M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai beaucoup hésité avant d’intervenir dans ce débat. Ce matin, j’étais prêt à demander à ne plus figurer sur la liste des orateurs. Lorsqu’on est directement concerné par un sujet comme celui-ci, il est toujours difficile d’en parler avec sérénité, et l’exercice auquel je vais me livrer devant vous est particulièrement impudique et douloureux pour moi.
Si j’ai néanmoins persisté dans mon idée de prendre la parole, c’est parce que ce texte a suscité une agitation qui, selon moi, relève plutôt de la caricature ou des préjugés idéologiques. Je pense que, pour les familles, il est particulièrement insupportable de voir le problème abordé de cette façon.
Mme Brigitte Bout. Très bien !
M. Laurent Béteille. Je vais vous parler de mon fils, que rien, apparemment, ne prédestinait à être concerné par la maladie psychiatrique : il a eu son bac et a entamé des études supérieures avant, un beau jour, de sombrer dans la schizophrénie. Sombrer est le mot juste, car c’est bien d’un naufrage qu’il s’agit.
Aujourd'hui, mon fils est clochard : il joue de la musique dans les rues d'Athènes et passe le reste de son temps à ramasser des mégots, qu’il conserve précieusement.
Cette dérive s’est produite assez brutalement ; elle s’est manifestée par des hurlements qu’il poussait dans la rue « pour chasser les démons », ainsi que par des menaces et des brutalités envers ma femme. Nous avons cherché un moyen de l’aider, mais il n'est pas facile de soigner quelqu'un qui ne se reconnaît pas malade et qui, de surcroît, considère que tous les médecins sont systématiquement des êtres malfaisants.
Après quelques mois, et grâce à l’appui d'un psychiatre qui a accepté de venir chez moi et de rencontrer mon fils un peu par surprise, j’ai réussi à obtenir une hospitalisation. Certes, on était un peu à la limite du droit au regard de la loi de 1990, mais qu'importe : il a au moins pu être soigné à ce moment-là. Au bout d'un certain temps, il a bénéficié d'une permission de sortie, qui s'est traduite, comme c'est généralement le cas, par un arrêt progressif, mais prématuré, du traitement. Les soins n'ont donc pas eu le succès que nous escomptions. Le problème a perduré et a donné lieu à toute une série de péripéties qu’il n'est pas opportun de relater ici.
Je veux insister sur le fait que, pour la famille, pour les proches, pour les amis, cette situation a été particulièrement pénible.
Aujourd'hui, je considère que la vie de ce garçon est gâchée. Il est dans une situation de souffrance particulière, car tout n’est que déceptions à ses yeux et il ne comprend pas pourquoi il en est là.
Il est en outre victime de violences beaucoup plus qu’il n’est auteur de violences : tout le monde peut en effet abuser de lui sans difficulté ; il est d'une grande naïveté et, par conséquent, il est une proie facile.
Mes chers collègues, si je vous raconte ce drame personnel, c'est surtout pour vous demander d'aborder ce débat dans un état d'esprit positif. Il me semble nécessaire aujourd'hui que nous examinions l’une après l’autre les dispositions que contient ce projet de loi pour déterminer celles qui sont utiles aux malades. Je souhaite vivement que nous appréhendions les questions sous-jacentes à ce texte en ayant le souci de penser d'abord aux malades et sans entrer dans d'autres considérations que, malheureusement, l’on a trop entendues.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bravo !
M. Laurent Béteille. En tant que membre de la commission des lois, j'ai bien noté les propositions qu’a formulées Jean-René Lecerf. J'ai également pris connaissance d'un certain nombre de celles qu’a avancées la commission des affaires sociales. De mon point de vue, ce texte peut être amélioré et prévoir un meilleur contrôle, notamment juridictionnel.
J’espère sincèrement que toutes les dispositions qui permettront d’assurer un meilleur fonctionnement de la loi de 1990 seront adoptées au cours de cette discussion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, avant de commencer mon intervention, je précise à l’attention de mon collègue que, à l’instar de certains des membres du groupe du RDSE, je m'inscris exactement dans cette démarche qui se veut généreuse et prend en compte les vrais besoins en soins de nos malades fragilisés.
Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, certains l'ont souligné avant moi et d’autres le répéteront, la Haute Assemblée est confrontée à une situation inédite : après le travail en commission, qu'il s'agisse de la commission des affaires sociales saisie au fond ou de la commission des lois saisie pour avis, le texte qui nous revient et qui nous est aujourd'hui proposé est celui de l'Assemblée nationale, non amendé.
Comment ne pas regretter ce retour ex ante, qui ignore les longs et fructueux débats conduits par M. le rapporteur pour avis avec la rigueur et le talent qu'on lui connaît ? Je tiens ici à saluer la qualité extrême de son travail et je regrette, bien sûr, le sort réservé aux amendements proposés par la commission des lois et par la commission des affaires sociales que nous aurions dû voir intégrés aujourd'hui à ce texte. Je veux dire ma déception de ne pouvoir discuter d’un texte qui aurait pu être ainsi enrichi.
Madame la secrétaire d'État, je n'interviendrai que sur le volet judiciaire du présent texte, qui relève de la compétence de la commission à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.
Ce projet de loi tend à définir un nouvel équilibre entre trois principes à valeur constitutionnelle : le droit à la protection de la santé, la protection de l'ordre public et la protection de la liberté individuelle. Il semble bien qu’il soit la conséquence directe d'un avis rendu par le Conseil constitutionnel le 26 novembre 2010, déclarant contraire à la Constitution l'article L. 337 du code de la santé publique, devenu son article L. 3212-7, qui ne soumet pas le maintien de l'hospitalisation d'une personne sans son consentement à une juridiction judiciaire, gardienne des libertés individuelles.
S'il est bien légitime que soient corrigées ces dispositions, nous pouvons néanmoins nous interroger sur l'ampleur du nouveau dispositif, qui répond une nouvelle fois à un fait d’actualité, ce que je regrette, sans qu’ait été pris le temps d'examiner toutes les incidences des choix opérés. En particulier, le hiatus semble grand entre les décisions prises notamment en termes de santé et leurs conséquences en matière judiciaire.
Je n'en veux pour preuve que les termes mêmes de l'avis du Conseil constitutionnel qui, statuant sur les droits des personnes hospitalisées sans leur consentement, indique : « 38. Considérant, en troisième lieu, que l’article L. 351 du code de la santé publique reconnaît à toute personne hospitalisée sans son consentement ou retenue dans quelque établissement que ce soit le droit de se pourvoir par simple requête à tout moment devant le président du tribunal de grande instance pour qu’il soit mis fin à l’hospitalisation sans consentement ; que le droit de saisir ce juge est également reconnu à toute personne susceptible d’intervenir dans l’intérêt de la personne hospitalisée ; […] »
Ma question s’adresse à M. le garde des sceaux : pourquoi avoir généralisé cette mesure et systématisé le recours au juge judiciaire pour toutes les hospitalisations sous contrainte ?
Le système proposé met aujourd'hui en grande difficulté autant le milieu judiciaire que le monde des hôpitaux psychiatriques et les psychiatres eux-mêmes. Il suffit de voir et d'entendre les réactions nombreuses des professionnels pour mesurer leur désarroi.
Ce projet de loi trop complexe aurait dû en réalité faire l'objet de deux textes distincts, car il aborde des sujets spécifiques.
Je souhaite en particulier insister sur l'inquiétude des magistrats qui voient augmenter leur charge de travail de manière insupportable : l'étude d'impact elle-même a souligné l'absolue nécessité de créer des emplois dont on est en droit de savoir comment ils seront financés.
Ainsi, nous assisterons à la multiplication du nombre des cas soumis au contrôle judiciaire dans les quinze jours à compter de l'admission ou de la décision d’admission, à la multiplication du nombre des contrôles, eux-mêmes répétés tous les six mois, à la multiplication des expertises psychiatriques, qui nécessiteront le concours de collèges de soignants, dans un contexte médical dont on connaît la fragilité.
Des délais brefs seront imposés au juge, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui seront très vite inacceptables. Des débats contradictoires devront être organisés entre le juge et les médecins, sans qu'il soit précisé de quels médecins il s'agit.
Le recours à la visioconférence sera difficile, sinon impossible à mettre en œuvre : cette mesure ignore manifestement l'organisation des hôpitaux psychiatriques et leur manque de moyens budgétaires pour mettre en place des équipements.
Mme Christiane Demontès. Absolument !
Mme Anne-Marie Escoffier. En conclusion, mais nous y reviendrons au cours de la discussion de ce texte, face à une intention louable, protéger des personnes fragilisées, le Gouvernement propose un dispositif dont la complexité ne pourra parfaitement garantir le respect d’aucun des trois principes républicains essentiels que nous avons rappelés.
Dans ces conditions, je veux être confiante dans le bon sens, la sagesse, le réalisme des membres du Gouvernement qui, j'en suis sûre, écouteront nos interrogations et nos inquiétudes, qui sont celles des personnes fragilisées et de leurs familles, pour donner toute priorité aux soins. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l’UMP)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, dans le monde, 400 millions de personnes sont concernées par un trouble mental. À l’échelon national, presque un Français sur quatre souffre de nos jours d’une de ces formes de trouble ; en outre, on observe que ce type de maladies touche de plus en plus de jeunes adultes et des personnes âgées. Cela doit nous faire prendre conscience que ces maladies affectent la vie de bon nombre de nos concitoyens, de tous âges et de toutes conditions, qu’elles détériorent parfois leur qualité de vie et met aussi souvent en danger leur insertion dans la société.
Peu de personnes souffrant de ces troubles en parlent publiquement. La santé mentale, c’est intime, caché, secret, tabou et les préjugés négatifs ont malheureusement la vie dure. Cela devient public lorsque l’expression du trouble et de l’angoisse commence à être trop intense, quand sont perturbés la vie familiale, le milieu du travail ou, plus généralement, la société. En effet, l’image du malade mental reste aux yeux du grand public très archaïque : celui-ci reste une personne imprévisible, dangereuse dont le placement en établissement psychiatrique est nécessaire pour qu’elle soit suivie et soignée.
L’objet de la psychiatrie est non pas le trouble mental, mais l’être humain souffrant de trouble mental. La société évolue et, pourtant, les « malades mentaux » ont été les moins écoutés et les moins considérés du système de soins pendant longtemps, tant il est vrai que le trouble psychique inquiète toujours par son étrangeté, contribuant malheureusement à renforcer l’isolement de celui qui en souffre.
Montaigne n’écrivait-il pas en son temps : « On construit des maisons de fous pour faire croire à ceux qui n’y sont pas enfermés qu’ils ont encore la raison » ? Or tout changement profond en santé mentale passe par un changement d’attitude de la société à l’égard de ces concitoyens.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Alain Milon. Selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé, en vingt ans, nous passerons de 10 % à plus de 20 % de Français touchés par au moins une pathologie mentale. En trente ans, le nombre de dépressions déclarées a été multiplié par six. Il est donc bon de rappeler que tout le monde peut être concerné de près ou de loin par un trouble psychique.
M. Jacky Le Menn. Absolument !
M. Alain Milon. D’ailleurs, au cours de ces dernières années, le nombre de personnes suivies a très considérablement augmenté, que ce soit dans des structures publiques ou privées. Comme dans les autres domaines, des réformes sont nécessaires, car le chantier est, j’en suis convaincu, immense.
Madame la secrétaire d'État, parler de santé mentale, c’est parler de bien plus que de médecine, c’est aussi se préoccuper d’insertion et être attentif à l’accompagnement social des personnes concernées mais aussi à celui de leur entourage proche. C’est aussi déployer les moyens suffisants dont la psychiatrie a besoin ; je pense en particulier à la formation et, plus encore, à celle des infirmiers psychiatriques.
Le champ de la santé mentale est donc particulièrement étendu, plus que ne l’est tout autre domaine de la santé : il recouvre à la fois une dimension individuelle et une dimension sociétale.
La santé mentale occupe une place considérable au sein de notre système de santé, du fait de la fréquence des troubles, mais aussi en raison d’une offre importante, mais insuffisante, en équipements et en personnels.
L’angoisse est partout aujourd’hui : il y a une explosion de la demande « psy » et l’on attend des spécialistes qu’ils répondent dans l’urgence. La consommation de psychotropes est très importante, puisque la sécurité sociale rembourse plus de 315 millions d’antalgiques et 122 millions d’hypnotiques et de tranquillisants. Certes, prescription ne signifie pas consommation, mais est-ce à dire que les Français ont mal, sont mal ou vont mal ?
Par ailleurs, il est certain que les changements de repères structurants pour l’être humain, au sein tant de l’entreprise que de la société, se reflètent au niveau des troubles de la personnalité, avec une augmentation des affections de type borderline, diagnostic fréquemment retenu aujourd’hui.
Enfin, il convient de mentionner un autre changement : l’attitude du malade par rapport à la maladie. Autrefois très passif et sommé de suivre ce qui lui était imposé, il est devenu un partenaire et, si possible, un acteur de son traitement. La nécessité de l’information du patient est aujourd’hui un truisme et il faut aller plus loin dans son implication.
Il est vrai que le traitement est une démarche de longue haleine. Pour pouvoir traiter quelqu’un, il faut établir un lien avec lui, afin de pouvoir travailler ensemble, ce qui prend du temps. C’est pourquoi l’examen de ce projet de loi semble être le signe d’une avancée, de la volonté de créer un climat de confiance, d’échange et, par conséquent, de protection. Néanmoins, je précise que, si l’on peut comprendre la volonté de renforcer la sécurité de nos concitoyens, il faut être conscient qu’elle nécessite la mise en place de moyens considérables, dont l’évocation est absente du présent texte.
On aurait pu espérer un texte de santé mentale beaucoup plus abouti que celui qui nous est proposé aujourd’hui. En ce qui concerne les moyens, il est en effet, je le répète, indispensable d’examiner aussi le volet santé. Quels moyens seront mis en place en termes de personnels soignants, qui forment une chaîne complète : médecins, psychiatres, et surtout infirmiers ? Sur ce dernier point, quel effort sera fourni pour améliorer la formation de ces personnels, notamment les infirmiers psychiatriques dont j’ai demandé le rétablissement voilà déjà deux ans dans un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé ?
Je note toutefois que le projet de loi ajoute des étapes intéressantes dans la procédure de suivi des patients durant les tout premiers jours, étapes qui n’existent pas aujourd’hui et qui vont dans le sens d’une meilleure prise en compte des droits des malades. Mais j’espère que le psychiatre ne sera pas mis sous la tutelle du juge, qui est certes le protecteur des libertés, mais qui est un tiers dans la relation entre le médecin et le malade.
Il faut savoir donner du temps au temps. En effet, il est illusoire de penser que quelqu’un puisse sortir d’une dépression en quelques semaines seulement. Dans ce laps de temps, il est toujours envisageable de guérir les symptômes, mais si aucun travail n’est effectué sur le vécu du patient, une rapide rechute est à craindre.
La protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques est peut-être, avant tout, un état d’esprit, par lequel on montre que la vie a, en elle, quelque chose de formidable et de très intéressant. Parfois, il faut également savoir se confronter à la peur et constater que l’on dispose de toutes les ressources nécessaires pour la dépasser.
Ensuite, il convient de rappeler un principe essentiel : on ne laisse jamais un individu s’enfermer dans des comportements où il ne se nourrit pas ; on ne le laisse pas, si possible, se marginaliser. Cependant, la question d’un référent demeure non résolue : les patients sont souvent relativement isolés, même s’ils sont bien entourés, et personne ne se sent autorisé à prendre la responsabilité de veiller à ce qu’ils ne s’enferment pas dans des conduites de refus. Nous touchons là l’un des problèmes essentiels de notre société, qui est certes dotée de moyens et d’informations très riches, mais qui souffre également d’une irresponsabilité généralisée.
De plus, au-delà de leur propre maladie, les patients souffrent bien souvent de troubles qui touchent à leur estime de soi et à leurs liens sociaux. En raison de la peur de la récidive ou de la décompensation, ils tombent parfois dans les pathologies secondaires de la maladie que sont les stratégies d’adaptation, les échecs familiaux, les troubles cognitifs, les conduites antisociales et les échecs scolaires ou professionnels. Il faut apprendre aux patients à vivre avec et veiller à ne pas leur renvoyer en permanence des images non valorisantes.
Madame la secrétaire d’État, je suis favorable à une déontologie de l’information psychiatrique, afin de relever le double défi de faire face à la souffrance des patients et d’apporter des réponses collectives, cliniques, médico-sociales et sociales, au profit de personnes le plus souvent vulnérables.
De même, comme je l’avais souligné dans le rapport que j’avais établi au nom de l’OPEPS dont j’ai parlé tout à l’heure, il est nécessaire d’adapter l’organisation territoriale de la psychiatrie aux besoins de la population, de créer une spécialisation de niveau master pour les infirmiers et de renforcer les coopérations entre professionnels de santé mentale en développant la notion de réseau. L’un de mes amendements va dans ce sens.
La question des soins ambulatoires devrait également être abordée dans le cadre plus large d’une loi d’ensemble sur la santé mentale, car elle nécessite, par exemple, de réfléchir à l’organisation de réseaux de psychiatrie.
« N’ayez pas peur des fous ! » Tel est le message que nous ont adressé, à chacun d’entre nous, des aumôniers d’établissements publics de santé mentale. Méfions-nous que, sous couvert de défendre la protection des droits des personnes malades, les soins sans consentement deviennent le modèle de soin psychique, faisant de l’exception, parfois nécessaire, la règle.
Comme le soulignaient également ces hommes d’église, sans nier la complexité des situations auxquelles nous sommes confrontés face à la maladie mentale, soyons prévoyants face au risque de disparition d’un modèle de psychiatrie, qui semble le plus pertinent. La psychiatrie institutionnelle a transformé des institutions aliénantes, quasi carcérales, pour en faire un des outils au service de la singularité du sujet ouvert sur la cité.
En matière de santé mentale, le politique est plus que jamais dans son rôle d’arbitrage. Il doit répondre à la question de savoir jusqu’où il peut aller pour faire avancer une question sensible sur un sujet aussi douloureux, tout en ne basculant pas dans une vulgarisation excessive, qui se traduirait par de mauvais choix politiques.
Il est temps de faire en sorte que la question de la santé mentale ne soit plus seulement l’affaire des spécialistes, mais constitue également une partie de notre conscience collective, plus éveillée. Au-delà de notre contribution, il nous faut refonder un investissement collectif sur ces sujets, c’est-à-dire trouver des points d’entrée convaincants et durables. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi aborde un sujet très délicat, qui se situe au confluent des enjeux de liberté publique et de sécurité publique. Cependant, il faut le dire d’emblée très clairement, il ne réussit pas à atteindre le point d’équilibre nécessaire entre ces deux impératifs, tel qu’il a été défini depuis longtemps par une jurisprudence constante du Conseil d’État.
Ce projet de loi est avant tout un texte sécuritaire,…
M. Jean Desessard. Oui !
M. Jean-Pierre Michel. … dans lequel l’aspect médical peut être subordonné aux interventions, non seulement du préfet, mais aussi du juge.
Mon propos se limitera à l’irruption du judiciaire pour la protection des libertés publiques, qui ne sera en pratique le plus souvent qu’une illusion très difficile à mettre en œuvre, et qui n’apportera, à mes yeux, pas de garanties réelles.
M. Jacky Le Menn. Oui !
M. Jean-Pierre Michel. De quelles informations disposera le juge pour aller à l’encontre du diagnostic médical ? En effet, l’internement sans consentement, soit à la demande d’un tiers soit à la demande de l’autorité préfectorale, est avant tout un traitement pour le malade psychiatrique dont l’état est évolutif, avant d’être une mesure privative de liberté. Le juge va donc s’immiscer dans ce traitement pour en décider éventuellement l’arrêt.
C’est le Conseil constitutionnel, dont la pratique du terrain, de ses difficultés et de ses exigences est certainement très grande, qui nous oblige à légiférer sous contrainte ! (Sourires.)
D’ailleurs, depuis la dernière réforme de la Constitution, le Conseil constitutionnel entend se comporter comme une cour suprême. Encore faudrait-il que sa composition fournisse les garanties d’indépendance et d’impartialité qui caractérisent une telle instance. Or ce n’est pas le cas, même si ses membres sont honorables. Leur nomination est politique et, pour certains d’entre eux, il faut le dire, politicienne.
M. Guy Fischer. C’est bien vrai !
M. Jean-Pierre Michel. De plus, la présence des anciens présidents de la République ne fait que renforcer cet aspect. Qu’ils siègent ou non importe peu : il suffit qu’ils puissent siéger dans une affaire où ils pourraient emporter une majorité souhaitée.
Quoi qu’il en soit, le contrôle par le juge judiciaire peut se révéler difficilement praticable, comme d’autres dispositions du projet de loi.
En effet, les moyens sanitaires et judiciaires très importants qui seront requis par l’application de ce texte contrastent fortement avec les effectifs actuels, tant de la magistrature que des intervenants en psychiatrie, médecins et personnels infirmiers. À cet égard, l’étude d’impact n’apporte pas de réponse satisfaisante, bien au contraire.
Je voudrais d’ailleurs rappeler que, dans le rapport que Christiane Demontès, Gilbert Barbier, Jean-René Lecerf et moi-même avions consacré, voilà un an, aux troubles mentaux en milieu carcéral, nous n’avions pas retenu la solution imposée par le Conseil constitutionnel, qui ne nous avait pas semblé opportune, même si certains y avaient songé !
Déjà en 1978, l’article 40 de l’avant-projet de code pénal prévoyait de permettre à l’autorité judiciaire d’ordonner le placement puis la sortie de la personne atteinte de trouble mental. Cette solution avait finalement été écartée, car elle était très contestée, comme d’autres d’ailleurs. Elle tendait en effet à confondre le rôle du juge et celui du médecin.
Il n’en reste pas moins que l’intervention du juge, qui est obligatoire grâce au Conseil constitutionnel – très au fait des difficultés du terrain, ainsi que je l’ai déjà dit –, posera de nombreux problèmes qui ont été abordés, notamment par M. le rapporteur pour avis. Ce dernier a essayé, comme à son habitude, de les minimiser, mais le débat permettra peut-être de les approfondir et de les surmonter.
Je me bornerai donc à évoquer le point qui me paraît le plus crucial, à savoir les modalités d’intervention du juge.
De quel juge s’agit-il ? Le texte parle du juge des libertés et de la détention, qui est déjà submergé de travail et le sera encore plus avec la réforme de la garde à vue.
De plus, l’intervention du juge nécessitera la tenue d’une audience, avec un greffier, en présence d’un avocat, au sein de l’établissement hospitalier, du moins je le suppose. Les établissements concernés ont-ils déjà inscrit à leur budget les crédits nécessaires pour disposer, dès le mois d’août, de locaux permettant ces audiences, même s’ils ne sont pas somptueux, et l’entretien du malade avec son avocat ? Des financements sont-ils prévus par le ministère de la santé et les agences régionales de santé pour ces nouveaux investissements immobiliers ? J’en doute ! Quand on connaît la situation budgétaire des établissements hospitaliers aujourd’hui, qu’ils soient publics ou privés, on mesure bien les difficultés qui ne manqueront pas d’apparaître.
Ensuite, la possibilité pour le juge de demander une expertise – le juge ne se fiera pas forcément aux dires des médecins qui suivent le malade –, nécessitera de faire appel à des médecins extérieurs à l’établissement. Dans mon département, il faudra solliciter des experts se trouvant en dehors du ressort de la Cour d’appel, c’est-à-dire à Strasbourg, Nancy ou Dijon. Quel temps mettront-ils pour rendre leur expertise ? Ce délai doit-il être ajouté aux quatorze jours imposés par le Conseil constitutionnel ? Il me semble que oui, mais cela n’est pas évoqué dans le texte.
Par ailleurs, le juge devra rendre sa décision par l’intermédiaire d’une ordonnance, qui sera susceptible d’appel. Le texte prévoit une procédure totalement farfelue ; je pense, pour ma part, que l’appel devrait être interjeté selon la procédure de droit commun, c’est-à-dire devant la cour d’appel. Cet appel doit-il être suspensif ? Vraisemblablement. Le malade pourra-t-il sortir en cas d’appel de la décision du juge, par le préfet ou le ministère public, qui peuvent être représentés à l’audience ? Je le crois.
Pourquoi l’intervention du juge, qui est prévue pour les internements en hôpital, ne le serait-elle pas également pour contrôler l’application des soins ambulatoires sous contrainte, nouvelle modalité prévue dans le projet de loi qui ne sera peut-être plus là en fin de discussion ? Ce serait une bonne chose.
Le juge devrait également pouvoir, s’agissant d’un malade ayant fait l’objet d’une hospitalisation d’office antérieure, décider sa sortie en soins ambulatoires sous contrainte et contrôler la mise en œuvre de cette mesure, à intervalles réguliers à définir.
Enfin, le juge judiciaire devrait pouvoir statuer sur l’arrêté même d’internement émanant du représentant de l’État, comme l’a proposé, je le crois, la commission des lois. Or le texte a prévu que cet arrêté d’internement relève du juge administratif. C’est une complication supplémentaire ajoutée à une procédure déjà très compliquée.
Le Conseil constitutionnel a admis que la loi puisse organiser des blocs de compétences. En l’occurrence, ceux-ci doivent être réalisés, me semble-t-il, au profit des juges judiciaires.
Ce texte – je le répète, car c’est l’un de mes « dadas » – nous permet une nouvelle fois de percevoir la complication extrême de notre système juridique, à savoir l’existence de deux ordres de juridiction parallèles, la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, qui ne se rencontrent jamais sauf, éventuellement, au niveau du Tribunal des conflits.
Certes, le Conseil constitutionnel a estimé en 1987 que ces deux ordres de juridiction avaient une base constitutionnelle ; je pense que c’est un bon sujet de méditation pour une prochaine modification de notre Constitution, certainement plus adéquate que l’introduction, dans la norme suprême, de l’équilibre des finances locales que nous présente actuellement le Gouvernement.
Mon collègue Jacky Le Menn vous a exposé la position de notre groupe sur ce texte. Vous comprendrez que la pseudo-garantie judiciaire n’y change rien : nous sommes résolument contre ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)