sans rappeler la rétention de sûreté. Vous faites comme si le patient était libre de refuser son traitement. Or ce refus entraîne immédiatement l’application d’une mesure privative de liberté !
Comme le soulignait Robert Bennett : « Si vous arrivez à contrôler le processus du choix, vous pouvez contrôler tous les aspects [d’une] vie ». Voilà comment, dans les faits, vous contraigniez les patients à opter pour un renoncement ou pour un autre : soit ils renoncent à leur liberté de mouvement, soit ils renoncent à un parcours thérapeutique construit, élaboré en collaboration avec l’équipe médicale. Nous comprenons les associations de parents ou de proches de personnes atteintes de troubles mentaux qui cherchent des solutions, mais le retour au domicile sans aucune forme d’accompagnement médical n’est pas la bonne solution, ni pour eux ni pour les malades, sauf à considérer que, un jour, les familles seront responsables du suivi par les malades de leur traitement…
Vous réduisez la psychiatrie au traitement de la crise, plus d’ailleurs dans un souci d’ordre public – soyons francs – que dans l’intérêt du malade. J’en veux pour preuve la circulaire mettant en place les schémas régionaux d’organisation sanitaire de troisième génération, les SROS 3, en psychiatrie : elle prévoyait clairement que la mission de la psychiatrie était de dépister les troubles et de mettre en place un traitement ou de traiter la crise, puis de passer la main au médecin généraliste.
J’en viens au contrôle de la privation de liberté, c'est-à-dire aux droits des patients, soit des centaines de milliers d’hommes et de femmes qui souffrent de troubles psychiatriques.
Le projet de loi ne manque évidemment pas de rappeler les droits et les possibilités de recours des malades – le Conseil constitutionnel veille ! Mais nous le savons, et le Contrôleur des lieux de privation de liberté l’a largement signalé, l’exercice de ces droits par des personnes moralement fragilisées et privées de contact avec des tiers est quasiment impossible.
Or le contrôle par le juge judiciaire au-delà de quinze jours que vous avez été obligés d’instituer est loin d’être conforme aux préconisations du Conseil constitutionnel en général, qui réclame une intervention dans un « délai le plus court possible, habituellement estimé à quarante-huit heures ». Alors que la période obligatoire d’observation de soixante-douze heures s’apparente à une garde à vue psychiatrique, le malade est loin de disposer des mêmes garanties que celles qui sont imposées aujourd’hui pour la garde à vue !
Par ailleurs, la question d’une intervention a priori du juge des libertés et de la détention méritait d’être posée, ce qui est loin d’être le cas.
De même, il est peu acceptable que le contrôle du juge judiciaire, qui se prononce – certes tardivement – après un délai de quinze jours en cas d’hospitalisation contrainte, ne porte pas du tout sur les soins ambulatoires sous contrainte.
Autre sujet de préoccupation : ce projet de loi opère un renversement des rôles entre autorité administrative et autorité médicale.
Les soignants deviennent des auxiliaires de police, puisqu’ils ont comme priorité la lutte contre les troubles à l’ordre public.
Quant aux préfets, ils se voient confier des pouvoirs supplémentaires, y compris dans le champ médical. Ainsi pourraient-ils désormais décider, contre l’avis du corps médical, de prolonger l’hospitalisation complète et sans consentement d’un malade hospitalisé d’office.
Les préfets pourront donc effectuer des choix à vocation thérapeutique sans avoir la formation adéquate, à moins que ces éventuelles décisions ne revêtent en réalité un aspect uniquement sécuritaire ? Si tel devait être le cas, il s’agirait évidemment d’une violation manifeste de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui a un caractère constitutionnel.
De la même manière, ce projet de loi renforce considérablement le processus applicable aux sorties thérapeutiques en substituant à une autorisation tacite du préfet une autorisation expresse. S’il n’était pas illégitime que le préfet soit informé de telles sorties, il n’est en revanche pas acceptable qu’il puisse s’y opposer, sa non-réponse étant une présomption de refus. Or ces sorties ont une vocation médicale et font pleinement partie du processus de soins. Il s’agit, selon l’article L. 3211-11 du code de la santé publique, de « favoriser [la] guérison, [la] réadaptation ou [la] réinsertion sociale » des personnes ayant fait l’objet « d’une hospitalisation sur demande d’un tiers ou d’une hospitalisation d’office ».
Si l’appréciation de l’état de santé mentale de la personne relevait jusqu’à présent des seuls médecins, tel ne sera plus le cas si ce projet de loi est adopté, car il légalise la circulaire du 11 janvier 2010, signée à la fois par le ministre de la santé et celui de l’intérieur.
Ajoutons que l’acceptation ou le refus de sortie par le préfet n’est pas susceptible de recours pour excès de pouvoir. Ce n’est pas acceptable !
Nous considérons également que le « casier psychiatrique » n’est conforme ni au principe du secret médical ni aux libertés fondamentales. Celui-ci est censé permettre aux préfets d’interrompre ou non l’hospitalisation sous contrainte. La circulaire susmentionnée préfigurait d’ailleurs cette situation, puisqu’elle exigeait que les circonstances de l’hospitalisation – dates, antécédents d’hospitalisation d’office – soient relatées.
Ce casier tend à faire croire que la psychiatrie est une médecine prédictive. Ceux qui défendent cette théorie font mine de croire, ou veulent faire croire, qu’il serait possible de deviner le comportement d’une personne malade sur le seul fondement d’un historique. Ils ne croient pas à la notion de guérison ni même à celle d’évolution. Cela fait écho à la théorie du criminel-né de Lombroso : certains seraient nés pour devenir criminels.
Ce fichier, qui donne plus de prérogatives aux préfets, crée ainsi, discrètement, mais sûrement, une nouvelle police : la « police sanitaire », la famille et les médecins devenant tout à tour des délateurs éventuels et des auxiliaires de police.
Au surplus, le projet de loi prévoit que le recours engagé contre la décision du juge des libertés et de la détention de lever la mesure d’hospitalisation complète sera suspensif. Or l’effet non suspensif des recours est un principe de portée générale ; il a un caractère fondamental, en liaison étroite avec la présomption de légalité des actes administratifs dont résulte leur force exécutoire immédiate. Cette dérogation est largement attentatoire aux droits des personnes.
Enfin, il n’est pas acceptable de proposer le recours à la visioconférence dans les rapports entre le juge et les personnes hospitalisées en psychiatrie. Indépendamment de la question des moyens, comment osez-vous seulement penser à une pareille mesure ?
Ce projet de loi, mes chers collègues, est nourri par la défiance à l’encontre des médecins, que l’on oppose aux citoyens, et la peur, alimentée notamment par les discours de ceux qui voudraient nous faire croire à une société sans risques.
Le poète portugais Alexandre O’Neill a écrit : « Je pense à tout ce que la peur va posséder et j’ai peur, c’est justement ce que la peur attend de moi ». Je refuse que cette peur, instrumentalisée à dessein, l’emporte sur la raison, qu’elle se nourrisse sans raison d’elle-même, qu’elle gagne sur les libertés individuelles et sur l’humanité.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à refuser cette vision désespérante de l’autre et à voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur cette motion. (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Bravo ! Continuez…
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Mes chers collègues, tout au long de ce débat, je donnerai à la fois l’avis de la commission et mon avis personnel. N’y voyez pas là un symptôme de schizophrénie ; je serai plutôt un Janus à deux faces !
Selon moi, ce projet de loi n’est pas inconstitutionnel, bien au contraire : l’un de ses objets essentiels est de mettre le droit relatif à l’hospitalisation sans consentement en conformité avec la décision du Conseil constitutionnel en date du 26 novembre 2010.
À titre personnel, je vous demande donc, mes chers collègues, de rejeter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 83, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe CRC-SPG, et l'autre, du Gouvernement.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 203 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 168 |
Pour l’adoption | 149 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.